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Nous sommes prêts à commencer.
La séance est ouverte. En conformité du paragraphe 108(2) du Règlement, le comité poursuit son étude sur l'abolition du caractère obligatoire du formulaire long du recensement et ses répercussions sur l'égalité des femmes au Canada. Je souhaite la bienvenue aux témoins.
Ce matin, nous accueillons cinq témoins. Kathleen Lahey, professeure, Faculté de droit, Université Queen's; Martha MacDonald, professeure et présidente, Faculté d'économie, Saint Mary's University; Sheila Regehr; Beverley Smith, rédactrice, « Recent Research on Caregiving »; et Mary Mowbray, coprésidente du conseil d'administration de la Fondation canadienne des femmes. Bonjour.
Voici les règles. Vous avez cinq minutes chacune pour présenter votre exposé. Vous êtes plusieurs et nous devons respecter l'échéancier du comité. Lorsque vous aurez fini votre exposé, il y aura une période de questions et réponses. Je vous avertirai lorsqu'il ne vous restera plus qu'une minute. Vous avez donc cinq minutes chacune cette fois-ci.
Merci.
Nous allons commencer avec Kathleen Lahey.
Madame Lahey.
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Je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion d'aborder ces questions extrêmement importantes.
J'entrerai directement dans le vif du sujet. Les changements apportés au recensement représentent une trahison à grande échelle et à un niveau fondamental de l'engagement du Canada d'effectuer une analyse sexospécifique de toutes les politiques, pratiques, lois et programmes au pays.
Dans un mémoire écrit, je fournirai au comité les références juridiques spécifiques à la charte internationale, aux droits de la personne constitutionnels et aux autres obligations qui constituent le cadre des droits de la personne donnant lieu à ces violations, mais je vais maintenant passer à mon second argument, soit que ces violations des droits de la personne découlant du refus d'effectuer une analyse sexospécifique des changements proposés au recensement sont d'autant plus odieuses car nous traversons la deuxième pire crise économique que le Canada ait eu à affronter depuis un siècle.
L'une des raisons pour lesquelles il est très difficile et compliqué d'affronter la situation actuelle est le manque de données des sciences sociales utilisables portant sur la façon dont la grande dépression a touché divers groupes vulnérables au Canada. Par conséquent, si nous modifions le recensement maintenant de manière à amoindrir la portée et la validité des données qui sont autrement disponibles, nous entravons notre capacité de comprendre ce qui se passe maintenant dans notre pays, de l'interpréter pour les générations futures et d'apprendre et de grandir de l'expérience.
Au plan de la comparaison entre les sexes, l'incidence de cette décision est sérieuse et va au-delà des atteintes prospectives qui découleraient de la crise économique actuelle. Premièrement, le droit des Canadiens d'avoir accès aux meilleurs outils statistiques et aux techniques d'analyse des politiques optimales précisément au moment où l'on en a le plus besoin est un droit concret garanti au même titre que d'autres droits humains. Et si le gouvernement s'abstient de continuer à fournir les meilleures données possibles, cela représente en soi une violation de droits car d'importantes sources de données qui auraient autrement été disponibles auront disparu de façon permanente et ne pourront être récupérées, comme l'ont déjà expliqué d'autres témoins. Mais le fondement de la justification du gouvernement ne semble pas relever des droits de la personne, c'est-à-dire que les femmes jouissent déjà d'une égalité totale et durable; la justification du gouvernement, c'est que c'est acceptable et que l'on peut se servir des données sur le travail non rémunéré tirées de l'Enquête sociale générale.
J'aimerais utiliser la dernière minute de mon temps pour signaler quelques lacunes de l'Enquête sociale générale relativement aux données sur le travail non rémunéré.
Premièrement, la question 33 sur le travail non rémunéré dans le recensement de 2006, que l'on élimine indépendamment de la forme que prendra l'instrument national, est l'outil qui avait été conçu afin de recenser le travail non rémunéré des femmes et des hommes au Canada. L'Enquête sociale générale ne fait pas cela. Au cours de la période des questions, je pourrai fournir des exemples quant aux méthodes d'échantillonnage et d'autres techniques utilisées dans l'ESG qui en font un instrument beaucoup moins utile pour évaluer qui travaille sans rémunération au Canada et de quel type de travail il s'agit.
L'enquête générale comporte de grandes omissions. Par exemple, elle ne tente même pas de cerner les soins aux personnes âgées, qui sont abordés dans le recensement, et il y a bon nombre de problèmes techniques associés à cette question.
Il y a un dernier point que je veux présenter très rapidement. Tout comme d'autres témoins ici aujourd'hui, je tiens à témoigner personnellement que Statistique Canada ne traduisait pas fidèlement la réalité en affirmant il y a deux jours qu'après avoir vérifié si quiconque utilisait les données tirées de la question 33, on avait constaté que « personne ne se servait de ces données ». Selon le ministère, personne n'utilisait ces données pour des travaux universitaires. Je suis ici pour témoigner du contraire.
Cela met fin à mon exposé.
Je suis heureuse de prendre la parole devant vous aujourd'hui au sujet de cette question cruciale.
Je suis une économiste spécialisée dans la recherche relative à la compréhension des différences et de l'égalité entre les sexes. J'ai souvent utilisé les données de Statistique Canada.
J'aimerais tout d'abord vous expliquer leur importance pour l'analyse économique.
Le recensement est la source la plus complète de données pour analyser la situation socioéconomique des femmes et la question de l'égalité. Les économistes et d'autres spécialistes des sciences sociales se servent du recensement pour examiner l'inégalité au chapitre de l'éducation, des gains, du revenu et d'autres facteurs. Les travaux sur la féminisation de la pauvreté et sur l'inégalité persistante du marché du travail se sont fondés sur le recensement.
Afin d'analyser les questions de ce genre, trois types de données sont essentiels, en sus des caractéristiques individuelles sur le plan des gains et du revenu. Les trois types de données qui sont essentielles et que le recensement nous fournit de façon particulièrement satisfaisante, sont les suivants.
Premièrement, le travail non rémunéré, ce qui a déjà été mentionné. Cet aspect est essentiel pour comprendre l'inégalité économique des femmes. Les organisations de défense des femmes ont travaillé d'arrache-pied pour obtenir que l'on intègre des questions sur le travail non rémunéré dans le recensement. Le Canada est un leader et un modèle à ce chapitre, et les résultats ont été inestimables pour la recherche sur l'égalité des femmes.
L'échantillon nombreux et la richesse des variables connexes dans le recensement en font une solution de rechange importante à la méthode du journal quotidien employée dans l'Enquête sociale générale. La qualité des données sommaires recueillies grâce au recensement s'est aussi avérée bonne en comparaison de la méthode du journal. Ces deux méthodes sont valables, mais on les utilise pour des types de questions différents et elles ne sont pas interchangeables.
Le deuxième type de données que le recensement produit de façon satisfaisante pour l'analyse de l'inégalité entre les sexes sont les données aux niveaux des ménages et des familles. On ne peut pas se borner à examiner la situation d'une personne individuelle pour comprendre la situation des femmes. Les résultats économiques dépendent de la prise de décisions du ménage. De nombreuses autres enquêtes ont uniquement des données individuelles, ce qui ajoute à la difficulté de comprendre les processus qui conditionnent le marché du travail et d'autres résultats.
