:
Bonjour à tous et à toutes.
La séance est ouverte.
Je remercie les témoins d'être venus.
Le comité ne voyage pas au complet. Il n'y a que quelques membres car si nous sommes en déplacement pendant que la Chambre siège, des membres doivent être présents à la Chambre. Ce qui se produit souvent, c'est que les comités se déplacent avec moins de membres qu'à l'habitude, donc le comité que vous voyez aujourd'hui est un comité représentatif des quatre partis de la Chambre.
On vous avait dit que vous auriez 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, mais je vais vous faire une proposition et si vous n'êtes pas d'accord, nous vous laisserons 10 minutes, mais si vous ne vous y opposez pas, on pourrait procéder différemment. Il serait préférable, au lieu de procéder comme s'il s'agissait d'une séance très officielle, avec des séries de questions de sept et de cinq minutes, de procéder comme une table ronde pour avoir une meilleure interaction et faciliter les échanges plutôt que de faire un exposé avec raideur, puis, des questions bien précises vous seront posées et nous pourrons tous en discuter.
Avez-vous des textes écrits? Oui. Sont-ils longs? Huit minutes? J'espérais donner à chaque témoin environ trois minutes afin que vous puissiez vous présenter, dire ce que vous faites, présenter votre point de vue sur la question à l'ordre du jour et faire des propositions.
Nous étudions la violence faite aux femmes autochtones. Nous voulons nous pencher sur la cause fondamentale de cette violence. Et quand nous parlons de « violence », nous voulons aborder l'ensemble du sujet, pas seulement les aspects sexuel, physique, psychologique ou systémique de la violence. La discrimination est une forme de violence de même que la réprobation, tous ces éléments font partie de la violence au sens large du terme. Ensuite nous voulons parler des formes de violence.
Nous voulons approcher cette question sous un angle différent que celui de dire seulement que les femmes sont victimes de violence et il faut nécessairement que ce soit quelque chose de visible comme un oeil au beurre noir, voilà ce qu'est la violence.
Nous voulons en parler et évaluer son incidence sur les femmes autochtones et leur capacité de survivre et de bien fonctionner en société. Nous voulons ensuite savoir ce que vous en pensez.
Ce sujet est l'objet de discussions depuis très longtemps. Tout le monde sait que cette question a été débattue de long et en large. Les Soeurs par l'esprit se sont penchées sur cette question, de même que des commissions, mais il semble qu'elle soit tellement répandue que personne n'arrive à véritablement régler le problème.
Nous voulons examiner ce problème de façon à ce que vous puissiez nous présenter des recommandations sur ce que le gouvernement du Canada, qui ne peut pas tout régler, peut faire pour aider à faciliter... S'il y a une loi, si vous pensez que nous pouvons prendre des mesures dans le cadre de la compétence fédérale, si vous pensez qu'on pourrait faire les choses différemment. Je vous demande d'être créatives, aussi franches que possible pour nous dire ce que vous pensez vraiment.
Voilà ce que je vous propose de faire pendant les trois minutes qui vous seront accordées, si vous êtes d'accord, je demanderais ensuite aux membres du comité de se présenter pendant une minute — nous ne voulons pas que les parlementaires aient trop longtemps la parole car vous savez qu'on a tendance à beaucoup parler; ils n'ont qu'à tout simplement se présenter et dire ce qu'ils font avant que nous attaquions le vif du sujet.
Alors qu'en pensez-vous ou préférez-vous faire ce que vous aviez prévu?
Très bien. Merci beaucoup.
Commençons par Mme Pamela Shauk du Centre d'amitié autochtone de Montréal.
Pamela la parole est à vous.
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Je m'appelle Ellen Gabriel, et je suis la présidente de Femmes Autochtones du Québec depuis 2004. Je viens de Kanesatake, une communauté mohawk, qui a subi de plein fouet la violence perpétrée par le gouvernement du Canada lors de la crise d'Oka.
Il y a 20 ans que je suis une artiste et une activiste. Dans notre association, nous envisageons notre travail de façon holistique. Nous cherchons des solutions pour notre communauté. Nous devons donc tenir compte de l'effet que la colonisation a eu sur le fonctionnement de nos communautés, et nous devons voir comment le projet de loi qui est à l'étude au Parlement, et qui a été proposé par le gouvernement conservateur, n'est qu'un ensemble de mesures disparates pour changer la Loi sur les Indiens. En bout de ligne, la Loi sur les Indiens existera toujours. Depuis le lancement de l'initiative de recherche Soeurs par l'esprit, il y a de nombreuses années, nous insistons auprès du gouvernement, de concert avec nos collègues d'Amnistie Internationale, pour que soit établi un plan d'action national qui nous permettra de déterminer les besoins qu'il faut combler pour que les familles, les enfants et les communautés puissent tourner la page d'un triste chapitre de l'histoire des peuples autochtones, un chapitre dont on a du mal à voir la fin.
Nous demandons aussi au service de police de mettre en oeuvre le protocole de 2006, le protocole des chefs de police, grâce auquel on a reconnu qu'il fallait un mécanisme particulier pour permettre à la police d'intervenir non seulement en cas de meurtre ou de disparition de femmes autochtones, mais aussi en cas de violence. Je crois que, dans les réserves, les membres des services de police ne sont pas formés adéquatement pour intervenir dans les cas de violence conjugale, de violence sexuelle, ou encore de meurtres ou de disparitions de femmes autochtones. Le manque criant de ressources humaines dans nos communautés nuit donc à la lutte contre ces problèmes graves.
Je crois que la colonisation est un facteur important dans la violence contre les femmes autochtones. Dans son rapport de 2004, Amnistie Internationale affirme que les stéréotypes et les préjugés que l'on observe depuis longtemps dans la société canadienne ont permis que des gestes de violence brutaux et fréquents soient commis contre les femmes autochtones. Les politiques gouvernementales et le fait que les Autochtones soient dépossédés de leurs terres, de leurs ressources et de leur territoire aggrave le problème. En perdant leur lien avec la famille et la communauté, les femmes autochtones souffrent d'autant plus de la pauvreté.
En dépit des excuses présentées le 11 juin aux anciens élèves des pensionnats indiens, rien n'indique que le gouvernement actuel mise sur une réconciliation saine avec notre communauté afin d'atténuer les effets néfastes des pensionnats indiens sur les enfants autochtones, lesquels, lorsqu'ils sont devenus adultes, ont voulu élever des familles en s'appuyant sur les expériences qu'ils avaient vécues.
Compte tenu de la mise en place de la Fondation autochtone de guérison et de la Commission de vérité et de réconciliation, on s'attend à ce que le gouvernement puisse régler les problèmes constatés dans un délai fixé.
Mais comment pouvons-nous ignorer 100 ans de colonisation, d'oppression et de lois qui ont fini par s'incruster dans le subconscient des membres de notre communauté? Il faut du temps. Il faut que le gouvernement fasse preuve de soutien, d'honnêteté et de bonne volonté pour être en mesure d'aider nos communautés.
Ce n'est pas qu'une question d'argent; c'est aussi une question d'éducation. À mon sens, l'une des choses qui fait cruellement défaut, c'est la sensibilisation au gouvernement sur la manière dont la colonisation a bouleversé les communautés autochtones et sur la manière dont cette colonisation continue de se faire sentir aujourd'hui.
Nous devons agir maintenant pour que les enfants d'aujourd'hui n'aient pas à souffrir des politiques coloniales et oppressives de la Loi sur les Indiens. Nous avons demandé que le gouvernement approuve pleinement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous avons beaucoup souffert, notamment sur les plans linguistique et sexuel et, je crois, au chapitre de notre identité en tant qu'être humain.
Depuis son arrivée au pouvoir, il y a quatre ans, le gouvernement n'a tenu aucune consultation adéquate et n'a pas pris suffisamment de mesures destinées à répondre à nos besoins.
Je vais m'arrêter ici afin de permettre à d'autres de participer à la discussion.
Merci.
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Bonjour à toutes et à tous. Merci encore de votre invitation.
C'est avec plaisir qu'on vous présente les travaux faits par Amnistie internationale depuis 2004 sur la violence faite aux femmes. Je suis Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale pour le Canada francophone.
Nous documentons depuis 2004 la situation de la violence faite aux femmes, en collaboration avec nos partenaires des groupes autochtones qui représentent les femmes au Canada et au Québec. Depuis 2004, nous demandons un plan d'action complet et national pour lutter contre la violence faite aux femmes.
Nous saluons l'annonce faite en mars dernier au sujet des actions qui seraient entreprises. Par contre, nous craignons une lecture un peu réduite de la violence faite aux femmes, une lecture qui se bornerait au problème criminel lié à l'effroyable haut taux de crimes et de femmes assassinées ou disparues. Depuis que nous documentons cet enjeu et que nous faisons des recherches sur ces questions, nous croyons que les problèmes ne sont pas uniquement criminels, mais qu'ils ont des racines qui prennent leur source dans les violations des droits économiques, sociaux et culturels des femmes autochtones. On parle de santé, on parle d'éducation, on parle de logement. Il y a chroniquement un sous-financement des services offerts à ces femmes, ce qui est en totale discrimination vis-à-vis de ce qu'on retrouve au sein des populations non autochtones.
Il y a évidemment des solutions à court terme en ce qui concerne la police et les protocoles, ce qui permettrait de meilleures recherches. Cela pourrait être discuté en collaboration avec l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, qui reconnaît depuis 2006 le haut taux de criminalité et le besoin d'un protocole. Je crois surtout qu'il y a beaucoup de solutions à long terme qui concernent les droits économiques et sociaux et le sous-financement. Il faut vraiment examiner comment cela discrimine les femmes autochtones.
À mon avis, l'annulation des accords de Kelowna leur a fait énormément de tort. Il faut évidemment endosser, appuyer et mettre en oeuvre avec les groupes autochtones la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. On parle de problèmes avec des racines profondes qui prendront du temps à se régler.
Il y a le traumatisme historique multigénérationnel des pensionnats et le fort taux de placement des enfants. C'est aujourd'hui trois fois plus grand qu'au moment le plus fort des pensionnats. Oui, il y a de la violence, oui, il y a des conditions de vie qui sont déplorables, et il faut protéger les enfants, mais cela a un impact effroyable sur les communautés et la culture, sur leur tissu culturel, sur le tissu de la communauté. C'est inacceptable qu'on place son enfant. Les femmes vont même refuser de dénoncer la violence pour ne pas perdre leurs enfants. On ne peut pas accepter cela au Canada.
Il y a aussi le dénigrement du statut des femmes, des langues et des institutions, la saisie des terres ou les non-consultations sur leurs terres et sur leurs ressources. Ce sont là des enjeux de fond complexes, compliqués, mais auxquels il faut s'attaquer.
Merci.
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Je crois que l'un des moyens d'arriver à se remettre des effets des pensionnats serait d'arrêter de perpétuer ce phénomène aujourd'hui. Comme je le disais plus tôt, il y a aujourd'hui trois fois plus d'enfants placés hors de leur communauté et de leur famille qu'il n'y en avait à l'époque la plus marquée par les pensionnats.
