INDU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 10 février 2000
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je vais ouvrir la séance. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous examinons les pratiques d'établissement des prix anticoncurrentielles dans le contexte de la Loi fédérale sur la concurrence.
Comme vous le savez, cela fait suite à une motion que le comité a adoptée le printemps dernier. Nous avions demandé au Bureau de la concurrence d'entreprendre une étude. Elle a été faite. Nous avons rencontré le commissaire ainsi que le professeur VanDuzer, et nous nous réunissons maintenant avec Dan McTeague, car la motion initiale résultait des discussions que nous avions eues au sujet d'une mesure d'initiative parlementaire que Dan McTeague avait présentée au comité.
Je voudrais seulement informer le comité que nous avons invité M. McTeague à comparaître l'automne dernier. M. McTeague est maintenant membre du comité, mais il comparaît aujourd'hui comme témoin. Je tenais à le préciser. Nous n'allons pas le laisser se poser des questions à lui-même.
Monsieur McTeague, commencez quand vous serez prêt.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente et chers collègues.
Je me réjouis d'être ici ce matin pour parler d'une question qui nous tient beaucoup à coeur. Il s'agit, bien entendu, de l'efficacité avec laquelle la Loi sur la concurrence suit l'évolution du monde des affaires, ses répercussions sur les consommateurs, sur la rentabilité, les relations entre les sociétés grandes et petites et notre capacité de réagir pour faire en sorte avant tout de préserver l'objectif et l'interprétation de la Loi sur la concurrence.
Sans entrer dans les détails, je dirais que le plus important est de préserver et de favoriser la concurrence afin de promouvoir l'efficacité et la faculté d'adaptation de l'économie canadienne, de même que pour permettre aux Canadiens d'avoir une plus grande place sur les marchés mondiaux, tout en reconnaissant le rôle de la concurrence étrangère au Canada. Je crois très important de faire en sorte que les PME aient la possibilité d'occuper leur place dans l'économie canadienne et de fournir aux consommateurs des prix concurrentiels et un choix de produits.
Même si le bureau supervise la mise en oeuvre d'une loi qui existe depuis 1986, je crois qu'il a fait un excellent travail en assurant l'application d'un document très bien formulé et qui est, à bien des égards, pratiquement impossible à faire respecter.
Il y a aujourd'hui des entreprises qui dominent le marché et contrôlent diverses industries. Elles peuvent profiter de leur domination sur le marché presque impunément, étant donné la façon dont la Loi sur la concurrence est actuellement formulée. Les enquêtes du Bureau de la concurrence ne peuvent trouver aucune preuve d'irrégularité, étant donné les outils à la disposition du bureau. Nous en avons vu la preuve au début de la semaine dans le cas de l'essence.
• 0905
Ces activités anticoncurrentielles, qu'il s'agisse d'un abus
d'une position dominante ou de prix d'éviction, ont d'énormes
répercussions sur l'économie canadienne. Elles font également du
tort aux consommateurs, aux détaillants indépendants et aux
fournisseurs, et elles ont un impact important sur le niveau de
véritable concurrence qui s'exerce dans le marché.
Comme vous le savez sans doute, madame la présidente et chers collègues, je m'inquiète surtout du rôle des détaillants vraiment indépendants, des concurrents et des fournisseurs en général et des répercussions sur les consommateurs. Un marché qui perd des indépendants et des détaillants qui sont souvent acculés à la faillite se voit dépourvu de véritable concurrence. Le choix de produits se rétrécit et tout cela finit par entraîner une hausse des prix, peut-être pas immédiatement, mais certainement à long terme.
Comme vous vous en souviendrez, le projet de loi C-235, qui est toujours devant la Chambre, cherchait à établir certains principes de base selon lesquels un grossiste devait vendre un produit au détail à un prix compatible avec celui qu'il exigeait au niveau du gros. Les amendements qui ont été proposés soulèvent certainement la question. Cette définition très grossière des prix d'éviction aurait permis à n'importe quel petit détaillant qui concurrence son fournisseur au niveau du détail d'acheter le produit au moins au même prix que celui auquel le grossiste le vend lui-même au détail. Comme chacun le sait, la vente au détail est toujours plus coûteuse que la vente en gros.
Je voulais vous dire qu'au milieu de tout cela, au cours des mois qui ont suivi les délibérations sur le projet de loi C-235 et la question de la concurrence en général, nous avons essayé d'améliorer les choses, en tout cas du côté civil. L'une des critiques formulée à l'égard des prix d'éviction portait sur l'aspect pénal des enquêtes et la possibilité de sanctions. Nous avons donc jugé préférable de nous centrer davantage sur l'aspect civil.
Avant de continuer, je signale que je partagerai le temps qui m'est alloué avec mon collègue, Michael Kelen, que je crois inutile de vous présenter. Comme vous le savez pour la plupart, Michael a travaillé avec moi au projet de loi C-235. Il a joué le rôle d'ami et d'avocat dans ce dossier. Il vous fera ses propres observations, et il se peut que nous nous passions ce classeur de temps à autre.
Tout le monde a-t-il reçu la copie de cette documentation, madame la présidente?
La présidente: Elle a été envoyée au bureau de chaque membre du comité, en effet.
[Français]
M. Dan McTeague: Je suis désolé de ne pas avoir été en mesure de faire traduire tous ces documents, mais il y avait beaucoup de choses à faire et certains documents ne me sont parvenus que tout récemment.
[Traduction]
Madame la présidente, je voudrais vous présenter le projet de loi C-402, qui a été déposé à la Chambre des communes le 13 décembre 1999. Il se rapporte à l'article 78 de la Loi sur la concurrence et donne une définition des activités considérées comme des agissements anticoncurrentiels. Autrement dit, c'est le fait d'obliger un fournisseur à payer une prime à un détaillant pour que celui-ci vende un produit; la compression, par un détaillant intégré verticalement, de la marge bénéficiaire accessible à une personne non intégrée qui est en concurrence avec ce détaillant—vous constaterez que c'est très semblable à ce que nous essayons de faire dans le projet de loi C-235—et le fait de retenir unilatéralement une somme due à un fournisseur pour toute raison alléguée, alors qu'il n'y a aucune entente préalable à cet égard de la part du fournisseur.
De toute évidence, les changements que nous proposons visent à résoudre la situation dans deux domaines de concurrence ou deux industries, l'essence et l'épicerie, que vise le projet de loi C-235, mais surtout le projet de loi C-402.
À l'onglet a) de ce classeur, vous trouverez la lettre que je vous ai adressée, madame la présidente, le 4 novembre. Dans cette lettre, je fais valoir que les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie ont fait des enquêtes du même genre au sujet d'activités anticoncurrentielles de la part de détaillants, et qu'il y a eu notamment des audiences spéciales aux États-Unis sur la question des coûts d'étalage.
Je soulève la question en raison des préoccupations soulevées dans le cadre du projet de loi C-235 à propos du secteur de l'épicerie. Les Américains se sont inquiétés du fait que cinq grandes chaînes qui dominent le marché des États-Unis accaparent 30 p. 100 du marché. Au Canada, vous avez deux ou trois grandes chaînes qui monopolisent jusqu'à 80 p. 100 du marché de détail. Si c'est tellement important, c'est en raison des résultats globaux d'une étude confidentielle que je vais vous présenter et que j'ai menée avec M. Kelen au cours des six derniers mois.
• 0910
Pour le moment, je centrerai mon propos sur le secteur de
l'épicerie pour la simple raison que nous constatons l'émergence
d'une véritable domination qui représente selon moi pas seulement
un oligopole, mais quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Je
vous dispenserai des termes techniques, mais un oligopole a le
pouvoir d'imposer une discipline très stricte sur le marché en se
servant de sa domination pour soutirer aux fabricants des frais
qu'il ne pourrait pas exiger autrement s'il n'était pas aussi
puissant.
Michael, a-t-on distribué l'étude dont je parle?
[Français]
Madame la présidente, le document sur les résultats de cette enquête a été traduit en français. Il s'agit du fruit d'une étude confidentielle que mon collègue Me Kelen et moi avons faite. Si vous me le permettez, je vous ferai part des conclusions que nous avons tirées de cette enquête.
[Traduction]
Je crois que tout le monde en a un exemplaire.
Le 25 août, nous avons envoyé une lettre à un certain nombre de fabricants, en leur promettant l'immunité et l'anonymat. Je dois vous dire qu'un grand nombre d'entre eux ont répondu au sondage, mais que beaucoup d'autres ne l'ont pas fait par crainte de représailles.
Les résultats globaux se rapportent à ce qui suit: les coûts d'étalage, les remises hors facture et, bien entendu, les amendes. Bien sûr, ce n'est pas sous ce terme qu'on les désigne dans l'industrie. Il y a plusieurs autres éléments, mais nous nous limiterons à ces trois sujets.
Si j'examine ce qui s'est passé au États-Unis, Kit Bond, le président du sous-comité du Sénat, a soulevé certaines préoccupations. Cela figure aux onglets b), f) et q) de votre documentation. Je voudrais vous lire le premier extrait, car il présente très succinctement la conclusion de l'enquête. Le 14 septembre 1999, le sénateur Kit Bond a déclaré que les coûts d'étalage exigés par les chaînes de supermarchés sont devenus «une partie de poker brutale pour les petits fabricants, ce qui menace la concurrence, les emplois, et risque d'augmenter le coût de la nourriture pour des millions de familles américaines». J'ai déjà mentionné qu'il préside le Sous-comité de la petite entreprise du Sénat des États-Unis.
Les coûts d'étalage représentent le premier sujet de notre enquête. Les coûts d'étalage par unité de gestion de stock(UGS), ont augmenté de plus de 100 p. 100 depuis deux ans, passant d'environ 50 000 $ à 130 000 $ par UGS dans la plupart des grandes chaînes de supermarchés. C'est pour un produit de catégorie B, et c'est encore plus élevé pour un produit de catégorie A. Je les définirai un peu plus tard.
Les coûts d'étalage diffèrent d'une catégorie à l'autre. Ils sont payés par unité de gestion de stock; autrement dit, si un produit est vendu en trois saveurs et en trois formats, il y a neuf UGS. Les fabricants qui ont participé à l'enquête payaient chaque année des coûts d'étalage variant de 700 000 $ à 3,9 millions de dollars. Je dois préciser que c'est sur une base annuelle. Il est impossible de fournir le coût d'étalage moyen pour les unités de gestion de stock, étant donné que cela varie énormément selon la catégorie de produits dont il s'agit.
Dans tous les cas, on nous a répondu que les coûts d'étalage avaient augmenté de façon exponentielle ces dernières années et qu'on s'attendait à une nouvelle majoration de 30 p. 100 en l'an 2000. Je précise que ces enquêtes précédaient l'approbation de la fusion de Loblaws et Provigo, et en tout cas le projet de fusion, qui n'a pas encore été approuvé, entre Oshawa Group et Sobey's.
• 0915
Les grands détaillants se servent des coûts d'étalage pour
exploiter leur position dominante sur le marché. En effet, ces
coûts n'ont aucun rapport avec les coûts réels associés à
l'inscription d'un nouveau produit ou à l'échec d'un produit, s'il
y a lieu.
