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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 014 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 28 avril 2010

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bonjour.
    Je tiens à remercier les témoins d'être parmi nous aujourd'hui.
    Comme vous le savez, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la violence contre les femmes autochtones. Nous examinons les causes, l'étendue et la nature de cette violence contre elles, tant dans les réserves qu'à l'extérieur. En consultation avec les femmes autochtones, nous essayons de formuler des recommandations et de trouver des solutions pour nous attaquer au problème.
    Aujourd'hui, nous accueillons trois témoins: Michelle Mann, avocate et consultante, qui comparaît à titre personnel, Irene Compton, gestionnaire du Programme culturel du Minwaashin Lodge, et Conrad Saulis, directeur de la politique, à l'Association nationale des centres d'amitié.
    La règle habituelle veut que chacun de vous, étant donné que vous représentez des organisations différentes, ait 10 minutes pour faire un exposé. Je vous ferai signe deux minutes avant la fin pour que vous puissiez conclure. Puis, nous passerons aux questions et réponses. Le moment venu, je vous expliquerai un peu différemment comment les choses se passent.
    Ce sera d'abord Mme Mann.
    Comme on l'a dit, je suis avocate. J'ai été appelée au Barreau de l'Ontario en 1996. J'ai exercé le droit autochtone au ministère fédéral de la Justice et à la Commission des revendications des Indiens du Canada. Depuis 2002, je suis consultante et j'écris sur des questions de droit et de politique intéressant les Autochtones. J'ai rédigé de nombreux rapports, articles et chapitres de livres portant sur les questions autochtones.
    Aujourd'hui, je vais aborder un sujet dont j'ai parlé dans un document publié l'automne dernier, soit la réforme des lois sur la prostitution sous l'angle de ses effets sur les femmes et jeunes filles autochtones. La prémisse du document: malgré l'énorme surreprésentation des femmes autochtones parmi les travailleuses du sexe dans les rues et parmi les personnes tuées et disparues, les débats sur la réforme des lois sur la prostitution mettent rarement l'accent sur les moyens d'atténuer leur exploitation sexuelle et leur vulnérabilité à la violence courante qui va de pair avec cette exploitation.
    Les réformes des lois sur la prostitution doivent tenir compte de la situation des plus surreprésentées et des plus vulnérables des travailleuses du sexe: les femmes autochtones.
    Vous avez certainement déjà entendu beaucoup de choses sur l'inégalité des femmes autochtones dans la société canadienne et la façon dont elle avive la vulnérabilité à l'exploitation et à la violence. La discrimination raciale et sexuelle, alliée à la pauvreté, à un mauvais état de santé, à la participation au commerce du sexe et d'autres facteurs aggrave le problème d'inégalité.
    Toutes les travailleuses du sexe sont extrêmement vulnérables, mais celles qui font de la sollicitation dans les rues le sont encore plus. Selon une étude réalisée à Vancouver, un tiers des femmes disent avoir été agressées pendant qu'elles travaillaient dans la rue.
    La discrimination et l'inégalité des femmes autochtones dans la société contribuent aussi à les faire percevoir comme des proies faciles pour la violence et l'exploitation.
    La marginalisation sociale et économique, conjuguée à la toxicomanie et à d’autres facteurs, a fait en sorte que les femmes autochtones sont considérablement surreprésentées parmi les travailleuses du sexe. À Winnipeg, 70 p. 100 des jeunes exploités sexuellement et 50 p. 100 des travailleuses du sexe adultes sont d'origine autochtone dans une ville où les Autochtones représentent environ 10 p. 100 de la population. À Vancouver, la proportion des jeunes et adultes autochtones des deux sexes exploités sexuellement peut atteindre 40 p. 100. Et au moins le tiers des femmes disparues dans le Downtown East Side de Vancouver sont autochtones.
    Le risque accru de violence, pour toutes les travailleuses du sexe dans les rues, est souvent particulièrement grave pour les femmes autochtones, qui sont plus susceptibles de vivre dans une pauvreté extrême et d'être toxicomanes. Généralement, les travailleuses du sexe dans les rues se livrent à cette activité pour survivre et sont souvent toxicomanes et malades, et on ne veut probablement pas d'elles là où la prostitution se pratique à l'intérieur. Elles peuvent souffrir de maladies mentales ou des troubles causés par l'alcoolisation foetale, et être peu instruites.
    La colonisation, les pensionnats, l'effondrement général des collectivités, la marginalisation sociale et économique, et une tradition de politiques gouvernementales colonialistes — ce dont vous avez sûrement entendu parler — sont autant de facteurs qui contribuent à la surreprésentation des Autochtones parmi les travailleuses du sexe. Ce fait est inextricablement lié à la nature systémique et à l'omniprésence de l’inégalité des femmes autochtones dans la société canadienne.
    Passons aux questions juridiques. Juridiquement, la prostitution est légale au Canada, mais certaines interdictions prévues dans le Code criminel dressent des barrières. La communication avec le client, la tenue d'une maison de débauche, l'incitation et le fait de vivre des produits de la prostitution sont illégaux. Résultat: la travailleuse du sexe, le proxénète et le client sont tous criminalisés. Toutefois, la loi n'a pas été appliquée de façon uniforme au Canada. Les prostituées de luxe qui ne sont pas dans les rues travaillent à peu près impunément, alors que les plus vulnérables et les plus marginalisées, celles des rues, qui sont souvent autochtones, sont couramment arrêtées. La prostitution des rues ne représente que de 5 à 20 p. 100 du commerce du sexe, mais elle est à l'origine de plus de 90 p. 100 des incidents liés à la prostitution signalés par la police.
    Alors que les femmes autochtones sont particulièrement vulnérables, la police canadienne a souvent omis de leur assurer une protection suffisante. La police est perçue comme indifférente et passive, lorsqu'il s'agit de la disparition de travailleuses du sexe et de femmes autochtones. Un gros obstacle à l'amélioration des relations entre la police et les travailleuses du sexe est la criminalisation constante de ces travailleuses, qui peuvent hésiter à faire appel à la police ou aux services sociaux parce qu'elles se livrent à une activité criminelle.
    La dépénalisation et la légalisation sont généralement présentées comme un moyen d'assurer une plus grande sécurité aux travailleuses du sexe, car les prostituées pourraient travailler à l'intérieur, dans un milieu protégé. Elles auraient aussi un meilleur accès à la police et aux services sociaux et de santé. Toutefois, les pays qui ont dépénalisé et légalisé la prostitution, comme la Nouvelle-Zélande, l'Australie, l'Allemagne et les Pays-Bas, ont vu augmenter le trafic de personnes.
    Au Canada, le Code criminel et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comportent des dispositions sur le trafic des êtres humains, mais on commence à peine à remarquer le problème du trafic des femmes et des jeunes filles autochtones à l'intérieur du Canada. Peu importe l'approche retenue, certaines travailleuses du sexe, surtout les plus défavorisées, resteront dans les rues. Voilà pourquoi l'exemple de la Nouvelle-Zélande est très intéressant. En 2003, ce pays a dépénalisé la prostitution chez les adultes. En 2007, le Prostitution Law Review Committee a étudié les effets de la dépénalisation de 2003, et il a conclu qu'il y avait parmi les prostituées des rues un nombre disproportionné d'aborigènes pauvres. Les travailleuses des rues étaient plus susceptibles que celles qui travaillent à l'intérieur ou dans des services privés de déclarer avoir été agressées physiquement ou menacées par un client, retenues contre leur gré ou violées au cours des 12 mois précédant l'étude. C'était après la dépénalisation.
    Il a été constaté que le dixième des travailleuses du sexe étaient dans la rue, proportion semblable à celle d'avant la dépénalisation. Dans l'échantillon étudié, la moitié des femmes étaient des Néo-Zélandaises d'origine européenne et le tiers des Maories. L'évaluation que le gouvernement a faite en 2007 révèle que 64 p. 100 des prostituées des rues étaient de l'ethnie maorie, alors qu'elles ne représentaient que 31 p. 100 des femmes engagées dans le commerce du sexe. Elle signale qu'elles sont toujours vulnérables à la violence et hésitent à faire appel à la police.
    Les résultats préliminaires de 2007 montrent donc que la loi dépénalisant la prostitution a profité surtout à celles qui travaillent à l'intérieur et dans un cadre privé, où prédominent les Néo-Zélandaises d'origine européenne. Il est important de tenir compte de ces résultats dans la réforme des lois canadiennes sur la prostitution.
    Toutes les femmes ne pourront pas offrir leurs services à l'intérieur. Même s'il y a légalisation ou dépénalisation, il y aura des prostituées dans les rues. Vu les statistiques actuelles, nous avons toute raison de croire que les femmes autochtones seront largement surreprésentées dans ce groupe, comme le sont les femmes maories.
    Faisons une comparaison avec la Suède, premier pays à criminaliser, en 1999, seulement les proxénètes et les acheteurs de services sexuels et non les travailleuses du sexe. Officiellement, la prostitution est perçue comme une agression sexuelle et un acte de violence contre les femmes. Cette dépénalisation, pour les prostituées, favorise la réalisation d'un objectif: faciliter la déclaration des rendez-vous dangereux et des agressions à la police, à supposer qu'il y ait une police pour intervenir et qu'on établisse de meilleures relations entre elle et les travailleuses du sexe. En Suède, des femmes qui vendent toujours des services sexuels ont dit qu'elles se sentaient plus à l'aise pour déclarer les crimes à la police.
    Je conclus. Les statistiques montrent que les lois canadiennes sur la prostitution et leur application peuvent favoriser l'apparition d'une sous-classe de travailleuses du sexe en danger et criminalisées, et elles sont trop souvent autochtones. La loi seule ne peut apporter une solution, mais il est souvent arrivé, dans le discours sur la réforme des lois sur la prostitution au Canada, qu'on oublie de se demander qui profitera de la dépénalisation de ce commerce et qui risque d'être laissé pour compte.
    La dépénalisation de la prostituée serait visiblement à l'avantage de toutes les travailleuses du sexe et surtout des plus vulnérables: celles des rues, qui ont le plus besoin des services policiers et sont le plus souvent condamnées. En fin de compte, il faut se demander quelles réformes de la législation serviront et protégeront le mieux les plus défavorisées dans un groupe déjà marginalisé.
    Quant aux recommandations précises, je préconiserais clairement la dépénalisation pour la prostituée ou la travailleuse du sexe; une plus grande insistance, dans les discussions au sujet de la réforme, sur les femmes autochtones dans le commerce du sexe; et, bien que je n'en aie pas beaucoup parlé, la sensibilisation des policiers aux différences raciales et culturelles.
(1535)
    Merci beaucoup, madame Mann.
    Nous entendrons maintenant Irene Compton, gestionnaire du Programme culturel, au Minwaashin Lodge. Elle aura 10 minutes.
    Merci de m'avoir invitée à vous parler aujourd'hui. C'est un honneur de représenter les femmes et les enfants autochtones dont s'occupe le Minwaashin Lodge et de donner une voix à d'innombrables femmes des premières nations, métisses et inuites qui vivent la réalité de la violence dans notre collectivité.
