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Je déclare la séance ouverte.
Je m'excuse de commencer un peu en retard. Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi C-16. Pour les 90 premières minutes aujourd'hui, nos témoins sont Kevin Buerfeind, Gerry Brunet et Albin Tremblay du ministère de l'Environnement. Ils sont accompagnés de Sarah Cosgrove, que nous avons déjà accueillie au comité. De Parcs Canada, Darlene Upton, directrice, Direction de l'application de la loi, vient témoigner. De même Linda Tingley, du ministère de la Justice. Chantal Proulx, directrice adjointe par intérim, et Erin Eacott représentent le Service des poursuites pénales du Canada.
Bienvenue. Comme nous devons entendre un grand nombre de témoins, je vous invite à présenter une déclaration liminaire qui reste brève. Nous nous en tiendrons à des tours de cinq minutes, simplement pour que nos membres puissent poser le plus grand nombre de questions possible.
Monsieur Tremblay, s'il vous plaît.
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Je suis heureux d'être ici ce matin pour vous faire une brève présentation au sujet de la Direction générale de l'application de la loi. Mon objectif est de vous permettre de vous familiariser quelque peu avec le mandat et les objectifs de la Direction générale de la mise en application de la loi ainsi qu'avec les principaux outils à notre disposition pour répondre à notre mandat.
À l'acétate 2, je dirai brièvement quelques mots pour vous expliquer en quoi consiste les deux principales composantes de l'observation et de l'application de la loi, pour vous aider à bien comprendre les rôles et responsabilités de chacun. Tout le domaine de l'application de la loi est divisé en deux principales composantes.
La première consiste en la promotion de la conformité qui vise à informer les entreprises de l'existence des lois et règlements et de leurs exigences, pour s'assurer qu'elles comprennent bien les obligations qui sont les leurs. Cette responsabilité est principalement assumée par nos programmes au sein d'Environnement Canada, qui développe les lois et règlements. La deuxième est l'application de la loi. C'est là qu'entre en fonction la Direction générale de l'application de la loi, qui consiste à appliquer les lois telles qu'elles sont développées et appliquées par notre organisation.
Je vais vous expliquer, en me référant à l'acétate 3, un peu l'objectif général de la mise en oeuvre de l'application de la loi. Une fois qu'une infraction est déterminée, l'objectif est de ramener le plus rapidement à la conformité les présumés contrevenants et d'avoir, au moyen des mesures que nous prenons, un effet dissuasif qui fera en sorte que les contrevenants n'auront pas l'idée de répéter les mêmes infractions. Il s'agit donc de deux composantes principales: ramener rapidement dans un état de conformité et faire en sorte que les contraventions ne se répètent pas dans l'avenir.
À l'acétate 4, nous vous présentons une carte du Canada qui vous permet de voir comment sont répartis nos différents bureaux au pays. Nous avons pensé que cela pourrait être intéressant pour le comité de bien comprendre la répartition de nos bureaux. J'aimerais apporter une attention particulière sur le fait qu'avec les nouvelles ressources qui nous ont été accordées, principalement dans le cadre du budget de 2007, cela nous a permis d'ouvrir six nouveaux bureaux au pays. Sur la carte en couleur, ce sont les points verts. Nous avons un nouveau bureau à Cranbrook en Colombie-Britannique, quatre nouveaux bureaux dans la région de l'Ontario, à Thunder Bay, Sault Ste Marie, Sarnia et North Bay, ainsi qu'un nouveau bureau dans la région du Québec, à Harrington Harbour sur la Basse-Côte-Nord. Ces six bureaux s'ajoutent à ceux qui existaient au sein d'Environnement Canada au pays.
À l'acétate suivante, page 5, un tableau vous permet de voir la répartition de nos employés au Canada. Vous voyez les différentes régions qui composent notre organisation. Le nombre d'employés est indiqué en ce qui concerne les deux principaux programmes, l'un qui touche l'environnement; l'autre, la faune. Tous les chiffres inscrits au tableau sont réels et corrects. Je porte à votre attention le fait qu'il y a des erreurs dans certains totaux, notamment pour les régions de l'Ontario et du Québec. Toutefois, les éléments individuels contenus dans le tableau sont précis et exacts. Il y a donc un total de 315 agents d'application de la loi répartis dans tout le pays dans une proportion d'environ un tiers pour le volet faune et deux tiers pour le volet environnement.
