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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 024 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 juin 2010

[Enregistrement électronique]

  (1100)  

[Traduction]

    Bonjour à tous et à toutes.
    La séance est ouverte.
    Je remercie les témoins d'être venus.
    Le comité ne voyage pas au complet. Il n'y a que quelques membres car si nous sommes en déplacement pendant que la Chambre siège, des membres doivent être présents à la Chambre. Ce qui se produit souvent, c'est que les comités se déplacent avec moins de membres qu'à l'habitude, donc le comité que vous voyez aujourd'hui est un comité représentatif des quatre partis de la Chambre.
    On vous avait dit que vous auriez 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, mais je vais vous faire une proposition et si vous n'êtes pas d'accord, nous vous laisserons 10 minutes, mais si vous ne vous y opposez pas, on pourrait procéder différemment. Il serait préférable, au lieu de procéder comme s'il s'agissait d'une séance très officielle, avec des séries de questions de sept et de cinq minutes, de procéder comme une table ronde pour avoir une meilleure interaction et faciliter les échanges plutôt que de faire un exposé avec raideur, puis, des questions bien précises vous seront posées et nous pourrons tous en discuter.
    Avez-vous des textes écrits? Oui. Sont-ils longs? Huit minutes? J'espérais donner à chaque témoin environ trois minutes afin que vous puissiez vous présenter, dire ce que vous faites, présenter votre point de vue sur la question à l'ordre du jour et faire des propositions.
    Nous étudions la violence faite aux femmes autochtones. Nous voulons nous pencher sur la cause fondamentale de cette violence. Et quand nous parlons de « violence », nous voulons aborder l'ensemble du sujet, pas seulement les aspects sexuel, physique, psychologique ou systémique de la violence. La discrimination est une forme de violence de même que la réprobation, tous ces éléments font partie de la violence au sens large du terme. Ensuite nous voulons parler des formes de violence.
    Nous voulons approcher cette question sous un angle différent que celui de dire seulement que les femmes sont victimes de violence et il faut nécessairement que ce soit quelque chose de visible comme un oeil au beurre noir, voilà ce qu'est la violence.
    Nous voulons en parler et évaluer son incidence sur les femmes autochtones et leur capacité de survivre et de bien fonctionner en société. Nous voulons ensuite savoir ce que vous en pensez.
    Ce sujet est l'objet de discussions depuis très longtemps. Tout le monde sait que cette question a été débattue de long et en large. Les Soeurs par l'esprit se sont penchées sur cette question, de même que des commissions, mais il semble qu'elle soit tellement répandue que personne n'arrive à véritablement régler le problème.
    Nous voulons examiner ce problème de façon à ce que vous puissiez nous présenter des recommandations sur ce que le gouvernement du Canada, qui ne peut pas tout régler, peut faire pour aider à faciliter... S'il y a une loi, si vous pensez que nous pouvons prendre des mesures dans le cadre de la compétence fédérale, si vous pensez qu'on pourrait faire les choses différemment. Je vous demande d'être créatives, aussi franches que possible pour nous dire ce que vous pensez vraiment.
    Voilà ce que je vous propose de faire pendant les trois minutes qui vous seront accordées, si vous êtes d'accord, je demanderais ensuite aux membres du comité de se présenter pendant une minute — nous ne voulons pas que les parlementaires aient trop longtemps la parole car vous savez qu'on a tendance à beaucoup parler; ils n'ont qu'à tout simplement se présenter et dire ce qu'ils font avant que nous attaquions le vif du sujet.
    Alors qu'en pensez-vous ou préférez-vous faire ce que vous aviez prévu?
    Très bien. Merci beaucoup.
    Commençons par Mme Pamela Shauk du Centre d'amitié autochtone de Montréal.
    Pamela la parole est à vous.
    Bonjour, je m'appelle Pamela. Je suis Inuite. Je suis originaire de la baie James. Mon travail consiste à offrir des services de proximité. Je travaille avec les sans-abri et pas seulement eux, mais aussi avec des personnes qui n'ont pas de domicile et qui ont besoin d'aide, surtout des femmes. Je travaille avec tous les groupes d'âge, des personnes jeunes, d'âge moyen ou âgées.
    Mme Martin, qui est du Foyer pour femmes autochtones de Montréal.
    Nous avions en fait préparé un exposé, alors pouvons-nous vous le présenter?
    Bien sûr, si vous préférez procéder ainsi, allez-y.
    Très bien. Mme Nakuset va commencer. Nous avons nos documents.
    Bonjour. Je m'appelle Nakuset. Je suis directrice exécutive du Foyer pour femmes autochtones.
    Je veux tout simplement vous dire en quoi consiste le foyer et ce qui s'y passe.
    Le Foyer pour femmes autochtones a été établi en 1987 et c'est le seul foyer à Montréal destiné exclusivement aux femmes et aux enfants des Premières nations, des Inuits et des Métis. Nous avons beaucoup mis l'accent sur la guérison des effets du traumatisme intergénérationnel résultant du système des pensionnats autochtones. Notre approche se fonde sur la culture et une vue d'ensemble. Nous offrons des services axés sur la tradition et la spiritualité qui ne sont pas fournis dans d'autres foyers de la région.
    La violence faite aux femmes autochtones est une des questions les plus préoccupantes dans nos collectivités aujourd'hui et elle peut découler de facteurs comme l'abus d'alcool ou d'autres drogues, les inégalités sociales, la discrimination systémique et la dissolution des familles. Ces problèmes peuvent tous retrouver leur source dans le système de pension autochtone, dont les effets continuent de se faire sentir de nos jours dans la société.
    En 2009-2010, 56 p. 100 des femmes qui ont eu recours aux services internes du foyer ont dit qu'elles avaient été victimes d'au moins une forme de violence. Cette statistique est représentative de l'expérience courante des femmes autochtones d'un bout à l'autre du pays. Statistique Canada a déterminé que les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles de déclarer des actes de violence conjugale que les femmes non autochtones, et la violence dont elles font l'objet est considérablement plus grave...
    Excusez-moi, pouvez-vous ralentir un peu?
    Oui. Les actes de violence à leur égard risquent encore plus de constituer un danger de mort.
    Comme je coordonne le projet de réduction de la violence depuis les quatre dernières années au foyer pour femmes, j'a pu constater de première main le lien entre les conditions socio-économiques, comme la violence conjugale, la toxicomanie et le niveau de tests VIH positifs. Toutes les femmes qui ont été diagnostiquées séropositives pendant le projet ont été victimes d'une forme de violence.

  (1105)  

    Selon la coordonnatrice du programme des services de proximité, qui a été conçu pour fournir des services de suivi à nos anciens clients internes, le taux de violence est tout aussi répandu. Elle estime que 70 p. 100 de ses clientes sont victimes de violence conjugale. L'an dernier, une de ses clientes a été tuée. Elle est d'avis que le cycle de violence commence à l'enfance et qu'il se perpétue dans les relations à l'âge adulte.
    Ces femmes quittent leurs collectivités à la recherche d'une vie meilleure, et elles retrouvent les mêmes problèmes ici en ville. Nos travailleurs de première ligne ont observé un taux plus élevé de violence conjugale parmi les membres de leur clientèle. Il faut également noter le pourcentage élevé de femmes qui retournent auprès de leur conjoint violent. Nous voyons maintenant la troisième génération de femmes prises dans l'engrenage du système de protection des jeunes. La grande majorité d'entre elles ont des problèmes de toxicomanie et sont incapables de se retrouver dans les méandres du système juridique.
    Quand on réduit le problème de la violence conjugale à une question d'estime de soi, on se retrouve essentiellement à blâmer la victime. On pathologise la personne en raison d'un manque de ressources fondamental, et dans ce cas-ci il s'agit de ressources visant particulièrement les Autochtones. Nous aimerions qu'il y ait des services qui incluent du counselling pour les hommes autochtones concernés par la violence conjugale et nous voudrions qu'un foyer pour hommes autochtones soit mis sur pied afin d'offrir des services équivalents à ceux que nous offrons par le biais du foyer pour femmes autochtones.
    Nous aimerions aussi que d'autres organisations en milieu urbain offrent des services adaptés culturellement en matière de soutien aux femmes autochtones et de lutte contre la violence conjugale; par exemple: des groupes de soutien exclusifs, des groupes de guérison traditionnelle et d'autres services qui offrent aux femmes autochtones des solutions de rechange à la médecine occidentale.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous écoutons maintenant Carole Brazeau, de Femmes Autochtones du Québec Inc.
    Je viens de la nation algonquine et je suis la coordonnatrice du dossier justice et sécurité publique à Femmes Autochtones du Québec. Ellen parlera au nom de notre organisme.
    Voudriez-vous vous présenter rapidement, Carole?
    Je travaille depuis plus de 17 ans au Foyer pour femmes autochtones de Montréal, où j'offre des services de première ligne aux femmes et aux enfants autochtones.
    Merci.
    Madame Robertson.

[Français]

     Je m'appelle France Robertson et je suis coordonnatrice du dossier promotion à la non-violence et maisons d'hébergement pour l'organisme Femmes Autochtones du Québec inc. J'occupe cette fonction depuis huit ans. Je suis une Innue de Mashteuiatsh et, au sein de l'organisme Femmes Autochtones du Québec inc., je m'occupe entre autres d'un réseau de maisons d'hébergement. Cette année, nous avons comme membres des maisons d'hébergement inuites situées au nord du Québec et environ 12 maisons d'hébergement autochtones au Québec qui viennent en aide autant aux femmes qu'aux enfants. On vient aussi en aide aux hommes. L'aide offerte aux hommes est particulièrement rare, compte tenu de la demande.
    Je vais laisser la présidente, Ellen, vous parler de la situation relativement à la violence faite aux femmes au Québec.

[Traduction]

    Merci.
    Madame Gabriel.
    Je m'appelle Ellen Gabriel, et je suis la présidente de Femmes Autochtones du Québec depuis 2004. Je viens de Kanesatake, une communauté mohawk, qui a subi de plein fouet la violence perpétrée par le gouvernement du Canada lors de la crise d'Oka.
    Il y a 20 ans que je suis une artiste et une activiste. Dans notre association, nous envisageons notre travail de façon holistique. Nous cherchons des solutions pour notre communauté. Nous devons donc tenir compte de l'effet que la colonisation a eu sur le fonctionnement de nos communautés, et nous devons voir comment le projet de loi qui est à l'étude au Parlement, et qui a été proposé par le gouvernement conservateur, n'est qu'un ensemble de mesures disparates pour changer la Loi sur les Indiens. En bout de ligne, la Loi sur les Indiens existera toujours. Depuis le lancement de l'initiative de recherche Soeurs par l'esprit, il y a de nombreuses années, nous insistons auprès du gouvernement, de concert avec nos collègues d'Amnistie Internationale, pour que soit établi un plan d'action national qui nous permettra de déterminer les besoins qu'il faut combler pour que les familles, les enfants et les communautés puissent tourner la page d'un triste chapitre de l'histoire des peuples autochtones, un chapitre dont on a du mal à voir la fin.
    Nous demandons aussi au service de police de mettre en oeuvre le protocole de 2006, le protocole des chefs de police, grâce auquel on a reconnu qu'il fallait un mécanisme particulier pour permettre à la police d'intervenir non seulement en cas de meurtre ou de disparition de femmes autochtones, mais aussi en cas de violence. Je crois que, dans les réserves, les membres des services de police ne sont pas formés adéquatement pour intervenir dans les cas de violence conjugale, de violence sexuelle, ou encore de meurtres ou de disparitions de femmes autochtones. Le manque criant de ressources humaines dans nos communautés nuit donc à la lutte contre ces problèmes graves.
    Je crois que la colonisation est un facteur important dans la violence contre les femmes autochtones. Dans son rapport de 2004, Amnistie Internationale affirme que les stéréotypes et les préjugés que l'on observe depuis longtemps dans la société canadienne ont permis que des gestes de violence brutaux et fréquents soient commis contre les femmes autochtones. Les politiques gouvernementales et le fait que les Autochtones soient dépossédés de leurs terres, de leurs ressources et de leur territoire aggrave le problème. En perdant leur lien avec la famille et la communauté, les femmes autochtones souffrent d'autant plus de la pauvreté.
    En dépit des excuses présentées le 11 juin aux anciens élèves des pensionnats indiens, rien n'indique que le gouvernement actuel mise sur une réconciliation saine avec notre communauté afin d'atténuer les effets néfastes des pensionnats indiens sur les enfants autochtones, lesquels, lorsqu'ils sont devenus adultes, ont voulu élever des familles en s'appuyant sur les expériences qu'ils avaient vécues.
    Compte tenu de la mise en place de la Fondation autochtone de guérison et de la Commission de vérité et de réconciliation, on s'attend à ce que le gouvernement puisse régler les problèmes constatés dans un délai fixé.
    Mais comment pouvons-nous ignorer 100 ans de colonisation, d'oppression et de lois qui ont fini par s'incruster dans le subconscient des membres de notre communauté? Il faut du temps. Il faut que le gouvernement fasse preuve de soutien, d'honnêteté et de bonne volonté pour être en mesure d'aider nos communautés.
    Ce n'est pas qu'une question d'argent; c'est aussi une question d'éducation. À mon sens, l'une des choses qui fait cruellement défaut, c'est la sensibilisation au gouvernement sur la manière dont la colonisation a bouleversé les communautés autochtones et sur la manière dont cette colonisation continue de se faire sentir aujourd'hui.
    Nous devons agir maintenant pour que les enfants d'aujourd'hui n'aient pas à souffrir des politiques coloniales et oppressives de la Loi sur les Indiens. Nous avons demandé que le gouvernement approuve pleinement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous avons beaucoup souffert, notamment sur les plans linguistique et sexuel et, je crois, au chapitre de notre identité en tant qu'être humain.
    Depuis son arrivée au pouvoir, il y a quatre ans, le gouvernement n'a tenu aucune consultation adéquate et n'a pas pris suffisamment de mesures destinées à répondre à nos besoins.

  (1110)  

    Je vais m'arrêter ici afin de permettre à d'autres de participer à la discussion.
    Merci.
    Merci.
    Madame Vaugrante.

[Français]

    Bonjour à toutes et à tous. Merci encore de votre invitation.
    C'est avec plaisir qu'on vous présente les travaux faits par Amnistie internationale depuis 2004 sur la violence faite aux femmes. Je suis Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale pour le Canada francophone.
    Nous documentons depuis 2004 la situation de la violence faite aux femmes, en collaboration avec nos partenaires des groupes autochtones qui représentent les femmes au Canada et au Québec. Depuis 2004, nous demandons un plan d'action complet et national pour lutter contre la violence faite aux femmes.
    Nous saluons l'annonce faite en mars dernier au sujet des actions qui seraient entreprises. Par contre, nous craignons une lecture un peu réduite de la violence faite aux femmes, une lecture qui se bornerait au problème criminel lié à l'effroyable haut taux de crimes et de femmes assassinées ou disparues. Depuis que nous documentons cet enjeu et que nous faisons des recherches sur ces questions, nous croyons que les problèmes ne sont pas uniquement criminels, mais qu'ils ont des racines qui prennent leur source dans les violations des droits économiques, sociaux et culturels des femmes autochtones. On parle de santé, on parle d'éducation, on parle de logement. Il y a chroniquement un sous-financement des services offerts à ces femmes, ce qui est en totale discrimination vis-à-vis de ce qu'on retrouve au sein des populations non autochtones.
    Il y a évidemment des solutions à court terme en ce qui concerne la police et les protocoles, ce qui permettrait de meilleures recherches. Cela pourrait être discuté en collaboration avec l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, qui reconnaît depuis 2006 le haut taux de criminalité et le besoin d'un protocole. Je crois surtout qu'il y a beaucoup de solutions à long terme qui concernent les droits économiques et sociaux et le sous-financement. Il faut vraiment examiner comment cela discrimine les femmes autochtones.
    À mon avis, l'annulation des accords de Kelowna leur a fait énormément de tort. Il faut évidemment endosser, appuyer et mettre en oeuvre avec les groupes autochtones la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. On parle de problèmes avec des racines profondes qui prendront du temps à se régler.
    Il y a le traumatisme historique multigénérationnel des pensionnats et le fort taux de placement des enfants. C'est aujourd'hui trois fois plus grand qu'au moment le plus fort des pensionnats. Oui, il y a de la violence, oui, il y a des conditions de vie qui sont déplorables, et il faut protéger les enfants, mais cela a un impact effroyable sur les communautés et la culture, sur leur tissu culturel, sur le tissu de la communauté. C'est inacceptable qu'on place son enfant. Les femmes vont même refuser de dénoncer la violence pour ne pas perdre leurs enfants. On ne peut pas accepter cela au Canada.
    Il y a aussi le dénigrement du statut des femmes, des langues et des institutions, la saisie des terres ou les non-consultations sur leurs terres et sur leurs ressources. Ce sont là des enjeux de fond complexes, compliqués, mais auxquels il faut s'attaquer.
    Merci.

  (1115)  

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Madame Gentelet.

[Français]

    Bonjour. Mon nom est Karine Gentelet et je suis responsable de la coordination des droits des peuples autochtones pour Amnistie internationale. Je suis membre bénévole et je fais aussi partie du conseil d'administration d'Amnistie internationale.
    J'abonderai dans le sens de la directrice, c'est-à-dire que la violence que subissent les femmes autochtones est un problème beaucoup plus large qu'un problème criminel. Cette violence a des racines sur les plans économique, social et culturel.
    Elle a parlé de la dépossession des terres, de la destruction progressive des institutions et du tissu social dans les communautés. J'ajouterais cependant qu'il y a aussi un problème de statistiques. Il est très difficile, lorsqu'on veut travailler sur la violence faite aux femmes, d'avoir accès à des chiffres.
    Je sais qu'un comité conjoint de la Saskatchewan a travaillé à essayer de colliger des informations, et les organisations de femmes autochtones travaillent aussi à monter des banques de données, mais on manque de banques de données au Canada sur la violence faite aux femmes, sur les causes et les répercussions de la violence. Ces informations seraient très utiles. Je dirais aussi que la violence faite aux femmes est un problème de racisme et de préjugés au sein de la société canadienne.
    Par exemple, lorsque les prédateurs ont été attrapés à la suite de la disparition ou du meurtre de femmes autochtones, les cours canadiennes ont montré que ces femmes ont été ciblées parce qu'elles étaient Autochtones, parce qu'elles étaient vulnérables et parce qu'elles étaient isolées. Il y a donc un racisme évident. Quand on fait de la recherche sur les disparitions, on constate que les enquêtes policières ont souvent mis plus de temps à démarrer parce qu'il y a des préjugés. On croit souvent que ces femmes sont parties, qu'elles ont fugué ou abandonné leur famille, mais on met des mois à amorcer les enquêtes alors que, souvent, elles ont été enlevées ou alors elles sont mortes.
    Voilà, je vous remercie.

[Traduction]

    Merci.
    Madame Laliberté.

[Français]

    Bonjour. Je m'appelle Émilie-Cloé Laliberté et je suis la coordonnatrice générale de l'organisme Stella.
    Stella a été fondé en 1995. C'est le seul organisme à Montréal créé par et pour les travailleuses du sexe. On travaille énormément dans le domaine de la prévention en matière de santé et de violence, dans une perspective d'autonomisation et de réduction des méfaits. On offre une clinique médicale; on a des travailleuses de rue qui vont sur le terrain, dans la rue, dans les piqueries, dans les lieux où des services sexuels sont échangés contre de l'argent, d'autres biens, de l'alcool ou de la drogue. On a une clinique légale; on rejoint également les femmes en prison. Notre partenariat avec Médecins du Monde nous permet d'amener les infirmières dans la rue et dans les milieux où il y a du travail du sexe ou de la consommation.
    On prend contact avec un nombre de personnes qui varie entre 4 000 et 6 000 par année. Dans le passé, nous avions un projet autochtone. Nos services auprès des travailleuses du sexe autochtones sont aujourd'hui incorporés à nos quarts de travail de rue. Il reste que les services offerts aux travailleuses du sexe autochtones demeurent une priorité pour Stella. Nous sommes d'ailleurs le seul groupe de travailleuses du sexe à lutter contre la violence. Stella ne peut pas vraiment parler de la violence en général vécue par les femmes autochtones. Je pense que les groupes qui sont autour de nous aujourd'hui connaissent vraiment mieux le sujet. Par contre, nous pouvons parler de notre expérience de lutte contre la violence faite aux femmes travailleuses du sexe autochtones.
    Depuis 1990, on a dénombré 14 meurtres de travailleuses du sexe au Québec. Parmi les victimes, quatre étaient Autochtones. Ces incidents nous en apprennent beaucoup sur le manque de services appropriés pour lutter contre la violence faite aux travailleuses et aux femmes autochtones de la rue ainsi que sur le manque de financement pour des services adaptés.
    Selon notre expérience, les plus grandes sources de violence rapportées par les travailleuses du sexe sont la violence conjugale et les attaques d'agresseurs qui visent particulièrement les travailleuses du sexe. Les agresseurs croient être protégés par un climat d'impunité engendré en grande partie par la criminalisation et la stigmatisation de notre travail.
    Pour ce qui est des cas de travailleuses du sexe autochtones tuées au Québec, qui ont été mentionnés, précisons que dans au moins un des cas, l'agresseur était le conjoint de la femme. Dans un autre cas, la femme violentée a demandé de l'aide dans les moments qui ont précédé sa mort. Elle se trouvait sur l'une des artères les plus peuplées de Montréal, mais personne n'a daigné l'aider. Elle s'est approchée d'un bar dont on lui a refusé l'accès parce qu'elle était une prostituée et qu'elle était saoule.
    On a émis plusieurs conclusions et recommandations à la suite d'une consultation auprès des membres autochtones de Stella. On a également consulté des recherches existantes et fait appel à notre expérience sur le terrain. Je ne sais pas si vous voulez que je vous fasse part de nos recommandations immédiatement ou si une période sera réservée à cela un peu plus tard.

  (1120)  

[Traduction]

    Je propose d'ouvrir les discussions pour faciliter les échanges.
    Irene, pourquoi ne pas commencer par vous présenter rapidement?
    D'accord. Je m'appelle Irene Mathyssen. Je suis la députée de London—Fanshawe, et je suis la porte-parole du NPD en matière de condition féminine.
    Merci à vous toutes d'être ici aujourd'hui.
    Monsieur Desnoyers.

[Français]

    Bonjour. Je m'appelle Luc Desnoyers. Je suis député du Bloc québécois et je siège au Comité permanent de la condition féminine.

[Traduction]

    Madame Simson.
    Je m'appelle Michelle Simson. Je suis la députée de Scarborough-Sud-Ouest, et je suis membre du comité de la condition féminine.
    Et vous êtes une libérale
    Absolument.

[Français]

    Bonjour. Je m'appelle Isabelle Dumas. Je suis greffière de comité et je suis présentement en voyage avec le Comité permanent de la condition féminine.

[Traduction]

    Je m'appelle Hedy Fry et je suis une libérale. Je suis aussi la présidente du Comité permanent de la condition féminine, et j'ai été la secrétaire d'État à la Condition féminine pendant six ans et demi à l'époque du gouvernement Chrétien.
    Je m'appelle Julie Cool. Je suis l'attachée de recherche du comité.
    Je m'appelle Laura Munn-Rivard. Je travaille à la Bibliothèque du Parlement et j'aide aussi le comité.
    Je m'appelle Lois Brown, et je suis la députée de Newmarket—Aurora, un peu au nord de Toronto. Je suis une conservatrice.
    Merci.
    Je propose d'y aller à tour de rôle... Levez la main si vous voulez poser une question.
    Allons-y sans plus tarder.
    Qui veut commencer? Irene?
    Je vous remercie encore d'être ici.
    J'ai tellement de questions, madame la présidente, que je vous demanderais de m'arrêter si je prends trop de temps.
    Vous pouvez compter sur moi.
    Je n'en doute pas.
    Je m'intéresse beaucoup au projet de réduction des méfaits, dont il a été question. Je sais que ces projets sont importants et efficaces.
    Pourriez-vous nous parler de votre expérience en matière de réduction des méfaits?
    J'aimerais aussi qu'on parle de l'effet de la disparition de la Fondation autochtone de guérison. On répondra que cette fondation fait maintenant partie de Santé Canada, mais il semble qu'on est maintenant privé, sur le terrain, d'un organisme essentiel qui permettait d'atténuer l'effet intergénérationnel des pensionnats indiens.
    Je me limiterai à cela pour l'instant.
    Nous pourrions peut-être commencer par Mme Laliberté, qui est celle qui a soulevé la question de la réduction des méfaits.

  (1125)  

    Désolée, j'ai mal compris le début. C'est pourquoi j'ai commencé à écouter l'interprétation.
    Vous avez parlé de l'importance et de l'efficacité des projets de réduction des méfaits, et je me demandais si vous pouviez en décrire les effets. Vous avez également mentionné la Fondation autochtone de guérison.
    Mme  Laliberté parlera de la réduction des méfaits et d'autres parviendront certainement au sujet de la Fondation autochtone de guérison, j'en suis sûre.