    Je vais profiter du temps qui m'est accordé pour parler des causes et de la prévalence de la violence ainsi que des solutions, comme il est dit dans votre mandat, en insistant sur les solutions qu'on peut trouver avec la collaboration des femmes autochtones.
    Le problème de la violence faite aux femmes au Canada a été signalé pour la première fois en 1993, année où Statistique Canada a fait sa première enquête spécialement consacrée à ce problème. On a appris à comprendre qu'il s'agit d'un problème complexe à aborder dans le contexte de la réalité de la femme. Dans le cas de la violence contre les femmes autochtones, cette réalité a de profondes racines qui traversent le temps.
    L'Association des femmes autochtones du Canada a rédigé un document de fond, Violence Against Aboriginal Women and Girls, répond clairement aux questions que pose le comité. Le premier paragraphe dit: « La violence systémique contre les femmes et les jeunes filles autochtones, leurs collectivités et leurs nations repose sur le colonialisme... » Le document décrit l'impact de la Loi sur les Indiens sur les femmes et jeunes filles autochtones. La colonisation et la tentative d'assimilation par la Loi sur les Indiens et le réseau des pensionnats ont déchiré des familles, des collectivités et des nations.
    Les séquelles de ce passé ont été et demeurent catastrophiques pour tous les Autochtones. C'est pourquoi la violence contre les femmes autochtones est si répandue.
    Je voudrais me présenter. Je m'appelle Irene, j'appartiens à la première nation Saulteaux et à la bande de Keeseekoose, en Saskatchewan. Je fais partie du clan de l'ours. Je suis également une survivante des problèmes intergénérationnels causés par les pensionnats. Ma mère est allée au pensionnat de 1926 à 1942. Si elle avait vécu plus longtemps, elle aurait aujourd'hui 89 ans. Elle a eu neuf enfants. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que deux. Ma plus jeune soeur s'est suicidée à 20 ans, en 1979. Récemment, deux de mes soeurs sont mortes prématurément, victimes de l'alcoolisme et de la maladie mentale. Une autre soeur a été tuée sur la route Yellow Quill, en Saskatchewan, en 1968. À combien de malheurs une famille peut-elle résister?
    La plupart de mes frères et soeurs ont souffert d'alcoolisme et de dépression. Mon frère et moi sommes les deux derniers survivants de la famille. Si nous sommes toujours là et en bonne santé, c'est parce que nous avons eu la chance de suivre notre parcours de guérison. Pendant des années, je n'ai pas dit un mot de mon passé. C'était trop pénible. Il était plus facile de nier que j'aie eu des problèmes. Du reste, il n'y avait aucun endroit sûr où je pouvais raconter mon passé et obtenir l'aide dont j'avais besoin.
    J'ai porté cette douleur jusqu'à ce que le créateur m'amène à Ottawa et que je sois appelée à être cofondatrice de l'Aboriginal Women's Support Centre, en 1993. C'est en travaillant au Minwaashin Lodge que j'ai trouvé mon identité et ma raison d'être, le courage de guérir et la capacité de faire à mon tour quelque chose pour les autres. Tout ce que je peux dire, c'est que ce fut un parcours de croissance personnelle et professionnelle.
    Venons-en rapidement à aujourd'hui. Il a fallu 40 ans pour que le gouvernement commence à aider des organisations comme le Minwaashin Lodge. J'espère voir de mon vivant une nette diminution du nombre de traumatismes intergénérationnels non résolus chez les femmes autochtones.
    Mon histoire ressemble beaucoup à celles que racontent les femmes qui viennent recevoir les services du Minwaashin Lodge. La plupart d'entre elles sont des survivantes des traumatismes intergénérationnels attribuables aux pensionnats. Certaines ne connaissent ni leur identité ni leur culture parce que la honte a pesé sur des générations et que leur mère ont décidé de ne pas leur apprendre leur langue ni leurs coutumes. Aujourd'hui, elles sont nombreuses à récupérer leur patrimoine et leur culture grâce au Programme culturel du Minwaashin Lodge.
    Beaucoup de femmes que nous accueillons souffrent des effets de la toxicomanie, de la pauvreté, des traumatismes non résolus, de problèmes de santé mentale non traités et d'un manque d'estime de soi. Le Minwaashin Lodge offre des programmes et services qui aident les femmes et leurs familles à se faire une vie libre de la violence.
    Nous sommes actifs à Ottawa depuis 17 ans. Nous avons vu beaucoup de femmes suivre un parcours de guérison, faire de modestes progrès avec courage et acquérir la confiance voulue pour que de bonnes choses se produisent dans leur vie. Nous avons une équipe de conseillers psychologiques qui aide beaucoup de femmes à gérer leurs traumatismes non résolus. Nous comptons aussi dans notre personnel une grand-mère pour aider les femmes en leur donnant le soutien de la tradition et en leur proposant des cérémonies de guérison.
(1540)
    En plus des femmes, nous aidons aussi leurs enfants et des adolescents. Nous avons un refuge qui a mis dix ans à obtenir un financement durable. À Ottawa, c'est le seul refuge pour femmes violentées qui est au service des femmes des premières nations, inuites et métisses. De plus en plus de femmes apprennent à survivre et à s'épanouir. Elles s'en tirent bien. Nous leur apprenons également à préconiser la prévention de la violence et l'éducation à ce sujet dans les foyers, à l'école, dans les collectivités et en milieu de travail. Beaucoup d'entre elles prêchent publiquement pour le changement, s'expriment et sont entendues. Il y a cependant beaucoup de chemin à faire encore, car il y a toujours beaucoup de femmes qui souffrent des impacts de la violence; et les hommes, plus particulièrement, tardent à s'engager dans la voie de leur propre guérison.
    L'un des meilleurs moyens d'autonomiser les femmes est de les amener à guérir et à trouver leur identité culturelle, puis à suivre une formation et à s'instruire. Beaucoup sont le seul soutien de leur famille et ont besoin de moyens de subsistance durables.
    Des organisations autochtones dirigées par des Autochtones peuvent et doivent offrir des solutions réelles et durables au problème de la violence contre les femmes. Notre organisation n'est peut-être qu'un petit élément de l'ensemble, mais je peux vous dire que ce que nous faisons donne des résultats. C'est parce que tout notre travail repose sur une compréhension historique des impacts de la colonisation, de la Loi sur les Indiens et des pensionnats. Nous comprenons les femmes qui demandent notre aide. Nous avons vécu les mêmes expériences, elles nous connaissent et elles nous font confiance. Ces femmes ont internalisé la honte à l'égard de leur identité et de leur culture, ce qui les a jetées dans une vie marquée par la violence, la toxicomanie et la maladie mentale. Elles ont été perdues, coupées de leur esprit, de leur culture, de leur langue, de leur famille, de leur milieu.
    Lorsque les femmes autochtones cherchent du soutien et veulent savoir qui elles sont, elles méritent d'être accueillies par des femmes comme elles, qui ont vécu la même réalité et savent comprendre. Il est inacceptable d'envoyer une femme par avion dans une ville loin de chez elle, dans un service gouvernemental bureaucratique qui lui est étranger. On ne peut pas juste leur dire qu'on est désolé. Chaque femme mérite d'être accueillie chez elle et, comme je l'ai déjà dit, j'espère que les femmes autochtones pourront avoir une chance dans la vie. Elles ont besoin d'être respectées, aimées et valorisées dans la société d'aujourd'hui.
    Nous pouvons commencer dans la capitale nationale. Je remercie Condition féminine Canada d'avoir été un chef de file dans la marche vers l'égalité et la justice pour les femmes de la base et leur famille. Je dis meegwetch, et merci de m'avoir écoutée.
(1545)
    Meegwetch.
    Ce sera maintenant le troisième témoin, qui représente l'Association nationale des centres d'amitié, Conrad Saulis. Dix minutes, s'il vous plaît.
    Monsieur Saulis.
    Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de la condition féminine, woliwon. Merci de l'occasion qui m'est donnée de présenter un exposé au nom de l'Association nationale des centres d'amitié.
    Permettez-moi de saluer d'abord la nation algonquine qui a habité la première le territoire où nous nous trouvons aujourd'hui. Woliwon. Merci de nous accueillir dans votre territoire.
    Je m'appelle Conrad Saulis, et je suis directeur de la politique à l'Association nationale des centres d'amitié. Je suis un fier citoyen de la première nation Maliseet, né et élevé dans la collectivité de la Première nation Tobique, au Nouveau-Brunswick.
    L'Association nationale des centres d'amitié est une organisation autochtone sans but lucratif qui fait valoir les points de vue et préoccupations de 120 centres d'amitié et de sept associations provinciales et territoriales par tout le Canada. Sa mission est d'améliorer la qualité de vie des peuples autochtones en milieu urbain en appuyant des activités de leur choix qui favorisent un accès égal et la participation à la société canadienne, et qui respectent et renforcent le caractère culturel distinct des Autochtones, sur lequel on insiste davantage.
    Avec le ministère du Patrimoine canadien, l'Association nationale des centres d'amitié offre un ensemble de programmes fédéraux prioritaires à la population autochtone urbaine du Canada. À partir du financement de base que nous recevons de Patrimoine canadien, les 120 centres d'amitié disséminés d'un océan à l'autre produisent pour 114 millions de dollars de programmes et services aux Autochtones des villes en partenariat avec les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et les administrations municipales. J'ai fourni une carte qui indique où se trouvent les centres d'amitié au Canada.
    Chaque année, nous publions un rapport intitulé L'état du Mouvement des centres d'amitié. Dans notre rapport de 2009, nous affirmons que les centres d'amitié continuent de fournir des programmes aux Autochtones des villes dans les domaines suivants: culture, famille, jeunesse, sports et loisirs, langue, justice, logement, santé, éducation, emploi, développement économique et « divers », catégorie qui englobe des services comme les banques d'alimentation. Dans tout le Canada, les centres offrent un total combiné de 1 295 programmes. En 2009, le mouvement des centres d'amitié employait 2 338 personnes au Canada, dont 74 p. 100 de femmes. Le mouvement est très fier de sa mission de service auprès des Autochtones des villes. Les centres comptent donc le nombre de fois où ils assurent un service. Chaque fois qu'un client profite d'un programme ou d'un service dans un centre d'amitié, on parle d'un point de contact. Au Canada, en 2009, il y a eu près d'un million de points de contact, soit environ 977 000.
    En 2007, l'Ontario Federation of Indian Friendship Centres et l'Ontario Native Women's Association ont parrainé un sommet, convoqué à cause des taux élevés persistants de violence contre les femmes autochtones et l'absence de progrès dans la lutte contre cette violence. L'Ontario Native Women's Association et l'OFIFC ont convoqué en 2007 une réunion de stratégie, le « Summit to End Violence Against Aboriginal Women », dont le but était de réunir des dirigeants locaux pour esquisser le cadre d'une stratégie afin de mettre un terme à la violence contre les femmes autochtones. Le sommet était une suite du Forum national sur la politique concernant les femmes autochtones et la violence, dont Condition féminine Canada a été l'hôte en mars 2006, à Ottawa.
    Je voudrais rappeler quelques éléments signalés dans le rapport final de ce forum. À cause des agressions physiques et sexuelles et des mauvais traitements psychologiques subis dans les pensionnats beaucoup d'Autochtones ont souffert des séquelles durables de ces mauvais traitements et n'ont pu voir des exemples du rôle constructif de parent, comme le signalait en 1996 la Commission royale sur les peuples autochtones. Ce qui peut être l'un des facteurs qui expliquent le taux plus élevé de violence dans les collectivités autochtones de génération en génération.
