Merci, monsieur le président et membres du comité, de m'avoir invité à comparaître devant vous.
Je suis ici à deux titres, comme mon mémoire l'indique. C'est d'abord en tant que président du COSEPAC. C'est ensuite à titre de professeur de biologie et titulaire de la chaire de recherche du Canada de l'Université Dalhousie où je fais de la recherche fondamentale et appliquée sur l'écologie, l'évolution, l'exploitation et la conservation des espèces de poisson.
J'ai commencé mon mémoire en citant Gro Harlem Brundtland, l'ancienne première ministre de la Norvège, qui a écrit:
J’ai récemment pris connaissance d’un article écrit par un scientifique norvégien au cours des années 1970, alors que j’étais ministre norvégien de l’environnement. L’auteur de l’article soutenait que les pluies acides n’existent pas et que les « faits » et la « science » n’ont pas de place dans la politique et la réglementation. Cette assertion allait à l’encontre de ma pensée et m’a fait vivement réagir. Des politiques qui font fi de la science et de la connaissance ne peuvent faire long feu. En effet, les preuves scientifiques les plus solides généreront des décisions politiques logiques. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la gestion des ressources et de la protection de l’environnement.
Dans cette déclaration, l’ancienne première ministre de Norvège reconnaît sans ambages le rôle intégral de la science, en particulier en ce qui a trait aux politiques publiques. Ses propos soulignent l'axiome couramment accepté voulant que l'évaluation, la conservation et la restauration de la biodiversité s'appuient sur les meilleures données disponibles et des avis objectifs.
Il y a de nombreux exemples d'organismes indépendants chargés de donner des avis sur des questions qui affectent la société. Prenons par exemple les enquêtes judiciaires et les commissions royales ainsi que les groupes d’experts. On s’attend à ce que ces organismes donnent leur avis aux décideurs ou une information à la société sans se laisser influencer par les conséquences de cet avis ou par des préoccupations socioéconomiques ou politiques. Tel est le contexte dans lequel le COSEPAC donne des avis au sujet de la situation des espèces en péril au Canada.
Le COSEPAC a été créé en 1977, mais c'est seulement quand la Loi sur les espèces en péril, la LEP, a été adoptée en 2003 qu'une loi en a fait l'organisme consultatif chargé de l'évaluation des espèces en péril canadiennes. Dans le contexte international, le COSEPAC est un organisme unique en son genre si l'on tient compte de l'étendue de ses responsabilités, des membres qu'il regroupe, à l'intérieur et à l'extérieur du gouvernement, et de sa capacité à évaluer la situation des espèces qui présentent un risque élevé d'extinction.
Le COSEPAC a entrepris ses premières évaluations en avril 1978. Elles se limitaient aux oiseaux et aux mammifères terrestres. Le champ taxonomique des évaluations du comité a été élargi dans les années 1980 pour inclure les poissons, les plantes, les reptiles et les amphibiens et, dans les années 1990, pour couvrir les mousses et lichens, les mollusques et les arthropodes.
Le COSEPAC a deux fonctions principales. La première porte sur l'évaluation de la situation des espèces. Sur la foi de rapports de situation, le COSEPAC évalue le statut des espèces en péril et identifie les menaces pour les espèces dont la probabilité d’extinction est la plus grande. La deuxième grande fonction est la communication. Le COSEPAC communique en même temps ses évaluations à la population canadienne, aux instances fédérales, provinciales et territoriales de même qu’aux divers conseils de gestion de la faune sauvage. Ces renseignements sont communiqués immédiatement après chaque réunion. L’envoi officiel des résultats des évaluations du COSEPAC au ministre fédéral de l’Environnement marque le début du processus d’inscription des espèces en péril comme l’exige la loi.
Le COSEPAC est un organe consultatif national indépendant et non pas une agence de gestion ou un ministère. Les opinions, les devoirs et les voix exprimées ne sont pas fonction d’une affiliation juridictionnelle ou autre. Chaque membre du COSEPAC et du Sous-comité des connaissances traditionnelles des peuples autochtones est nommé par le ministre fédéral de l'Environnement. Il s'agit d'affectations ministérielles et non de nominations politiques. Toute nomination au COSEPAC qui serait perçue comme étant de nature politique porterait atteinte à l'indépendance du comité et au caractère apolitique de ses évaluations, ce qui risquerait d'amoindrir la validité de la loi.