Les programmes sociaux sont sous-financés. Du côté des services offerts en matière de protection de l'enfance, la proportion, pour les enfants autochtones, est de 22 p. 100 inférieure à celle consacrée aux enfants non autochtones. Pourtant, parce qu'ils vivent dans des endroits reculés, les coûts sont plus élevés, et en plus, les besoins sont beaucoup plus criants. La situation est la même pour la santé et l'éducation. Un facteur systémique n'arrange pas les choses. En effet, certains programmes sont du ressort du fédéral alors que d'autres relèvent du provincial. Il y a donc un manque de coordination entre les deux ordres de gouvernement, ce qui fait qu'aujourd'hui, à l'intérieur d'une même province, il y a de la discrimination.
Par ailleurs, une cause est présentement entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne. Il s'agit du sous-financement des services familiaux pour les enfants. Le gouvernement prétend qu'il n'y a pas de discrimination, que les enfants autochtones reçoivent le même montant. Présenter de tels arguments devant le tribunal est aberrant. Aujourd'hui au Canada, on ne devrait pas se permettre de faire de la discrimination entre un enfant autochtone ou un enfant non autochtone. Il faut donc arrêter la discrimination. Qu'est-ce qui ferait qu'une femme et sa famille resteraient ensemble? Il faudrait qu'elle ait une vie digne, un revenu, et qu'elle ait accès aux services de santé et d'éducation. Dans ce cas également, il ne faut pas seulement penser en fonction des programmes sociaux; il faut aussi penser en fonction de l'autonomie économique.
Je ne crois pas que ces personnes veuillent vivre éternellement de la charité. Il y a des fonds et des programmes, mais c'est comme un pansement appliqué sur un cancer. Il faut s'employer à trouver des solutions pour que les communautés arrivent à devenir autonomes économiquement. Il en va de même pour les femmes, de façon à ce qu'elles ne subissent plus de violence. Ça implique de la consultation et de la concertation quand il est question d'exploiter des terres. Qu'il s'agisse de l'établissement d'une mine, d'un barrage ou d'une entreprise forestière, la Cour suprême demande de consulter les populations locales. Ça ne se fait pas sans elles. Il faut cesser, surtout en région, de s'opposer aux droits.
Nous avons fait une recherche de portée internationale, à Wendake, au Québec. En région, on sent ces choses-là. Je comprends très bien, du point de vue des droits, que les travailleurs locaux veuillent avoir du travail et une usine. Il est clair que c'est important, mais sur le plan gouvernemental, on ne peut pas toujours jouer sur les oppositions, par exemple quand les gens disent que les Autochtones sont un empêchement pour eux. Il doit y avoir du travail pour les Autochtones et les non-Autochtones. On doit essayer ensemble, par la consultation, de trouver des solutions.
Les Autochtones ne veulent pas tous se limiter à des activités traditionnelles. Ils veulent aussi du développement économique moderne dans leurs communautés et une autonomie économique leur permettant de vivre dans la dignité. Compte tenu du fait que 40 p. 100 des logements sont surpeuplés, il y a forcément des tensions au sein des familles. Par contre, des ressources financières et l'autonomie économique permettraient de construire des maisons. Je pense que ça contribuerait beaucoup à diminuer la violence.
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Je suis plus à l'aise en anglais. Je vais donc vous répondre en anglais.
[Traduction]
Nous avons parlé de décolonisation, et la colonisation a aussi été infligée par l'Église, et je ne veux pas manquer de respect aux chrétiens qui sont ici. Cette situation a eu des conséquences pour la sexualité des femmes, le rôle et les valeurs des femmes de même que pour l'égalité avec les hommes dans nos collectivités.
Je crois que nous devons sensibiliser notre propre peuple dans les collectivités. Il ne s'agit pas seulement de sensibiliser le gouvernement; il faut aussi sensibiliser notre propre peuple, qui pratique également la discrimination légale en raison de la Loi sur les Indiens. Ils peuvent dire à une femme: « Eh bien, vous avez marié un non Autochtone, alors vous ne pouvez pas vivre ici », ou: « Vos enfants ne sont pas importants, ils ne sont pas considérés comme des Indiens parce que leur père et leur grand-père était non Autochtone ».
Selon moi, il y a beaucoup de travail à faire dans les collectivités; nous devons discuter entre nous, nous nous sommes trop occupés à survivre. Nous sommes occupés à survivre avec l'argent qui est accordé sans véritable plan d'ensemble à chaque collectivité.
Je crois que nous avons besoin d'un système d'éducation, d'écoles primaires et secondaires. Quiconque veut se présenter comme candidat au poste de chef devrait connaître les conséquences de la violence. Quelles sont les conséquences de la colonisation pour nos collectivités en ce qui a trait au niveau de violence?
Regardons l'Église catholique. Le pape interdit le recours au condom. Eh bien, vous savez ce que cela signifie pour un homme qui a contracté le VIH-sida; il dit à son épouse ou à sa petite amie que si elle l'aime vraiment, elle ne lui demanderait pas de porter un condom. Ainsi, les femmes autochtones, bien qu'elles représentent un petit pourcentage de la population, connaissent l'un des taux d'augmentation les plus rapides d'infection du sida. Aussi, dans nos discussions avec le gouvernement, nous omettons de parler de la façon dont l'église ou la religion est utilisée contre nous.
Je crois que l'un des principaux facteurs est l'éducation des policiers, des avocats, des travailleurs sociaux, surtout les travailleurs sociaux québécois, et je ne fais que parler du Québec. On se rend compte que les travailleurs sociaux retirent aux femmes qui vivent dans la pauvreté leur enfants simplement parce qu'elles sont pauvres. Nous avons demandé au gouvernement du Québec de ne pas inclure la pauvreté dans leur définition de la négligence. Il faut examiner la situation dans la collectivité — taux de chômage élevé, pauvreté. On ne peut pas examiner la question de la violence sans examiner certains des facteurs qui y contribuent, y compris les lois qui contribuent à abaisser les femmes en disant: « Eh bien, vous et vos enfants n'êtes pas assez bons pour vivre dans la réserve. » Affaires indiennes et du Nord Canada détermine le code d'adhésion, les critères, et une bande peut avoir quatre différents codes d'adhésion. On ne suit pas nos traditions, on ne suit pas nos moeurs, mais on peut légalement faire de la discrimination contre une femme autochtone qui veut revenir dans sa collectivité. Elle peut avoir le statut à Ottawa, mais elle ne peut pas devenir membre de la collectivité et accéder aux services.
La Loi sur les Indiens a brisé l'unité familiale. Elle nous a séparés de ces valeurs culturelles extraordinaires qui font en sorte que tout le monde est sur un pied d'égalité, qui nous font savoir que nous sommes tous précieux et que nous faisons partie du monde dans lequel nous vivons.
Je pourrais entrer dans un discours philosophique, mais l'éducation à tous les niveaux pour comprendre ce qu'est la violence, la violence sexuelle, la violence institutionnalisée, le racisme... Les femmes qui vont dans les régions urbaines le font pour survivre. Si elles travaillent dans la rue, elles le font pour survivre, et surtout si elles sont anglophones au Québec. Si on ne parle pas français, il est impossible de trouver un emploi. Je suis désolée, vous n'allez pas trouver d'emploi. Il s'agit d'un autre défi pour nous au Québec, si nous ne parlons pas français.
Nous devons apprendre le français et l'anglais. Qu'en est-il de notre langue indigène?
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Oui, c'est en fait une exigence.
Je sais qu'on l'a dit à de nombreuses reprises, mais je voulais tout simplement le répéter encore une fois: la violence faite aux femmes autochtones, ou aux femmes en général, est un problème d'hommes. Les hommes doivent faire partie de la solution. Ce n'est pas seulement un problème de femmes. Les hommes de toutes les races, à tous les niveaux de la société, doivent s'impliquer. Les hommes doivent commencer à dénoncer la violence. Le gouvernement doit la dénoncer publiquement. Femmes Autochtones du Québec faisait partie d'un groupe d'organismes de Justice Québec.
Justice Québec a créé un groupe de travail, le Comité tripartite Femmes-justice, qui a publié un rapport en 2003 avec des recommandations visant à sensibiliser les avocats, les juges et les policiers. On n'allait pas jusqu'à recommander d'éduquer le gouvernement, mais je pense que le gouvernement doit vraiment intervenir.
Avant qu'une personne commence à travailler pour quelque ministère que ce soit, il faudrait lui donner une sorte de formation sur toutes ces différentes questions que l'on considère comme des questions sociales, notamment la violence, pour les éduquer sur ce qu'ont subi les Autochtones au cours des 500 dernières années environ. Où est-ce que cela commence? Cela commence lorsque les enfants sont jeunes. Si nous voulons mettre fin à ce cycle de violence, que ce soit au sein des collectivités autochtones ou dans le reste de la société canadienne, il faut que l'éducation des enfants commence avec les mères et les pères, à la maison, si cela est possible.
Les discussions au sujet de la violence devraient faire partie intégrante du système scolaire. La violence est inacceptable. Nous enseignons à nos enfants ce qui est bien et ce qui est mal. Nous devrions aussi leur parler de la violence qui est quelque chose de mal également. La violence contre leurs mères. La violence dans les pensionnats.
Permettez-moi de citer l'article 14 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones:
Les peuples autochtones ont le droit d'établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l'enseignement est dispensé dans leur propre langue, d'une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage.
C'est pour cette raison que nous espérons que le gouvernement canadien appuiera sans réserve cette déclaration car il s'agit réellement d'un guide sur la façon de décoloniser. Il s'agit d'un processus de décolonisation.
Pour ce qui est de rester à l'école, la vérificatrice générale du Canada, dans son rapport de 2008 ou 2009 a dit qu'il faudrait 28 ans aux écoles situées dans les réserves pour rattraper la qualité d'éducation que l'on retrouve dans les autres écoles canadiennes. Il y a donc là un écart énorme sur le plan de la qualité de l'éducation que reçoivent les enfants autochtones.
La musique et les arts sont les premières matières qu'on laisse tomber dans tout système d'éducation, mais la musique et les arts sont à la base de notre culture. C'est une expression de toutes nos relations. Nos langues, comme je l'ai déjà dit, représentent toutes nos connaissances autochtones. C'est notre façon de savoir. C'est notre façon d'être. Nous devons donc avoir des systèmes d'enseignement qui ne font pas de nos langues traditionnelles, de nos langues autochtones, des langues secondes, mais qui en fait appuient les programmes qui sont développés, qui aident en fait les enseignants, Autochtones ou non, à venir enseigner dans nos écoles de façon à ce qu'ils puissent motiver les enfants à aimer l'école, à aimer apprendre. Lorsqu'on a d'excellents enseignants, on peut être certain que l'enfant voudra apprendre davantage.
Je conclurai tout simplement en citant ce que m'a dit un aîné. Il avait un ami Hopi dont le fils est devenu avocat et qui lui a dit une fois qu'il a obtenu son diplôme: « Papa, je vais revenir et aider notre peuple. » Son père lui a répondu: « Mon fils, tu as appris la culture occidentale. Maintenant tu vas revenir et apprendre notre façon de faire, et ensuite tu seras en mesure d'aider notre peuple. »
Merci.