À l'acétate 6, j'ajouterai quelques mots pour vous présenter brièvement les trois principales activités qui permettent à la Direction générale de la mise en application de la loi de remplir son mandat. Tout d'abord, les inspections sont un outil important qui nous permet d'aller vérifier la conformité aux différents règlements et lois. J'aimerais particulièrement porter à votre attention le fait que ces inspections sont faites chaque année en vertu d'un plan national qui est développé en collaboration avec nos collègues des programmes ainsi que certains partenaires, entre autres d'autres ministères et organisations fédérales et les provinces, pour déterminer les secteurs ou les domaines les plus importants sur lesquels nous devons concentrer nos inspections afin de faire une utilisation optimale des ressources à notre disposition.
La deuxième activité, ce sont les enquêtes qui découlent souvent du résultat de nos inspections et d'informations reçues du public sur des situations portées à notre attention ou d'exercices de renseignement qui sont menés à l'intérieur de notre organisation.
La troisième activité, qui prend de plus en plus d'importance dans notre organisation, est la collecte de renseignements. On a des experts qui analysent et recoupent différentes informations pour déterminer quels seraient les secteurs d'activité les plus susceptibles de relever de la non-conformité et pour pouvoir canaliser ainsi nos ressources vers les secteurs de non-conformité les plus importants à travers le pays.
J'aimerais également porter à votre attention le fait que depuis 2004, le secteur de l'application de la loi à Environnement Canada a été intégré dans une seule organisation, qui est la Direction générale de la mise en application de la loi, sous la responsabilité d'un chef de la mise en application de la loi qui se rapporte directement au sous-ministre.
Le but de cet exercice était de créer une organisation dotée d'une structure hiérarchique très claire permettant de prendre des décisions uniformes et efficaces à travers le pays et de faire une distinction entre l'exercice effectif d'application de la loi et celui de promotion de la conformité et de prévention de la pollution, qui est réalisé par les différents programmes de notre ministère.
Je vais ajouter quelques informations au sujet de l'acétate 7. Je vous ai parlé, la semaine dernière, des politiques mises à la disposition de nos agents d'application de la loi afin qu'ils puissent prendre leurs décisions dans un cadre bien défini. Un des principes importants dans notre travail est d'appliquer les lois de façon juste, prévisible et uniforme dans tout le Canada. Et pour ce faire, les politiques sont fondamentales. Nous avons présentement trois politiques bien en place et une quatrième est en développement. Je n'entrerai pas dans les détails, mais cette dernière concerne la Loi sur les espèces en péril.
Ces politiques sont au coeur de l'approche et des outils de travail de nos agents. Elles servent à leur formation et assurent que la loi est appliquée selon un cadre bien défini à travers le pays.
À l'acétate 8 se trouvent quelques principes fondamentaux qui guident le travail de nos agents. Le premier principe est que l'observation des lois et des règlements est obligatoire. Aucune loi ne peut faire l'objet d'une exemption. Toutes les lois doivent être respectées. Le deuxième principe, qui est extrêmement important, porte sur le fait que nos agents d'application doivent appliquer les lois d'une façon juste, prévisible et équitable. Troisièmement, l'accent est nettement mis sur la protection de la biodiversité, la prévention des dommages causés à l'environnement et les risques à la santé. Ce sont là les facteurs les plus importants qui guident les décisions de nos agents.
Toutes les infractions présumées seront examinées par nos agents, dans le but de prendre des mesures cohérentes avec les politiques pertinentes. Finalement, on encourage le public à nous informer de toute infraction présumée. On s'engage à prendre action et à faire un suivi sur ces déclarations.
À la page 9, on explique comment se déroule le travail de nos agents par rapport aux enquêtes et inspections. Comme je vous l'ai mentionné la semaine dernière, ce sont nos agents d'application de la loi qui déterminent, selon les preuves disponibles, s'il y a lieu de lancer une mesure d'application de la loi, quelle qu'elle soit. Cette décision leur appartient. Ensuite, nos agents disposent, selon la situation, d'un éventail d'outils pour prendre les mesures les plus appropriées en fonction de la nature de l'infraction ou d'autres critères qui doivent être considérés, dont je vous ai parlé plus tôt.
Finalement, dans le but de choisir quelle est la mesure d'application de la loi la plus pertinente, trois critères très importants sont définis dans les politiques dont j'ai parlé un peu plus tôt. Il s'agit de la nature de l'infraction, qui a trait à la gravité du préjudice, l'intention du contrevenant ou les tentatives de cacher de l'information et l'efficacité de la mesure. Je parlais, un peu plus tôt, d'arriver à un retour rapide à la conformité, d'éviter une répétition de l'infraction, et de l'uniformité, c'est-à-dire faire en sorte que nous prenions des mesures similaires pour une même infraction partout au pays, quel que soit l'endroit ou le secteur.
