Madame la présidente et membres du comité, c'est un honneur d'être invité à contribuer à vos délibérations à titre personnel.
Au début, quelques remarques au sujet de mes antécédents professionnels semblent utiles. Au milieu des années 1990, le Canada est devenu un chef de file international pour ce qui est de l'intégration des dimensions du travail non rémunéré dans la mesure de l'égalité des sexes. Moi, j'ai été le contributeur principal comme statisticien dans ce développement. Ma contribution était basée sur un réseau de concepts et de données appelé « le système de comptabilité du travail total », qui tire parti des données concernant l'utilisation du temps.
Plus tard, après que trois questions concernant le travail non rémunéré ont été incluses dans le recensement, je fus le coauteur d'un petit livre intitulé Étude d'évaluation des données du recensement de 1996 relatives au travail non rémunéré. Condition féminine Canada a publié le livre.
Enfin, il vaut la peine de noter que j'ai siégé brièvement comme président de la Société canadienne de la population et aussi comme membre du conseil d'administration de la Population Association of America. Ce sont des associations de spécialistes des sciences sociales se spécialisant dans la démographie et les aspects connexes du développement et de l'analyse des données de façon impartiale.
Vous avez déjà entendu d'excellents témoignages, et vos membres ont soulevé des questions intéressantes. Vos anciennes audiences font partie du contexte de ce que je vais dire.
En essayant de fournir une contribution utile à vos délibérations, j'ai gardé deux questions générales à l'esprit. D'abord, dans quelle mesure la variation de design pour la collecte de données dans le recensement met en danger la qualité et/ou la quantité d'appui fourni par les données statistiques et l'analyse des données pour les programmes et politiques portant sur l'égalité des sexes? Deuxièmement, quelles sont les conséquences de n'avoir aucune question sur le travail non rémunéré dans la nouvelle enquête nationale?
Comme vous le savez tous, ces questions conduisent à des discussions complexes. Il y a consensus sur certains points de connaissance, et il y a aussi beaucoup de spéculation autour d'autres questions, car les informations nécessaires pour résoudre ces questions arriveront à l'avenir. J'espère que ce que je dirai sera une petite contribution aux points de connaissance généralement acceptés, et aux spéculations qui sont fructueuses dans un contexte de discussion scientifique.
En ce qui concerne l'impact du changement du modèle de l'enquête sur les questions approuvées du recensement ou de l'Enquête nationale auprès des ménages, il semble y avoir un consensus sur deux constatations très importantes.
D'abord, il y aura presque certainement un impact, et cela pour les raisons déjà expliquées au comité par des experts en évaluation de la qualité des données qui sortent d'un recensement.
Deuxièmement, nous n'avons pas une bonne idée en ce moment de l'ampleur de l'impact. Sur ce point, il convient de se pencher précisément sur les variables spécifiques, dans le recensement ou l'Enquête nationale auprès des ménages, qui sont particulièrement importantes pour l'évaluation de l'égalité des sexes.
Les variables du recensement qui ont été utilisées à maintes reprises dans les indicateurs de l'égalité des sexes englobent le revenu, l'éducation, la population active, la catégorie de travailleur et la profession. Afin d'interpréter les variations desdits indicateurs basés sur ces variables, il est essentiel, au sein de notre contexte national, de prendre en compte des variables du recensement supplémentaires y compris la langue, diverses dimensions d'origine ethnique, le lieu de naissance, les différents aspects de la famille et du ménage, et l'âge.
Lorsque j'étais un étudiant diplômé à l'Université de Pennsylvanie, qui à l'époque avait l'un des principaux centres d'études démographiques, et plus tard, lorsque j'étais professeur au Population Studies Center à l'University of Michigan, on discutait beaucoup des données du recensement. Il était entendu que sur certaines variables du recensement, les données pouvaient être considérées comme très précises, sur d'autres les données étaient manifestement faibles et sur d'autres encore on se retrouvait entre les deux. En 2011, ce type de connaissance doit être bien meilleur qu'il ne l'était lorsque j'étais étudiant.
Nous avons donc de bonnes bases pour être sensibles aux variables sur lesquelles nous devrions nous pencher pour chercher des modèles de données atypiques en mesurant les variations au fil du temps entre anciens recensements et celui de 2011.
Malheureusement, cette connaissance ne nous mènera pas très loin; parce que, comme vous l'avez déjà entendu dire par des experts sur la qualité des données, si nous étions en présence de modèles de données atypiques, sans accès à des sources indépendantes de l'information, nous ne serions probablement pas en mesure d'évaluer la mesure dans laquelle ces modèles sont touchés par les changements dans le design pour la collecte des données. Par conséquent, les dirigeants dans tout secteur avec des projets fondés sur des données qui sont considérées comme fiables, et qui apprennent que les données disponibles comportent des tendances d'une validité hautement douteuse, auront la nécessité de trouver de nouvelles ressources financières et professionnelles dans la recherche des données indépendantes. Je parle de nouvelles ressources qui auraient besoin d'être introduites après que les données ont été livrées à ces leaders par Statistique Canada.
L'exploitation des ressources professionnelles et financières nécessaires pour fournir les données indépendantes pourrait être un important nouveau projet essentiel, au détriment d'autres utilisations de ces mêmes ressources. Le projet pourrait être tellement important qu'un consortium de commanditaires sera nécessaire pour commencer le projet.
Je tiens à souligner que ce que je viens de dire ne traite que le contexte où un utilisateur important apprend que les tendances dans les données disponibles ont un niveau de fiabilité hautement douteux. Il y a un fort consensus que, pour beaucoup d'utilisations, les modèles de données atypiques ne seront pas trouvés. Seul l'avenir dira la fréquence relative des bonnes ou mauvaises situations concernant les modèles de données.