:
J'allais soulever cette question. L'un des défis auquel nous faisons face en ce qui concerne les biens immobiliers matrimoniaux, c'est qu'il y a une pénurie de logements dans la collectivité, de sorte qu'il est difficile de se lancer en affaires. Autre chose, un juge devra se pencher sur les biens immobiliers matrimoniaux et connaître la Loi sur les Indiens. Combien de juges des tribunaux civils connaissent la Loi sur les Indiens? S'ils ne la connaissent pas, comment la collectivité est-elle censée passer par ce processus?
L'autre question, c'est que dans les collectivités éloignées, les femmes n'ont pas accès à l'aide juridique, comme dans les villes plus rapprochées telles que Montréal et Québec. Il y a donc un vide en ce qui concerne leur accès au système judiciaire. Le projet de loi n'aborde pas cet aspect ni cette réalité des femmes autochtones.
Il y avait un manque de consultations adéquates. Nous avons eu un mois et demi pour mener nos consultations. Je pense que la plupart des Canadiens, lorsque des changements législatifs sont apportés au Canada, disposent d'un an. Un rapport de 500 pages a été publié par Wendy Grant-John, la représentante nommée par le ministre. Ce rapport ne contenait guère de recommandations: il comptait 500 pages et ne mentionnait nulle part ce que disaient les collectivités.
Je pense que le problème auquel nous faisons face entre nous, c'est que bon nombre de nos collectivités ne connaissent même pas les biens immobiliers matrimoniaux. Ils ne connaissent pas les détails des BIM. D'après ce que j'ai entendu dire, les gens demandent le rejet de ce projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, mais nous ne le souhaitons pas. Nous voulons que le projet de loi soit adopté avec certains amendements, tout comme nous voulons que le projet de loi soit adopté avec amendements, mais le gouvernement n'écoute pas. Il ne tient pas compte de nos préoccupations.
La consultation... Il ne s'agit pas seulement de nos opinions. Il s'agit de tenir compte de nos préoccupations. Il s'agit d'un dialogue. Il s'agit d'un partenariat. Cela ne s'est matérialisé dans aucune des séances auxquelles j'ai participé, ni pendant les brèves consultations qu'il y a eues au sujet des biens immobiliers matrimoniaux.
Au sujet du fief simple, oui, nous avons le certificat de possession. Oui, nous avons ces minuscules parcelles de terre qui sont réservées pour nous. Je pense que ce dont on n'a pas parlé pour nos collectivités, c'est que nous voulons pouvoir profiter des mêmes opportunités économiques que les autres. Si nous devons donner nos terres en garantie et que nous les perdons, nous perdons le peu que nous avons de nos collectivités.
Je sais que M. Jules voyage un peu partout au Canada. À mes yeux, il s'agit seulement d'une autre forme de la politique du livre blanc qui a été rejetée dans les années 1970. Ça ne va pas. On ne peut pas appliquer ce qui se passe dans le reste du Canada à nos collectivités. Ça ne fonctionne pas.
Nous voulons que nos terres soient protégées, pour les générations présentes et futures. Le fief simple n'est pas la meilleure idée, je pense, pour contribuer au développement économique. Nous devons avoir accès à nos terres, à nos ressources. Nous devons nous asseoir et dialoguer avec le gouvernement. Nous ne voulons pas être pris de haut ni parler sans qu'on nous écoute.
Le gouvernement aborde les questions touchant les peuples autochtones de façon archaïque et paternaliste. Nous sommes en 2010, bon sens. Nous connaissons votre culture, mais c'est comme si notre culture n'avait pas d'importance: « on placera ça dans un musée, alors vous devriez être heureux. C'est comme cela que nous allons protéger votre culture. » Ça ne fonctionne tout simplement pas.
Merci.
:
Il faut absolument la participation des autorités provinciales. Je l'ai souvent mentionné, la discrimination dans le cas de nombreux enjeux culturels et socioéconomiques dépend des provinces.
C'est clair, il faut la collaboration des différents ministères. D'ailleurs, souvent, au sein du gouvernement du Québec, des rapporteurs s'occupent des questions autochtones. Il faut la représentation des ministères, les représentations autochtones et des femmes autochtones aussi, c'est clair, surtout au fédéral.
Il va falloir qu'ils s'entendent ensemble sur les besoins criants à court terme et à long terme, qui exigeront d'autres démarches et d'autres consultations. Cependant, le court terme, entre autres, c'est tout ce qui touche la police et les foyers d'hébergement. Cela dépend du provincial. La police dépend du municipal, du provincial et parfois du fédéral, en ce qui a trait à la sécurité.
Ensemble, avec les groupes autochtones, il faut définir les plans d'action à court terme et s'attaquer ensuite au long terme, à l'autonomie économique, à l'accès à l'emploi, à la consultation sur les terres. Ce sont des sujets beaucoup plus complexes, beaucoup plus difficiles. Il va falloir, un jour ou l'autre, établir une table de concertation, un table de consultation.
De plus, certaines choses sont incroyables. L'image du Canada est ternie parce que celui-ci se fait dire ce qui se passe au pays par des organes de l'ONU, par Amnistie internationale et par des groupes autochtones. Il faut une initiative du gouvernement fédéral, par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il faut surtout que son
montre une volonté politique. Il faut qu'ils disent qu'ils veulent le faire, qu'ils vous invitent à des consultations et disent qui ils vont inviter autour de la table. Il faut d'abord avoir une lecture des enjeux.
Je crois qu'on n'a pas forcément toujours la même lecture des enjeux. Amnistie internationale et moi craignons une chose. Dans le plan d'action qui contenait le fameux montant de 10 millions de dollars qui a été mis sur la table, la lecture était réduite à l'analyse criminelle des choses. On va résoudre le problème des femmes disparues et les problèmes liés aux femmes assassinées. C'est très loin d'être une question uniquement criminelle. Ensemble, il faut s'entendre sur l'ampleur du problème. Juste réussir cela va représenter du travail.
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Je veux seulement ajouter quelque chose relativement à la question du provincial et du fédéral.
Lorsqu'on vit dans une province, au Québec par exemple, et que l'on vient d'une communauté autochtone, on se trouve souvent pris dans cette opposition entre le fédéral et le provincial. C'est tous les jours, c'est continuel.
En ce qui a trait aux consultations, qui est le mieux placé? Nous, les peuples autochtones, connaissons notre histoire, notre situation et quels sont nos besoins. Il est important de prendre le temps de consulter. Souvent, on consulte très peu les populations autochtones sur leur situation. Je pense qu'elles la connaissent très bien.
À l'époque, on avait un système de santé, un système politique et une façon de faire. Aujourd'hui, on pense qu'on n'est pas capable de prendre soin de notre peuple. Pourtant, en ce qui a trait aux ressources autochtones existantes, comme je vous le disais un peu plus tôt, il y a seulement 12 maisons d'hébergement, mais il y a 58 communautés si on compte celles des Inuits.
On compare toujours avec la population non autochtone. Il y a environ 90 maisons d'hébergement pour le peuple québécois, alors qu'il n'y a que 12 maisons d'hébergement autochtones. Quand on sait qu'il y a trois fois plus de violence dans nos communautés, c'est aberrant.
Dans le cas de ces ressources autochtones, les intervenants sont Autochtones, ils parlent la langue. On dit que, pour être intervenant, il faut parler la langue, mais il faut aussi plus que cela. C'est l'approche qu'on utilise.
Dans les maisons d'hébergement non autochtones, on parle beaucoup d'approche féministe et on encourage les femmes à trouver une certaine autonomie lorsqu'elles sont victimes de violence. On les encourage à prendre soin d'elles. On parle souvent d'être autonomes et de prendre soin d'elles. Par contre, on ne parle pas comme ça aux femmes autochtones. Ces femmes ne veulent pas laisser leur mari. Elles veulent unir la famille. Selon elles, quand on est marié, on est marié pour la vie.
C'est pourquoi les ressources, dont les maisons d'hébergement qui viennent en aide aux femmes, n'ont pas le choix, il leur faut aider aussi l'homme et la famille. C'est pourquoi il faut apporter de l'aide vraiment adéquate. On ne doit plus voir cette cassure entre le fédéral et le provincial.
Sur le plan du financement, les maisons d'hébergement sont un bon exemple. Depuis l'an 2000, l'organisme Femmes Autochtones du Québec inc., ou FAQ, avait beaucoup fait pression pour que le financement des maisons d'hébergement soit augmenté. J'aimerais faire une mise à jour de cette information.
Depuis l'an 2000, on a fait pression. Oui, le financement a été augmenté, mais, en même temps, à l'époque où on faisait des revendications, l'écart entre l'argent du provincial reçu par les maisons d'hébergement autochtones et celui reçu par les maisons d'hébergement québécoises était de 100 000 $. Plus l'écart augmentait, plus on demandait que ce soit corrigé. À un moment donné, l'écart était de 300 000 $.
Le fédéral a annoncé une augmentation du financement des maisons d'hébergement et le financement de base a été augmenté en 2008. On revient alors à l'écart du départ de 100 000 $. Présentement, c'est l'écart qui existe entre les maisons d'hébergement régies par le provincial et celles qui sont régies par le fédéral. C'est un exemple flagrant.
Pourtant, ces maisons viennent en aide aux personnes en crise, qui tentent de se suicider, aux toxicomanes et aux familles des femmes disparues. Ce n'est pas seulement une question de sensibilisation et d'aide aux femmes victimes de violence.
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Dans un monde idéal, avoir des maisons d'hébergement adaptées aux Autochtones, près des communautés, serait formidable, mais on sait qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Je ne pense pas que, dans l'éventualité d'un plan d'action à long terme, il serait possible d'avoir une maison d'hébergement ou une ressource autochtone.
Toutefois, étant donné qu'il n'y en a pas dans toutes les communautés, le mieux, en ce moment, serait des centres de crise. S'il faut faire une ou deux heures de route pour se rendre à une ressource, c'est très loin. Souvent la femme n'y ira pas, ou elle va rester dans la communauté et tout le monde va le savoir. C'est une question de confidentialité. Il faudrait avoir des centres de crise. Cela permettrait de gérer la situation, qui est une question de violence, peu importe la forme. Par ailleurs, on peut aussi parler de centres de crise pour le suicide. Il faudrait des endroits adaptés de ce genre.
Beaucoup de femmes autochtones se retrouvent dans les maisons d'hébergement non autochtones. Ces maisons sont un peu démunies parce qu'elles ne savent pas comment répondre adéquatement à ces femmes qui sont en crise. On m'a raconté que, souvent, les enfants devaient servir d'interprètes pour leur mère en crise, parce qu'elle ne parlait ni l'anglais ni le français. Quand on est en crise, qu'on ne parle ni l'anglais ni le français, on parle sa langue autochtone. Les enfants devaient donc faire l'interprétation pour leur mère. Imaginez le problème que cela pose à ces enfants. Ils sont témoins, mais ils sont aussi victimes de violence, en quelque sorte.
Ces femmes reviennent souvent en maison d'hébergement pour avoir un peu de répit. Une intervenante m'avait confié que le processus est très long. Si on compare une femme non autochtone à une femme autochtone, une femme non autochtone comprendra un peu qu'elle vit dans un cycle de violence. Elle se questionnera donc et se demandera ce qu'elle devra faire pour se prendre en main. Pour une femme autochtone, la violence est normale, c'est ainsi dans sa communauté. On voit aussi que le sujet est tabou, il ne faut pas en parler. Il faut prendre conscience de tout ce qu'elle vit. Il y a aussi le cycle des pensionnats, et tout cela. Le processus de guérison peut prendre deux ans, trois ans, avant qu'elle se rende compte de cela et qu'elle se demande ce qu'elle va faire de sa vie. Elle va penser à elle, parce qu'elle a toujours pensé en fonction du mieux-être de sa famille, de ses enfants et de la communauté.
