Il y a deux témoins qui ne sont pas encore arrivés, mais nous allons quand même commencer. Il y a également le chef Whiteduck qui se joindra à nous à midi, alors nous allons commencer avec les trois témoins qui sont déjà là.
Le comité se réunit conformément au paragraphe 108(2) du Règlement pour mener une étude sur la violence à l'endroit des femmes autochtones. Nous examinons l'ampleur de la violence à l'égard des femmes autochtones, les causes profondes de cette violence et les formes de violence qu'elles subissent — en d'autres mots, s'agit-il de violence sociétale ou de violence familiale? Ainsi, nous examinons la nature et les causes profondes de la violence infligée aux femmes autochtones.
Cela étant dit, nous allons commencer. J'avise les témoins qu'ils ont chacun sept minutes pour faire une déclaration liminaire. Veuillez me regarder de temps à autre, et je vous ferai signe lorsqu'il vous restera deux minutes puis une minute, parce que nous devons vraiment respecter le plus possible le temps alloué afin que nous puissions passer à la période de questions et réponses. Si vous n'avez pas le temps de terminer ce que vous aviez à dire, assurez-vous de le dire lorsqu'on vous posera une question pour que ce soit consigné au compte rendu.
Nous allons commencer avec l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
Je vous souhaite la bienvenue, Kim.
Je remercie le comité de son invitation. Je serai brève afin que les membres du comité puissent me poser des questions. En examinant certaines des transcriptions, je me suis rendu compte que certaines questions avaient été soulevées, alors je vais essayer de m'y pencher de façon très générale.
J'aimerais commencer par reconnaître le territoire traditionnel où nous avons le privilège de nous réunir.
En raison de mes responsabilités découlant de mon travail d'abord auprès des jeunes et ensuite des hommes, et par la suite, c'est-à-dire au cours des 19 dernières années, auprès des femmes et des jeunes filles surtout dans le cadre du système de justice, je constate que les répercussions du colonialisme et du contact deviennent très claires lorsqu'on voit le nombre de jeunes Autochtones — des hommes, mais plus particulièrement des femmes — dans le système carcéral.
Je veux également souligner qu'il y a des membres de notre organisation dont je représente les intérêts, plus particulièrement nos 26 membres de partout au pays. Ils travaillent avec des femmes et des jeunes filles marginalisées, victimisées, criminalisées et institutionnalisées. Nous sommes connus pour le travail que nous faisons avec les délinquantes en prison, mais en fait nous travaillons avec des femmes qui se trouvent dans toutes sortes de situations et qui ne sont pas incarcérées. Certaines de nos organisations sont les seules à offrir les services sociaux — c'est-à-dire les seuls services destinés aux femmes et les seuls services destinés aux victimes — dans certaines de ces collectivités. Cela fait partie du contexte.
Je reconnais également que j'ai la responsabilité d'agir comme porte-parole des femmes qui ne peuvent pas être ici parce qu'elles sont incarcérées ou institutionnalisées. Certaines d'entre elles sont en prison. D'autres subissent d'autres formes de détention, comme la détention psychiatrique et ainsi de suite. C'est une responsabilité qui me tient à coeur.
Nous nous retrouvons maintenant dans une situation où les femmes représentent la population qui augmente le plus dans les prisons du pays. Et il en va de même dans bien d'autres pays. Au Canada, il s'agit particulièrement de femmes autochtones, de femmes pauvres, de femmes issues d'autres minorités ethniques et de femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Les pourcentages représentent une vaste population, par contre il est très clair que les femmes qui se sont déclarées femmes autochtones représentent maintenant plus d'un tiers de la population carcérale dans les prisons fédérales. Plus d'un tiers des femmes qui purgent une peine au fédéral, et près de la moitié des femmes purgeant une peine de deux ans ou plus au Canada sont des femmes issues de minorités visibles.
Selon les plus récentes statistiques publiées par le Bureau de l'enquêteur correctionnel, on constate également que jusqu'à 45 p. 100 de ces femmes souffrent de graves problèmes de santé mentale. Lorsqu'on se penche sur le sort de ces femmes autochtones, il n'est donc pas surprenant que bon nombre d'entre elles fassent partie des 91 p. 100 des femmes qui ont subi des abus sexuels ou physiques avant leur incarcération. Leur victimisation est très claire. Bon nombre d'entre elles se retrouvent sans ressources dans leurs collectivités et ont fini par avoir recours à l'automédication, parfois avec des médicaments et d'autres fois avec des drogues licites ou illicites. Il s'agit souvent de femmes qui ont très peu de ressources financières. Dans bien des cas, ce sont des femmes qui ont très peu de soutien social ou personnel et qui sont marginalisées très rapidement. Il y a eu des compressions dans les programmes sociaux, les programmes de santé et les programmes d'éducation au Canada, alors il n'est pas très surprenant que ce soit ces femmes qui sont très clairement touchées par ces compressions.