À cet égard, il faut noter que de nombreux utilisateurs troublés par ce qui apparaît comme de graves défauts dans les données qui leur sont livrées dépendront de Statistique Canada pour de l'aide. Les experts en analyse des données spécialisés dans le domaine, comme celui du revenu, sont les principales ressources que Statistique Canada emploiera afin de fournir cette aide. Est-ce que dans le futur Statistique Canada aura un approvisionnement adéquat de telles ressources, afin de répondre aux utilisateurs qui auront besoin d'aide?
Quelles sont les conséquences d'une nouvelle Enquête auprès des ménages où les questions sur le travail non rémunéré sont absentes? Je tiens à suggérer trois remarques pertinentes au débat sur cette question.
Je vous prie d'étudier les conclusions centrales du livre que j'ai cité plus haut. Vous y apprendrez que, lorsque des questions au sujet du travail non rémunéré ont été insérées dans le recensement, les auteurs n'ont pas pensé qu'il soit souhaitable d'essayer d'estimer le volume total du travail non rémunéré utilisant les questions du recensement, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, des éléments importants du travail non rémunéré n'étaient pas couverts (p. ex., le volontariat pour les organisations, et le travail non rémunéré dans une entreprise familiale). Deuxièmement, le genre de questions utilisées dans le recensement risque le double comptage de temps entre au moins deux des activités citées à la question 33. Ces activités doivent donc être traitées séparément lorsqu'on utilise les données du recensement.
Lorsqu'on a fait figurer ces questions dans le recensement, l'idée était que les communautés qui s'occupaient des services reliés à la garde des enfants et le soin pour les personnes âgées pourraient se tourner vers Statistique Canada pour obtenir de l'aide concernant les données de base. Quand je parle de ces communautés je voudrais que vous pensiez aux leaders comme le maire de Kamloops, en Colombie-Britannique. Ainsi, comme M. Fellegi l'a déjà signalé, le rôle du recensement dans ces domaines était de fournir des données complémentaires. Et je répète que l'accent a été mis sur des services spécifiques — tels que la garde des enfants et les soins aux aînés, et non de mesurer le volume global de travail non rémunéré par le biais du recensement.
Le deuxième point que j'aimerais soulever au sujet du débat concernant les données sur le travail non rémunéré est le suivant: lorsque les données provenant de l'enquête sur l'utilisation du temps comptent seulement l'activité principale entreprise à un moment donné par un répondant, la question du recensement sur la garde des enfants fournit de meilleures données concernant le montant de temps passé pour la garde des enfants. Vous trouverez les renseignements correspondants dans le livre que j'ai cité plus haut. Toutefois, en écoutant les transcriptions des auditions de la séance du 16, j'ai appris que, dans la nouvelle enquête sur l'utilisation du temps, des dispositions sont prises pour mieux enregistrer des activités dans les situations où le répondant fait deux choses différentes dans le même créneau horaire. Ce sera une amélioration importante de la qualité des données.
Mon dernier point dans le contexte du débat concernant le travail non rémunéré est de vous inciter à réfléchir à un processus visant à régler la question en pensant seulement aux besoins des ministères du gouvernement fédéral et à ce que Statistique Canada peut ou ne peut pas faire pour satisfaire ces besoins particuliers.
Traditionnellement, les travaux de Statistique Canada devraient être sensibles à au moins trois classes d'utilisateurs: premièrement, le concepteur d'un projet de commercialisation ou d'un programme d'innovation dans le secteur des entreprises; deuxièmement, le leader dans une organisation sans but lucratif qui veut développer un programme d'assistance aux segments clés de la population; troisièmement, un analyste de la politique gouvernementale, aux trois niveaux de gouvernement, ayant besoin d'affiner l'impact d'une politique ou d'un programme dans les situations spéciales de certains sous-groupes d'hommes et de femmes dans notre société.
La sensibilité à la grande diversité des besoins en données de ces trois catégories d'utilisateurs a été expliquée au motif que Statistique Canada était une ressource nationale lorsqu'on considérait la société prise dans son ensemble. En même temps, nous devons tous être conscients du fait que cet organisme est soumis à des contraintes qui affectent sa capacité d'être suffisamment utile dans un éventail de secteurs tel que celui que je viens de mentionner. Certaines de ces contraintes sont démographiques; et je me réfère, bien entendu, à la vague de retraites parmi les baby-boomers.
Je vous remercie de votre attention. Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions à titre personnel.
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Merci, madame la présidente, et merci à tous. Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui.
J'ai à mes cotés Katherine Scott, notre vice-présidente à la recherche, qui a par ailleurs été nommée directrice des programmes de l'Institut Vanier.
Vous le savez tous, le CNDS est la plus ancienne organisation de politique sociale établie au Canada. Nous avons été fondés en 1920 par Charlotte Whitton. Nous sommes depuis longtemps habitués à collaborer avec les différents gouvernements qui se sont succédé au Canada. Le CNDS a posé le principe d'un certain nombre des grands programmes sociaux de notre pays, notamment l’AE, l'assurance invalidité, la pension de vieillesse, au moment où la population canadienne en avait le plus besoin.
L'un de nos principaux programmes est celui de la stratégie sur les données sociales. C'est un partenariat à l'échelle du Canada dont les membres achètent en commun quelque 900 000 $ de statistiques du recensement à un prix réduit. Parmi les membres de ce consortium figurent, entre autres, les services de police, les municipalités, Centraide, les ministères provinciaux et d'autres organismes de service opérant sur le terrain.
Nos partenaires utilisent ces données pour réagir face aux tendances pernicieuses enregistrées dans leurs communautés locales. Cette information permet aux collectivités d'axer leurs efforts sur les quartiers en faisant un meilleur usage de l'argent tiré des impôts et en privilégiant les services les mieux à même de répondre aux besoins des plus nécessiteux. Effectivement, cela représente environ un million de dollars de recettes pour le gouvernement et nous en sommes arrivés au point où nous nous demandons s'il est bien utile maintenant d'acheter des statistiques de ce genre.
