:
Bonjour. Merci de l'invitation.
Mon nom est Isabelle Roy. Je suis conseillère juridique à l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et je suis assistée aujourd'hui de mon collègue, le conseiller général aux affaires juridiques de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, M. Geoffrey Grenville-Wood.
Je vais faire la présentation, et mon collègue pourra participer en répondant à certaines questions s'il y a lieu, au cours de la période des questions.
[Traduction]
J'aimerais également vous indiquer que nous avons rédigé un sommaire de notre exposé, mais nous prévoyons envoyer un mémoire complet au comité un peu plus tard cette semaine. Nous n'avons pas eu le temps de le faire traduire.
[Français]
L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada représente environ 57 000 membres professionnels du secteur public un peu partout au pays, dont la vaste majorité oeuvre au sein de la fonction publique fédérale. Nos membres travaillent dans les ministères, les agences, les sociétés d'État, les musées, les archives, les laboratoires, les stations de recherche sur le terrain.
Ces derniers sont directement touchés, et on pourrait même dire visés, par la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. À notre avis, cette loi constitue une attaque injustifiée et non nécessaire contre les droits des syndicats qui représentent les employés et ces employés. Ce sont des droits qui sont contenus dans la Charte.
Aujourd'hui, nous allons vous présenter une analyse et nos critiques concernant cette mesure législative.
[Traduction]
Notre institut a témoigné en février dernier devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. L'institut a exposé sa position à ce moment-là, à savoir que le projet de loi en matière d'équité salariale, qui constituait la partie 11 du projet de loi C-10, la Loi d'exécution du budget, comportait trop de lacunes et ne devait pas être adopté uniquement en raison de son inclusion dans un projet de loi de nature complètement différente et de portée plus grande.
À l'époque, nous avons recommandé au gouvernement de rédiger un projet de loi distinct en matière d'équité salariale afin que l'on puisse débattre la question de façon réfléchie et posée, comme il se doit. Le gouvernement, en adoptant la Loi d'exécution du budget sans amender la partie 11, a montré qu'il ne s'intéresse aucunement à améliorer le régime d'équité salariale du secteur public fédéral.
[Français]
En avril 2009, l'Institut a dû déposer un avis de requête devant la Cour supérieure de l'Ontario demandant une déclaration, à savoir que la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public ainsi que la Loi sur le contrôle des dépenses sont inconstitutionnelles et devraient donc être invalidées par la Cour.
Cette présentation, aujourd'hui, et le mémoire écrit qui suivra sont faits sous réserve de tous droits ou toutes positions qui ont ou qui pourraient être revendiqués dans le contexte de ce recours constitutionnel.
Le préambule de cette loi affirme que les femmes devraient recevoir un salaire égal pour l'exécution d'un travail d'égale valeur. Voilà une promesse vide de sens et cynique, car les dispositions de la loi sont destinées à s'assurer qu'il n'existe aucun moyen possible ni pratique d'atteindre cet objectif.
[Traduction]
La Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public viole le paragraphe 15(1) de la Charte, car elle mine considérablement le principe du droit à l'équité salariale, les structures par lesquelles l'équité salariale est mise en oeuvre et appliquée, ainsi que les recours offerts aux fonctionnaires pour parer à toute discrimination salariale fondée sur le sexe. De telles mesures justifient et perpétuent la discrimination salariale fondée sur le sexe, violant ainsi le paragraphe 15(1) de la Charte.
Au cours du siècle dernier, le droit à un salaire égal a été entériné par une vaste gamme de textes internationaux exécutoires dont le Canada est signataire. Ces textes ont imposé des directives de plus en plus précises quant aux mesures à prendre par les États signataires, dont le Canada, afin de réaliser l'équité salariale. Leurs libellés musclés exigent notamment que les gouvernements et les employeurs assurent l'égalité dans la pratique et produisent des rapports réguliers pour s'assurer du respect des exigences.
[Français]
Les engagements du Canada sur le plan international constituent une facteur pertinent et convaincant lorsque l'on interprète la Charte. Leur contenu est un indice important de la pleine portée de la protection conférée par la Charte.