J'ai mentionné l'exemple américain, mais il est important de souligner que la Grocery Manufacturers of America, en collaboration avec Deloitte et Touche, a calculé les principaux coûts que représentent l'introduction d'un produit et la suppression d'un produit pour le détaillant. Le coût de détail par UGS par magasin était de 13,51 $ pour l'introduction d'un produit et de 10,77 $ pour la suppression d'un produit. Ces chiffres concernent les États-Unis en 1988, mais on peut quand même clairement en déduire que les coûts d'étalage pratiqués au Canada en 1999 sont pour le moins exorbitants.
En ce qui concerne le deuxième sujet de notre enquête, nous avons reçu de nombreuses réponses. La plupart des détaillants déduisent unilatéralement certains montants des factures, pour des raisons que les fabricants observés considèrent comme injustes, inexpliquées, non fondées et arbitraires. C'est devenu pratique courante chez les grands détaillants.
Pour prendre un exemple récent, deux grands détaillants qui viennent de fusionner passent chacun les dossiers de l'autre au peigne fin et déduisent unilatéralement certaines sommes des factures afin d'indemniser les marchands pour les remises dont leurs concurrents ont bénéficié dans le passé, mais pas eux. Ces rumeurs concernent des remises hors facture futures auxquelles on s'attend.
Depuis 12 mois, les sociétés observées signalent des remises hors facture totalisant entre un et deux millions de dollars annuellement par société. Les montants en cause ont sensiblement augmenté ces dernières années. Toutes les entreprises observées se disent extrêmement frustrées par le caractère arbitraire de ces remises hors facture et du fait que le fabricant n'a pas la possibilité de vérifier le bien-fondé de la remise. Actuellement, un fabricant en particulier a plus de 200 réclamations en souffrance. Selon une entreprise, sur l'ensemble des réclamations ayant fait l'objet d'une enquête, 60 p. 100 des remises en cause étaient sans fondement.
Je devrais vous donner la liste des excuses invoquées pour ces remises hors facture. Comme elle n'a pas de fin, je vous citerai seulement un ou deux exemples. Un détaillant peut invoquer le coût de réaménagement des rayonnages pour y installer le produit du fabricant, le maintien des prix d'appel, le rachat de coupons qui étaient offerts par un concurrent, des remises pour ventes perdues en raison d'expéditions insuffisantes prévues et la possibilité de pratiquer des prix équivalents à ceux des clubs d'achat dont nous avons déjà parlé.
Ces remises hors facture, qui représentent l'une des diverses formes d'amendes en vigueur dans l'industrie, n'existaient pratiquement pas il y a cinq ans.
Les grandes chaînes de supermarchés exploitent à outrance leur position dominante sur le marché parce qu'elles n'ont pratiquement pas de concurrence. Cela leur permet de s'accorder unilatéralement des remises sur leurs factures parce que si le fournisseur se plaint, le détaillant lui dit simplement qu'il peut aller vendre son produit ailleurs. Évidemment, le fournisseur n'a pas le choix, puisque ce détaillant contrôle de 30 à 40 p. 100 du marché. Si la concurrence était suffisante, les grandes chaînes n'auraient pas une part du marché suffisante pour abuser de leur position dominante.
Bien entendu, et c'est la principale chose que nous devons retenir, ce n'est pas sans conséquence pour les consommateurs, puisque ces remises hors facture se répercutent sur le prix des produits; certains fournisseurs ne peuvent pas continuer d'approvisionner les chaînes de supermarchés, ce qui réduit l'éventail des produits offerts et force les détaillants indépendants à payer indirectement des prix plus élevés pour le même produit, ce qui compromet leur compétitivité et menace leur avenir de concurrents indépendants.
Le dernier sujet est celui des amendes. Depuis trois ans seulement, les grandes chaînes de supermarchés se sont mises à mettre leurs fournisseurs à l'amende. Cette pratique commence à être très répandue. Dans certaines des entreprises observées, ces amendes représentaient 10 p. 100—je dis bien 10 p. 100—du total des factures. Rien dans les ententes conclues entre les fournisseurs et les détaillants n'indique que ces derniers peuvent imposer une amende aux fournisseurs.
Le montant des amendes a considérablement augmenté ces deux dernières années. Le montant annuel des amendes signalées par les sociétés observées variait entre 50 000 $ et 500 000 $. La moyenne des amendes est d'environ 300 $ ou 400 $
Je pourrais continuer, mais comme il y a bien d'autres choses à dire, pour gagner du temps nous voulons maintenant exposer les raisons pour lesquelles nous avons dû mener cette enquête et pourquoi le Bureau de la concurrence ne pouvait pas ou ne voulait pas le faire.
Les fabricants et les fournisseurs de produits d'épicerie ont exprimé de vives craintes que des détaillants comme Loblaws et Sobey's ne leur infligent des représailles s'ils participaient à cette étude. Cela aurait certainement pu poser des problèmes. Malgré toutes les garanties de confidentialité qui leur ont été fournies, ces compagnies ont très peur que les grandes chaînes de supermarchés ne refusent de continuer de vendre leurs produits, et prennent d'autres mesures de représailles. Si leurs produits ne sont plus vendus dans ces supermarchés, les fabricants seraient privés d'une forte proportion de leur clientèle.
• 0920
Je crois que cette crainte des représailles est en soi une
preuve patente que les grandes chaînes de supermarchés jouissent
d'un pouvoir excessif sur le marché. Le fait qu'un fabricant d'un
produit d'épicerie craigne de s'exprimer montre bien que son
pouvoir sur le marché est de loin inférieur à celui des grandes
chaînes de supermarchés. Cela prouve que la puissance d'une ou deux
chaînes de supermarchés a crû au point qu'un fabricant ne pourrait
pas trouver un marché suffisant dans les chaînes de supermarchés
restantes. En conséquence, les fabricants craignent des
représailles si on se rendait compte qu'ils ont participé à
l'enquête.
Au cours de notre étude, j'ai constaté qu'il n'y avait pas suffisamment de concurrence sur le marché des produits d'épicerie. Plus important encore, l'étude montre que le Bureau de la concurrence doit absolument se servir des pouvoirs que lui confère la Loi sur la concurrence pour faire enquête sur certaines des pratiques anticoncurrentielles d'établissement des prix dans certains secteurs d'activité, notamment celui des produits d'épicerie. Le fait que les fournisseurs ne soient pas prêts à venir témoigner devant le bureau—parce qu'ils craignent, bien entendu, qu'il ne puisse pas les protéger—est très inquiétant.
Le bureau a le pouvoir d'obliger les grandes chaînes de supermarchés à lui remettre leurs dossiers sur diverses questions comme les coûts d'étalage et les remises hors facture. Il doit se servir de ses pouvoirs. Il doit aussi faire une enquête indépendante sans exposer les fabricants à des représailles, mais doit également les exhorter à faire une vérification de leurs dossiers pour établir si de grandes chaînes de supermarchés exigent des coûts d'étalage exorbitants comme pratique anticoncurrentielle grâce à leur position dominante.
Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que pour les consommateurs, de telles pratiques constituent très clairement une réduction de leur éventail de choix, une réduction de la capacité d'innovation des concurrents et, en fin de compte, à cause du contrôle des tablettes dans les commerces, cela donne aux grandes chaînes une position dominante leur permettant de dicter le prix final imposé aux consommateurs. Il est évident que dans un tel environnement défavorable, on a beau être efficient, on se retrouvera très vite en faillite.
Je pense que nous en avons vu un exemple dans le secteur de l'essence, quoique du point de vue de ceux qui exercent le contrôle. Le Canada est caractérisé par un certain nombre de grandes compagnies pétrolières qui fabriquent de l'essence, dont aucune ne se limite strictement à la vente au détail, mais qui sont toutes quasiment intégrées, c'est-à-dire depuis le puits de pétrole jusqu'à la pompe, et contrôlent le produit d'un bout à l'autre.
Je vais maintenant laisser la parole à M. Michael Kelen, qui vous donnera son point de vue en tant que représentant de l'Association des consommateurs du Canada et qui vous expliquera pourquoi il est contre les fusions de grandes chaînes de supermarchés.
Michael.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.
Monsieur Kelen.
M. Michael A. Kelen (témoignage à titre personnel): Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité.
Je suis honoré et heureux d'être ici pour aider Dan McTeague à vous parler des aspects juridiques de la Loi sur la concurrence. Comme il l'a dit, j'ai représenté l'Association des consommateurs du Canada en 1999 dans son intervention contre les projets de fusion de quatre des cinq grandes chaînes de supermarché du secteur de l'alimentation. Cette opposition est détaillée dans le livre vert que M. McTeague a présenté, au dernier onglet.
L'Association des consommateurs du Canada s'est prononcée contre la fusion de grandes chaînes d'alimentation parce qu'elle craint une domination de ces compagnies dans la vente de produits d'épicerie, ce qui entraînerait pour le consommateur une hausse des prix et une diminution du choix, et l'on craint aussi que les petits détaillants indépendants ne soient acculés à la faillite, ce qui a déjà commencé à se produire.
Par conséquent, les problèmes dont M. McTeague a traité et qui constituent le champ d'étude du comité, c'est-à-dire examiner les pratiques anticoncurrentielles aux termes de la Loi sur la concurrence, sont déjà présents dans les commerces d'alimentation, aux yeux de l'Association des consommateurs, et, comme Dan McTeague l'a dit, ces problèmes se sont déjà produits dans la vente de l'essence et d'autres secteurs où de grandes compagnies en sont venues à occuper une position dominante.
• 0925
Pour illustrer le problème de façon imagée, pour alléger
quelque peu le débat sur un sujet qui est assez difficile à
comprendre et assez lourd, dans ce document d'information de la
Chambre des communes, à la couverture verte, à l'onglet j) on
trouve un article du New York Times intitulé «Clinton dépouille les
consommateurs», daté du 11 octobre 1999, à Jacksonville, en
Floride, et rédigé par William Safire, qui est un chroniqueur
américain bien connu, et je pense que c'est aussi un républicain
notoire. Même en tenant compte de ce parti pris, il est intéressant
de le voir s'en prendre à ce qu'il appelle «les maniaques des
fusions».
Il dit dans cet article:
-
«Tu dois acheter ce nouveau service de câble, qui est beaucoup plus
rapide que ton vieux modem», m'a dit mon fils, qui est architecte
de l'information. Soucieux d'éviter de devenir un oracle embourbé,
je me suis empressé de téléphoner à ma compagnie locale de
câblodistribution et j'ai commandé ExpressNet. J'ai payé 150 $ pour
une nouvelle boîte noire, ainsi que des frais mensuels de 25 $.
Deux semaines plus tard, une voix désincarnée m'a téléphoné pour me
dire que le service de branchement Internet à haute vitesse venait
de fusionner avec un conglomérat du Texas, que le taux mensuel
venait de doubler et que si je n'étais pas d'accord, mon service
prendrait fin, et je serais pris avec un décodeur de 150 $ devenu
inutile.
Il nous décrit alors son indignation et ajoute au dernier paragraphe de la première colonne:
-
Worldcom, qui a acheté MCI l'année dernière, a ensuite avalé Sprint
au coût de 115 milliards de dollars. Les analystes nous assurent
que cela permettra au nouveau supergéant de faire concurrence à
AT&T, qui a lui-même mis le paquet (58 milliards de dollars) pour
acheter Mediaone, sous le regard souriant et approbateur des
serviles partisans de Clinton qui siègent à la Federal
Communications Commission. Pourquoi passons-nous de quatre géants
des télécommunications à deux?