Comme nous l'avons dit à maintes reprises depuis que cette décision a été prise, l'abandon de la formule longue du recensement revient pour le Canada à perdre son système de navigation. Ceux qui au gouvernement appuient cette décision doivent en examiner sérieusement les conséquences. Voilà plus de cinq mois maintenant que la population canadienne l'a fait, et sa réponse est sans équivoque. Plus de 370 organisations se sont résolument opposées à cette décision. Elles relèvent de tous les domaines de la vie canadienne. Des centaines d'autres ont fait connaître leur opposition plus discrètement, ayant peur des répercussions si elles exprimaient publiquement leurs critiques. Plus de 17 000 Canadiens ont signé une pétition pour que l'on revienne sur cette décision; 11 000 autres se sont rassemblés sur une page de Facebook.
Nous savons tous que le statisticien en chef du Canada a démissionné en guise de protestation. Les partis de l'opposition ont été unanimes à exprimer leur condamnation et des poursuites ont été intentées devant la Cour fédérale. Des dizaines de milliers de simples citoyens canadiens ont écrit, fait un appel téléphonique ou rendu visite à leur député pour faire part de leurs préoccupations. Les sondages vont eux aussi dans le même sens, puisque 60 p. 100 de la population canadienne souhaite que l'on revienne sur cette décision.
Pour bien des gens, il est inconcevable que notre gouvernement choisisse de mener la barque du Canada, aujourd'hui et dans l'avenir, sans disposer de la source d'information la plus complète à laquelle tout le monde se réfère pour répondre aux besoins et aux priorités de tous les Canadiens, contre l'avis des experts de tout le pays.
Les experts l'ont dit bien clairement: un sondage volontaire va sous-représenter certaines catégories importantes, tels que les Canadiens autochtones, ceux qui vivent avec un handicap ainsi que les minorités visibles. Un sondage volontaire va minimiser les chiffres et fausser les besoins en services des communautés marginalisées dans notre pays. Cette sous-représentation sera particulièrement évidente au niveau des quartiers, ce qui rendra ces statistiques pratiquement inutilisables pour la planification des services locaux et réduira au minimum les services auxquels ils ont droit. En somme, on aura l'impression qu'il y a plus de blancs, plus de classes moyennes et moins de besoins d'aide gouvernementale.
Le gouvernement nous dit qu'il est trop tard pour revenir sur cette décision, mais nous savons qu'il n'en est rien. Une simple lettre d'accompagnement émanant du statisticien en chef, de notre premier ministre, placée en tête de chaque formulaire de l'Enquête auprès des ménages pourrait rendre le sondage obligatoire: effectivement, une simple note pourrait tout régler. Avant que les formulaires de l'enquête n'atteignent notre boîte aux lettres, nous avons encore la possibilité de rétablir la formule longue.
Si la logistique de la mise en place d'un tel correctif exige un délai de la part de Statistique Canada, rien ne nous oblige à faire le recensement au printemps. Comme l'a dit Ivan Fellegi, on peut le reporter à l'automne. L'important est de bien faire les choses. Pourquoi payer plus pour en avoir moins?
Cette cause mérite qu'on la défende à tout prix et nous cherchons par tous les moyens à faire en sorte que l'on revienne sur cette décision. En compagnie de 12 autres organisations de notre pays, le CCDS a intenté un procès devant la Cour fédérale pour défendre pour chaque Canadien le droit d'être compté. Nos associés dans cette cause sont, parmi bien d'autres, la Fédération canado-arabe, l'Ontario Council of Agencies Serving Immigrants, le Council of Agencies Serving South Asians et l'Association canadienne pour la santé mentale.
Il n'est pas besoin de regarder bien loin pour voir où ces données sont utilisées. Chacun d'entre nous ici dans cette pièce a vraisemblablement utilisé cette information et en a très certainement bénéficié.
Soyons honnêtes: il s'agit d'une expérience, et elle est coûteuse. Statistique Canada a déclaré pour sa part n'avoir jamais mené une enquête de cette ampleur et ne sait pas d'ailleurs s'il existe dans le pays des mécanismes permettant véritablement de minimiser les effets dommageables que l'on peut prévoir. Ce qu'affirme par contre ce ministère, c'est que les données seront nettement faussées par le taux de non-réponses — en l'occurrence, les gens qui ne répondent pas ont tendance à avoir des caractéristiques différentes de celles des autres. Statistique Canada nous dit que le sondage volontaire ne sera tout simplement pas représentatif de l'ensemble de la population canadienne.
Les enjeux moraux, juridiques et économiques de cette décision posent véritablement problème. Nous hypothéquons l'avenir de nos enfants en édulcorant les données qui dictent la façon dont doit être dépensé l'argent du contribuable et en affaiblissant encore notre infrastructure sociale à un moment où nous en avons le plus besoin — et ce faisant nous opérons une discrimination à l'encontre des groupes les plus vulnérables de notre pays.
Je vais maintenant donner la parole à Katherine Scott, qui va poursuivre cet exposé si nous en avons le temps.
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Merci de me donner la possibilité de m'adresser au comité.
Pour résumer, je veux revenir sur les observations faites par Peggy en présentant des recommandations compte tenu du fait que votre comité se penche sur le caractère obligatoire de la formule longue du recensement et sur les questions liées au travail non rémunéré.