Le troisième type de données dans le recensement qui sont essentielles sont celles sur l'origine ethnique, l'immigration, la langue, la situation géographique, l'invalidité, etc. et d'autres indicateurs de la condition sociale. Les femmes ne sont pas toutes les mêmes, et le recensement nous permet d'analyser les dimensions multiples de l'inégalité.
Personnellement, je me suis beaucoup fondée sur les données géographiques détaillées disponibles dans le recensement. Par exemple, on peut examiner les petites collectivités, les différences rurales-urbaines, et on a besoin de ce genre d'échantillon fiable et détaillé pour travailler à ce niveau.
Il est fort probable qu'un recensement facultatif sous-représentera les groupes marginalisés et vulnérables de la population. Étant donné qu'il est avéré que les taux de non-réponse ne sont pas aléatoires, nous obtiendrons un échantillon faussé à partir d'une enquête volontaire.
J'aimerais aussi parler de l'analyse des politiques et de l'importance du formulaire détaillé du recensement.
Les politiques relatives à l'égalité des femmes exigent que l'on dispose de données d'abord pour analyser le problème et pour faire la démonstration de la nécessité d'une intervention stratégique. En l'absence de ces données, on ne peut faire la preuve que les inégalités existent et on ne peut, pas plus qu'on ne peut concevoir une politique efficace sans comprendre les relations causales sous-jacentes. On ne peut planifier pour l'avenir dans des domaines stratégiques comme la santé, l'éducation et les pensions sans disposer de données démographiques fidèles.
À défaut de données, on ne peut évaluer l'incidence des diverses politiques sur les femmes. Cela inclut les politiques visant à contrer l'inégalité, ainsi que celles visant d'autres problèmes mais qui ont des répercussions sur les femmes. Pratiquement toutes les politiques ont des conséquences sur les femmes. Par exemple, une analyse des budgets dans une perspective sexospécifique n'est pas possible, pas plus qu'une évaluation de l'incidence de genre des programmes comme l'assurance-emploi ou les retraites, si nous ne disposons pas de ces données de qualité.
Évidemment, la défense du droit des femmes à l'égalité se fonde sur les données tirées du recensement. À défaut de cela, les groupes d'intervention auront de la difficulté à faire valoir leurs arguments et l'inégalité persistante des femmes deviendra invisible.
Enfin, j'aimerais dire un mot sur l'incidence de l'abandon du recensement obligatoire sur les autres données de Statistique Canada.
Des cadres de Statistique Canada et d'autres économistes ont signalé que la perte du formulaire long du recensement a des répercussions sur les autres enquêtes que le gouvernement affirme pouvoir utiliser. En ce qui a trait à leurs cadres d'échantillonnage et à la pondération aux fins d'analyses, les autres enquêtes se fondent sur les mesures de population sous-jacentes générées par le recensement. Ces coefficients de pondération leur permettent de prendre en compte un biais de non-réponse possible dans les enquêtes facultatives. Sans mesures de population fiables, c'est l'ensemble qui devient moins adéquat. Sans le caractère obligatoire du formulaire long du recensement, le Canada perdra sa place de chef de file international en ce qui concerne la qualité des données et de la recherche sur l'égalité des femmes.
Enfin, en tant qu'utilisatrice des données, je ferai valoir un dernier point concernant les préoccupations relatives au respect de la vie privée. Statistique Canada est également un leader mondial à ce chapitre et il est extrêmement difficile de se servir de ses données en violation de la confidentialité. Le ministère est extrêmement exigeant en ce qui concerne la protection de la vie privée, et les chercheurs le savent.
En conclusion, à l'instar de tous les autres témoins, je suis convaincue qu'il est très important, indépendamment de toute affiliation politique, de comprendre que toute décision stratégique fondée sur les sciences sociales exige des données fiables.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à cette réunion.
Je crois que si j'ai été invitée, c'est parce que j'ai accumulé au fil des années une certaine expérience des statistiques sexospécifiques en collaboration avec Statistique Canada et avec des organisations de femmes. J'ai notamment fait beaucoup de travaux sur le travail non rémunéré.
Je ne suis pas statisticienne; je suis une utilisatrice des statistiques. Je m'intéresse aux données, comme d'autres, dans la mesure où celles-ci peuvent appuyer les politiques d'intérêt public.
Je veux mettre l'accent sur la perspective historique. Mon approche sera un peu différente mais complémentaire de celles des autres. Je trouve qu'il est important de situer la discussion dans le contexte d'une vision plus générale et à plus long terme.
Un changement sociétal en profondeur n'arrive pas du jour au lendemain, pas plus qu'une plus grande égalité des femmes. À votre réunion de mardi, il a été fait mention des accords de l'ONU, par exemple. Ceux-ci sont élaborés au fil de nombreuses années, à mesure que de l'expérience et de nouvelles connaissances sont acquises dans différentes parties du monde.
Le travail non rémunéré n'était pas sur l'écran radar quand la Commission de la condition de la femme de l'ONU a été créée à la fin des années 1940. C'est le travail de nombreuses personnes, dans les gouvernements et la société civile, qui a attiré l'attention sur cette question, et l'élan est venu essentiellement du mouvement des femmes.
Pourquoi cela importe-t-il? Je voudrais en donner quatre raisons principales.
Premièrement, c'est important parce que ce qui est comptabilisé comme travail non rémunéré aux fins de la politique publique, et la raison pour laquelle c'est important n'est pas encore très bien compris par le grand public, et les tâches qui constituent la plus grande partie du travail des femmes sont encore trop souvent sentimentalisées ou dénigrées dans une société dominée par les hommes. C'est donc avec la plus grande prudence qu'il faut poser des questions à ce sujet. Je sais qu'on a pris le plus grand soin en élaborant l'Enquête sociale générale et les questions du recensement portant sur l'utilisation du temps et le travail non rémunéré. Je faisais partie des personnes consultées quand on a rédigé ces questions. Quand un dossier revêt une telle importance, il faut s'y attacher sur le long terme et il est probablement peu réaliste de s'attendre à une utilisation intensive de telles données à court terme.
On a dit que les gens utilisent ces données. C'est vrai, mais je pense qu'il est important de se pencher sur cette question des utilisateurs.
La deuxième raison pour laquelle cela est important est que, comme c'est trop souvent le cas, les utilisateurs réels ou potentiels qui ont le plus grand besoin de données et d'analyse ont souvent la plus grande difficulté à les utiliser. Dans le cas du travail non rémunéré, en particulier, les femmes qui travaillent trop, qui ont la plus grande difficulté à faire leur travail sous-évalué et mal rémunéré, élever leurs enfants, s'occuper d'un parent âgé, etc., ont besoin d'un soutien public. Ce ne sont pas elles qui seront capables de mener les recherches, et pourtant en l'absence de recherche et de données, il leur est difficile de convaincre les décideurs politiques de prêter attention à leurs problèmes. C'est une grande difficulté.