    Une étude réalisée par l'Ontario Native Women's Association, Breaking Free, a permis de constater que huit femmes autochtones sur dix en Ontario avaient connu une expérience personnelle de violence familiale. Il importe de signaler que, même si toute la violence contre les femmes autochtones ne vient pas de leur milieu, cette violence doit cesser, quels que soient le type et l'origine de cette violence. Les participants ont conclu que, pour atteindre cet objectif, il fallait élaborer, appuyer et promouvoir une stratégie complète et la doter de ressources immédiatement. Toutes les organisations, les gouvernements et la société dans son ensemble n'ont que trop tardé à intervenir pour régler ce problème.
(1550)
    Le cadre est proposé selon le modèle d'une roue médicinale pour présenter un ensemble continu d'approches du problème, et il exigera des stratégies à de nombreux niveaux et autour de différents thèmes si on veut qu'il réussisse à enrayer la violence. Chaque aspect peut être élaboré à part, mais il doit s'intégrer à l'approche globale et s'harmoniser avec elle. Il faudra, pour que l'initiative soit fructueuse, une approche de guérison locale, culturelle et holistique axée sur l'élimination de la violence. Or, cela sera impossible si tous les ordres de gouvernement n'offrent pas des politiques favorables, des mesures législatives, des ressources et des approches propices.
    Le rapport récent de l'Association des femmes autochtones du Canada, What Their Stories Tell Us, révèle que non seulement les femmes autochtones affichaient les taux les plus élevés de violence conjugale en 2004, mais aussi qu'elles étaient nettement plus susceptibles que les femmes non autochtones de déclarer les formes les plus graves de violence, menaçant peut-être même leur vie, comme des coups et des étranglements, l'utilisation d'une arme à feu ou d'un couteau contre elles, ou des agressions sexuelles. Ces incidents sont arrivés à 54 p. 100 des femmes autochtones, contre 37 p. 100 chez les non-Autochtones.
    Les pourcentages des femmes autochtones violentées sont restés inchangés depuis 1999, comme le révèle l'Enquête sociale générale de 2004. Pour les non-Autochtones, par ailleurs, le pourcentage de celles qui ont connu les pires formes de violence a été ramené de 43 p. 100 en 1999 à 37 p. 100 en 2004.
    Le rapport de l'Association des femmes autochtones du Canada ajoute qu'on a constaté que la mobilité, chez les femmes autochtones, surtout lorsqu'elles passent de petites localités à de grands centres urbains, les rend vulnérables à la violence. Beaucoup de jeunes des localités rurales déménagent dans les villes pour faire des études. Des membres des familles et des collectivités, ainsi que d'autres sources clés d'information, ont raconté que les femmes et les jeunes filles qui ont grandi dans des localités rurales et isolées sont souvent mal préparées à la transition vers le milieu urbain.
    Les faits recueillis montrent que la majorité des incidents se produisent dans les zones urbaines. Parmi les cas sur lesquels on possède de l'information, près de 60 p. 100 des femmes et des filles ont été tuées en zone urbaine, 28 p. 100 en zone rurale et 13 p. 100 dans les réserves.
    Cette répartition est encore plus frappante dans le cas des disparitions. Si on regarde généralement les différents endroits où les femmes et les jeunes filles sont disparues, on constate que 70 p. 100 sont disparues dans une ville, que 22 p. 100 ont été vues pour la dernière fois en zone rurale et que 7 p. 100 sont disparues d'une réserve.
    Pour en revenir à l'OFIFC, l'Ontario Federation of Indian Friendship Centres, et...
    La présidente: Il vous reste une minute et demie, monsieur Saulis.
    M. Conrad Saulis: D'accord.
    En 2007, le rapport dit que les collectivités et organisations autochtones ainsi que les organisations et fournisseurs de services de la société majoritaire affirment depuis longtemps que les femmes autochtones subissent des taux de violence beaucoup plus élevés que les autres Ontariennes, et que de nombreux facteurs convergents liés à ces niveaux de violence sont propres aux femmes autochtones parce qu'ils sont directement liés à des éléments historiques qui subsistent, comme le colonialisme, les séquelles des pensionnats, les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens, la non-reconnaissance de l'identité métisse et les effets résiduels des traumatismes collectifs comme la maladie mentale et la pauvreté.
    Je vais devoir sauter quelques pages et en arriver à mes conclusions.
    Nous pouvons continuer à échanger de l'information sur les statistiques alarmantes de la violence contre les femmes et les jeunes filles autochtones au Canada, mais il faut arrêter de parler, à un moment donné, et mettre des mesures en place, agir et travailler sérieusement pour faire beaucoup diminuer toutes les formes de violence contre elles.
    L'ANCA appuie sans réserve le travail en cours de l'Association des femmes autochtones du Canada et plus particulièrement de l'initiative Soeurs par l'esprit.
    J'espère qu'on accordera une attention sérieuse à la proposition de cadre qui a découlé du sommet de 2007 de l'Ontario Federation of Indian Friendship Centres et de l'Ontario Native Women's Association.
(1555)
    Le Mouvement des centres d'amitié demeure un partenaire bien disposé et compétent dans tous les efforts visant à combattre, à prévenir et à faire diminuer la violence contre les femmes et les jeunes filles autochtones.
    Merci. Woliwon.
    Mon Dieu, c'était chronométré à la seconde près. Merci beaucoup.
    Nous allons passer aux questions et réponses. Au premier tour, chacun a sept minutes pour les questions et les réponses.
    Ce sera d'abord Michelle Simson, des libéraux.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie tous les témoins d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui. Vos exposés ont été extrêmement intéressants, mais tristes.
    J'adresse mes premières questions à Mme Mann.
    J'ai eu l'occasion de lire le rapport de 2005 rédigé pour Condition féminine Canada, Les femmes autochtones : un document d’information sur les problèmes. Il ne s'agit pas spécialement du problème de la prostitution pour l'instant, mais j'ai été très intéressé par vos observations sous la rubrique « Les biens immobiliers matrimoniaux situés dans les réserves ». Je suis plutôt d'accord pour dire que, lorsqu'il y a de la violence en milieu familial, il n'y a aucun choix. S'il y a rupture d'un mariage ou d'une relation, il n'y a bien souvent aucune disposition prévoyant le partage de la maison familiale. Très souvent, les femmes restent dans des situations d'une grande violence parce qu'elles ne peuvent pas se loger ailleurs.
    J'espère que vous pourrez nous éclairer à ce sujet. Le projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux, le S-4, chemine au Sénat. À première vue, ce projet de loi un peu long semble s'attaquer au problème. Chose curieuse, lorsqu'on discute avec des collègues et certains autochtones, il ne semble pas jouir d'autant d'appuis que je l'aurais supposé de la part des Autochtones. En tout cas, ils ne sont pas tous enthousiastes.
    Avez-vous eu des réactions à ce sujet? Pouvez-vous donner de l'information ou des aperçus au comité au sujet des lacunes du projet de loi? Pourquoi n'arrive-t-il pas à faire ce que les collectivités autochtones souhaiteraient peut-être?
    J'ai examiné le projet de loi. J'avance une hypothèse, mais, si je me souviens bien, le projet de loi est une mesure provisoire qui prévoit au fond l'application de la législation provinciale en la matière dans les réserves en attendant que les collectivités légifèrent. D'après moi, certaines collectivités préféreraient probablement que les lois provinciales ne s'appliquent pas et voudraient avoir le temps de régir eu même cette question. Ils y voient une question de gouvernance.
(1600)
    D'accord. Si tel est le cas, se fait-il du travail dans les collectivités des réserves afin d'aborder cette question sous l'angle de l'autonomie gouvernementale et de faire une proposition, ou bien la question est-elle en veilleuse?
    Je l'ignore. Dans une vie antérieure, j'ai participé comme avocate aux négociations sur l'autonomie gouvernementale. Je me suis occupée de l'administration de la justice, des tribunaux autochtones, etc. C'est assurément une longue démarche, qu'il s'agisse d'un accord général d'autonomie gouvernementale ou d'un accord sectoriel, limité à certains domaines. J'ignore où en sont les diverses collectivités au Canada.
    Est-il possible que, dans certaines réserves, étant donné que la gouvernance est aux mains des hommes, surtout, il puisse y avoir une certaine résistance à aborder cette question sur le plan de l'autonomie gouvernementale, au lieu de laisser le gouvernement intervenir? Pensez-vous qu'il peut y avoir là un problème?
    Bien sûr, je suis au courant, puisque je travaille sur le terrain, mais ce n'est pas vraiment un domaine dans lequel j'ai travaillé plus particulièrement. Je dirais que probablement, dans beaucoup de localités, il y a des problèmes urgents auxquels il faut s'attaquer. On pourrait établir un ordre de priorité.
    D'accord. À propos de votre exposé, qui a porté sur la dépénalisation de la prostitution, un point pique ma curiosité. Dans le même rapport de 2005, vous écrivez que, dans les réserves comme à l'extérieur, les femmes autochtones ont toujours peur de signaler des incidents de violence à la police parce qu'elles ont l'impression qu'elles ne seront pas prises au sérieux. D'après ce qu'ont dit les témoins que nous avons entendus jusqu'à maintenant, ce semble toujours le cas.
    Selon moi, c'est toujours le cas, assurément. Il y a quelques projets que j'ai cités dans mon article sur la réforme de la législation sur la prostitution. Les forces policières ont pris quelques initiatives. Il y a par exemple le projet KARE, à Edmonton, je crois, mais il faudrait que je vérifie. Il y a des initiatives prometteuses de la part des forces policières, mais je crois que, dans l'ensemble, il y a toujours de la méfiance.
    Si, par exemple, la prostitution était dépénalisée, il y aurait probablement, d'après ce que vous avez dit dans votre exposé, plus de contacts avec les services de santé, les femmes auraient un mode de vie plus sain et elles seraient mieux protégées par la police. Mais si cette crainte est là, la dépénalisation de la prostitution va-t-elle la dissiper de quelque manière? Il y a des progrès, mais il y a encore un bout de chemin à faire.
    D'abord, je préconise la dépénalisation de la prostituée, non de la prostitution.
    C'est vrai. Excusez-moi.
    Bien sûr, si on pense à une femme qui a une mauvaise rencontre, une mauvaise expérience avec quelqu'un qui devrait être dénoncé comme pouvant être dangereux, il lui est difficile de s'adresser à la police si elle commet un acte criminel. Cela revient à se dénoncer. Si elle s'adresse à la police après un acte de prostitution et veut dénoncer la violence qui s'est produite à cette occasion, eh bien, elle a commis un acte criminel. C'est un véritable obstacle qui empêche de faire une déclaration.
    Oui, bien sûr, cela devrait s'accompagner des mesures que prennent certaines forces policières pour ouvrir les communications. Il y a aussi, je le répète, une formation de sensibilisation à la culture pour que les policiers puissent comprendre comment interagir avec les femmes autochtones.
    Merci.
    Il vous reste 30 secondes.
    Trente secondes, c'est à peine le temps d'un hoquet. Je laisse tomber.
    Monsieur Desnoyers.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Ma première question s'adresse à Mme Compton et porte sur le centre Minwaashin et sur le refuge d'urgence Oshki Kizis. On a lu sur ça, et quand vous parlez...