Comme Peggy l'a souligné, nous incitons le comité à faire usage de ses pouvoirs pour s'assurer que la formule longue obligatoire figure dans le recensement de 2011. De même, nous tenons à ce qu'il soit pris acte du fait que nous appuyons les recommandations faites à ce gouvernement par le Conseil national de la statistique concernant le recensement et Statistique Canada. De même, nous tenons à affirmer notre appui au projet de modification de la loi sur la statistique pour garantir l'intégrité de Statistique Canada et son autonomie afin que ce ministère puisse recueillir les meilleurs statistiques possibles. Nous appuyons aussi les termes de la lettre envoyée précédemment par le statisticien en chef, l'ancien gouverneur de la Banque du Canada et deux anciens greffiers du Conseil privé.
Il n'est pas exagéré de dire que le recensement est à la base de nos systèmes de recueil des données au Canada. La décision d'abandonner la formule longue du recensement va certainement être très préjudiciable à l'intégrité des données de notre recensement mais aussi à celle de bien d'autres enquêtes et opérations de recueil des données au Canada. Elle remettra en cause la possibilité pour les gouvernements, à tous les niveaux, de prendre des décisions en fonction des réalités et de faire des choix de politiques et de programmes en toute connaissance de cause, surtout au niveau communautaire.
Je me présente ici aujourd'hui en tant que chercheur. Je pourrais évoquer brièvement certaines réalisations que nous avons obtenues au CCDS de Vanier et la façon dont nous nous sommes servis des données du recensement dans nos travaux, mais je préfère vous rapporter ici une anecdote plus personnelle. Voilà plus de 20 ans que je fais des recherches dans le secteur communautaire et je ne pourrais vous dire combien de fois je reçois des appels téléphoniques de gens de tout le pays — de Kamloops, comme le disait M. Leroy — qui me posent des questions simples, comme par exemple combien de mères vivent seules au foyer à Campbell River, en Colombie-Britannique, ou quels types d'aides existent au sein de la collectivité. Les gens à notre époque prennent facilement le téléphone et je consulte le recensement. C'est en fait la seule source d'information au niveau communautaire. Cette décision aura en particulier des conséquences énormes sur la disponibilité et la qualité des données mises à la disposition des collectivités dans notre pays.
En l'absence de la formule longue du recensement, vers quoi vont se tourner à l'avenir les collectivités pour répondre à ces questions? Disposeront-elles des compétences ou des ressources nécessaires pour planifier leurs services, par exemple? Auront-elles la possibilité de recueillir elles-mêmes ces données? Laissez-moi vous dire qu'elles n'auront ni les ressources ni les crédits leur permettant de recueillir cette information importante et qu'elles devront s'en passer. De nombreuses collectivités devront s'orienter au hasard, comme nous l'a dit Peggy, sans moyens de navigation.
Pour certaines de nos recherches, les données du recensement se sont révélées indispensables dans le cadre des études effectuées par le CCDS sur la pauvreté en milieu urbain. Je peux faire état d'une recherche en particulier. Ainsi, certains d'entre vous connaissent peut-être l'étude « La pauvreté par code postal ». C'est un rapport qui a été fait à Toronto en 2004. Cette recherche a permis plus particulièrement de définir les nouvelles tendances de la pauvreté en milieu urbain à Toronto, ce qui a amené directement Centraide à changer sa programmation et à établir dans les quartiers des programmes de revitalisation qui influent aujourd'hui sur les politiques.
Pour conclure, je dirai que de même que nous avons ces derniers mois investi dans notre infrastructure physique dont l'importance est essentielle, il est tout aussi important d'investir dans notre base de connaissances. De ce point de vue, le recensement est à la base de tout, et j'invite votre comité à peser de tout son poids et à faire entendre sa voix pour que l'on conserve la formule longue du recensement.
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Bonjour. Je suis Françoise Naudillon, de la FQPPU. Je remercie Mme la présidente ainsi que les membres du comité de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur l'abolition du caractère obligatoire du formulaire long du recensement.
La Fédération des professeures et professeurs du Québec s’est opposée très tôt à l’abolition du caractère obligatoire du formulaire long du recensement, ainsi que de nombreux autres organismes du Québec qui travaillent de façon large ou particulière à la question de la condition féminine. Je citerai notamment le Conseil du statut de la femme, la Fédération des femmes du Québec, le Comité des femmes des communautés culturelles et Action travail des femmes. Pour ce qui est des organismes plus spécifiques, on peut parler de l’Institut de la statistique du Québec, du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, etc. Je vous renvoie à la Coalition québécoise pour l'avenir du recensement, qui regroupe plusieurs de ces organismes.
Je voudrais souligner, comme l'a fait le groupe précédent, qu'on estime à 75 le nombre de projets de recherche universitaires québécois menés à partir de statistiques issues du recensement. Plusieurs de ces projets concernent en particulier les femmes et la condition féminine.
Je ne vais citer qu'un exemple concret d'information extrêmement importante dont nous avons besoin et qui est disponible grâce à ces statistiques. Le document Portrait des Québécoises en 8 temps, par exemple, a été publié cette année par le Conseil du statut de la femme à partir de données recueillies dans le cadre du recensement de 2006. Ce portrait explore la situation des femmes dans huit domaines de leur vie, à savoir la démographie, l'éducation, la situation familiale, le travail, le revenu, la santé, les loisirs, l'emploi et le pouvoir.
Dans cette enquête, on dit notamment ceci:
Les femmes prennent de plus en plus de place sur les bancs d’école, dépassant même largement le nombre d’hommes, et elles affichent une performance scolaire élevée. Sur le plan de l’emploi, le portrait s’assombrit: concentrées dans un nombre restreint de professions peu rémunérées, elles ont un revenu inférieur à celui des hommes. Si ces derniers participent de plus en plus aux travaux ménagers, elles assument malgré tout une part importante de ceux-ci. Les familles monoparentales sont encore majoritairement dirigées par des femmes. Trop de femmes continuent d’être victimes de violence conjugale. Leur nombre dans les lieux de pouvoir augmente sensiblement, mais la parité est encore loin.