[Traduction]
La loi affaiblit fondamentalement le droit des fonctionnaires féminines d'être à l'abri de la discrimination salariale fondée sur le sexe. La loi redéfinit entre autres des concepts clés de l'équité salariale et les soustrait aux droits de la personne quasi constitutionnels assurés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public redéfinit les critères qui serviront à l'évaluation du travail effectué. Elle limite le nombre d'employés qui bénéficieront d'une protection en vertu de la loi et restreint également les facteurs de comparaison qui serviront à l'évaluation.
À notre avis, toutes ces mesures visent à limiter le nombre de femmes en droit de recevoir des redressements en vertu de l'équité salariale ainsi que les montants auxquels aura droit le groupe restreint de femmes.
En plus de saper le droit fondamental à l'équité salariale, la loi en question modifie fondamentalement les modalités de mise en oeuvre et d'application de l'équité salariale.
[Français]
La loi élimine, pour les femmes du secteur public, toute possibilité d'exercer un recours pour obtenir des protections quasi constitutionnelles contre la discrimination fondée sur le sexe en matière d'équité salariale. Elle impose plutôt un régime de protection inadéquate à cet égard.
[Traduction]
Outre ces changements de taille, la loi prévoit des processus foncièrement bancals qui limiteront la protection en matière d'équité salariale dont bénéficieront probablement les fonctionnaires, ce qui permettra à la discrimination salariale fondée sur le sexe de se perpétuer au sein de la fonction publique fédérale.
Parmi ces processus bancals prévus par la loi, mentionnons que la loi ne prévoit aucune obligation proactive de la part des employeurs à revoir leurs pratiques salariales et à relever toute discrimination salariale. De plus, la loi ne prévoit aucune exigence pour ce qui est de la comparaison du travail à prédominance féminine à celui à prédominance masculine et des redressements nécessaires afin qu'un travail comparable, évalué à partir des compétences, de l'effort, des responsabilités et des conditions de travail, soit rémunéré de la même façon. C'est la base fondamentale de l'équité salariale. De telles comparaisons sont exigées actuellement par la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La loi n'impose aucune obligation aux employeurs de fournir aux syndicats ou aux employés tous les renseignements nécessaires pour faire respecter le droit à l'équité salariale, notamment les renseignements concernant le salaire et les compétences, l'effort, les responsabilités et les conditions de travail des postes dominés par les hommes et de ceux occupés majoritairement par les femmes.
La loi ne prévoit aucune évaluation conjointe de la rémunération par les parties concernées, comme le fait la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La loi ne prévoit aucun mécanisme de résolution des différends en matière de droits de la personne à l'intention des syndicats et des employés, afin de leur permettre de résoudre les différends concernant l'équité salariale. Si les parties concernées ne peuvent s'entendre sur un régime de rémunération équitable, le syndicat a comme seuls recours l'arbitrage ou la grève afin de faire respecter l'obligation de l'employeur en matière d'équité salariale.
[Français]
De plus, la loi élimine le droit des employés et de leur syndicat de déposer une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, en vertu de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet article pouvait entraîner une enquête par la commission et, le cas échéant, une audience devant le Tribunal canadien des droits de la personne, un tribunal spécialisé, faut-il le rajouter.
Les employés qui souhaitent contester la discrimination salariale doivent maintenant déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada, un tribunal sans expertise dans le domaine hautement spécialisé de l'équité salariale. De fait, ce tribunal ne peut considérer des questions de droits de la personne que depuis quelques années. Qui plus est, une employée qui souhaite déposer une plainte liée à l'équité salariale, ce qui est très complexe, coûteux et étroitement lié aux groupes de négociation en général, doit maintenant procéder sans l'appui de son syndicat et sans l'appui d'une commission spécialisée, comme c'était le cas pour la Commission canadienne des droits de la personne.
[Traduction]
Finalement, la loi en question interdit aux syndicats d'aider leurs membres dans la préparation et le dépôt des plaintes en matière d'équité salariale. Cette interdiction, qui est accompagnée dans la loi par des sanctions pénales, viole clairement à la fois la liberté d'expression et la liberté d'association protégées en vertu de la Charte.
Je vais maintenant vous parler rapidement des restrictions quant aux recours qui sont prévus par la loi.