[Français]

    Il faut adapter les services et avoir plus de services en réduction des méfaits. Voici un exemple flagrant: la plupart des ressources d'hébergement vont demander aux femmes de ne pas arriver en état d'ébriété ou d'intoxication. Le résultat, c'est que les femmes vont dormir dans la rue, dans des piqueries ou dans des appartements qui sont parfois insalubres.
    C'est pourquoi il faut absolument mettre en place un centre de dégrisement, par exemple. Ainsi, peu importe leur intoxication, les femmes pourraient y venir et avoir un toit, sans nécessairement entreprendre de démarches. Elles auraient simplement un toit et elles pourraient couvrir leurs besoins fondamentaux. On ne peut pas s'embarquer dans des démarches approfondies quand les besoins de base ne sont pas couverts.
    Il faut aussi pouvoir rejoindre les femmes directement là où elles sont, notamment par les pratiques de travail de rue. Par exemple, je pense aux refuges pour femmes, mais il faut beaucoup plus de financement pour mettre en marche une équipe complète de travailleuses de rue. Aussi, il faudrait que les services de réduction des méfaits soient faits par les Autochtones et pour les Autochtones.
    Évidemment, on pourrait avoir des centres que les femmes fréquenteraient, on l'espère. Il faut vraiment rejoindre les femmes là où elles sont, ce qui implique parfois d'aller dans les milieux de consommation.
    Il faut distribuer davantage de matériel de consommation, que ce soit des pipes à crack ou des seringues. Présentement, à Montréal, les pipes à crack sont vendues par la Direction de santé publique de Montréal. Il faut absolument s'assurer que tout le matériel de consommation est distribué gratuitement et accessible.

[Traduction]

    Merci.
    Est-ce que quelqu'un veut parler de la Fondation autochtone de guérison?
    Je veux simplement ajouter quelque chose au volet sur la réduction des méfaits. Nous avions un projet de réduction des méfaits ces quatre dernières années. Il a pris fin en mars de cette année.
    Pour revenir à ce que disait Émilie... en fait, nous avons travaillé avec elle. Elle est venue au foyer plusieurs fois et a rencontré les femmes. Cela a permis aux femmes du commerce du sexe d'avoir affaire à Stella et je sais que cela a facilité leur travail de sensibilisation, car elles ont pu travailler avec les femmes autochtones de la rue.
    Nous nous sommes beaucoup concentrés sur la réduction des méfaits sur la santé sexuelle et nous avons tout simplement essayé d'encourager les femmes à se faire tester pour le VIH et l'hépatite C. Avant le projet, mois de 50 p. 100 des femmes connaissaient leur diagnostic. Ce chiffre est passé à un peu plus de 70 p. 100 en un an, ce qui prouve que c'est un projet très important. Nous avons fait une demande de financement pour le renouveler et j'espère qu'elle sera approuvée.
    Donc, votre financement s'est terminé en mars?
    Oui. C'était une entente de contribution sur quatre ans avec Santé publique, qui s'est terminée le 31 mars.
    Avez-vous présenté une nouvelle demande?
    Mme Carrie Martin: Oui.
    La présidente: Est-ce que quelqu'un d'autre veut intervenir? Levez simplement la main.
    Madame Vaugrante.

[Français]

    À propos de la question plus générale de la criminalisation, ce qu'on a noté dans nos recherches, c'est que, souvent, la lecture que font les policiers des femmes autochtones criminelles qui se retrouvent dans les réseaux de prostitution sera tout de suite basée sur leur mode de vie dit à risque.
    Souvent, on va ignorer les circonstances atténuantes qui ont fait que ces femmes, qui ont subi de la violence et de nombreuses violations de leurs droits, se retrouvent dans ces réseaux. On va gérer le problème criminel, mais on ne va pas aller plus loin, par manque de protocole, pour voir s'il y a une histoire derrière tout ça ou des violations de droits.
    Ces femmes seront tout de suite considérées comme dangereuses, puisque leur mode de vie est considéré à risque. Ça nous ramène à juger d'après les préjugés. Une femme autochtone est forcément un peu plus à risque. Cette criminalisation perdure dans le système, au lieu qu'on aille voir derrière, l'histoire de ces femmes, toutes les violences qu'elles ont subies, ce qui fait qu'elles se sont retrouvées dans ces réseaux. C'est comme d'autres femmes, bien entendu, mais il y a de la double discrimination envers les femmes autochtones.

[Traduction]

    Madame Nakuset.
    Je voulais simplement dire quelques mots au sujet de la Fondation autochtone de guérison.
    En 2000, le Foyer pour femmes autochtones de Montréal avait un projet appelé Moving Towards the Seventh Generation. Il s'agissait de renverser les effets des pensionnats indiens. C'est un programme qui existe depuis 2000 mais qui a été coupé le 31 mars de cette année et les effets de cette décision sont considérables. Nous avons eu de nombreux médecins au fil des ans qui sont venus aider nos femmes à se remettre des effets des pensionnats indiens et des effets intergénérationnels également, parce que toutes les femmes ne sont pas forcément passées par ces pensionnats, mais leur mère y sont allées et ont perdu leur langue, leur mode de vie, etc.
    Je vais essayer d'être aussi brève que possible, parce que je pourrais vous en parler longtemps.
    C'est très grave d'avoir perdu ce projet. Je crois que certains documents indiquent que les pensionnats ont ouvert dans les années 1600, il y a donc très longtemps qu'ils existent. Pourtant, on ne nous donne que 10 ans pour en guérir. Ce n'est pas suffisant et nous essayons de sensibiliser les gens à ce problème afin de pouvoir rétablir le projet, parce que les femmes continuent à venir nous voir pour recevoir ce service, que nous n'offrons plus.
    Nous offrions énormément de services par le biais de la Fondation autochtone de guérison et il ne nous reste maintenant que des services de base, uniquement pour les femmes. Alors, nous devons dire aux femmes « Eh bien, nous n'offrons plus ce service ». Parfois, nous accueillions des femmes des collectivités du Nord, non pas parce qu'elles sont sans abri ou quoi que ce soit, mais parce qu'elles venaient pour ces services, parce qu'elles savaient qu'elles pourraient voir un art-thérapeute ou un psychothérapeute et que nous avions également des guérisseurs traditionnels. Elles venaient aussi pour les ateliers.
    Pour nous, cette perte est énorme. Si vous avez des questions à ce sujet plus tard... Je ne veux pas parler trop longtemps.
    Merci.

  (1130)  

    Est-ce que quelqu'un d'autre souhaite intervenir?
    Nous allons continuer. Je vais suivre ma liste.
    Madame Simson.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    J'aimerais simplement remercier tous nos témoins d'être ici ce matin.
    Nous étudions cette question depuis de nombreuses semaines maintenant, et nous avons entendu des témoins. Il y a un commentaire qui revient chez la plupart des témoins, relativement aux conséquences du système des pensionnats indiens pour la collectivité en général.
    Puisque vous en avez parlé — et il faudra du temps, je le comprends — combien de temps selon vous faudra-t-il pour que les choses changent? Ou est-ce un boulet qui sera transmis à l'avenir? Quelles sont les solutions? Les abris sont bien pour les femmes à court terme, pour les sortir de situations horribles, mais comment le gouvernement peut-il le mieux vous aider pour composer avec les répercussions actuelles du système des pensionnats indiens? Avez-vous des histoires de réussite relativement au travail que vous faites pour aider les gens à surmonter cet obstacle et à réussir à mener une vie saine?
    Madame Gabriel.
    La question s'adresse-t-elle à Mme Nakuset?
    Nous tenons une table ronde. Si vous voulez intervenir, levez la main et nous ajouterons votre nom à la liste.
    Je crois que l'un des points faibles de programmes comme la Fondation autochtone de guérison, c'est qu'il y a des échéances; des dates d'expiration. Les collectivités et les Autochtones en milieu urbain ont besoin d'un programme récurrent.
    Il faut aussi faire participer les provinces et les territoires, parce qu'ils ne contribuent pas du tout. Si nous avons recours à une clinique, c'est le gouvernement fédéral qui paie; toutefois, les provinces se servent de nos territoires et de nos ressources également. Il faut donc que tous les acteurs de la Couronne participent pour nous aider à créer ces programmes récurrents, qui n'auront pas de date d'expiration. Le manque d'uniformité au niveau de la création de projets pilotes a suscité plus de problèmes qu'autre chose, parce qu'on met les gens sur le chemin de la guérison et ensuite il faut leur dire: « Désolé, il n'y a plus de financement pour vous ». Ainsi, ces personnes soit quittent le chemin de la guérison ou tentent de trouver d'autres façons de composer avec leurs problèmes.
    Il y a selon moi au moins une chose qui est également problématique: tant et aussi longtemps que vous aurez des politiques d'assimilation qui ne reconnaissent pas l'importance et le caractère précieux de nos langues, nous allons perdre nos connaissances traditionnelles, lesquelles constituent la base de notre santé et de notre bien-être. Nous allons continuer à perdre des gens.
    J'ai parlé à une travailleuse de première ligne dans la région de la Baie James, et elle a dit qu'il y avait de nombreux suicides dans sa collectivité. Elle a dit que tous les suicides étaient liés au système des pensionnats indiens. Il n'y a pas eu de résultats. On peut donner de l'argent aux gens et leur dire: « Je suis désolé de ce qui vous est arrivé », mais à moins d'offrir un réel soutien — et dans nos collectivités, pas seulement dans les régions urbaines — nous sommes en train d'épuiser nos travailleurs sociaux, parce qu'ils ne sont pas assez nombreux. Ils vont à l'épicerie, et quelqu'un va les arrêter et leur demander s'ils peuvent offrir de l'aide. Nous n'avons pas assez de ressources humaines, de gens formés, dans nos collectivités.
    Nous avons des projets qui ont comme objectif de remettre des certificats mais n'offrent pas suffisamment d'occasions aux gens... Il n'y a pas de reconnaissance. On dit seulement: « Nous allons vous permettre d'acquérir certaines connaissances pour devenir travailleur social ou policier, mais vous n'êtes vraiment pas à la hauteur. On ne peut travailler que sur les réserves ». Nos gens sont partout, et nous devrions avoir accès à ces programmes.
    Je ne peux pas souligner assez le fait que le gouvernement et tous les acteurs de la Couronne doivent participer au processus de décolonisation. Ils doivent commencer à prendre note de nos besoins. Ils ne peuvent pas simplement lancer un peu d'argent ici et là et nous demander d'être reconnaissants pour toutes les choses extraordinaires faites pour le peuple autochtone. Le ministère des Affaires indiennes utilise de 64 à 67 p. 100 de l'argent affecté aux peuples autochtones, et nous laisse des miettes. Nous tentons de mettre fin à la colonisation, mais on ne peut pas y arriver chaque fois que des critères ou des politiques limitent notre capacité et notre liberté d'aider nos gens convenablement.

  (1135)  

    Je vous remercie.
    Madame Vaugrante

[Français]

    Je crois que l'un des moyens d'arriver à se remettre des effets des pensionnats serait d'arrêter de perpétuer ce phénomène aujourd'hui. Comme je le disais plus tôt, il y a aujourd'hui trois fois plus d'enfants placés hors de leur communauté et de leur famille qu'il n'y en avait à l'époque la plus marquée par les pensionnats.
    Les programmes sociaux sont sous-financés. Du côté des services offerts en matière de protection de l'enfance, la proportion, pour les enfants autochtones, est de 22 p. 100 inférieure à celle consacrée aux enfants non autochtones. Pourtant, parce qu'ils vivent dans des endroits reculés, les coûts sont plus élevés, et en plus, les besoins sont beaucoup plus criants. La situation est la même pour la santé et l'éducation. Un facteur systémique n'arrange pas les choses. En effet, certains programmes sont du ressort du fédéral alors que d'autres relèvent du provincial. Il y a donc un manque de coordination entre les deux ordres de gouvernement, ce qui fait qu'aujourd'hui, à l'intérieur d'une même province, il y a de la discrimination.
    Par ailleurs, une cause est présentement entendue par le Tribunal canadien des droits de la personne. Il s'agit du sous-financement des services familiaux pour les enfants. Le gouvernement prétend qu'il n'y a pas de discrimination, que les enfants autochtones reçoivent le même montant. Présenter de tels arguments devant le tribunal est aberrant. Aujourd'hui au Canada, on ne devrait pas se permettre de faire de la discrimination entre un enfant autochtone ou un enfant non autochtone. Il faut donc arrêter la discrimination. Qu'est-ce qui ferait qu'une femme et sa famille resteraient ensemble? Il faudrait qu'elle ait une vie digne, un revenu, et qu'elle ait accès aux services de santé et d'éducation. Dans ce cas également, il ne faut pas seulement penser en fonction des programmes sociaux; il faut aussi penser en fonction de l'autonomie économique.
    Je ne crois pas que ces personnes veuillent vivre éternellement de la charité. Il y a des fonds et des programmes, mais c'est comme un pansement appliqué sur un cancer. Il faut s'employer à trouver des solutions pour que les communautés arrivent à devenir autonomes économiquement. Il en va de même pour les femmes, de façon à ce qu'elles ne subissent plus de violence. Ça implique de la consultation et de la concertation quand il est question d'exploiter des terres. Qu'il s'agisse de l'établissement d'une mine, d'un barrage ou d'une entreprise forestière, la Cour suprême demande de consulter les populations locales. Ça ne se fait pas sans elles. Il faut cesser, surtout en région, de s'opposer aux droits.
    Nous avons fait une recherche de portée internationale, à Wendake, au Québec. En région, on sent ces choses-là. Je comprends très bien, du point de vue des droits, que les travailleurs locaux veuillent avoir du travail et une usine. Il est clair que c'est important, mais sur le plan gouvernemental, on ne peut pas toujours jouer sur les oppositions, par exemple quand les gens disent que les Autochtones sont un empêchement pour eux. Il doit y avoir du travail pour les Autochtones et les non-Autochtones. On doit essayer ensemble, par la consultation, de trouver des solutions.
    Les Autochtones ne veulent pas tous se limiter à des activités traditionnelles. Ils veulent aussi du développement économique moderne dans leurs communautés et une autonomie économique leur permettant de vivre dans la dignité. Compte tenu du fait que 40 p. 100 des logements sont surpeuplés, il y a forcément des tensions au sein des familles. Par contre, des ressources financières et l'autonomie économique permettraient de construire des maisons. Je pense que ça contribuerait beaucoup à diminuer la violence.

  (1140)  

[Traduction]

    Oui, madame Laliberté.

[Français]

    Évidemment, on a déjà dit qu'il fallait investir dans les ressources autochtones existantes, mais il faudrait également mettre en oeuvre des programmes qui permettraient à des personnes de la communauté de devenir des agents multiplicateurs. Elles pourraient elles-mêmes intervenir auprès de leurs pairs. Le tout devrait être financé de manière durable.
    Il faut aussi mettre fin à la criminalisation. Je veux lever le voile sur une pratique répressive qui a cours à Montréal, soit la distribution des quadrilatères. On interdit à des femmes, qu'elles soient itinérantes ou travailleuses du sexe, de circuler à l'intérieur d'un espace donné. Si elles n'obtempèrent pas, elles sont directement envoyées en prison. Les quadrilatères se trouvent habituellement entre les rues Saint-Urbain, Viau, Notre-Dame et Sherbrooke. Ces femmes ne peuvent donc plus fréquenter ces endroits. Selon les statistiques de Santé Canada, 25 p. 100 de la population carcérale est constituée de femmes autochtones, alors que celles-ci représentent 3 p. 100 de la population générale. Il faut vraiment mettre fin à l'application des quadrilatères. Les femmes qui habitent dans ces quartiers se tiennent dans des coins sombres, à l'abri des policiers, mais elles courent alors des risques. C'est là qu'elles subissent le plus de violence.
    Il faut également faire énormément de travail d'éducation auprès de la police. On a parlé plus tôt du simple droit de porter plainte lorsqu'on subit une agression sexuelle ou de la violence. Depuis 15 ans, on tente de sensibiliser et d'éduquer les policiers, mais ce n'est que depuis un an qu'on a établi une entente avec trois femmes policières. L'objectif est que les femmes ayant subi une agression sexuelle, qu'elles aient ou non un mandat d'arrestation contre elles, puissent porter plainte contre leur agresseur. L'entente ne devrait pas impliquer uniquement trois policières, mais tous les services de police.

[Traduction]

    D'autres observations?
    Monsieur Desnoyers, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Puis-je ajouter quelque chose rapidement?
    Oui absolument, madame Martin.
    L'argent qui était autrefois affecté à la Fondation autochtone de guérison a été redistribué par l'intermédiaire de Santé Canada; on nous encourage à profiter de ce qui est offert par l'intermédiaire de Santé Canada. Mais le foyer a laissé de nombreux messages au directeur régional, lui demandant d'organiser une réunion pour qu'on puisse comprendre ce qui est offert à nos clientes — quel financement est disponible, quels services, quels programmes — et il ne nous a pas encore rappelés. Le financement a pris fin à la fin du mois de mars, et nous ne pouvons toujours pas entrer en contact avec Santé Canada pour savoir ce à quoi nous avons droit.
    Michelle, vouliez-vous ajouter quelque chose?
    Non, merci.
    Non? Pas pour l'instant. Merci.
    Monsieur Desnoyers.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Bienvenue à nos témoins.
    Comme Mme Simson le disait tout à l'heure, on travaille à ce dossier depuis déjà un certain temps. Chaque fois qu'on entend ce que vous nous dites, on en frissonne. Il me semble que cela ne fait ni queue ni tête qu'un gouvernement ne se préoccupe pas des principaux dossiers que vous avez soulevés. Vous avez soulevé des dossiers intéressants. Mme Laliberté disait entre autres qu'on ne faisait rien contre les prédateurs et contre ceux qui vont physiquement agresser et tuer des personnes. Il y a de la complaisance. Dans les communautés, les femmes craignent de ne pouvoir dire ce qu'elles ont vu ou entendu. Cela me chicote beaucoup. En fait, que peut-on faire pour trouver une solution à l'intérieur de la communauté?
    Je regardais un documentaire à Radio-Canada où on voyait des femmes autochtones qui quittaient leur réserve pour se retrouver en Abitibi-Témiscamingue dans les rues, dans les clubs, où la violence était présente à leur égard où il y avait du racisme.
    Donc, il y a un lien important dans la communauté. Mme Gabriel disait qu'il fallait que les interventions se fassent dans la culture et la langue des personnes, avec des gens de la communauté. Le problème est important. Que peut-on faire à partir de la communauté? Comment trouver des solutions adéquates qu'on pourrait recommander au gouvernement?
    J'aimerais vous entendre à ce sujet, autant à Montréal que dans les communautés à l'extérieur, parce que cette situation existe partout.

  (1145)  

[Traduction]

    Oui, allez-y.

[Français]

    Je suis plus à l'aise en anglais. Je vais donc vous répondre en anglais.

[Traduction]

    Nous avons parlé de décolonisation, et la colonisation a aussi été infligée par l'Église, et je ne veux pas manquer de respect aux chrétiens qui sont ici. Cette situation a eu des conséquences pour la sexualité des femmes, le rôle et les valeurs des femmes de même que pour l'égalité avec les hommes dans nos collectivités.
    Je crois que nous devons sensibiliser notre propre peuple dans les collectivités. Il ne s'agit pas seulement de sensibiliser le gouvernement; il faut aussi sensibiliser notre propre peuple, qui pratique également la discrimination légale en raison de la Loi sur les Indiens. Ils peuvent dire à une femme: « Eh bien, vous avez marié un non Autochtone, alors vous ne pouvez pas vivre ici », ou: « Vos enfants ne sont pas importants, ils ne sont pas considérés comme des Indiens parce que leur père et leur grand-père était non Autochtone ».
     Selon moi, il y a beaucoup de travail à faire dans les collectivités; nous devons discuter entre nous, nous nous sommes trop occupés à survivre. Nous sommes occupés à survivre avec l'argent qui est accordé sans véritable plan d'ensemble à chaque collectivité.
    Je crois que nous avons besoin d'un système d'éducation, d'écoles primaires et secondaires. Quiconque veut se présenter comme candidat au poste de chef devrait connaître les conséquences de la violence. Quelles sont les conséquences de la colonisation pour nos collectivités en ce qui a trait au niveau de violence?
    Regardons l'Église catholique. Le pape interdit le recours au condom. Eh bien, vous savez ce que cela signifie pour un homme qui a contracté le VIH-sida; il dit à son épouse ou à sa petite amie que si elle l'aime vraiment, elle ne lui demanderait pas de porter un condom. Ainsi, les femmes autochtones, bien qu'elles représentent un petit pourcentage de la population, connaissent l'un des taux d'augmentation les plus rapides d'infection du sida. Aussi, dans nos discussions avec le gouvernement, nous omettons de parler de la façon dont l'église ou la religion est utilisée contre nous.
    Je crois que l'un des principaux facteurs est l'éducation des policiers, des avocats, des travailleurs sociaux, surtout les travailleurs sociaux québécois, et je ne fais que parler du Québec. On se rend compte que les travailleurs sociaux retirent aux femmes qui vivent dans la pauvreté leur enfants simplement parce qu'elles sont pauvres. Nous avons demandé au gouvernement du Québec de ne pas inclure la pauvreté dans leur définition de la négligence. Il faut examiner la situation dans la collectivité — taux de chômage élevé, pauvreté. On ne peut pas examiner la question de la violence sans examiner certains des facteurs qui y contribuent, y compris les lois qui contribuent à abaisser les femmes en disant: « Eh bien, vous et vos enfants n'êtes pas assez bons pour vivre dans la réserve. » Affaires indiennes et du Nord Canada détermine le code d'adhésion, les critères, et une bande peut avoir quatre différents codes d'adhésion. On ne suit pas nos traditions, on ne suit pas nos moeurs, mais on peut légalement faire de la discrimination contre une femme autochtone qui veut revenir dans sa collectivité. Elle peut avoir le statut à Ottawa, mais elle ne peut pas devenir membre de la collectivité et accéder aux services.
    La Loi sur les Indiens a brisé l'unité familiale. Elle nous a séparés de ces valeurs culturelles extraordinaires qui font en sorte que tout le monde est sur un pied d'égalité, qui nous font savoir que nous sommes tous précieux et que nous faisons partie du monde dans lequel nous vivons.
    Je pourrais entrer dans un discours philosophique, mais l'éducation à tous les niveaux pour comprendre ce qu'est la violence, la violence sexuelle, la violence institutionnalisée, le racisme... Les femmes qui vont dans les régions urbaines le font pour survivre. Si elles travaillent dans la rue, elles le font pour survivre, et surtout si elles sont anglophones au Québec. Si on ne parle pas français, il est impossible de trouver un emploi. Je suis désolée, vous n'allez pas trouver d'emploi. Il s'agit d'un autre défi pour nous au Québec, si nous ne parlons pas français.
    Nous devons apprendre le français et l'anglais. Qu'en est-il de notre langue indigène?

  (1150)  

    Oui, madame Nakuset.
    J'aimerais redire qu'on se rend compte qu'il n'y a pas assez de services pour les hommes en ville. Si nous voulons que nos hommes obtiennent du counselling, s'ils infligent de mauvais traitements aux femmes ou ont des tendances à la violence, il n'y a rien pour eux. Il n'y a pas de refuge pour hommes autochtones comme il y en a un pour les femmes, et il s'agit d'un besoin certainement, et des services de counselling doivent être offerts parallèlement pour leur permettre de régler leurs problèmes. Je crois qu'il serait bien si nous pouvions inclure, comme nous l'avons dans les refuges, les éléments traditionnels — ou ce que nous avions au refuge, mais inculquant toujours de toute façon. Il y a des lacunes, et elles doivent être comblées.
    Je vous remercie.
    Madame Vaugrante, puis madame Brown, vous pouvez intervenir.

[Français]

    Pour répondre concrètement, autant que faire se peut en vertu des moyens, dans les aspects très concrets de la lutte contre la violence dans la communauté, je crois qu'il y a un aspect important, et c'est que les foyers d'hébergement soient proches des femmes qui subissent la violence.
    Le plus souvent, le problème que j'ai pu constater quand j'ai visité des réserves ou des communautés indiennes, c'est que le centre le plus proche était situé à 100 km. Elles n'y iront pas. Elles n'ont pas un moyen de transport pour y aller, sans parler des coûts. Il faut qu'il y ait des foyers d'hébergement qui accueillent aussi les enfants. Avec le foyer d'hébergement viennent les conseillers parajudiciaires, pour qu'elles osent ensuite porter plainte — c'est l'éternel problème de la violence faite aux femmes en général. Dans le monde entier, les femmes doivent oser porter plainte et briser le silence. Il faut avoir un protocole de police et des conseillers parajudiciaires qui reconnaissent ces violences. Ce serait très concret dans la communauté.