Ce n’est donc pas un hasard si les chercheurs universitaires, professeurs et étudiants en sciences humaines, en sciences sociales et en sciences de la santé sont en première ligne dans ce débat sur l’avenir du caractère obligatoire du formulaire long du recensement. Rappelons que la décision du gouvernement actuel met fin à une tradition de 35 ans et que l’on tient des enquêtes statistiques au Canada depuis 1852. Nous savons tous — et nous l'avons entendu encore une fois ici même — que pour être valides, les recherches statistiques doivent s’inscrire dans le temps.
Les femmes, en particulier, auraient tout à perdre si le caractère obligatoire du formulaire long du recensement, tel qu’il était administré jusqu’en 2006, était aboli. Cette abolition ouvre une brèche tragique dans le patrimoine statistique canadien et fait disparaître la cohérence, la fiabilité et la comparabilité des données. En effet, c’est grâce à la production et à l’analyse systématique de statistiques sexuées qu’ont pu être mis en oeuvre des programmes de lutte contre le sexisme et l’inégalité entre les hommes et les femmes.
Si ce qui a été décidé est maintenu, comment pourra-t-on savoir ceci, comme l'indiquait le site de Statistique Canada le 10 septembre 2007:
Les femmes immigrantes âgées de 25 à 54 ans, soit celles du principal groupe d'âge actif, enregistrent des taux de chômage plus élevés et des taux d'emploi plus bas que ceux des hommes immigrants et des femmes nées au Canada, peu importe la date de leur établissement au pays.
Si l'on poursuit dans cette voie, comment pourra-t-on prendre connaissance d'analyses comme celle intitulée Les effets des accords de commerce et de la libéralisation des marchés sur les conditions de travail et de vie des femmes au Québec, 1989-2005, qui a été publiée dans le 23e numéro des Cahiers de l'IREF? Comment évaluera-t-on l'entreprenariat au féminin?
Comment tiendra-t-on compte « de l’hétérogénéité des statuts socio-économiques et des expériences des femmes et de la diversité des identités, des pratiques et des positions qui en découlent aussi bien à l’échelle locale, qu’à l’échelle nationale et internationale »? C'est une question que se posait Francine Descarries, professeure de sociologie à l’UQAM.
Autrement dit, c'est en faisant des comparaisons dans le temps que les programmes mis en place pour corriger les inégalités détectées peuvent être évalués, amendés ou corrigés. En particulier, les recherches universitaires vont permettre d’affiner ce processus à la fois chronologique, c'est-à-dire inscrit dans la durée, et instantané, puisque ces études s’intéressent aussi à l’étude de sous-populations et aux microdonnées. Les chercheurs qui travaillent sur des analyses fines peuvent traiter de l’inégalité entre les hommes et les femmes, de la question des immigrantes, des mères à la tête d'une famille monoparentale ou encore de dossiers tels que ceux de la prostitution, du travail du sexe, de la parité, de la reconnaissance économique du travail de soins, des nouvelles technologies de la reproduction, de l’homoparentalité, et j'en passe. Ce sont des sujets essentiels qui ne concernent pas seulement l’avancement de la condition féminine, mais celui de la société toute entière.
Or, il est reconnu que toute enquête statistique doit se donner un point de référence, idéalement aux cinq ans, pour établir sa validité et sa fiabilité. Il s’agit bien de comparer notre passé à notre présent pour construire notre futur. En abandonnant le caractère obligatoire du formulaire long du recensement, on se condamne à la production de données fantoches et l’on fait un pari dangereux sur l’avenir. De plus, comme on l'a dit tout à l'heure, ce sont justement ces populations marginalisées et vulnérables qui, on le sait, vont fournir des taux de réponses très faibles quand il s’agit de sondages dont la participation est volontaire, comme il est proposé pour l’Enquête nationale auprès des ménages.
Autrement dit, c’est aussi l’avenir de grands pans de la recherche canadienne qui est en jeu. L’abandon du caractère obligatoire du formulaire long du recensement aura pour conséquence non seulement de diminuer la qualité des résultats, mais aussi d’augmenter les coûts de l’information à cause de la nécessité du recours à des sondages ou à des enquêtes administrés par des organismes privés, et par là on peut craindre la privatisation de ce savoir acquis.
Je voudrais terminer en parlant des conséquences déjà importantes de cette annonce du gouvernement à l'échelle internationale.
En juin, quand on a annoncé l'abandon du caractère obligatoire du formulaire long du recensement, un véritable séisme a éclaté. Par exemple, on peut noter la condamnation de cette décision par Kenneth Prewitt, de l’Université Columbia, ancien directeur du Census Bureau des États-Unis, dans la revue Nature du 26 août 2010.
Robert McCaa est le directeur de la IPUMS-International, une base de données citée comme base de référence par tous les chercheurs du monde qui utilisent les statistiques. À l’annonce de la disparition du caractère obligatoire du formulaire long du recensement, il a annoncé que les données de 2011 qui seraient recueillies dans la forme actuelle du recensement canadien ne pourront plus figurer dans cette base de données internationale. Je rappelle que cette base collige des données pour 55 pays du monde, et ce, depuis 1960. Les données canadiennes n'y figureront plus parce qu'on ne pourra plus les harmoniser et les comparer avec celles des autres pays.
Pour une touche anecdotique, je rappelle que la fameuse question qui avait été jugée intrusive, soit la question du nombre de pièces de la maison, est administrée et posée dans 20 de ces pays qui font partie de cette base de données internationale. Cette question permet entre autres de comprendre les conditions de vie des enfants, par exemple, et de leur mère.