Lorsqu'on parle de violence contre les femmes en général, et du recul qu'on a connu au Canada au cours des deux dernières décennies par rapport à l'important travail de lutte contre la violence envers les femmes qui avait été réalisé, encore une fois, on peut constater les répercussions disproportionnées sur les femmes autochtones et la façon dont cette trajectoire les mène directement à la rue, où il n'y a que très peu de ressources.
Le seul système qui ne peut pas leur tourner le dos est le système de justice criminelle. Elles peuvent être criminalisées pour toutes sortes de raisons, du simple fait d'être à la rue ou bien parce qu'elles sont perçues comme étant une nuisance. Lorsqu'elles se prostituent, bien souvent, elles seront arrêtées pour des accusations de vol à main armée ou de vol qualifié lorsqu'en fait, elles essayaient de négocier un paiement pour les actes sexuels qu'elles avaient fournis. Il y a un bon nombre de femmes en prison, particulièrement les femmes autochtones, qui sont là pour cette raison.
On a pu constater que les policiers ne viennent pas en aide à ces femmes lorsqu'ils sont appelés parce que ces dernières sont victimes de violence. Elles sont essentiellement sous la gouverne de l'État, mais l'État a retiré son soutien et il s'ingère par la suite lorsqu'il s'agit d'intervenir après qu'elles ont été obligées de se défendre ou de défendre d'autres personnes.
Vous connaissez sans doute fort bien ces différents récits. Vous avez parcouru le pays et avez entendu certains des appels au 911 auxquels on n'a pas répondu, à moins qu'il s'agisse d'autre chose qu'une femme en train de se faire battre. Si vous avez besoin de récits à cet égard, je peux vous donner des témoignages de bon nombre de femmes qui disent avoir appelé la police en vain.
Lorsqu'elle est appelée, la police ne vient pas quand une femme se fait battre; elle vient lorsqu'on lui dit que la femme a été obligée de se défendre, qu'elle a peut-être poignardé quelqu'un qui l'a attaquée et ainsi de suite.
Vous avez entendu parler des cas où l'on a décidé de poursuivre même lorsque les actes étaient justifiés. Je pourrais également vous donner des exemples du nombre de fois où des femmes plaident coupables à des accusations même lorsqu'elles savent très bien qu'elles n'ont pas commis l'infraction pour laquelle elles ont été accusées. Toutes sortes de raisons sous-tendent ce comportement. Ce sont leurs familles qui s'y attendent. Ce sont les autres qui s'attendent à ce qu'elles agissent ainsi. Ou bien elles ne veulent plus attendre en détention. Contrairement au discours qu'on entend, elles ne veulent pas être en détention préventive ni sous garde pendant de longues périodes.
Même lorsqu'elles sont incarcérées dans ces situations, il arrive parfois que l'on réussisse à encourager les femmes à porter leur peine en appel. Une femme a réussi à en appeler de sa sentence il y a à peine un mois. Elle a gagné en appel parce qu'en fait, elle s'était défendue contre quelqu'un qui l'attaquait, sa peine et sa condamnation ont été annulées et une date pour un nouveau procès a été fixée. Lorsqu'on lui a proposé d'être libérée sous caution, elle n'a pas pu donner en gage des biens parce que sa famille et elle vivent dans une réserve et, dans les réserves, c'est bien sûr le conseil de bande qui est propriétaire des biens. Même si je lui ai proposé de mettre ma maison en gage, elle a refusé.
Tout le monde était d'accord pour dire qu'elle avait de très bons arguments pour plaider la légitime défense. Il est évident que la Couronne était du même avis, parce que lorsqu'elle a gagné en appel, la Couronne lui a immédiatement proposé de négocier par rapport à son plaidoyer. Initialement, elle avait été condamnée pour meurtre au second degré, et la Couronne lui a proposé de réduire son accusation à celle d'homicide involontaire et de purger une peine d'emprisonnement. Et c'est ce qu'elle a fini par accepter, parce qu'elle ne voulait pas passer une autre année ou deux en prison en attendant un nouveau procès, même si elle avait de bons arguments pour plaider la légitime défense. Elle voulait plutôt retrouver son enfant et retourner dans sa collectivité.