Je m'appelle Patty Ducharme. Je suis vice-présidente exécutive nationale de l'Alliance de la fonction publique du Canada. Au nom de nos 166 000 membres, j'aimerais remercier le Comité permanent de la condition féminine de nous avoir donné cette occasion de vous faire part de nos observations quant à la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public.
Je suis accompagnée aujourd'hui de ma collègue, Mme Andrée Côté, qui travaille à l'alliance, ainsi que de nombreux membres et dirigeants syndicaux qui assistent aux délibérations.
[Français]
Je vous prie de noter que je vais faire ma présentation en anglais, mais cela me fera plaisir de répondre à vos questions en français.
[Traduction]
Nous avons été indignés de voir le gouvernement conservateur agir de façon anti-démocratique en instaurant son plan visant à retirer aux travailleurs du secteur public leur droit à l'équité salariale. La loi en question faisait partie du projet de loi C-10, la Loi d'exécution du budget. Le gouvernement a reconnu n'avoir réalisé aucune évaluation des économies qu'entraînerait le projet de loi.
L'équité salariale relève des droits de la personne et n'aurait jamais dû faire partie d'une loi d'exécution du budget. Le gouvernement fédéral a inclus dans cette loi des dispositions qui transformeront radicalement l'équité salariale au sein de la fonction publique fédérale. Les membres de l'alliance, dont 62 p. 100 sont des femmes, seront durement touchés par cette nouvelle loi.
Essentiellement, cette loi agit sur quatre plans. Tout d'abord, elle limitera la teneur et l'application de l'équité salariale dans le secteur public. Il sera plus difficile de revendiquer l'équité salariale, car la loi redéfinit la notion de groupes d'emploi à prédominance féminine. Ces groupes doivent dorénavant être composés d'au moins 70 p. 100 de femmes. La loi redéfinit aussi les critères utilisés pour déterminer si des emplois sont de valeur égale, en faisant référence aux conditions du marché.
Deuxièmement, la loi permet l'inclusion de l'équité salariale aux négociations. La loi fait de l'équité salariale une question de rémunération équitable qui doit être abordée à la table de négociation. Or, l'équité salariale est un droit fondamental de la personne qui ne devrait pas servir de monnaie d'échange à une table de négociation. Même dans le cadre de négociations, le processus prévu par la loi est boiteux. Les employeurs sont nullement tenus d'examiner proactivement leurs pratiques salariales et de fournir aux syndicats les renseignements pertinents. La loi ne prévoit aucune obligation quant aux évaluations conjointes de l'équité salariale, et les nouveaux termes contenus dans la loi ne sont pas définis clairement. La loi précise même qu'il est possible de retarder la rémunération équitable des employées pendant des périodes indéterminées.
Troisièmement, la loi oblige les femmes à déposer leurs plaintes à titre individuel, sans l'appui de leur syndicat. En vertu de la loi, si les négociations n'aboutissent pas à l'équité salariale, comme l'a déjà indiqué Mme Roy, les employées individuelles ne seront pas représentées par leur syndicat. Elles pourront uniquement déposer une plainte auprès de la Commission des relations de travail de la fonction publique. De plus, la loi inflige une amende de 50 000 $ à tout syndicat qui encourage ou aide ses membres à déposer une plainte relative à l'équité salariale.
Finalement, la loi interdit tout recours à la Commission canadienne des droits de la personne en cas de violation du droit des fonctionnaires à l'équité salariale. La nouvelle loi retire aux fonctionnaires le droit d'invoquer les articles 7, 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et les empêche de déposer des plaintes concernant la discrimination salariale auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Les fonctionnaires sont tout particulièrement visés, puisque les autres travailleurs visés par la réglementation fédérale ne sont pas concernés par ces dispositions.
Plutôt que d'aller de l'avant et de garantir la réalisation progressive du droit de toutes les femmes à l'équité salariale, comme l'exigent les lois canadiennes ainsi que les textes internationaux en matière de droits de la personne, tels que la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la convention 100 de l'Organisation internationale du Travail, le gouvernement fédéral a adopté une loi rétrograde qui mine considérablement les droits de la personne des femmes.
