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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureux de pouvoir répondre aux questions de vos collègues, en français ou en anglais. Je ferai une brève présentation en français seulement. Une copie de mon mémoire est disponible et je crois qu'il sera traduit éventuellement. Cependant, je vais en faire un simple résumé, ce matin.
Je m'occupe de ce dossier depuis mai 2001. J'ai donc vu passer un certain nombre de ministres, de sous-ministres, d'ambassadeurs des deux pays, de négociateurs, d'employés du Bureau du représentant américain au Commerce et j'ai fait partie d'une équipe formée de fonctionnaires du gouvernement du Québec, du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation et du ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
L'entente du 27 avril est intervenue après des centaines — littéralement — de réunions, d'échanges et de conférences entre les gouvernements du Canada et des États-Unis, des provinces, de même qu'entre les gouvernements provinciaux et leur industrie, ainsi qu'entre le gouvernement fédéral et les provinces. On parle donc de centaines d'échanges en cinq ans. Tout cela a finalement mené à l'entente de principe du 27 avril, grâce à l'impulsion et au leadership de l'ambassadeur Wilson et d'une équipe exceptionnelle de gens du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à Ottawa.
Je crois qu'après cinq ans et demi d'incertitudes, il est important pour l'industrie d'en arriver à une résolution du conflit. Au Québec, l'industrie du bois d'oeuvre génère 18 800 emplois, compte 277 usines et constitue le coeur de plus de 200 communautés mono-industrielles. Cette industrie constitue un apport d'un milliard et demi de dollars par année à l'économie du Québec. Le Québec exporte un peu moins de 20 p. 100 de la production canadienne, ce qui la situe au deuxième rang des provinces exportatrices, derrière la Colombie-Britannique. Entre les États-Unis et le Canada existe un contentieux qui remonte à très longtemps, c'est-à-dire au XIXe siècle.
En ce qui a trait à ce dossier, il y a eu quatre litiges importants entre les États-Unis et le Canada depuis 25 ans, dans un contexte de très grande complexité. Il faut comprendre que la forêt canadienne est propriété de l'État à 80 p. 100, alors qu'aux États-Unis, elle est privée à 80 p. 100. Le rôle de l'État et les interventions de l'État diffèrent donc beaucoup d'un pays à l'autre, ce qui cause souvent de l'ambiguïté, de l'incompréhension ou fournit d'excellentes excuses à l'industrie américaine pour intenter des poursuites. C'est ce qui s'est passé en 2001 quand l'industrie canadienne a décidé de ne pas renouveler l'entente de 1996.
Je vous rappelle que le bois d'oeuvre n'a jamais fait l'objet d'un véritable libre-échange entre les deux pays.
Nous avons devant nous un règlement hors cour, qui n'est basé ni sur des théories économiques ni sur les raisons qui ont mené aux poursuites initiales. Il s'agit d'un règlement qui, comme tous les règlements de nature économique, est basé sur les externalités qui affectent les entreprises. Cela dépend peut-être de leur niveau d'endettement, de la façon dont elles voient l'avenir à plus ou moins long terme ou dans quelle mesure elles peuvent vivre avec un niveau d'incertitude. Tout cela fait en sorte que des groupes ayant des intérêts économiques différents concluent des règlements hors cour même si, paradoxalement, dans ce cas-ci, cela a été négocié par des gouvernements, avec des consultations auprès des entreprises.
L'industrie québécoise et l'industrie canadienne font des gains grâce à cette entente. Je ne donnerai pas de détails maintenant, mais il me fera plaisir d'en fournir si on me pose des questions sur ces aspects, auxquels l'ambassadeur Wilson a déjà fait référence. Selon moi, il faut regarder les choses globalement.
Prenons le cas de l'Est. On trouve dans l'entente la reconnaissance qu'on occupe un pourcentage de 34 p. 100 du marché américain, alors qu'auparavant, la coalition considérait que le seuil acceptable d'exportation du Canada était de 31 ou de 32 p. 100. Cela constitue un gain important.