Dans le cadre de mon poste actuel, j'utilise les données du recensement sur le travail non rémunéré pour rédiger un nouveau rapport sur la pauvreté, mais j'ai découvert, même dans mon propre univers, que d'obtenir tous les détails que je voulais était au-delà de mes ressources. Je suis certaine que je ne suis pas la seule.
Voici la troisième observation. J'ai lu dans le compte rendu de mardi des propos tenus en français qui m'ont vraiment frappée et qui je crois n'ont pas le même impact en anglais, à savoir l'expression « travail invisible ». C'est la question de l'invisibilité qui, à mon avis, a un rapport étroit avec le recensement. On peut comprendre la valeur d'inscrire dans le recensement des questions sur le travail non rémunéré qui amènent bien des gens à réfléchir à la question, beaucoup plus qu'on ne pourrait le faire avec un échantillon d'une taille limitée.
On amène donc les gens à réfléchir à la question. Quand les gens s'arrêtent à y penser, ils se rendent compte de la grande quantité de travail qu'ils accomplissent. Peut-être en parlent-ils alors à d'autres qui n'ont pas eu le formulaire long du recensement, et cela nourrit les conversations. Cela a une valeur extraordinaire parce que ce travail devient visible, on pourrait dire légitime, et il acquiert ainsi une valeur.
La dernière raison pour laquelle je pense qu'il importe de considérer cela sur le long terme est qu'au cours des dernières années, surtout depuis la crise financière mondiale et les difficultés qu'on éprouve en voulant rétablir une certaine stabilité, de nouvelles voix se font entendre sur le travail non rémunéré. Cela revient à ce que Kathleen disait.
Joseph Stiglitz, par exemple, est l'ancien chef de la Banque mondiale. Il fait partie du nombre croissant d'économistes très influents, traditionnels, surtout des hommes, qui croient aux vertus du marché et qui commencent à changer leur fusil d'épaule. Ils commencent à prendre vivement conscience de l'importance du travail effectué en dehors du marché, ce que nous appelons le travail non rémunéré, et à mesure que le travail non rémunéré devient l'objet d'un débat public de plus en plus vaste et important, c'est même encore plus important pour le Canada d'avoir une information solide pour être bien placé pour agir dans ce dossier.
En terminant, j'allais faire encore quelques observations, mais je n'ai pas besoin d'insister sur la valeur du recensement relativement à tous les différents facteurs que l'on peut mettre en corrélation, les possibilités d'analyse presque infinies. Je voudrais toutefois vous dire seulement quelques mots au sujet des travaux auxquels j'ai participé.
Je suis mécontente de l'élimination du formulaire long du recensement. C'est un important point de départ pour faire des lois justes. Nous avons ouvert la fenêtre pour faire entrer la lumière dans le dossier des droits des femmes, et voici que nous la refermons.
[Français]
Dans les sociétés préhistoriques, l'homme et la femme partageaient les responsabilités: elle soignait les enfants et il chassait. Ils étaient interdépendants.
[Traduction]
Cependant, quand les hommes ont commencé à commercer avec de l'argent, ils ont cessé de compter ce qui se faisait à la maison. La personne qui fait la cuisine, le nettoyage et qui s'occupe des petits est devenue invisible. Selon le fisc, cette personne ne travaillait même pas.
Carol Lees, une femme au foyer de Saskatoon, a reçu de Statistique Canada un formulaire de recensement dans les années 1990. On y disait que si elle avait été femme au foyer toute sa vie, elle devait indiquer qu'elle n'avait jamais travaillé. Pour elle, cela prouvait qu'on était tombé bien bas.
L'État exigeait qu'elle nie sa propre valeur. Ses plaintes, la conférence qu'elle a organisée ont amené des groupes de femmes à s'unir d'un bout à l'autre du pays. Elle a été notre Rosa Parks. Son insistance pour que l'on compte le travail fait par les femmes à la maison a eu une résonnance. Cela a également montré que Statistique Canada et le gouvernement du Canada peuvent évoluer et peuvent finir par comprendre.
À Pékin, en 1997, le Canada a signé le programme d'action de l'ONU pour valoriser le travail non rémunéré. Pour la première fois, celui-ci était comptabilisé dans le formulaire long du recensement.
Maintenant, on referme cette fenêtre.
Quand j'ai entendu parler de l'enquête facultative, j'ai été consternée d'apprendre que la question sur le travail non rémunéré ne serait plus obligatoire. Imaginez ma surprise d'apprendre que la question ne serait même pas posée.
[Français]
Je suis professeur. Ce qu'on enseigne dans les écoles, c'est ce qu'on croit important.
[Traduction]
On enseigne les mathématiques et la lecture à l'école parce que nous croyons que c'est important. On pourrait en conclure que ce qui ne figure pas au programme d'études n'est pas important. Voilà ce qui cloche dans le recensement proposé.
D'enlever la question sur le travail non rémunéré, cela envoie le message que le travail non rémunéré effectué par les femmes n'a pas d'importance. Lundi, j'ai enseigné à des élèves de 11e année la réalité du génocide au Rwanda. La première étape consiste à s'en tenir aux faits. Je leur ai expliqué le contexte et nous avons regardé un film. Ils auront beaucoup d'opinions et seront passionnés par cette question, mais la tâche de l'école est de leur donner une base factuelle à partir de laquelle ils peuvent forger leurs opinions. La première étape, c'est d'obtenir les faits.
Statistique Canada s'occupe justement d'obtenir les faits. Nous en avons besoin comme pilier pour bâtir notre pont, le pont vers l'égalité.
Je suis arrivée à Ottawa hier en avion.
[Français]
Je n'ai pas demandé au pilote s'il était compétent. La loi protège déjà le public. Si je suis victime d'un accident de la route, j'aurai confiance que les services d'urgence vont être déployés.
[Traduction]
La question n'est donc pas de savoir si l'on doit jamais faire confiance à quelqu'un; la question est de savoir à qui vous faites confiance, quelles sont vos normes.
Nos lois protègent les enfants contre les prédateurs. Nous exigeons des vérifications de sécurité pour ceux qui s'occupent de nos enfants ou de notre argent. Nous faisons confiance à l'éthique des médecins et des ingénieurs. Et c'est la même chose pour le gouvernement.
Je ne dis pas à mon voisin combien d'argent je gagne, mais je vais le dire à Revenu Canada pour qu'il puisse me faire payer une somme raisonnable, même si cela me coûte un bras. Je ne dis pas à mon employeur éventuel combien d'enfants j'ai. Ce n'est pas de ses affaires. Mais je le dis à Statistique Canada pour que mon quartier soit doté d'écoles et de parcs. Je ne dirais pas à un étranger que je rencontre dans la rue comment je me rends au travail, mais je le dis à Statistique Canada pour que les routes ne soient pas congestionnées.
Le gouvernement a une mauvaise réputation; on dit qu'il fourre son nez partout. Nous craignons que s'il en sait trop sur nous, il nous fera du tort. Mais s'il en sait trop peu, il pourrait également nous nuire. Je suis en faveur d'un gouvernement restreint. Il devrait nous laisser vivre nos vies. Mais pour laisser les gens s'occuper d'eux-mêmes, il faut d'abord savoir dans quelle mesure ils le font. Il nous faut les données pour permettre aux gens d'exercer le libre choix.