Il existe bon nombre d'exemples de ce genre. Je termine en disant que j'ai hâte de répondre à vos questions.
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Très bien; on m'a dit que j'avais 10 minutes, alors je vais éliminer certaines parties de mon discours ou bien parler très vite.
D'abord, je veux tout simplement dire meegwetch à tous pour m'avoir invitée à venir vous adresser la parole. Je reconnais également le territoire traditionnel où nous nous situons aujourd'hui.
Si l'on veut mieux comprendre et reconnaître le problème et trouver des solutions à la violence sous toutes ses formes envers les femmes et les jeunes filles autochtones, il faut invariablement et avec raison commencer avec le colonialisme au Canada — c'est-à-dire la source profonde de cette violence.
Je ne passerai pas beaucoup de temps à présenter notre histoire collective et les politiques de marginalisation — les pensionnats indiens et la Loi sur les Indiens, par exemple — qui ont été adoptées et qui ont entraîné des conséquences dévastatrices pour les femmes et les jeunes filles autochtones. Je vais plutôt déclarer tout simplement qu'il est impératif et absolument nécessaire de reconnaître et d'intégrer, sans faille, cette histoire partagée dans nos discussions, nos analyses, nos processus et les orientations qui en découleront.
Surtout qu'on nous a maintenant adressé des excuses pour les pensionnats indiens et que les autorités ont exprimé le désir d'aller conjointement de l'avant sur une voie de guérison collective et de revendication, de sorte que nous pouvons profiter d'un espace sûr où nous pouvons entamer des discussions ouvertes et respectueuses sur le patrimoine colonial et sur ses répercussions sur les jeunes filles et les femmes autochtones tout en évoquant la violence qui est perpétrée.
Les femmes et les jeunes filles autochtones subissent toute une panoplie de formes de violence, y compris le racisme, le sexisme, la discrimination fondée sur la classe sociale ou l'identité sexuelle, la marginalisation sociale et économique, le manque de logements adéquats et sûrs, le manque d'accès à l'éducation, le manque d'accès à la justice ainsi que le manque d'accès à des services sociaux comme des services juridiques, des maisons de refuge spécialisées et divers programmes de services sociaux, pour ne donner que quelques exemples.
Dans leur ensemble, toutes ces manifestations de violence créent un milieu inéquitable et écrasant de marginalisation et de dislocation ainsi qu'un sentiment de désespoir dans la vie quotidienne des femmes et des jeunes filles autochtones. Bien souvent, nous voyons des crises et des événements traumatisants intergénérationnels dans les expériences vécues et dans les récits faits par les femmes et les jeunes filles autochtones, qui n'ont que très peu de possibilités pour y échapper ou s'engager sur la voie de la guérison.
Même si chacune de ces manifestations mériterait ses propres discussions, délibérations et débats, je vais plutôt concentrer mes observations essentiellement sur le phénomène tragique des femmes et des jeunes filles autochtones portées disparues ou assassinées, ce qui représente sans doute la manifestation ultime et finale de la violence sur ce spectre de violence.
Nous savons que même les chiffres les plus bas laissent présager qu'il y a environ 600 femmes et jeunes filles autochtones qui sont portées disparues ou qui ont été assassinées. Nous savons également que chacune d'entre elles est représentative et est le reflet de la diversité dans nos collectivités autochtones. Certaines d'entre elles étaient des enseignantes, des étudiantes et des travailleuses, certaines étaient exploitées sexuellement, tandis que d'autres avaient des problèmes transitoires de santé mentale. Ces femmes représentent en effet un microcosme de la plupart, sinon de la totalité, des femmes et jeunes femmes au Canada. Il s'agit de mères, de filles, de grands-mères, de tantes et de cousines. Il existe en effet deux grands facteurs qui unissent ces femmes et ces jeunes filles autochtones ayant disparu ou ayant été assassinées: elles étaient des femmes autochtones et elles étaient toutes aimées et appréciées de leurs familles.
C'est dans cette perspective que le Manitoba affirme que le problème des femmes et des enfants autochtones ayant disparu ou ayant été assassinés constitue à la fois une tragédie régionale et nationale qui demande notre attention immédiate et notre condamnation ainsi que l'intervention du gouvernement, de la société civile, des organisations non gouvernementales et des associations communautaires, qui doivent tous faire preuve de leadership.