Cette entente contient un autre gain grâce à l'intervention d'un tiers sur le plan de l'interprétation. Dans ce cas, ce sera la Cour d'arbitrage international de Londres, ce qui est également extrêmement important.
D'autre part, les économistes nous disent qu'au cours d'une période de sept à neuf ans, on peut estimer que pendant 40 p. 100 de cette période, on vivra une situation d'authentique libre-échange puisque les prix seraient à peu près de 355 $ pour 1 000 pieds. Il n'y aura aucune contrainte de volume ni aucune restriction découlant de taxes à l'exportation. En ce qui a trait à l'industrie du Québec, on parle d'un remboursement de 80 p. 100 des dépôts d'ici Noël ou d'ici l'Halloween. Certains disent que cela représente un milliard de dollars qui seront injectés dans l'économie et dans les coffres des entreprises.
L'autre choix est de poursuivre le litige. L'ambassadeur Wilson en a parlé. Il est sûr que ce serait avantageux si on gagnait sur toute la ligne. On récupérerait alors 100 p. 100 des droits compensatoires. Cet après-midi, des avocats qui représentent l'industrie et qui vivent confortablement de cette industrie depuis des années vous diront sûrement qu'il y a des chances que l'on gagne. Je n'ai jamais rencontré d'avocat de litige qui ait dit autre chose. Les avocats vous disent toujours qu'ils vont gagner. Cela dit, je ne veux pas essayer d'évaluer quelles sont les chances de gagner en matière de litige. C'est vrai qu'on a gagné la très forte majorité des litiges jusqu'à maintenant. Il y a eu sept instances d'importance, et une quarantaine de décisions intérimaires ou définitives ont été rendues par des tribunaux domestiques, de l'ALENA ou de l'OMC. Néanmoins, il y a des incertitudes. On peut perdre une cause pour des questions procédurales, pour des questions de juridiction d'un tribunal ou pour des questions qui n'ont rien a voir avec le fond du litige. Cela constitue un risque réel.
Il faut aussi tenir compte non pas du risque, mais de la certitude d'une perte de temps. Poursuivre le litige prendra à peu près deux ans. Cela voudrait dire des fermetures pour des entreprises au Québec, et dans certains cas, des entreprises feraient faillite. Cependant, si elles reçoivent 80 p.100 de leurs dépôts d'ici Noël, comme ce sera le cas si l'entente est entérinée, ratifiée et mise en vigueur, elles pourront survivre et probablement réussir à s'équiper adéquatement afin de faire face aux années à venir.
Finalement, il y a aussi la certitude de nouvelles poursuites contre l'industrie canadienne par la coalition américaine. Dans ces circonstances, je crois que les enjeux sont clairs pour l'industrie, pour les dizaines de milliers d'emplois qui y sont liés, pour les communautés qui sont mono-industrielles et qui vivent cette incertitude. Il m'apparaît sage que cet accord entre en vigueur. Il faudra donc que l'industrie, dans une très forte proportion, décide d'entériner l'accord et de renoncer à ses recours. Le gouvernement du Québec, que j'ai représenté dans ce dossier depuis cinq ans et demi, a déjà fait savoir hier qu'il acceptait cet accord.
Je vous remercie, monsieur le président.
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Je vous remercie de m'en donner la chance. Je pense que cette entente permet de faire des gains réels.
Le premier gain est de cesser de payer 10 p. 100 à la frontière.
Le deuxième gain est d'oeuvrer dans un environnement prévisible pendant, en principe, sept à neuf ans. J'ouvre une parenthèse: je ne pense pas que l'industrie du Québec ait à craindre que les Américains mettent fin à cette entente avant qu'elle n'expire de sa belle mort dans sept ou neuf ans.