En démocratie, ceux qui font les lois doivent savoir ce que nous voulons. Nous devons le leur dire. S'ils doivent le deviner, ils peuvent se tromper.
Je crois que l'on peut faire confiance à Statistique Canada. Depuis 1881, les employés de cet organisme prêtent un serment du secret. Les renseignements que nous leur donnons sont encodés et lus à la machine. Ces gens-là ne cherchent pas à se renseigner sur nous personnellement. Ils nous étudient seulement en groupe, pour déceler des tendances. Ils n'ont pas de programme; ils n'essaient pas de nous vendre quoi que ce soit. Ils sont neutres.
Nous pouvons craindre que ces renseignements ne donnent au gouvernement trop de pouvoir. Mais pour les femmes, l'information, c'est ce qui nous donne du pouvoir. Les faits vont faire ressortir clairement les difficultés que nous éprouvons.
[Français]
Est-ce que les femmes gagnent autant que les hommes? Sinon, pourquoi pas?
[Traduction]
Je pense que c'est à cause de notre rôle de dispensatrices de soins. Les femmes font-elles du travail rémunéré plus longtemps que les hommes? Retardent-elles leur retraite parce qu'elles ne peuvent pas se le permettre? Les femmes âgées sont-elles pauvres parce qu'elles vivent plus longtemps que les hommes? Il nous faut les faits.
Les femmes souffrent-elles de dépression plus que les hommes? Consultent-elles plus les médecins? Ont-elles plus de stress à cause du dilemme carrière-famille? Combien tout cela coûte-t-il à l'économie? Donnez-nous les faits.
Les enfants sont-ils plus nombreux à décrocher de l'école? Y a-t-il un lien entre la garde d'enfants non rémunérée et la réussite future des enfants? En quoi ce facteur influe-t-il sur leur santé, leur scolarité? Il nous faut les faits.
Les femmes font économiser des milliards à l'État en s'occupant des malades et des personnes âgées à l'extérieur de l'hôpital. Pour faire marcher nos ménages, nous sommes les plus grandes machines à dépenser en Amérique du Nord. C'est nous qui faisons rouler l'économie. Ce que nous faisons est-il comptabilisé? Il nous faut les faits.
À mes yeux, il ne s'agit pas d'être juste. Il ne s'agit pas d'être gentil pour les femmes, de leur donner une petite tape sur l'épaule en leur disant: Comme vous êtes mignonnes. Non, c'est une dette que nous avons envers les femmes. Les législateurs ont pris conscience que les tâches non rémunérées effectuées par les femmes représentent un tiers du PIB. Devrait-on balayer cette information et la rendre de nouveau invisible? Non. Nous avons besoin de cette question; elle doit demeurer. C'est une promesse que nous avons faite sur la scène internationale. C'est une dette que nous avons.
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Bonjour. Merci d'avoir invité la Fondation canadienne des femmes à témoigner devant votre comité sur la perte du formulaire long du recensement et ses répercussions sur la sécurité économique des femmes au Canada.
Je suis coprésidente de la Fondation canadienne des femmes. Je siège au conseil d'administration depuis huit ans. Dans ma vie professionnelle, je suis vice-présidente de Colliers International, agence immobilière commerciale offrant toute la gamme des services. Les questions qui touchent les femmes et les filles me passionnent. J'ai vécu personnellement et j'ai vu clairement dans mon travail l'impact que la capacité d'une femme de réaliser son indépendance financière peut avoir sur sa famille et sur sa communauté.
La Fondation canadienne des femmes a pour mission d'investir dans le pouvoir des femmes et les rêves des filles. Nous travaillons pour faire sortir les femmes à faible revenu de la pauvreté, pour mettre fin à la violence faite aux femmes et pour former des filles fortes et résilientes. Nous sommes la seule fondation publique nationale au Canada qui s'occupe exclusivement de transformer la vie des femmes et des filles afin que le monde soit meilleur pour tout le monde. Nous sommes l'une des 10 plus grandes fondations des femmes au monde.
Notre financement nous vient en totalité de dons de particuliers et d'entreprises qui croient en notre mandat d'améliorer la sécurité économique des femmes et des filles au Canada. Depuis 1991, nous avons amassé plus de 47 millions de dollar et financé plus de 1 000 organisations communautaires d'un bout à l'autre du Canada. Le travail que nous faisons a des conséquences positives partout au Canada. Quatre-vingt-huit pour cent des femmes qui étaient assistées sociales quand elles se sont inscrites à notre programme de développement économique ont réduit leur dépendance envers l'assistance sociale.
Je vais aborder trois questions ce matin. Premièrement, la perte de données fiables et précises tirées du formulaire long obligatoire du recensement nuira à nos efforts pour favoriser l'indépendance financière des femmes au Canada. Deuxièmement, le passage à une enquête facultative signifiera que la plupart des femmes et des filles économiquement défavorisées ne seront plus adéquatement comptabilisées. Troisièmement, les données tirées du formulaire long obligatoire du recensement appuient nos efforts pour amasser des fonds et éclairent notre stratégie d'investissement dans la collectivité.
Nous croyons que l'égalité des femmes est inextricablement liée à leur sécurité économique. Hillary Clinton a dit ceci à la quatrième Conférence mondiale sur les femmes des Nations Unies:
Si les femmes ont la chance de travailler et de gagner leur vie comme des partenaires à part entière et sur un pied d'égalité dans la société, leurs familles vont prospérer. Et quand les familles prospèrent, les communautés et les nations prospèrent aussi.
Quand les femmes jouissent de la sécurité financière, elles paient plus d'impôts, elles ont un plus grand pouvoir d'achat et elles aident à maintenir une économie solide. De plus, elles dépendent moins des services gouvernementaux. Elles sont en meilleure santé et leurs enfants sont en meilleure santé.
Nous savons, grâce au formulaire long du recensement, qu'en dépit des avancées sociales des femmes, certains groupes de femmes demeurent économiquement vulnérables. Nous savons que les groupes des minorités visibles ont des revenus sensiblement plus bas, même quand leurs membres sont nés au Canada, et cette différence ne peut pas s'expliquer par des différences sur le plan de l'âge, de la scolarité ou de tout autre facteur. Nous savons que les femmes qui immigrent au Canada aujourd'hui ne progressent pas économiquement comme les immigrantes l'ont fait dans le passé, en dépit de leur scolarisation plus poussée.
Nous savons que les femmes autochtones, surtout celles qui vivent dans les réserves, sont parmi les plus pauvres au Canada. Ce sont ces femmes avec qui nous travaillons, des femmes à faible revenu, et elles sont généralement immigrantes, membres de minorités visibles, handicapées, mères monoparentales, des femmes socialement marginalisées, des femmes qui ont subi des agressions, et des femmes autochtones. Ce sont justement ces femmes qui, nous le craignons, ne seront pas bien représentées dans une enquête facultative, quelle que soit sa nature.