Les évaluations de situation du COSEPAC se basent sur des rapports de situation d’espèces qui compilent la meilleure information biologique disponible, y compris les connaissances scientifiques, les connaissances traditionnelles des peuples autochtones ou des collectivités en matière d’espèces sauvages. Ces rapports font l’objet d’un rigoureux contrôle de la qualité par les juridictions et leurs scientifiques, les biologistes indépendants et universitaires et les scientifiques en industrie. La période de revue d’un rapport de situation est généralement de un an et demi à deux ans.
À titre d’exemple, le rapport de situation de l’ours polaire a nécessité deux ans de préparation, trois révisions majeures et une revue par plus de 70 personnes avant que le COSEPAC attribue le statut d’espèce préoccupante en avril 2008.
En mai 2009, le COSEPAC avait évalué la situation de 796 espèces sauvages dont 585 ont disparu ou sont en péril, ce qui veut dire que ces espèces ont disparu du pays, ou qu'elles sont en voie de disparition, menacées ou préoccupantes. Les rapports ne renfermaient pas suffisamment d'information pour évaluer la situation de 45 espèces additionnelles, et 166 autres espèces ont été jugées comme n’étant pas en péril. Les plantes et les poissons représentent les groupes taxonomiques qui comptent le plus grand nombre d'espèces en péril au Canada.
Le COSEPAC fonde ses évaluations sur des critères quantitatifs très semblables à ceux élaborés par l’Union mondiale pour la nature ou UICN. Ces critères d’évaluation examinent les données sur les changements dans l’abondance et la répartition des espèces et des habitats qui peuvent accroître la probabilité de disparition de l’espèce.
Depuis l’adoption de la LEP, environ 85 p. 100 des évaluations de situation des espèces que le gouverneur en conseil a reçues du ministre de l'Environnement ont été acceptées, et les espèces ont été inscrites sur la liste nationale. Les poissons marins constituent le groupe le moins susceptible de figurer à l’annexe 1 de la LEP. Le gouvernement a toujours rejeté la recommandation du COSEPAC d’inscrire des espèces de poissons marins sur la liste des espèces en voie de disparition ou menacées.
Je vais parler de deux des sept points récapitulatifs de mon mémoire avant de passer aux recommandations. Je vous rappelle que le COSEPAC est un comité consultatif national qui compte parmi ses membres des personnes à l'emploi du gouvernement qui prennent leurs décisions en toute indépendance. L’avis du COSEPAC est fondé sur la meilleure information biologique disponible se rapportant à la situation d’une espèce, sans tenir compte des conséquences politiques et socioéconomiques perçues suite à cet avis.
Je vais passer aux deux amendements à la Loi sur les espèces en péril que le COSEPAC recommande. Le premier concerne le délai qui s'écoule entre la communication de l'avis du COSEPAC et la décision d'inscrire une espèce sur la liste. C'est la période qui s'écoule à partir du moment où le COSEPAC soumet une évaluation au ministre de l'Environnement et celui où le gouverneur en conseil prend la décision d'inscrire ou non une espèce sur la liste.
Depuis l’adoption de la LEP, les consultations pré-inscription entre le gouvernement et les parties ont modifié le calendrier, ce qui a entraîné le report des décisions d’inscription. La période de consultations normales est habituellement de trois mois après l’énoncé du ministre; il est arrivé que des consultations étendues concernant certaines espèces durent plus de cinq ans et certaines consultations se poursuivent encore.
Par exemple, parmi les espèces sauvages dont l’inclusion dans la liste des espèces a été envisagée entre janvier 2004 et août 2006, excluant celles dont les consultations doivent se conformer à l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, 30 espèces ont fait l’objet de périodes de consultation excédant 12 mois. Presque toutes ces espèces sont des poissons. En mai 2009, une décision d’inclusion dans la liste a été prise pour 11 des 30 espèces, et la durée moyenne des décisions d’inscription au titre de la LEP est de deux ans et demi.
Les 19 espèces qui restent et qui sont toutes des espèces aquatiques, font toujours l’objet de consultations étendues. Jusqu'ici, il s’est écoulé en moyenne trois ans et demi depuis l’envoi initial des évaluations du COSEPAC relativement à ces espèces au ministre de l’Environnement. On compte trois espèces aquatiques qui ont été soumises dans le premier lot en vertu de la LEP, en janvier 2004, dont le gouverneur en conseil n’a pas encore reçu les évaluations. Dans le cas de deux poissons considérés comme espèces menacées et pour un gastropode d’eau douce, une période de cinq ans et quart s'est maintenant écoulée.