Durant le temps de répit, elle va se reposer, mais elle va toujours retourner auprès de son mari. Souvent, c'est parce qu'elle n'a pas le choix. Vous n'avez pas parlé des biens matrimoniaux, un peu plus tôt. Si elle quitte son mari, elle va tout perdre. Elle va perdre sa maison et souvent elle n'a pas d'emploi. La plupart des femmes ne travaillent pas. Elle n'aura pas d'endroit où rester, et on sait que le taux de logements disponibles est très bas. C'est donc souvent un temps pour se reprendre un peu, pour prendre une pause. Le cycle revient souvent. Ces femmes reviennent souvent en maison d'hébergement, avec leurs quatre ou cinq enfants. Par ailleurs, il y a très peu de ressources adaptées pour ces enfants.
Nakuset doit avoir des statistiques sur le taux d'occupation.
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Merci beaucoup, madame Shauk.
Il reste huit minutes. J'aimerais poser quelques questions. Puisque je suis la présidente, j'en ai rarement le plaisir.
Nous avons reçu beaucoup de renseignements aujourd'hui et je crois qu'il est très important que le comité comprenne qu'il y a une différence entre les besoins des femmes dans les réserves et hors réserve. Il s'agit de femmes vivant en milieu urbain, comme à Vancouver, ma région.
Les femmes autochtones sont comme des orphelines. Personne ne veut accepter de les prendre en charge. Le gouvernement fédéral déclare que si elles ne sont pas dans une réserve, il n'est pas responsable. Le gouvernement provincial dit que c'est du ressort fédéral, car il s'agit de questions autochtones. Généralement, les municipalités sont celles qui doivent faire face à la réalité quotidienne de ces femmes. Comme l'organisme Stella le sait très bien, grâce à son expérience à Vancouver, beaucoup de ces femmes finissent par vivre dans la rue. Elles aboutissent dans le commerce du sexe parce qu'elles n'ont pas d'autre choix. Elles deviennent toxicomanes et elles sont massivement exploitées. Dans l'affaire Pickton, nous avons compris que toutes ces femmes qui ont été tuées étaient forcées de faire certaines activités dans des endroits sombres pour gagner les 5 $ leur permettant d'assouvir leur dépendance à la drogue ou de nourrir leurs enfants. Ce sont là les circonstances difficiles des femmes qui vivent à l'extérieur des réserves et dans les villes. Vous avez laissé entendre que la solution doit être très différente par rapport à celle préconisée pour les femmes dans les réserves.
J'aimerais entendre un bref résumé de vos propositions pour contrer le fait que personne ne veut assumer la responsabilité des femmes autochtones à l'extérieur des réserves.
Dans les réserves, lorsque nous nous sommes rendus au Nunavut et ailleurs — vous en avez parlé, madame Gabriel, et je trouve cela affligeant —, nous avons écouté les femmes autochtones expliquer que la violence fait partie de leur vie et que c'est normal. Il en ressort un sentiment d'impuissance absolue attribuable au cycle intergénérationnel de violence découlant des pensionnats indiens. Ces Autochtones ont grandi sans leurs parents et on leur a appris qu'ils étaient mauvais, que parler leur langue était horrible, que leur culture était terrible, qu'ils étaient de petits sauvages, qu'ils devaient changer et que de demeurer eux-mêmes revenait à... Bon nombre d'entre eux ont subi des sévices sexuels, psychologiques, et parfois physiques, sans compter les problèmes émotifs. Pour eux, la violence est un héritage transmis de génération en génération. Les femmes ne veulent pas quitter la réserve, elles ne veulent pas partir de chez elles. Beaucoup d'entre elles croient que leurs maris ou leurs conjoints ont simplement de la difficulté à faire face aux mêmes problèmes que tous les autres Autochtones.
J'ai une question au sujet du centre d'hébergement qui constitue un centre de crise. S'il s'agit d'un centre de crise, comment s'occupe-t-on des femmes qui ne veulent pas partir de chez elles? Nous avons également entendu des exemples de cas où la police est intervenue et voulait porter des accusations au pénal alors que la femme autochtone victime de violence n'a pas voulu. Ces incidents ne sont pas déclarés parce que les femmes ne veulent pas que leurs maris ou leurs conjoints aient à quitter la famille ni que cela cause des remous dans l'ensemble de la réserve. Alors elles se taisent jusqu'à ce que la situation soit intenable.
Comment pensez-vous que l'on s'y prendrait s'il y avait des centres de crise dans les réserves et que les femmes devaient passer d'un centre de crise vers un centre d'hébergement et ensuite d'un foyer de transition vers une maison d'hébergement transitoire? Il s'agit de trois entités différentes. Ces femmes auraient-elles à quitter la réserve? Comment feraient-elles pour s'éloigner de leur famille? C'est là une énigme qu'il nous faut résoudre.
J'aimerais que vous répondiez à ces deux questions, c'est-à-dire au sujet du triste sort des femmes autochtones en milieu urbain et à l'autre question... Partout où nous nous sommes rendus, nous avons entendu parler du besoin d'établir une stratégie nationale, exhaustive, intégrée, intergouvernementale et à long terme en collaboration avec les collectivités pour s'assurer d'y arriver. On nous a dit que c'était la seule solution efficace. Vous nous avez répété la même chose que les autres témoins dans toutes nos visites.
Pourriez-vous me répondre brièvement? Je veux ensuite vous remercier d'être venues aujourd'hui.
Madame Gabriel, je vous invite à répondre.
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Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de cette invitation. Je vais commencer par une brève présentation et vous parler notamment de mon expertise.
Je m'intéresse aux questions autochtones et à la justice pénale depuis 1985. Je suis professeure titulaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. J'ai exploré plusieurs facettes des questions autochtones, notamment par la voie de travaux que j'ai pu faire au sujet de la marginalisation des femmes autochtones en milieu urbain et plus particulièrement à Montréal. À travers une histoire de vie, j'ai retracé les trajectoires de marginalisation.
J'ai fait quelques travaux sur la police autochtone. Je me suis intéressée aux perspectives autochtones sur la régulation sociale et la justice pénale. Je me suis intéressée et je m'intéresse encore beaucoup aujourd'hui aux approches possibles autres que la justice traditionnelle. J'ai fait quelques travaux sur les cercles de guérison et les cercles de sentence. La justice réparatrice constitue un de mes champs d'expertise. J'ai aussi entrepris des travaux sur l'incarcération des femmes autochtones. Récemment, j'ai terminé une recherche sur l'expérience des femmes autochtones victimes de violence par rapport aux ressources qu'elles ont pu utiliser. Finalement, je suis actuellement membre d'une équipe de recherche, avec ma collègue Marie-Pierre Bousquet, sur l'expérience des femmes autochtones par rapport à la violence ici, au Québec, spécifiquement dans le but de dégager des pistes d'action à partir d'expériences que les femmes ont pu vivre. C'est, en résumé, mon bagage.
J'aimerais mentionner que si certains projets que je viens de citer n'ont pas directement porté sur la violence faite aux femmes, il va de soi que cette question est en filigrane de tous les travaux que j'ai pu faire jusqu'à présent.
Mon intervention est construite autour de trois questions, en particulier. Je devrais dire « notre intervention » puisque, comme le disait ma collègue, nous avons convenu d'agencer nos présentations. La première question est la suivante: quel est l'état de la situation de la violence envers les femmes autochtones au Québec? La deuxième question est la suivante: comment analyser la situation? Formulons la question d'une autre façon: pourquoi les choses ne s'améliorent-elles pas? La troisième question est la suivante: quelles seraient les pistes d'action prometteuses?
Ma collègue va s'attarder surtout sur la deuxième question. Lors de mon intervention, je tâcherai de répondre à la première question. Puis, j'empiéterai sur la troisième question. Marie-Pierre Bousquet va aussi aborder la troisième question.
Quel est l'état de la situation de la violence envers les femmes autochtones au Québec? Je dirais d'emblée qu'au Québec, il n'y a aucun portrait global, ni statistique, ni qualitatif, de la violence vécue par les femmes autochtones. Il existe des études, mais elles sont très éparses et peu récentes. Ces quelques travaux laissent entendre que la violence n'est pas un phénomène récent. On commence à en parler surtout dans les années 1980. D'ailleurs, ce n'est pas parce que l'on a commencé à en parler dans les années 1980 qu'elle n'était pas présente avant cela. Elle ne semble pas être un phénomène en régression, bien au contraire, elle semble être en expansion, ce qui est évidemment très inquiétant. Elle est très répandue dans les communautés, mais aussi dans les centres urbains.
J'attire votre attention sur le fait que le grand défi de demain sera aussi de s'occuper de ce qui se passe dans les milieux urbains, puisqu'il y a un déplacement important, depuis les années 1980, des Autochtones en milieu urbain. La violence est grave et multiforme, c'est-à-dire qu'elle est physique, psychologique et sexuelle. Elle est plus répandue, mais aussi plus grave que chez les non-Autochtones. Elle débute très tôt, dès l'enfance. Elle se manifeste sur une très longue période de vie. Habituellement, ça commence à l'enfance et ça continue jusqu'à l'âge adulte. Elle est quotidienne, banalisée, et s'insère dans une dynamique familiale relationnelle, donc entre conjoints, et elle est transgénérationnelle. Il y aurait autre chose à dire, mais disons que c'est un résumé.
Comme je vous le mentionnais, j'ai réalisé une étude sur l'expérience des femmes autochtones victimes de violence. Nous avons pris connaissance d'un certain nombre de récits d'expériences de 36 femmes de nations diverses au Québec. Cette recherche sur l'expérience de ces femmes, et sur les diverses ressources auxquelles elles ont pu avoir recours, m'a permis de dresser d'autres constats. Je les mentionnerai brièvement. J'aurai évidemment l'occasion de répondre de façon plus spécifique à vos questions, en particulier sur les stratégies mises en oeuvre par les femmes qui sont confrontées à une dynamique de violence, et aussi sur l'impact des ressources utilisées.
Cette étude est qualitative. Elle a révélé entre autres qu'un des problèmes est que, dès l'apparition des premières manifestations de violence, les femmes autochtones ont tendance à s'accommoder de la situation et à ne rien entreprendre véritablement. C'est souvent une première réaction et c'est une attitude qui contribue à maintenir le cycle de violence. Nous avons aussi constaté que toutes les femmes de notre échantillon ont utilisé un nombre considérable de ressources formelles et informelles, une quinzaine en moyenne, dans leur trajectoire de vie, au cours de leur expérience. L'âge moyen de notre échantillon de femmes est de 44 ans. Les résultats majeurs de ces études démontrent que la capacité d'une femme autochtone à sortir du cycle de violence, ou à y rester, est liée à trois aspects qui sont interreliés. Ces trois aspects sont les suivants: le profil sociodémographique, le profil de victimisation et le parcours d'utilisation des ressources en cas de manifestation de violence. Il s'agit donc des types de ressources et la chronologie d'utilisation de ces ressources.