Le site Web de Statistique Canada donne des exemples de la manière dont les enquêtes facultatives sous-estiment les groupes économiquement vulnérables. Voici une citation au sujet de l'Enquête sociale générale: « La non-représentation des ménages... est concentrée dans les groupes de population ayant une faible scolarité ou un bas revenu. »
À l'heure actuelle, Statistique Canada utilise les données tirées du formulaire long obligatoire du recensement pour aider à corriger cette sous-représentation dans les enquêtes facultatives et pour garantir que les échantillons choisis pour ces enquêtes soient bien représentatifs. En l'absence du formulaire long obligatoire comme référence, comment pouvons-nous nous assurer que les données tirées des services facultatifs représentent bien les groupes vulnérables? En l'absence de données fiables, comment pouvons-nous mesurer le progrès économique ou son absence? Comment pouvons-nous faire la preuve que toutes les femmes comptent quand toutes les femmes ne sont plus comptées?
Je vais vous donner un exemple précis. Nous avons utilisé les renseignements tirés du formulaire long obligatoire du recensement pour faire une étude de notre travail de développement économique. Nous faisons ce travail depuis 20 ans. Nous connaissons bien les secteurs. Nous savons quels problèmes s'y posent. Nous avons réuni un comité formé de 22 bénévoles, chacun ayant leurs propres préjugés. Nous avons fait rédiger un rapport sur les femmes dans le secteur des métiers et de la technologie.
La conclusion qui en est ressortie était très claire: les femmes étaient regroupées dans les métiers les plus mal payés. À partir de ce travail fondé sur des données, nous avons financé un nouveau volet des métiers et de la technologie. Nous y investissons plus de 1 million de dollars par année et nous avons choisi comme partenaire une grande entreprise qui était déjà engagée grâce aux recherches appuyant notre stratégie d'investissement.
Pour être une fondation efficace et responsable, nous devons fonder notre stratégie et nos décisions en matière d'investissement sur des données fiables et cohérentes. Toutes les données démontrent que les groupes qui sont économiquement vulnérables ont de fortes chances d'être sous-représentés dans les enquêtes facultatives. Ce sont les femmes que nous servons. En l'absence de données fiables et cohérentes, comment pouvons-nous mesurer leur progrès? S'il nous est impossible de comparer le passé et le présent, nous ne savons pas si les femmes ont atteint ou non l'indépendance financière, ou si elles progressent en ce sens. Nous ne savons pas ce que nous ne pouvons pas mesurer précisément. Aider les femmes à atteindre la sécurité économique, c'est notre mission. Nous savons que si les femmes n'ont pas la sécurité économique, le Canada ne peut pas réaliser son plein potentiel. Les entreprises et les particuliers qui appuient notre travail le savent également.
Notre travail est fondé sur des données fiables et cohérentes, des données qui saisissent la réalité de toutes les femmes, des données qui changent avec le temps, des données qu'on peut seulement obtenir avec un formulaire long obligatoire du recensement.
Merci.
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J'ai un ou deux commentaires à faire. Je conviens que l'objet des données n'est pas simplement la recherche, même si Statistique Canada touche de l'argent des gens qui se servent de ses données à des fins de recherche.
Pour ce qui est de la question concernant le travail non rémunéré, d'après ma propre expérience, il y a assurément des recherches universitaires à ce sujet. Ce type de recherche de premier niveau est extrêmement utile pour l'enseignement et pour l'éducation de la population en général. Pour ce qui est du créneau pointu de la recherche universitaire, il faudrait que je fasse mon propre examen des écrits pour répondre à cette question. Mais bien entendu, on ne m'a pas interrogée à ce sujet lorsqu'on a décidé de mettre la hache dans le recensement.
C'est plutôt frustrant, étant donné qu'il y a tellement d'autres questions dans le recensement. Combien de pièces compte votre maison? Quelqu'un a-t-il vérifié quel est le volume des recherches qui se fondent sur les réponses à cette question? Y a-t-il une raison de poser cette question?
En ce qui a trait au niveau de généralité de la question, il existe des problèmes similaires; les questions portant sur le travail non rémunéré sont très générales. Il existe des problèmes semblables, notamment de mémorisation, relativement aux questions du recensement sur le travail rémunéré. Il y a énormément de questions à ce sujet. Les gens doivent répondre au mieux de leur connaissance quant au type de travail qu'ils effectuent et comment ils répartissent leur temps, combien de temps il leur faut pour se rendre au travail, etc. Tous cela exige qu'on porte un jugement.
En ce qui a trait aux atouts de la question sur le travail non rémunéré, avec d'autres collègues, j'ai travaillé avec cette question, en conjonction avec la ventilation des tâches plus détaillée de l'Enquête sociale générale, et elles sont assez complémentaires...
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Merci, madame la présidente.
Je vais commencer mon intervention comme je l'ai fait lors de la dernière rencontre. À la Chambre des communes, on a adopté une motion qui se lit comme suit:
Que cette Chambre souligne l’importance du travail non rémunéré, dit « invisible », des parents et des aidants auprès des enfants et des proches en perte d’autonomie en créant la « Journée du travail invisible » [...]
M. Fellegi, qui était auparavant statisticien en chef de Statistique Canada, nous a parlé hier de l'importance du questionnaire long, comparativement à l'enquête que devrait mettre en oeuvre le gouvernement au pouvoir. Il a mentionné qu'en effet, le débat ne porterait plus sur les statistiques, mais sur la fiabilité des données.
Comment pourra-t-on analyser des données obtenues à partir d'un questionnaire auquel 20 000 ou 25 000 personnes auront répondu, compte tenu du fait que les données du dernier recensement ont été recueillies par l'entremise du questionnaire long qui a été rempli par plus de 2,9 millions de personnes?
Étant donné que vous êtes chercheurs et chercheuses, j'aimerais connaître votre opinion sur la fiabilité des données à venir relativement au travail non rémunéré, dit invisible. Vous avez raison: au moyen des données qu'on avait, on pouvait rendre ce travail visible.
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Merci, madame la présidente. Je remercie aussi tous nos témoins. J'apprécie votre contribution.
Madame Smith, j'ai une confession à faire. Au cours de toutes les années où j'ai rempli les formulaires du recensement... J'ai toujours travaillé. Depuis que je suis adulte, j'ai toujours travaillé. J'ai obtenu mon premier emploi à temps plein quand j'avais 18 ans, mais lorsque mes enfants étaient petits, je suis restée à la maison pendant une brève période et ensuite, je suis retournée à mon emploi rémunéré. Mais je n'ai jamais, au grand jamais considéré que lire à mes enfants était un travail non rémunéré. Par conséquent, j'imagine que j'ai faussé toutes les données que vous avez utilisées. Pour moi, faire la lecture à mes enfants était un privilège absolu et à mes yeux, en tant que mère, je considérais que je passais ainsi du temps de qualité avec eux. Par conséquent, je crains d'avoir faussé les données que vous avez utilisées pendant toutes ces années et il vous faudra peut-être revenir sur la question et réfléchir à la façon dont d'autres ont perçu cela car à mon sens, c'est une évaluation très subjective.