La LEP ne prévoit pas d’échéancier pour la transmission d'une évaluation au gouverneur en conseil. Certains estiment que cela permet au ministre d'exercer des pouvoirs discrétionnaires que les parlementaires n'avaient peut-être pas prévus lorsqu'ils ont adopté la LEP. Le Comité mixte permanent de la réglementation considère cette discrétion ministérielle comme un vice de la loi et conclut que « le défaut de prévoir un échéancier pour l’envoi d’une évaluation au gouverneur en conseil et la réception d’une telle évaluation par ce dernier constitue une lacune non intentionnelle dans le processus établi dans la loi ».
Les délais dans le processus d’inscription d’une espèce sur la liste nuisent à la capacité du COSEPAC de respecter son engagement selon lequel ses évaluations sont fondées sur la meilleure information disponible sur la situation biologique des espèces. Plus le délai menant à une décision d’inscription d’une espèce est long, plus grande est la possibilité que de nouvelles informations influent ou non sur la situation de cette espèce. Comme corollaire, plus le délai de décision d’inscription est long, plus grande est la possibilité que l’évaluation soit renvoyée au COSEPAC, ce qui prolonge d’autant le processus d’inscription et reporte l’élaboration de programmes de rétablissement et de mesures de protection des habitats.
En conséquence, le COSEPAC recommande que des amendements soient apportés à la LEP afin de fixer un échéancier pour la réception des évaluations du COSEPAC par le gouverneur en conseil conformément à l'intention initiale du Parlement de prendre des mesures relativement à une évaluation en deçà d'une période établie. Il est donc recommandé d'ajouter le paragraphe 25(4) qui se lira comme suit:
Sous réserve du paragraphe 27(2)c), dans les trois mois suivant la réception d’une copie de l’évaluation sur la situation d’une espèce sauvage par le COSEPAC en vertu du paragraphe (1), le ministre doit envoyer l’évaluation au gouverneur en conseil.
L'acceptation de cette recommandation permettrait d'avoir un échéancier bien défini et transparent qui correspondrait aux intentions qui étaient celles du Parlement lorsqu'il a adopté la loi et qui réduirait les retards dans le processus décisionnel et, du même coup, dans la planification et la mise en oeuvre des mesures de rétablissement.
La deuxième recommandation concerne la composition du COSEPAC. À cet égard, il est très important que chaque membre puisse exercer ses fonctions de façon indépendante — la loi le précise — ce qui signifie que les voix exprimées sur la situation d'une espèce et toute autre fonction confiée à des personnes membres du COSEPAC ne sont pas influencées par l'affiliation du membre. La présentation d'un avis impartial facilité par l'indépendance et le principe d'autonomie du COSEPAC est un aspect fondamental de la capacité du comité à poursuivre sa mission en vertu de la LEP.
Depuis l'adoption de la LEP, le COSEPAC a mis en oeuvre un processus ouvert et transparent qui permet de s'assurer que le ministre de l'Environnement reçoit uniquement les noms des candidats les plus compétents disponibles pour siéger au COSEPAC. Ce processus assure un équilibre optimal entre l'expérience et le renouvellement des membres.
Depuis l'adoption de la LEP, quatre ministres de l’Environnement successifs ont accepté les candidats proposés pour le COSEPAC et émis des affectations ministérielles à chacun d’eux. Ce processus bien établi a pris fin lorsque le ministre a décidé, en mars 2009, de ne pas renouveler le mandat du candidat du COSEPAC au poste de coprésident du Sous-comité des spécialistes des amphibiens et des reptiles.
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Je devrais vous parler un peu du contexte. C'est une des raisons pour lesquelles nous proposons cet amendement. Ce n'est absolument pas une décision motivée par des considérations politiques. C'est pour renforcer la loi de façon assez simple.
Aucun ministre de l'Environnement n'a jamais rencontré jusqu'ici le président du COSEPAC pour examiner les nominations au comité. Au départ, le processus a duré deux mois, sous les ministres Anderson et Dion, mais depuis, il s'est allongé. Cela peut s'expliquer par de nombreuses raisons. En fait, dans la lettre que j'a envoyée au ministre Prentice, je l'ai félicité et remercié personnellement de m'avoir rencontré, en exprimant le souhait que cette première rencontre soit suivie de nombreuses autres.
Toutefois, à cette réunion, même si nous avons effectivement discuté des autres candidats que le ministre devait nommer, nous n'avons pas parlé de la personne qui n'a pas été nommée. Son nom ne figurait pas sur les papiers que le ministre avait sous les yeux pour discuter avec moi. En conséquence, même si j'ai abordé la question avec lui à la fin de la réunion, il semble que ce n'était pas une question dont on voulait — quelle qu'en soit la raison... Ce n'est pas à moi de dire pour quelle raison nous n'en avons pas discuté. J'ai mentionné le nom de cette autre personne, mais cela n'a pas fait l'objet d'une véritable consultation.