Je vous présente rapidement deux dernières acétates. Regardons le petit tableau à la page 10, qui vous donne une idée des différents outils à la disposition de nos agents. Cela va de la lettre d'avertissement jusqu'à une mise en accusation. Je n'ai pas l'intention de donner beaucoup de détails, mais je mentionnerai qu'une série d'outils sont disponibles. Un des avantages du nouveau projet de loi consiste à faire en sorte que ces outils soient beaucoup plus uniformes pour toutes les lois et règlements que nous utilisons, ce qui n'est pas le cas actuellement. Certains outils ne sont pas disponibles dans le cadre de certaines lois. Ce sera corrigé par le nouveau projet de loi.
La dernière acétate me permet de vous mentionner qu'avec le nombre d'agents à notre disposition partout au pays, il est nécessaire de travailler en très étroite collaboration avec différents partenaires, que ce soit d'autres agences fédérales, des provinces ou même au niveau international. Des organisations collaborent avec nous dans différents dossiers.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Au nom du SPPC, je suis heureuse de pouvoir prendre la parole aujourd’hui devant votre comité dans le cadre de son examen du projet de loi C-16, Loi sur le contrôle d’application de lois environnementales.
Je suis ici en compagnie de Mme Erin Eacott, une procureure de première ligne de notre Bureau régional d’Edmonton. Mme Eacott possède une vaste expérience des poursuites relatives aux infractions prévues dans certaines des lois que vise à modifier le projet de loi C-16.
Si vous me le permettez, je voudrais tout d’abord vous présenter une brève introduction, pour orienter notre discussion. Comme le SPPC est une nouvelle organisation, je me propose de vous présenter le contexte de sa création, son mandat et les services qu’il fournit à l’égard des enquêtes et des poursuites en matière environnementale, et je vous indiquerai ensuite quel sera, à notre avis, l’incidence du projet de loi C-16 sur les activités actuelles du SPPC.
[Français]
Le SPPC a été créé le 12 décembre 2006, lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur le directeur des poursuites pénales, qui constituait la partie 3 de la Loi fédérale sur la responsabilité.
Le SPPC a remplacé la division du ministère de la Justice qui s'occupait, auparavant, des poursuites fédérales. Le directeur du SPPC relève directement du procureur général du Canada. Il est connu sous le titre de directeur des poursuites pénales ou DPP.
Notre loi organique, la Loi sur le directeur des poursuites pénales, prévoit les pouvoirs, fonctions et responsabilités du SPPC. Notre mandat est simple: intenter des poursuites relativement aux infractions criminelles relevant du procureur général du Canada, sans ingérence indue et dans le respect de l'intérêt public.
De plus, la loi exige du SPPC qu'il conseille les organismes chargés de l'application de la loi, comme Environnement Canada et Parcs Canada, à l'égard des enquêtes pouvant mener à des poursuites.
La prestation d'avis juridique au cours d'une enquête criminelle permet de veiller à ce que les techniques et les procédures d'enquête respectent l'évolution des règles de preuve et les droits garantis par la Charte.
[Traduction]
Notre rôle à titre de conseiller juridique auprès des organismes d’enquête est distinct du rôle d’enquête que jouent ces organismes. Le SPPC n’est pas un organisme d’enquête, et nos poursuivants ne sont pas des enquêteurs. Bien que les poursuivants offrent des conseils dans le cadre d’une enquête, ils n’entreprennent pas, ne dirigent pas et ne supervisent pas les enquêtes. Ce ne sont pas les poursuivants qui recueillent des éléments de preuve. C’est là le rôle des agents d’exécution d’Environnement Canada et de Parcs Canada.
Les poursuivants et les agents d’exécution exercent des fonctions séparées et indépendantes au Canada. Ce sont les agents d’exécution qui décident ou non d'enquêter, qui choisissent les personnes visées par leur enquête et les méthodes employées puis, à la fin de l'enquête, qui décident ou non de déposer des accusations. Cette séparation des pouvoirs d'enquête et de poursuite est solidement établie en droit canadien.
Une fois que des accusations sont déposées par l’agent d’exécution, le poursuivant doit décider s'il y a lieu d'engager des poursuites. À cette fin, nous appliquons le critère suivant: le poursuivant examine les éléments de preuve pour déterminer s’il existe une probabilité raisonnable de condamnation. Dans l’affirmative, le poursuivant évalue, compte tenu des faits prouvables et du contexte, si l’intérêt public exige qu’il y ait poursuite. S’il n’en est pas convaincu, il peut procéder à un arrêt des procédures ou à un retrait des accusations.
Dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, nos poursuivants consultent un guide. C’est le Guide du Service fédéral des poursuites, qui peut être consulté par le public sur le site du SPPC.
Dans quatre provinces du Canada, soit le Québec, l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick, il existe un mécanisme d'approbation préalable à l'inculpation pour les affaires environnementales. Dans ces provinces, le poursuivant exerce son pouvoir discrétionnaire d’intenter des poursuites à la conclusion de l'enquête, mais avant le dépôt d'accusations. Nous appliquons dans ces provinces le même critère d’évaluation que nous appliquons dans les provinces non dotées d’un tel mécanisme, sauf que nous devons être convaincus que le critère d’évaluation est respecté avant que la police ou l'organisme d'enquête ne dépose les accusations.
[Français]
J'examinerai maintenant les répercussions du projet de loi sur le fonctionnement du SPPC.
Les nombreuses lois que le projet de loi vise à modifier permettraient au tribunal d'infliger une peine minimale obligatoire aux contrevenants déclarés coupables. Outre les peines minimales obligatoires, la majoration des peines maximales, le doublement du montant des amendes pour les récidivistes, les amendes obligatoires supplémentaires prévues lorsque le contrevenant a retiré des avantages économiques, les amendes cumulatives et les amendes calculées selon les jours de l'infraction, les dispositions de déclaration d'objet, les principes en matière de détermination de la peine et la mention des circonstances aggravantes indiquent clairement aux tribunaux que les infractions de nature environnementale sont très graves.
À notre avis, la majoration des peines, l'élargissement du pouvoir des tribunaux d'infliger des peines innovatrices et le pouvoir du tribunal de révoquer des permis d'exploitation ajouteront à la complexité et à la durée des procédures de détermination de la peine. Cette loi pourrait aussi donner lieu à des contestations de nature constitutionnelle.
[Traduction]
Bref, nous prévoyons qu’il y aura davantage de procès, que les actes de procédure se complexifieront et qu’il y aura beaucoup plus d’enquêtes en raison du nombre et des efforts accrus des agents d’exécution. En ce qui concerne la mise en œuvre du projet de loi C-16, nos procureurs continueront de conseiller les agents d’exécution dans le cadre de leurs enquêtes et indiqueront aux tribunaux quelle était l’intention du législateur lors de l’adoption de la Loi sur le contrôle d’application de lois environnementales. Nos poursuivants défendront de façon ferme mais équitable le prononcé de peines fondées sur des principes, et déterminées en fonction des règles de droit et des éléments de preuve présentés au tribunal.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant le comité. Je serai heureuse de réponse à toute question de votre part.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le président et le greffier du comité d'avoir convoqué les témoins que j'avais demandés. Nous avons devant nous l'éventail complet des responsables de l'exécution de la loi au Canada, et j'en suis très heureuse.
Bienvenue aux travaux de notre comité. Félicitations pour l'excellent travail que vous faites.
Je veux donner suite aux questions posées par mon collègue du Bloc. Tous les ajouts qui ont été faits me laissent un peu perplexe, de même l'exception qui a été glissée dans le projet de loi, de toute évidence, pour contrer le fait qu'il y ait une peine minimale.
Je ne sais pas si le ministère de la Justice peut en parler, ou encore M. Tremblay, ou sinon, Mme Proulx, mais le fait qu'il y ait une peine minimale alors que les possibilités de s'y dérober sont clairement nombreuses me laissent un peu perplexe; je le dis en pensant notamment aux dispositions que mon collègue au comité a soulevées.
L'autre question que j'aurais à poser s'adresserait peut-être au bureau des poursuites ou au chef responsable des enquêtes, ou enfin quiconque porte les accusations. Je me demande si le fait d'intégrer une peine minimale à la loi aurait des conséquences négatives pour les poursuites à engager, particulièrement là où il s'agit d'une infraction continue qui a cours sur plusieurs mois, sinon plusieurs années, dans un cas où même la sanction minimale représenterait de nombreux millions de dollars. Je me demande si, à votre avis, cela entamera la volonté du ministère d'engager des poursuites.
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Je répondrai de manière générale, en faisant allusion à l'ensemble de nos poursuites, étant donné que nous sommes chargés de toute infraction à une loi fédérale. Je demanderai à Erin de parler en particulier des poursuites en matière d'environnement.