Je n'aurais jamais considéré que faire les courses pour ma famille était un travail non rémunéré. Encore là, il me semble que cela fausse les données car la façon dont les gens abordent ces questions est extrêmement subjective. J'ignore comment on peut contourner cela, à moins de commencer à ventiler en multiples composantes chaque question. Dans la même veine, mon mari n'aurait jamais considéré que tondre le gazon était un travail non rémunéré. C'est simplement une tâche domestique dont nous nous acquittons parce que nous possédons une maison et que nous voulons l'entretenir de façon optimale. Il ne lui serait jamais venu à l'idée d'inclure cette activité dans le travail non rémunéré. Par conséquent, je le répète, les données que vous avez utilisées toutes ces années ont été faussées parce que mes réponses ne s'inscrivaient pas adéquatement dans le cadre qui aurait été le vôtre.
Ce n'est pas vraiment une question, mais seulement un commentaire. Mais j'ai une question pour Mme Mowbray, si cela ne vous dérange pas.
Premièrement, je m'excuse de m'être éclipsée pendant quelques instants. Ma communauté est éprouvée par des licenciements massifs et il y a eu là-bas une grande assemblée pour tenter de régler la situation.
Je m'intéresse particulièrement au rapport entre la question 33 et le travail de défense des intérêts. Depuis deux ans, depuis mon élection — et aussi avant cela —, j'ai été indignée par les attaques contre les organismes de défense des droits des femmes.
Je m'intéresse surtout à la façon dont les faits concernant les femmes, et certainement les chiffres qui représentent les voix des femmes ont un rapport avec la défense de leurs intérêts dans des dossiers comme la garde d'enfants, les soins aux aînés, l'équité salariale, l'assurance-emploi ou autre.
Je signale aussi qu'à titre de députée à la Chambre des communes, où 21 p. 100 seulement des députés sont des femmes, il me semble plus urgent que jamais de s'assurer que les femmes sont dénombrées quelque part.
Je commencerais par demander à Kathleen Lahey, et aux autres qui auraient des réflexions à partager à ce sujet, de nous parler du rapport entre la question 33 et la défense des intérêts.
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L'information que nous obtenons grâce à la question 33 nous aider à expliquer pourquoi les femmes sont économiquement désavantagées. Elles font des choix, et que l'on veuille appeler cela du travail non rémunéré ou du travail altruiste, peu importe. Si je n'achetais pas d'aliments pour mon enfant, quelqu'un devrait en acheter. Si je ne le faisais pas, il faudrait que je paie quelqu'un pour le faire.
On peut s'embourber dans des questions de sémantique pendant des années et avoir des conversations intéressantes, mais au bout du compte, la garde d'enfants est la garde d'enfants, les soins aux aînés sont les soins aux aînés, et si je ne m'occupe pas de ma mère de 84 ans, je devrai payer quelqu'un pour le faire.
Je veux simplement apporter un argument. Je suis sensible à la passion, à l'engagement véritable et à l'intérêt des membres du comité, mais je n'entends pas beaucoup de discussions au sujet de ce qui me semble être l'enjeu fondamental qui explique pourquoi les gens sont indignés — et je pense que c'est le mot qui convient — au sujet de l'annulation du formulaire long à caractère obligatoire du recensement. C'est vraiment simple. Le recensement produit énormément de données et de travaux de recherche qui ne sont pas tous menés à l'instigation de notre organisation ou de groupes d'intérêts spéciaux. Il y a des exemples que l'on peut tirer d'autres pays, comme notre voisin du Sud. Ces données montrent que les enquêtes à participation volontaire, du fait qu'elles sont volontaires, se traduisent par une sous-représentation des groupes vulnérables.
C'est très simple. Jusqu'à maintenant, Statistique Canada s'est servi du formulaire long obligatoire du recensement pour corriger ce déséquilibre. C'est très facile à comprendre. Si l'on n'a pas de formulaire long obligatoire, il est impossible de corriger cela.
Les statistiques le montrent. À l'occasion du recensement mené aux États-Unis, 43 p. 100 des ménages blancs ont répondu, comparativement à 20 p. 100 des ménages noirs et 23 p. 100 des ménages hispaniques. Pour ce qui est des gens que l'on a rejoint au téléphone par la suite, dès qu'on leur disait que la participation était facultative, les réponses ont diminué de 17 p. 100.
Cela n'est pas attribuable aux groupes d'intérêts spéciaux. C'est un fait. Vous pouvez présenter la chose comme vous voulez, mais c'est là le problème fondamental. Nous n'aurons pas de données factuelles fidèles sur la population canadienne. Ce sont les gens qui ont le plus besoin d'aide qui ne seront pas comptés.
Plus longtemps nous serons privés d'un formulaire long obligatoire de recensement, plus il sera difficile de corriger ce biais et plus le déséquilibre s'accentuera. C'est simple.
Pouvons-nous recueillir l'information d'une autre façon? Assurément, nous le pouvons. Nous pouvons imiter la Finlande. Nous pouvons avoir une carte d'identité qui combine les dossiers de santé, les bulletins scolaires, les relevés de revenu, les relevés d'emploi, les infractions au code de la route, les vérifications de crédit et les casiers judiciaires. Tout pourrait être centralisé.
Voulez-vous que l'on parle d'intrusion dans la vie privée? Voulez-vous que l'on parle de l'harmonisation des gouvernements locaux, provinciaux et fédéral? Voulez-vous qu'on parle de coûts? Alors allons-y. C'est la solution de rechange, à moins que vous vouliez accepter que l'on ne sache pas quelle est la composition de notre population.
Je suis ici pour représenter la Fondation canadienne des femmes et surtout les femmes, au nombre de un sur sept au Canada, qui vivent dans la pauvreté. Mais l'enjeu est beaucoup plus vaste que les personnes membres des groupes que nous cinq ici présentes représentons.
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Je remercie tous les témoins d'être venus. Votre témoignage a été très fascinant et convaincant.
Je vais peut-être commencer par Mme Regehr.
Vous avez tenu des propos fort intéressants. J'ai lu la documentation, et j'espère ne pas me tromper. Vous avez mentionné avoir été consultée dans les années 1990 au sujet de la question 33. Je suis d'accord avec vous. J'espérais que la question serait beaucoup plus précise et détaillée au lieu d'être éliminée.
Cela dit, si l'on remonte en arrière et à votre argument, madame Lahey, quel est le problème de Statistique Canada au sujet de cette question particulière?
D'après la documentation, les historiens rapportent que le gouvernement fédéral avait annoncé à la conférence de Beijing son intention d'inclure la question sur le travail non rémunéré dans le recensement. Cette décision résultait d'une décision du Cabinet qui allait à l'encontre de l'avis de Statistique Canada. Dès le départ, Statistique Canada n'était pas chaud à l'idée de poser une telle question.
Madame Lahey, vous avez mentionné qu'il y avait des pressions en vue de retirer cette question, ce qui est plutôt étrange. Les gens de Statistique Canada semblent nous avoir présenté un témoignage plutôt trompeur concernant les utilisateurs des données obtenues grâce à cette question.