[Traduction]

    Je suis désolée, mais je ne comprends rien du tout.

[Français]

    Votre organisation, le centre Minwaashin, s'adresse clairement à un milieu urbain, puisque vous êtes à Ottawa.
    La clientèle de ce centre provient-elle des réserves un peu plus au nord ou est-elle constituée d'Autochtones en provenance de différentes régions du pays?
(1605)

[Traduction]

    Je dirais que les femmes viennent de toutes les régions. Je suis originaire du Manitoba. Comme il y a beaucoup de violence à Winnipeg, bien des femmes migrent à Ottawa, parce que c'est un endroit sûr pour amorcer leur guérison. Beaucoup de femmes viennent des réserves. La démographie d'Ottawa va changer. Beaucoup de familles autochtones vont migrer vers les grandes villes, où il faudrait avoir les services dont ils ont besoin.

[Français]

    Quel type de subventions votre centre reçoit-il? Quelles organisations vous subventionnent? Quelle est la valeur de ces subventions? Est-ce suffisant?

[Traduction]

    Notre organisme a environ 2 millions de dollars. Nous devons avoir au moins 13 subventions en place. Il s'agit toujours de subventions qui financent des programmes. Il est parfois difficile de continuer. Mais effectivement, nous sommes un organisme qui, comme la plupart des organismes, reçoit des fonds de sources multiples.

[Français]

    Pourquoi dites-vous qu'il est difficile de poursuivre vos activités?

[Traduction]

    La Fondation autochtone de guérison a fermé récemment. Nous ressentons les effets de tous les programmes et services mis en place après la Commission royale sur les peuples autochtones. Nous avons dû mettre du personnel à pied, et les programmes et services ont été réduits. C'est là que nous en sommes maintenant.

[Français]

    Combien y a-t-il eu de licenciements dans votre organisation, et combien de personnes y avait-il?