Mentionnons brièvement d'autres éléments du profil sociodémographique. J'aimerais peut-être simplement mentionner que la recherche, à partir de ces 36 trajectoires, nous a permis de départager deux groupes: un groupe qui s'en sort relativement bien, qui a réussi à se sortir de ce cycle de violence, et un deuxième groupe, au moment des entretiens, qui est resté prisonnier de ces violences. Notre recherche a donc tenté de comprendre ce qui différenciait ces deux groupes.
Le profil sociodémographique est justement ce qui les différencie. Les femmes scolarisées, les femmes intégrées au marché du travail s'en sortent beaucoup mieux. Les Amérindiennes semblent beaucoup plus résilientes que les femmes inuits. L'isolement affectif des femmes est très important, on verra, dans les pistes d'action, la déstructuration de la cellule familiale, et notamment la perte de la garde parentale, qui peut résulter ou non de la violence vécue, participent d'un contexte peu favorable à une rupture avec les dynamiques de violence.
En ce qui a trait au profil de victimisation, on s'est finalement rendu compte que c'était moins la gravité objective de la violence que la durée et le type de violence qui différenciait les femmes qui s'en sortent le mieux de celles qui se maintiennent dans la dynamique de violence.
Il en ressort que la violence sexuelle et la violence qui se produisent tôt au cours de l'enfance forment deux facteurs de persistance dans la situation violente. Qui plus est, je dirais que ces deux situations, la violence sexuelle et la violence précoce, tendent à favoriser l'adoption de conduites violentes aussi chez les femmes victimes. Cela permet de mentionner que la violence doit absolument être analysée dans le cadre d'une dynamique. Je vais beaucoup insister sur l'idée qu'il faut vraiment intégrer cette question de la dynamique. Il faut aussi briser l'analyse polarisée, l'analyse classique quand il s'agit de violence faite aux femmes, de type bourreau et victime. D'ailleurs les études montrent très clairement que les hommes auteurs de violence ont aussi été victimes de violence durant leur enfance.
En ce qui a trait au troisième aspect, les ressources utilisées, on s'est rendu compte que le groupe résilient et le groupe persistant dans la violence ne se distinguent pas beaucoup quant au type de ressources utilisées.
Toutes les femmes de notre échantillon ont eu recours à la famille, à la police, à des centres de thérapie, à des pratiques traditionnelles, à des maisons d'hébergement, etc. J'aurais évidemment plus de choses à dire, on verra d'après vos questions.
On s'est rendu compte que le plus important n'est pas tant le type de ressource qui est utilisée que la manière dont cette ressource est utilisée. Plus particulièrement, il faut voir quels sont les buts poursuivis par les femmes lorsqu'elles utilisent une ressource spécialisée d'aide par rapport à la violence. À titre d'exemple, les femmes autochtones qui utilisent des ressources pour un répit ou une protection sont celles qui, habituellement, demeurent dans cette dynamique de violence parce qu'elles utilisent cela de façon un peu provisoire, comme un répit, tandis que les femmes qui utilisent les mêmes ressources dans une optique de prise ou de reprise en main personnelle sont celles qui s'en sortent beaucoup mieux.
J'ai beaucoup d'autres choses à dire, mais je termine par les pistes d'actions prometteuses. J'y vais en vrac. Pour moi, il est très important que les pistes d'actions soient menées sur plusieurs fronts à la fois. Pour moi, il est extrêmement important de ne pas cibler une seule piste, mais d'en considérer un éventail.
Je dirais d'abord qu'il faut changer notre manière de comprendre le phénomène de la violence envers les femmes. Je vous donnerai des détails si vous avez des questions là-dessus. Également, il ne faut pas dupliquer les actions et les programmes non autochtones en milieu autochtone, il ne faut pas faire du copier-coller. Il faut renforcer les initiatives qui émanent des autochtones eux-mêmes. Il faut, et j'insiste énormément là-dessus, comprendre que les approches répressives ne sont pas constructives. Il faut faire une distinction, il ne faut pas confondre sécurisation ou mise à l'écart, par exemple, de l'agresseur avec la répression.
Il faut transformer les finalités du système de justice en innovant par l'adoption de réponses différentes. Je pense aux tribunaux spécialisés en violence domestique, par exemple. Il faut développer des interventions qui sont inclusives, c'est-à-dire qui incluent l'ensemble des protagonistes: conjoint, famille et communauté, notamment, par la voie de pratiques culturelles. Je pense à ce que je connais un peu mieux, soit les cercles de guérison, la justice réparatrice et les comités de justice.
Il faut, à mon avis, agir en amont du problème aussi et non pas uniquement sur le problème, par exemple soutenir et renforcer le leadership des femmes autochtones dans les communautés, soutenir l'accès à des postes clés, à des pouvoirs locaux comme la mairie, etc. Il faut lutter contre la pauvreté, développer une approche de réduction des méfaits par rapport aux drogues et à l'alcool. Il faut soutenir des associations de femmes autochtones, etc.
Il faudrait, à mon avis, donner une formation sur la violence à tous les intervenants psychosociaux qui interviennent en communauté, ce qui inclut le personnel de la santé, les policiers, le personnel sociojudiciaire, mais aussi le personnel enseignant, par exemple. Il faut prévoir des formations similaires aussi en milieu urbain.
Il ne faut pas, à mon avis, standardiser les programmes et les actions qui pourraient être adoptés, il faut être conscient de la spécificité des communautés pour soutenir ces actions. Il faudrait, à mon sens, développer des politiques en milieu urbain pour lutter contre la discrimination, les stéréotypes, pour renforcer le déploiement d'un réseau de soutien pour les Autochtones en milieu urbain, c'est le grand défi de demain.
Je terminerais en mentionnant un élément très important. Sur le plan politique, il faut commencer rapidement à éliminer tous les articles discriminatoires de la Loi sur les Indiens.
Je vous remercie.
J'aimerais également commencer par vous remercier de m'avoir invitée à venir témoigner ici. Je me présenterai, également.
Je suis Marie-Pierre Bousquet. Je suis professeure agrégée au département d'anthropologie de l'Université de Montréal. Je travaille sur des questions autochtones depuis le milieu des années 1990 et je m'intéresse plus particulièrement aux sociétés amérindiennes, donc un peu moins aux sociétés inuites.
J'ai vécu pendant un an, en 1996, dans une communauté anishnabe du Québec. J'ai continué à y faire de fréquents séjours depuis, pour mes recherches et autres. Étant donné ma discipline de recherche, mon travail est principalement axé sur la recherche de terrain et c'est extrêmement important pour moi.
Je me suis penchée sur diverses questions, tout au long de mes années de recherche, mais je me suis particulièrement penchée sur les relations entre les générations, sur les relations au territoire, sur le paysage de croyances religieuses, sur la désintoxication, sur le passage à l'âge adulte, et je participe actuellement à une recherche sur l'expérience des femmes autochtones par rapport à la violence, dans le groupe de recherche dont Mylène Jaccoud fait partie.
J'ai cité tous ces thèmes de recherche. Ils ne vous apparaissent pas forcément liés à la violence. En fait, ils le sont. Si je prends seulement l'exemple des relations au territoire, le fait, par exemple, de faire parfois des séjours sur le territoire ou de se rapprocher du territoire peut être un moyen pour les femmes d'effectuer un certain nombre de prises de conscience par rapport à la violence qu'elles vivent, de retrouver une certaine paix et de prendre un certain nombre de décisions. C'est seulement pour vous donner une idée. Tous les thèmes que j'ai abordés ici sont liés aux problèmes sociaux. Je vais donc développer particulièrement le deuxième point annoncé par Mme Jaccoud, soit pourquoi la violence se perpétue en milieu autochtone.
Vous le savez sans doute, les femmes autochtones ont le triste record d'être la population la plus vulnérable de tout le Canada. Au quotidien, elles sont les femmes les plus souvent victimes de violence familiale et de violence conjugale, de la part de leur conjoint, qui, je le rappelle, peut aussi bien être autochtone qu'allochtone. Ce n'est pas forcément une question d'origine du conjoint.
Tout porte à croire que la violence a toujours existé, dans toutes les sociétés, mais, en ce qui concerne les peuples autochtones, elle n'a fait que croître. Cette croissance est liée à plusieurs facteurs: le stress de la colonisation, la pression de l'acculturation et l'imposition des manières de faire canadiennes. Elle n'a également fait que croître avec la chute de l'économie traditionnelle des peuples autochtones et le chômage lié à cette chute, avec le passage à la sédentarité, avec la tutelle accrue des autorités gouvernementales subséquentes et avec les réponses sociales comme l'abus d'alcool et l'usage de drogues, qui existaient avant la sédentarisation, mais qui ont connu un développement phénoménal depuis le passage à la sédentarité.
On peut donc dire que les blessures accumulées ont créé un cercle vicieux de la violence, ce qui explique en partie cette perpétuation de la violence. On peut distinguer deux manières générales de gérer la violence dans les communautés autochtones. La première, ce sont les modes traditionnels de gestion des conflits. La deuxième est le recours à des institutions qui ont été, au départ, imposées par l'appareil colonial, à savoir la police et les cours de justice.
J'ai beaucoup travaillé à la question des modes traditionnels de gestion des conflits. Ces modes traditionnels ont passablement été minés par l'intervention, voire l'interventionnisme, de l'État canadien et des représentants de ses forces de l'ordre. J'entends ici par interventionnisme l'ingérence dans les affaires des peuples autochtones avec l'utilisation, notamment, d'un appareil légal qui n'interpellait absolument pas les peuples autochtones et qui n'était pas fondé sur leurs manières de voir le délit et autres.
Il reste quand même des moyens autochtones, pour aider les femmes qui subissent de la violence, que j'appellerais ressources informelles. L'une des plus importantes ressources informelles, dans les recherches que j'ai faites pour les femmes autochtones et pour les femmes amérindiennes en particulier, c'est le réseau familial. J'entends par là le réseau de surparenté, c'est-à-dire à la fois de parenté et d'affinité. C'est un réseau d'entraide formé de personnes qui ont généralement des liens de parenté, mais qui ne sont pas forcément des liens de parenté très proches.
Les femmes autochtones victimes de violence peuvent aussi se diriger vers des ressources formelles comme les programmes de services sociaux et les maisons d'hébergement. Cependant, elles ne connaissent pas forcément toujours ces ressources. Par ailleurs, elles ne s'y sentent pas forcément non plus très à l'aise. Pourquoi cette situation ne s'améliore-t-elle pas? Les raisons sont multiples. Ma collègue en a déjà évoqué quelques-unes. De mon côté, je ne vais pas essayer d'en faire un classement, mais selon moi la plus importante est sans doute l'apathie générale face à ce problème.
Le sort des femmes autochtones semble être — je vais le dire en anglais avec un très mauvais accent et je m'excuse auprès des anglophones — le
dirty little secret of Canada. En effet, des dizaines de femmes amérindiennes, inuites et métis disparaissent et sont assassinées sans que cela ne mobilise ni les médias ni les autorités. Il faudrait donc, évidemment — vous êtes sans doute là pour cela —, une volonté politique fédérale, une volonté provinciale et locale de changer les choses.