La base internationale de données démographiques, comme l'indique Lisa Dillon, professeure de démographie à l'Université de Montréal, « nous permet aussi de mesurer l'écart salarial entre les femmes et les hommes et de voir s'il est plus ou moins grand d'un pays à l'autre ». Ce que je veux souligner ici, c'est que l'abandon du formulaire long obligatoire de recensement a des conséquences pour le Canada et sa communication à l'extérieur des frontières.
Je terminerai en disant que dans ce débat, il serait peut-être bon d'évoquer la célèbre parabole des singes de la sagesse du Japon. Pour ne pas connaître le malheur et le propager, il faut ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Toutefois, il ne faut pas oublier que, selon le principe du yin et du yang, cela doit aussi être lu comme la liste des comportements néfastes, à savoir faire semblant de ne pas voir les difficultés, faire semblant de ne pas les entendre et de ne pas en parler.
L'abolition du caractère obligatoire du formulaire long de recensement condamnerait les femmes à ne rien voir, à ne rien entendre et à ne rien dire d'elles-mêmes.
Merci.
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Merci, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je tiens à vous remercier, tout d'abord, d'avoir invité notre association à témoigner aujourd'hui devant votre comité sur cette question très importante. Nombre de nos membres sont très concernés et se préoccupent fortement de tout ce que cela peut signifier à l'avenir pour leurs pratiques commerciales.
Mon nom est Doug Norris et je suis actuellement vice-président principal et démographe en chef à Environics Analytics. À ce titre, je fais appel aux données du recensement et à d'autres informations dans le cadre de mon travail auprès des grandes et des petites entreprises, des organisations à but non lucratif et de tous les paliers de gouvernement, afin de les aider à prendre leurs décisions.
J'ai travaillé près de 30 ans à Statistique Canada, dernièrement en qualité de directeur général des statistiques sociales et démographiques. J'étais membre à l'époque des cadres de l'équipe chargée du recensement. Toutefois, je représente aujourd'hui l'Association de la recherche et d'intelligence marketing — l’ARIM. J'ai à mes côtés mon collègue, Greg Jodouin, qui est notre consultant en relations gouvernementales.
L’ARIM est le seul représentant autorisé de l'industrie du sondage et du marketing au Canada. Nous comptons parmi nos membres plus de 2 000 chercheurs individuels et plus de quatre cents entreprises — des grandes et des petites entreprises de toutes sortes — qui utilisent les données de recherche. L’ARIM est chargée d'élaborer et de faire appliquer les normes de l'industrie des sondages d'opinion au Canada. Globalement, nous apportons plus de trois quarts de milliard de dollars par an de chiffre d'affaires à l'économie canadienne.
Notre association considère que la question de la formule longue du recensement revêt une importance primordiale. Nous avons écrit au ministre sur cette question, et je crois qu'une copie de notre lettre va être distribuée aux membres du comité. Nous leur remettrons aussi aujourd'hui un exemplaire de notre mémoire.
Ce qui nous préoccupe avant tout, c'est que la suppression de la formule longue du recensement aura des répercussions dommageables sur la disponibilité, la qualité et la fiabilité des données — tout ce qui est jugé essentiel par les entreprises canadiennes et par bien d'autres organisations qui s'efforcent de naviguer dans un monde de plus en plus complexe et au sein d'une société qui change rapidement. Les enfants de l'après-guerre prennent de l'âge, les taux d'immigration sont élevés, les immigrants ayant bien souvent de grosses difficultés à s'adapter à la société canadienne, et notre population autochtone devenant un élément important de notre futur marché du travail. Les entreprises doivent s'efforcer de faire le tri dans toutes ces données et dépendent pour cela de l'information donnée par le recensement.
Une nouvelle Enquête nationale auprès les ménages, d'application volontaire, va certes être instaurée et fournir des données utiles sur certains points, mais l'information ne pourra pas être fiable à bien des égards. Je pense que vous avez entendu de nombreux commentaires sur cette question. On se préoccupe notamment du fait qu'en abandonnant le recensement obligatoire, on ne pourrait plus suivre les évolutions au fil du temps. Bien souvent, ce sont les tendances qui importent et non pas tel ou tel chiffre en particulier. Il s'agit de savoir si les choses s'améliorent ou se dégradent. Avons-nous besoin de mettre un nouveau programme en place? Faut-il modifier tel ou tel programme? Ce sont ces tendances, et aussi les statistiques sur les petits groupes de population et les petites zones géographiques qui nous intéressent.
Nos entreprises exercent leurs activités dans différentes régions du Canada, dans les zones rurales et urbaines et dans les principales parties des RMR. La ville de Toronto n'est absolument pas homogène; Ottawa ne l'est pas non plus. Nos entreprises doivent comprendre les populations locales qui les entourent, ainsi s'il y a un magasin ou une autre exploitation qui les concurrence. Cette population évolue elle aussi. C'est ce manque d'information sur les évolutions ainsi que sur les petits groupes de population et les petites localités qui inquiètent véritablement nos membres.
Comme bien d'autres intervenants l'ont signalé et comme vous l'avez entendu ce matin, le taux de réponse dans un sondage d'application volontaire sera vraisemblablement bien plus faible dans les couches difficiles à atteindre de la population: les catégories à faible revenu, les groupes marginalisés comme les populations autochtones, les immigrants. Par ailleurs, les foyers à hauts revenus seront eux aussi probablement difficiles à atteindre. La nouvelle Enquête nationale auprès des ménages va donc vraisemblablement fausser les données. Son exactitude sera alors remise en doute.
Malheureusement, nous ne saurons pas quelles sont les données exactes — certaines d'entre elles le seront — et celles qui ne le sont pas, ce qui remettra en cause l'ensemble de l'information fournie par le recensement. Les gros échantillons, même si l'Enquête nationale auprès des ménages est plus étendue que le dernier recensement, ne règlent pas la question des biais et des données faussées.