[Traduction]

    Nous avons dû remercier deux personnes.

[Français]

    Combien y avait-il d'employés?

[Traduction]

    Notre centre emploie une quarantaine de femmes.

[Français]

    Vous dites que plusieurs programmes ont subi des compressions. S'agit-il de différents types de programmes? M. Saulis disait qu'il y avait 1 295 programmes.

[Traduction]

    Notre programme bispirituel prendra fin dans un mois. C'est un cas parmi d'autres.
    Nous avons modifié nos programmes et nous avons dû, pour les maintenir, obtenir des fonds d'autres sources. Mais il nous faut davantage de conseillers. Nous en avons absolument besoin, car beaucoup de femmes souffrent de traumatismes, et il leur faut une aide psychologique. Le counseling est un élément très important pour nous. Nous devons...

[Français]

    Monsieur Saulis, vous avez parlé de 114 millions de dollars pour tous les centres d'amitié. Il y en a 120. Est-ce exact?

[Traduction]

    Le financement de base que nous recevons du ministère du Patrimoine canadien s'élève à 16 millions de dollars, ce qui assure le financement de base de 116 des 120 centres d'amitié. Quant au reste de l'argent, 114 millions de dollars, nous le devons au travail acharné de ceux qui travaillent dans les centres d'amitié pour trouver des fonds auprès d'autres sources, dont les gouvernements provinciaux et les municipalités. Grâce aux 16 millions de dollars, nous pouvons trouver un montant additionnel...

[Français]

    Le gouvernement fédéral vous donne donc 16 millions de dollars. Est-ce exact?

[Traduction]

    Oui.

[Français]

     Vous avez également dit que beaucoup de gens ont été embauchés, soit 2 438 personnes qui sont passées dans vos centres d'amitié. Il y a 1 295 programmes, c'est beaucoup, et 2 438 personnes travaillent dans ces centres. Compte tenu de tout ce que l'on a entendu à ce comité, je me dis qu'un organisme semblable devrait faire beaucoup pour les femmes en secteur urbain.
    Toutefois, depuis quelques années, selon les dires de nombreux témoins, on ne sent pas un grand changement. Je ne sais pas si vous pouvez m'en dire plus sur votre organisation et sur ce qu'elle a apporté.
(1610)

[Traduction]

    Bien sûr. Ceux qui travaillent dans les centres d'amitié de tout le Canada donnent beaucoup de leur temps à ce travail. Ils sont très peu payés. Le montant en cause, le nombre de nos programmes et le nombre de personnes employées peuvent donner l'impression que c'est beaucoup. Mais 54 p. 100 de la population autochtone au Canada habite dans les villes, et 54 p. 100 d'une population de 1,12 million, selon le recensement de 2006, cela fait beaucoup de monde.
    Les centres d'amitié font tout ce qu'ils peuvent pour ajouter au travail qui se fait au Minwaashin Lodge, mais nous sommes heureux que celui-ci soit là pour aider les femmes, les familles et les enfants à qui il offre des services. Les centres d'amitié ne croient pas, ne pensent pas pouvoir y arriver seuls; ils veulent appuyer le Minwaashin Lodge pour qu'il continue à offrir ces services importants.
    Nos services se rapportent aux domaines dont j'ai parlé.

[Français]

    Madame Mann, vous proposez la décriminalisation de la prostitution. Pensez-vous que cela peut se produire au cours des 10 prochaines années, avec le gouvernement actuel?

[Traduction]