L'auteur de l'article se demande en fin de compte si les maniaques des fusions favorisent vraiment la concurrence. En fait, il constate que ces fusions permettent à un plus petit nombre de compagnies de dominer le marché, et il y a non pas plus de concurrence, mais bien moins de concurrence, avec le résultat que les prix à la consommation augmentent. C'est un exemple d'activité anticoncurrentielle visant à la fixation des prix.
Un serveur Internet en achète un autre, et les frais mensuels de service doublent, passant de 25 $ à 50 $. Pourquoi? C'est bien sûr pour payer la fusion. Mais cela veut dire aussi qu'il n'y a plus la même concurrence qu'avant. Nous ne disons pas que l'on peut stopper les fusions, mais ce que nous disons—et c'est ce que vise le projet de loi C-402 de Dan McTeague—c'est que lorsque les compagnies en viennent à dominer le marché, comment pouvons-nous garantir qu'elles n'abuseront pas de leur position dominante?
Ce n'est rien de nouveau, parce que cela figure bien sûr déjà dans la loi, aux articles 78 et 79. Ce sont les articles qui traitent de l'abus d'une position dominante. Le Parlement a déjà légiféré en 1996 contre quiconque tenterait d'abuser de sa position dominante, mais si le Bureau de la concurrence a fait du mieux qu'il a pu dans les circonstances, il faut renforcer ces dispositions de la loi, comme le fait respectueusement remarquer Dan McTeague, et c'est ce que le projet de loi C-402 propose de faire. De plus, le Bureau de la concurrence a besoin de plus de ressources pour assurer le respect des dispositions civiles traitant de l'abus.
Le comité a adopté une motion en avril 1999 visant à effectuer la présente enquête sur les pratiques anticoncurrentielles tendant à la fixation des prix aux termes de la Loi sur la concurrence. Voilà donc l'objet de la présente enquête. C'est une enquête extrêmement importante, et le comité a un travail extrêmement important à faire, car c'est la concurrence qui garantit le libre marché. Pour que le libre marché fonctionne bien, il faut qu'il y ait concurrence. Pour avoir de la concurrence, il faut une législation pour protéger la concurrence.
• 0930
Quand le comité a examiné le projet de loi C-235 proposé par
Dan McTeague pour essayer de renforcer la loi contre
l'établissement de prix abusifs, c'était une tentative d'enrayer le
problème. Mais l'article 50 de la loi, qui traite de
l'établissement de prix abusifs, est une disposition criminelle et
elle est très difficile à faire appliquer. Il est très difficile de
prouver au-delà de tout doute raisonnable qu'une compagnie a
intentionnellement tenté d'acculer un concurrent à la faillite en
abaissant ses prix.
Depuis cette comparution en avril, j'ai été invité par l'Association du Barreau canadien à participer à un comité à sa conférence annuelle sur le droit de la concurrence, qui a eu lieu à Ottawa les 30 septembre et 1er octobre. Plus précisément, je faisais partie d'un comité chargé d'examiner les dispositions de la Loi sur la concurrence sur les pratiques criminelles en matière d'établissement des prix. Il y en a six. Je ne les passerai pas en revue, à moins que vous ne me le demandiez. Il est ressorti clairement des discussions du comité et de la conférence que les dispositions de la Loi sur la concurrence en matière de prix abusifs sont quasiment impossibles à faire respecter.
Donc, même si votre comité se penche sur les pratiques anticoncurrentielles en matière d'établissement de prix aux termes de la Loi sur la concurrence, je soutiens que bon nombre de dispositions, six en tout, entre les articles 45 et 60 de la loi, sont des dispositions criminelles et qu'il est quasiment impossible de les faire appliquer. Si l'on compte le nombre de poursuites et de condamnations obtenues aux termes de chaque disposition, dans presque tous les cas ce nombre se situe entre zéro et cinq.
Donc, le consensus qui est ressorti du Comité de la conférence de l'Association du Barreau canadien sur le droit de la concurrence qui s'est penché sur cette question était que ces dispositions devraient être transférées du côté civil de la loi. C'est là qu'on en arrive aux articles 78 et 79 de la loi. Ce sont des dispositions civiles. Elles permettent au commissaire à la concurrence d'examiner les activités anticoncurrentielles et de dire «S'il s'agit là d'une activité anticoncurrentielle causée par l'abus de la position dominante de certaines compagnies dans un secteur donné, nous pouvons en saisir le Tribunal de la concurrence, qui tiendra une audience sur la question et pourra éventuellement rendre une ordonnance en vue de faire cesser ces activités.»
Le premier article du nouveau projet de loi de M. McTeague, le projet de loi C-402, traite de ce que l'on appelle les coûts d'étalage. Si le public savait que pour mettre ses produits sur les tablettes d'un supermarché une compagnie doit payer, simplement pour avoir le privilège de vendre ses produits dans cette chaîne de supermarchés, des frais de 100 000 $, non pas par produit, mais par UGS... Dans le cas d'un produit qui se présente en dix formats différents ou dix saveurs, la compagnie doit verser un paiement initial d'un million de dollars pour le simple privilège de mettre ses produits sur les tablettes. Et cela n'a rien à voir avec le coût des changements informatiques à apporter ou le coût de la main-d'oeuvre pour mettre les produits sur les tablettes. C'est simplement que la chaîne de supermarchés sait qu'elle a droit de regard sur l'accès aux consommateurs. Elle contrôle le marché et elle peut exiger ce paiement.
Maintenant, vous direz peut-être que les grandes compagnies peuvent se le permettre. Eh bien, c'est étonnant, mais beaucoup de ces grandes compagnies ne vendent pas au Canada la moitié des produits qu'elles vendent aux États-Unis parce qu'elles ne peuvent pas se permettre de payer ces coûts.
Mais ce qui importe pour le consommateur et pour l'Association des consommateurs, c'est que ces coûts d'étalage se traduisent par des prix plus élevés pour les produits. Ainsi le pot de beurre d'arachide coûte plus cher. De plus, une petite compagnie qui fabrique du beurre d'arachide ne pourra jamais se permettre de payer 100 000 $ pour que ses produits soient présentés sur les tablettes du supermarché. En fin de compte, tous ces coûts frappent de plein fouet le concurrent indépendant, qui finit par fermer ses portes, et les grandes entreprises deviennent encore plus grandes.
Puisqu'on en est à examiner les pratiques anticoncurrentielles aux termes de la Loi sur la concurrence, nous faisons respectueusement remarquer que le comité pourrait prendre en considération l'idée qui est ressortie de la conférence de l'Association du Barreau canadien sur cette question, à savoir qu'il faut insister davantage sur l'aspect civil de la Loi sur la concurrence, renforcer cette partie de la loi et demander au Bureau de la concurrence s'il a besoin d'effectifs plus nombreux pour appliquer la loi. C'est ce que je crois...
M. Dan McTeague: Madame la présidente, sur ce point, je pense que vous voulons tous les deux dégager un consensus. Le professeur VanDuzer et Gilles Paquet comparu il y a un certain temps devant le comité et ont parlé de l'idée de faire passer au civil la plupart dispositions sur l'établissement des prix actuellement au criminel.
Je veux que le comité comprenne bien quelque chose, et j'insiste beaucoup sur ce point. Et ce n'est pas seulement moi qui le dis; c'est ce que dit l'un des grands défenseurs de la Loi sur la concurrence, Robert Nozick. Il fait remarquer que les dispositions civiles, telles que nous les comprenons ou telles que les avocats ou toute personne raisonnable peuvent les comprendre, ne font pas en fait partie de la Loi sur la concurrence. Il n'existe aucun recours civil qui peut faire l'objet d'une révision judiciaire.
Ces activités qui sont susceptibles de nuire à une compagnie n'en sont pas moins prohibées ou interdites aux termes de la loi. Pour obtenir une ordonnance, ce qui prend du temps, en supposant que le Bureau de la concurrence réussisse à convaincre le tribunal qu'il existe un problème aux termes de la procédure civile... l'ordonnance est ensuite rendue seulement contre la personne qui pratique des activités anticoncurrentielles—et cela relève des questions qui peuvent faire l'objet d'une révision judiciaire—contre la personne qui a dû prouver, littéralement en faisant faillite ou en étant éliminée du marché, que l'ordonnance rendue par le tribunal avec l'aide du bureau s'applique seulement à cette situation particulière. Il n'y a aucune application générale de la loi, il n'y a aucun effet d'injonction, et cela ne comporte aucun stigmate.
Comme je l'ai déjà dit, et comme nous le dit Nozick dans la version annotée de 1999—et je crois que cela figure également dans la version 2000—cette pratique qui peut faire l'objet d'une révision judiciaire, vers laquelle nous semblons nous diriger, est presque toujours nuisible pour la concurrence—je parle d'une pratique comme l'abus d'une position dominante—et l'avantage du fardeau de la preuve au civil ne l'emporte pas sur l'inconvénient de la non-interdiction.
Il est important pour nous de savoir qu'il s'agit vraiment de questions examinables au civil. Le comité a l'obligation de comprendre cette distinction. On ne peut pas décréter à la légère que l'on va passer du criminel au civil, que l'on ne peut rien prouver au criminel et que l'on va donc essayer de le faire au civil parce que cela semble plus facile.
Le plus important, ce que nous vivons dans une économie continentale. Nos partenaires américains, au sud de la frontière, presque depuis le début du siècle, ont eu la possibilité, dans le cas d'une personne qui ne pouvait obtenir justice, à cause du manque de ressources ou pour quelque autre raison, la possibilité, donc, de s'adresser à un tribunal local de juridiction compétente. Je suis donc en faveur du droit d'intenter des poursuites privées, ce qui, entre autres choses, permettrait à une personne de saisir de l'affaire tout tribunal capable de se prononcer en droit commercial. Les Américains le font. Pourquoi pas les Canadiens?
La présidente: Monsieur McTeague, je vais devoir vous demander, à vous et à M. Kelen, de terminer votre intervention afin que l'on puisse passer aux questions.
M. Dan McTeague: Je comprends, madame la présidente.
Je vais donc lui laisser encore quelques secondes là-dessus, parce que je pense qu'il est important de...
La présidente: Merci.
Monsieur Kelen, voulez-vous terminer rapidement, je vous prie?
M. Michael Kelen: Je pense que pour récapituler l'exposé de M. McTeague on peut dire que le Comité de l'industrie doit faire rapport, à l'issue de son enquête, qu'il y a un certain nombre de pratiques anticoncurrentielles en matière de fixation des prix qui doivent faire l'objet d'une enquête de la part du Bureau de la concurrence. Deuxièmement, les dispositions civiles de la Loi sur la concurrence doivent être renforcées. Et troisièmement, il faut donner au Bureau de la concurrence davantage de ressources pour mettre en application la Loi sur la concurrence.
L'une des premières choses que le Bureau de la concurrence doit faire, c'est d'utiliser cette enquête effectuée par M. McTeague comme base pour faire une enquête plus poussée aux termes de la Loi sur la concurrence afin d'examiner les trois pratiques anticoncurrentielles qui ont été identifiées et quantifiées dans ce sondage.
M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente.
M. Michael Kelen: Merci.
La présidente: Merci.
Nous allons maintenant passer aux questions.
[Français]
Monsieur Brien.