[Traduction]

    Madame Gentelet.

[Français]

     À cela qui constitue plutôt un volet micro de la lutte contre la violence, j'ajouterais un volet macro. Amnistie internationale a élaboré un plan d'action pour essayer de sensibiliser les organismes qui travaillent avec les femmes au problème particulier des femmes autochtones, à la violence qu'elles subissent.
    Je pense que si beaucoup de femmes se sentaient soutenues à l'échelle politique, il y aurait un peu plus de facilité à aller de l'avant et à développer des initiatives pour lutter contre la violence. Il faut quelque chose aux échelles fédérale et provinciale. Souvent, en matière de violence, on agit à l'échelle de la communauté et de la ville. Il faut un plan d'action qui soit beaucoup plus généralisé, beaucoup plus étendu.

[Traduction]

    Madame Brown.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je vous remercie, mesdames, de vos commentaires des plus intéressants.
    J'ai une question, d'abord, à l'intention de Mme Nakuset, si vous n'avez pas d'objections. Vous avez parlé de counselling pour les hommes autochtones. Qui offrirait ces services?
    Ce qui m'amène à une question à votre intention, madame Gabriel, si vous me le permettez. Vous avez parlé de l'importance de l'éducation. Vous dites qu'il y a un manque d'éducation au sein du gouvernement. Pouvez-vous préciser ce qui doit se faire selon vous?
    Vous avez aussi parlé d'indépendance économique. J'ai récemment lu un article rédigé par le commissaire en chef Manny Jules. Il a également parlé d'indépendance économique, par divers moyens pour notre peuple autochtone. Il travaille à une question précise: la propriété inconditionnelle. Vous voudrez peut-être vous pencher sur cette question.
    La question, j'imagine, pour moi est de savoir où l'éducation commence? Comment encourager les jeunes des collectivités autochtones à rester à l'école afin qu'ils puissent devenir des spécialistes en counselling et des travailleurs sociaux dans leurs collectivités, ou policiers, s'ils restent dans leurs propres collectivités? Si je vous ai bien compris, ces services doivent vous être offerts par des gens qui comprennent vos valeurs culturelles et votre histoire. Alors comment encourager les jeunes à rester à l'école et à obtenir ces compétences, ces certificats, qui selon vous sont nécessaires au sein de vos collectivités?
    Madame Nakuset, je ne sais pas si vous voulez être la première à répondre, à me dire qui selon vous devrait offrir les services de counselling. Ensuite, nous pourrons peut-être passer à Mme Gabriel...

  (1155)  

    Et si d'autres témoins veulent intervenir...
    Oui.
    Qui devrait offrir le counselling? Je connais quelqu'un qui a récemment obtenu une maîtrise, et ses études étaient axées là-dessus — traiter les hommes violents, bien que pas nécessairement autochtones. J'imagine qu'elle aurait à approfondir ses études sur le sujet, mais c'est un début. Ensuite il faut faire connaître aux gens la population autochtone et les défis.
    Nous avons certainement besoin d'un foyer ou d'un centre pour les hommes autochtones, parce que les femmes sont de plus en plus fortes. Nous avons d'excellents organismes autochtones, mais ils s'adressent aux femmes. Nous pouvons accueillir les femmes et les enfants au foyer, mais si le fils est âgé de 19 ans et qu'il a besoin de services — et qu'il a reçu des services un an plus tôt parce qu'il était admis au foyer —, il ne peut plus en bénéficier. Nous ne sommes pas censés accueillir et offrir des services à ceux qui ont atteint l'âge de 19 ans. Il s'agit d'un problème grave qu'il faut commencer à régler.
    Nous avons déjà commencé à le régler d'une certaine manière grâce à la Stratégie autochtone communautaire urbaine de Montréal en cours également. On examine la possibilité de travailler avec Projets Autochtones du Québec, un foyer pour les hommes et les femmes. Mais il doit être construit. Il faut qu'il y ait davantage d'études et d'évaluations pour pouvoir obtenir ce genre de financement.
    Les besoins existent, et c'est à nous de vous les signaler, parce que je ne sais pas si vous êtes au courant.
    J'ai une question supplémentaire. Un homme autochtone accepterait-il de recevoir du counselling de la part d'une femme, et accepterait-il de suivre du counselling en matière de violence auprès d'une femme non autochtone? Est-ce culturellement acceptable?
    Je ne sais pas. Peut-être qu'Ellen devrait répondre à cette question. Elle est difficile, parce qu'il faut se demander ce qui leur arrivera s'ils ne consultent pas un spécialiste en counselling. Ils se retrouvent alors en prison, n'est-ce pas?
    Je crois qu'il faudra faire quelque chose à un moment donné. À un moment dans leur vie, ils vont devoir admettre qu'ils ont besoin d'aide.
    Mais nous avons des membres du personnel dans les foyers qui ne sont pas autochtones et les femmes s'adressent à eux.
    Ceci me mène à la question pour Mme Gabriel.
    Comment encourager nos jeunes Autochtones à rester et à obtenir les compétences nécessaires pour aider les gens dans les foyers?
    Il y a deux foyers pour femmes autochtones qui offrent du counselling aux hommes violents. Un est situé à Sept-Îles, l'autre à Haven House.
    Et les hommes acceptent le counselling? Ça ne pose pas problème?
    Oui, c'est en fait une exigence.
    Je sais qu'on l'a dit à de nombreuses reprises, mais je voulais tout simplement le répéter encore une fois: la violence faite aux femmes autochtones, ou aux femmes en général, est un problème d'hommes. Les hommes doivent faire partie de la solution. Ce n'est pas seulement un problème de femmes. Les hommes de toutes les races, à tous les niveaux de la société, doivent s'impliquer. Les hommes doivent commencer à dénoncer la violence. Le gouvernement doit la dénoncer publiquement. Femmes Autochtones du Québec faisait partie d'un groupe d'organismes de Justice Québec.
    Justice Québec a créé un groupe de travail, le Comité tripartite Femmes-justice, qui a publié un rapport en 2003 avec des recommandations visant à sensibiliser les avocats, les juges et les policiers. On n'allait pas jusqu'à recommander d'éduquer le gouvernement, mais je pense que le gouvernement doit vraiment intervenir.
    Avant qu'une personne commence à travailler pour quelque ministère que ce soit, il faudrait lui donner une sorte de formation sur toutes ces différentes questions que l'on considère comme des questions sociales, notamment la violence, pour les éduquer sur ce qu'ont subi les Autochtones au cours des 500 dernières années environ. Où est-ce que cela commence? Cela commence lorsque les enfants sont jeunes. Si nous voulons mettre fin à ce cycle de violence, que ce soit au sein des collectivités autochtones ou dans le reste de la société canadienne, il faut que l'éducation des enfants commence avec les mères et les pères, à la maison, si cela est possible.
    Les discussions au sujet de la violence devraient faire partie intégrante du système scolaire. La violence est inacceptable. Nous enseignons à nos enfants ce qui est bien et ce qui est mal. Nous devrions aussi leur parler de la violence qui est quelque chose de mal également. La violence contre leurs mères. La violence dans les pensionnats.
    Permettez-moi de citer l'article 14 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones:
Les peuples autochtones ont le droit d'établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l'enseignement est dispensé dans leur propre langue, d'une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage.
    C'est pour cette raison que nous espérons que le gouvernement canadien appuiera sans réserve cette déclaration car il s'agit réellement d'un guide sur la façon de décoloniser. Il s'agit d'un processus de décolonisation.
    Pour ce qui est de rester à l'école, la vérificatrice générale du Canada, dans son rapport de 2008 ou 2009 a dit qu'il faudrait 28 ans aux écoles situées dans les réserves pour rattraper la qualité d'éducation que l'on retrouve dans les autres écoles canadiennes. Il y a donc là un écart énorme sur le plan de la qualité de l'éducation que reçoivent les enfants autochtones.
    La musique et les arts sont les premières matières qu'on laisse tomber dans tout système d'éducation, mais la musique et les arts sont à la base de notre culture. C'est une expression de toutes nos relations. Nos langues, comme je l'ai déjà dit, représentent toutes nos connaissances autochtones. C'est notre façon de savoir. C'est notre façon d'être. Nous devons donc avoir des systèmes d'enseignement qui ne font pas de nos langues traditionnelles, de nos langues autochtones, des langues secondes, mais qui en fait appuient les programmes qui sont développés, qui aident en fait les enseignants, Autochtones ou non, à venir enseigner dans nos écoles de façon à ce qu'ils puissent motiver les enfants à aimer l'école, à aimer apprendre. Lorsqu'on a d'excellents enseignants, on peut être certain que l'enfant voudra apprendre davantage.
    Je conclurai tout simplement en citant ce que m'a dit un aîné. Il avait un ami Hopi dont le fils est devenu avocat et qui lui a dit une fois qu'il a obtenu son diplôme: « Papa, je vais revenir et aider notre peuple. » Son père lui a répondu: « Mon fils, tu as appris la culture occidentale. Maintenant tu vas revenir et apprendre notre façon de faire, et ensuite tu seras en mesure d'aider notre peuple. »
    Merci.

  (1200)  

    Merci.
    Madame Gentelet, voulez-vous répondre?
    Allez-y.

[Français]

    Oui, tout à fait.
    À Amnistie internationale, depuis quelques années, nous travaillons avec un concept qui est la dignité. Ce concept est très intéressant parce qu'il permet — je suis désolée, je vais être « Mme Globale » pour cette réunion — d'avoir une vue d'ensemble sur une façon de procéder et sur une conception de la vie.
    Je suis donc bénévole pour Amnistie. Dans mon métier, je suis chercheuse et j'ai eu à rencontrer beaucoup de jeunes, de jeunes décrocheurs. Ces jeunes-là ne voient pas l'intérêt de rester à l'école parce qu'ils n'ont pas d'avenir. Ils ont de la difficulté à envisager l'avenir et à voir quel était le passé. Souvent, ils n'ont pas la même vie qu'avaient leurs ancêtres. Donc, c'est très difficile pour eux de se situer.
    Des communautés travaillent à essayer de développer des role models, des gens qui pourraient inspirer ces jeunes en leur apportant des histoires positives. Je crois que travailler à amener la dignité, en amenant ces jeunes à être fiers de ce qu'ils sont et à leur insuffler le désir d'aller de l'avant, serait certainement, pour les hommes et pour les femmes, un moyen de lutter contre le décrochage. Ça aurait en plus des conséquences positives vis-à-vis de la violence dans les communautés et de leur place dans la société canadienne.
    Je sais que c'est très vaste et que ça prendra certainement plusieurs générations, mais ça rejoint aussi ce que je disais tout à l'heure avec cette histoire de plan d'ensemble. Je pense qu'on doit lutter à court terme, mais on doit aussi lutter à long terme pour la fierté d'être ce qu'on est, pour la place qu'on a dans la communauté et la place qu'on laisse.

  (1205)  

[Traduction]

    Irene.
    Merci, madame la présidente.
    On a mentionné le programme Soeurs par l'esprit. Je me demandais si vous aviez entendu quelque chose à ce sujet. Je sais qu'on avait promis 10 millions de dollars, mais il semblerait que les fonds ne semblent pas avoir été versés. L'AFAC se trouve dans une situation où elle doit licencier du personnel parce qu'elle n'a pas d'argent.
    Je me demande si quelqu'un aurait d'autres renseignements à ce sujet ou si quelqu'un pouvait parler des raisons pour lesquelles il est important de mettre ce programme en place. Je sais que vous avez fait allusion au fait qu'il s'agit de prendre les études qui ont été faites et d'y donner suite, mais je me demande si vous avez quelque chose à ajouter.
    Je vais répondre, car Femmes autochtones du Québec fait partie du conseil d'administration. Je sais qu'il y a des défis à relever quant à la façon dont les fonds sont versés, et le Cabinet doit décider s'il versera les fonds et quand il le fera. On n'a pas indiqué clairement si les organismes partout au Canada auraient accès à ces 10 millions de dollars ou si... Je pense que c'est un montant qui serait versé sur deux ans — je ne me souviens pas exactement des détails du discours du Trône à ce sujet.
    L'importance de la recherche, c'est qu'aucune politique, aucun programme ni même aucune mesure législative ne peut être mis en place sans statistiques et sans recherche. Il est important pour nous de poursuivre cela, particulièrement étant donné les défis qu'a connus le programme de recherche Soeurs par l'esprit, étant donné que certaines instances étaient très peu disposées à divulguer certaines statistiques ou certains détails. Nous devons surmonter certains de ces obstacles. Mais en même temps, je pense qu'il faut faire plus d'éducation. Ça représente beaucoup d'argent.
    Il y a les collectivités dont le financement est plafonné depuis je pense 1996. Lorsqu'elles voient cela, elles se disent très bien, allons-y, et elles finissent par lutter. Je pense que c'est un peu une question de politique. Est-ce l'APN qui a reçu le financement? Est-ce le PCAA qui l'a reçu? Mais je ne fais que supposer... Je ne pourrais pas vraiment le dire.
    Nous appuyons la recherche dans le cadre du programme Soeurs par l'esprit. Je pense que notre seule critique c'est qu'on ne fait pas suffisamment de recherches dans notre province car nous n'avons pas de chercheurs francophones. C'est quelque chose que nous aimerions que l'on fasse.
    Puis-je continuer, madame la présidente?
    Oui, allez-y.
    Il a été fait mention dans l'exposé du besoin de consultation, du fait qu'on a besoin de surmonter une attitude condescendante, « nous savons le mieux ce qui est bon pour vous ». Il doit y avoir un dialogue. On doit demander comment, en tant que collectivité, on peut s'attendre à obtenir le genre de changement... et comment est-ce que nous pouvons aider ou faciliter cela.
    Cela me rappelle la consultation sur les droits liés aux biens immobiliers matrimoniaux. On ne parle pas beaucoup de cette question. Est-ce que quelqu'un sait où on en est, et si cette consultation a été adéquate?
    Je vais répondre encore une fois, car je viens tout juste de présenter ce lundi au comité permanent un exposé sur les biens immobiliers matrimoniaux.
    On vient tout juste de m'apprendre que ce montant de 10 millions de dollars dont vous parlez pour la violence faite aux femmes autochtones sera versé aux services policiers. Si ce montant va aux services de police, il n'ira pas aux collectivités. Je remercie Carole de me le rappeler.

  (1210)  

    Pouvez-vous me dire s'il s'agit du montant de 10 millions de dollars pour le programme Soeurs par l'esprit, ou est-ce qu'ils ont précisé?
    Ils n'ont pas précisé. Je pense que si on examine en détail le discours du Trône, on parlait de 10 millions de dollars pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones. On ne précisait pas que ce montant servirait à la recherche.
    Je pense qu'on a renouvelé pour une autre année le financement de l'AFAC pour le programme Soeurs par l'esprit. C'est la dernière chose que j'ai entendue à ce sujet, alors j'imagine que cela a dû changer.
    Nous savons que le montant ira aux services de police. Je voulais tout simplement le préciser.
    Merci.
    J'ai dit au comité permanent que vous ne pouvez pas créer de lois en vase clos, compte tenu qu'il y a le projet de loi C-3. Celui-ci prévoit l'abrogation de l'article 67.
    Oh, madame Brown, j'ai oublié de vous parler de la propriété foncière en fief simple. Je viens de m'en souvenir.
    Allez-y.
    J'allais soulever cette question. L'un des défis auquel nous faisons face en ce qui concerne les biens immobiliers matrimoniaux, c'est qu'il y a une pénurie de logements dans la collectivité, de sorte qu'il est difficile de se lancer en affaires. Autre chose, un juge devra se pencher sur les biens immobiliers matrimoniaux et connaître la Loi sur les Indiens. Combien de juges des tribunaux civils connaissent la Loi sur les Indiens? S'ils ne la connaissent pas, comment la collectivité est-elle censée passer par ce processus?
    L'autre question, c'est que dans les collectivités éloignées, les femmes n'ont pas accès à l'aide juridique, comme dans les villes plus rapprochées telles que Montréal et Québec. Il y a donc un vide en ce qui concerne leur accès au système judiciaire. Le projet de loi n'aborde pas cet aspect ni cette réalité des femmes autochtones.
    Il y avait un manque de consultations adéquates. Nous avons eu un mois et demi pour mener nos consultations. Je pense que la plupart des Canadiens, lorsque des changements législatifs sont apportés au Canada, disposent d'un an. Un rapport de 500 pages a été publié par Wendy Grant-John, la représentante nommée par le ministre. Ce rapport ne contenait guère de recommandations: il comptait 500 pages et ne mentionnait nulle part ce que disaient les collectivités.
    Je pense que le problème auquel nous faisons face entre nous, c'est que bon nombre de nos collectivités ne connaissent même pas les biens immobiliers matrimoniaux. Ils ne connaissent pas les détails des BIM. D'après ce que j'ai entendu dire, les gens demandent le rejet de ce projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, mais nous ne le souhaitons pas. Nous voulons que le projet de loi soit adopté avec certains amendements, tout comme nous voulons que le projet de loi C-3 soit adopté avec amendements, mais le gouvernement n'écoute pas. Il ne tient pas compte de nos préoccupations.
    La consultation... Il ne s'agit pas seulement de nos opinions. Il s'agit de tenir compte de nos préoccupations. Il s'agit d'un dialogue. Il s'agit d'un partenariat. Cela ne s'est matérialisé dans aucune des séances auxquelles j'ai participé, ni pendant les brèves consultations qu'il y a eues au sujet des biens immobiliers matrimoniaux.
    Au sujet du fief simple, oui, nous avons le certificat de possession. Oui, nous avons ces minuscules parcelles de terre qui sont réservées pour nous. Je pense que ce dont on n'a pas parlé pour nos collectivités, c'est que nous voulons pouvoir profiter des mêmes opportunités économiques que les autres. Si nous devons donner nos terres en garantie et que nous les perdons, nous perdons le peu que nous avons de nos collectivités.
    Je sais que M. Jules voyage un peu partout au Canada. À mes yeux, il s'agit seulement d'une autre forme de la politique du livre blanc qui a été rejetée dans les années 1970. Ça ne va pas. On ne peut pas appliquer ce qui se passe dans le reste du Canada à nos collectivités. Ça ne fonctionne pas.
    Nous voulons que nos terres soient protégées, pour les générations présentes et futures. Le fief simple n'est pas la meilleure idée, je pense, pour contribuer au développement économique. Nous devons avoir accès à nos terres, à nos ressources. Nous devons nous asseoir et dialoguer avec le gouvernement. Nous ne voulons pas être pris de haut ni parler sans qu'on nous écoute.
    Le gouvernement aborde les questions touchant les peuples autochtones de façon archaïque et paternaliste. Nous sommes en 2010, bon sens. Nous connaissons votre culture, mais c'est comme si notre culture n'avait pas d'importance: « on placera ça dans un musée, alors vous devriez être heureux. C'est comme cela que nous allons protéger votre culture. » Ça ne fonctionne tout simplement pas.
    Merci.

  (1215)  

    Merci.
    Madame Simson.
     Merci.
    Dans vos déclarations préliminaires, madame Gabriel et madame Vaugrante, vous avez toutes deux mentionné quelque chose de semblable; vous avez dit qu'à long terme, il est nécessaire de créer un plan d'action national. Vous avez toutes les deux utilisé la même expression.
    J'aimerais simplement savoir comment vous imaginez le déroulement de ce processus, ou comment nous pouvons en arriver là. Je vous pose la question parce que notre comité se penche entre autres sur de nombreuses similarités entre les Autochtones dans différentes réserves au pays, mais il y a aussi tellement de différences que nous nous déplaçons partout au pays afin de constater les différences et les similarités.
    Pour revenir à ce qu'a dit Mme Mathyssen, un plan d'action national ne peut pas se faire selon une approche descendante. Nous ne pouvons demeurer au niveau fédéral et tenter de tout déterminer nous-mêmes. Je pense que pour que le processus marche, il faudrait inclure les organismes législateurs provinciaux, parce qu'il y a différentes façons au niveau provincial d'aborder les enjeux concernant les Autochtones.
    J'essaie de comprendre. Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez faire apparaître ce plan d'action national, quelle infrastructure servirait à le faire? Quelle est votre vision? Comment pouvons-nous l'élaborer?
    Quelqu'un veut répondre à la question?
    Madame Vaugrante, madame Grabiel, madame Gentelet?

[Français]

    Je voulais laisser l'honneur de parler à Ellen, mais je pense qu'elle vous prépare une belle réponse.
    On le demande depuis 2004 et, depuis ce temps, rien ne s'est passé. Il faut commencer par s'asseoir ensemble et avoir la volonté de résoudre le problème de la violence faite aux femmes. Cette volonté, on ne l'a pas perçue jusqu'à maintenant, sauf lors de la lecture du discours du Trône, qui contenait la seule nouvelle intéressante depuis quelque temps.
    Il faut...

[Traduction]

    Oui, merci, mais puis-je vous interrompre un instant pour revenir sur ce que vous avez dit?
    Vous avez mentionné une volonté de rencontre. Selon vous, qui pourrait participer à la création de ce plan d'action national? Les chefs de bande, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral, de sorte qu'il s'agirait presque d'un grand sommet, en quelque sorte?

[Français]

    Il faut absolument la participation des autorités provinciales. Je l'ai souvent mentionné, la discrimination dans le cas de nombreux enjeux culturels et socioéconomiques dépend des provinces.
    C'est clair, il faut la collaboration des différents ministères. D'ailleurs, souvent, au sein du gouvernement du Québec, des rapporteurs s'occupent des questions autochtones. Il faut la représentation des ministères, les représentations autochtones et des femmes autochtones aussi, c'est clair, surtout au fédéral.
    Il va falloir qu'ils s'entendent ensemble sur les besoins criants à court terme et à long terme, qui exigeront d'autres démarches et d'autres consultations. Cependant, le court terme, entre autres, c'est tout ce qui touche la police et les foyers d'hébergement. Cela dépend du provincial. La police dépend du municipal, du provincial et parfois du fédéral, en ce qui a trait à la sécurité.
    Ensemble, avec les groupes autochtones, il faut définir les plans d'action à court terme et s'attaquer ensuite au long terme, à l'autonomie économique, à l'accès à l'emploi, à la consultation sur les terres. Ce sont des sujets beaucoup plus complexes, beaucoup plus difficiles. Il va falloir, un jour ou l'autre, établir une table de concertation, un table de consultation.
    De plus, certaines choses sont incroyables. L'image du Canada est ternie parce que celui-ci se fait dire ce qui se passe au pays par des organes de l'ONU, par Amnistie internationale et par des groupes autochtones. Il faut une initiative du gouvernement fédéral, par l'entremise du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il faut surtout que son premier ministre montre une volonté politique. Il faut qu'ils disent qu'ils veulent le faire, qu'ils vous invitent à des consultations et disent qui ils vont inviter autour de la table. Il faut d'abord avoir une lecture des enjeux.
    Je crois qu'on n'a pas forcément toujours la même lecture des enjeux. Amnistie internationale et moi craignons une chose. Dans le plan d'action qui contenait le fameux montant de 10 millions de dollars qui a été mis sur la table, la lecture était réduite à l'analyse criminelle des choses. On va résoudre le problème des femmes disparues et les problèmes liés aux femmes assassinées. C'est très loin d'être une question uniquement criminelle. Ensemble, il faut s'entendre sur l'ampleur du problème. Juste réussir cela va représenter du travail.

  (1220)  

[Traduction]

    Madame Robertson.