    Je ne propose pas de dépénaliser la prostitution, mais la prostituée, ce qui est bien différent.
    Pour être honnête, si seulement la volonté politique était là... Selon moi, c'est une évidence: si on accepte qu'au moins certaines de ces femmes — n'entrons pas dans la discussion sur le choix — sont victimisées et exploitées, pénaliser leur conduite ne fait que les victimiser davantage. Je crois donc qu'on peut monter une solide argumentation en faveur de la dépénalisation de la travailleuse du sexe. Je conçois parfaitement qu'on puisse y parvenir dans les dix prochaines années, oui.
    Merci.
    Nous allons passer à Cathy McLeod, des conservateurs.
    Merci, madame la présidente.
    J'ai un certain nombre de questions à poser à chacun d'entre vous et j'espère avoir le temps de les poser toutes. Je commence par M. Saulis.
    Je n'ai eu de contacts qu'avec deux centres d'amitié. Je reconnais qu'ils se débrouillent avec un budget très maigre. On dirait qu'ils sont toujours en train de préparer des demandes de subventions.
    Si nous considérions tous les centres d'amitié, si nous visitions les 123 centres, observerions-nous toute une gamme de programmes, selon que leurs demandes de fonds sont fructueuses ou non?
    Oui, c'est certain.
    Ce que nous présentons dans le State of the Friendship Centre Movement: 2009 est une compilation de divers programmes offerts par les centres d'amitié, de St. John's à Port Alberni en passant par Inuvik. Tous les centres n'offrent pas tous les programmes. Ils en proposent un certain nombre.
    Il faut effectivement consacrer beaucoup de temps à la préparation de demandes. Nous cherchons beaucoup des sources diverses de fonds: gouvernements provinciaux, municipalités et autres sources comme, de temps à autre, des fondations. Il faut beaucoup travailler pour obtenir les fonds supplémentaires permettant d'offrir des services dans les domaines que j'ai énumérés dans mon exposé.
    Je présume que les 16 millions de dollars sont répartis de façon égale. Ces 16 millions de dollars permettent-ils d'offrir des services de base? Ou bien est-ce que c'est le squelette, après quoi vous devez trouver ce que vous pouvez faire?
    C'est le financement de base, le squelette. Et ce n'est qu'un squelette, justement. Ce montant de 16 millions de dollars est bloqué depuis 1996. Le financement du programme des centres d'amitié n'a pas augmenté depuis cette année-là, et nous sommes en 2010. C'est très difficile pour les centres, puisque les dollars n'ont plus la même valeur. Beaucoup de centres éprouvent des difficultés financières, c'est sûr.
(1615)
    Ma prochaine question s'adresse à Mme Compton. J'ai l'impression que vous avez un certain nombre de programmes différents. Je suis sûre qu'on a évalué l'efficacité de tous ces programmes.
    De quel programme êtes-vous le plus fière?
    Le Programme culturel est le plus important. Lorsque les femmes renouent avec leur identité et leur raison d'être, lorsqu'elles guérissent, elles commencent à redonner quelque chose à la collectivité.
    Le principal fondement de notre guérison, c'est la culture, car tout ce dont nous avons besoin s'y trouve. C'est le point de départ pour la plupart des femmes qui se présentent chez nous.
    C'est un programme offert à quiconque se présente chez vous.
    Oui. Souvent, des femmes viennent à notre centre parce qu'on leur a inculqué la honte de leur identité autochtone, séquelle intergénérationnelle des pensionnats. Elles se présentent en ne sachant rien. Leurs grands-mères ne leur ont jamais rien dit de leur identité autochtone.
    Elles trouvent le soutien de leurs soeurs au centre et elles amorcent la démarche vers leur identité. Elles évoluent vraiment.
    Viennent-elles tous les jours pour toute la journée, ou seulement une ou deux heures, une fois par semaine? J'essaie de comprendre...
    Nous avons des programmes de jour, mais les calendriers sont multiples. Nous avons un excellent site Web, si vous voulez le consulter. Nous commençons à tous les stades de la vie: enfants, adolescentes, adultes et grands-mères. Nous offrons des programmes et des services pour tous les stades, des services de counseling pour les agressions sexuelles, les traumatismes, les toxicomanies. Nous nous occupons de toute la gamme des effets de la violence.
    Nous sommes dans notre 18e année, et nous avons créé pendant ce temps beaucoup de pratiques exemplaires.
    Ma dernière question, si j'ai le temps, s'adresse à Mme Mann. Vous avez parlé d'une idée de mesure législative. Nous avons déjà un projet de loi d'initiative parlementaire sur le trafic des personnes. Je crois qu'il est à l'étude au Sénat. Y a-t-il d'autres mesures législatives? L'une, dont vous avez parlé, est très importante. Y a-t-il d'autres idées utiles à inscrire au programme législatif? Y a-t-il d'autres éléments?
    Dans le tableau d'ensemble... Je travaille notamment dans le domaine des services correctionnels pour Autochtones et du système de justice. Quand on parle de violence contre les femmes autochtones, il faut considérer un contexte beaucoup plus large, celui de l'effondrement des collectivités et de la violence qui y règne. On voit les résultats dans les services correctionnels. Compte tenu du fait que les femmes autochtones sont victimes de violence et compte tenu du contexte, il importe de signaler aussi qu'elles sont fortement surreprésentées parmi les détenues des services correctionnels fédéraux. Elles sont aussi fortement surreprésentées parmi celles qui commettent des crimes violents. Ce n'est pas, bien entendu, parce qu'elles sont plus violentes par nature, mais à cause du contexte plus large. Je ne veux pas parler d'une culture de violence, mais les collectivités fonctionnent mal à cause des facteurs dont il a été question: pensionnats, colonialisme, certaines dispositions de la Loi sur les Indiens.
    Je suis convaincu que, dans les services correctionnels, il faut offrir des programmes adéquats, s'attaquer aux causes profondes et réadapter les délinquantes, qui retournent souvent dans leur collectivité, puisque la plupart des délinquantes finissent par sortir. C'est un élément important de la lutte contre la violence dans les collectivités autochtones.
    Merci. C'est terminé.
    Au NPD, maintenant. Madame Mathyssen.
    Merci, madame la présidente.
    Merci beaucoup de comparaître et de nous faire profiter de vos compétences. J'ai des questions à poser à tous les témoins.
    Madame Mann, vous avez dit que les femmes autochtones sont surreprésentées dans les établissements correctionnels. J'espère que nous pourrons entendre l'enquêteur correctionnel, car j'ai parcouru son rapport. Vous avez précisé les compétences...
(1620)
    Je crois avoir moi-même rédigé ce rapport, en fait.
    Je m'adresse donc à la bonne personne.
    Vous avez dit que les délinquantes pouvaient être soumises à un protocole de gestion si elles étaient mêlées à un incident qui menace leur sécurité et celle d'autrui. D'après ce que j'ai lu, ce protocole semble très punitif et il ne semble pas donner le genre de soutien ou d'aide nécessaire. Pourriez-vous donner des précisions?
    Le protocole de gestion est comparable, selon moi, aux unités fermées chez les hommes. C'est une sorte de situation à part dans le système correctionnel. C'est une mesure punitive contre des femmes qui sont considérées comme une menace et passent régulièrement aux actes. C'est une forme extrême d'isolement. Il n'y a aucune participation aux programmes et peu d'accès aux services spirituels, lorsqu'une femme est soumise au protocole de gestion. Elle doit faire ce qu'il faut pour en sortir. Je n'ai pas de statistiques à l'esprit, mais je viens de terminer la rédaction d'un rapport sur les femmes autochtones dans les services correctionnels fédéraux. Peu de femmes ont été soumises au protocole, mais en mars 2009, trois femmes sur quatre qui l'étaient étaient Autochtones, je crois. Il n'y a pas beaucoup de femmes qui ont réussi à s'en sortir.
    Trois femmes autochtones sur quatre, c'est une proportion choquante. En ce moment, le tiers des délinquantes de ressort fédéral sont des Autochtones, mais cette proportion de trois sur quatre montre selon moi que, à tout le moins, le système ne répond pas à leurs besoins ou peut-être même qu'il y a discrimination systémique.
    Donc, toute cette idée qu'il faut sévir contre le crime laisse les femmes encore plus désemparées au lieu de les aider.
    C'est certain. Incarcérer les délinquants plus longtemps s'il n'y a pas de programmes de réadaptation, c'est sûrement contreproductif.
    D'accord. Merci. Je comprends.
    Monsieur Saulis, vous avez dit que, parmi les violences infligées aux femmes, il y a l'étranglement, les coups et l'utilisation d'armes à feu. À quel point l'utilisation d'armes à feu est-elle répandue? Avez-vous des statistiques ou au moins une idée générale, des faits anecdotiques dont vous pouvez nous parler? Est-ce une réalité plutôt urbaine ou plutôt rurale?
    Je voudrais bien avoir des statistiques à ce sujet, en dehors de ce que j'ai appris auprès des sources que j'ai trouvées. Est-ce plutôt urbain ou rural? Je ne peux pas donner de précisions. Je suis désolé.
    Ce que vos questions font ressortir, cependant, et ce qu'elles me donnent l'occasion de signaler, c'est que le Canada manque de connaissances et d'information sur la vie des Autochtones dans les villes.
    Revenons à l'été dernier. Nous étions au milieu de la crise de la grippe H1N1. L'Agence de la santé publique du Canada voulait alors établir des priorités dans l'ordre de vaccination. Nous avons participé à des appels conférences avec elle. Nous lui avons signalé qu'elle ne pouvait pas prendre de décision éclairée sur les Autochtones des villes, puisque nous n'avons aucune ou presque aucune information en matière de santé sur la vie de ce groupe. Il y a bien quelques bribes, mais rien qui le décrive vraiment. L'essentiel, ce sont des conjectures à partir de ce que nous savons des membres des Premières nations qui habitent dans des réserves.
    Nous savons beaucoup de choses sur ceux qui habitent dans les réserves, mais pour ce qui est de décrire l'état de santé et les conditions de vie... Il y a bien quelques éléments, mais rien de cohérent. Votre question me rappelle donc le problème de manque d'information.
    Merci.
    Madame Compton, nous avons entendu une foule de témoins. Lundi, des représentants du ministère de la Justice et d'AINC ont comparu. Je voudrais aborder la question de la Fondation autochtone de guérison, et la responsabilité du transfert des fonds à AINC et à Santé Canada.
    J'ai essayé de comprendre ce que la Fondation pouvait faire et que des services locaux comme le vôtre ne peuvent faire. Craignez-vous que le travail que vous et d'autres avez commencé avec la Fondation autochtone de guérison ne se perde parce que l'administration sera plus bureaucratique?
(1625)
    Depuis que la Fondation autochtone de guérison n'existe plus, il n'y a plus de recours pour obtenir les fonds nécessaires au maintien de ces programmes. Beaucoup d'entre nous sont pris au dépourvu. Nous espérons que quelque chose d'autre viendra, une sorte de stratégie, par exemple, pour maintenir ces programmes. Beaucoup de programmes de guérison étaient offerts. C'est de cela que nos gens ont besoin pour surmonter les traumatismes et leurs séquelles.
    Pouvez-vous décrire ces programmes de guérison?
    Vous avez 20 secondes. Si la description peut tenir en 20 secondes, allez-y.
    Si je peux intervenir de nouveau, nous pourrons peut-être y revenir à ce moment-là.
    Merci.
    Nous en sommes aux interventions de cinq minutes. La règle est la même que pour les sept minutes: l'intervention comprend à la fois les questions et les réponses.
    Pour les libéraux, ce sera Mme Anita Neville.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Merci à tous les témoins d'être parmi nous.
    Madame Compton, une précision. Vous l'avez peut-être dit sans que j'entende, mais est-ce que le Minwaashin Lodge est dans un cadre urbain?
    Oui, nous sommes ici même, à Ottawa.
    Vous êtes donc d'ici. Alors, mes questions s'adressent à vous et à M. Saulis plus particulièrement.
    Est-ce que l'un de vous, vous deux ou même vous, madame Mann, pourriez commenter l'impact des déménagements dans un sens comme dans l'autre entre les collectivités des premières nations et le milieu urbain? Quel effet cela a-t-il, ou n'a-t-il pas, sur la violence contre les femmes. S'il y a des effets, qui assure le soutien?
    Bien des gens qui arrivent des réserves subissent un choc culturel. Lorsqu'ils arrivent dans une grande ville, ils sont perdus, et il arrive qu'il n'y ait aucun lieu sûr pour les femmes autochtones. Elles sont donc accueillies à notre centre. Elles voient d'autres femmes qui partagent leur culture et leur identité; elles se sentent en sécurité et elles commencent à s'ouvrir. Au fond, c'est un choc culturel.
    Les déménagements entre la localité et la ville — je suis du Manitoba, et j'ai vécu bien des choses — contribuent-ils à exacerber la violence d'une façon ou d'une autre?
    Elles n'ont pas de logement stable lorsqu'elles arrivent ici. Il y a bien des problèmes à régler pour s'installer. Oui, il y a un risque élevé de violence. Souvent, si elles n'établissent pas de lien avec nos services, elles le font avec d'autres éléments et s'engagent dans une voie différente. Nous espérons qu'elles viennent nous voir en premier. Le centre d'amitié est un autre point d'entrée.
    Quelque chose à dire, monsieur Saulis?
    Plusieurs choses. D'abord, lorsqu'une jeune femme ou une adolescente, peut-être avec un ou deux enfants, arrive d'une localité des premières nations, d'une localité métisse ou inuite dans une ville comme Ottawa, Vancouver ou Montréal, par exemple, il y a un choc culturel, comme Irene l'a dit. Elle n'est pas préparée et ne sait pas où aller.
    Heureusement, il y a au moins 120 centres d'amitié dont les femmes sont probablement au courant et où elles peuvent obtenir de l'aide et des conseils. Toutefois, il arrive souvent qu'elles ne soient pas au courant et elles se retrouvent dans la rue. Michelle en a parlé. Elles ne se mêlent pas aux bonnes personnes. Elles tombent dans la prostitution, les drogues et le commerce du sexe. Au bout du compte, elles deviennent victimes.
    Ce n'est pas ce qu'elles veulent et ce n'est pas leur faute. Bien des fois, au départ, elles fuient probablement le même genre de violence chez elles. Elles veulent s'éloigner de cela et pensent que la ville sera un refuge. Hélas, elles s'aperçoivent que ce n'est pas nécessairement le cas.
    Malheureusement ou heureusement, selon le point de vue, nous savons... Nous avons assisté au Forum urbain mondial en mars et nous avons appris que l'urbanisation progresse dans le monde entier, et pas seulement au Canada. On déménage plus nombreux en ville, pour diverses raisons. C'est la même chose pour les Autochtones du Canada. Les statistiques le montrent: de 2001 à 2006, nous sommes passés de 49 à 54 p. 100.
    L'autre problème est celui du partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces. Il faut s'entendre. La semaine dernière, au Forum permanent des peuples autochtones de l'ONU, le représentant du gouvernement du Canada a dit que le Canada consacrait 10 milliards de dollars aux programmes destinés aux Autochtones. Nous pouvons vous dire, et vous le savez aussi bien que moi, où va la grosse part de cet argent. Et il ne sert pas à aider les Autochtones des villes.
    Je ne veux pas opposer différents groupes, car les problèmes des collectivités des réserves et des collectivités métisses sont très graves et très importants pour ceux qui y vivent. L'attention des autorités fédérales et provinciales, qu'il s'agisse des politiques, des programmes ou des engagements...
    Désolé, je suis peut-être trop long. Excusez-moi d'avoir parlé trop longtemps.
(1630)
    Merci, c'est tout, madame Neville.
    Madame Wong, des conservateurs, à vous, s'il vous plaît.
    Merci, madame la présidente.
    Merci beaucoup de votre présence. Je viens du Lower Mainland, à Vancouver. Je connais probablement les défis qu'il y a à relever là-bas.
    J'ai une ou deux questions à poser.
    Je félicite Mme Irene Compton d'avoir su se reprendre. Elle a affronté le même genre de difficultés et la voici qui représente sa collectivité et fait beaucoup de bien. Je me dois vraiment de la féliciter de ses efforts. Elle devrait servir de modèle à quiconque doit quitter la réserve pour une raison ou une autre et venir vivre en ville.
    Il n'est pas nécessaire de passer par la prostitution. C'est mon message. Il doit y avoir des moyens d'aider ces pauvres femmes à s'arracher à ce qu'on appelle le commerce du sexe et de leur donner un refuge pour qu'elles retrouvent leur dignité. Les laisser reprendre cette activité en leur donnant les installations nécessaires ne va pas résoudre le problème, car il y aura toujours de l'exploitation et toujours de la violence contre ces femmes.
    Il faudrait proposer des initiatives pour aider ces femmes à quitter ce milieu atroce. Madame Mann, j'ignore si votre étude a jamais porté sur cet aspect.
    Je suis certainement d'accord pour dire que vaut mieux prévenir que guérir. Il est sûr qu'il faudrait des programmes de prévention. Mais dans ce cas-ci, comme nous l'avons vu aujourd'hui, les causes ont tellement de ramifications que la prévention ne se compare pas au simple aménagement d'un terrain de basket-ball, par exemple. Il faut remédier à des siècles de séquelles d'une déshumanisation des femmes autochtones, aux effets sur leurs rôles dans les collectivités et aux effets sur les collectivités autochtones, mais je ne crois pas que la prévention permette jamais d'éradiquer le commerce du sexe dans les rues.
    Je veux dire qu'on leur offrirait une formation et qu'on les aiderait à travailler ailleurs au lieu de les laisser se débrouiller toutes seules.
    La dépénalisation du commerce du sexe ou de la prostitution fait peur, car l'étape suivante serait la légalisation, et je ne crois pas que nous devions nous engager dans cette voie. Il pourrait y avoir tout un débat sur cette question. Mais je ne crois pas que ce soit un moyen d'aider ces pauvres femmes, qui seront exploitées, où qu'elles se trouvent. Selon moi, la meilleure solution est de leur procurer tous les services sociaux, même pendant qu'elles se livrent à la prostitution, pour les aider à s'en sortir. Il faut leur donner de vraies compétences et les aider.
    Je voudrais m'adresser aux deux témoins qui aident leurs propres gens. Est-ce un domaine dans lequel vous intervenez... parce que c'est urbain, n'est-ce pas?
(1635)
    Vous avez deux minutes.
    Nous avons ici un projet appelé STORM pour aider les travailleuses du sexe. Essentiellement, nous les acceptons, où qu'elles se trouvent dans leur parcours. Nous ne portons pas de jugement. Nous leur offrons des programmes de base et un lieu où elles peuvent venir prendre un café. Nous sommes associées au Centre espoir Sophie, à Ottawa. Nous leur donnons de l'information sur les pratiques sexuelles saines et nous leur faisons savoir qu'il y a des programmes culturels au Minwaashin Lodge. Voilà comment nous nous y prenons.
    Nous allons sur le terrain et offrons de l'aide. Les femmes finissent par s'intéresser et poser des questions. Puis, nous les accompagnons au Minwaashin Lodge et les faisons participer. Voilà en somme notre façon d'aider les travailleuses du sexe.
    Cela veut-il dire qu'elles préfèrent ce métier ou bien est-ce qu'elles veulent en sortir?
    Selon moi, elles ont parfois l'impression de ne pas avoir le choix. Elles ont beaucoup internalisé la peur et la honte. Pour beaucoup d'entre elles, le grand problème est celui de la toxicomanie, de la drogue et de l'alcool. Leurs souteneurs les contrôlent. Les travailleurs du sexe sont aux prises avec beaucoup de violence.
    Nous ne sommes pas ici pour les juger, mais pour les aider et leur offrir d'autres possibilités. Nous pouvons y réussir. Nous avons un programme qui est modeste pour l'instant, mais il pourrait prendre de l'ampleur.
    Merci, madame Compton.
    Merci à vous aussi, madame Wong.
    Ce sera maintenant Mme Demers, du Bloc.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
     Je vous remercie d'être présents aujourd'hui.
    Madame Compton, votre histoire est très triste et choquante à la fois, mais vous êtes un symbole de résilience et d'espoir pour toutes les femmes. Merci beaucoup de partager votre histoire avec nous. Je pense que vous devriez en faire part à un public plus large afin que les gens comprennent que les femmes autochtones sont des femmes au même titre que toutes les autres, au Québec et au Canada.
    Madame Mann, nous avons eu l'occasion de nous rencontrer il y a quelques années dans le cadre du sous-comité portant sur la prostitution. Vous y participiez également. Je vois qu'il n'y a pas eu beaucoup de changements au cours des dernières années. Vous ne parlez pas de décriminaliser la prostitution, mais bien la prostituée. Vous voulez vous assurer qu'elle n'est pas stigmatisée, qu'elle n'est pas nécessairement emprisonnée et qu'elle n'a pas à vivre ce cycle infernal qui consiste à aller en prison, en sortir puis recommencer la même chose. On a vu que dans les pays où la décriminalisation de la prostituée et la criminalisation des clients avaient été instituées, les femmes qui exerçaient ce métier vivaient des problèmes plus sérieux encore.
    Je me demande comment il serait possible d'assurer que les femmes aux prises avec des situations risquées, très dangereuses, puissent aller à des endroits comme les Centres d'amitié ou le refuge que vous dirigez, madame Compton. Vous receviez de l'argent de l'Aboriginal Healing Foundation, mais cet argent a été transféré au ministère de la Santé. Est-ce que vous avez fait une demande de subvention à ce ministère, de façon à pouvoir continuer les programmes que vous réalisiez dans le cadre de la fondation? On nous a dit que l'argent se trouvait au ministère de la Santé. Vous pourriez peut-être avoir accès à ces fonds.
    J'aimerais aussi savoir ce que représente votre plume.