M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Je commencerai par féliciter M. McTeague du travail très exhaustif qu'il a fait et de toute l'énergie qu'il a déployée dans le cadre de l'étude de ce dossier. Nous savons tous que le travail d'un député est très exigeant, et c'est pourquoi je crois qu'il mérite qu'on souligne le fait qu'il a réussi à accomplir en plus tout ce travail. Bien que l'on puisse ne pas être totalement d'accord sur tous les points, il faut souligner ses efforts.
• 0940
Je vis dans une région où l'on retrouve de nombreux
producteurs agricoles. Ces producteurs ont de la
difficulté à faire en sorte que leurs produits
soient vendus dans les supermarchés parce
qu'on leur impose des frais d'entrée beaucoup trop élevés.
Cette pratique qui consiste à payer des sommes d'argent
pour que ses produits se retrouvent sur les rayons,
que vous avez décrite, existe bel et bien et elle
représente une barrière à la diffusion de nouveaux produits.
Les consommateurs protestent lorsque le prix de l'essence grimpe. Ils disent que cela n'a pas de bon sens et qu'on devrait réglementer le prix de ce produit. On ne retrouve toutefois pas cette même dynamique ou cette même pression dans le domaine de l'alimentation. Le consommateur ne semble pas estimer que les aliments coûtent trop cher. Il n'a pas la même réaction et il semble croire disposer d'un choix quand même considérable et satisfaisant. Comment expliquez-vous cela?
M. Dan McTeague: Ce phénomène de la hausse des prix n'a pas encore vraisemblablement touché tous les produits d'alimentation dans nos épiceries.
Lors du congé de l'Action de grâces, comme Mme la présidente pourrait en attester, le prix du dindon a augmenté d'environ 50c. le kilo, tandis que les éleveurs ont vu diminuer le prix qu'on leur versait. Lorsque se produit un tel écart de prix, il est question d'un équilibre auquel doivent en venir les producteurs et épiciers. Je ne crois pas que les consommateurs s'inquiètent de telles augmentations parce que les épiciers ne vont pas nécessairement tout de suite refiler cette hausse au consommateur, mais plutôt tirer profit de la situation en exerçant des pressions sur les producteurs.
[Traduction]
J'insiste sur ce point. Vous ne constaterez pas, parmi une centaine d'articles, d'énormes augmentations du jour au lendemain, automatiquement. Si cela devait arriver, je suis sûr que le Bureau de la concurrence conclurait que la fusion est un échec. Ce qui se passera, à notre avis, c'est qu'un certain nombre de fabricants n'arriveront plus à maintenir leurs produits sur les tablettes, ou bien, comme M. Kelen vient de le dire,
[Français]
ne sont pas en mesure de fournir tous les produits de choix qu'offrent par exemple les détaillants aux États-Unis.
Des chaînes d'alimentation comme Loblaws et Sobeys' ont leur propre marque de commerce et offrent toute une gamme de produits.
[Traduction]
À moins de se retrouver dans une situation où la compagnie devient un fabricant générique, ce sont des questions pour lesquelles les fabricants sont mieux équipés, et nous constatons qu'il y a très peu de résistance. Le prix à la consommation n'augmentera pas immédiatement. Par contre, un certain nombre de fabricants n'arrivent pas à garder leurs produits sur les tablettes, peu importe qu'ils soient efficients ou novateurs. C'est probablement l'une des conclusions les plus condamnables qui ressortent de cette enquête, étant donné le nombre de répondants.
J'espère que cela répond en partie à votre question.
Monsieur Kelen.
M. Michael Kelen: Oui, je voudrais aussi répondre à cela, parce que vous avez tout à fait raison: l'Association des consommateurs du Canada a déclaré que le Canada bénéficie actuellement de très bons prix dans le secteur de l'alimentation. Mais la crainte est que ces fusions, dans l'avenir, disons d'ici cinq ans, feront amoindrir la concurrence et que l'on se retrouvera avec deux compagnies qui contrôleront le marché, et ce sera dur pour le portefeuille. Le consommateur devra faire face à des prix plus élevés et à un choix réduit. De plus, les compagnies dominantes s'efforcent encore d'écarter les détaillants indépendants.
Certains signes peuvent faire penser que nous ne manquons pas d'épiciers indépendants, mais en réalité beaucoup d'entre eux ont été rachetés par les grandes chaînes. Par exemple, il y a la chaîne Your Independent Grocer, qui appartient à Loblaws. Ma soeur m'a dit que cela expliquait la raison pour laquelle on trouve des produits President's Choice dans les magasins Your Independent Grocer.
• 0945
C'est une situation très fluctuante, mais, comme nous le
savons tous, lorsqu'il n'y a que deux ou trois marchands d'essence
qui dominent le marché, il n'est pas surprenant que le prix de
l'essence change pratiquement à la seconde près en même temps dans
toutes les stations-service. Cela va bientôt être la même chose
dans les magasins d'alimentation. Les prix vont augmenter, et il
n'y aura pas de concurrence des prix, car il n'y aura pas de
concurrence entre les principales chaînes d'alimentation.
Donc, monsieur, vous avez raison. Il n'y a pas actuellement de problème au niveau des prix des produits alimentaires, à quelques exceptions près dont M. McTeague a parlé. Mais cela peut facilement devenir un problème dans un proche avenir, et c'est la raison pour laquelle l'Association des consommateurs est intervenue à propos de ces fusions.
[Français]
M. Pierre Brien: Ma prochaine question sera également un commentaire. Vous dites que certaines personnes n'auraient peut-être pas voulu répondre à ce questionnaire s'il leur avait été présenté par quelqu'un d'autre ou qu'elles avaient peur des représailles, mais je ne comprends pas que vous ayez réussi avec si peu de ressources à faire un travail comme celui-là, tandis que le Bureau de la concurrence est incapable d'identifier des problèmes futurs possibles dans le domaine de l'alimentation, par exemple. Il est peut-être compliqué de mener à terme des enquêtes lorsqu'il y a eu infraction et la pression sur les compagnies peut être énorme, mais comment se fait-il que le Bureau de la concurrence soit incapable de réussir à faire le travail que vous avez été capable de faire avec très peu de ressources?
M. Dan McTeague: C'est une très bonne question. Je dois souligner le fait qu'on a éprouvé le même problème aux États-Unis et que les avocats qui représentaient les manufacturiers ont eu autant de difficulté à soulever de telles questions dans le domaine public.
[Traduction]
La tradition veut que le premier à se plaindre au Bureau de la concurrence est pratiquement assuré de rester anonyme, alors que pour les suivants ce n'est pas du tout évident. Le risque pour quelqu'un qui vend son produit à une aussi grosse chaîne, c'est qu'ils finissent par découvrir, d'une manière ou d'une autre, le responsable de la plainte, donc de la fuite.
Je dirais que ceux qui ont répondu à mon questionnaire l'ont fait d'abord parce que je me suis fait une réputation sur le front de la concurrence. Je crois en avoir fait la démonstration avec l'essence. Il y a deux ans, les marges n'étaient que de 2 cents le litre, et aujourd'hui nous voyons des marges de 8 cents le litre au niveau du prix de détail, conséquence de la disparition progressive—c'est mon point de vue, bien entendu—des indépendants.
Ces gens ont l'impression que s'ils continuent à se taire, que s'ils ne disent pas quelque chose maintenant, ils seront très bientôt à la rue. Depuis que nous vivons, comme l'a expliqué M. Kelen, cette épidémie de fusions, surtout dans un secteur aussi important que l'alimentation, je crois que certains ont décidé qu'il fallait courir le risque. Je me suis juridiquement engagé à ne pas divulguer leurs noms. Je crois qu'ils prêtent aussi, peut-être, un peu plus foi au respect des privilèges des députés. Personne ne peut m'arracher ces renseignements—tout du moins c'est ce que j'espère.
M. Michael Kelen: Le Bureau de la concurrence a aussi dit que tout fabricant qui veut se plaindre peut venir le faire en privé. Mais le bureau refuse d'agir s'il refuse de rendre sa plainte publique; en effet, à quoi bon engager des procédures s'il n'y a pas de témoin?
M. McTeague a envoyé un questionnaire aux PDG de ces grandes compagnies, et ils ont pratiquement tous répondu. Je crois que ces renseignements démontrent que le problème est généralisé. La Loi sur la concurrence confère au Bureau de la concurrence des pouvoirs d'investigation. Il peut enquêter, et s'il envoyait des questionnaires à tous les fabricants de produits alimentaires, ou encore plus simplement, à tous les principaux détaillants de produits alimentaires, et leur demandait combien ils font payer pour les coûts d'étalage, les remises hors facture, et le montant des amendes qu'ils ont fait payer à leurs clients l'année dernière...
Si le Bureau de la concurrence pose ces questions à tout le monde, ces compagnies se sentiront incitées à répondre et n'auront pas peur de représailles. Elles sauront que tout le monde est dans le même bateau. Les principaux détaillants de produits alimentaires ne peuvent supprimer quelqu'un de leurs listes, ne peuvent empêcher tous les fabricants de leur fournir des produits, ou ils n'auraient plus rien à vendre aux clients. Je crois que c'est ce que le Bureau de la concurrence devrait faire.
La présidente: Merci, monsieur Brien.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.
J'aimerais commencer par quelques questions élémentaires. Je comprends que vous refusiez de citer le nom des grandes chaînes, des fabricants, des fournisseurs. Je comprends, mais ne pouvez-vous pas me donner une idée du nombre—un chiffre—de fabricants et de fournisseurs qui ont participé? Simplement un chiffre, pas les noms...?
M. Dan McTeague: Oui. Vingt-sept fabricants.
M. Walt Lastewka: Cela fait un bel échantillon.
M. Dan McTeague: Un vaste échantillon.
M. Walt Lastewka: Je m'intéresse surtout à l'alimentation. Je ne veux pas y mélanger l'essence. Je m'intéresse aux petites entreprises et à ce que vous avez noté principalement dans chacun des cas.
À propos des coûts, vous avez dit que le coût d'étalage augmente. C'est impitoyable pour la petite entreprise qui ne peut pas faire mettre son produit en rayon ou faire mettre en rayon un nouveau produit à cause de ce droit d'entrée. Est-ce que c'est le problème principal d'après vous pour les petites entreprises?
M. Dan McTeague: Oui.
M. Walt Lastewka: Pour les rabais hors facture, avez-vous fait des constatations analogues chez tous les petits fournisseurs?
M. Dan McTeague: Tous les fournisseurs auxquels nous avons parlé, qu'ils soient grands ou petits, ont dit être assujettis à des rabais hors facture.
M. Walt Lastewka: C'est la même chose pour les amendes...?
M. Dan McTeague: Oui.
M. Walt Lastewka: Peu importe que la compagnie soit grande, petite, moyenne...?
M. Dan McTeague: Tout le monde pareil pour ces trois points, monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: J'apprécie à sa valeur le travail que vous avez fait sur cette question, car j'ai également fait un peu de travail sur l'industrie du vin, sur la mise en rayon, etc. Je sais que la Régie des alcools de l'Ontario est une agence du gouvernement ontarien, mais est-ce que vous rangeriez la régie des alcools avec les autres? Je crois comprendre que c'est la régie elle-même qui fixe les prix et qui détermine la mise en rayon. Elle a augmenté le droit d'accès aux rayons et les quotas. En d'autres termes, si un petit producteur ne peut satisfaire un certain quota, il est automatiquement éliminé de la liste, si bien que pour lui toute croissance est impossible, puisque son produit n'est plus sur la liste. Est-ce que selon vous la Régie des alcools de l'Ontario fait comme tout le monde?