[Français]

    Je veux seulement ajouter quelque chose relativement à la question du provincial et du fédéral.
    Lorsqu'on vit dans une province, au Québec par exemple, et que l'on vient d'une communauté autochtone, on se trouve souvent pris dans cette opposition entre le fédéral et le provincial. C'est tous les jours, c'est continuel.
    En ce qui a trait aux consultations, qui est le mieux placé? Nous, les peuples autochtones, connaissons notre histoire, notre situation et quels sont nos besoins. Il est important de prendre le temps de consulter. Souvent, on consulte très peu les populations autochtones sur leur situation. Je pense qu'elles la connaissent très bien.
    À l'époque, on avait un système de santé, un système politique et une façon de faire. Aujourd'hui, on pense qu'on n'est pas capable de prendre soin de notre peuple. Pourtant, en ce qui a trait aux ressources autochtones existantes, comme je vous le disais un peu plus tôt, il y a seulement 12 maisons d'hébergement, mais il y a 58 communautés si on compte celles des Inuits.
    On compare toujours avec la population non autochtone. Il y a environ 90 maisons d'hébergement pour le peuple québécois, alors qu'il n'y a que 12 maisons d'hébergement autochtones. Quand on sait qu'il y a trois fois plus de violence dans nos communautés, c'est aberrant.
    Dans le cas de ces ressources autochtones, les intervenants sont Autochtones, ils parlent la langue. On dit que, pour être intervenant, il faut parler la langue, mais il faut aussi plus que cela. C'est l'approche qu'on utilise.
    Dans les maisons d'hébergement non autochtones, on parle beaucoup d'approche féministe et on encourage les femmes à trouver une certaine autonomie lorsqu'elles sont victimes de violence. On les encourage à prendre soin d'elles. On parle souvent d'être autonomes et de prendre soin d'elles. Par contre, on ne parle pas comme ça aux femmes autochtones. Ces femmes ne veulent pas laisser leur mari. Elles veulent unir la famille. Selon elles, quand on est marié, on est marié pour la vie.
    C'est pourquoi les ressources, dont les maisons d'hébergement qui viennent en aide aux femmes, n'ont pas le choix, il leur faut aider aussi l'homme et la famille. C'est pourquoi il faut apporter de l'aide vraiment adéquate. On ne doit plus voir cette cassure entre le fédéral et le provincial.
    Sur le plan du financement, les maisons d'hébergement sont un bon exemple. Depuis l'an 2000, l'organisme Femmes Autochtones du Québec inc., ou FAQ, avait beaucoup fait pression pour que le financement des maisons d'hébergement soit augmenté. J'aimerais faire une mise à jour de cette information.
    Depuis l'an 2000, on a fait pression. Oui, le financement a été augmenté, mais, en même temps, à l'époque où on faisait des revendications, l'écart entre l'argent du provincial reçu par les maisons d'hébergement autochtones et celui reçu par les maisons d'hébergement québécoises était de 100 000 $. Plus l'écart augmentait, plus on demandait que ce soit corrigé. À un moment donné, l'écart était de 300 000 $.
    Le fédéral a annoncé une augmentation du financement des maisons d'hébergement et le financement de base a été augmenté en 2008. On revient alors à l'écart du départ de 100 000 $. Présentement, c'est l'écart qui existe entre les maisons d'hébergement régies par le provincial et celles qui sont régies par le fédéral. C'est un exemple flagrant.
    Pourtant, ces maisons viennent en aide aux personnes en crise, qui tentent de se suicider, aux toxicomanes et aux familles des femmes disparues. Ce n'est pas seulement une question de sensibilisation et d'aide aux femmes victimes de violence.

[Traduction]

    Merci.
    Quelqu'un souhaite ajouter quelque chose?
    Madame Gabriel.
    Nous avons examiné tous les niveaux de facteurs contributifs — et cela vient du Centre national d'information sur la violence dans la famille — y compris les facteurs individuels, familiaux, communautaires, de même que la culture et la société. Il faut que tous les membres d'une société s'impliquent pour qu'un plan d'action national atteigne ses objectifs. Cela signifie qu'il faut sensibiliser les gouvernements à ces enjeux. Il faut mobiliser les policiers, les juges, les avocats et les travailleurs sociaux, puis convaincre les collectivités elles-mêmes de participer.
    Nous voyons constamment que nous sommes en situation de crise et on tente d'éteindre les feux. Mais il faut également faire de la prévention. C'est ce dont je parlais plutôt lorsque j'ai mentionné l'éducation.
    Un plan d'action national refléterait donc les besoins immédiats de même que les besoins et les expériences des peuples autochtones, qui peuvent contribuer à une communauté plus saine en vue de faire cesser cette violence.
    Si nous examinons la mondialisation de la culture, nous constatons que la violence et le sexe font vendre dans les médias et l'industrie du divertissement. Il ne s'agit pas seulement des lois du gouvernement; il s'agit de ce que nos enfants regardent, de ce que nos jeunes regardent. Je pense que nous sommes dans une situation très triste. Tout le monde aime le divertissement, mais nous oublions que les médias ont un rôle extrêmement puissant à jouer pour déterminer si la société souhaite mettre fin à la violence ou non.

  (1225)  

    Merci.
    Luc.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Ma première question s'adresse à Mme Gabriel. Vous avez parlé d'un rapport portant sur les femmes autochtones et la justice qui a été finalisé par le ministère de la Justice du Québec. Quand ce rapport a-t-il été produit? À quel moment a-t-il été conclu?
    Je pense qu'il serait intéressant d'obtenir copie de ce document.
    C'était en 2003. Ce rapport portait sur les femmes autochtones et les femmes non autochtones. Je pense qu'il y a beaucoup de recommandations. C'est disponible sur le site Web du ministère de la Justice du Québec. On pourrait toujours vous en faire parvenir une copie.
    On aimerait bien en obtenir une copie pour voir les recommandations.
     Quand ce rapport a été soumis, votre association a-t-elle déposé un mémoire? Si oui, serait-il possible d'obtenir une copie de ce mémoire?
    Un peu plus tôt, Mme Simson nous parlait du plan d'action national, mais si on pouvait voir ce qui se fait au Québec, on pourrait peut-être importer sur le plan national des choses qui se font au Québec. Nous aimerions beaucoup obtenir une copie de votre rapport ou des rapports des différentes organisations.
    Au cours des dernières années, nous avons soumis des rapports à l'Assemblée nationale du Québec à propos des engagements sur cette question de la violence, ainsi qu'au gouvernement fédéral.
    Le plus récent rapport que vous avez déposé...
    En 2008, nous avons déposé un mémoire sur la violence conjugale.
    Il y a plusieurs recommandations...
    Je pourrais vous remettre...
    Vous pouvez le remettre à nos analystes et nous pourrions en obtenir copie.

[Traduction]

    Oui, envoyez des copies à la greffière et elles seront distribuées aux députés. La greffière pourra vous dire le format dans lequel elle souhaite les recevoir.

[Français]

    Un peu plus tôt, on a parlé de données statistiques. Amnistie internationale a énuméré quelques-unes de ces statistiques. Avez-vous un document qui permettrait au comité de prendre connaissance des statistiques au Québec? Ce n'est pas facile d'obtenir de tels documents.
    Ce rapport touche-t-il de façon générale la violence faite aux femmes ou si on parle des 582 cas de femmes qui ont été tuées au Canada?
    Avons-nous ce rapport, madame la présidente?

  (1230)  

[Traduction]

    Oui, le comité l'a.

[Français]

    J'aimerais savoir s'il y a des statistiques. Amnistie internationale en a énuméré quelques-unes.
    À la fin de ce rapport, il y a des notes, avec toutes les références d'études gouvernementales qui ont été menées par le fédéral.
    Par ailleurs, en ce qui a trait au plan d'action national, je crois que le Manitoba est assez avancé. Vous devez être au courant de cela. On y trouve un groupe de travail qui comprend la police et beaucoup d'acteurs sociaux et économiques. Je pense que le Manitoba est une des provinces les plus avancées, car on y tente de traiter la violence faite aux femmes d'une manière un peu plus holistique et complète. Je pense que c'est une référence.

[Traduction]

    Madame Émilie-Cloé Laliberté.

[Français]

    Vous allez trouver, à la fin des recommandations, plusieurs références de recherches qui ont été faites au Canada. On a donc fait une recherche sur le réseau juridique, et une recherche sur le VIH/sida a été faite pour le Canada. Si on compare cela à Montréal, ils ont rencontré énormément de femmes autochtones qui vivaient dans la rue. Il y a plusieurs statistiques et recommandations fort intéressantes dans cette recherche.
    Il y a aussi la Pivot Legal Society à Vancouver, qui a recensé des déclarations sous serment et des témoignages qui peuvent être admis en cour. Ces gens ont produit une publication dont je vous ai donné la référence. Ils ont rencontré des femmes autochtones du Downtown East Side. Ces statistiques et recommandations sont assez importantes.
    J'ai une dernière question.
    On a parlé des subventions et du financement. Mme Gabriel disait que c'est une partie importante, mais qu'il y a aussi tout l'aspect de la colonisation qu'il faut vraiment aborder.
    Ma question est la suivante. Y a-t-il des organismes comme le vôtre dont les subventions ont été amputées? Si oui, pour quelles raisons?

[Traduction]

    Vous parlez des coupures au budget de la Fondation autochtone de guérison?

[Français]

    Oui, il y a eu ça. Y a-t-il eu d'autres organismes? Est-ce que cela touche plusieurs organismes?

[Traduction]

    Je ne peux parler que du foyer, et c'est le gouvernement qui a décidé qu'il ne souhaitait plus donner d'argent à la Fondation autochtone de guérison. J'étais en congé de maternité, de sorte que je me souviens d'avoir parlé à la FAG, la Fondation autochtone de guérison, au début de mars peut-être, pendant la prorogation. La fondation attendait de l'argent du gouvernement. C'est pourquoi nous avons tous été très surpris de voir une annonce sur le site Web indiquant que le gouvernement ne...

[Français]

    D'accord.

[Traduction]

    Madame Brown.
    Merci, madame la présidente.
    Un instant, je vous prie.
    Les recommandations que nous avons reçues de Stella n'ont pas encore été distribuées aux membres du comité, car nous devons faire traduire les quelques lignes contenues dans le mémoire. Il faut que tout soit distribué en français et en anglais, vous recevrez donc les recommandations de Stella.
    Merci, madame la présidente.
    J'aimerais éclaircir un point. Tout d'abord, l'argent destiné aux Soeurs par l'esprit faisait partie de notre budget de 2010, qui n'a toujours pas été approuvé, alors on peut s'attendre que l'argent ne sortira pas des coffres tant que le budget n'est pas adopté par la Chambre des communes et ensuite le Sénat. D'après ce que j'ai retenu de ma lecture du budget, le financement était destiné à la recherche et à l'établissement de politiques, et non pas au service de police.
    Vous comprendrez que ces somme seront accessibles après l'adoption du budget, et que la ministre de la Condition féminine aura ensuite l'occasion de déterminer comment les sommes seront réparties.
    Pour votre gouverne, Mme Gabriel a dit qu'elle ne parlait pas de l'argent destiné aux Soeurs par l'esprit mais des 10 millions de dollars annoncés dans le discours du Trône pour lutter contre la violence faite aux femmes en général. Personne ne sait ce qui est advenu de ce financement, on lui a dit ensuite que 10 millions de dollars avaient été réservés pour les services de police.
    Madame la présidente, des sommes additionnelles ont été réservées dans le budget pour les Soeurs par l'esprit, mais le budget de 2010 n'a toujours pas été adopté. Je crois qu'il est très important de ne pas l'oublier.
    J'ai des questions pour Mme France Robertson et Mme Brazeau au sujet des centres d'hébergement. Nous avons entendu dire qu'il n'y en a pas assez. On a fait remarquer que ces centres peuvent être situés à 100 kilomètres du domicile de la victime. Compte tenu des caractéristiques géographiques du Canada, quelle serait l'accessibilité optimale? Je crois que c'est la question que nous devons nous poser. Je ne sais pas s'il est possible d'avoir un centre d'hébergement dans chaque collectivité. Même dans ma région, il va sans dire que nous n'avons pas de centre dans chaque collectivité.
    À quelle fréquence les femmes reviennent-elles? Constatez-vous un phénomène des portes tournantes ou bien les femmes qui viennent ...?
    L'un des témoins à Ottawa nous a parlé d'un ensemble de compétences acquises par les femmes durant leur séjour en centre d'hébergement. Est-ce le cas au Québec? Faut-il en faire davantage à cet égard? Comment pouvons-nous contribuer sur ce point? Quel taux de retours constatez-vous?

  (1235)  

    Madame Gabriel, voulez-vous répondre?
    N'importe qui peut répondre. Je voulais simplement aborder la question des centres d'hébergement.

[Français]

    Dans un monde idéal, avoir des maisons d'hébergement adaptées aux Autochtones, près des communautés, serait formidable, mais on sait qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Je ne pense pas que, dans l'éventualité d'un plan d'action à long terme, il serait possible d'avoir une maison d'hébergement ou une ressource autochtone.
    Toutefois, étant donné qu'il n'y en a pas dans toutes les communautés, le mieux, en ce moment, serait des centres de crise. S'il faut faire une ou deux heures de route pour se rendre à une ressource, c'est très loin. Souvent la femme n'y ira pas, ou elle va rester dans la communauté et tout le monde va le savoir. C'est une question de confidentialité. Il faudrait avoir des centres de crise. Cela permettrait de gérer la situation, qui est une question de violence, peu importe la forme. Par ailleurs, on peut aussi parler de centres de crise pour le suicide. Il faudrait des endroits adaptés de ce genre.
    Beaucoup de femmes autochtones se retrouvent dans les maisons d'hébergement non autochtones. Ces maisons sont un peu démunies parce qu'elles ne savent pas comment répondre adéquatement à ces femmes qui sont en crise. On m'a raconté que, souvent, les enfants devaient servir d'interprètes pour leur mère en crise, parce qu'elle ne parlait ni l'anglais ni le français. Quand on est en crise, qu'on ne parle ni l'anglais ni le français, on parle sa langue autochtone. Les enfants devaient donc faire l'interprétation pour leur mère. Imaginez le problème que cela pose à ces enfants. Ils sont témoins, mais ils sont aussi victimes de violence, en quelque sorte.
    Ces femmes reviennent souvent en maison d'hébergement pour avoir un peu de répit. Une intervenante m'avait confié que le processus est très long. Si on compare une femme non autochtone à une femme autochtone, une femme non autochtone comprendra un peu qu'elle vit dans un cycle de violence. Elle se questionnera donc et se demandera ce qu'elle devra faire pour se prendre en main. Pour une femme autochtone, la violence est normale, c'est ainsi dans sa communauté. On voit aussi que le sujet est tabou, il ne faut pas en parler. Il faut prendre conscience de tout ce qu'elle vit. Il y a aussi le cycle des pensionnats, et tout cela. Le processus de guérison peut prendre deux ans, trois ans, avant qu'elle se rende compte de cela et qu'elle se demande ce qu'elle va faire de sa vie. Elle va penser à elle, parce qu'elle a toujours pensé en fonction du mieux-être de sa famille, de ses enfants et de la communauté.
    Durant le temps de répit, elle va se reposer, mais elle va toujours retourner auprès de son mari. Souvent, c'est parce qu'elle n'a pas le choix. Vous n'avez pas parlé des biens matrimoniaux, un peu plus tôt. Si elle quitte son mari, elle va tout perdre. Elle va perdre sa maison et souvent elle n'a pas d'emploi. La plupart des femmes ne travaillent pas. Elle n'aura pas d'endroit où rester, et on sait que le taux de logements disponibles est très bas. C'est donc souvent un temps pour se reprendre un peu, pour prendre une pause. Le cycle revient souvent. Ces femmes reviennent souvent en maison d'hébergement, avec leurs quatre ou cinq enfants. Par ailleurs, il y a très peu de ressources adaptées pour ces enfants.
    Nakuset doit avoir des statistiques sur le taux d'occupation.

  (1240)  

[Traduction]

    Je ne connais pas très bien les statistiques actuelles. Je reviens d'un congé de maternité, je vous demande donc d'être indulgents. Par contre, je tiens à aborder cette question.
    France s'occupe beaucoup des centres d'hébergement dans les réserves. Il y en a deux situés hors réserve: un à Québec et l'autre à Montréal. Je ne peux pas vous dire quelle est la situation dans chaque collectivité, parce que je ne sais pas, mais je peux affirmer que les femmes qui aboutissent dans notre centre à Montréal ne sont pas toujours victimes de violence conjugale. En fait, elles sont parfois itinérantes. Certaines d'entre elles viennent d'un peu partout au Canada et, comme vous l'avez dit, il y a un phénomène de portes tournantes.
    C'est un point intéressant que vous soulevez, car les cas sont toujours différents. Je me rappelle de notre toute première cliente. C'était en 1987, il y a près de 25 ans. Nous la voyons encore de temps à autre. La guérison prend un certain temps. Voilà pourquoi il est si étrange qu'on mette fin si tôt au financement de la Fondation autochtone de guérison. Nous savons que cela prend du temps. En 25 ans, vous ne vous remettez pas de la violence conjugale et de ses séquelles, notamment la toxicomanie...
    Je ne sais pas si cela répond bien à votre question. Y a-t-il un autre point que vous voulez...
    Est-ce que l'une d'entre vous pourrait parler des compétences qui sont enseignées? Il a été dit que dans le centre d'hébergement d'Ottawa, les femmes ont la possibilité de suivre des cours et d'acquérir des compétences compétitives, parce que beaucoup d'entre elles veulent être indépendantes financièrement.
    Madame Gabriel, vous avez parlé du besoin d'autonomie financière. Ces femmes sont capables de tirer avantage des compétences professionnelles acquises en les appliquant dans le cadre d'un emploi dont la rémunération leur permet l'autonomie financière. La responsable de ce centre nous a donné l'exemple de femmes qui ont suivi des cours offerts par un certain nombre de collèges communautaires. Nous sommes très fiers du fait que certaines de ces femmes sont revenues travailler dans le centre à titre de mentordat auprès des nouvelles clientes.
    Je me demandais si c'était le cas ici également, et dans l'affirmative, dans quelle mesure vous avez réussi.
    En fait, lorsque les femmes arrivent au centre d'hébergement, elles vivent généralement une situation de crise. Elles ne cherchent pas vraiment à acquérir des compétences. Elles cherchent à obtenir de l'information et à trouver une façon de guérir à la suite d'une crise précise. Leur séjour s'étend d'une nuit à deux mois, alors ce n'est pas l'endroit indiqué pour acquérir des compétences, car ces femmes sont là pour simplement reprendre leur souffle.
    Nous avons un programme d'accompagnement qui permet d'assurer un suivi auprès des femmes après qu'elles ont quitté le centre. C'est à cette étape que nous sommes en mesure de leur trouver des ressources pour retourner à l'école. Nous offrons différents programmes au fil de l'année pour les aider, et nous avons aussi des exemples de réussite où les femmes qui se sont prévalues du programme d'accompagnement ont obtenu leur diplôme universitaire et travaillent maintenant au centre. Ce type de cas se produit, mais c'est grâce au programme d'accompagnement, et non pas dans le cadre des services offerts au centre. Le centre est destiné à aider les femmes en situation de crise.
    Votre centre s'occupe de la gestion de crise uniquement.
    Oui. Nous aidons les femmes à passer de l'étape A vers l'étape B, et mener la carrière de son choix correspond à l'étape Z ou X. Enfin, c'est beaucoup plus loin dans le cheminement.
    Je fais totalement confiance au programme d'accompagnement. Il s'agit de services de soutien offerts après avoir géré la crise.
    Comment peut-on établir cette transition? D'après ce que nous voyons en matière de gestion de crise en Ontario, lorsque le gouvernement provincial s'en mêle et qu'il y a des unités de logements subventionnées ou une aide à la vie autonome, la situation s'améliore. À Aurora, dans ma collectivité, il y a un immeuble d'appartements dont la construction a été financée par la collectivité, la province de l'Ontario et la région de York, il y a donc de la place... Il en va de même des foyers de transition. Lorsque les femmes se trouvent dans des centres d'hébergement, elles ont l'occasion de recevoir du financement des services sociaux et communautaires du gouvernement de l'Ontario dans le cadre d'une aide de la vie autonome. Ainsi, elles peuvent suivre des cours et s'inscrire à des programmes éducatifs.
    Madame Gabriel, lorsque vous parliez de la nécessité d'une intervention comprenant les différents ordres de gouvernement comme piste de solution, est-ce là ce que vous aviez en tête?

  (1245)  

    Oui, tant qu'il n'y a pas de querelles sur les compétences. Femmes autochtones du Québec n'est pas un fournisseur de services. Toutefois, nous avons conclu une Entente sur le développement des ressources humaines autochtones par l'intermédiaire de l'Association des femmes autochtones du Canada qui nous permet d'offrir des débouchés aux femmes qualifiées, par exemple celles qui viennent d'obtenir leur diplôme de coiffeuse. Nous leur trouvons alors un salon où acquérir de l'expérience. Cette entente donne également aux femmes l'occasion de terminer leurs études secondaires. Or, ce financement ne cible que les Autochtones en milieu urbain. Si je me trouve en situation de crise dans une réserve, je n'y ai pas accès. Il y a donc des lacunes.
    Les besoins en matière d'éducation sont très criants. Nous avons mis sur pied un projet dans le cadre de cette entente. Ce projet, appelé ACCESS, vise à aider les mères autochtones célibataires à rédiger un CV et à acquérir de l'expérience de travail. Voilà l'une des compétences mentionnées qui fait défaut. Ce projet cible les mères autochtones chefs de famille monoparentale qui sont victimes de violence.
    Je suis désolée, madame Brown, il ne reste que 10 minutes avant la fin de la séance et je désire intervenir.
    Nous n'avons pas encore entendu Mme Shauk.
    J'aimerais vous laisser l'occasion de vous exprimer ou de faire une déclaration. Dites-nous quel message vous désirez nous transmettre.
    Je vais faire de mon mieux.
    Les autres intervenantes ont pas mal exprimé ce que je voulais dire. Je travaille au Centre d'amitié autochtone depuis 22 ans. Ce centre a connu trop de compressions. Nous manquons de personnel et nous n'avons pas assez d'argent pour en embaucher.
    Je vous remercie de m'avoir invitée. Je suis un peu timide et je ne sais pas vraiment...
    Dites-nous simplement en quelques mots ce que votre centre fait. C'est important pour nous.
    Vous avez parlé de mises à pied de personnel en raison des compressions. Avez-vous d'autres points à soulever? Que pensez-vous du fonctionnement des centres d'amitié? Y a-t-il beaucoup de jeunes qui les fréquentent?
    Oui, nous avons un centre jeunesse. Il est ouvert du lundi au vendredi de 13 heures à 21 heures, si je ne m'abuse. Parfois, on y organise des activités la fin de semaine; on se rend par exemple dans certains quartiers pour inciter les jeunes à ne plus vivre dans la rue. Nous aidons aussi ces jeunes à retourner à l'école.
    Nous aidons les femmes à reprendre leurs études. Comme Ellen Gabriel l'a dit, nous nous occupons des femmes autochtones qui sont célibataires et mères de famille. Nous essayons de les aider à retourner à l'école.
    Or, notre groupe n'est pas le seul, car il y a aussi le Conseil Kativik, une organisation inuite dont la clientèle est à la fois composée d'Inuits et d'Autochtones.
    J'aimerais qu'il y ait davantage d'employés au Centre d'amitié. Nous avons besoin de travailleurs sociaux et de psychologues additionnels. Les besoins en matière d'effectifs sont criants.
    J'adore travailler avec les gens, je suis une personne sociable et j'aime beaucoup l'aspect social de mon travail.