Le chapitre 15 de notre guide est intitulé « La décision d'intenter des poursuites ». Il expose deux critères à cet égard, d'abord s'il y a la probabilité raisonnable de condamnation. Dans le contexte, le poursuivant examine la preuve, pèse chacun des éléments constitutifs d'une infraction — quels actes doivent avoir été commis et le niveau d'intention —, examine la preuve existante et recevable dans chacun de ces cas, et détermine si la preuve est suffisante pour que l'on puisse croire raisonnablement qu'il y aurait condamnation. C'est non pas d'une certitude absolue dont il s'agit, mais plutôt d'une probabilité jugée supérieure à 50 p. 100 si vous voulez; c'est une probabilité raisonnable.
Cela fait, le poursuivant cherche alors à déterminer s'il est dans l'intérêt public d'aller de l'avant avec la poursuite et, pour cela, se penche sur plusieurs facteurs dont on s'attend qu'ils concernent l'intérêt public — la nature de l'infraction, le moment où l'infraction a été commise, les circonstances inhérentes à l'auteur de l'infraction, toutes les circonstances entourant l'infraction elle-même — et détermine s'il faut aller de l'avant.
Pour parler des affaires qui nous sont renvoyées en vue d'une poursuite, je ne suis pas aise à l'idée de vous donner un pourcentage ou un chiffre, étant donné que ce sont des cas où le pouvoir discrétionnaire est exercé, sur la ligne de front, tous les jours. Certes, à Ottawa, nous ne sommes pas mis au fait de chacune des causes qu'un poursuivant est appelé à examiner tous les jours, mais je dirais que la poursuite est approuvée dans la plupart des cas qui nous sont renvoyés.
Erin, s'il vous plaît...
:
Merci, monsieur le président.
J'ai exercé dans ce secteur-là, de fait, dans le Nord de l'Alberta, pendant un certain temps. J'ai eu affaire à quelque 16 des 23 cas d'infractions à la Loi sur les espèces sauvages ayant fait l'objet de poursuites en 2001 à Fort McMurray et dans le secteur avoisinant. Je suis donc d'accord avec l'analyse du ministère: si la disposition relative aux difficultés excessives n'y était pas, la Constitution serait probablement invoquée pour faire tomber la disposition prévoyant des amendes minimales. Je crois que c'est absolument nécessaire que cela y figure.
Je m'intéresse à cette partie-ci en particulier. Il semblerait que l'écart par rapport aux lignes directrices ressemble beaucoup à ce qui a été fait dans le cas des lignes directrices sur les pensions alimentaires, qui ont porté fruit. Je sais que ce n'est pas votre expertise, mais les lignes directrices sur les pensions alimentaires, au moment où elles ont été adoptées, c'était en 1999 je crois, se sont révélées tout à fait fructueuses. Les juges ne se sont pas écartés des lignes directrices en question, étant donné qu'ils doivent fournir des motifs par écrit. C'est très semblable dans le cas qui nous occupe ici. Bien entendu, dans la mesure où les motifs écrits ne sont pas suffisants, il peut y avoir un appel.
Il me semble que c'est une simple question de pratique: il est extrêmement peu probable qu'un juge s'écarte des lignes directrices — à moins, bien entendu, d'être en face de circonstances atténuantes extraordinaires qui le justifieraient.
Je m'intéresse au coût des activités des grandes sociétés. La question revient à l'occasion lorsque les navires déversent leurs eaux de ballast dans les Grands Lacs et, de fait, dans nos océans et ailleurs. En termes généraux simplement, pouvez-vous décrire d'un point de vue économique le genre d'affaires où une grande société continuera à acquitter les amendes plutôt que de se conformer à la loi, étant donné qu'il est plus économique pour elle de le faire? Avec ce projet de loi en particulier et les modifications qu'il comporte, à votre avis, est-il possible que les sociétés agissent vraiment ainsi?
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Mesdames et messieurs, j'ai examiné les dispositions relevant de la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages, j'ai examiné les sanctions administratives pécuniaires aussi, et il y a plusieurs points qui me préoccupent, bien au-delà de ce que je pourrais vous décrire en cinq minutes. Peut-être puis-je quand même soulever certains des plus importants.
Les gens se soucient beaucoup de la personne morale à revenus modestes et également des dispositions relatives aux difficultés excessives. En tant qu'ex-procureure et avocate de la défense occasionnelle, j'ai là-dessus un point de vue qui est un peu différent. Le problème d'une détermination distincte de la peine pour les personnes morales à revenus modestes, par rapport aux grandes sociétés, tient à un problème de preuve. Je soupçonne que les hommes en vert ne sont ni vérificateurs ni comptables, et qu'ils éprouveront beaucoup de difficulté à essayer de réunir les éléments de preuve nécessaires pour établir qu'une société est une personne morale à revenus modestes ou à revenus importants. Si, faute de ressources, ils n'y arrivent pas... Pour toute société appartenant à des intérêts privés, il n'y a pas d'information accessible publiquement. Il n'y a pas d'inscriptions auprès des commissions des valeurs mobilières ou quoi que ce soit du genre. Même si c'est une société cotée en bourse, le rapport annuel et les rapports trimestriels donnent les recettes, mais pas les recettes de l'année précédant immédiatement la date de l'infraction, données qu'il faut recueillir selon votre loi.