M. Dan McTeague: La situation est probablement encore plus grave que dans le cas des autres, monsieur Lastewka. Au départ, nous supposions que se retrouver avec seulement trois ou quatre acteurs dans le domaine de l'alimentation, propriétaires des magasins où finit par aller faire ses courses toute la population... S'il n'y a qu'un seul débouché pour un produit alimentaire ou pour un produit comme le vin, je crois que le potentiel d'aggravation de la situation est encore beaucoup plus grand, bien que nous n'ayons pas fait d'étude particulière de ce secteur.
M. Walt Lastewka: D'accord. Pour l'essentiel, dans l'industrie du vin, le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui deux gros producteurs qui ont pratiquement éliminé les plus petits. Tous les jours des petits producteurs disparaissent des rayons. C'est un abus de position dominante. Il n'y a qu'un seul détaillant.
M. Dan McTeague: Monsieur Lastewka, il y a environ un mois j'ai reçu un appel d'un ami qui depuis de nombreuses années fournissait l'un des grands fabricants. Il ne pouvait plus payer la prime de location pour l'espace. Il ne pouvait plus rivaliser avec un bien plus gros fournisseur qui était prêt à payer le transport, sachant très bien qu'en assumant ce coût important il bénéficierait pratiquement de droits exclusifs, en fait du droit d'exclure tout concurrent de ce rayon.
Le montant demandé était trois fois supérieur au montant traditionnel. En d'autres termes, le montant de ce droit est passé de 30 000 $ par an à 90 000 $ par an pour une UGS. Sa marge de profit pour ce produit était moins de la moitié de ce montant.
Le choix était simple. Soit il payait jusqu'à ce que la ligne de but soit repoussée plus loin et que de nouvelles idées créatives soient trouvées, soit il retirait simplement le produit. Conséquence de ce retrait: il n'est plus sur le marché.
J'ajouterais, monsieur Lastewka, que nous ne nous sommes pas uniquement intéressés aux produits d'épicerie.
Madame la présidente, vous vous rappelez peut-être que pendant l'été on a parlé d'une entreprise appelée Pendragon Prints, qui fournissait des cartes à diverses grandes chaînes qui vendaient des cartes de souhaits. Hallmark Cards et Carlton Cards ont pu acquérir, selon l'article, des droits exclusifs, au détriment de ces petits concurrents efficaces, tout simplement parce que ces derniers ne pouvaient pas payer ces fortes sommes. C'était une entreprise canadienne, soit dit en passant.
M. Walt Lastewka: Croyez-vous que la Loi sur la concurrence, telle qu'elle est rédigée, ne peut pas avoir d'effet sur ces trois secteurs?
M. Dan McTeague: La disposition sur l'abus de position dominante n'interdit pas précisément ce genre d'activité. C'est pourquoi le projet de loi C-402 a été rédigé de manière à tenir très précisément compte, et de façon très opportune, il me semble, de quelque chose qui se passe dans l'industrie en raison du fait que nous avons connu—et je ne veux pas débattre de cette question—d'inévitables fusions dans ce secteur.
Nous voulons nous assurer de ne pas décourager les gens d'affaires eu égard aux décisions qu'ils prennent de se rallier. Toutefois, une fois que la décision est prise, et qu'ils représentent un pan assez important d'une industrie très importante, nous voulons nous assurer que des concurrents efficaces et innovateurs ne sont pas écartés simplement parce qu'on exige d'eux des frais déraisonnables et tout à fait injustifiés qui n'ont rien à voir avec le stockage du produit.
M. Walt Lastewka: Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu, oui ou non.
M. Dan McTeague: Eh bien, pour l'instant, en ce qui concerne la loi, ce n'est pas spécifié, et je pense que c'est pourquoi nous avons essayé d'y voir. Je devrais vous dire, monsieur Lastewka, que nous avons essayé de travailler avec le bureau sur ce front également.
M. Walt Lastewka: Très bien. Je vous remercie beaucoup.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Merci, monsieur Lastewka.
Monsieur Jones.
M. Jim Jones (Markham, PC): Merci, madame la présidente.
Dan, j'essaie de comprendre où vous voulez en venir. À propos des deux plus grandes chaînes de supermarchés dont vous parlez, je sais qu'il y a quelques années leur marge bénéficiaire était de 2 ou 3 p. 100. Quelle est-elle maintenant? Savez-vous quelle est leur marge bénéficiaire?
M. Dan McTeague: Il me semble qu'elle est à peu près de cet ordre. Il faut toujours établir une distinction entre le rendement—mesure que certains semblent préférer; nous l'avons aussi entendu dire à propos de l'industrie pétrolière—sur l'investissement, par opposition au véritable déterminant du rendement des capitaux propres.
Tout dépend des capitaux investis. Il est bien certain que Loblaws occupe une position très prédominante. Ils en sont plutôt à 4 ou 5 p. 100, quoique ces chiffres peuvent changer. En tant qu'entreprise intégrée... Comme l'a dit M. Kelen un peu plus tôt, quand vous faites vos courses chez Fortinois, Your Independent Grocer, Zehrs ou No Frills, vous êtes en fait dans un magasin Loblaws, et la personne qui gère ce magasin, sous leur bannière, gère en fait une franchise pour cette grande entreprise.
Il faut aussi comprendre la dimension de vente en gros du secteur des épiceries. La vente en gros, naturellement, a une ampleur beaucoup plus grande. Les laiteries Neilson et les boulangeries Weston, par exemple, sont la propriété de Loblaws. On peut constater qu'il y a de nombreux secteurs où l'on exerce une position dominante ou un contrôle sur plusieurs produits très importants.
Mais pour répondre précisément à votre question, les marges bénéficiaires n'ont pas beaucoup changé. Je dirais que pour ce qui est de ces marges, pour ce qui est de la vente du produit, l'attention se porte non pas sur le produit comme tel, mais plutôt sur la question de savoir qui paie le transport pour que le produit parvienne sur les tablettes du magasin.
M. Jim Jones: Si je pose cette question, c'est que quand on examine les unités de gestion de stock et qu'on voit que le profit brut est de l'ordre de 3 à 5 p. 100, combien...? Les frais qu'on exige relativement aux unités de gestion de stock pour remplir les tablettes constitueraient un bénéfice net. Quelle part de vos profits cela représente-t-il?
M. Dan McTeague: L'unité de gestion de stock n'est pas un bénéfice net pour l'entreprise. Les rabais qu'on exige—coûts d'étalage, rabais hors facture, bas prix quotidiens, publicité collective, fonds additionnels, indemnités pour entrepôt, subvention auto, programmes spéciaux, et les oeuvres de charité et d'autres mesures de parrainage—sont des moyens par lesquels on peut faire la promotion d'un produit en se servant de vos fonds, ou d'autres moyens d'accroître la taille de l'entreprise.
Je tiens parfaitement compte de la capacité de Loblaws, par exemple, ou de Sobey's, de bâtir ces sociétés, de les rendre beaucoup plus grandes, plus attrayantes pour les clients. Très rares étaient les magasins Loblaws auxquels on aurait pu autrefois donner le nom de supermarchés ou un autre nom... Si on remonte 20 ans en arrière et qu'on se souvient des anciens magasins Loblaws, on se rappellera que beaucoup d'entre eux étaient assez sommaires. Avec le temps, on a rebâti ces magasins, et ils sont devenus en somme un intervenant principal en matière de distribution et de vente de produits d'épicerie.
La question de savoir combien d'argent ils gagnent, combien d'argent ils font sur chacun des produits, ne tient pas compte de ce qu'ils peuvent toucher d'un fabricant en raison d'une condition imposée à celui-ci pour qu'on installe ses produits sur les étagères.
M. Jim Jones: Je ne suis pas d'accord. Ce que vous dites, c'est que si je vous demande un million de dollars pour approvisionner mes tablettes avec un certain produit, je dois encore, quel que soit le produit, couvrir les dépenses liées à la vente de ce produit. Alors qu'est-ce que ce million de dollars a à faire avec la vente du produit? C'est comme si je vous soutirais cet argent pour vous autoriser à mettre vos produits sur mes tablettes.
M. Dan McTeague: Pour la promotion d'un produit, par exemple la déduction pour publicité collective, vous en tant que fabricant versez cette somme à l'entreprise. Très souvent cette publicité est plus qu'un montant forfaitaire. C'est une déduction commerciale additionnelle qui est censée servir à acheter de la publicité dans la circulaire du compte individuel. Je pense que c'est ce dont vous parlez. Les fonds qui en résultent—ils doivent être de 5 à 10 p. 100—sont censés être mis en commun pour acheter de la publicité.
Ce que nous avons constaté, toutefois—et je pense que le dossier va clairement le montrer—c'est qu'avec le temps ces fonds n'ont pratiquement aucun rendement, et le milieu l'accepte maintenant comme une pratique d'affaires et perçoit ces déductions même sans rendement. Ainsi donc, bien souvent la déduction est faite même si l'on n'obtient pas la publicité.
M. Jim Jones: D'accord. Est-ce que le rabais hors facture est une ristourne, ou est-ce qu'on vous l'accorde pour tout article que vous achetez?
M. Michael Kelen: Il y des ristournes, mais c'est autre chose. Ici il ne s'agit que de rabais hors facture; au moment où le fabricant présente sa facture, supposons de 100 000 $ pour 100 000 paquets d'un produit quelconque, le détaillant dit qu'il déduit 10 000 $ de la facture parce qu'il a dû faire de la place sur ses tablettes pour votre produit, ou qu'il voulait récupérer le coût d'encaissement des coupons. Cela se fait couramment.
Ils disent que votre produit est en fait mis en vedette par un de leurs concurrents qui offrent des coupons de rabais de 10 p. 100 par exemple par paquet, et ils doivent faire de même. Pour y arriver—ils ne veulent pas perdre le profit qu'ils attendent de votre produit—ils prélèvent ces 10 p. 100 de rabais par paquet sur le montant qu'ils avaient accepté de vous verser. Si cela ne vous plaît pas, vous n'êtes pas tenu de continuer à faire affaire avec eux.
M. Jim Jones: Prévoyez-vous que, s'il n'y a que deux fournisseurs, dans quelques années les prix pourraient augmenter et leur bénéfice net être de 10 p. 100 au lieu de 5 p. 100?
M. Michael Kelen: C'est ce que craint l'Association des consommateurs du Canada. En fait, vous verrez dans le livre vert un article sur la hausse prévue des prix des aliments.
En Angleterre, là où il y a eu encore plus de fusions, les prix du panier d'épicerie sont presque deux fois plus élevés qu'aux États-Unis. Vous verrez dans le cahier d'information un article rédigé par un Américain selon lequel les fusions d'épiceries qui commencent à se produire aux États-Unis vont entraîner le même genre de problème que l'on constate en Angleterre, où les prix sont deux fois plus élevés qu'aux États-Unis. L'Association des consommateurs reconnaît qu'au Canada les prix des produits alimentaires sont très bons pour l'instant, mais l'avenir l'inquiète.
M. Jim Jones: Pouvez-vous discerner des tendances qui indiqueraient une possibilité de concurrence à l'endroit de ces deux grandes entreprises?