Les modèles privilégiés auxquels on a tendance à penser sont la police, les cours de justice et les autres agents en charge du maintien de la régulation sociale. Ces modèles, privilégiés par ceux que j'appelle « les agents de la régulation sociale », sont la répression, d'une part, et le traitement ou la prévention, d'autre part.
Comme l'a dit ma collègue, on s'est parfaitement aperçu, à partir de toutes les recherches qu'on a faites, que la répression ne fonctionne pas du tout. Par ailleurs, les programmes sont très éclatés, ce qui les rend très peu productifs et, en outre, ils sont mal arrimés aux ressources informelles qui sont peu prises en compte, ce qui contribue à saper considérablement leur efficacité.
Également, les Autochtones ont encore très peu de contrôle sur l'application des programmes. Les communautés ne sont pas autonomes sur le plan du développement et leur état général de dépendance économique et administrative contribue largement au problème. Les pénuries de logements et d'emplois ainsi que les faibles niveaux d'éducation font partie de l'équation de la reproduction de la violence. D'ailleurs, ma collègue l'a souligné, plus une femme va avoir accès à une bonne éducation et sera intégrée au marché du travail, plus elle aura de chances de se sortir du cercle de la violence.
À propos d'éducation, on ne saurait oublier un fait qui contribue au manque de gouvernance, à savoir que les Autochtones manquent de formation pour appliquer les programmes de traitement et de prévention. En outre, s'ils désirent construire des programmes qui sont plus proches de leur manière de faire, ils doivent parfois aller chercher des fonds privés et ne savent pas toujours où aller les chercher.
Même si, de nos jours, de plus en plus de femmes accèdent à des postes de chef et de porte-parole de leur nation, il n'en demeure pas moins que le pouvoir reste encore largement aux mains des hommes, que ce soit à la tête des conseils de bande ou à la tête des municipalités québécoises où vivent des Autochtones. La discrimination politique des femmes pour les sociétés du Québec a été introduite par les relations avec les Euro-Canadiens et a été amplifiée par la violence légale dont sont victimes les femmes amérindiennes, depuis le XIXe
siècle. Je ne vais pas ici faire l'histoire de la Loi sur les Indiens que vous devez sûrement connaître, tout comme les débats que cette loi continue à susciter, mais j'aimerais souligner que le maintien des discriminations légales envers les femmes, ce qui va à l'encontre de leurs droits et de leurs libertés à s'identifier et à identifier leurs descendants comme Amérindiens, fait partie de ces violences et contribue parfois à donner des arguments aux personnes vivant dans les communautés pour exclure des femmes et maintenir une violence contre elles.
Cela contribue également à une ségrégation de leurs problèmes, ce qui fait que les femmes autochtones ont bien compris, quand elles ont décidé de créer leurs associations au début des années 1970, qu'elles devaient s'attaquer elles-mêmes, sans séparer les deux sujets, autant aux injustices de la Loi sur les Indiens qu'aux problèmes de la violence. Je pense à la femme autochtone du Québec, par exemple, qui fait partie de l'Association des femmes autochtones du Canada. Les deux thèmes, dès le départ de la création de l'association, ont toujours été complètement liés. D'ailleurs, il serait temps que leur prise de conscience devienne celle de tout le monde.
Si les associations de femmes autochtones ont permis d'accomplir des progrès dans la prise en compte des abus dont souffre cette population, les leviers communautaires sont encore insuffisants.
Un bon exemple est la promotion de modèles de conduite où le leadership des femmes reste peu valorisé. Dans les communautés autochtones, les femmes sont généralement considérées de façon paradoxale comme des gardiennes de la culture, et les responsables de la transmission de cette culture. Donc, a priori, on pourrait dire qu'il s'agit d'un rôle très valorisé, très prestigieux, mais en même temps, il est très difficile pour elles d'accéder à des postes importants et de faire entendre leur voix. Alors, elles travaillent aussi énormément à montrer qu'être femme et autochtone peut être associé à la poursuite d'études, à l'implication politique et sociale et à la personnification de valeurs comme la sobriété, le soin des autres, etc. Il serait donc sans doute nécessaire d'encourager et de développer ces modèles de conduite et l'accès des femmes au leadership.
Enfin, il faut le rappeler même si ça constitue une évidence, il faut tenir compte des cultures autochtones. La perpétuation de la violence dépend aussi de facteurs que l'on remarque dans les milieux autochtones, par exemple la règle du silence, qui est très problématique — ne serait-ce que pour déceler la violence avant même de l'affronter —, la peur de dénoncer et le fait qu'on puisse trouver la violence normale et acceptable. J'ai moi-même vécu pendant un an dans une communauté anishinabe, et je peux vous dire qu'au bout d'un an, j'ai fini par trouver normales les histoires de violence — qu'on échange comme ça lorsqu'on se raconte les potins du village — et ça m'a fait peur. Ça fait donc partie de cet environnement.
Les femmes autochtones vivent généralement une proximité relationnelle avec ceux qui les font souffrir, et elles ont souvent peur, si elle parlent, de briser leur environnement social et les soutiens dont elles disposent. Ces facteurs, qui maintiennent un état de statu quo, doivent être considérés dans des milieux qui fonctionnent énormément en vase clos. Il va de pair avec cela que les réponses actuelles à la violence envers les femmes autochtones sont inadéquates et insuffisantes.
Il ne faut pas non plus oublier que l'histoire des relations entre la Gendarmerie royale du Canada ou la police et les communautés autochtones est aussi une histoire lourde que l'on transmet au sein des milieux autochtones, de sévérités particulières envers les Autochtones, d'interventions qu'on a trouvées injustifiées, d'emprisonnement pour délits mineurs et d'arrachement d'enfants à leurs parents. Par ailleurs, l'histoire des relations avec les cours de justice n'est pas meilleure. Cette histoire pèse sur la qualité et l'efficacité des services qui sont offerts par la police et la justice en milieux autochtones. Ajoutons à cela que de nombreux services ne seront pas adaptés aux cultures autochtones, tout simplement par manque total et absolu de connaissance des cultures autochtones — chaque fois, ça me frappe.
Il existe bien sûr des policiers autochtones, des travailleurs sociaux autochtones, des intervenants en toxicomanie et en délinquance qui sont des Autochtones, et d'autre personnel qualifié. Ils ont l'avantage de connaître les réalités du terrain, mais ne sont pas toujours en nombre suffisant, et loin de là. En outre, ils ont très souvent des liens étroits avec les agresseurs ou leurs victimes et ne sont pas toujours bien formés, en particulier quand il s'agit de déceler de la violence qui n'est pas forcément physiquement prévisible. Ils ont donc souvent tendance à appeler violence ce qui correspond à des marques de coups très visibles — on l'a vu particulièrement dans la recherche que nous sommes en train de mener. Or, la violence ne se limite pas uniquement à cette forme; elle peut être non verbale, mais peut être verbale également. On note par ailleurs que, pour la violence non physique en particulier, le personnel non autochtone n'est pas forcément mieux formé que le personnel autochtone.
Ma collègue a déjà soulevé des pistes d'intervention, et je vais particulièrement insister sur deux d'entre elles. Il serait important de commencer en soulignant qu'il est difficile de parler des femmes sans parler des hommes. D'abord, ça ne reflète pas le point de vue des femmes ni leur désir en la matière, et si les femmes, en plus, souffrent de violence, c'est que les hommes en souffrent aussi. Les conjoints, les membres de la famille et les enfants font tous partie de cette histoire de violence. Ils sont tous affectés par les traumatismes qui en découlent, soit parce qu'ils en sont responsables, parce qu'ils en sont les dépositaires ou simplement parce qu'ils l'ont vécue et qu'ils la reproduisent. Tous ont besoin de soutien, et la prise en compte de l'environnement social doit être globale.
Il faudrait également encourager et soutenir le développement d'approches traditionnelles. Par approches traditionnelles, j'entends aussi des approches simplement autochtones, c'est-à-dire des modèles innovants, que les Autochtones aimeraient expérimenter s'ils leur paraissent plus appropriés à leur façon d'être.
Permettez-moi de terminer en insistant sur un fait. De par ma spécialité, je m'intéresse particulièrement à la culture, mais il faut impérativement prendre en compte la différence culturelle des femmes autochtones quand il s'agit de les aider à gérer ces problèmes.
Cette différence culturelle existe et perdure. Malgré 500 ans de cohabitation, elle est là. Il faut notamment faire participer et sensibiliser non seulement les Autochtones, mais également les allochtones à cette histoire, pour aider à travailler et à détruire les préjugés qui perdurent à cause de l'ignorance et qui perpétuent la violence systémique à l'égard des Autochtones.
Je vous remercie.
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Je vous remercie de votre question bien pertinente et intéressante.
C'est vrai que c'est très compliqué. Quand j'insiste pour dire qu'il n'y a pas une solution idéale, c'est réellement ce que j'ai pu constater. Prenons l'exemple des maisons d'hébergement. Je ne dis pas que les maisons d'hébergement sont inutiles, mais c'est un type de mesure qui n'agit pas vraiment sur les causes de la violence. Dans notre recherche, on s'est rendu compte que c'est encore une fois la femme qui porte le poids de devoir quitter le domicile. Souvent, l'agresseur reste dans la communauté. C'est encore sur la femme que repose le poids de faire une démarche, de partir, et tout ça. Si la maison d'hébergement se trouve à l'extérieur de la communauté, il y a parfois ce poids.
Cela dit, c'est difficile de répondre de façon unilatérale. J'ai rencontré, dans toutes mes recherches, des femmes qui disaient que, pour elles, c'était important de partir; d'autres disaient qu'elles aimeraient mieux rester. D'autres encore disaient qu'elles se sentaient plus à l'aise à l'extérieur, dans une maison d'hébergement, avec des non-Autochtones, parce que l'anonymat leur faisait du bien, alors que d'autres disaient qu'elles avaient besoin d'une proximité culturelle avec les leurs, qu'elles étaient mieux à l'intérieur de leur communauté. C'est pour ça que j'insiste beaucoup pour dire qu'il faut être créatif, mais surtout proche des gens.
Je sais que vous travaillez dans le domaine politique. On part du haut pour mettre en place des structures et des initiatives vers le bas. Je pense qu'il faut plutôt développer des approches inductives et aller, parfois, d'une communauté à l'autre pour bien connaître les réalités locales et pour déployer une pluralité de services, de manière à répondre à la diversité des besoins des gens. Si une femme a besoin de rester dans sa communauté, il doit y avoir une structure qui le permet. Si une femme veut sortir de sa communauté, il faut qu'il y ait une structure qui le permet, et non pas dire qu'on va créer des maisons d'hébergement dans toutes les communautés.
Qui plus est, il y a parfois un problème de fonctionnement de ces maisons d'hébergement, qui ressemblent à des prisons. C'est quand même incroyable qu'une femme autochtone victime de violence... Je ne nommerai pas de lieu, car ça ne servirait à rien. C'est quand même incroyable de voir des femmes autochtones se sentir doublement victimisées, parce qu'elles ont des horaires à suivre: elles ne peuvent pas sortir quand elles le veulent. Elles vivent une sorte d'enfermement. C'est absolument inadmissible.
La grande difficulté, à mon avis, c'est de comprendre que la proximité et les différences culturelles, dont parlait Marie-Pierre, font en sorte qu'il faille innover et trouver des choses complètement différentes. Dans les communautés, ça prend beaucoup de créativité. Je trouve qu'on manque souvent d'imagination.