Si la loi se prêtait à une interprétation différente et qu'on pouvait jeter un coup d'oeil aux recettes figurant dans le rapport annuel pour l'exercice financier précédent de la société en question, ce serait commode. On pourrait alors recueillir cela comme élément de preuve pour la détermination de la peine d'une société ouverte. Si c'est une société fermée, il faut une équipe de vérificateurs pour creuser la question. Et cela vous occasionnera des difficultés, car une fois la condamnation inscrite, le juge dira au procureur: nous allons maintenant procéder à la détermination de la peine; s'agit-il d'une personne morale à revenus modestes? Si le procureur affirme qu'il s'agit d'une personne morale à revenus modestes, mais l'inverse vaudrait aussi, le juge lui demandera quelle preuve il fait valoir pour l'affirmer. Et si la preuve en question n'est pas déposée devant le tribunal, la défense s'empressera de dire: « vous ne pouvez aller de l'avant et déterminer la peine. Merci, votre honneur et merci madame la procureure. Nous nous verrons en temps et lieu. » Si la situation n'est pas corrigée avant que le projet de loi ne soit achevé, ce sera extrêmement gênant.
Il y a aussi un problème en ce qui concerne la question des difficultés financières. Si vous ne financez pas le travail d'une équipe de vérificateurs, votre procureur se fera jeter des bâtons dans les roues. Chaque société parviendra à déléguer un représentant qui paraît bien et qui parle bien, et qui affirmera que cela causera de terribles difficultés financières à l'entreprise. Et comme il n'y a pas de dispositions pour contraindre la société à signaler d'avance son intention de recourir à cet article-là ni encore à communiquer ses données d'avance pour donner une possibilité d'enquêter, votre procureur se fera piéger, honteux. Et vous pourrez lire ce qui s'est passé dans le journal.
Quoi qu'il en soit, c'est ce que je voulais dire à propos de ces articles-là.
J'aimerais vous parler aussi de certaines des autres dispositions relatives à la détermination de la peine. De manière générale, vous essayez vraiment de microgérer le processus de détermination de la peine. Je ne saurais dire que c'est très respectueux à l'endroit des juges, mais voilà ce qu'il en est. Selon le paragraphe 291(2) qui est proposé, le tribunal peut ordonner à l'auteur de l'infraction de publier les détails de l'infraction et, s'il s'y refuse, le ministre peut procéder à la publication et recouvrer les coûts. Cela ne se fera pas. Les gens ne vont pas donner suite à cela. Cette supposition n'est simplement pas pratique.
L'article 287.1 qui est proposé énumère toute une série de facteurs que le tribunal a l'obligation, plutôt que la capacité, d'envisager. De ce fait, le procureur a à supporter une très lourde charge de présentation. Le tribunal doit envisager ces facteurs — il est légalement contraint de le faire — et, de ce fait, le procureur devra produire des éléments de preuve en rapport avec chacun des critères en question. S'il n'y a pas d'éléments en rapport avec le critère, le tribunal ne peut juger, il ne peut exercer son obligation de par la loi. Pour cette raison-là, je n'aime pas le libellé du projet de loi.
Je constate que vous précisez que les responsables de l'exécution de la loi n'encourent aucune responsabilité personnelle, ce qui est une très bonne idée. Je vois dans les notes que cela est censé concerner les actes relevant de leur autorité. Par contre, nulle part ne dit-on que l'immunité se limite aux actes relevant de leur autorité, ce qu'il faudrait corriger.
Je vois aussi qu'il est question d'une défense invoquant les mesures prises à titre de précaution. On dit ici qu'une telle défense est possible à l'encontre des dispositions d'application de la loi, mais il n'est pas question des autres grandes défenses en common law du point de vue des affaires réglementaires, soit l'erreur raisonnable de fait et l'erreur imputable à l'autorité compétente. L'intention du législateur n'est pas très claire ici. Faut-il en déduire que ces défenses-là ne pourraient être invoquées? Il faut corriger cette situation.