M. Michael Kelen: Au contraire. La Fédération canadienne des épiciers indépendants vous a dit en avril qu'elle s'oppose au projet de loi C-235. Elle a dit, je crois que c'était au moment de sa comparution devant le comité, que 65 p. 100 de ses membres qui sont des épiciers indépendants exploitent en fait des franchises des grandes chaînes de supermarchés. Je pense donc que la tendance que vous mentionnez, monsieur Jones, indique que les grandes chaînes achètent les épiciers indépendants.
M. Dan McTeague: Madame la présidente, pourrais-je ajouter quelque chose à ce propos? Je pense comprendre ce à quoi vous faites référence, les magasins Price Clubs, les Costcos, ce genre d'entreprises.
C'est très intéressant, et je pense que les consommateurs commencent à saisir ce qui se passe. On paie des droits d'adhésion de 50 $, de 60 $, ou de 70 $. C'est ainsi qu'elles font des profits; elles n'en font pas du tout sur la vente du produit, parce qu'elles n'exigent pas de coûts d'étalage.
Si vous allez à un magasin Price Club ou Costco—un magasin-entrepôt en somme—et que vous y retournez un mois et demi plus tard, vous n'y trouverez probablement plus les produits que vous avez achetés à votre dernière visite. La raison en est qu'on en vend des quantités très limitées.
Une entreprise qui représente de 80 à 90 p. 100 du volume vendu par un fabricant, qui peut se permettre d'avoir un point de vente aussi imposant, pourrait très bien se rendre compte qu'on vend un produit et qu'on le vend à rabais. Cette grosse entreprise qui a un tel pouvoir de vente au détail peut venir voir le fabricant et lui dire: «Nous voulons le même avantage. Vous allez nous accorder le même prix. Nous ne voulons pas que les gens aillent acheter chez... peu importe de quel magasin-entrepôt il s'agit.»
La plupart du temps donc... c'est une inquiétude dont m'ont fait part à maintes reprises des gens que je connais à Ajax et dans d'autres endroits de votre circonscription aussi, et les gens disent: «J'ai acheté ce produit-là il y a deux mois, mais ils n'en ont plus», ou ils reviennent de faire les courses et ont acheté des seaux de savon à lessive pour finalement se rendre compte que de l'autre côté de la rue, chez Loblaws, le prix est identique.
• 1005
Nous ne savons donc pas précisément ce qu'il advient
physiquement des 10 000 articles à un moment ou l'autre, mais des
tendances très inquiétantes se dessinent. J'espère que cela vous
aide à saisir ce qui se passe.
Je ne pense pas que les magasins-entrepôts soient ou puissent devenir des concurrents réels sur le plan du nombre ou du volume comparativement aux grandes sociétés dominantes comme Loblaws ou Sobey's, qui sont en train de s'imposer.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Jones.
Monsieur Malhi, vous avez la parole.
M. Gurbax Singh Malhi (Bramalea—Gore—Malton—Springdale, Lib.): Merci, madame la présidente.
Comment se fait-il qu'au Canada on ne s'inquiète pas de voir deux grandes chaînes de supermarchés accaparer 80 p. 100 du marché de la vente au détail? De plus, est-ce qu'elles ne nuisent pas aux épiciers indépendants et aux fournisseurs?
M. Dan McTeague: C'est une excellente question, monsieur Malhi. Il est très difficile d'y répondre. Je vais essayer de le faire aussi brièvement que possible en m'appuyant sur ma simple compréhension de l'industrie.
Quand le Bureau de la concurrence a décidé d'autoriser au moins une fusion, il l'a fait parce qu'il estimait que le marché visé était constitué de petits concurrents, de petits indépendants, croyez-le ou non, de succursales de 7-Eleven et de je ne sais quoi d'autre. Le marché en cause n'est pas simplement celui de la grande chaîne qui concurrence l'autre grande chaîne. C'est ce qu'autorise actuellement la loi qui, à mon avis, doit être remis en question.
Mais plutôt que de tout casser, je pense que nous devons voir quel est le symptôme du problème, soit que le petit détaillant indépendant fait face à une chaîne beaucoup plus grosse et est habituellement incapable d'obtenir les mêmes avantages que ceux qu'on accorde à la grande chaîne, et pas simplement pour des raisons de volume. Très souvent, une grosse entreprise qui verse un million de dollars pour faire placer son produit sur les étagères d'une grande chaîne va essayer de recouvrer cette perte en disant aux petits épiciers que non seulement on ne va pas leur accorder le même avantage, mais aussi qu'on ne leur paiera pas un million de dollars. On leur dit qu'ils devront payer 6,99 $ pour le produit, alors qu'on le vend 4,99 $ à la grande chaîne. Le petit détaillant est donc désavantagé par le fabricant.
Ce que l'on sait aussi, c'est que les petits épiciers indépendants, à moins d'être très avisés, ne peuvent acheter en gros. Pourquoi? Parce que les fusions qu'on a approuvées et celles qu'on propose peuvent aussi réduire le nombre de grossistes disponibles. Il y a donc moins de grossistes qui vendent aux petits indépendants.
Le fait est que dans bien des cas nous avons constaté—et cela dépasse vraiment l'esprit du projet de loi C-402—que de petits épiciers indépendants se font maintenant dire: «Changez le nom sur votre enseigne, prenez nos produits, et nous vous dicterons les conditions que vous devrez respecter, ou n'essayez même pas d'acheter chez nous.» Que faire alors? Descendre en Californie pour y cueillir ses oranges? Je ne le pense pas.
L'épicier indépendant, qui devait être protégé dans les années 30 et 40, explique aussi en partie la perte de concurrence. Non seulement le petit fabricant est incapable de livrer concurrence en raison de ces droits qu'on exige de lui, mais le petit épicier indépendant qui ne peut obtenir des produits à un prix concurrentiel. Par conséquent, il quitte les affaires et laisse le champ libre au grand supermarché.
M. Gurbax Singh Malhi: Il y a quelques jours à peine, on disait dans les journaux que rien ne prouvait que les sociétés pétrolières s'entendaient pour fixer les prix. Qu'en pensez-vous?
M. Dan McTeague: À ce propos, si l'on parle de conspiration, article 45, je pense qu'il est très clair que quand on emploie des expressions comme «restreint indûment la concurrence» et que le fardeau de la preuve est si lourd que même si elle existait on ne pourrait pas la trouver, étant donné la façon dont la loi est actuellement rédigée... je pense qu'en l'occurrence le public est mécontent.
Par exemple, dans nos circonscriptions de la région de Toronto, madame la présidente, il y a deux ans l'Institut canadien des produits pétroliers s'est adressé aux médias pour leur dire: «Nous pouvons survivre et livrer concurrence moyennant des profits de deux cents le litre parce que nous vendons des quantités astronomiques de croustilles.» Nous savons qu'aujourd'hui à Toronto les profits des détaillants sont plutôt de 0,6 ou 0,7c. le litre. Naturellement, on prétend que des prix uniformes sont une bonne chose, un signe de saine concurrence. Je pense que c'est l'une des rares industries où la concurrence fait monter les prix.
• 1010
Je ne pense pas qu'en vertu de la loi en vigueur on puisse
donner la moindre satisfaction à la population. Aussi longtemps que
la fixation des prix ne sera pas illégale au Canada, étant donné la
façon dont la loi est rédigée, ces merveilleuses belles enquêtes
bien intentionnées ne donneront jamais rien d'autre que le maintien
du statu quo. C'est vraiment ce qui me préoccupe, monsieur Malhi.
Je sais qu'il y a des centaines de gens, notamment à l'Association
du Barreau canadien, qui défendront ce point de vue, mais vous et
moi nous représentons les simples citoyens, et non pas la haute
finance et les grosses sociétés.
Michael.
M. Michael Kelen: Merci.
Monsieur Malhi, l'article 45 de la Loi sur la concurrence dit que quiconque complote, se coalise ou conclut un accord ou un arrangement avec une autre personne pour réduire indûment la concurrence, en imposant par exemple les mêmes prix... C'est une disposition criminelle. Il y a eu quatre poursuites contestées en vertu de l'article 45 depuis 1980 et une seule condamnation. C'est un exemple des six dispositions criminelles de la Loi sur la concurrence qui portent sur la fixation des prix qu'il est pratiquement impossible de faire respecter.
Toutefois le projet de loi C-402 de M. McTeague traitera des problèmes qu'ont les stations-service indépendantes, parce qu'il contient une disposition que les détaillants verticalement intégrés appellent le coinçage. Quand deux, trois ou quatre grosses pétrolières coinceront des indépendants qui tâcheront d'instaurer une concurrence en matière de prix, ce coinçage sera considéré comme une activité contraire à l'esprit de la concurrence et pourra faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 78. Nous avons parlé d'épiceries, mais ce projet de loi va aussi traiter des problèmes qu'ont beaucoup d'autres secteurs. Cette disposition particulière sur le coinçage répond parfaitement aux besoins des petites stations d'essence indépendantes.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Malhi.
Monsieur Brien.
[Français]
M. Pierre Brien: Justement, lorsqu'on a demandé hier au ministre de l'Industrie pourquoi le gouvernement n'intervenait pas, il nous a répondu qu'il appartenait aux gouvernements provinciaux de régler tout problème au niveau de la vente au détail, point à la ligne. Qu'en pensez-vous?
M. Dan McTeague: Il y a deux façons de répondre à cette question. Mon rapport ne porte que sur des mesures qui relèvent du gouvernement fédéral. Comme vous le savez, les gouvernements provinciaux adoptent des positions très fortes dans des dossiers tels que celui que vous avez soulevé, et la Régie de l'énergie du Québec a fixé un prix plancher pour protéger les détaillants indépendants.
À mon avis, deux ou trois problèmes se posent en même temps. Le premier problème est la compression du nombre de joueurs au niveau du brut, c'est-à-dire au niveau des fabricants. Cette situation a été aggravée dans certaines régions du Canada par un déclin du nombre de joueurs au niveau des détaillants. Nos marchés sont bien plus serrés et favorisent une ère d'oligopole dans le cadre duquel trois ou quatre joueurs d'une certaine région ne se font pas la concurrence. Il y a plusieurs raisons à cela. Nous avons évidemment entendu les explications que nous a fournies l'industrie, qui invoque le prix de l'essence au baril sur la scène internationale. Des taxes comme la TPS doivent être ajoutées chaque fois qu'il y a une augmentation des prix réels.
Ensuite, il y a la question des marges. Je pourrais reprendre l'exemple que je donnais à M. Malhi tout à l'heure. On parle de 2c. ou 3c. le litre au niveau du détaillant, mais quand il y a un contrôle de 80 ou 90 p. 100 du produit et que 90 p. 100 du marché au détail est détenu par trois ou quatre personnes, il est entendu qu'il existe véritablement une pointe de la tarte et qu'on fait une comparaison avec ce qui est arrivé il y a 10 ans.
Il y a dix ans, Texaco a été acquise par Esso, pour une raison quelconque. Petro-Canada a avalé BP, Fina et différents autres producteurs. Cela s'explique en partie par une politique gouvernementale et par une fausse doctrine qu'on appliquait dans notre conception de l'industrie, mais tous les pays du monde nationalisaient leurs industries à cette époque. Cela se faisait d'autant plus rapidement que très rares étaient les producteurs qui ne fournissaient pas aussi de l'essence.
Il faut comparer cela à la situation aux États-Unis, et c'est pourquoi nous en sommes arrivés à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Les Canadiens paient l'essence à un prix exprimé en dollars américains qui est traduit en prix au comptant presque le jour même de l'affichage.