Le troisième gain est un accès illimité au marché américain lorsque les prix sont élevés. Il faut toutefois noter qu'il y a des limites à ce que le Québec peut exporter puisque, pour des raisons environnementales, l'accès à la ressource est maintenant beaucoup plus limité, ce qui n'est pas le cas en Colombie-Britannique. Il s'agit donc d'un gain extrêmement important. L'Ontario et le Québec bénéficieront d'un traitement différent de celui de la Colombie-Britannique. C'est ainsi parce qu'en Colombie-Britannique, un mur de bois va se mettre à rouler, à cause du dendroctone du pin ponderosa. Au cours des dix prochaines années, près de 70 p. 100 des forêts de l'Alberta et de la Colombie-Britannique seront menacées. On va abattre ce bois le plus vite possible. À moins de le mettre de côté pendant 100 ans pour en faire des violons, je pense qu'ils vont essayer de le vendre. En essayant de le vendre, ils vont modifier le marché de façon importante.
Au Québec et en Ontario, la situation est très différente. Notre bois n'a pas la même qualité. Ce bois est plus petit et, par conséquent, moins menaçant pour le marché américain. Ce bois est extrêmement difficile à travailler puisqu'il est plus petit. Il est plus exigeant et plus compliqué pour nos entreprises d'augmenter leur productivité. L'entente permet de faire une distinction entre la situation de l'Est et celle de l'Ouest, ce qui est extrêmement important. L'entente prévoit que l'Est va, de toute façon, limiter le volume de ses exportations parce qu'on y a moins accès à la ressource pour des raisons environnementales, de survie de la forêt et du maintien de la capacité de la forêt à des niveaux adéquats. Cette solution est faite sur mesure pour l'Est.
La quantité de bois qu'on pourra exporter aux États-Unis sera de l'ordre de 3,5 à 3,9 milliards de pieds linéaires par année, ce qui est plus que ce qui a jamais été espéré au cours de ces négociations.
En conclusion, ce n'est pas parfait, bien sûr. En ce qui a trait aux règles d'application, nous souhaitons que le comité Canada—États-Unis créé pour en discuter arrive à des solutions. Il est certain que gérer cela sur une base mensuelle ne sera pas simple, mais ce ne sera pas impossible. Nos industries, qui en ont vu d'autres, vont y collaborer, à notre avis.
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Non seulement cette entente est la seule chose qu'on pouvait obtenir, mais elle est bien mieux que cela. Cette entente permet non seulement de bénéficier de conditions de prévisibilité et de stabilité, mais elle permet de plus à nos entreprises de fonctionner dans un contexte de productivité maximale. Cela permettra aux industries du Québec, en particulier, de pouvoir exporter dans des conditions optimales qui, sans être absolument les meilleures, n'en sont pas si loin.
Ainsi, on présuppose que le Canada aura une part de marché de 30 p. 100 lorsque les prix seront très bas, plutôt que 34 p. 100. Nos industries paieront 5 p. 100, et non pas 10 p. 100, de droits. Elles paieront ces droits au Canada, et ils seront, pour l'essentiel, remis aux provinces. En pratique, lorsque les prix sont très bas, nos entreprises ont tendance à moins exporter, tout simplement. Elles tentent de conserver leur bois pour des périodes où les prix sont meilleurs. Par conséquent, lorsque les prix seront plus élevés, elles vont payer moins de taxes et elles auront accès à une plus grosse part de marché américain.
À mon avis, il s'agit d'une excellente entente échelonnée sur plusieurs années. En fait, elle m'apparaît sûrement meilleure que la précédente.
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En fait, de gros intérêts économiques sont en cause. Selon mon expérience, lorsque des tels intérêts sont en jeu, il n'y a pas de quartier. Les gens s'accordent rarement des faveurs. L'industrie canadienne n'accorde pas de faveurs à l'industrie américaine, et l'industrie américaine, comme elle l'a bien démontré, n'accorde pas de faveurs à l'industrie canadienne. Cependant, on peut souhaiter que cela se fasse de façon à ce qu'il y ait le moins de traumatismes possible pour nos populations, nos régions et nos villes mono-industrielles. En ce sens, le gouvernement a obtenu une entente assurant une certaine stabilité, ce qui correspond à des objectifs et des responsabilités d'État.
Quand des entreprises qui en ont les moyens se paient des guerres commerciales, cela coûte 100 millions de dollars par année, dont la part du lion va à des avocats à Washington, malgré tout le respect que j'ai pour la profession juridique. C'est à peu près le coût d'une guerre commerciale en biens et services.