L'amendement que nous proposons fournirait simplement la possibilité… Je dois dire aussi que j'ai écrit au ministre pour demander à le rencontrer pour lui parler des conséquences à court et à long terme de la décision, dans le but de chercher privément avec lui une solution satisfaisante pour nous deux, car…
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Pour apaiser votre déception, c'est, en fait, une chose sur laquelle nous avons énormément travaillé. Comme vous le savez, la loi définit une espèce faunique comme une sous-espèce, une variété ou une population distincte d'animaux, de plantes ou d'autres organismes, sur le plan géographique ou génétique. Par conséquent, la loi précise bien qu'il ne faut pas s'arrêter au niveau de l'espèce taxonomique ou biologique quand on évalue la situation d'une espèce. Elle reconnaît ce que les biologistes du monde entier reconnaissent, à savoir que si un de vos objectifs est de protéger la biodiversité, vous devez identifier ce que nous pourrions appeler les unités biologiquement pertinentes de la biodiversité à protéger.
Voilà pourquoi, étant donné l'orientation de la loi et la définition qu'elle donne des espèces fauniques, le COSEPAC a consacré énormément de temps à la définition des critères. Il détermine les conditions selon lesquelles le Comité identifiera une unité qu'il utilisera aux fins d'évaluation conformément à la définition donnée dans la loi. C'est ce qu'on appelle des unités désignables. Ces critères correspondent exactement à ceux que les États-Unis utilisent en vertu de leur propre loi sur les espèces en péril pour identifier les différents segments de population de vertébrés et les unités de saumon du Pacifique qui sont importantes sur le plan de l'évolution.
Plus précisément, il faut répondre à deux critères. Le premier concerne les caractères distinctifs. Cela peut-être des caractères distinctifs génétiques, des particularités concernant la vitalité et les autres moyens de persistance de l'espèce. Toutefois, il ne suffit pas de montrer des différences génétiques. Si c'était le cas, vous pourriez inscrire sur la liste toutes les populations de poisson blanc du Canada, ce qui ne serait pas très utile.
Le deuxième critère concerne l'importance, et plus précisément l'importance évolutionnaire. Il y a des moyens sur lesquels nos collègues des États-Unis et nous-mêmes sommes d'accord pour établir l'importance évolutionnaire. Le but est d'identifier des unités biologiques qui, si elles disparaissent ou sont en voie d'extinction, ne seront pas facilement remplacées. Par exemple, elles ne seront pas remplacées grâce à une dispersion ou à une migration à partir d'une autre région. Si un groupe de populations ou toute une population répond à ces deux critères, elle peut faire l'objet d'une évaluation.
La loi nous confère aussi l'obligation d'évaluer les espèces fauniques qui risquent le plus l'extinction. Nous avons une série de critères. Nous avons un manuel d'opérations et de procédures qui couvre 250 pages, ce qui est beaucoup plus long que la Loi sur les espèces en péril. Nous l'utilisons pour interpréter la loi et pour guider nos opérations et nos procédures conformément à la loi.
La totalité de nos opérations et procédures a été soumise au Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril et aux ministres de l'Environnement successifs pour les informer et obtenir leurs commentaires. Nous utilisons une série de critères pour établir l'ordre de priorité des nouvelles espèces à évaluer. Cela tient compte notamment de choses telles que le pourcentage de leur aire de répartition mondiale qui se trouve au Canada, la mesure dans laquelle l'espèce se trouve dans un écosystème menacé, la mesure dans laquelle l'espèce est considérée en péril au niveau mondial.
Je pense donc que votre question reflète, dans une certaine mesure, une inquiétude que beaucoup de gens partagent. Est-ce une loi qui va mener à l'évaluation de toutes les populations d'épinoches à neuf épines que recèlent tous les lacs du pays? La réponse est non. Une des raisons pour lesquelles cela n'arrivera pas est que le COSEPAC a une série de critères qu'il utilise pour établir les priorités en ce qui concerne l'évaluation de nouvelles espèces. La loi ne le prévoit pas. Nous devons déjà, aux termes de la loi, réexaminer les espèces que nous avons déjà évaluées, et nous avons des critères pour identifier les populations ou les groupes de populations à évaluer. Cela correspond entièrement à ce qui est fait aux États-Unis. Les États-Unis le font depuis 1996. Nous avons étudié la question et nous avons estimé qu'il s'agissait de bases raisonnables pour identifier ces unités.