Je note que le prix du gros occasionnel hier ou ce matin à Toronto était de 61,34c. le litre, mais que le prix à la pompe était de 67,9c. le litre. Ce prix inclut les taxes et tout le reste. Les détaillants de Toronto touchent maintenant 0,7 ou 0,8c. le litre. Cela aurait été formidable il y a cinq ans, ou même il y a deux ans. Ces marges ne seraient jamais jugées acceptables, mais j'ai l'impression que les prix actuels sont le résultat du pouvoir exagéré qu'ont les grosses sociétés d'exiger un prix bien supérieur des détaillants et des raffineries, comparativement aux entités plus vigoureuses au sud de la frontière, où il y a beaucoup plus de concurrence et où de nombreuses raffineries ne vendent même pas d'essence pour la vente au détail. Je pense que cela explique en partie le problème.
Monsieur Brien, nous sommes à Ottawa aujourd'hui, et le prix de l'essence est de 0,2c. le litre inférieur à ce qu'il est à Toronto parce qu'on a accès à des stations indépendantes. Il y a beaucoup de stations indépendantes ici. Il y en a beaucoup plus qu'à Toronto, et elles vendent beaucoup plus certainement en volume dans la région d'Ottawa. C'est peut-être aussi le même phénomène qui est en train de se reproduire chez vous.
La présidente: Merci, monsieur Brien.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Merci. J'ai une brève question.
Vous avez suscité ma curiosité au sujet des dépanneurs 7-Eleven. Dans ma région, les dépanneurs 7-Eleven Avondale sont au nombre de 114, répartis dans toute la région de Hamilton-Niagara. Vous avez parlé de fabricants et de fournisseurs qui imposent des prix très élevés pour récupérer les pertes qu'ils enregistrent en faisant affaire avec les grandes chaînes de supermarchés. Je pense que c'est ce que vous disiez.
Avez-vous fait des comparaisons et recueilli de l'information au sujet des 7-Eleven? Il existe de nombreuses entreprises de ce genre réparties dans tout le pays qui comptent plus d'un ou deux magasins, peut-être des centaines de magasins.
M. Dan McTeague: Je me suis entretenu avec différents représentants de petites chaînes dans tout le sud-ouest de l'Ontario. Ce sont de véritables indépendants qui, par l'intermédiaire de petits distributeurs de produits d'épicerie, constatent qu'ils ne peuvent jouir du même pouvoir d'achat que les grandes chaînes. La plupart du temps, ils se trouvent dans une situation tout à fait intenable. Par exemple, il y a une situation tout à fait particulière à Marathon, en Ontario. Un épicier indépendant dans la petite localité de Marathon a découvert qu'il ne pouvait pas vendre des produits comme des bananes: les bananes étaient déjà toutes vendues là, par exemple... et je pense que vous verrez à l'onglet...
Pour répondre brièvement, monsieur Lastewka, vous pouvez consulter l'onglet h) et l'onglet l). C'est une très bonne illustration de ce qui se passe. On y parle d'un épicier de Marathon qui se sent coincé par Loblaws.
L'épicier est coincé non parce que Loblaws lui dit qu'il est un petit détaillant et qu'il achète de son grossiste. Les produits qu'il achète au prix du gros lui coûtent deux fois plus cher que les prix demandés par le concurrent de l'autre côté de la rue pour divers produits essentiels.
Je pense que l'article se passe d'explications. Pour ce qui est des petites épiceries du coin et des dépanneurs, il va sans dire que c'est ce qui leur arrive. C'est du dépannage. Vous payez cher parfois, mais ils constatent de plus en plus qu'ils ne peuvent plus offrir des produits à des prix aussi alléchants que les épiceries.
M. Walt Lastewka: Monsieur Kelen, vous avez dit que les consommateurs s'inquiétaient des prix qu'on allait exiger d'eux à l'avenir. Vous avez dit qu'on pouvait acheter la nourriture à bon prix, quoique les prix varient grandement d'une région à l'autre. Je sais que quand on compare la région d'Hamilton-Niagara à celle d'Ottawa, on constate que la nourriture coûte beaucoup plus cher à Ottawa. Avez-vous des données sur...? Dans certaines régions on le fait de façon courante, et je sais que les médias de notre région le font aussi. Ils prennent un panier d'épicerie et font des comparaisons de temps à autre pour voir comment les prix évoluent.
M. Michael Kelen: Dans le cadre de mon travail l'année dernière pour l'Association des consommateurs, cette question n'a jamais été soulevée, et je n'ai pas pris connaissance de ces renseignements. Toutefois, nous avons dit que les prix de la nourriture au Royaume-Uni—et il y a des articles qui en traitent dans le livre vert présenté par M. McTeague—sont deux fois supérieurs à ce qu'ils sont en Europe, et même à ce qu'ils sont aux États-Unis ou au Canada. La commission de la concurrence au Royaume-Uni mène une enquête sur la vente au détail des produits d'épicerie pour essayer de voir pourquoi les prix des aliments y sont deux fois plus élevés qu'ailleurs. Or il se trouve que la concentration est extrêmement élevée au Royaume-Uni. Il n'y a pas vraiment de concurrence. Je pense que c'est à cette conclusion qu'en arrivera la commission de la concurrence. Je rappelle qu'il en est question dans le livre vert.
M. Walt Lastewka: D'accord, merci.
La présidente: Monsieur Jones.
M. Jim Jones: Dan, j'ai du respect et de l'admiration pour l'intérêt et la ténacité dont vous faites preuve dans ce dossier, mais ce que vous êtes en train de faire a d'importantes ramifications. L'industrie de la vente au détail évolue rapidement. Par exemple, quand Home Depot est arrivé, il a bouleversé le marché des petite entreprises qui avaient toujours servi ce secteur. Obtenons-nous de meilleurs prix chez Home Depot? Je pense que oui quand on les compare à ce qu'on payait auparavant. Chapters est arrivé et a bouleversé le marché des petites librairies. Maintenant Amazon.com et ce genre de sociétés bouleversent le marché des grosses boîtes sur Internet.
À une époque, quand Computer City vendait des ordinateurs personnels, ils les vendaient presque de porte à porte. Puis ils en ont vendu dans des magasins. C'est ainsi qu'un grand nombre de fabricants d'ordinateurs... Avec les ordinateurs Dell, tous leurs modèles sont offerts sur Internet. Je pense donc qu'il y aura toujours des changements. Peut-être que cela vaut aussi pour la vente au détail ou les épiceries, mais quand on change les lois, on change les lois ou les règles pour tous.
Je pense qu'on verra d'énormes changements dans la façon dont les entreprises fonctionnent, surtout pour la vente au détail. Je pense même qu'il y aura probablement... Si Loblaws et... Quelle est l'autre grosse chaîne de supermarchés?
M. Dan McTeague: On laisse entendre que Oshawa Group sera acheté par Sobey's. Sobey's, bien entendu, fait partie de Empire Foods, de Stellarton, en Nouvelle-Écosse. Puis il y a Dominion, évidemment, et il y en a aussi d'autres dans l'Ouest.
M. Jim Jones: Mais je crois aussi que si l'on commence à dépouiller les consommateurs, les grandes chaînes des supermarchés américaines vont commencer à s'implanter au Canada. S'ils constatent qu'il y a de gros profits à empocher, ils vont s'assurer d'avoir leur juste part du gâteau.
M. Dan McTeague: Je pense que vous y croyez trop, monsieur Jones, parce que pour quelqu'un offre des coûts irrécupérables... Si vous occupez une telle position ou avez une telle avance, un avantage, il est très difficile pour quelqu'un de détrôner l'acteur principal. Si en fait ils sont de taille égale, l'acteur principal peut, pour le déjouer, laisser simplement tomber les prix au point que cela n'est plus rentable, et le nouveau venu ne pourra jamais éponger ses coûts irrécupérables. C'est un point très important non pas simplement en matière d'économie, m ais aussi sur le plan pratique. C'est une des raisons pour lesquelles dans le cas de l'essence, par exemple, il n'y a pas eu de nouveaux venus, à l'exception d'ARCO sur la côte Est.
Je répète que ce ne sont pas les économies d'échelle ou la possibilité qu'un immense Home Hardware absorbe Home Depot qui m'inquiète. Le problème plus grave, c'est qu'ayant pris ces proportions gigantesques, cette nouvelle chaîne acquière le pouvoir d'imposer des droits à ses fournisseurs, pouvoir qu'elle n'avait pas auparavant. Ces droits ne sont absolument pas liés à la promotion des produits. Il n'ont rien à voir avec l'espace occupée.
• 1025
Laisser faire le marché et croire que quelqu'un ou quelque
chose finira toujours par voler au secours des consommateurs me
semblent illusoire. Le consommateur ne voit pas les effets nocifs
à court terme sur la concurrence qui finissent par nuire à la
notion même de concurrence, par faire disparaître les concurrents
ou les éliminer du marché. Ce sont les consommateurs qui finissent
par en payer le prix car il n'y a plus de produits à comparer. Je
crois qu'il est de la plus haute importance d'intervenir comme les
Américains l'ont fait, avant qu'il ne soit trop tard.
Si vous lisez les livres que je vous ai fournis, vous constaterez que le Congrès américain tout comme les Parlements australien et britannique s'inquiètent de ce phénomène. De toute évidence, c'est un phénomène international. Cependant, le Congrès s'inquiète et veut intervenir parce quÂaujourdÂhui cinq chaînes de magasins d'alimentation contrôlent 30 p. 100 du marché. Permettez-moi de vous dire que dans l'Est canadien, dans votre province et dans la mienne, trois chaînes contrôlent plus de 85 p. 100 du marché de l'alimentation.
Les Américains ne nous apprennent rien, cela fait longtemps que vous et moi parlons de ce problème. La situation est beaucoup plus grave et le problème beaucoup plus prononcé au Canada.
Monsieur Jones, je crois que M. Kelen aimerait également ajouter quelque chose. C'est une excellente question.
M. Michael Kelen: Oui, monsieur Jones, c'est une excellente question. Le projet de loi C-402 et les préoccupations de Dan ne concernent pas uniquement l'alimentation ou l'essence. Il y a aussi le problème des grosses compagnies qui ne devraient pas pouvoir abuser de leur position dominante lorsqu'elles deviennent dominantes. Il ne s'agit pas d'empêcher les compagnies de grossir. Pas du tout. Simplement, qu'elles n'en abusent pas.
La Loi sur la concurrence contient déjà un article sanctionnant les abus de position dominante. Par ses travaux, M. McTeague montre la nécessité de renforcer cet article et d'accorder des ressources supplémentaire au Bureau de la concurrence. Il s'agit de Home Hardware, il s'agit de Chapters. Nous connaissons tous les conséquences pour les petites librairies indépendantes de l'arrivée de Chapters. C'est le même problème.
Il ne s'agit pas simplement d'alimentation ni simplement d'essence. Il s'agit de grosses boîtes qui deviennent dominantes et qui abusent de leur position dominante. Nous ne sommes pas contre les fusions, nous sommes contre les abus de position dominante. Comme le Parlement l'a déjà reconnu, c'est un problème qui doit être réglé. Nous disons que la Loi sur la concurrence est faible et doit être renforcée. Le Bureau de la concurrence a besoin de ressources supplémentaires et d'orientation ferme.
La présidente: Merci.