Le litige, selon moi, ne devrait pas être une façon permanente d'entretenir une relation commerciale avec un voisin. Ce litige a eu des conséquences considérables sur la qualité de la relation entre le Canada et les États-Unis. Je crois que, d'un point de vue politique, on doit être satisfait de pouvoir enfin tourner la page. Il y a tout de même des limites à ce que la politique au Québec et au Canada soit complètement centrée sur un seul secteur industriel, une seule partie de la population et les seuls intérêts économiques de ce groupe. À mon avis, ils ont eu droit à une part d'attention extrêmement importante des gouvernements et ils ont été bien défendus par leur gouvernement. En fait, je crois que tout le monde reconnaît qu'on est rendu au bout du rouleau, y compris les Américains.
Les Américains ne négocient pas comme nous. Vous siégez à un Parlement où le gouvernement vous répond. L'exécutif répond au Parlement, et d'autant plus quand il est minoritaire.
Aux États-Unis, cela ne fonctionne pas de cette façon. Certaines industries ont un pouvoir considérable parce qu'il n'y a pas de loi sur le financement des partis politiques, ce qui a les mêmes effets qu'ici. Ces industries ont des liens directs avec le pouvoir législatif, qui en mène plus large dans ce genre de dossier que le pouvoir exécutif. Un certain nombre de sénateurs des États-Unis sont au service de l'industrie du bois d'oeuvre depuis des années. Le gouvernement américain, chaque fois qu'il demande à des sénateurs de changer d'avis, est pris dans un système de reconnaissance de dette.
Pour nous, pays voisin qui tient à l'accès à leur marché, il s'agit d'un univers très complexe avec lequel nous devons faire affaire. De temps en temps, cela nous oblige à faire un certain nombre de compromis qui sont exigés par le système politique américain, et non pas par la volonté d'un partenaire économique de jouer ou de ne pas jouer selon certaines règles du jeu. La réalité du système politique américain oblige à accepter un certain degré de vulnérabilité. Paradoxalement, c'est aussi vrai pour les industries domestiques américaines qui sont constamment aux prises avec des lobbys complexes auprès des secteurs législatif et exécutif.
Dans les circonstances, je pense que le Canada a joué ses cartes de façon brillante. Il a fallu des années pour y arriver et il a fallu une très grande volonté au cours des derniers mois pour cela. Il ne s'agit pas d'une entente de dépit. Elle comporte des gains réels pour le Canada, pour l'industrie du Québec et pour l'industrie canadienne.
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Très bien. Merci beaucoup, monsieur le président.
Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions pour votre excellent exposé. Nous apprécions votre participation. Je tiens également à vous féliciter pour votre excellent travail.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de rappeler à la présente assemblée que ce différend a forcément causé la perte de plusieurs milliers d'emplois. Ce différend a porté un coup terrible à de nombreuses collectivités et petites entreprises et les porte-parole de ce secteur d'activité nous ont dit qu'une certaine stabilité leur était indispensable pour survivre. Bien entendu, c'est précisément sur la recherche de cette stabilité, non seulement pour les collectivités, les familles et les petites entreprises, mais aussi pour l'ensemble de l'industrie et pour tout le pays, que le gouvernement a principalement axé ses efforts.
Pour faire quelques petites observations au sujet des commentaires que mon collègue Peter Julian a adressés au témoin précédent, je pense qu'il est juste de dire qu'il n'apprécie manifestement pas du tout cette entente. Il est même possible qu'il la trouve détestable, sauf qu'il insiste pour qu'on prolonge le délai d'extinction de cette entente à laquelle il ne souhaite pas que l'on adhère. Il veut que le délai soit plus long; il ne veut pas que l'on mette fin à l'Accord...
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C'est un point sur lequel il est particulièrement chatouilleux. Je vous remercie.