  (1250)  

    Merci beaucoup, madame Shauk.
    Il reste huit minutes. J'aimerais poser quelques questions. Puisque je suis la présidente, j'en ai rarement le plaisir.
    Nous avons reçu beaucoup de renseignements aujourd'hui et je crois qu'il est très important que le comité comprenne qu'il y a une différence entre les besoins des femmes dans les réserves et hors réserve. Il s'agit de femmes vivant en milieu urbain, comme à Vancouver, ma région.
    Les femmes autochtones sont comme des orphelines. Personne ne veut accepter de les prendre en charge. Le gouvernement fédéral déclare que si elles ne sont pas dans une réserve, il n'est pas responsable. Le gouvernement provincial dit que c'est du ressort fédéral, car il s'agit de questions autochtones. Généralement, les municipalités sont celles qui doivent faire face à la réalité quotidienne de ces femmes. Comme l'organisme Stella le sait très bien, grâce à son expérience à Vancouver, beaucoup de ces femmes finissent par vivre dans la rue. Elles aboutissent dans le commerce du sexe parce qu'elles n'ont pas d'autre choix. Elles deviennent toxicomanes et elles sont massivement exploitées. Dans l'affaire Pickton, nous avons compris que toutes ces femmes qui ont été tuées étaient forcées de faire certaines activités dans des endroits sombres pour gagner les 5 $ leur permettant d'assouvir leur dépendance à la drogue ou de nourrir leurs enfants. Ce sont là les circonstances difficiles des femmes qui vivent à l'extérieur des réserves et dans les villes. Vous avez laissé entendre que la solution doit être très différente par rapport à celle préconisée pour les femmes dans les réserves.
    J'aimerais entendre un bref résumé de vos propositions pour contrer le fait que personne ne veut assumer la responsabilité des femmes autochtones à l'extérieur des réserves.
    Dans les réserves, lorsque nous nous sommes rendus au Nunavut et ailleurs — vous en avez parlé, madame Gabriel, et je trouve cela affligeant —, nous avons écouté les femmes autochtones expliquer que la violence fait partie de leur vie et que c'est normal. Il en ressort un sentiment d'impuissance absolue attribuable au cycle intergénérationnel de violence découlant des pensionnats indiens. Ces Autochtones ont grandi sans leurs parents et on leur a appris qu'ils étaient mauvais, que parler leur langue était horrible, que leur culture était terrible, qu'ils étaient de petits sauvages, qu'ils devaient changer et que de demeurer eux-mêmes revenait à... Bon nombre d'entre eux ont subi des sévices sexuels, psychologiques, et parfois physiques, sans compter les problèmes émotifs. Pour eux, la violence est un héritage transmis de génération en génération. Les femmes ne veulent pas quitter la réserve, elles ne veulent pas partir de chez elles. Beaucoup d'entre elles croient que leurs maris ou leurs conjoints ont simplement de la difficulté à faire face aux mêmes problèmes que tous les autres Autochtones.
    J'ai une question au sujet du centre d'hébergement qui constitue un centre de crise. S'il s'agit d'un centre de crise, comment s'occupe-t-on des femmes qui ne veulent pas partir de chez elles? Nous avons également entendu des exemples de cas où la police est intervenue et voulait porter des accusations au pénal alors que la femme autochtone victime de violence n'a pas voulu. Ces incidents ne sont pas déclarés parce que les femmes ne veulent pas que leurs maris ou leurs conjoints aient à quitter la famille ni que cela cause des remous dans l'ensemble de la réserve. Alors elles se taisent jusqu'à ce que la situation soit intenable.
    Comment pensez-vous que l'on s'y prendrait s'il y avait des centres de crise dans les réserves et que les femmes devaient passer d'un centre de crise vers un centre d'hébergement et ensuite d'un foyer de transition vers une maison d'hébergement transitoire? Il s'agit de trois entités différentes. Ces femmes auraient-elles à quitter la réserve? Comment feraient-elles pour s'éloigner de leur famille? C'est là une énigme qu'il nous faut résoudre.
    J'aimerais que vous répondiez à ces deux questions, c'est-à-dire au sujet du triste sort des femmes autochtones en milieu urbain et à l'autre question... Partout où nous nous sommes rendus, nous avons entendu parler du besoin d'établir une stratégie nationale, exhaustive, intégrée, intergouvernementale et à long terme en collaboration avec les collectivités pour s'assurer d'y arriver. On nous a dit que c'était la seule solution efficace. Vous nous avez répété la même chose que les autres témoins dans toutes nos visites.
    Pourriez-vous me répondre brièvement? Je veux ensuite vous remercier d'être venues aujourd'hui.
    Madame Gabriel, je vous invite à répondre.
    Dans la réserve, tout le monde se connaît. Par conséquent, même les policiers hésitent à porter des accusations. Ils diront plutôt: « Laissez-le dormir et il reviendra à la normale ». Il y a donc ce problème.
    Vous savez, lorsque j'étais enfant, je pensais moi aussi que la violence était une chose normale, or il faut un certain temps pour qu'on se rende compte qu'elle ne l'est pas. C'est pour cette raison, à mon avis, que les centres de détresse devraient s'occuper non seulement de la femme victime, mais de la famille tout entière et qu'ils devraient faire affaire aussi avec des agents de police sensibilisés à la nature de la violence, qu'elle soit sexuelle, conjugale ou de toute autre sorte. Nous n'ignorons pas que les deux tiers des gens vivant dans nos collectivités sont victimes de violence et qu'ils peuvent donc se trouver dans des situations de crise.
    Nous avons besoin de l'apport de nos aînés en bonne santé psychologique qui ont réussi à surmonter leur traumatisme vécu dans les pensionnats, ou qui n'ont pas fréquenté ces écoles afin qu'ils conseillent les couples, comme cela se faisait dans nos usages traditionnels. Il faudrait réunir le meilleur des deux cultures, c'est-à-dire compter tant sur les psychologues et les travailleurs sociaux que sur les aînés, faire en sorte que nos gens y aient accès, tout en les laissant choisir le genre d'aide qui leur convient. Il faut aussi que nous nous penchions sur certaines des causes de ces problèmes, et d'ailleurs, nous en avons déjà discuté.
    Il faut que nous donnions à ces personnes le temps de guérir. Lorsqu'une personne subit un traumatisme et qu'elle doit quand même aller travailler le lendemain, elle est incapable de bien fonctionner et elle court le risque de perdre son emploi. À mon avis, nous devons absolument faire preuve de compassion à l'endroit des familles en détresse, par exemple, si elles travaillent pour la bande ou pour quelqu'un d'autre — et c'est là que les divers ordres de gouvernement interviennent. On dira: « Cette femme a été battue, ses enfants en souffrent. Donnez-lui au moins deux semaines pour reprendre son souffle afin qu'elle soit en mesure de choisir où elle veut aller. » Son mari est peut-être le soutien de famille.
    Notre point de vue doit se fonder sur la compassion, mais il doit aussi conjuguer les formes de soins traditionnels et occidentaux permettant d'atteindre la guérison et le bien-être.
    Je vais m'arrêter ici.

  (1255)  

    Je vous remercie.
    Est-ce que quelqu'un veut parler des femmes hors réserve...? Évidemment, madame Nakuset ou madame Martin, c'est vous qui travaillez auprès des femmes qui habitent en dehors des réserves, c'est-à-dire des femmes autochtones vivant dans les villes. Stella nous a déjà parlé de cette question.
    Quelle est la solution pour ces femmes? Les renvoyer dans la réserve n'est peut-être pas la solution. Que fait-on quand personne ne veut soutenir des programmes, quand personne ne veut assumer de responsabilités vis-à-vis de ces mesures qui viennent en aide aux femmes victimes de violence aussi systémique que conjugale et aux autres dans les villes, où la violence est même plus aiguë sur le plan systémique?
    À l'heure actuelle, notre programme de sensibilisation ne compte qu'un employé pour 176 clients inscrits. Il faut que d'autres organismes non autochtones collaborent avec nous et commencent à se concerter avec ceux de la collectivité autochtone. Nous manquons de services conçus expressément pour les Autochtones, mais il en existe beaucoup à l'heure actuelle. Tout ce qu'il nous faut, c'est de commencer à y intégrer un peu de notre perspective traditionnelle en matière de guérison.
    Ainsi qu'Ellen vient de le dire, conjuguons les mécanismes de guérison traditionnels et occidentaux et veillons à ce que les services actuels soient adaptés aux besoins des Autochtones. À cette fin, il faut sensibiliser les divers travailleurs dans ces disciplines. Il faut qu'on donne des cours de sensibilisation culturelle aux employés qui sont déjà actifs dans la collectivité afin que les femmes autochtones se sentent à l'aise de demander les services disponibles, qu'elles ne se sentent pas victimes de discrimination ou qu'elles n'aient pas l'impression d'avoir rien à faire là parce que la ressource n'est pas conçue expressément pour les Autochtones.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je m'excuse, madame Laliberté, allez-y.

[Français]

    C'est très important, je parle de services de ligne directe. Avant d'être coordonnatrice générale, j'ai fait pendant cinq ans des interventions directes dans la rue. Il faut pouvoir répondre aux besoins immédiats qui sont extrêmement urgents. Je pense qu'un centre de dégrisement à Montréal serait très important. Apparemment, il y aura peut-être un centre de dégrisement unique dans le centre-ville.
    Un centre de dégrisement est un centre d'hébergement où les gens peuvent arriver en état d'ébriété ou intoxiqués. Je pense qu'il est à notre avantage d'avoir un centre de dégrisement pour les femmes autochtones aussi, où elles pourraient avoir une cuisine collective, par exemple, pour développer des habiletés.
    Cela serait vraiment un centre pour dégriser. Toutefois, si les personnes veulent rester plus longtemps, elles pourraient avoir du soutien. Des aînés pourraient offrir du counseling à long terme. Il faudrait que ce soit financé de manière durable. Ce sont des aspects essentiels.

  (1300)  

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Il me semble que si vous proposiez une stratégie nationale — et non pas une stratégie fédérale mais bien nationale —, elle réussirait peut-être à englober les femmes vivant hors réserve. Ce sont vraiment elles qui sont perdues, en ce sens que personne ne veut leur venir en aide.
    Merci beaucoup de votre venue parmi nous aujourd'hui. Je vous remercie du temps que vous nous avez consacré. Vos propos ont aussi été très exhaustifs. Enfin, vous avez été aussi franche avec nous que certains des autres témoins.
    Encore une fois, je vous remercie infiniment d'être venue. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.
    Puisque nous sommes en séance quasi officielle, il faudra que nous proposions de suspendre nos travaux.

    


    

  (1400)  

    La séance est ouverte.
    Je tiens à remercier les témoins de leur venue parmi nous aujourd'hui.
    Nous étudions la question de la violence contre les femmes autochtones sous bien des angles. Nous nous penchons aussi sur les causes profondes de cette violence ainsi que sur sa portée, son étendue. Nous tenons compte de toutes les formes de violence — qu'elle soit émotionnelle, physique, etc. Nous examinons également les formes différentes qu'elle peut prendre dans les réserves et en dehors de ces réserves afin de savoir comment y répondre dans ces deux milieux. Enfin, nous envisageons des solutions. J'espère donc que vous serez en mesure d'aborder la plupart de ces points dans vos exposés.
    Étant donné que vous n'êtes que deux ici présentes... Je tiens à aviser les membres du comité que le Centre des femmes de Montréal vient d'appeler pour annuler sa venue. Aussi, les gens des Kahnawake Peacekeepers nous ont donné un coup de fil pour nous dire que quelque chose était survenu et qu'ils ne pouvaient tout simplement pas venir. Ce dernier groupe allait représenter l'aspect lié à l'exécution de la loi.
    Nous nous retrouvons donc avec deux témoins. En règle générale, au début de la séance, nous donnons à chaque témoin un peu de temps pour faire un exposé. Ce matin, comme il y avait beaucoup de témoins, nous avons tenu une discussion en table ronde à la place. Cet après-midi toutefois, vous n'êtes que deux, alors je vais vous demander de faire votre exposé, après quoi les membres du comité vont se présenter ainsi que nos collaborateurs puis nous allons passer à une période d'échange.
    Voulez-vous commencer, madame Bousquet?

  (1405)  

[Français]

    Je préférerais que ma collègue commence, parce que nous avons essayé d'avoir des présentations complémentaires, afin d'être le plus efficaces possible.
    Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de cette invitation. Je vais commencer par une brève présentation et vous parler notamment de mon expertise.
    Je m'intéresse aux questions autochtones et à la justice pénale depuis 1985. Je suis professeure titulaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal. J'ai exploré plusieurs facettes des questions autochtones, notamment par la voie de travaux que j'ai pu faire au sujet de la marginalisation des femmes autochtones en milieu urbain et plus particulièrement à Montréal. À travers une histoire de vie, j'ai retracé les trajectoires de marginalisation.
    J'ai fait quelques travaux sur la police autochtone. Je me suis intéressée aux perspectives autochtones sur la régulation sociale et la justice pénale. Je me suis intéressée et je m'intéresse encore beaucoup aujourd'hui aux approches possibles autres que la justice traditionnelle. J'ai fait quelques travaux sur les cercles de guérison et les cercles de sentence. La justice réparatrice constitue un de mes champs d'expertise. J'ai aussi entrepris des travaux sur l'incarcération des femmes autochtones. Récemment, j'ai terminé une recherche sur l'expérience des femmes autochtones victimes de violence par rapport aux ressources qu'elles ont pu utiliser. Finalement, je suis actuellement membre d'une équipe de recherche, avec ma collègue Marie-Pierre Bousquet, sur l'expérience des femmes autochtones par rapport à la violence ici, au Québec, spécifiquement dans le but de dégager des pistes d'action à partir d'expériences que les femmes ont pu vivre. C'est, en résumé, mon bagage.
    J'aimerais mentionner que si certains projets que je viens de citer n'ont pas directement porté sur la violence faite aux femmes, il va de soi que cette question est en filigrane de tous les travaux que j'ai pu faire jusqu'à présent.
    Mon intervention est construite autour de trois questions, en particulier. Je devrais dire « notre intervention » puisque, comme le disait ma collègue, nous avons convenu d'agencer nos présentations. La première question est la suivante: quel est l'état de la situation de la violence envers les femmes autochtones au Québec? La deuxième question est la suivante: comment analyser la situation? Formulons la question d'une autre façon: pourquoi les choses ne s'améliorent-elles pas? La troisième question est la suivante: quelles seraient les pistes d'action prometteuses?
    Ma collègue va s'attarder surtout sur la deuxième question. Lors de mon intervention, je tâcherai de répondre à la première question. Puis, j'empiéterai sur la troisième question. Marie-Pierre Bousquet va aussi aborder la troisième question.
    Quel est l'état de la situation de la violence envers les femmes autochtones au Québec? Je dirais d'emblée qu'au Québec, il n'y a aucun portrait global, ni statistique, ni qualitatif, de la violence vécue par les femmes autochtones. Il existe des études, mais elles sont très éparses et peu récentes. Ces quelques travaux laissent entendre que la violence n'est pas un phénomène récent. On commence à en parler surtout dans les années 1980. D'ailleurs, ce n'est pas parce que l'on a commencé à en parler dans les années 1980 qu'elle n'était pas présente avant cela. Elle ne semble pas être un phénomène en régression, bien au contraire, elle semble être en expansion, ce qui est évidemment très inquiétant. Elle est très répandue dans les communautés, mais aussi dans les centres urbains.
    J'attire votre attention sur le fait que le grand défi de demain sera aussi de s'occuper de ce qui se passe dans les milieux urbains, puisqu'il y a un déplacement important, depuis les années 1980, des Autochtones en milieu urbain. La violence est grave et multiforme, c'est-à-dire qu'elle est physique, psychologique et sexuelle. Elle est plus répandue, mais aussi plus grave que chez les non-Autochtones. Elle débute très tôt, dès l'enfance. Elle se manifeste sur une très longue période de vie. Habituellement, ça commence à l'enfance et ça continue jusqu'à l'âge adulte. Elle est quotidienne, banalisée, et s'insère dans une dynamique familiale relationnelle, donc entre conjoints, et elle est transgénérationnelle. Il y aurait autre chose à dire, mais disons que c'est un résumé.

  (1410)  

    Comme je vous le mentionnais, j'ai réalisé une étude sur l'expérience des femmes autochtones victimes de violence. Nous avons pris connaissance d'un certain nombre de récits d'expériences de 36 femmes de nations diverses au Québec. Cette recherche sur l'expérience de ces femmes, et sur les diverses ressources auxquelles elles ont pu avoir recours, m'a permis de dresser d'autres constats. Je les mentionnerai brièvement. J'aurai évidemment l'occasion de répondre de façon plus spécifique à vos questions, en particulier sur les stratégies mises en oeuvre par les femmes qui sont confrontées à une dynamique de violence, et aussi sur l'impact des ressources utilisées.
    Cette étude est qualitative. Elle a révélé entre autres qu'un des problèmes est que, dès l'apparition des premières manifestations de violence, les femmes autochtones ont tendance à s'accommoder de la situation et à ne rien entreprendre véritablement. C'est souvent une première réaction et c'est une attitude qui contribue à maintenir le cycle de violence. Nous avons aussi constaté que toutes les femmes de notre échantillon ont utilisé un nombre considérable de ressources formelles et informelles, une quinzaine en moyenne, dans leur trajectoire de vie, au cours de leur expérience. L'âge moyen de notre échantillon de femmes est de 44 ans. Les résultats majeurs de ces études démontrent que la capacité d'une femme autochtone à sortir du cycle de violence, ou à y rester, est liée à trois aspects qui sont interreliés. Ces trois aspects sont les suivants: le profil sociodémographique, le profil de victimisation et le parcours d'utilisation des ressources en cas de manifestation de violence. Il s'agit donc des types de ressources et la chronologie d'utilisation de ces ressources.
    Mentionnons brièvement d'autres éléments du profil sociodémographique. J'aimerais peut-être simplement mentionner que la recherche, à partir de ces 36 trajectoires, nous a permis de départager deux groupes: un groupe qui s'en sort relativement bien, qui a réussi à se sortir de ce cycle de violence, et un deuxième groupe, au moment des entretiens, qui est resté prisonnier de ces violences. Notre recherche a donc tenté de comprendre ce qui différenciait ces deux groupes.
    Le profil sociodémographique est justement ce qui les différencie. Les femmes scolarisées, les femmes intégrées au marché du travail s'en sortent beaucoup mieux. Les Amérindiennes semblent beaucoup plus résilientes que les femmes inuits. L'isolement affectif des femmes est très important, on verra, dans les pistes d'action, la déstructuration de la cellule familiale, et notamment la perte de la garde parentale, qui peut résulter ou non de la violence vécue, participent d'un contexte peu favorable à une rupture avec les dynamiques de violence.
    En ce qui a trait au profil de victimisation, on s'est finalement rendu compte que c'était moins la gravité objective de la violence que la durée et le type de violence qui différenciait les femmes qui s'en sortent le mieux de celles qui se maintiennent dans la dynamique de violence.
    Il en ressort que la violence sexuelle et la violence qui se produisent tôt au cours de l'enfance forment deux facteurs de persistance dans la situation violente. Qui plus est, je dirais que ces deux situations, la violence sexuelle et la violence précoce, tendent à favoriser l'adoption de conduites violentes aussi chez les femmes victimes. Cela permet de mentionner que la violence doit absolument être analysée dans le cadre d'une dynamique. Je vais beaucoup insister sur l'idée qu'il faut vraiment intégrer cette question de la dynamique. Il faut aussi briser l'analyse polarisée, l'analyse classique quand il s'agit de violence faite aux femmes, de type bourreau et victime. D'ailleurs les études montrent très clairement que les hommes auteurs de violence ont aussi été victimes de violence durant leur enfance.
    En ce qui a trait au troisième aspect, les ressources utilisées, on s'est rendu compte que le groupe résilient et le groupe persistant dans la violence ne se distinguent pas beaucoup quant au type de ressources utilisées.

  (1415)  

    Toutes les femmes de notre échantillon ont eu recours à la famille, à la police, à des centres de thérapie, à des pratiques traditionnelles, à des maisons d'hébergement, etc. J'aurais évidemment plus de choses à dire, on verra d'après vos questions.
    On s'est rendu compte que le plus important n'est pas tant le type de ressource qui est utilisée que la manière dont cette ressource est utilisée. Plus particulièrement, il faut voir quels sont les buts poursuivis par les femmes lorsqu'elles utilisent une ressource spécialisée d'aide par rapport à la violence. À titre d'exemple, les femmes autochtones qui utilisent des ressources pour un répit ou une protection sont celles qui, habituellement, demeurent dans cette dynamique de violence parce qu'elles utilisent cela de façon un peu provisoire, comme un répit, tandis que les femmes qui utilisent les mêmes ressources dans une optique de prise ou de reprise en main personnelle sont celles qui s'en sortent beaucoup mieux.
    J'ai beaucoup d'autres choses à dire, mais je termine par les pistes d'actions prometteuses. J'y vais en vrac. Pour moi, il est très important que les pistes d'actions soient menées sur plusieurs fronts à la fois. Pour moi, il est extrêmement important de ne pas cibler une seule piste, mais d'en considérer un éventail.
    Je dirais d'abord qu'il faut changer notre manière de comprendre le phénomène de la violence envers les femmes. Je vous donnerai des détails si vous avez des questions là-dessus. Également, il ne faut pas dupliquer les actions et les programmes non autochtones en milieu autochtone, il ne faut pas faire du copier-coller. Il faut renforcer les initiatives qui émanent des autochtones eux-mêmes. Il faut, et j'insiste énormément là-dessus, comprendre que les approches répressives ne sont pas constructives. Il faut faire une distinction, il ne faut pas confondre sécurisation ou mise à l'écart, par exemple, de l'agresseur avec la répression.
    Il faut transformer les finalités du système de justice en innovant par l'adoption de réponses différentes. Je pense aux tribunaux spécialisés en violence domestique, par exemple. Il faut développer des interventions qui sont inclusives, c'est-à-dire qui incluent l'ensemble des protagonistes: conjoint, famille et communauté, notamment, par la voie de pratiques culturelles. Je pense à ce que je connais un peu mieux, soit les cercles de guérison, la justice réparatrice et les comités de justice.
    Il faut, à mon avis, agir en amont du problème aussi et non pas uniquement sur le problème, par exemple soutenir et renforcer le leadership des femmes autochtones dans les communautés, soutenir l'accès à des postes clés, à des pouvoirs locaux comme la mairie, etc. Il faut lutter contre la pauvreté, développer une approche de réduction des méfaits par rapport aux drogues et à l'alcool. Il faut soutenir des associations de femmes autochtones, etc.
    Il faudrait, à mon avis, donner une formation sur la violence à tous les intervenants psychosociaux qui interviennent en communauté, ce qui inclut le personnel de la santé, les policiers, le personnel sociojudiciaire, mais aussi le personnel enseignant, par exemple. Il faut prévoir des formations similaires aussi en milieu urbain.
    Il ne faut pas, à mon avis, standardiser les programmes et les actions qui pourraient être adoptés, il faut être conscient de la spécificité des communautés pour soutenir ces actions. Il faudrait, à mon sens, développer des politiques en milieu urbain pour lutter contre la discrimination, les stéréotypes, pour renforcer le déploiement d'un réseau de soutien pour les Autochtones en milieu urbain, c'est le grand défi de demain.
    Je terminerais en mentionnant un élément très important. Sur le plan politique, il faut commencer rapidement à éliminer tous les articles discriminatoires de la Loi sur les Indiens.
    Je vous remercie.

  (1420)  

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Madame Bousquet, la parole est à vous.

[Français]

    Merci beaucoup.
    J'aimerais également commencer par vous remercier de m'avoir invitée à venir témoigner ici. Je me présenterai, également.
    Je suis Marie-Pierre Bousquet. Je suis professeure agrégée au département d'anthropologie de l'Université de Montréal. Je travaille sur des questions autochtones depuis le milieu des années 1990 et je m'intéresse plus particulièrement aux sociétés amérindiennes, donc un peu moins aux sociétés inuites.
    J'ai vécu pendant un an, en 1996, dans une communauté anishnabe du Québec. J'ai continué à y faire de fréquents séjours depuis, pour mes recherches et autres. Étant donné ma discipline de recherche, mon travail est principalement axé sur la recherche de terrain et c'est extrêmement important pour moi.
    Je me suis penchée sur diverses questions, tout au long de mes années de recherche, mais je me suis particulièrement penchée sur les relations entre les générations, sur les relations au territoire, sur le paysage de croyances religieuses, sur la désintoxication, sur le passage à l'âge adulte, et je participe actuellement à une recherche sur l'expérience des femmes autochtones par rapport à la violence, dans le groupe de recherche dont Mylène Jaccoud fait partie.
    J'ai cité tous ces thèmes de recherche. Ils ne vous apparaissent pas forcément liés à la violence. En fait, ils le sont. Si je prends seulement l'exemple des relations au territoire, le fait, par exemple, de faire parfois des séjours sur le territoire ou de se rapprocher du territoire peut être un moyen pour les femmes d'effectuer un certain nombre de prises de conscience par rapport à la violence qu'elles vivent, de retrouver une certaine paix et de prendre un certain nombre de décisions. C'est seulement pour vous donner une idée. Tous les thèmes que j'ai abordés ici sont liés aux problèmes sociaux. Je vais donc développer particulièrement le deuxième point annoncé par Mme Jaccoud, soit pourquoi la violence se perpétue en milieu autochtone.
    Vous le savez sans doute, les femmes autochtones ont le triste record d'être la population la plus vulnérable de tout le Canada. Au quotidien, elles sont les femmes les plus souvent victimes de violence familiale et de violence conjugale, de la part de leur conjoint, qui, je le rappelle, peut aussi bien être autochtone qu'allochtone. Ce n'est pas forcément une question d'origine du conjoint.
    Tout porte à croire que la violence a toujours existé, dans toutes les sociétés, mais, en ce qui concerne les peuples autochtones, elle n'a fait que croître. Cette croissance est liée à plusieurs facteurs: le stress de la colonisation, la pression de l'acculturation et l'imposition des manières de faire canadiennes. Elle n'a également fait que croître avec la chute de l'économie traditionnelle des peuples autochtones et le chômage lié à cette chute, avec le passage à la sédentarité, avec la tutelle accrue des autorités gouvernementales subséquentes et avec les réponses sociales comme l'abus d'alcool et l'usage de drogues, qui existaient avant la sédentarisation, mais qui ont connu un développement phénoménal depuis le passage à la sédentarité.
    On peut donc dire que les blessures accumulées ont créé un cercle vicieux de la violence, ce qui explique en partie cette perpétuation de la violence. On peut distinguer deux manières générales de gérer la violence dans les communautés autochtones. La première, ce sont les modes traditionnels de gestion des conflits. La deuxième est le recours à des institutions qui ont été, au départ, imposées par l'appareil colonial, à savoir la police et les cours de justice.
    J'ai beaucoup travaillé à la question des modes traditionnels de gestion des conflits. Ces modes traditionnels ont passablement été minés par l'intervention, voire l'interventionnisme, de l'État canadien et des représentants de ses forces de l'ordre. J'entends ici par interventionnisme l'ingérence dans les affaires des peuples autochtones avec l'utilisation, notamment, d'un appareil légal qui n'interpellait absolument pas les peuples autochtones et qui n'était pas fondé sur leurs manières de voir le délit et autres.
    Il reste quand même des moyens autochtones, pour aider les femmes qui subissent de la violence, que j'appellerais ressources informelles. L'une des plus importantes ressources informelles, dans les recherches que j'ai faites pour les femmes autochtones et pour les femmes amérindiennes en particulier, c'est le réseau familial. J'entends par là le réseau de surparenté, c'est-à-dire à la fois de parenté et d'affinité. C'est un réseau d'entraide formé de personnes qui ont généralement des liens de parenté, mais qui ne sont pas forcément des liens de parenté très proches.