[Traduction]

    La plume est là pour m'aider à parler. Elle m'a été donnée par un aîné pour que j'aie courage et confiance et que je puisse m'exprimer.

[Français]

    D'accord.

[Traduction]

    Voulez-vous que je réponde à la question?
    D'après ce que je comprends, il n'y a aucun recours au sujet des fonds de la Fondation autochtone de guérison. Que je sache, ils n'ont pas été transférés à Santé Canada. Si tel est le cas, nous allons certainement demander des fonds à ce ministère.
(1640)

[Français]

    Vous devriez le faire.

[Traduction]

    D'accord. Merci.

[Français]

    Monsieur Saulis, que pensez-vous de la situation? Ça n'a pas changé depuis 1999. Encore maintenant, 54 p. 100 des femmes autochtones sont agressées, violées, tuées. Pourquoi les choses ne changent-elles pas? Qu'est-ce qu'on fait de travers?

[Traduction]

    On n'accorde probablement assez d'attention aux problèmes qu'éprouvent les femmes autochtones au Canada. Il n'y a pas assez de soutien de la part des autorités fédérales, provinciales et municipales pour aider, pour continuer de soutenir des entités comme le Minwaashin Lodge, qui sont là pour fournir le type de soutien nécessaire. Les centres d'amitié sont là pour offrir des programmes culturels et des services de soutien.
    Pourquoi les choses n'ont-elles pas changé? Nous nous posons sans doute tous la même question. Quand les choses changeront-elles? Nous savons qu'il y a quelques éléments, des petits montants par-ci par-là pour appuyer ce genre de projet, mais il n'y a pas de continuité dans le financement. Le financement des projets diffère de celui des programmes. Il nous faut un financement de programme provenant des services votés, qui revient chaque année, peu importe quel ministère fédéral ou provincial est chargé de l'administration, pour qu'Irene et d'autres, d'un bout à l'autre du Canada...