Il y a près de 80 femmes et jeunes filles autochtones qui sont portées disparues ou qui ont été assassinées au Manitoba seulement. Nous poursuivons notre engagement auprès de leurs familles et de leurs êtres chers — et qui plus, de tous les Manitobains — pour régler ce problème de façon approfondie, méthodique et stratégique, et faire en sorte que justice soit faite.
Par conséquent, le 26 août 2009, le gouvernement du Manitoba a annoncé la création du groupe de travail intégré pour les femmes disparues et assassinées, et ce, en partenariat avec la Gendarmerie royale du Canada et le Service de police de Winnipeg.
La semaine suivante, soit le 3 septembre 2009, le Manitoba a mis sur pied le groupe d'action sur les femmes exploitées et vulnérables, qui visera à créer un partenariat entre le gouvernement et les organisations communautaires pour résoudre ce problème grave.
Un conseiller spécial sur les affaires touchant les femmes autochtones a été nommé pour travailler particulièrement à ce dossier en collaboration avec le gouvernement, les collectivités et les familles. En outre, le conseiller spécial est mandaté pour travailler directement avec la GRC et le Service de police de Winnipeg en tant qu'agent de liaison au nom des familles des femmes et des jeunes filles disparues et assassinées, ce qui permet d'établir un lien de confiance nécessaire entre les deux parties.
Les recherches actuelles de Chandler et de Lalonde indiquent que les collectivités autochtones peuvent obtenir des résultats sociaux vraiment concrets lorsque...
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Tout d'abord, je tiens à vous remercier de me permettre de comparaître et j'aimerais également reconnaître le territoire traditionnel que nous habitons.
Les taux de violence contre les femmes sont plus élevés dans le Nord que dans les autres régions du pays. Les femmes autochtones sont plus susceptibles d'être victimes de violence que les autres femmes. En raison de ces deux facteurs, nous savons que les femmes autochtones qui vivent dans le Nord sont plus susceptibles d'être victimes de violence que tout autre groupe au Canada. La violence dans les collectivités septentrionales n'est rien de moins qu'une épidémie, et pas tous les incidents font l'objet d'un rapport. Il y a un grand nombre d'incidents de violence qui ne sont pas signalés dans les collectivités du Yukon. La violence contre les femmes autochtones continue d'être un des plus graves problèmes auquel est confrontée notre collectivité.
Nous nous sommes efforcés au fil des ans de créer des programmes et de mettre sur pied des services qui aident ces femmes et leurs familles, et ce dans un contexte culturellement pertinent. Nous avons adopté une démarche proactive et préventive lorsque c'était possible. Cependant, très souvent, nous devons travailler avec des victimes à la suite d'une crise.
Nous nous sommes démenés pour obtenir plus de ressources pour les femmes autochtones des collectivités du Yukon. À l'été 2010, nous avons mis sur pied un projet régional Soeurs par l'esprit afin d'effectuer des recherches dans les collectivités sur les femmes autochtones du Yukon disparues et assassinées. Après à peine trois mois de recherche, nous avons constaté qu'au moins 29 femmes autochtones de nos collectivités étaient disparues ou avaient été assassinées. Ce chiffre ne semble peut-être pas très élevé, mais dans une petite région comme le Yukon, qui ne compte que 35 000 habitants, ce chiffre est très important. Vingt-neuf de nos soeurs du Yukon sont mortes ou portées disparues. C'est simplement inacceptable. Chaque grande famille des Premières nations du Yukon a perdu un de ses membres, ce qui veut dire que nous sommes tous touchés par cette tragédie.
Nous avons commencé à collaborer avec l'Association des femmes autochtones du Canada pour nous aider à effectuer nos recherches et à élaborer notre projet. Cependant, puisque le financement de l'association a été réduit, notre projet pourrait fort bien ne pas être aussi approfondi que nous l'aurions désiré. Ce projet nécessite une analyse des renseignements que nous recueillons pour que nous puissions travailler de près avec les familles et les collectivités dans le cadre d'un processus de guérison et les encourager à participer à une campagne de lutte contre la violence. Nous craignons que sans l'aide et les connaissances des employés affectés au programme de Soeurs par l'esprit de l'Association des femmes autochtones du Canada, notre projet original ne sera pas fructueux, ce qui veut dire que les efforts que nous déployons afin de lutter contre la violence dont sont victimes les femmes autochtones ne donneront pas les résultats prévus.