  (1425)  

    Les femmes autochtones victimes de violence peuvent aussi se diriger vers des ressources formelles comme les programmes de services sociaux et les maisons d'hébergement. Cependant, elles ne connaissent pas forcément toujours ces ressources. Par ailleurs, elles ne s'y sentent pas forcément non plus très à l'aise. Pourquoi cette situation ne s'améliore-t-elle pas? Les raisons sont multiples. Ma collègue en a déjà évoqué quelques-unes. De mon côté, je ne vais pas essayer d'en faire un classement, mais selon moi la plus importante est sans doute l'apathie générale face à ce problème.
     Le sort des femmes autochtones semble être — je vais le dire en anglais avec un très mauvais accent et je m'excuse auprès des anglophones — le dirty little secret of Canada. En effet, des dizaines de femmes amérindiennes, inuites et métis disparaissent et sont assassinées sans que cela ne mobilise ni les médias ni les autorités. Il faudrait donc, évidemment — vous êtes sans doute là pour cela —, une volonté politique fédérale, une volonté provinciale et locale de changer les choses.
    Les modèles privilégiés auxquels on a tendance à penser sont la police, les cours de justice et les autres agents en charge du maintien de la régulation sociale. Ces modèles, privilégiés par ceux que j'appelle « les agents de la régulation sociale », sont la répression, d'une part, et le traitement ou la prévention, d'autre part.
    Comme l'a dit ma collègue, on s'est parfaitement aperçu, à partir de toutes les recherches qu'on a faites, que la répression ne fonctionne pas du tout. Par ailleurs, les programmes sont très éclatés, ce qui les rend très peu productifs et, en outre, ils sont mal arrimés aux ressources informelles qui sont peu prises en compte, ce qui contribue à saper considérablement leur efficacité.
    Également, les Autochtones ont encore très peu de contrôle sur l'application des programmes. Les communautés ne sont pas autonomes sur le plan du développement et leur état général de dépendance économique et administrative contribue largement au problème. Les pénuries de logements et d'emplois ainsi que les faibles niveaux d'éducation font partie de l'équation de la reproduction de la violence. D'ailleurs, ma collègue l'a souligné, plus une femme va avoir accès à une bonne éducation et sera intégrée au marché du travail, plus elle aura de chances de se sortir du cercle de la violence.
    À propos d'éducation, on ne saurait oublier un fait qui contribue au manque de gouvernance, à savoir que les Autochtones manquent de formation pour appliquer les programmes de traitement et de prévention. En outre, s'ils désirent construire des programmes qui sont plus proches de leur manière de faire, ils doivent parfois aller chercher des fonds privés et ne savent pas toujours où aller les chercher.
    Même si, de nos jours, de plus en plus de femmes accèdent à des postes de chef et de porte-parole de leur nation, il n'en demeure pas moins que le pouvoir reste encore largement aux mains des hommes, que ce soit à la tête des conseils de bande ou à la tête des municipalités québécoises où vivent des Autochtones. La discrimination politique des femmes pour les sociétés du Québec a été introduite par les relations avec les Euro-Canadiens et a été amplifiée par la violence légale dont sont victimes les femmes amérindiennes, depuis le XIXe siècle. Je ne vais pas ici faire l'histoire de la Loi sur les Indiens que vous devez sûrement connaître, tout comme les débats que cette loi continue à susciter, mais j'aimerais souligner que le maintien des discriminations légales envers les femmes, ce qui va à l'encontre de leurs droits et de leurs libertés à s'identifier et à identifier leurs descendants comme Amérindiens, fait partie de ces violences et contribue parfois à donner des arguments aux personnes vivant dans les communautés pour exclure des femmes et maintenir une violence contre elles.
    Cela contribue également à une ségrégation de leurs problèmes, ce qui fait que les femmes autochtones ont bien compris, quand elles ont décidé de créer leurs associations au début des années 1970, qu'elles devaient s'attaquer elles-mêmes, sans séparer les deux sujets, autant aux injustices de la Loi sur les Indiens qu'aux problèmes de la violence. Je pense à la femme autochtone du Québec, par exemple, qui fait partie de l'Association des femmes autochtones du Canada. Les deux thèmes, dès le départ de la création de l'association, ont toujours été complètement liés. D'ailleurs, il serait temps que leur prise de conscience devienne celle de tout le monde.
    Si les associations de femmes autochtones ont permis d'accomplir des progrès dans la prise en compte des abus dont souffre cette population, les leviers communautaires sont encore insuffisants.

  (1430)  

    Un bon exemple est la promotion de modèles de conduite où le leadership des femmes reste peu valorisé. Dans les communautés autochtones, les femmes sont généralement considérées de façon paradoxale comme des gardiennes de la culture, et les responsables de la transmission de cette culture. Donc, a priori, on pourrait dire qu'il s'agit d'un rôle très valorisé, très prestigieux, mais en même temps, il est très difficile pour elles d'accéder à des postes importants et de faire entendre leur voix. Alors, elles travaillent aussi énormément à montrer qu'être femme et autochtone peut être associé à la poursuite d'études, à l'implication politique et sociale et à la personnification de valeurs comme la sobriété, le soin des autres, etc. Il serait donc sans doute nécessaire d'encourager et de développer ces modèles de conduite et l'accès des femmes au leadership.
    Enfin, il faut le rappeler même si ça constitue une évidence, il faut tenir compte des cultures autochtones. La perpétuation de la violence dépend aussi de facteurs que l'on remarque dans les milieux autochtones, par exemple la règle du silence, qui est très problématique — ne serait-ce que pour déceler la violence avant même de l'affronter —, la peur de dénoncer et le fait qu'on puisse trouver la violence normale et acceptable. J'ai moi-même vécu pendant un an dans une communauté anishinabe, et je peux vous dire qu'au bout d'un an, j'ai fini par trouver normales les histoires de violence — qu'on échange comme ça lorsqu'on se raconte les potins du village — et ça m'a fait peur. Ça fait donc partie de cet environnement.
    Les femmes autochtones vivent généralement une proximité relationnelle avec ceux qui les font souffrir, et elles ont souvent peur, si elle parlent, de briser leur environnement social et les soutiens dont elles disposent. Ces facteurs, qui maintiennent un état de statu quo, doivent être considérés dans des milieux qui fonctionnent énormément en vase clos. Il va de pair avec cela que les réponses actuelles à la violence envers les femmes autochtones sont inadéquates et insuffisantes.
    Il ne faut pas non plus oublier que l'histoire des relations entre la Gendarmerie royale du Canada ou la police et les communautés autochtones est aussi une histoire lourde que l'on transmet au sein des milieux autochtones, de sévérités particulières envers les Autochtones, d'interventions qu'on a trouvées injustifiées, d'emprisonnement pour délits mineurs et d'arrachement d'enfants à leurs parents. Par ailleurs, l'histoire des relations avec les cours de justice n'est pas meilleure. Cette histoire pèse sur la qualité et l'efficacité des services qui sont offerts par la police et la justice en milieux autochtones. Ajoutons à cela que de nombreux services ne seront pas adaptés aux cultures autochtones, tout simplement par manque total et absolu de connaissance des cultures autochtones — chaque fois, ça me frappe.
    Il existe bien sûr des policiers autochtones, des travailleurs sociaux autochtones, des intervenants en toxicomanie et en délinquance qui sont des Autochtones, et d'autre personnel qualifié. Ils ont l'avantage de connaître les réalités du terrain, mais ne sont pas toujours en nombre suffisant, et loin de là. En outre, ils ont très souvent des liens étroits avec les agresseurs ou leurs victimes et ne sont pas toujours bien formés, en particulier quand il s'agit de déceler de la violence qui n'est pas forcément physiquement prévisible. Ils ont donc souvent tendance à appeler violence ce qui correspond à des marques de coups très visibles — on l'a vu particulièrement dans la recherche que nous sommes en train de mener. Or, la violence ne se limite pas uniquement à cette forme; elle peut être non verbale, mais peut être verbale également. On note par ailleurs que, pour la violence non physique en particulier, le personnel non autochtone n'est pas forcément mieux formé que le personnel autochtone.
    Ma collègue a déjà soulevé des pistes d'intervention, et je vais particulièrement insister sur deux d'entre elles. Il serait important de commencer en soulignant qu'il est difficile de parler des femmes sans parler des hommes. D'abord, ça ne reflète pas le point de vue des femmes ni leur désir en la matière, et si les femmes, en plus, souffrent de violence, c'est que les hommes en souffrent aussi. Les conjoints, les membres de la famille et les enfants font tous partie de cette histoire de violence. Ils sont tous affectés par les traumatismes qui en découlent, soit parce qu'ils en sont responsables, parce qu'ils en sont les dépositaires ou simplement parce qu'ils l'ont vécue et qu'ils la reproduisent. Tous ont besoin de soutien, et la prise en compte de l'environnement social doit être globale.
    Il faudrait également encourager et soutenir le développement d'approches traditionnelles. Par approches traditionnelles, j'entends aussi des approches simplement autochtones, c'est-à-dire des modèles innovants, que les Autochtones aimeraient expérimenter s'ils leur paraissent plus appropriés à leur façon d'être.

  (1435)  

    Permettez-moi de terminer en insistant sur un fait. De par ma spécialité, je m'intéresse particulièrement à la culture, mais il faut impérativement prendre en compte la différence culturelle des femmes autochtones quand il s'agit de les aider à gérer ces problèmes.
    Cette différence culturelle existe et perdure. Malgré 500 ans de cohabitation, elle est là. Il faut notamment faire participer et sensibiliser non seulement les Autochtones, mais également les allochtones à cette histoire, pour aider à travailler et à détruire les préjugés qui perdurent à cause de l'ignorance et qui perpétuent la violence systémique à l'égard des Autochtones.
    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer aux questions des membres. Nous n'allons pas nous en tenir à un temps de parole de sept minutes, etc.
    Lois a levé la main, puis il y aura Michelle, Luc, Nicole et Irene. Je voulais simplement citer leur nom dans l'ordre, c'est tout.
    Très bien, Lois, ouvrez le bal.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Merci aussi à vous, mesdames, de votre présence parmi nous aujourd'hui.
    Et auriez-vous aussi l'obligeance de vous présenter afin que l'on sache qui vous êtes?
    Oh, excusez-moi. Je m'appelle Lois Brown, je suis députée de la circonscription de Newmarket—Aurora, qui se trouve à environ 30 kilomètres au nord de Toronto. C'est la première fois que je suis élue comme députée et je fais partie du Parti conservateur.
    Nous avons entendu des discussions fort intéressantes aujourd'hui. Ce matin, l'un des sujets qui ont été abordés a été la question de l'éducation. Madame Bousquet, vous aussi en avez parlé. Vous avez mentionné la question des effectifs enseignants autochtones et non autochtones, en précisant qu'il n'y avait pas assez d'enseignants autochtones pour que l'on soit sensible aux réalités culturelles des Autochtones lorsqu'il s'agit de régler certains problèmes.
    Ce matin, j'ai donc demandé à l'un de nos témoins comment nous pouvons nous y prendre pour encourager les jeunes à rester à l'école afin qu'ils obtiennent l'éducation dont ils ont besoin et qu'ils fassent ensuite partie des effectifs autochtones qualifiés. L'une des choses que les témoins nous ont dites est que parfois, les Autochtones se voient décerner des certificats leur donnant le droit de postuler des emplois en réserve, mais non hors réserve, où on les juge non qualifiés. Pouvez-vous nous parler de cette question? Est-ce une bonne chose de créer un autre niveau, ou devrions-nous plutôt encourager les jeunes à poursuivre leurs études afin que les diplômes qu'on leur remettra puissent leur servir dans les deux milieux et soient reconnus partout? Avez-vous des remarques à faire là-dessus?

[Français]

    À mon avis, il faudrait que les jeunes qui choisiraient d'exercer ce genre de métier aient les mêmes certificats que les autres, que ces certificats soient valides partout, ne serait-ce que parce qu'il y a une croissance de la présence des Autochtones en milieu urbain au Québec. Il faut qu'ils puissent dialoguer avec les autres intervenants. Ils participent déjà aux rencontres, aux colloques et aux conférences.
    Je pense aussi qu'il faudrait que les non-Autochtones aient une formation minimale sur le travail en milieu autochtone. Cela se fait dans beaucoup de provinces, mais particulièrement peu au Québec. On est capable d'obtenir des diplômes en travail social ou dans un autre domaine d'intervention sans avoir jamais suivi un cours sur les Autochtones. C'est particulièrement étonnant puisqu'il y a des Autochtones partout au Québec. Il me paraît souhaitable que tout le monde reçoive de la formation sur le sujet.
    Il faut trouver un moyen pour que les Autochtones restent à l'école. Personnellement, si j'en connaissais un, j'essaierais de l'appliquer tout de suite. Je n'en connais pas. Il est certain que l'école a une histoire assez lourde. Les jeunes n'ont pas forcément envie d'y rester parce qu'ils ne s'y sentent pas forcément très à l'aise. L'école n'est pas un milieu très adéquat pour recevoir des étudiants autochtones. De plus, les écoles autochtones doivent enseigner le curriculum de la province. Ce curriculum est parfois très difficile à mettre en oeuvre. Puisque ces écoles sont très isolées, elles doivent s'adapter au fait que les étudiants vivent la violence à la maison. Lorsqu'ils arrivent à l'école, ils ne sont pas forcément concentrés ou aptes à bien suivre.
    Il faut quand même savoir que la majorité des peuples autochtones du Québec sont passés à la sédentarité à partir des années 1950. Forcément, l'histoire des relations avec l'école est très négative, je pense en particulier aux pensionnats indiens. Cela a marqué très fortement une génération entière de personnes, ici au Québec. Cela fait en sorte que l'école est encore perçue comme un milieu faisant partie de l'appareil colonial. Même si d'immenses efforts ont été faits par les gens qui veulent développer l'éducation et des Autochtones qui veulent développer l'éducation, changer cette image ne se fait pas en quelques années. Cela prend du temps et de l'information. Il faut panser des blessures et des traumatismes qui ont été transmis par cette histoire des pensionnats indiens.
    Je ne sais pas si cela répond totalement à votre question. Ma collègue aura peut-être des choses à ajouter. Il y a une certaine tendance à vouloir indiquer aux jeunes Autochtones ce qu'ils doivent faire dans la vie. Personnellement, j'ai eu l'immense chance, dans ma vie, de faire ce que je voulais. Personne ne m'a dit que j'allais devenir anthropologue. D'ailleurs, mes parents ne connaissaient même pas ce métier. Je leur ai dit que je voulais devenir anthropologue. J'ai eu l'immense chance de pouvoir décider entièrement de ce que j'avais envie de faire.
    Mon souhait est que les jeunes Autochtones aient autant de chance que moi et qu'ils puissent choisir, qu'ils aient accès à une grande banque de métiers et qu'ils aient une meilleure connaissance de ce dont ils sont capables. J'ai souvent entendu des jeunes me dire qu'ils n'étaient pas certains d'être capables puisqu'ils étaient Autochtones. Cela m'enrage. Je travaille avec eux depuis des années et ils sont tout aussi capables que les autres. Cela fait partie de ces blessures accumulées. J'aimerais qu'ils choisissent de faire ce dont ils ont envie.

  (1440)  

[Traduction]

    J'ai une très bonne amie qui a enseigné quelque temps dans une réserve du Nord du Manitoba, et je sais qu'elle n'était pas préparée à ce qu'elle a découvert à son arrivée, d'abord à la pauvreté répandue... Sa formation ne l'avait pas préparée à faire face à un certain nombre de situations sociales.
    Ma question est donc la suivante: Les jeunes qui reçoivent une formation retournent-ils chez eux pour enseigner dans les réserves? Est-ce qu'on assiste au début d'une vague de retours d'une génération qui est disposée à revenir et à apporter son aide? Un enseignant autochtone aurait certaines idées, certaines connaissances de l'aspect culturel de certaines questions et saurait comment les aborder. Est-ce que cela pourrait aider les enfants autochtones à demeurer à l'école?

[Français]

    Ça serait peut-être une manière. Tout de même, je travaille dans des communautés depuis longtemps et je dirais que, de toute façon, à la base, parmi tous les jeunes et moins jeunes que j'ai connus — les jeunes que j'ai connus il y a longtemps ne sont plus jeunes aujourd'hui —, il n'y en a pas un qui ne m'a pas dit qu'il allait un jour retourner dans sa communauté. Tous voulaient retourner dans leur communauté. Tous se sentaient des devoirs et des responsabilités face à leur communauté.
    Quand ils vont chercher un diplôme, ils reviennent le mettre au service de leur communauté. C'est une minorité pour l'instant, mais on voit tout doucement le taux de diplomation s'améliorer et surtout le décrochage scolaire baisser au fur et à mesure — quoique ce soit un mouvement assez lent. Tous ceux qui obtiennent des diplômes retournent tous, à un moment donné, dans leur communauté.
    Ce sont de petites communautés. Là aussi, je dirais que ce n'est pas forcément facile à vivre, parce que déjà, quand ils vont faire des études, ils partent avec l'idée qu'ils vont constituer des modèles. C'est une lourde tâche. Ça fait partie d'un poids qu'ils ont à porter que plein d'autres n'ont pas. En tous cas, je n'ai pas eu ce poids. En effet, ils en sont conscients et ça permet d'avoir des personnes modèles qui vont montrer qu'elles sont Autochtones et qu'elles en sont capables.
    Après tout, l'un des anciens présidents de l'Association médicale du Québec — il a été président au début des années 2000 —, Stanley Vollant, est un Innu. Il a beaucoup contribué à permettre de penser que ce n'est pas parce qu'on est Innu et que sa première langue est l'innu qu'on ne peut pas devenir médecin. Oui, il l'est. Il a même accédé à une position extrêmement visible. C'est extrêmement positif.

  (1445)  

[Traduction]

    Madame la présidente, est-ce qu'il me reste quelques instants?
    Non, je pense que nous allons passer au prochain intervenant. Nous essayons de donner la parole à tous nos membres au moins une fois.
    Mme Simson est donc la prochaine.
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Il a été fascinant d'entendre des gens qui ont effectué des recherches sur ces questions. En effet, nos témoins sont venus avant tout de groupes et d'organismes qui appuient les femmes qui se retrouvent dans de telles situations, et à mon avis, c'est probablement la première fois que...
    Cela dit, à la suite de toutes les audiences que nous avons tenues, j'ai quand même l'impression que nous en restons au même point. Or, il a été triste d'apprendre que tel n'est pas le cas, qu'en fait, la violence subie par les femmes autochtones est à la hausse.
    J'arrive donc à ma question. Il a été dit que nous ne pouvons pas utiliser un modèle uniforme et conçu par des non-Autochtones pour régler les problèmes des Autochtones, les transplanter dans des situations autochtones. Si bon nombre de ces organismes s'occupent avant tout de la violence dont sont victimes les femmes autochtones, par exemple, s'ils offrent des services d'hébergement et d'intervention, d'après vous, où se trouve le fossé par rapport à la réalité?
    Nous perdons manifestement du terrain. Pour ma part, je ne pense pas nécessairement que ces organismes s'efforcent d'appliquer des démarches non autochtones pour résoudre les difficultés en milieu autochtone, mais il semble y avoir un manque de congruence quelque part. Accorder un soutien financier plus élevé — c'est-à-dire lancer encore de l'argent — n'est peut-être pas la bonne réponse, car on résout ainsi les problèmes à la pièce. Quoi qu'il en soit, ces organismes ne sont pas sur la même longueur d'onde que les milieux autochtones. Il n'existe pas de stratégie nationale et l'on se contente de solutions provisoires.
    Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de cela?
    Madame Jaccoud.

[Français]

    Je vous remercie de votre question bien pertinente et intéressante.
    C'est vrai que c'est très compliqué. Quand j'insiste pour dire qu'il n'y a pas une solution idéale, c'est réellement ce que j'ai pu constater. Prenons l'exemple des maisons d'hébergement. Je ne dis pas que les maisons d'hébergement sont inutiles, mais c'est un type de mesure qui n'agit pas vraiment sur les causes de la violence. Dans notre recherche, on s'est rendu compte que c'est encore une fois la femme qui porte le poids de devoir quitter le domicile. Souvent, l'agresseur reste dans la communauté. C'est encore sur la femme que repose le poids de faire une démarche, de partir, et tout ça. Si la maison d'hébergement se trouve à l'extérieur de la communauté, il y a parfois ce poids.
    Cela dit, c'est difficile de répondre de façon unilatérale. J'ai rencontré, dans toutes mes recherches, des femmes qui disaient que, pour elles, c'était important de partir; d'autres disaient qu'elles aimeraient mieux rester. D'autres encore disaient qu'elles se sentaient plus à l'aise à l'extérieur, dans une maison d'hébergement, avec des non-Autochtones, parce que l'anonymat leur faisait du bien, alors que d'autres disaient qu'elles avaient besoin d'une proximité culturelle avec les leurs, qu'elles étaient mieux à l'intérieur de leur communauté. C'est pour ça que j'insiste beaucoup pour dire qu'il faut être créatif, mais surtout proche des gens.
    Je sais que vous travaillez dans le domaine politique. On part du haut pour mettre en place des structures et des initiatives vers le bas. Je pense qu'il faut plutôt développer des approches inductives et aller, parfois, d'une communauté à l'autre pour bien connaître les réalités locales et pour déployer une pluralité de services, de manière à répondre à la diversité des besoins des gens. Si une femme a besoin de rester dans sa communauté, il doit y avoir une structure qui le permet. Si une femme veut sortir de sa communauté, il faut qu'il y ait une structure qui le permet, et non pas dire qu'on va créer des maisons d'hébergement dans toutes les communautés.
    Qui plus est, il y a parfois un problème de fonctionnement de ces maisons d'hébergement, qui ressemblent à des prisons. C'est quand même incroyable qu'une femme autochtone victime de violence... Je ne nommerai pas de lieu, car ça ne servirait à rien. C'est quand même incroyable de voir des femmes autochtones se sentir doublement victimisées, parce qu'elles ont des horaires à suivre: elles ne peuvent pas sortir quand elles le veulent. Elles vivent une sorte d'enfermement. C'est absolument inadmissible.
    La grande difficulté, à mon avis, c'est de comprendre que la proximité et les différences culturelles, dont parlait Marie-Pierre, font en sorte qu'il faille innover et trouver des choses complètement différentes. Dans les communautés, ça prend beaucoup de créativité. Je trouve qu'on manque souvent d'imagination.
    Je ne sais pas si je réponds bien à votre question. Je pense qu'il ne faut pas uniquement concentrer nos efforts sur l'idée de la maison d'hébergement. La maison d'hébergement, c'est une solution, mais elle est très provisoire.
    Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

  (1450)  

[Traduction]

    Est-ce que cela vous satisfait? Devrais-je donc poursuivre et donner la parole à M. Desnoyers?
    Bien.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Comme l'a mentionné ma collègue, on a des experts. Vos études vous ont permis d'arriver à des conclusions importantes. Ces recommandations et ces études seront-elles déposées devant le comité?

[Traduction]

    Nous avons déjà les documents en main, mais comme ils ne sont disponibles qu'en français, nous devons les faire traduire avant de vous les remettre.