La décision concernant le recensement va nous toucher dans nombre de nos activités, mais je vais vous donner plus précisément quelques exemples de ses effets négatifs sur la possibilité, pour les membres de notre association, de mesurer et de suivre les évolutions ainsi que de planifier des programmes axés sur l'égalité des femmes.
De nombreuses entreprises ont en particulier des programmes visant le recrutement, le maintien en poste et la promotion des femmes. Dans le cadre de ces programmes, elles s'appuient sur les données du recensement, qui leur servent de référence, pour voir où elles en sont. Ainsi, elles sont en mesure de comparer le profil de leur main-d’œuvre à celui du marché local: quelles sont les différences et la situation s'améliore-t-elle? Est-ce qu'on s'engage dans la bonne voie? Doit-on modifier les programmes ou en introduire de nouveaux?
De façon plus générale, pour que les comparaisons s'appliquant aux différences de revenus entre hommes et femmes, indicateur important de l'égalité des sexes, soient pertinentes, il faut pouvoir en fait disposer de données très détaillées en fonction de l'âge, du niveau d'instruction, des différentes professions et de la catégorie de travailleurs. Seul le recensement peut fournir cette information. Il est important, là encore, de faire ces comparaisons au niveau local: le marché de la main-d’œuvre à Toronto n'est pas le même que dans le nord de l'Alberta, par exemple.
Aux yeux de l'industrie des sondages, il est par ailleurs préoccupant de ne plus pouvoir compter sur la formule longue du recensement en tant qu'outil de référence des nombreuses enquêtes effectuées par nos membres. Les enquêteurs se fondent sur les données du recensement — et s'y réfèrent en tant que norme servant à étalonner leurs propres sondages — pour encadrer et corriger leurs enquêtes afin qu'elles soient représentatives de la population telle qu'elle leur apparaît dans le recensement. Nous ne répéterons jamais assez que sans les données tirées de la formule longue du recensement, sans cet « étalon » servant de référence, tous les résultats des enquêtes, y compris ceux de l'Enquête nationale auprès des ménages, seront vraisemblablement faussés jusqu'à un certain point, notamment dans des domaines importants comme le revenu, le niveau d'instruction, le logement et bien d'autres secteurs.
Les décideurs des entreprises et des gouvernements doivent s'appuyer sur des données de recherche exactes et fiables qui les aident à prendre les bonnes décisions et à s'orienter au sein d'une société complexe. La mesure de l'évolution et de la condition des femmes et d'autres groupes au sein de la population sera plus importante que jamais à mesure que nous sortirons de cette récession et que notre économie se développera. La façon dont les différentes catégories vont se sortir de la récession va éveiller beaucoup d'intérêt. Dans quelle mesure notre marché de l'emploi va bien répondre aux différents changements que nous voyons se profiler?
Il se peut très bien qu'à l'avenir l'absence de données fiables amène à prendre de mauvaises décisions, rende les entreprises moins efficaces et risque d'augmenter leurs coûts s'il leur faut aller chercher d'autres données pour remplacer celles du recensement. J'ai peur que dans l'ensemble, notre productivité et notre compétitivité soient effectivement affectées par la perte de cet outil de navigation précieux.
Nous invitons par conséquent le comité à recommander que le cabinet revoit et annule sa décision d'éliminer la formule longue du recensement.
Je crois que je vais m'arrêter là. Je suis prêt à répondre à vos questions. Je vous remercie à nouveau de nous avoir demandé de comparaître.
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Merci, madame la présidente.
Bienvenue à vous tous.
Depuis quelques jours, on reçoit des dizaines de personnes pour discuter du formulaire long du recensement qui permet de recueillir des données importantes. Ce formulaire recense 2,9 millions de personnes, comparativement à l'enquête qui recense 25 000 personnes. Le coût de l'enquête serait de 30 millions de dollars plus élevé que celui du formulaire long. On essaie de comprendre cette démarche. Toutefois, on sait qu'on perd des données importantes.
Madame Naudillon, vous avez été la première à être questionnée. Vous avez souvent parlé de comparaisons, autant sur le plan local que sur le plan du marketing. Mes interrogations s'adressent à vous tous. Vous pourriez tous y répondre. Mme Taillon également.
Ces pertes de données vont être majeures sur les plans municipal, provincial, fédéral et même international. Madame Naudillon, vous avez mentionné qu'on le faisait dans plusieurs pays du monde, même si ça ne faisait pas l'objet d'ententes. On se compare pour faire avancer le dossier des femmes. On cherche à faire ce travail, au comité. On réalise que depuis longtemps, les femmes travaillent pour qu'on ajoute des questions dans le formulaire long du recensement. Ces questions vont disparaître, et on va faire taire les femmes.
Ma collègue Nicole Demers nous a dit que malheureusement, le 6 mars, on disait maintenant aux femmes de fermer leurs gueules parce qu'elles prenaient beaucoup trop de place. Pour ma part, j'affirme simplement que vous prenez votre place, celle qui vous appartient.
J'aimerais vous entendre au sujet de la fiabilité et de la qualité des données, des comparaisons à faire et de ce qu'on va perdre si on ne dispose pas de ces données.
Madame Naudillon, vous pouvez répondre en premier, puis ce sera au tour de Mme Taillon, puis de M. Norris.
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Merci de votre question.
Les universitaires et les chercheurs qui travaillent sur des microdonnées doivent être en mesure de les comparer pour être certains que ce qu'ils disent est vrai. Ils doivent pouvoir comparer non seulement à l'échelle locale et nationale, mais aussi à l'échelle internationale.