Le projet de loi comporte quelques dispositions très inquiétantes en matière de sanctions administratives pécuniaires. Dans le premier cas, les défenses fondées sur la prise de mesures de précaution et l'erreur raisonnable de fait sont exclues. L'erreur imputable à l'autorité compétente ne l'est pas. Il n'y a pas de principes invoqués pour justifier cela. Vous créez ainsi une responsabilité absolue. C'est peut-être anticonstitutionnel. Je devrais vous dire que, en Ontario, la loi dont il est question existe depuis 1998. Elle a été adoptée dans la foulée de la révolution du bon sens, mais il n'y a jamais eu de réglementation pour l'appliquer. De 1998 à 2005, rien n'a été fait. En 2005, les dispositions ont été abrogées et remises en vigueur, mais elles n'ont toujours pas servi. Il existe peut-être une façon de s'assurer que ces dispositions-là serviront. Par exemple, on pourrait exiger la présentation d'un rapport annuel à l'assemblée législative, qui saurait ainsi si les dirigeants tirent vraiment parti des dispositions législatives en question.
L'article 9 proposé comporte aussi quelques dispositions inquiétantes. Le capitaine d'un bâtiment et le commandant de bord d'un aéronef sont responsables d'une infraction commise par un membre de l'équipage ou d'une autre personne se trouvant à bord du bâtiment ou de l'aéronef. Si le bâtiment ou l'aéronef est détourné par des terroristes, qui tuent des gens, l'infraction est imputée au commandant de bord. Cela n'a aucun sens. Il y a également une disposition inquiétante à l'article 16 qui est proposée en rapport avec les sanctions administratives pécuniaires. Tant que le réviseur-chef n'est pas saisi d'une demande de révision, il peut annuler le procès-verbal à tout moment. C'est une démarche qui n'est pas transparente; à un moment donné, on se demandera pourquoi la chose a été supprimée. Il y aura une fuite d'information. Il faut corriger cette situation. Les procès-verbaux doivent être affichés sur un registre public quelconque et, s'il y a annulation, il faut l'indiquer dans le registre public en donnant les motifs. Cette démarche-là doit être transparente.
Mes cinq minutes sont écoulées. Je m'arrêterai là.
Merci, madame McCaffrey, d'avoir examiné bénévolement le projet de loi à notre intention. Cela a été très utile et ce sera très utile au moment de l'étude article par article.
Essentiellement, je vais simplement faire en sorte que vous puissiez continuer à parler. C'est que vous avez visiblement réalisé un examen utile du projet de loi, et le temps alloué aux témoins durant nos audiences fait cruellement défaut. Je vous poserais tout de même une question particulière.
Je crois savoir que, en droit de l'environnement, au fil des poursuites qui se sont accumulées avec le temps, le facteur le plus utile pour déterminer la peine — et, de fait, ce sont les pouvoirs les plus utiles au tribunal — c'est non pas les amendes imposées, mais plutôt les dispositions relatives aux approches novatrices de détermination de la peine. Je me demande simplement ce que vous en pensez. Les modifications du projet de loi semblent viser à instaurer des peines plus sévères, des peines minimales plus sévères, alors que, essentiellement, d'après l'expérience vécue devant les tribunaux, les procureurs cherchent à appliquer une approche novatrice aux peines.
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Les poursuites privées sont essentielles. Par exemple, Ecojustice — qui compte deux avocats pour toute la province de l'Alberta et 12 pour l'ensemble du Canada — a été en mesure de poursuivre Suncor pour l'histoire des canards morts. Malgré les ressources massives à leur disposition, le Canada et l'Alberta ont mis des mois et des mois à décider qu'ils voulaient le faire eux-mêmes.
L'ennui, c'est qu'Ecojustice est la seule ONG qui engage des poursuites, qui poursuit le gouvernement, qui poursuit les pollueurs. Nous formons le seul groupe plaidant parmi les ONG. Tous les autres s'attachent à une réforme du droit. Comme je le dis, nous sommes 12 avocats pour tout le Canada. Nous pourrions être plus nombreux, nous le serions, de fait, si nous pouvions poursuivre et obtenir l'amende en tout ou en partie. Ce projet de loi nous permettra de le faire. Le tribunal a vraiment le droit de recommander de verser un paiement au procureur. Le tribunal devrait avoir le droit de décider que l'amende sera versée à un poursuivant privé plutôt qu'au fonds pour dommages à l'environnement, qui est tout théorique. Il n'existe pas sauf comme inscription comptable. L'argent n'est pas là. Si cela pouvait se faire, nous aurions de l'argent pour financer une autre poursuite. Les poursuites sont coûteuses. Il faut prélever les échantillons, il faut les faire analyser, les seules factures d'analyse peuvent se chiffrer dans les milliers de dollars. Pour les poursuites, le gouvernement a besoin de tous les appuis qu'il parvient à obtenir.