Je ne sais pas si je réponds bien à votre question. Je pense qu'il ne faut pas uniquement concentrer nos efforts sur l'idée de la maison d'hébergement. La maison d'hébergement, c'est une solution, mais elle est très provisoire.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je ne sais pas par où commencer. J'ai très bien entendu ce que vous avez dit, et je pense que vous avez raison sur toute la ligne. Au fond, je me demande si ce n'est pas nous qui avons besoin d'éducation culturelle, car je me rends compte que, trop souvent, les décisions sont prises pour le bien de quelqu'un, elles ne sont pas prises en fonction des besoins de cette personne. On croit toujours mieux savoir, mieux faire, que les personnes engagées directement elles-mêmes dans le milieu.
J'entendais M. Desnoyers parler de colonisation et je faisais le parallèle avec l'apartheid en Afrique du Sud, un pays où il y a beaucoup de violence envers les femmes aussi, où cela s'est développé de plus en plus, et où les femmes s'accommodent de la violence. C'est vrai, les femmes s'accommodent de la violence, parce que c'est plus facile de s'en accommoder et de continuer à la subir que de faire quelque chose pour la contrer.
Il y a un terme que je déteste depuis toujours, c'est le terme « réserve ». Je suis tannée d'entendre ce mot. Les réserves sont en Afrique pour des animaux, non pas pour des êtres humains. N'y a-t-il pas lieu de faire de l'enseignement aussi dans nos écoles auprès des jeunes, dans toute notre société, pour connaître l'histoire, pour savoir avec qui ils partagent le territoire, que ce territoire-là initialement n'était pas le leur? N'y a-t-il pas lieu de faire quelque chose pour s'assurer que la vraie histoire est connue et pour rétablir les faits?
Très longtemps, j'ai cru qu'on faisait la charité aux Autochtones, aux Premières nations — parce que c'est ce qu'on nous a enseigné —, jusqu'à ce que je rencontre Ellen Gabriel et qu'elle me raconte l'histoire et que je comprenne qu'on ne fait la charité à personne. Ce sont des choses qu'on leur doit et on ne leur donne pas suffisamment encore, en retour de tout ce qu'on leur a pris.
Cela me préoccupe beaucoup de constater qu'il y a un fossé très large entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Vous parliez aussi d'harmonie entre les différents paliers de gouvernement. Prenons simplement l'exemple de la nouvelle politique provinciale pour les enfants. En cas de difficultés à la maison, le Tribunal de la jeunesse pourra retirer l'enfant à la mère autochtone, dans une communauté autochtone, et l'amener à des kilomètres de là où elle n'aura pas l'occasion de le voir aussi fréquemment. Ce sont des choses qui n'ont pas de sens. On reproduit l'histoire des pensionnats. Je me demande qui fera le lien entre les différents paliers gouvernementaux pour que cela ait une cohérence quelconque.
C'est peut-être compliqué comme réflexion et question, parce qu'il y a tellement d'idées dans ma tête.
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Je voudrais simplement ajouter que je suis entièrement d'accord avec ma collègue. En réponse à M. Desnoyers, au sujet des solutions possibles — j'abonde également dans le sens de Mme Demers —, je dirais qu'il y a deux aspects importants, à mon avis: l'éducation et la gouvernance.
Les communautés autochtones, qu'elles soient en réserve, en établissement, dans des villages ou dans des municipalités nordiques et autres, n'ont pas assez de gouvernance, c'est-à-dire qu'elles ont assez peu de latitude à l'intérieur du système. Elles reçoivent des programmes et des budgets qu'elles doivent appliquer, mais qui laissent très peu de place à l'initiative. Cela est évidemment très dommageable parce qu'on ne peut pas tout retirer à quelqu'un et espérer qu'il devienne indépendant. C'est un non-sens.
En fait, comme j'offre chaque semestre deux cours entiers de trois heures par semaine sur la colonisation, je me dis souvent — et chaque fois, j'en suis épatée — à quel point cela aurait pu être pire. Les Autochtones sont beaucoup plus résilients qu'on ne le pense. Je me dis qu'ils ont perdu leur économie, leur système social, on leur a interdit leur système de croyance, on leur a interdit de porter jusqu'à leur costume traditionnel. On leur a interdit plein de choses. Ça devrait être bien pire, mais ils ne s'en sortent pas si mal que cela. Ils ont beaucoup de volonté. Les communautés dans lesquelles je travaille sont extrêmement dynamiques. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent s'en sortir. Donc, il faut leur donner plus de gouvernance. C'est plus qu'un mot à la mode, comme le disait ma collègue.
Il y a aussi l'éducation. Je suis professeure d'université. Mes étudiants se présentent devant moi, lors du premier cours, et je leur demande quelles sont les 11 nations autochtones du Québec. Ils vivent au Québec, ils sont Québécois pour la plupart. Ils connaissent bien des noms par-ci par-là. Ils ne savent pas où sont les communautés. Ils ne savent pas combien il y en a. Ils ne savent même pas qu'il y en a 11. Ils ne savent rien, et je dis bien « rien ». Ils ont vaguement entendu parler de ces communautés. Ils ont des images généralement soit de gens fantastiques, en harmonie avec la nature, soit de soûlons très violents. Entre les deux, il n'y a rien.
Je travaille avec des Autochtones depuis plus de 15 ans. Si c'était aussi horrible, j'aurais changé de métier depuis longtemps. Donc, l'éducation est primordiale. On parle souvent de l'éducation des Autochtones, on dit qu'il faut mieux les former, etc., mais il faut aussi former les jeunes allochtones pour qu'ils en sachent un minimum. Par exemple, je travaille beaucoup dans des régions. La plupart des gens ne savent pas que les villages où ils habitent ont des toponymes autochtones. Ça devrait être inscrit à l'entrée d'un village. On devrait avoir accès aux toponymes pour qu'ils soient plus visibles. On vit dans une province où il y a une assez grande invisibilité des Autochtones.
Je suis allée dans d'autres provinces. Bien entendu, proportionnellement, il y a plus d'Autochtones. Par exemple, à Vancouver, il y a une certaine présence autochtone, ne serait-ce que dans l'art qui est omniprésent, qui est partout. Au Québec, où voit-on la présence autochtone? On se balade dans Montréal et on risque fort bien de ne pas savoir que le belvédère en haut du Mont-Royal est nommé « Kondiaronk », du nom d'un grand chef amérindien. Où est cette présence? Qui marque cette présence? Il n'y en a pas.
Alors, il faut participer à la visibilité des Autochtones, une visibilité positive, et montrer que ce sont des gens qui font partie de la société et que, chez eux, il y a toutes sortes de gens et de métiers: des ouvriers, des secrétaires, des designers, des médecins, des avocats, etc. Il faut commencer par montrer qu'ils vivent aussi dans cette société, qu'ils en font partie et qu'ils ont une histoire qu'il vaut la peine de connaître, une histoire absolument merveilleuse. J'aimerais que cet apprentissage commence dès le primaire, en fait. Ça me ferait plaisir.
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J'aimerais commencer à répondre à cette question en racontant une petite anecdote tellement éloquente. À un moment donné, j'ai fait une étude de terrain pour ma thèse de doctorat, à Puvirnituq, une communauté inuite de la baie d'Hudson. Ma thèse portait sur l'administration de la justice pénale et comportait un volet historique pour comprendre comment le système de justice eurocanadien s'était imposé aux Inuits, notamment. Il y avait aussi un volet sur le terrain où je leur demandais leur point de vue sur l'administration de la justice.
J'explique mon sujet en disant que ça porte sur le système de justice pénale. Une femme m'a interrompue en me disant les mots « justice pénale ». Elle m'a demandé ce qu'était la justice pénale. Je lui ai expliqué que c'était la justice punitive, notre système pénal. Elle me répond que c'était drôle parce que les mots « justice » et « punition » n'allaient pas de pair. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire par là. Elle m'a dit que, pour eux, la justice, c'est faire du bien; punir, c'est faire du mal.
Je m'en suis toujours rappelé. De par mon insertion en criminologie, j'ai développé un regard critique et suspicieux à l'égard de notre façon de faire, qui ne fonctionne pas mieux dans le sud ou dans les communautés non autochtones. Il faut vraiment réinventer nos approches face à des problèmes sociaux.
Je dis souvent que lorsqu'un événement problématique se produit, qu'on appelle ça un crime ou une voie de fait — qu'importe le nom qu'on lui accole —, le grand problème, c'est qu'un système de justice va toujours regarder ça sous l'oeil de la transgression. Il y a eu une transgression à un code. En fait, avant cette transgression, il y a deux choses. Il y a souvent quelque chose qui précède une situation problématique qu'on va qualifier de crime, donc des problématiques qui précèdent cette transgression. En plus, la transgression crée des conséquences.
Alors, si vous voulez mon avis, un véritable système de justice devrait se concentrer en amont de la transgression. En fait, il importe de savoir pourquoi quelqu'un a tapé sur la tête de quelqu'un d'autre. On ne va pas s'intéresser à la transgression, mais pourquoi on est arrivé là. Peut-on agir pour éviter qu'on se tape sur la gueule et aider les gens à ne pas le faire? L'autre chose, c'est que le fait d'avoir frappé quelqu'un est porteur de conséquences. Peut-on s'occuper de ces conséquences?
Donc, un véritable système, qu'on l'appelle de justice ou autre, est un système qui tient compte des personnes en situation, et la transgression à la limite est secondaire. Je sais que ça peut choquer des gens de m'entendre tenir ce discours, mais plus j'avance dans mon travail, plus j'affirme de façon très affirmative et très sûre qu'il faut essayer de se dégager de l'idée de la transgression aux normes sociales et qu'il faut s'occuper des gens qui sont pris dans ces problèmes sociaux pour les soutenir. Il faut donc développer un réseau d'aide et de soutien.
Je reviens sur la question de la violence dans les communautés autochtones. Pour avoir rencontré bien des gens qui se retrouvaient dans ces dynamiques, je peux vous assurer que et l'homme et la femme ont besoin de soutien. Il n'y a rien de pire qu'un système de justice qui, de toute manière, fonctionne de façon complètement différente. Marie-Pierre pourra vous donner plein d'exemples, mais dans mon domaine, par exemple, la notion de culpabilité n'existe pas dans les langues autochtones. Alors, devant un tribunal, comment va-t-on traduire ça? On demande si la personne l'a fait ou ne l'a pas fait, voilà comment on traduit la notion de culpabilité.
Donc, il faut complètement changer nos façons de voir pour renforcer plutôt l'idée de la responsabilisation. Par exemple, la personne admet qu'elle a été impliquée dans tel événement, qu'elle était responsable de ça, elle le reconnaît, etc. Les gens ont besoin de soutien. Ils n'ont pas besoin d'être envoyés en prison.
Évidemment, il faut protéger des gens. Le problème en milieu urbain est différent, mais dans les communautés, il y a en fait des aires naturelles de protection qu'on peut utiliser. Il y a des initiatives fort intéressantes de prise en charge des hommes agresseurs qui se retrouvent avec des problèmes. Les hommes agresseurs ne sont pas plus heureux. Toutefois, cela prend du courage, de l'initiative, de la créativité, et il faut sortir des sentiers battus.