D'après ce collègue et d'après d'autres collègues ici présents, ce sont les États-Unis qui ont tout raflé dans le contexte de cet accord et nous leur avons en fait tout cédé. Cependant, sans reprendre haleine, dans la phrase suivante, ils affirment que les États-Unis mettront fin à l'Accord à la première occasion. C'est donc une contradiction supplémentaire qui n'a aucun sens.
En outre, ils recommandent d'accorder des garanties de prêts, qui ont l'appui des contribuables, bien entendu. Ils n'appuient toutefois pas le mécanisme spécial que le gouvernement a mis sur pied pour le remboursement à l'industrie, dans les délais les plus brefs possible, des droits déjà payés, initiative qui a également, bien entendu, l'appui des contribuables. Par conséquent, le prétexte qu'ils invoquent pour critiquer ce mécanisme est qu'il est appuyé par les contribuables mais ils appuient les garanties de prêts qui bénéficient également de l'appui des contribuables. Leur discours n'a donc aucun sens car il est truffé de contradictions...
Je me demande si vous pourriez faire des commentaires à ce sujet.
Nous permettrons à M. Paradis de poser sa question avant que vous ne répondiez, monsieur Johnson, si vous le voulez bien.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Maître Johnson, c'est un honneur pour moi de m'entretenir avec vous. Vous avez beaucoup de crédibilité au Québec, votre feuille de route parle d'elle-même. Il était rassurant de vous savoir négociateur en chef pour le gouvernement du Québec. Depuis 2001, j'ai entendu de bons commentaires à votre égard de la part de représentants de l'industrie.
Maître Johnson, je me suis promené sur le terrain. Je viens du comté de Mégantic—L'Érable, où se trouvent des scieries frontalières. Vous avez parlé d'un problème récurrent. D'une part, on craignait pour la survie même de l'industrie et, d'autre part, on disait que si on survivait, il faudrait s'équiper de toute urgence parce qu'on avait des équipements non productifs.
Maître Johnson, je vous ai entendu dire que poursuivre le litige n'est probablement pas viable. Il est facile pour l'opposition de dire que ce n'est pas une bonne entente, mais il y a une incertitude. Or, cela réglerait cet aspect du problème.
Vous avez aussi parlé d'un remboursement pour l'Halloween, pour Noël ou plus tard. Cela veut dire que dénoncer le fait que le gouvernement actuel n'accorde pas de garanties de prêts nous entraîne dans un faux débat. Cela rejoint un peu la question que ma collègue vous a posée. J'aimerais également vous entendre sur ce sujet, relativement au Québec. Je vous remercie.
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Merci, madame et monsieur.
Je parlerai brièvement du cas des scieries frontalières. L'entente tient spécifiquement compte de ces entreprises, qui sont au nombre de 30. Je ne veux pas aborder l'aspect mécanique, mais essentiellement, elles vont pouvoir continuer d'opérer comme avant, c'est-à-dire dans un contexte de libre-échange, pratiquement. C'est ainsi parce que les entreprises frontalières s'approvisionnent en bois américain, en bonne partie. Puisqu'elles vont chercher leur bois aux États-Unis, il est difficile de concevoir qu'on puisse les accuser de se procurer du bois dans des conditions différentes des conditions du marché.
À la limite, on accuse parfois les provinces de créer un environnement qui ne correspond pas aux conditions du marché. Toutefois, il est très clair que les scieries frontalières vont chercher leur bois dans les boisés privés américains et, donc, dans des conditions du marché, de façon incontestable. D'ailleurs, je crois que l'accès au bois de la forêt publique au Québec se fait aussi dans les conditions du marché, puisqu'on copie ces conditions lors de l'élaboration de notre formule d'accès au bois.