L'alliance est d'avis que la loi viole plusieurs droits constitutionnels fondamentaux des femmes qui travaillent dans le secteur public.
Tout d'abord, il y a violation du droit des femmes à l'égalité. La loi instaure un nouveau mécanisme pour la rémunération équitable au sein du secteur public qui, en fait, limitera la capacité des femmes de revendiquer et d'obtenir l'équité salariale. À titre d'exemple, les nouveaux critères fondés sur les conditions du marché pour évaluer le travail de valeur égale minent la capacité des femmes de bénéficier de l'équité salariale, car les conditions du marché ont toujours sous-évalué le travail des femmes.
Le nouveau mécanisme pour la rémunération équitable exclura certains travailleurs, puisque les travailleurs qui appartiennent à un groupe professionnel constitué de 55 à 69 p. 100 de femmes ne sont plus considérés comme membres d'un groupe à prédominance féminine. Ces femmes se verront refuser le droit d'intenter toute démarche pour lutter contre la discrimination salariale.
La loi, qui exige que les syndicats et les employeurs traitent la question d'équité salariale à la table de négociation, mine le principe bien établi que les droits de la personne ne peuvent être échangés contre d'autres conditions d'emploi ou encore éliminés par une convention. La loi vide de tout son sens le droit à l'équité salariale. L'amoindrissement de l'équité salariale prévue par la loi constitue une violation du droit à l'égalité des employées prévu par l'article 15 de la Charte.
Deuxièmement, il y a violation de la liberté d'expression et de la liberté d'association. L'interdiction de tout encouragement ou aide de la part des syndicats dans le dépôt d'une plainte concernant l'équité salariale constitue une violation de la liberté d'association protégée par l'article 2 de la Charte. Cette interdiction retire entièrement aux syndicats et à leurs membres la possibilité d'agir collectivement et elle viole le droit des travailleurs d'être représentés par leur syndicat sur des questions importantes qui concernent leurs conditions de travail. Elle empêche les syndicats de s'accomplir de leur devoir le plus élémentaire, c'est-à-dire représenter leurs membres sur des questions qui touchent à leurs conditions de travail, comme la discrimination salariale.
L'interdiction empêche également les syndicats d'exprimer leur avis ou encore de conseiller les travailleurs de peur d'aider ou d'encourager ces derniers à déposer des plaintes concernant l'équité salariale. Cela mine le droit constitutionnel des syndicats d'exprimer des avis et de fournir des conseils à leurs membres sur des questions qui touchent aux droits des travailleurs.
L'alliance affirme que la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public et la Loi sur le contrôle des dépenses briment les droits constitutionnels des employées de façon injustifiée dans une société libre et démocratique. Nous aussi avons intenté une procédure pour contester cette loi injuste et discriminatoire devant les tribunaux.
Nous avons également informé la Commission de la condition de la femme de notre intention de déposer une plainte à l'intention du gouvernement fédéral. Vous trouverez dans le mémoire une copie de l'avis urgent d'une communication future. Vous remarquerez que l'alliance bénéficie du soutien de 40 grands syndicats, groupes féministes et groupes de défense des droits de la personne du Canada et du Québec. Sachez également qu'une centaine de juristes et d'universitaires connus ont également exprimé leur opposition à cette loi dans une lettre envoyée directement au premier ministre.
Pour terminer, l'alliance demande au comité de réaffirmer son engagement envers une loi fédérale proactive en matière d'équité salariale, comme elle l'a fait plusieurs fois dans le passé. Nous vous invitons à réprouver la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public ainsi que ses dispositions discriminatoires à l'égard des femmes travaillant dans le secteur public fédéral. Nous recommandons au Comité permanent de la condition féminine d'exiger l'abrogation de cette loi et son remplacement par une loi fédérale proactive en matière d'équité salariale, comme l'a fait le groupe de travail sur l'équité salariale dans son rapport, intitulé L'équité salariale: Une nouvelle approche à un droit fondamental. Ce serait un premier pas vers une loi proactive en matière d'équité salariale qui aiderait réellement les employées.
Sur ce, je tiens à vous remercier. Je répondrai à vos questions avec plaisir.