[Français]

    Donc, vous avez déjà toute la série de recommandations. Excellent.
    Vous avez parlé des causes. Il faut remonter loin si on veut régler le problème. Ce n'est pas en saupoudrant ici et là qu'on va régler le problème.
    Vous avez aussi parlé de la colonisation. Ça me fascine, parce que j'en ai entendu parler ce matin. J'aimerais que vous en disiez davantage à ce sujet, et ce que ça a fait, finalement, à la communauté autochtone.
    Ce serait long à décrire, mais il est certain que la colonisation a créé entre autres une mise en tutelle de sociétés qui fonctionnaient très bien et qui créaient leur propre économie, même si c'était de l'économie de subsistance. Il y avait une régulation sociale. Ça ne veut pas dire, comme le disait Marie-Pierre, qu'il n'y avait pas de violence ou de problèmes. J'ai particulièrement étudié les sociétés traditionnelles inuites, qui avaient leur propre mécanisme de régulation sociale. La colonisation a créé des changements extrêmement rapides à l'intérieur de ces sociétés. On a imposé des structures qui ne leur convenaient absolument pas, ce qui a créé de l'aliénation culturelle. Ça a beaucoup déstabilisé les dynamiques familiales et le partage des responsabilités, ce qui est relié à la violence familiale.
    Une des hypothèses formulées par certains spécialistes est qu'étonnamment, d'une certaine manière, les femmes s'en sont mieux sorties que les hommes, économiquement parlant. D'ailleurs, quand on va dans des communautés, on constate que certaines femmes inuites occupent des emplois. Par ailleurs, la perte de leur rôle traditionnel de pourvoyeur aurait grandement affecté les hommes, qui se sont trouvés dans une situation d'isolement, de perte de sens et de fonction au sein de leur communauté. Ça permet probablement de comprendre beaucoup mieux le fait qu'ils veuillent oublier en consommant de l'alcool ou de la drogue. Il est certain que l'alcool et la drogue sont un facteur précipitant extrêmement important. Ma collègue anthropologue serait beaucoup mieux placée que moi pour parler des effets destructeurs de la colonisation.

  (1455)  

    En fin de compte, on leur a enlevé tout ce qui leur appartenait. Dans la réalité d'aujourd'hui, si on établissait un plan national pour commencer à remédier à la situation, que seraient vos deux premières recommandations?
    J'aimerais me permettre un commentaire qui va être un peu paradoxal. Je crois qu'il ne faut absolument pas nier le poids de la colonisation. Il ne faut pas l'oublier. Nous sommes tous responsables. Il y a vraiment quelque chose à dénoncer. Je pense qu'il faut reconnaître officiellement que le Canada a été un État colonial. Il l'est encore. Il reste beaucoup de chemin à faire.
    Voici la partie paradoxale de mon commentaire. Chaque fois qu'on veut mettre sur pied des initiatives et qu'on dit que le responsable est la colonisation, du point de vue pragmatique, ça ne donne pas beaucoup de pistes d'action. Je pense qu'il faut reconnaître ce fait historique, mais qu'une fois la chose dite, il faut passer à l'action. Il faut cesser de faire des causes de la colonisation le moteur de l'action.
    Pour ce qui est des recommandations, je pense qu'il faut vraiment commencer à soutenir les Autochtones en vue de développer de la gouvernance. C'est le mot à la mode, je le sais, et on ne l'aime pas toujours. Je vais vous donner un exemple. Je suis en train de faire une étude sur la communauté inuite de Kuujjuaq pour le ministère de la Justice. Connaissant le problème que constitue l'imposition de modes de régulation qui ne conviennent absolument pas, je vais encore beaucoup insister sur le fait que l'approche punitive et répressive, qui inclut la police et les systèmes de justice, ne fonctionne pas. Le jour où l'on comprendra qu'un problème social ne se résout pas par un système de justice, on aura fait un grand pas. Toutefois, on est coincé avec ça. On continue d'accorder de l'importance avant tout au fait que c'est une infraction. Quand un homme bat sa femme, il s'agit d'une infraction, certes, mais la réponse légale n'est pas une bonne réponse. Ils ont le courage de dépasser cela et de faire autre chose.
    Je suis en train de proposer une démarche pour la communauté de Kuujjuaq. Pour moi, la piste d'action centrale consiste à reconstruire la régulation sociale dans les communautés. Comment fait-on cela? En regroupant toutes les ressources existantes et en soutenant toutes les formes de régulation qui existent; en créant de la concertation; en ayant un ou une chef d'orchestre qui rend les interventions cohérentes et qui est comme un maillon de la chaîne; en arrêtant d'exclure les gens parce qu'ils ont commis un délit; en adoptant des approches inclusives; en renforçant toutes les initiatives pour que les gens se prennent en main. Alors, oui, c'est de la gouvernance.
    Il faut reconstruire cette régulation sociale. J'y crois. On peut le faire notamment par l'intermédiaire d'initiatives comme des cercles, des comités et des organisations locales. Il faut renforcer les leaderships, cibler les quelques familles au sein desquelles les choses vont bien et qui peuvent devenir des modèles très visibles. Il faut enfin comprendre que les Autochtones ont des capacités. C'est simplement que les communautés autochtones ont perdu confiance en elles. Il reste que ces capacités existent. Il faut aller les chercher.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Nicole, la parole est à vous.

[Français]

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je ne sais pas par où commencer. J'ai très bien entendu ce que vous avez dit, et je pense que vous avez raison sur toute la ligne. Au fond, je me demande si ce n'est pas nous qui avons besoin d'éducation culturelle, car je me rends compte que, trop souvent, les décisions sont prises pour le bien de quelqu'un, elles ne sont pas prises en fonction des besoins de cette personne. On croit toujours mieux savoir, mieux faire, que les personnes engagées directement elles-mêmes dans le milieu.
    J'entendais M. Desnoyers parler de colonisation et je faisais le parallèle avec l'apartheid en Afrique du Sud, un pays où il y a beaucoup de violence envers les femmes aussi, où cela s'est développé de plus en plus, et où les femmes s'accommodent de la violence. C'est vrai, les femmes s'accommodent de la violence, parce que c'est plus facile de s'en accommoder et de continuer à la subir que de faire quelque chose pour la contrer.
    Il y a un terme que je déteste depuis toujours, c'est le terme « réserve ». Je suis tannée d'entendre ce mot. Les réserves sont en Afrique pour des animaux, non pas pour des êtres humains. N'y a-t-il pas lieu de faire de l'enseignement aussi dans nos écoles auprès des jeunes, dans toute notre société, pour connaître l'histoire, pour savoir avec qui ils partagent le territoire, que ce territoire-là initialement n'était pas le leur? N'y a-t-il pas lieu de faire quelque chose pour s'assurer que la vraie histoire est connue et pour rétablir les faits?
    Très longtemps, j'ai cru qu'on faisait la charité aux Autochtones, aux Premières nations — parce que c'est ce qu'on nous a enseigné —, jusqu'à ce que je rencontre Ellen Gabriel et qu'elle me raconte l'histoire et que je comprenne qu'on ne fait la charité à personne. Ce sont des choses qu'on leur doit et on ne leur donne pas suffisamment encore, en retour de tout ce qu'on leur a pris.
    Cela me préoccupe beaucoup de constater qu'il y a un fossé très large entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Vous parliez aussi d'harmonie entre les différents paliers de gouvernement. Prenons simplement l'exemple de la nouvelle politique provinciale pour les enfants. En cas de difficultés à la maison, le Tribunal de la jeunesse pourra retirer l'enfant à la mère autochtone, dans une communauté autochtone, et l'amener à des kilomètres de là où elle n'aura pas l'occasion de le voir aussi fréquemment. Ce sont des choses qui n'ont pas de sens. On reproduit l'histoire des pensionnats. Je me demande qui fera le lien entre les différents paliers gouvernementaux pour que cela ait une cohérence quelconque.
    C'est peut-être compliqué comme réflexion et question, parce qu'il y a tellement d'idées dans ma tête.

  (1500)  

    Ce n'est pas compliqué, si je peux me permettre de vous répondre.
    Je travaille beaucoup dans le domaine de la médiation. Je pense qu'il y a vraiment des passerelles à construire entre Autochtones et non-Autochtones. Je suis fascinée par la méconnaissance de l'histoire. La première réflexion que se font certaines personnes est que les Autochtones ne payent pas d'impôts, qu'ils sont alcooliques, etc. Pourquoi ne payent-ils pas d'impôts? Connaissez-vous l'histoire des Autochtones?
    J'ajouterais une petit précision: Mme Bousquet et moi sommes d'origine européenne, ce qui n'est pas un hasard. Il y a un malaise terrible de la part des Québécois — par exemple, puisque c'est la province où nous sommes — face à l'étude de cette question-là. Il y a vraiment un malaise et je crois que ce n'est pas un hasard que nous soyons deux Européennes.
    Vous parliez des enfants. C'est un exemple typique du genre d'intervention qu'on reproduit, parce que la DPJ fonctionne comme ça, c'est le bien de l'enfant qui prime, etc. On a cette façon de voir et de faire les choses. Ma recherche sur la marginalisation des femmes autochtones s'est faite par récits de vie. On demandait à la femme de se raconter, de la naissance jusqu'au moment de l'entretien. Cela a été très intéressant. On voyait les ascensions et les chutes sur le plan de l'intégration. On a fait des courbes de marginalisation. Savez-vous ce qui était très intéressant? Chaque chute dans la trajectoire de vie de ces femmes correspondait à un moment où on leur retirait les enfants.
    Contrairement à ce qu'on pense, même si le milieu n'était pas adéquat, c'était beaucoup mieux, beaucoup plus positif que l'enfant reste près de sa mère, peut-être avec des modalités de protection, on s'entend.
    Vous parliez des réserves. Je ne peux pas m'empêcher de vous dire que la Loi sur les Indiens a inspiré le régime de l'apartheid en Afrique du Sud, puisque vous faisiez allusion à cela. Ça a été la source d'inspiration du régime de l'apartheid en Afrique du Sud.

  (1505)  

[Traduction]

    Madame Bousquet, souhaitez-vous ajouter quelque chose à cela?

[Français]

    Je voudrais simplement ajouter que je suis entièrement d'accord avec ma collègue. En réponse à M. Desnoyers, au sujet des solutions possibles — j'abonde également dans le sens de Mme Demers —, je dirais qu'il y a deux aspects importants, à mon avis: l'éducation et la gouvernance.
    Les communautés autochtones, qu'elles soient en réserve, en établissement, dans des villages ou dans des municipalités nordiques et autres, n'ont pas assez de gouvernance, c'est-à-dire qu'elles ont assez peu de latitude à l'intérieur du système. Elles reçoivent des programmes et des budgets qu'elles doivent appliquer, mais qui laissent très peu de place à l'initiative. Cela est évidemment très dommageable parce qu'on ne peut pas tout retirer à quelqu'un et espérer qu'il devienne indépendant. C'est un non-sens.
    En fait, comme j'offre chaque semestre deux cours entiers de trois heures par semaine sur la colonisation, je me dis souvent — et chaque fois, j'en suis épatée — à quel point cela aurait pu être pire. Les Autochtones sont beaucoup plus résilients qu'on ne le pense. Je me dis qu'ils ont perdu leur économie, leur système social, on leur a interdit leur système de croyance, on leur a interdit de porter jusqu'à leur costume traditionnel. On leur a interdit plein de choses. Ça devrait être bien pire, mais ils ne s'en sortent pas si mal que cela. Ils ont beaucoup de volonté. Les communautés dans lesquelles je travaille sont extrêmement dynamiques. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent s'en sortir. Donc, il faut leur donner plus de gouvernance. C'est plus qu'un mot à la mode, comme le disait ma collègue.
    Il y a aussi l'éducation. Je suis professeure d'université. Mes étudiants se présentent devant moi, lors du premier cours, et je leur demande quelles sont les 11 nations autochtones du Québec. Ils vivent au Québec, ils sont Québécois pour la plupart. Ils connaissent bien des noms par-ci par-là. Ils ne savent pas où sont les communautés. Ils ne savent pas combien il y en a. Ils ne savent même pas qu'il y en a 11. Ils ne savent rien, et je dis bien « rien ». Ils ont vaguement entendu parler de ces communautés. Ils ont des images généralement soit de gens fantastiques, en harmonie avec la nature, soit de soûlons très violents. Entre les deux, il n'y a rien.
    Je travaille avec des Autochtones depuis plus de 15 ans. Si c'était aussi horrible, j'aurais changé de métier depuis longtemps. Donc, l'éducation est primordiale. On parle souvent de l'éducation des Autochtones, on dit qu'il faut mieux les former, etc., mais il faut aussi former les jeunes allochtones pour qu'ils en sachent un minimum. Par exemple, je travaille beaucoup dans des régions. La plupart des gens ne savent pas que les villages où ils habitent ont des toponymes autochtones. Ça devrait être inscrit à l'entrée d'un village. On devrait avoir accès aux toponymes pour qu'ils soient plus visibles. On vit dans une province où il y a une assez grande invisibilité des Autochtones.
    Je suis allée dans d'autres provinces. Bien entendu, proportionnellement, il y a plus d'Autochtones. Par exemple, à Vancouver, il y a une certaine présence autochtone, ne serait-ce que dans l'art qui est omniprésent, qui est partout. Au Québec, où voit-on la présence autochtone? On se balade dans Montréal et on risque fort bien de ne pas savoir que le belvédère en haut du Mont-Royal est nommé « Kondiaronk », du nom d'un grand chef amérindien. Où est cette présence? Qui marque cette présence? Il n'y en a pas.
    Alors, il faut participer à la visibilité des Autochtones, une visibilité positive, et montrer que ce sont des gens qui font partie de la société et que, chez eux, il y a toutes sortes de gens et de métiers: des ouvriers, des secrétaires, des designers, des médecins, des avocats, etc. Il faut commencer par montrer qu'ils vivent aussi dans cette société, qu'ils en font partie et qu'ils ont une histoire qu'il vaut la peine de connaître, une histoire absolument merveilleuse. J'aimerais que cet apprentissage commence dès le primaire, en fait. Ça me ferait plaisir.

[Traduction]

    Nicole, à vous encore.

[Français]

    Oui, madame la présidente, nous parlerons plus tard.

[Traduction]

    À ma connaissance, il ne nous reste pas beaucoup de temps pour revenir à ces questions. Il est 15 h 12. Or, nous devons nous arrêter à 16 heures. Toutefois, lorsque les membres ont l'occasion de poser des questions, on leur fournit des réponses étoffées, ce qui est une bonne chose.
    Irene.

  (1510)  

    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je remercie également les témoins de leur présence parmi nous. Je vous suis reconnaissante pour tout ce que vous nous avez dit.
    J'aimerais revenir à certaines des questions que vous avez abordées. Vous avez affirmé que sur le plan politique, nous devrions concentrer nos efforts sur l'élimination de toutes les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens, et cela m'a laissée un peu perplexe. Je n'ignore pas que cette loi a été très néfaste, mais pouvez-vous nous donner une idée des dispositions discriminatoires en question ainsi que des efforts que nous devrons déployer dans le but d'entraîner les changements que nous souhaitons?

[Français]

    Je ne suis ni juriste ni une spécialiste de la Loi sur les Indiens, mais il est certain que les règles sur la descendance et l'appartenance, qui sont encore discriminatoires, seraient à modifier le plus rapidement possible. Je préfère laisser les associations de femmes autochtones vous exposer leur point de vue. Par contre, il est certain qu'un travail d'épuration devrait être fait à l'égard de la Loi sur les Indiens. Je pense qu'il faut aussi examiner les clauses sur l'héritage et sur la possession des terres.
    En fait, je préconise qu'un groupe examine de fond en comble la Loi sur les Indiens et qu'on fasse vraiment un nettoyage dans tout ce qui contrevient à la bonne gouvernance des communautés, à leur autonomisation. Je ne pourrai pas répondre en détail à votre question, mais elle est tout à fait pertinente. Je pense qu'il faut se pencher là-dessus avec les Autochtones. En effet, c'est assez compliqué. Il y a les règles territoriales, les pouvoirs locaux, les conseils de bande. Comme on le sait, c'est prescrit dans la Loi sur les Indiens. Il y a beaucoup de contestation sur ces formes de pouvoir, qui sont peut-être à repenser. Il y a vraiment du travail à faire en ce qui concerne la Loi sur les Indiens.
    J'aimerais ajouter quelques commentaires. Cette loi date quand même de 1876 et, au départ, elle a été fondée sur des critères raciaux. Lors de sa création, étaient Indiens un homme, puis les enfants de cet homme, et enfin la femme légitime de cet homme. Ça a forcément marqué les gens parce que cette loi est empreinte de conceptions patriarcales. De plus, cette loi ne s'applique pas à tous les Amérindiens. Elle ne s'applique qu'à ceux qui sont inscrits dans le registre fédéral, et ce registre, comme son nom l'indique, est fédéral, c'est-à-dire que c'est Ottawa qui décide qui est Amérindien et qui ne l'est pas. Ça pose donc un premier problème. En effet, l'appartenance, la reconnaissance en tant qu'Amérindien, dépend prioritairement des services que la personne reçoit du fédéral. Cette loi a également imposé un système politique, soit le système des conseils de bande, qui a été créé dans le but d'uniformiser la politique, mais également d'établir des critères pour définir qui allaient être les interlocuteurs du gouvernement.
     Sans trop entrer dans les détails, je dirai qu'il est très difficile d'être chef de bande. En effet, le chef de bande est à la fois un genre de chef d'État, un négociateur pour sa nation, un administrateur de programmes fédéraux et un maire. Essayer de remplir ces quatre fonctions à la fois est très compliqué. Il faudrait choisir l'une ou l'autre. On ne peut pas être à la fois administrateur et négociateur, par exemple auprès de ce même État dont on reçoit des programmes. Il me semble qu'au point de vue politique, quelque chose fonctionne assez mal. J'ai effectué plusieurs entrevues avec des chefs qui m'ont dit être dans ce système avec lequel ils étaient obligés de composer et avoir un mal fou à développer leurs propres initiatives politiques parce qu'ils ne savaient plus forcément quel était leur rôle, du fait que ce dernier ne correspondait pas à leur conception de ce que devait être un chef, selon ce qui leur avait été transmis historiquement.
    Quant aux femmes, jusqu'en 1985, les amendements apportés à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C-31 on fait en sorte qu'une femme autochtone ayant épousé un homme non autochtone perdait son statut. À partir de 1985, elles ont eu le droit de conserver leur statut. Par contre, leurs enfants dépendent d'un alinéa relatif à un amendement apporté à la Loi sur les Indiens dans le cadre du projet de loi C-31. Ils sont catégorisés et sont soit de type 1, soit de type 2, ce que je trouve abominable. Je connais des femmes qui m'ont dit être la fille d'un tel, mais qu'en mariant un homme non autochtone, leurs enfants ne seraient pas Autochtones, alors que si elles en mariaient un autre, ils le seraient.
    Dans un système de ce genre, les gens se définissent devant la loi par un alinéa, ce que je trouve tout à fait terrible. Je connais aussi des femmes autochtones qui ont eu un premier conjoint autochtone avec qui elles ont eu un enfant, puis un deuxième conjoint non autochtone avec qui elles ont également eu un enfant. La situation fait qu'un de leurs enfants va pouvoir transmettre son statut et l'autre non. Pourtant, ils ont la même mère et sont éduqués de la même façon.
     Il y a là une aberration. Des femmes non autochtones qui ont marié des Autochtones avant 1985 sont devenues des Amérindiennes selon la loi. Dans leur cas, leurs enfants ne dépendent ni d'un numéro ni d'un alinéa dans la loi et elles peuvent transmettre leur statut sans problème. C'est une des discriminations fondamentales. Les modifications apportées à la Loi sur les Indiens dans le cadre du projet de loi C-31 n'ont pas corrigé toutes les injustices de la loi en question. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.

  (1515)  

[Traduction]

    C'est assez incroyable lorsque la question est présentée ainsi, car nous avons le sentiment d'être nous-mêmes, d'être inscrits dans un milieu auquel nous appartenons et où l'on nous accepte; nous ne sommes que les membres d'une collectivité donnée. Par conséquent, il est bizarre que quelqu'un de l'extérieur, qu'il soit de l'est ou de l'ouest, affirme « vous faites partie » du groupe ou « vous n'en faites pas partie ». Lorsqu'on explique la chose dans cette perspective, on met en relief le caractère étrange de la Loi sur les Indiens.
    J'ai aussi retenu la proposition selon laquelle des organismes de femmes autochtones sont en mesure de dénouer ce noeud gordien, et cela me paraît intéressant. J'ai pris connaissance d'une très grande partie du travail abattu par l'Association des femmes autochtones du Canada au sujet de cette question extrêmement complexe. Je sais fort bien qu'elle a travaillé d'arrache-pied pour tirer tous ces textes au clair et essayer de les refondre ainsi que vous l'avez précisé. Toutefois, l'appui financier à ces organismes a été supprimé et ils doivent donc mettre à pied du personnel. La situation commence à être très contrariante.
    J'aimerais aussi que vous me renseigniez au sujet des effets de tout cela sur les enfants et les jeunes. J'ai déjà enseigné au secondaire, dans une école fréquentée tant par des étudiants autochtones que non autochtones. Les Autochtones venaient d'une petite collectivité située à l'extérieur de la ville. Dès leur arrivée à l'école, ils étaient condamnés à l'échec parce que ce milieu n'était pas compatible avec leur réalité culturelle. Lorsqu'arrivait la saison de la chasse ou qu'il y avait des festivals ethnoculturels, ces événements avaient lieu en même temps que les cours et, par conséquent, les jeunes Autochtones séchaient souvent leurs cours, sans que les autorités aient le moindrement envisagé de tenir compte de leurs réalités; ils étaient donc simplement marginalisés.
    Cela m'a toujours préoccupée et correspond aussi à ce que vous disiez au sujet du système de justice. En effet, je crains fort que le système actuel de justice, de par sa nature punitive, ne convienne pas au milieu autochtone et ne soit donc d'aucun secours à ces jeunes. On les retire de leurs foyers, on les considère comme des criminels en herbe. Nous ne prenons pas les mesures qui s'imposent pour qu'un système adapté voit le jour.
    Il est bizarre que nous parlions de « laisser naître un système » conforme aux réalités culturelles de ces jeunes. Je n'ignore pas que le taux de suicide est effroyable, ni qu'on retire ces jeunes de leur milieu ethnoculturel ni encore qu'on les confie ensuite aux services sociaux non autochtones.
    Je me demandais justement si vous pouvez nous parler un peu du système de justice, ou de son absence, et du système de justice pénale des jeunes.

  (1520)  

[Français]

    J'aimerais commencer à répondre à cette question en racontant une petite anecdote tellement éloquente. À un moment donné, j'ai fait une étude de terrain pour ma thèse de doctorat, à Puvirnituq, une communauté inuite de la baie d'Hudson. Ma thèse portait sur l'administration de la justice pénale et comportait un volet historique pour comprendre comment le système de justice eurocanadien s'était imposé aux Inuits, notamment. Il y avait aussi un volet sur le terrain où je leur demandais leur point de vue sur l'administration de la justice.
    J'explique mon sujet en disant que ça porte sur le système de justice pénale. Une femme m'a interrompue en me disant les mots « justice pénale ». Elle m'a demandé ce qu'était la justice pénale. Je lui ai expliqué que c'était la justice punitive, notre système pénal. Elle me répond que c'était drôle parce que les mots « justice » et « punition » n'allaient pas de pair. Je lui ai demandé ce qu'elle voulait dire par là. Elle m'a dit que, pour eux, la justice, c'est faire du bien; punir, c'est faire du mal.
    Je m'en suis toujours rappelé. De par mon insertion en criminologie, j'ai développé un regard critique et suspicieux à l'égard de notre façon de faire, qui ne fonctionne pas mieux dans le sud ou dans les communautés non autochtones. Il faut vraiment réinventer nos approches face à des problèmes sociaux.
    Je dis souvent que lorsqu'un événement problématique se produit, qu'on appelle ça un crime ou une voie de fait — qu'importe le nom qu'on lui accole —, le grand problème, c'est qu'un système de justice va toujours regarder ça sous l'oeil de la transgression. Il y a eu une transgression à un code. En fait, avant cette transgression, il y a deux choses. Il y a souvent quelque chose qui précède une situation problématique qu'on va qualifier de crime, donc des problématiques qui précèdent cette transgression. En plus, la transgression crée des conséquences.
    Alors, si vous voulez mon avis, un véritable système de justice devrait se concentrer en amont de la transgression. En fait, il importe de savoir pourquoi quelqu'un a tapé sur la tête de quelqu'un d'autre. On ne va pas s'intéresser à la transgression, mais pourquoi on est arrivé là. Peut-on agir pour éviter qu'on se tape sur la gueule et aider les gens à ne pas le faire? L'autre chose, c'est que le fait d'avoir frappé quelqu'un est porteur de conséquences. Peut-on s'occuper de ces conséquences?
    Donc, un véritable système, qu'on l'appelle de justice ou autre, est un système qui tient compte des personnes en situation, et la transgression à la limite est secondaire. Je sais que ça peut choquer des gens de m'entendre tenir ce discours, mais plus j'avance dans mon travail, plus j'affirme de façon très affirmative et très sûre qu'il faut essayer de se dégager de l'idée de la transgression aux normes sociales et qu'il faut s'occuper des gens qui sont pris dans ces problèmes sociaux pour les soutenir. Il faut donc développer un réseau d'aide et de soutien.
    Je reviens sur la question de la violence dans les communautés autochtones. Pour avoir rencontré bien des gens qui se retrouvaient dans ces dynamiques, je peux vous assurer que et l'homme et la femme ont besoin de soutien. Il n'y a rien de pire qu'un système de justice qui, de toute manière, fonctionne de façon complètement différente. Marie-Pierre pourra vous donner plein d'exemples, mais dans mon domaine, par exemple, la notion de culpabilité n'existe pas dans les langues autochtones. Alors, devant un tribunal, comment va-t-on traduire ça? On demande si la personne l'a fait ou ne l'a pas fait, voilà comment on traduit la notion de culpabilité.
    Donc, il faut complètement changer nos façons de voir pour renforcer plutôt l'idée de la responsabilisation. Par exemple, la personne admet qu'elle a été impliquée dans tel événement, qu'elle était responsable de ça, elle le reconnaît, etc. Les gens ont besoin de soutien. Ils n'ont pas besoin d'être envoyés en prison.
    Évidemment, il faut protéger des gens. Le problème en milieu urbain est différent, mais dans les communautés, il y a en fait des aires naturelles de protection qu'on peut utiliser. Il y a des initiatives fort intéressantes de prise en charge des hommes agresseurs qui se retrouvent avec des problèmes. Les hommes agresseurs ne sont pas plus heureux. Toutefois, cela prend du courage, de l'initiative, de la créativité, et il faut sortir des sentiers battus.