Vous étiez là au commencement, madame Regehr. Savez-vous pourquoi on s'opposait à Statistique Canada à l'idée même d'inclure cette question? En avez-vous une idée?
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Si je me rappelle bien, c'était l'une des questions qui se posait.
On a fait beaucoup d'essais durant la période d'élaboration du questionnaire. Pour revenir à la question qu'on a posée tout à l'heure, à savoir si les gens comprennent la question, on a fait beaucoup d'essais auprès de groupes témoins. Les responsables ont essayé de formuler les questions du mieux possible, pour que les gens qui ne sont pas habitués à envisager tout cela comme du travail comprennent bien de quoi il s'agit. Il faut enlever l'émotion et les motifs, mais s'assurer que l'on comprenne bien en quoi consiste le travail, pour que ce soit documenté.
Quant à Statistique Canada, je pense qu'il y avait des gens qui s'inquiétaient un peu de la fiabilité. Une fois qu'on a obtenu les résultats et qu'on les a comparés à l'Enquête sociale générale, ces craintes se sont révélées non fondées. Je pense qu'il y avait des préoccupations à cet égard.
Cependant, durant les préparatifs de Beijing, étant donné l'importance pour l'égalité entre les sexes de disposer de ce type de renseignement, du besoin sociétal de commencer quelque part et de comprendre la problématique et d'avoir de bonnes données — ce sont des conjectures que je fais —, telles étaient probablement les questions primordiales.
J'ignore ce qui s'est passé au cabinet, mais telle était la teneur des discussions à l'époque.
C'est une question intéressante et la réponse a été donnée tout à l'heure. Il faut vraiment plus qu'une source d'information pour comprendre vraiment tout cela. Je suis une personne très visuelle et cela me rappelle ce que l'on a fait en Australie la première fois qu'on s'est penché sur le travail non rémunéré et l'utilisation du temps. L'un des aspects vraiment intéressants de l'Enquête sociale générale est qu'elle permet vraiment de dégager des tendances très précises montrant des différences entre les hommes et les femmes quant à l'utilisation du temps.
Ce tableau pour l'Australie illustre le fait que les hommes consacrent de grands blocs de temps à leurs tâches. Vous passez une longue fin de semaine à faire des réparations à la maison, et c'est terminé. Ensuite, vous passez les cinq jours suivants au travail. Pour les femmes, la tendance ressemble plutôt à cette mosaïque colorée et éparpillée. Vous consacrez quelques minutes à ceci et quelques minutes à cela; vous faites plusieurs choses à la fois. C'est fascinant à savoir, mais le nombre d'heures compte vraiment aussi. Les renseignements qu'on obtient dans le recensement sont complémentaires, ce qui nous donne à la fois une idée du nombre d'heures et de la répartition des tâches.
Dans l'étude à laquelle je travaille actuellement, j'ai trouvé fascinant qu'il y a des femmes qui devraient être à la retraite mais qui semblent garder des enfants à plein temps, durant de longues heures. Je sais aussi grâce au recensement que la structure familiale chez les immigrants au Canada est très différente, surtout parmi les immigrants pauvres. C'est très différent de la moyenne canadienne. En combinant tout cela, on a donc un portrait juste de cette population.
Peut-être y a-t-il des femmes âgées qui sont venues au Canada récemment et qui ne sont pas admissibles à la pension de vieillesse et qui ont donc besoin de ce travail de gardiennes d'enfants. Peut-être qu'elles aident leurs enfants, qui sont très stressés à cause de l'absence de services de garde et qui s'efforcent de répondre à toutes les exigences, de sorte que les grands-parents assument cette tâche. On obtient une information tellement riche quand on combine ces différentes sources.
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Exactement, et ça ne devrait pas être le cas puisqu'au Québec, entre autres, les femmes représentent 52 p. 100 de la population.
Vous parlez du travail non rémunéré, mais il y a aussi toute la question des femmes à la tête d'une famille monoparentale et la question des femmes qui, à travail de même valeur, n'ont pas le même salaire. Ça touche un nombre énorme de questions. Si on retire la question 33, je pense que cela fera beaucoup de dommage.
J'ai deux questions, qui sont pour moi très importantes. Êtes-vous intervenue auprès du gouvernement, ailleurs que devant ce comité, pour que la question 33, entre autres, demeure dans le formulaire de recensement long?
Vous, mesdames, avez-vous réagi ailleurs, par l'intermédiaire de vos groupes ou associations, ou peu importe?
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La question 33 n'a jamais été conçue pour couvrir tous les aspects du travail non rémunéré. Le travail non rémunéré représente sans doute environ la moitié de toutes les heures travaillées au Canada. Mais contrairement au travail rémunéré, qui est traité en 12 questions réparties sur un grand nombre de pages dans chaque recensement, le travail non rémunéré a été limité à une seule question. Elle a donc été formulée à titre de question symbolique qui aborde les trois plus importantes activités non rémunérées auxquelles les gens participent.
C'est une formulation très ouverte, et je tiens à souligner qu'on ne pose pas de question au sujet du travail non rémunéré; on parle d'activités non rémunérées. Voilà pourquoi les données du recensement sont véritablement le point de départ car elles touchent toutes les régions du Canada, toutes les collectivités, toutes les catégories de revenu et tous les groupes culturels et linguistiques. Personne n'est laissé à l'écart.
À titre de comparaison rapide entre les deux échantillons, entre l'ESG et la question 33, j'ai découvert qu'à l'occasion de la dernière collecte de données du recensement, 40,9 p. 100 de toutes les femmes qui ont répondu au questionnaire — et il y a eu 25,5 millions de réponses au recensement — ont fait état d'activités non rémunérées en rapport avec les enfants.
L'ESG pour l'année précédente, pour 2005, qui englobait un échantillonnage de 19 500 personnes seulement dans l'ensemble du pays, ou 2 000 par province, a été en mesure de trouver dans son échantillon 20 p. 100 seulement de toutes les femmes participantes qui ont rapporté assumer des tâches liées aux soins des enfants. Par conséquent, l'ESG comporte des limites importantes au plan des données.
Le recensement est absolument crucial en ce qui a trait à la question 33, en dépit du fait qu'on pourrait l'améliorer énormément.
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Formidable. J'ai deux questions.
Ma première question s'adresse à Mme Regehr. Ma mère, qui a consacré de nombreuses heures de travail non rémunéré à nous élever, mon frère et moi, faisait partie du comité d'action nationale qui a lutté pour que ce point soit pris en compte dans le recensement.
Bien des années plus tard, je m'interroge: en supprimant non pas seulement cette question, mais aussi en éliminant le caractère obligatoire du formulaire de recensement, sommes-nous en train de reculer?
De plus, comment le Canada se compare-t-il avec d'autres pays en matière de collecte de données et des travaux que permettent les données obtenues?
Je vais m'en tenir à ces questions, et une fois que vous y aurez répondu, madame Regehr, j'aimerais poser une autre question à Mme Mowbray. J'aimerais qu'elle nous parle plus en détail de certains chiffres qui m'apparaissent plutôt choquants au sujet du niveau de réponse des différents groupes lorsque le recensement n'est pas obligatoire.