Je vais vous raconter une brève anecdote qui a été rapportée alors qu'on discutait des conséquences de cet abandon du formulaire long obligatoire sur le plan international. Le Mali, l'un des pays les plus pauvres du monde, et qui est, de mémoire, le 135e pays pour son indice de développement humain, a fait tout son possible, en prenant d'assaut toutes les imprimeries disponibles dans le pays, pour produire un formulaire long du recensement afin de récolter le maximum de données. Ces données touchaient, entre autres, la question des femmes et du travail des femmes. Autrement dit, il est très important pour un pays comme le Mali d'obtenir toutes les données possible selon le sexe. Pourtant, un pays comme le Canada, qui est 5e pour son indice de développement humain, ne se donne pas la peine de les recueillir de façon systématique.
Il m'est arrivé de participer à la fameuse session de la Commission de la condition de la femme de l'ONU qui a lieu chaque année. Par exemple, je peux dire qu'en 2008, la question essentielle était celle du travail décent pour les femmes et de la reconnaissance du travail qu'elles font à la maison, des soins qu'elles donnent aux aînés. Au sens plus large, soit sur le plan international, on a aussi abordé le fait que les femmes nourrissent la planète de façon générale.
La décision du Canada de retirer ce type de questionnaire influe sur la disponibilité des informations sur nous-mêmes. C'est également un mauvais exemple pour les autres pays qui essaient d'élever leurs propres normes. C'est pourquoi c'est très dangereux. Pour faire en sorte que les choses aillent mieux au Mali, on va prendre exemple sur ce qui marche le mieux pour les femmes dans les pays développés. Il y a des barrières qui apparaissent et des étapes qui disparaissent.
Voilà pour ce qui est de l'échelle internationale. Je m'arrête ici.
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Merci, madame la présidente.
Je tiens à tous vous remercier parce que vous nous faites très bien comprendre tous les tenants et aboutissants de cette question. Nous ne sommes évidemment pas des spécialistes, mais vous nous faites profiter de votre compétence pour nous aider à prendre une bonne décision.
Le plus bizarre ou le plus intéressant, j'imagine, ce sont les motifs à l'origine de tous ces changements et de la suppression des questions sur le travail non rémunéré dans la formule du recensement obligatoire. Nous savons que cette mesure va nous coûter 300 millions de dollars de plus.
Nous avons pris connaissance d'un certain nombre de points de vue. Ainsi, M. Norris nous a parlé des répercussions économiques de la suppression de la formule longue du recensement, qui va faire baisser l'efficacité des entreprises, leur rentabilité, leur productivité. Il me semble que c'est une répercussion très négative. Nous avons entendu Mme Taillon et Mme Scott évoquer les conséquences sur l'ensemble des O.N.G., des fournisseurs de services et de tous ceux qui dispensent des services au sein de nos collectivités.
Je m'efforce de comprendre quelle peut bien être la motivation. Le gouvernement, en dépit de ce que nous avons entendu ce matin, a pris bien soin de nous rappeler que personne n'avait jamais été mis en prison pour ne pas avoir rempli la formule longue du recensement, et ce n'est donc certainement pas un problème de répression.
D'après les témoignages, nous savons par ailleurs que la formule longue du recensement n'est pas jugée particulièrement intrusive; les gens sont heureux de la remplir, ou du moins ils sont prêts à le faire. Ces données sont recueillies de très longue date et vous n'avez pas manqué de répéter à quel point cela était indispensable et important, non seulement pour le marketing mais aussi pour le tissu de notre société et pour se procurer l'information dont nous avons besoin.
Il y a un certain nombre de choses qui m'ont frappée et je vais poser à ce sujet un certain nombre de questions, en commençant par Mme Taillon.
Vous nous avez dit qu'en l'absence de la formule longue du recensement, on aura l'impression que notre société est plus blanche, que les classes moyennes y sont plus nombreuses et qu'elle a moins besoin des services du gouvernement. J'insiste sur la formulation: « moins besoin des services du gouvernement » car il semble que l'on nous resserve de plus en plus cette vieille antienne du « moins de gouvernement ».
Quelles en sont les conséquences? Pouvez-vous m'en donner une idée? J'essaie de comprendre, là encore, la motivation.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous les témoins d'être venus.
Chacun de nos témoins nous a communiqué d'utiles informations autour de cette table, mais il ne faudrait pas oublier le plus important, à savoir que la population canadienne juge essentielle la formule longue du recensement et arbitraire l'abandon de la question 33. Je crois que l'on a entendu suffisamment de protestations à ce sujet.
Ce qui me préoccupe, toutefois, c'est que le gouvernement actuel n'a absolument aucune idée de l'importance des données que nous recueillons à l'aide de la formule longue du recensement, l'information à caractère obligatoire. Nous avons un ministre qui nous dit qu'une seule plainte, déposée par un citoyen de notre pays, suffit à faire changer les politiques publiques. J'imagine donc qu'une personne s'est effectivement plainte et que nous avons tous changé en conséquence. Et lorsque j'entends un autre député, je vous l'avoue, qui nous dit que tout cela ne sert qu'à recueillir des statistiques pour les dépliants publicitaires... Je suis en fait outrée d'avoir à siéger en ces lieux pour poser des questions sur quelque chose d'aussi fondamental...
Je veux vous interroger sur nos obligations internationales. Les journaux télévisés nous disent que le Canada est attaqué de tous côtés dans le monde en raison des politiques qu'il adopte. Cette question 33 a été conçue précisément à la suite de la conférence de l'ONU qui a eu lieu sur les femmes à Beijing, 181 pays membres, y compris le Canada, étant signataires. Leur signature m'indique que cette question a été jugée suffisamment importante au plan international. Ils ont convenu d'entreprendre de comptabiliser et d'apprécier la valeur du travail non rémunéré.
Savez-vous s'il y a un autre de ces 180 pays qui a choisi de retirer de cette « enquête » le recueil des données sur le travail non rémunéré?