Il y a un vote dans 25 minutes et j'ai encore sur ma liste Mme Jennings et M. Pickard. Je leur demanderai donc d'être brefs.
Madame Jennings, je vous en prie.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie infiniment de vos exposés. J'aimerais vous remercier, Dan, de cet excellent document d'information. C'est probablement un des meilleurs documents d'information que j'ai vus depuis mon élection en 1997. Il est certainement de qualité égale à tout ce que j'ai vu publier par les agences gouvernementales, etc.
Je passe directement au problème. Pour commencer, le sondage confidentiel auquel vous avez procédé est très intéressant. À la page 4 de votre exposé vous dites que le Bureau de la concurrence devrait faire enquête. Je n'ai pas eu l'occasion de revoir les diverses dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l'autorité et aux pouvoirs du Bureau de la concurrence. Pourriez-vous me rafraîchir la mémoire? Sous sa forme actuelle, la loi confère-t-elle au Bureau de la concurrence le pouvoir d'enquêter de sa propre initiative?
M. Dan McTeague: À première vue, oui, mais...
Mme Marlene Jennings: Le Bureau de la concurrence a donc le pouvoir, de sa propre initiative, de faire enquête sur une ou sur les trois pratiques de prix anticoncurrentiels que vous dénoncez?
M. Dan McTeague: Pas exactement. Il s'agit simplement de propositions d'interdiction. Ce sont des problèmes au sein de l'industrie. Ils ne sont pas spécifiquement identifiés à l'article 78.
Mme Marlene Jennings: Non, je comprends.
M. Michael Kelen: La partie 1 intitulée «Enquête et recherche» de la Loi sur la concurrence donne au directeur du Bureau de la concurrence, maintenant le commissaire, le pouvoir d'ordonner une enquête lorsqu'il le considère nécessaire pour établir les faits. Il a aussi un pouvoir de saisie de documents.
Mme Marlene Jennings: Le Bureau de la concurrence a-t-il jamais expliqué la raison pour laquelle il n'a jusqu'à maintenant pas mené d'enquête sur le genre de pratiques de prix anticoncurrentiels décrites dans votre document?
M. Dan McTeague: Ceux qui ont accepté de me parler m'ont dit croire que le Bureau n'avait pas les ressources suffisantes ou la force législative suffisante pour faire respecter la loi anticoncurrence s'il s'avère qu'elle est bafouée. Encore une fois, ceci explique en partie la raison pour laquelle presque personne ne se plaint au Bureau.
Également, ils ont tous fait remarquer que ce n'était pas un phénomène uniquement canadien. Aux États-Unis, on voit la même aversion lorsque leur bureau de la concurrence veut entendre des témoins. En septembre, ceux qui sont venus témoigner l'ont fait derrière des écrans avec leur voix déformée numériquement.
Mme Marlene Jennings: Je l'ai lu.
Une voix: Et une cagoule sur la tête.
M. Dan McTeague: Oui, et avec une cagoule sur la tête. On aurait dit une scène de...
Mme Marlene Jennings: Je m'excuse de vous interrompre mais il y a une ou deux questions très précises que je voudrais vous poser.
La loi actuelle donne au Bureau de la concurrence le pouvoir, de sa propre initiative, de mener enquête ou de faire des recherches sur toute question liée à des pratiques de prix anticoncurrentiels. Ce pouvoir permet au Bureau de saisir des documents qu'il s'agisse d'une enquête ou d'une recherche. Bon, c'est une chose.
Actuellement, ce pouvoir lui permet-il d'offrir une protection aux victimes présumées de ces pratiques pendant que l'enquête ou la recherche est en cours?
M. Dan McTeague: Peut-il offrir une protection? Je crois que oui.
Mme Marlene Jennings: Je veux dire offrir l'anonymat.
Par exemple, il y a d'autres lois, d'autres tribunaux et d'autres commissions qui ont des pouvoirs d'enquête et leurs lois habilitantes contiennent des dispositions qui leur permettent de protéger certaines informations qui, si elles n'étaient protégées, risqueraient de mettre en danger l'intégrité de leur recherche ou de leurs enquêtes.
J'essaie simplement de comprendre pourquoi, mis à part ces problèmes de ressources humaines ou de ressources financières, le Bureau de la concurrence n'a pas pour le moins fait de recherche sur cette question pour accumuler des renseignements concrets. Pourquoi n'a-t-il pas saisi les factures de Loblaws, Sobey's ou qui sais-je. Pourquoi ne pas avoir saisi ces factures, convoqué les fabricants et établi quel est le coût réel? Est-ce qu'il y a une différence? Est-ce que c'est systématique? Est-ce qu'il y a des explications?
M. Michael Kelen: L'article 10 dit: «Toutes les enquêtes en vertu de cet article doivent être menées en privé».
Mme Marlene Jennings: Merci.
Donc la question n'est pas de savoir si les preuves ou les faits établis pendant une telle enquête hypothétique seraient suffisants pour entamer des poursuites criminelles. Si, par exemple, le fardeau de la preuve au niveau des poursuites criminelles est trop élevé, même si les faits sont établis pour une raison ou pour une autre, cela permet quand même d'accumuler des munitions. Les conclusions d'une telle enquête, je suppose, pourraient quand même fournir des munitions pour appuyer le genre d'amendements que vous proposez.
M. Dan McTeague: Au civil, madame Jennings. Nous souhaitons une procédure civile.
Mme Marlene Jennings: Oui. Je comprends la différence.
M. Dan McTeague: Je crois que c'est un détail très important pour le bureau et finalement pour les membres de ce comité qui nous l'espérons proposeront des recommandations.
La majorité des intéressés croient que le coût d'une plainte, puisque c'est à eux de faire la preuve de ces pratiques qui les ont éliminés du marché, finira de les ruiner de toute façon. Si la plainte est au civil, ils croient que si dans le cadre de l'enquête suffisamment de faits anticoncurrentiels sont accumulés sur l'accusé, que la preuve finira par être établie. Quel que soit le résultat, les représailles seront si sévères qu'ils seront éliminés du marché. S'ils se plaignent ils sont éliminés du marché, mais pas forcément s'ils ne se plaignent pas.
Mme Marlene Jennings: Merci.
La présidente: Monsieur Pickard, s'il vous plaît.
M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Merci, madame la présidente.
Dan, je tiens également à vous féliciter de la minutie de votre travail. Il est indubitable que vous avez consacré énormément de temps et d'énergie à ce dossier.
Il y a un petit point qui me trouble. Je sais que ce problème de droits de mise en rayon, d'élimination des petits détaillants, existe depuis longtemps au Canada. Cela ne fait aucune doute. Il y a déjà 12 ans des petits fabricants de la région se plaignaient de ne pas avoir accès aux rayons. Ils étaient éliminés par des compagnies comme Kraft et d'autres qui disaient: «Si vous mettez votre produit sur ce rayon, nous avons déjà 50 produits dans ce magasin et le vôtre nous gêne». Ils ont fini par être éliminés par ces compagnies. Les exemples ne manquent pas et je pourrais vous en donner. Je peux aussi vous donner des exemples de petits détaillants appartenant à ces mêmes chaînes qui ont eux aussi fini par se faire éliminer de la même manière—et cela remonte à longtemps, au moins à 12 ans, si ce n'est plus.
• 1035
J'ai vu certains de ces groupes quitter l'Ontario pour essayer
de recommencer dans d'autres provinces. C'est ce qui arrive dans le
secteur de la tomate, des pâtes, et dans d'autres dont j'ai eu
l'expérience directe. Cependant, bien que cette pratique perdure
depuis longtemps, et je crois que beaucoup d'entre nous le savent,
nous continuons à voir au Canada des prix très bas pour nos
produits alimentaires comparativement à bien d'autres pays dans le
monde.
Est-ce que c'est un problème en évolution qui deviendra plus aigu dans 10 ans ou y a-t-il une autre raison pour laquelle le prix de détail pour les consommateurs est resté aussi bas? Pourquoi les pratiques qui nous inquiètent—et elles devraient nous inquiéter, ne vous méprenez pas sur ce que je dis—n'ont-elles pas fait grimper les prix?
Deuxièmement, vous parlez du nombre de gros détaillants dans le secteur des chaînes de magasins d'alimentation. Comme nous le savons tous, il y en a actuellement un nombre très limité au Canada, parce qu'elles ont pris l'habitude d'absorber presque tous les petits sur le marché. Pourtant, il n'y a pas eu d'augmentation. On aurait pu le constater pour certains produits. Dan a parlé des dindes. Pendant longtemps la dinde a été un article d'appel au Canada, comme le lait, le pain et d'autres denrées.
La présidente: Monsieur Pickard, je m'excuse, mais nous allons devoir...
M. Jerry Pickard: Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'augmentation des prix au Canada?
M. Dan McTeague: Jerry, très brièvement, le facteur déterminant d'une loi sur la concurrence n'est pas forcément ou toujours une augmentation des prix. Une loi sur la concurrence peut simplement viser des pratiques anticoncurrentielles qu'elles aient ou non une incidence sur les consommateurs. Nous croyons que c'est ce qui finit par arriver. Nous savons que c'est ce qui finit par arriver.
Je crois que si les prix restent bas c'est parce que les fabricants et les agriculteurs paient le transport. Il y a beaucoup de denrées dont les prix ont chuté. Ce n'est pas simplement au niveau du consommateur; il y a tout ce qui vient avant, toute la chaîne à partir de l'exploitation agricole.
Je n'aurais pas pu faire plus bref, madame la présidente.
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur McTeague, et monsieur Kelen, nous vous remercions infiniment de votre témoignage.
J'ai une toute petite question. Vous avez beaucoup parlé des lois sur la concurrence aux États-Unis et de ce qui fait la différence avec celles du Canada. Vous avez aussi brièvement parlé de leur application. Ne pensez-vous pas que beaucoup de petites entreprises aux États-Unis subissent le même comportement anticoncurrentiel que leurs homologues canadiennes malgré ces lois américaines?
M. Dan McTeague: Oui, c'est la même chose. C'est pour ça que nous disons que c'est un phénomène international. Les gouvernements commencent seulement à s'en apercevoir.
J'ai été vraiment surpris d'apprendre que j'étais le seul député à m'intéresser à cette question. Cependant, la véhémence avec laquelle le projet de loi C-235 a été attaqué, non pas tant par l'industrie pétrolière mais par l'industrie de l'alimentation à la veille de la plus grosse fusion, était très révélatrice.
Je crois que notre bureau en est conscient. Je crois qu'un certain nombre de recommandations en résultera. Je crois également, cependant, que dans un environnement où la majorité des autres pays jouissent d'un plus haut degré de concurrence au niveau de la vente au détail, le fait que cela soit si intense aujourd'hui au Canada devrait permettre de faire progresser le dossier un peu plus vite que dans la majorité des autres pays, étant donné la nature et la répartition géographique de l'alimentation de détail au Canada.
La présidente: Merci.
Merci beaucoup encore une fois, monsieur McTeague et monsieur Kelen, je vous remercie infiniment au nom du comité de nous avoir fait cet exposé très détaillé et d'être venus comparaître aujourd'hui. Notre comité va devoir réfléchir aux suites à y donner.
• 1040
Nous avions convenu d'entendre le Pr VanDuzer et vous, et
c'est maintenant notre comité directeur qui va décider de la suite
des opérations.
Merci beaucoup.
La séance est levée. Je vous rappelle qu'on nous attend pour voter.