Par conséquent, les entreprises frontalières peuvent être satisfaites de cette entente, et je sais qu'elles le sont, pour avoir parlé à un certain nombre de leurs représentants. En ce qui a trait au reste, je vous dirais que, sans avoir réinventé la roue, le gouvernement canadien a trouvé une formule de remboursement assez intéressante. D'ailleurs, je crois que cela avait fait l'objet de débats à la Chambre des communes à une certaine époque. Monsieur Paquette l'a évoqué un peu plus tôt. Dans le fond, on a des institutions qui peuvent servir de banques et offrir un financement provisoire afin d'assurer que les versements soient faits avant une certaine date. Ainsi, le gouvernement canadien se fera graduellement rembourser, à cause des impératifs de l'administration et de la législation américaine, qui sont extrêmement complexes. On parle littéralement de centaines de milliers de chèques. Chaque fois qu'un chèque passait la frontière, cela était consigné dans un registre. Théoriquement, il doit y avoir autant de remboursements que de chèques. On comprend immédiatement que c'est complètement hallucinant pour nos entreprises.
Le gouvernement canadien a décidé de les subroger dans leurs droits et d'attendre que l'administration américaine le rembourse. Je crois que l'entente prévoit un délai d'à peu près six mois. Cela m'apparaît être une formule parfaite, qui permettra à beaucoup d'entreprises québécoises de passer un meilleur hiver.
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À ma connaissance, même si on peut considérer que les recours des Américains sont presque abusifs, ils n'ont jamais été exercés autrement que dans les cadres existants de l'OMC et de l'ALENA. Ils ont utilisé chacun de ces mécanismes au maximum —
ad nauseam, selon certains — et ce n'est pas terminé. Cela pourrait aller encore plus loin, dans le cas d'au moins deux recours, sans compter les recours au niveau domestique.
La société américaine est une société that thrives on litigation. Il s'agit d'une société où on essaie de régler beaucoup de choses par le recours aux tribunaux. Au Québec et au Canada, on tend à être un peu plus consensuels; on essaie de trouver des accommodements. Par contre, la société américaine tranche et a recours au droit et aux avocats. C'est pourquoi il y a autant d'avocats. Par exemple, le Japon, un pays où il y a 100 millions d'habitants, compte à peine quelques centaines d'avocats, mais les États-Unis en ont des dizaines de milliers dans chaque État. Ce sont des sociétés très différentes, qui ont une façon différente d'envisager la solution des problèmes.
J'ai tendance à être assez empirique lorsqu'on en vient à cela. Je regarde ce qui s'est passé à la suite d'ententes conclues avec les Américains en matière de bois d'oeuvre: ils ont toujours respecté le contenu des ententes. Le gouvernement américain va s'engager. Il va le faire dans une lettre, selon ce que nous a appris M. Emerson la semaine dernière, et il entend conclure une entente de sept à neuf ans. On peut donc penser qu'il n'a pas l'intention de la dénoncer. Pourquoi le ferait-il? Je me suis demandé pourquoi il insistait. Les autres ententes ne contenant pas de clause de dénonciation, il aurait pu la dénoncer n'importe quand, avec un préavis d'un an, alors que présentement, il ne peut avoir recours à la dénonciation qu'après 18 mois. Il devrait aussi donner six mois d'avis. La durée de l'entente serait donc de 24 mois, plus un an de libre-échange, ou de stand still, ce qui signifie trois ans pour nos entreprises, en pratique. Par conséquent, ou l'entente s'applique, ou il y a libre-échange, dans la pire des hypothèses.
Comment surviendrait cette pire des hypothèses? Selon moi, la seule raison qui pourrait amener les Américains à dénoncer l'entente serait que la Colombie-Britannique écoule son bois dans des conditions qui entraîneraient une perturbation considérable du marché. Ils considéreraient alors sûrement que les entreprises de la Colombie-Britannique seraient en train de reprendre des parts énormes du marché américain, car le gouvernement de la Colombie-Britannique devrait se défaire du bois victime du dendroctone du pin ponderosa. Ce bois est accessible à prix très bas, ce qui signifie que les entreprises pourraient, théoriquement, en mettre sur le marché à un prix très bas. Parfois, je dis à des amis au Québec que leur prochain chalet sera bâti en pin de la Colombie-Britannique, parce qu'il sera moins cher. La Colombie-Britannique voulait défendre son système de prix, mais qu'offrait-elle en échange? Le gouvernement canadien a probablement été obligé de consentir à ce que les Américains puissent mettre fin à l'entente s'ils trouvaient la situation abusive.