Dans le cadre du troisième rapport que je suis en train de préparer, au sujet de la communauté de Kuujjuaq, je suis tombée sur une idée que j'aime beaucoup et que j'ai envie de vous livrer. Cette idée a beaucoup été utilisée par les gens qui travaillent en sciences politiques. Ils disent que le problème avec les réformes institutionnelles qu'on essaie d'apporter est qu'on souffre du syndrome du path dependency. Excusez-moi, mon anglais n'est pas terrible. Cette idée de path dependency est très intéressante. Elle signifie que lorsqu'on est au sein d'une institution ou d'une organisation — que ce soit le système de justice, le politique ou qu'importe —, on est toujours, comme le hamster, enfermé dans sa roue, et on pense à la réforme en fonction non seulement de la logique de notre système, mais de l'histoire et de la trajectoire de notre institution.
Donc, on adopte toujours des réformes dans cette logique et on devient dépendants de sa propre organisation et du poids de son histoire. Qu'est-ce que cela veut dire? On est tous pris dans ce path dependency: vous, moi, Mme Bousquet et tout le monde. On est toujours dans un couloir et on pense toujours en fonction de ce couloir.
Je vous donne l'exemple de la recherche que j'ai faite sur Kuujjuaq, où j'ai interviewé une personne...
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Je souhaiterais souligner quelque chose qui a déjà été dit, mais qui va dans le sens de la question. Je veux souligner l'importance d'aborder les problèmes de façon globale. J'ai côtoyé des travailleuses sociales dans des communautés, qui me disaient ne plus savoir par où commencer, parce qu'on pratique souvent la « politique du pansement ». On met de petits pansements sur différents bobos, mais la blessure ouverte est finalement beaucoup trop grande. Les pansements ne seront donc jamais suffisants pour couvrir l'ensemble de la blessure. Elle va demeurer ailleurs.
Quand on parle des jeunes qui entrent dans ce cercle de violence — il y a l'alcool et la drogue —, c'est lié au fait qu'ils ont eux-mêmes vu et vécu la violence. On ne peut pas traiter ça par petits bouts, sinon on perd une énergie folle. Je me souviens avoir fait un travail dans une communauté de 350 personnes où on a simplement fait le recensement du nombre de programmes de services de santé. Il y avait plus de 25 programmes. Il y en avait pour à peu près tout et n'importe quoi. En conséquence, comme ces programmes fonctionnaient de façon séparée, un femme pouvait devoir se présenter le jeudi, de 10 heures à 11 heures, si elle avait un enfant de moins d'un an, et l'après-midi, si elle avait des enfants d'un à trois ans. C'est ridicule parce que, de toute façon, elles sont mères de plusieurs enfants, alors ça ne donne rien de séparer les groupes. C'est un exemple pour vous dire qu'il faudrait vraiment avoir un modèle beaucoup plus global.
Aussi, je me suis aperçue, au cours d'une recherche assez récente que j'ai faite au sujet du passage à l'âge adulte chez les jeunes, que ces derniers ont incorporé un certain nombre d'idées négatives quant au fait d'être Autochtones. En particulier, ils ont des conduites à risque. Ils peuvent se dire, par exemple, que si on est un jeune Autochtone et qu'on n'a pas vécu de problèmes de boisson et des problèmes graves, on ne sera pas aussi autochtone que les autres. Il y a une reproduction de la violence, aussi, parce qu'ils ont incorporé l'idée du modèle qu'ils ont connu, celui du gars assez tough qui fait des bêtises. Souvent, il y a une prise de conscience vers 25 ou 30 ans parce qu'ils ont vraiment eu des conduites très à risque et sont près de mourir. Parfois, il y a un sursaut, mais quand ce sursaut n'a pas lieu, il y a des cas qui ne sont pas toujours recensés comme des suicides, mais qui le sont de toute façon. Ces jeunes ont vraiment fait tout ce qu'il fallait pour en finir plus tôt avec la vie.
Tout le problème de l'incorporation d'images négatives au fait d'être Autochtone est gravissime, et je dirais qu'aborder ces problèmes dans un cadre global veut aussi dire rendre aux Autochtones la fierté d'être Autochtones. J'ai vu des jeunes qui pleuraient dans les pow-wow, par exemple, parce qu'ils trouvaient ça beau, ils étaient fiers. Ils trouvaient ça beau de voir des gens danser et se prendre en main. Souvent, être un danseur de pow-wow veut dire soutenir la sobriété, la guérison, etc. J'ai vu des jeunes du genre petits durs qui ne montrent jamais leurs sentiments fondre en larmes parce qu'ils se sentent tellement fiers d'être Autochtones. Là, c'est vraiment frappant, pour ce qui est de cette fierté chez ces jeunes. Je leur rappelle que j'ai traversé l'Atlantique pour venir comprendre leurs cultures. Ces cultures en valent le coup, elles sont intéressantes, leur société en vaut le coup, et eux-mêmes ne le savent pas toujours. Alors, ça fait aussi partie de cette dynamique et d'une violence qu'ils ont connues au cours de leur vie.
J'aimerais que nous siégions à huis clos quelques instants, et il faut donc que je réserve du temps à cette fin.
Je tiens donc simplement à remercier les témoins de leur présence parmi nous et de nous avoir donné... Bien entendu, nous ne discutions pas avec des gens qui travaillent sur le terrain, mais bien avec des chercheurs, dont le champ d'étude embrasse toute la réalité culturelle. J'aimerais seulement vous dire une chose. Venant moi-même d'un pays colonisé — il y a bon nombre d'entre nous qui viennent d'autres pays du Commonwealth et qui savent ce que cela signifie que d'être colonisé —, je comprends très bien de quoi les collectivités autochtones ont souffert.
L'autre jour, je m'entretenais avec un ami et je discutais de la question de la violence et des autres enjeux connexes. Il vit dans le quartier centre-est de Vancouver, et il m'a alors dit, « J'en ai jusque-là d'entendre toutes ces jérémiades ». C'est bien ce qu'il a dit. Il a ajouté, « Vous savez quoi? Des gens plus forts que les Autochtones sont arrivés et ont pris leurs terres, alors ils doivent tout simplement s'y faire ». J'ai écouté ses propos et je me suis dit, « Vraiment, d'où sortez-vous? »
À l'époque, la civilisation occidentale, l'Europe et la Grande-Bretagne étaient les grandes puissances du monde et elles sont venues ici et se sont emparées du Nouveau Monde, et bien entendu, tous ces gens étaient plus sages que les autres. Ils représentaient la civilisation tandis que les peuples conquis étaient des sauvages. Ils devaient donc leur montrer que leurs vies étaient mauvaises, que leur façon de vivre était mauvaise, que tout ce qu'ils faisaient était mauvais et qu'il fallait donc leur montrer comment mieux vivre. Au fond, le colonialisme, c'était arriver ici et dire aux autres peuples que vous en saviez plus qu'eux, qu'ils n'étaient qu'un groupe de sauvages, que vous étiez civilisés et que vous alliez leur dire comment faire les choses.
La nécessité absolue d'une « réacquisition » de la culture est très importante. Je sais que vous avez parlé de voyages dans l'Ouest et de ce que vous avez vu là-bas. Je n'ignore pas que de petits pas ont été faits. La situation est loin d'être parfaite. Je sais toutefois aussi qu'à chaque fois que le premier ministre de notre province, et quelle que soit son orientation politique — et je parle bien sûr d'hommes car il n'y a qu'eux à avoir été premiers ministres jusqu'à maintenant —, prend la parole, où qu'il soit, et avant même de commencer, il va dire, « Je tiens à remercier la nation Salish » — ou encore la nation Musqueam ou une autre — « de nous permettre de vivre sur ses terres ». C'est une phrase simple. Pour ma part, je m'exprime ainsi et nous le faisons tout le temps, tout comme M. Martin dans le temps. On reconnaît ainsi qu'on se trouve sur la terre de quelqu'un d'autre, sur une terre qui n'est pas la nôtre. On insiste sur le sentiment qu'on est ici en tant que peuples arrivés plus tard.
À l'Université de la Colombie-Britannique, il s'effectue beaucoup de travail anthropologique. On a ainsi découvert le Rocher Hatzic, situé dans la région d'Abbottsford, où on a effectué des fouilles. Grâce à la datation par le carbone 14, on a découvert que la culture autochtone existait il y a 40 000 ans. On a réussi à remonter à jusqu'il y a 20 000 ans et on a découvert que les Autochtones d'alors commerçaient tout le long de la côte des Amériques. Ils rapportaient des minéraux et d'autres biens qu'on ne trouvait pas en Colombie-Britannique et que ces fouilles ont permis de mettre au jour.
L'organisation des gouvernements autochtones était très évoluée et il y avait énormément de commerce à leur époque. Ces sociétés n'étaient pas parfaites, mais à mon avis, il n'en existe aucune de parfaite. Là où je veux en venir toutefois, c'est que de là à décider que les Autochtones sont inutiles, il y a un monde. Rappelons cependant que beaucoup de gens vivent encore en pensant qu'ils sont inutiles, sauvages et que quoi qu'ils fassent, cela n'a pas la moindre valeur, or ça n'est pas quelque chose qu'on peut corriger en seulement cinq ans.
Pour commencer, tout ce que nous pouvons faire, c'est écouter, apprendre et, à mon avis, veiller à respecter cette culture comme il se doit, et enfin, dire à ces représentants que ce sont eux qui ont les réponses et que nous ne pouvons pas imposer les nôtres. J'espère d'ailleurs que c'est ce que nous allons entendre au fur et à mesure de nos travaux. Cela dit, parmi les témoignages que nous entendons, il y a en règle générale beaucoup de répétition.
Toutefois, vous nous avez offert des perspectives beaucoup plus vastes sur la marche à suivre à long terme ainsi que sur les problèmes auxquels les Autochtones seront confrontés. Dans l'Ouest, il existait bon nombre de sociétés matriarcales et matrilinéaires chez les Autochtones et le titre de chef était donc transmis par les femmes. Par conséquent, on ne peut pas dire qu'il s'agissait nécessairement d'une société dominée par les hommes. On voit cependant que les choses ont changé parce qu'on a montré à bon nombre de peuples autochtones que les sociétés patriarcales fonctionneraient toujours bien.
Je vous remercie de votre présence parmi nous. Je suis vraiment ravie de vous avoir entendu car votre grille anthropologique, historique et culturelle nous aidera, je l'espère, à bien mieux comprendre la voie que nous devrons emprunter lorsqu'il s'agira de rédiger nos recommandations et notre rapport. J'espère que ce dernier sera sensible aux réalités autochtones et qu'il ne se contentera pas de la rhétorique habituelle de la rectitude politique qu'on trouve souvent dans les comités parlementaires.
À mon avis, l'occasion nous est vraiment donnée de changer le cours des choses. Nous pouvons vraiment faire quelque chose de marquant par rapport à des réalités qui existent depuis très longtemps. J'espère d'ailleurs que notre comité aura le courage de le faire.
Merci de votre participation.
J'aimerais maintenant suspendre nos travaux pour que nous siégions ensuite à huis clos. S'il vous plaît, ne prenons que quelques minutes de pause.
Je vais aussi demander à ceux qui doivent quitter la salle de bien vouloir le faire dans les plus brefs délais.
[La séance se poursuit à huis clos.]