[Français]

    On parle donc d'un programme qui ne durera pas seulement le temps d'un projet, soit un an ou deux, mais qui va s'étendre sur un nombre beaucoup plus important d'années.

[Traduction]

    Il vous reste 15 secondes.
    Précisément. La continuité est importante. Le financement de programme est important. Les organismes ont besoin de savoir qu'ils pourront offrir les services l'an prochain, l'année d'après, etc.
    Je sais que le Conseil du Trésor accorde des renouvellements quinquennaux. C'est très bien.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Madame Mathyssen, pour les néo-démocrates.
    Merci, madame la présidente.
    Madame Compton, je voudrais vous donner la possibilité de dire quels genres de programmes vous offriez lorsque vous aviez accès aux fonds de la Fondation autochtone de guérison.
    Nous continuons d'offrir les mêmes programmes, mais il nous a fallu faire preuve d'une plus grande créativité.
    Nous avons le Sacred Child Program, qui encourage les mères à inculquer la confiance et la culture à leurs enfants. Lorsqu'on élève les enfants, et surtout les femmes, lorsqu'elles vont bien, la nation s'en tire mieux. Nous travaillons donc vraiment avec les femmes et les enfants.
    Nous avons un programme culturel et un programme de préparation à l'emploi: lorsque les femmes ont fait leur parcours de guérison et son prêtes à redonner quelque chose à la collectivité, elles peuvent commencer à travailler. Mais il faut des années pour obtenir le counseling, le soutien traditionnel et les cérémonies de guérison. Elles ne se présentent pas à nous prêtes à occuper un emploi. Il y a un grand travail de guérison à faire avant.
    Dans notre collectivité, nous sommes des chefs de file dans la gestion des effets de la violence. Nous préparons des chefs de file, des femmes dirigeantes qui défendent des causes. Beaucoup de femmes ont pris les outils sacrés; elles mettent des choses dans leur sac de médecine. Elles acquièrent de la confiance et elles s'expriment. Tout comme moi, elles sont des survivantes et elles feront de grandes choses.
    Je voulais revenir sur la question de la continuité du financement. Nous nous faisons dire sans cesse, surtout par Condition féminine Canada, que des petits projets sont financés pour un an ou 18 mois, et que cela remplace le financement plus substantiel. J'ai été contente d'entendre ce que vous aviez à dire à ce sujet.
    Dans le dernier budget, le gouvernement du Canada a annoncé un montant de 10 millions de dollars pour donner suite à Soeurs par l'esprit et aux conclusions de l'AFAC à cet égard. On dirait que c'est beaucoup d'argent, mais j'ai l'impression que le travail à accomplir est bien plus important que ce que 10 millions de dollars permettront de faire.
    Nous avons ce montant d'argent, et AINC et Santé Canada nous parlent sans cesse des petits éléments qui sont semés par-ci par-là. Qui devrait orienter l'utilisation de cet argent? Si tous ces montants étaient réunis, qui devrait en diriger l'utilisation? Les organisations des premières nations ou les diverses bureaucraties qui semblent tenir les cordons de la bourse?
(1645)
    Nous avons déjà un modèle exemplaire, et c'est la Fondation autochtone de guérison. Il y avait des choses... l'administration et l'attribution des fonds par la Fondation autochtone de guérison étaient d'une incroyable efficacité. Les Autochtones exerçaient le contrôle. Pas uniquement les premières nations. Les Métis et les Inuits aussi. Ils ont décidé qui devait recevoir les programmes et qui recevrait des fonds pour les programmes.
    Hélas, après 10 ans, les fonds se sont taris. Je souhaiterais que le gouvernement fédéral s'engage à maintenir le programme, à maintenir sa participation, comme l'engagement qui a été pris à propos des pensionnats dans les années 1800. De toute évidence, on s'est engagé sur une très longue période à financer les pensionnats. Pourquoi le gouvernement fédéral ne prend-il pas un engagement semblable pour aider à guérir les Autochtones?
    Qui devrait contrôler les fonds? Les Autochtones, bien sûr. La Fondation autochtone de guérison est un modèle exemplaire. Mais il faut que l'engagement soit là et que le financement se poursuive année après année.
    Nous allons passer à Mme Brown, pour les conservateurs.
    Merci, madame la présidente, je voudrais m'orienter dans une autre direction, si on me permet.
    Monsieur Saulis, vous nous avez dit que 54 p. 100 des Autochtones habitent maintenant dans les villes. Ai-je bien compris?
    C'est ce que révèle le recensement de 2006.
    On peut présumer, madame Compton, que vous travaillez avec un grand nombre de ces femmes, qui se présentent à votre centre. Beaucoup ont des enfants, sans doute. Vont-ils à l'école? Participent-ils à des programmes pédagogiques dans les villes? Les femmes sont-elles en mesure d'acquérir des compétences qui leur seront utiles sur le marché du travail?
    Ces 15 derniers jours, nous avons entendu un certain nombre d'exposés. Sans cesse, on nous a dit que l'éducation serait très importante pour que les Autochtones progressent et deviennent autonomes. C'est ce qu'on nous a dit. On nous a aussi parlé d'autodétermination.
    Les femmes acquièrent-elles ces compétences? Peut-être pourriez-vous nous dire quels programmes sont à leur disposition pour qu'elles les acquièrent.
    Nous recevons un solide appui de la Direction générale de la condition féminine de l'Ontario. C'est le premier service ministériel qui nous a donné des fonds pour former des femmes comme adjointes administratives. C'est un projet pilote, et nous espérons le poursuivre.
    Les choses prennent forme lentement. Il faut qu'un plus grand nombre de femmes fréquentent le collège et l'université pour avoir des emplois qui leur permettent de faire vivre leur famille. La plupart des familles sont monoparentales et dirigées par une femme.
    Avez-vous des statistiques sur les programmes d'éducation qui présentent un intérêt? Sont-ils très variés? Y a-t-il un domaine où vous constatez que ces femmes sont particulièrement douées?
    Bien entendu, à Ottawa, le personnel administratif est en demande sur le marché du travail, puisqu'il s'agit de la capitale et que le gouvernement dirige la ville. Il nous faut certainement plus de femmes formées au collège comme conseillères, pour être celles qui aident, qui guérissent et font la recherche à l'Association des femmes autochtones, afin d'aider le gouvernement à élaborer la politique et à faire avancer les choses.
(1650)
    Y a-t-il des femmes qui vont à l'université et obtiennent des diplômes en psychologie?
    Pas du tout. C'est plutôt du perfectionnement pour les femmes. Le cours d'adjointe administrative se donne au niveau collégial. Il existe des postes de débutant dans ces carrières.
    Et nous constatons dans la fonction publique que les femmes représentent 43 p. 100 des effectifs aux échelons supérieurs. Il y a donc de la place pour évoluer.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Saulis. Il faudra faire très rapidement. S'il y a de la violence contre les femmes autochtones, cette violence a des auteurs, et je dois présumer que ce sont des hommes. Y a-t-il des programmes offerts aux hommes pour les aider à s'affranchir de ce comportement et à se libérer de la violence?
    Je ne crois pas qu'il y en ait assez. Et ce qui existe est fragmentaire et axé sur des projets.
    Au cours des 15 dernières années, vos centres ont-ils offert ces programmes aux hommes?
    Les centres d'amitié ont essayé d'aider les hommes et les familles.
    Quelle a été la réaction? La violence a-t-elle diminué?
    Malheureusement non.
    Pourquoi?
    Une minute.
    Les raisons sont multiples. La première, c'est que la population des villes augmente d'année en année. Il y a toujours des nouveaux venus qui arrivent dans les villes. Pour moi, tout revient toujours au problème du manque de continuité dans la capacité de l'organisation d'offrir des programmes suivis.
    Mais ce que vous dites, au fond, c'est que des hommes violents arrivent dans les villes avec leur comportement violent.
    Je ne dirais pas cela. Je dirais que les hommes autochtones qui veulent se guérir viennent dans les centres chercher de l'aide.
    Mais vous dites que, en 15 ans, il n'y a pas eu de diminution...
    Je suis désolée, madame Brown. La séance est terminée.
    Merci beaucoup, monsieur Saulis, madame Compton et madame Mann, de nous avoir donné votre temps et d'avoir répondu aux nombreuses questions posées aujourd'hui. Vous avez jeté beaucoup de lumière sur ce problème. Je vous remercie beaucoup.
    Nous allons maintenant suspendre la séance. Nous avons 20 minutes pour achever de nombreux travaux qui doivent se terminer aujourd'hui.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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