  (1525)  

     Dans le cadre du troisième rapport que je suis en train de préparer, au sujet de la communauté de Kuujjuaq, je suis tombée sur une idée que j'aime beaucoup et que j'ai envie de vous livrer. Cette idée a beaucoup été utilisée par les gens qui travaillent en sciences politiques. Ils disent que le problème avec les réformes institutionnelles qu'on essaie d'apporter est qu'on souffre du syndrome du path dependency. Excusez-moi, mon anglais n'est pas terrible. Cette idée de path dependency est très intéressante. Elle signifie que lorsqu'on est au sein d'une institution ou d'une organisation — que ce soit le système de justice, le politique ou qu'importe —, on est toujours, comme le hamster, enfermé dans sa roue, et on pense à la réforme en fonction non seulement de la logique de notre système, mais de l'histoire et de la trajectoire de notre institution.
     Donc, on adopte toujours des réformes dans cette logique et on devient dépendants de sa propre organisation et du poids de son histoire. Qu'est-ce que cela veut dire? On est tous pris dans ce path dependency: vous, moi, Mme Bousquet et tout le monde. On est toujours dans un couloir et on pense toujours en fonction de ce couloir.
     Je vous donne l'exemple de la recherche que j'ai faite sur Kuujjuaq, où j'ai interviewé une personne...

[Traduction]

    Madame, auriez-vous l'obligeance de conclure après cet exemple?
    Si vous permettez, pouvez-vous aussi lier cela à la violence subie par les femmes autochtones en détention? Nous avons évoqué la nature punitive de l'incarcération; eh bien, en dépit du fait que les Autochtones ne représentent que 3 p. 100 de la population, dans la population carcérale féminine, 25 p. 100 des détenues sont autochtones. Comment en est-on arrivé là? Que leur arrive-t-il? Pourquoi, grand Dieu, les enfermons-nous en prison, les rejetons-nous au loin?
    Je vous remercie, madame la présidente.
    Je me demandais simplement si vous pouvez ajouter cette question aux autres.
    C'est une forme de violence.

[Français]

    C'est un peu ce que je soulignais tout à l'heure.
    Dans une communauté qui vit beaucoup ces dynamiques de violence, les catégories de bourreau et de victime se chevauchent complètement. Ces femmes qui se retrouvent incarcérées sont avant tout des victimes de toutes sortes de choses, à la fois d'avoir connu très tôt des formes d'institutionnalisation, d'avoir été placées, d'être en rupture par rapport à leur famille et de se retrouver dans toutes sortes de situations.
     On a fait une étude sur les trajectoires de femmes qui se retrouvent incarcérées pour essayer de comprendre leur parcours. Leur parcours est surtout parsemé de blessures. Je pense que n'importe qui se retrouvant dans la même situation, vous ou moi, serait peut-être capable de commettre des crimes violents, parce que cela s'insère dans cette dynamique. D'ailleurs, beaucoup de femmes se retrouvent incarcérées parce qu'elles se sont retournées contre leur conjoint, aussi.
     Donc, oui, c'est épouvantable et l'incarcération ne résout évidemment rien. Je pense qu'il faut s'inspirer de l'idée de pavillons de ressourcement, comme il en existe dans l'Ouest. Évidemment, il est essentiel de considérer qu'une femme qui a agi de façon violente a peut-être plus besoin d'être aidée que d'être exclue de la société. On n'apprend pas à vivre en société en étant exclu de cette société. C'est le paradoxe classique de la prison.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Excusez-moi, est-ce que vous vouliez ajouter quelque chose?
    Allez-y.

[Français]

    Je souhaiterais souligner quelque chose qui a déjà été dit, mais qui va dans le sens de la question. Je veux souligner l'importance d'aborder les problèmes de façon globale. J'ai côtoyé des travailleuses sociales dans des communautés, qui me disaient ne plus savoir par où commencer, parce qu'on pratique souvent la « politique du pansement ». On met de petits pansements sur différents bobos, mais la blessure ouverte est finalement beaucoup trop grande. Les pansements ne seront donc jamais suffisants pour couvrir l'ensemble de la blessure. Elle va demeurer ailleurs.
    Quand on parle des jeunes qui entrent dans ce cercle de violence — il y a l'alcool et la drogue —, c'est lié au fait qu'ils ont eux-mêmes vu et vécu la violence. On ne peut pas traiter ça par petits bouts, sinon on perd une énergie folle. Je me souviens avoir fait un travail dans une communauté de 350 personnes où on a simplement fait le recensement du nombre de programmes de services de santé. Il y avait plus de 25 programmes. Il y en avait pour à peu près tout et n'importe quoi. En conséquence, comme ces programmes fonctionnaient de façon séparée, un femme pouvait devoir se présenter le jeudi, de 10 heures à 11 heures, si elle avait un enfant de moins d'un an, et l'après-midi, si elle avait des enfants d'un à trois ans. C'est ridicule parce que, de toute façon, elles sont mères de plusieurs enfants, alors ça ne donne rien de séparer les groupes. C'est un exemple pour vous dire qu'il faudrait vraiment avoir un modèle beaucoup plus global.
    Aussi, je me suis aperçue, au cours d'une recherche assez récente que j'ai faite au sujet du passage à l'âge adulte chez les jeunes, que ces derniers ont incorporé un certain nombre d'idées négatives quant au fait d'être Autochtones. En particulier, ils ont des conduites à risque. Ils peuvent se dire, par exemple, que si on est un jeune Autochtone et qu'on n'a pas vécu de problèmes de boisson et des problèmes graves, on ne sera pas aussi autochtone que les autres. Il y a une reproduction de la violence, aussi, parce qu'ils ont incorporé l'idée du modèle qu'ils ont connu, celui du gars assez tough qui fait des bêtises. Souvent, il y a une prise de conscience vers 25 ou 30 ans parce qu'ils ont vraiment eu des conduites très à risque et sont près de mourir. Parfois, il y a un sursaut, mais quand ce sursaut n'a pas lieu, il y a des cas qui ne sont pas toujours recensés comme des suicides, mais qui le sont de toute façon. Ces jeunes ont vraiment fait tout ce qu'il fallait pour en finir plus tôt avec la vie.
    Tout le problème de l'incorporation d'images négatives au fait d'être Autochtone est gravissime, et je dirais qu'aborder ces problèmes dans un cadre global veut aussi dire rendre aux Autochtones la fierté d'être Autochtones. J'ai vu des jeunes qui pleuraient dans les pow-wow, par exemple, parce qu'ils trouvaient ça beau, ils étaient fiers. Ils trouvaient ça beau de voir des gens danser et se prendre en main. Souvent, être un danseur de pow-wow veut dire soutenir la sobriété, la guérison, etc. J'ai vu des jeunes du genre petits durs qui ne montrent jamais leurs sentiments fondre en larmes parce qu'ils se sentent tellement fiers d'être Autochtones. Là, c'est vraiment frappant, pour ce qui est de cette fierté chez ces jeunes. Je leur rappelle que j'ai traversé l'Atlantique pour venir comprendre leurs cultures. Ces cultures en valent le coup, elles sont intéressantes, leur société en vaut le coup, et eux-mêmes ne le savent pas toujours. Alors, ça fait aussi partie de cette dynamique et d'une violence qu'ils ont connues au cours de leur vie.

  (1530)  

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Étant donné l'heure qui avance, je vais devoir poursuivre.
    Julie, voulez-vous poser une question?

[Français]

    Je veux simplement faire le suivi au sujet des tribunaux spécialisés en violence domestique. Je me demande s'il en existe. Quand on est allés à Iqaluit, les gens nous disaient que le Code criminel a été développé pour les communautés du sud et qu'il s'applique très mal chez eux. On a aussi entendu parler de la GRC qui doit, en anglais, lay charges, et ça crée des divisions dans les communautés, surtout celles où la GRC est la seule force policière en place.
    Y a-t-il des solutions de rechange et, le cas échéant, pouvez-vous nous en donner des exemples?
    Ça existe. Je crois qu'il y a dans l'Ouest des avancées par rapport à ici — nous, on est très en retard. Ce que je trouve particulièrement intéressant des tribunaux spécialisés, c'est ce qu'on appelle les problem solving courts. Ça s'est beaucoup développé aux États-Unis. On parle de tribunaux communautaires, de problem solving courts, de tribunaux spécialisés; il y a plusieurs appellations.
    Le principe est vraiment intéressant. Ce sont des initiatives où le degré d'intervention formelle est plus présent qu'une solution de rechange à la judiciarisation — disons-le comme ça —, mais où, justement, la fonction du juge se voit transformée pour avoir un regard davantage posé sur le problème social que sur la transgression elle-même ou l'idée de l'infraction.
    Les tribunaux spécialisés fonctionnent différemment d'une région à l'autre. Certains tribunaux spécialisés sont très orientés vers l'aspect punitif, tandis que d'autres sont davantage orientés vers la prise en charge thérapeutique. Le juge se transforme, d'une certaine manière — comme ce qui existe en France —, en un juge d'exécution des peines où, en effet, la sentence est suspendue. De plus, il y a un suivi très serré des personnes aux prises avec des problèmes. La personne va régulièrement devant le juge pour témoigner, par exemple, de l'avancement de son programme de désintoxication.
    C'est une initiative intéressante qui n'existe pas encore au Québec. Il est question, je pense, de mettre en place un tribunal spécialisé à Montréal. Selon moi, c'est le genre d'initiative qui devrait être mis en place dans les communautés autochtones. Bien sûr, il faudrait évaluer... C'est vrai que ça crée de la dissension au sein des communautés. Les positions à l'égard des solutions de rechange ne sont pas les mêmes. Par exemple, au Québec, il existe à peu près une quinzaine de comités de justice, mais tous ne fonctionnent pas si bien que ça. Parfois, ils sont peut-être un peu trop à la solde des tribunaux. Ils agissent comme exécuteurs de sentence.
    À mon avis, il faut essayer d'intervenir davantage en amont. Il y a quand même des initiatives intéressantes, comme les cercles de guérison. Celui de Hollow Water au Manitoba est un exemple d'initiative où il y avait un partenariat réel entre la communauté de Hollow Water, le cercle de guérison, la GRC, les tribunaux et les procureurs. Il faut avoir le courage de dire qu'on suspend les accusations pour permettre des initiatives plus adaptées. Hollow Water est un bon exemple d'une communauté qui s'est reprise en main.

  (1535)  

[Traduction]

    Il nous reste 20 minutes, et quelques personnes figurent encore sur la liste. Nous allons cependant devoir mettre fin à nos travaux bientôt, alors je vais demander aux gens de bien vouloir poser de très brèves questions et, aux témoins, de fournir des réponses toutes aussi brèves.
    Mme Simpson et Mme Brown sont les suivantes.
    Nous allons rapidement entendre Mme Simpson, puis Mme Brown.
    Je m'étais inscrite sur la liste pour poser une question qui n'a rien à voir avec le sujet, mais ce dont nous discutons a piqué ma curiosité, j'entends par là le système de justice ou la mise sur pied de tribunaux qui, à votre avis, seront vraiment efficaces dans les milieux autochtones.
    Est-ce que vous songiez alors strictement à la justice administrée dans les réserves ou bien aussi hors réserve?

[Français]

    Oui, tout à fait. Je pense que les tribunaux spéciaux...

[Traduction]

    Est-ce que vous songez aussi aux milieux hors réserve?

[Français]

    Oui, tout à fait.

[Traduction]

    J'aimerais simplement vous poser une question, sans chercher à vous accuser.
    Le Canada s'est montré très ouvert et souple en matière de multiculturalisme. Si nous mettions sur pied quelque chose de ce genre, que je ne désapprouve d'ailleurs pas, comment pourrions-nous maintenir l'équilibre par rapport aux diverses communautés?
    Puisque je viens de l'Ontario, rappelons, par exemple, que nous avons mené une lutte acharnée contre l'autorisation de la charia, un système de justice autre destiné à un autre groupe, et que nous avons remporté la bataille. Une fois qu'on aura créé quelque chose de ce genre à l'intention des Autochtones... Je pose simplement la question, car malgré la brillante idée de tenir compte des besoins des Autochtones, une part de moi craint qu'en ouvrant cette porte, si on ne limite pas la justice autochtone aux territoires de la réserve et si on l'offre dans toute l'étendue de la province, alors le débat au sujet de la charia reprendrait, bien que beaucoup de femmes s'y soient férocement opposées... Cela n'aurait certainement pas fait avancer la cause des femmes, tout au moins en Ontario. Or, nous avons obtenu gain de cause à peine deux jours avant le moment où le procureur général devait l'autoriser.
    J'ignore si vous avez une réflexion à faire là-dessus.

  (1540)  

[Français]

    Au Canada, les Autochtones ont quand même été les premiers habitants. Je ne veux surtout pas tomber dans la victimisation, mais on a des dettes envers les Autochtones. C'est indéniable. Selon la manière dont on fait les statistiques, on dit qu'environ 3 p. 100 de la population canadienne est Autochtone. Qu'on ait un peu plus d'humanité envers ces modestes 3 p. 100 de la population canadienne est une nécessité.
    Il ne faut pas oublier que les femmes autochtones du Canada sont les personnes les plus vulnérables. On a donc un devoir. On n'est pas en train de créer des tas de particularismes. On a vraiment un devoir de mémoire. On a aussi le devoir de se rendre compte qu'il s'agit d'un petit scandale national. Dans un pays aussi développé que le nôtre, les Autochtones vivent trop souvent dans des conditions propres au tiers monde.
    Même si ça n'a pas forcément de sens pour tout le monde — en tous cas, ça en a pour moi —, je crois vraiment qu'il ne faut pas oublier que ce sont les premiers peuples du Canada. Ces femmes, plus que les autres, ont besoin de nous. Elles ont besoin de justice. Elles ont besoin qu'on les aide à se débarrasser de cette violence. Quand je pense à elles, je pense aussi à leur conjoint et à tout leur entourage. À mon avis, c'est vraiment un devoir social.
    J'aimerais apporter une précision. Quand je parle de tribunaux spécialisés, il ne s'agit pas de tribunaux autochtones. Je parle vraiment d'une démarche qui peut être appliquée ou non au sein des communautés autochtones. C'est une approche complètement différente, qui est centrée sur la résolution de conflits, de problèmes. C'est ce que je voulais dire par tribunaux spécialisés.
    J'aimerais ouvrir une parenthèse et dire que si nous voulions humaniser notre société, les cultures autochtones auraient beaucoup à nous apprendre sur le plan traditionnel, pour ce qui est de la résolution des problèmes sociaux.
     Donc, je n'ai pas beaucoup de crainte face à l'avènement de systèmes de justice autochtones. Ce sont, je crois, des systèmes beaucoup plus humanistes que les nôtres. Je vous invite vraiment à aller voir comment se passe l'administration de la justice au sein des communautés autochtones.

[Traduction]

    Je m'excuse, mais on exagère un peu ici.
    Madame Brown, la parole est à vous ainsi qu'à quiconque veut poser une brève...
    Ma question sera très brève.
    Madame Jaccoud, plus tôt, au sujet de la prévention, vous avez insisté sur l'importance d'un leadership féminin. Pouvez-vous préciser quelque peu cette idée? Vous avez ainsi parlé de l'accès des femmes à des postes importants ainsi que du rôle qu'elles jouent dans la collectivité. Pouvez-vous nous en dire un peu plus là-dessus, s'il vous plaît?
    Une autre question maintenant, tant qu'à y être, et qui me semble convenir tout à fait...
    Notre gouvernement a déposé un projet de loi qui vise à élargir l'appartenance indienne officielle aux enfants dont une grand-mère a été dépouillée de son statut après avoir épousé un homme non indien. Nous avons donc déposé un projet de loi qui va élargir la reconnaissance officielle de l'appartenance indienne à ces petits-enfants, de la même manière qu'un grand-père peut transmettre ce statut s'il a épousé une femme non autochtone.
    Pouvez-vous nous parler du leadership, et estimez-vous que le projet de loi fonctionnera bien dans les collectivités autochtones?

  (1545)  

[Français]

    Je pense en effet qu'il faut renforcer le leadership des femmes au sein des communautés. Dans certaines communautés, ça va un peu mieux, mais il y a beaucoup à faire au sujet de la place des femmes, qu'il s'agisse de la composition des conseils municipaux, de la répartition des mairies ou des postes clés dans la fonction publique locale administrative.
    Pour ma part, je pense que le jour où les femmes auront davantage le pouvoir de changer des choses au sein des communautés et occuperont des postes clés, les choses vont peut-être se passer de façon un peu plus positive, notamment en ce qui concerne la lutte contre la violence domestique. Je vais vous donner un exemple. Parfois, plutôt que d'agir directement sur la question de la violence, il serait peut-être préférable de soutenir et de former les femmes afin qu'elles puissent procéder à une organisation communautaire, gérer des comités et stabiliser ceux-ci.
     Marie-Pierre pourra peut-être témoigner de ce qui suit. Dans ces communautés, des prises en charge se font, mais de façon très ponctuelle. Des comités sont mis sur pied, mais il est difficile de les stabiliser. Il faut soutenir le leadership féminin et savoir comment le stabiliser.
    Au sujet du projet de loi, je pense qu'il fait l'objet de controverses. Je crois que Marie-Pierre l'a bien dit: il faut vraiment procéder à une refonte complète et fondamentale de la Loi sur les Indiens. On peut peut-être même penser qu'on aura un jour une constitution autochtone qui permettra aux nations de négocier. Peut-être même qu'un jour, la Loi sur les Indiens sera caduque.

[Traduction]

    Je vous remercie.
    J'aimerais que nous siégions à huis clos quelques instants, et il faut donc que je réserve du temps à cette fin.
    Je tiens donc simplement à remercier les témoins de leur présence parmi nous et de nous avoir donné... Bien entendu, nous ne discutions pas avec des gens qui travaillent sur le terrain, mais bien avec des chercheurs, dont le champ d'étude embrasse toute la réalité culturelle. J'aimerais seulement vous dire une chose. Venant moi-même d'un pays colonisé — il y a bon nombre d'entre nous qui viennent d'autres pays du Commonwealth et qui savent ce que cela signifie que d'être colonisé —, je comprends très bien de quoi les collectivités autochtones ont souffert.
    L'autre jour, je m'entretenais avec un ami et je discutais de la question de la violence et des autres enjeux connexes. Il vit dans le quartier centre-est de Vancouver, et il m'a alors dit, « J'en ai jusque-là d'entendre toutes ces jérémiades ». C'est bien ce qu'il a dit. Il a ajouté, « Vous savez quoi? Des gens plus forts que les Autochtones sont arrivés et ont pris leurs terres, alors ils doivent tout simplement s'y faire ». J'ai écouté ses propos et je me suis dit, «  Vraiment, d'où sortez-vous? »
    À l'époque, la civilisation occidentale, l'Europe et la Grande-Bretagne étaient les grandes puissances du monde et elles sont venues ici et se sont emparées du Nouveau Monde, et bien entendu, tous ces gens étaient plus sages que les autres. Ils représentaient la civilisation tandis que les peuples conquis étaient des sauvages. Ils devaient donc leur montrer que leurs vies étaient mauvaises, que leur façon de vivre était mauvaise, que tout ce qu'ils faisaient était mauvais et qu'il fallait donc leur montrer comment mieux vivre. Au fond, le colonialisme, c'était arriver ici et dire aux autres peuples que vous en saviez plus qu'eux, qu'ils n'étaient qu'un groupe de sauvages, que vous étiez civilisés et que vous alliez leur dire comment faire les choses.
    La nécessité absolue d'une « réacquisition » de la culture est très importante. Je sais que vous avez parlé de voyages dans l'Ouest et de ce que vous avez vu là-bas. Je n'ignore pas que de petits pas ont été faits. La situation est loin d'être parfaite. Je sais toutefois aussi qu'à chaque fois que le premier ministre de notre province, et quelle que soit son orientation politique — et je parle bien sûr d'hommes car il n'y a qu'eux à avoir été premiers ministres jusqu'à maintenant —, prend la parole, où qu'il soit, et avant même de commencer, il va dire, « Je tiens à remercier la nation Salish » — ou encore la nation Musqueam ou une autre — « de nous permettre de vivre sur ses terres ». C'est une phrase simple. Pour ma part, je m'exprime ainsi et nous le faisons tout le temps, tout comme M. Martin dans le temps. On reconnaît ainsi qu'on se trouve sur la terre de quelqu'un d'autre, sur une terre qui n'est pas la nôtre. On insiste sur le sentiment qu'on est ici en tant que peuples arrivés plus tard.
    À l'Université de la Colombie-Britannique, il s'effectue beaucoup de travail anthropologique. On a ainsi découvert le Rocher Hatzic, situé dans la région d'Abbottsford, où on a effectué des fouilles. Grâce à la datation par le carbone 14, on a découvert que la culture autochtone existait il y a 40 000 ans. On a réussi à remonter à jusqu'il y a 20 000 ans et on a découvert que les Autochtones d'alors commerçaient tout le long de la côte des Amériques. Ils rapportaient des minéraux et d'autres biens qu'on ne trouvait pas en Colombie-Britannique et que ces fouilles ont permis de mettre au jour.
    L'organisation des gouvernements autochtones était très évoluée et il y avait énormément de commerce à leur époque. Ces sociétés n'étaient pas parfaites, mais à mon avis, il n'en existe aucune de parfaite. Là où je veux en venir toutefois, c'est que de là à décider que les Autochtones sont inutiles, il y a un monde. Rappelons cependant que beaucoup de gens vivent encore en pensant qu'ils sont inutiles, sauvages et que quoi qu'ils fassent, cela n'a pas la moindre valeur, or ça n'est pas quelque chose qu'on peut corriger en seulement cinq ans.
    Pour commencer, tout ce que nous pouvons faire, c'est écouter, apprendre et, à mon avis, veiller à respecter cette culture comme il se doit, et enfin, dire à ces représentants que ce sont eux qui ont les réponses et que nous ne pouvons pas imposer les nôtres. J'espère d'ailleurs que c'est ce que nous allons entendre au fur et à mesure de nos travaux. Cela dit, parmi les témoignages que nous entendons, il y a en règle générale beaucoup de répétition.
    Toutefois, vous nous avez offert des perspectives beaucoup plus vastes sur la marche à suivre à long terme ainsi que sur les problèmes auxquels les Autochtones seront confrontés. Dans l'Ouest, il existait bon nombre de sociétés matriarcales et matrilinéaires chez les Autochtones et le titre de chef était donc transmis par les femmes. Par conséquent, on ne peut pas dire qu'il s'agissait nécessairement d'une société dominée par les hommes. On voit cependant que les choses ont changé parce qu'on a montré à bon nombre de peuples autochtones que les sociétés patriarcales fonctionneraient toujours bien.

  (1550)  

    Je vous remercie de votre présence parmi nous. Je suis vraiment ravie de vous avoir entendu car votre grille anthropologique, historique et culturelle nous aidera, je l'espère, à bien mieux comprendre la voie que nous devrons emprunter lorsqu'il s'agira de rédiger nos recommandations et notre rapport. J'espère que ce dernier sera sensible aux réalités autochtones et qu'il ne se contentera pas de la rhétorique habituelle de la rectitude politique qu'on trouve souvent dans les comités parlementaires.
    À mon avis, l'occasion nous est vraiment donnée de changer le cours des choses. Nous pouvons vraiment faire quelque chose de marquant par rapport à des réalités qui existent depuis très longtemps. J'espère d'ailleurs que notre comité aura le courage de le faire.
    Merci de votre participation.
    J'aimerais maintenant suspendre nos travaux pour que nous siégions ensuite à huis clos. S'il vous plaît, ne prenons que quelques minutes de pause.
    Je vais aussi demander à ceux qui doivent quitter la salle de bien vouloir le faire dans les plus brefs délais.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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