Cependant, il y a un problème terrible, que ce projet de loi pourrait régler. Le problème, c'est le pouvoir qu'ont tous les procureurs généraux du Canada de suspendre les poursuites. En Ontario, là où il y a des poursuites privées, le procureur général se penche sur une poursuite donnée. Parfois, il la prend en charge et la mène à terme; d'autres fois, il la laisse simplement continuer, étant convaincu qu'elle est convenable.
En Colombie-Britannique, la façon de procéder du procureur général est quasiment scandaleuse. En 1997, la cour d'appel de la province a rendu une décision. Le précurseur d'Ecojustice, le Sierra Legal Defence Fund, avait poursuivi la ville de Vancouver parce qu'elle déversait des eaux d'égout non traitées dans l'océan. Le tribunal a dit: « Mon Dieu, vous avez déjà poursuivi la ville cinq fois. Or, elle fait encore cela. Chaque fois, le procureur général a suspendu la poursuite, et maintenant vous dites que nous ne devrions pas permettre qu'elle soit suspendue encore. Désolé, mais nous ne pouvons nous immiscer là-dedans, en tant que tribunaux, et appliquer ainsi le pouvoir discrétionnaire qui est le nôtre à moins de disposer d'une preuve fragrante de corruption ou d'irrégularité. »
Eh bien, revenons rapidement à 2007. Ecojustice a déposé des accusations sous le régime de la Loi sur les pêches, je crois, parce que la ville de Vancouver déversait encore des eaux d'égout non traitées dans l'océan. Et devinez ce que le procureur général de la Colombie-Britannique a fait? Il a suspendu la procédure.
Entre 1997 et 2007, on a intégré à la Loi sur les pêches des dispositions qui font qu'un poursuivant privé ne peut plus simplement déposer une accusation. Il faut qu'il y ait d'abord une audience sur la preuve, où le défendeur et le procureur général sont représentés, et le poursuivant privé doit alors convaincre un juge de paix que sa poursuite est dans les règles et qu'elle peut aller de l'avant, que la preuve est solide, que les fondements juridiques de son action sont solides. Il y a dans cette loi-là une procédure pour s'assurer qu'il n'y ait pas de poursuite « sauvage ». Néanmoins, la poursuite a été suspendue.
Il faut une loi pour empêcher cela. Je crois que cette loi-là peut être adoptée. Je ne travaille pas au bureau du conseil législatif, mais l'activité « sauvage » se situe entièrement du côté des procureurs généraux. Ce qu'il faut faire, c'est limiter le pouvoir discrétionnaire absolu et nullement encadré dont disposent les procureurs généraux quand il s'agit de suspendre les poursuites. Les principes qui devraient vous guider sont simples: dans la mesure où le procureur général souhaite suspendre une poursuite, il peut le faire, mais il doit en exposer les motifs et il doit montrer en quoi ces motifs sont dans l'intérêt public.
Madame McCaffrey, merci beaucoup de votre apport à la discussion d'aujourd'hui. Il y a une partie de ce que vous avez dit que je juge utile. Il y a une partie de ce que vous avez dit qui invite à réfléchir, si vous me permettez de m'exprimer ainsi.
Quant au dernier point que vous avez soulevé, même si ma connaissance du français n'est pas si grande, je soupçonne que les questions que vous avez soulevées se rapportent à la traduction; je suis sûr que quelqu'un cherchera à y voir clair, et j'apprécie que vous ayez porté ces questions à notre attention.
La plus grande difficulté que me posent vos idées, c'est que, dans le cas où un navire est détourné, le capitaine est responsable des meurtres commis par les pirates. Ma mémoire est-elle bonne si je dis que vous avez travaillé pendant quelque 15 ans comme procureure, d'abord, dans la province de l'Ontario?
Mme Linda McCaffrey: Oui.
M. Stephen Woodworth: J'ai donc de la difficulté à croire qu'une personne de votre expérience affirmerait que, selon une loi, quelqu'un serait responsable d'un acte involontaire. Je songe au propriétaire ou au capitaine d'un bateau qui se retrouve pieds et poings liés dans le coin, alors que d'autres personnes autour font du grabuge...
Mme Linda McCaffrey: C'est bien ce qui est dit.
M. Stephen Woodworth: ... et je suis étonné de constater que, selon vous, une loi pénale ou quasi pénale peut entraîner une responsabilité criminelle ou quasi criminelle là où il s'agit, essentiellement, d'actes involontaires. Est-ce vraiment ce que vous nous dites?