Je me demande si nous pourrions peut-être envisager ce modèle au Canada. Je représente une région qui compte un très grand nombre de Premières nations et de Métis et d'autres groupes diversifiés. Si nous pouvons faire des prévisions quant au niveau de réponse dans notre pays, qu'est-ce que cela signifie au plan de la représentation de ces groupes et des femmes au sein de ces groupes?
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Je veux simplement apporter une précision car je crois m'être trompée dans mes chiffres, et je sais que cela figurera au compte rendu.
C'était aux États-Unis, en 2002. On a fait un essai pour voir ce qui se passerait si l'on optait pour une enquête volontaire sur la collectivité américaine. On a constaté que 43 p. 100 des ménages blancs ont répondu, par rapport à 20 p. 100 des ménages hispaniques et 22 p. 100 des ménages noirs. Il existe d'autres données démontrant que c'est exactement ce qui se passe.
Ce serait formidable de savoir pourquoi. Je ne prétends pas savoir pourquoi, mais nous savons que cela arrive. D'après Statistique Canada, l'échantillonnage n'était pas susceptible de produire des données fidèles pour les petites populations. Par conséquent, plus la population est petite au sein de la grande population, moins il est probable qu'elle donne l'heure juste.
Et lorsque Statistique Canada a fait un essai pour voir quel portrait du Canada on obtiendrait, on a constaté la même chose. À la suite d'une simulation, on a constaté que dans la population de Toronto, les Noirs étaient sous-représentés de 13,2 p. 100, les Chinois étaient sur-représentés de 17,6 p. 100 et les Indiens inscrits étaient sous-représentés de 11,7 p. 100. On parle de l'année dernière environ. Il ne s'agit pas de données vieilles de 10 ou 20 ans. Et assez curieusement — je n'ai aucune idée pourquoi —, les travailleurs de la construction étaient sur-représentés de 9,4 p. 100, et les bureaucrates dans la plupart des grandes villes étaient massivement sur-représentés. On obtient donc des résultats complètement faussés, non seulement par origine ethnique ou par classe économique, mais par emploi. Nous savons que c'est ce qui se produit, et cela se produira avec une enquête facultative.
Par conséquent, à mes yeux, l'enjeu fondamental est l'aspect facultatif par rapport à obligatoire. On peut peaufiner les questions. C'est une autre affaire. L'essentiel est de savoir si l'on optera pour une version facultative ou obligatoire. À l'heure actuelle, on se sert du formulaire obligatoire de recensement pour corriger ce genre de chose. Ainsi, lorsqu'on reçoit les résultats et qu'on constate que les Noirs sont sous-représentés de 13 p. 100, on peut apporter des ajustements et faire une pondération. C'est impossible si on n'a pas cela.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais me lancer dans une nouvelle avenue au cours de notre conversation d'aujourd'hui et aborder un aspect laissé de côté jusqu'ici.
Lorsque la décision a été prise de passer d'un formulaire à participation obligatoire à facultative, j'ai certainement reçu une quantité d'appels téléphoniques à mon bureau et je ne parle pas d'une quantité minime. Chose certaine, j'ai entendu des opinions pour et contre, mais certains de mes interlocuteurs voulaient exprimer leurs remerciements. Et les histoires qu'ils avaient à raconter, qu'il s'agisse de mères célibataires ou de vieillards... Dans de nombreux cas, ils étaient passablement effrayés. Ils avaient été choisis pour répondre au formulaire long du recensement. On venait frapper à leur porte à 20 heures le soir ou le matin lorsqu'ils préparaient leurs enfants pour l'école, et ils se sentaient très menacés par le processus.
J'ai toujours pensé que la carotte était préférable au bâton, certainement dans le contexte de la conversation entourant le recensement et j'ai toujours été convaincue de l'importance de l'Enquête générale sur les ménages. Mais ne serait-il pas préférable de consacrer notre énergie et nos efforts...? Les gens qui sont embauchés pour recueillir les données frappent aux portes en disant qu'il y a une amende de 500 $. Non, nous n'avons jamais imposé d'amende à qui que ce soit. Nous n'avons jamais envoyé quiconque en prison, mais ces possibilités ont été expliquées très clairement aux gens. La carotte plutôt que le bâton... Nous n'obtiendrons pas le soutien de la population si nous allons de l'avant car il y a des employés qui sont déterminés à obtenir ces résultats. Je ne pense pas que l'on puisse complètement faire abstraction des personnes qui sont de cet avis, pas plus que de l'expérience très traumatisante qu'ils ont vécue.
En sommes, nous avons besoin d'une carotte plutôt que d'un bâton.
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Le ministère de la Justice a tenté d'obtenir que Statistique Canada fasse exactement cela. L'Enquête sociale générale n'est pas menée dans les territoires précisément pour les raisons qu'on a invoquées. Les gens sont trop isolés, trop vulnérables et ont un taux de réponse tout simplement trop bas dans toute enquête qui est volontaire.
Ainsi, des projets pilotes spéciaux ont été menés par Statistique Canada non pas une fois, mais plusieurs fois, dans une tentative pour trouver une manière quelconque d'amener les habitants des territoires à répondre en nombre suffisant pour que les données de l'ESG soient valides. On n'y est pas parvenu.
Le ministère de la Justice, qui tenait à afficher une hausse du taux de criminalité dans ces régions, a décidé d'aller de l'avant et de publier les données, assorties d'avertissement en grosses lettres disant que ce n'était pas des données valides, mais que c'était les seules données disponibles.
Vous pouvez consulter la page Web de Justice Canada et y lire tous les efforts qu'ils ont fait pour essayer de faire exactement ce que vous décrivez.
Statistiquement, cela ne fonctionne pas et, à moins que nous voulions retourner en arrière, en quelque sorte à l'époque antérieure à la gouvernance, nous avons malheureusement besoin d'un recensement obligatoire au Canada.
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J'ai une petite question.
[Français]
Je vais formuler ma question en français, donc dans ma langue.
J'ai en main le questionnaire de 2006. Je suis de celles qui sont récalcitrantes à l'égard de certaines questions, notamment la question 33, qui se lit comme suit:
La semaine dernière, combien d’heures cette personne a-t-elle consacrées aux activités suivantes : a) aux travaux ménagers, à l’entretien de la maison ou du jardin pour les membres du ménage ou pour d’autres personnes, sans paye ou sans salaire? Par exemple, préparer les repas, laver l’auto, faire la lessive, tondre le gazon, faire des courses, faire la comptabilité, etc.
Est-ce une question obligatoire? Suis-je obligée, en tant que femme, de dire combien de temps j'ai passé à enlever les mauvaises herbes de mon jardin? À mon avis, il y a une différence entre un travail non rémunéré et un passe-temps. Pour moi, s'occuper du jardin est un passe-temps. Je n'ai pas à être rémunérée parce que je prends plaisir à travailler dans mon jardin.
Si certaines questions sont facultatives, j'y réponds avec plaisir, mais si elles sont obligatoires, c'est une autre histoire. Enlever les mauvaises herbes du jardin, c'est personnel. C'est un plaisir personnel.
Pouvez-vous répondre à cela, s'il vous plaît?