Il y a — pour l'instant — 29 femmes autochtones du Yukon qui ont disparu ou qui ont été assassinées. Il s'agit de 29 femmes qui étaient des mères, des soeurs, des filles, des tantes, des cousines, des grands-mères, des épouses et des petites amies. Il s'agit de 29 femmes qui, par leurs morts et également par leurs vies, ont touché les vies des familles et des collectivités. Peut-on chiffrer leur valeur? Qu'en est-il de celles qui disparaîtront ou qui seront assassinées au cours des prochaines années?
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J'aimerais d'abord dire
meegwetch aux membres du comité permanent de m'avoir offert cette occasion de témoigner. Voici ma mère. C'est à elle que je dédie cet exposé.
Je m'appelle Bridget Tolley et je suis une fière Algonquine et grand-mère de la réserve Kitigan Zibi Anishinabeg. Certains d'entre vous me connaissent peut-être ou ont peut-être entendu parler de moi puisque je fais tout ce que je peux depuis neuf ans et demi afin d'obtenir justice pour la mort de ma mère Gladys Tolley. Cette recherche de la justice a fait de moi à certains égards qui je suis aujourd'hui, et c'est ce que j'ai vécu qui m'a amenée à m'exprimer et à lutter pour la justice. Je suis en quête de cette justice pour mes petits-enfants, mes arrière-petits-enfants et les sept prochaines générations.
Vous connaissez peut-être certaines des statistiques sur la violence qui existe dans les collectivités autochtones. Les chiffres présentés par les divers paliers de gouvernement et ministères révèlent qu'il y a beaucoup de cas de violence, tout particulièrement contre les femmes et les filles autochtones. Cependant, je ne suis pas venue aujourd'hui vous parler de chiffres, parce qu'il semblerait que lorsque les gens, les collectivités et les leaders communautaires entendent des chiffres, ils deviennent insensibles.
Comment réagissez-vous lorsqu'on vous donne un chiffre lié à la violence familiale, aux mauvais traitements physiques et sexuels, à l'inceste ou à la toxicomanie? Je peux vous dire ce que ces chiffres représentent pour moi à titre de survivante.
Certains de mes premiers souvenirs sont ceux des querelles qui se déroulaient chez moi. Mes parents se sont séparés lorsque je n'avais environ que deux ans, mais leurs querelles sont toujours un aspect marquant de leur rapport, et c'est ce à quoi je pense lorsque je me rappelle l'époque où ils étaient ensemble. Après leur séparation, mon père a refusé de laisser ma mère partir avec mes frères, mes soeurs et moi, et j'ai donc été élevée par mon père et ma grand-mère. Ce n'était pas un foyer où l'on était en sécurité, mais plutôt un endroit où j'ai appris à avoir peur.
J'étais une petite fille lorsque l'abus sexuel a commencé. Avec le recul, je comprends que je ne savais pas vraiment ce qui se passait. C'est mon oncle qui a volé l'innocence de mon enfance, quelqu'un qui faisait partie de la famille, et dont je n'osais pas me plaindre. Comme nombre d'enfants, j'ai été victime de violence mais en silence. Je n'en ai parlé qu'après la mort de mon oncle. Il était âgé lorsqu'il est mort. Je me souviens à quel point je me suis sentie libérée lorsqu'il est mort, mais ma vie avait changé à tout jamais.
Mais ce n'était pas la fin des traumatismes de mon enfance. Quelques années plus tard, lorsque j'avais 11 ans, mon père s'est suicidé en se tirant une balle dans le coeur une journée où nous n'étions pas à la maison. Je ne pense pas pouvoir vous expliquer quelle incidence ce genre de traumatisme peut avoir sur un enfant. Je n'avais aucun moyen de gérer les émotions, la peur, l'impression de bouleversement total au moment même où j'avais besoin de me sentir en sécurité et d'avoir quelqu'un qui m'aide à comprendre que ce n'était pas la façon dont la vie devait être.
Après la mort de mon père, ma mère est revenue, mais nous avons continué à vivre avec ma grand-mère jusqu'à son décès en 1980. J'avais environ 20 ans à l'époque, et je me débattais pour comprendre qui j'étais au moment même où j'étais une jeune mère.
Le triste fait est que je ne pouvais pas faire face à la situation. Faire la fête pour moi, c'était une façon de m'évader, de ne plus rien sentir, de ne pas avoir à confronter tous les souvenirs, les émotions, les expériences et la douleur. M'échapper et ne plus penser, c'était la seule façon pour moi de survivre.
Tout cela a pris fin soudainement le jour où ma mère a été tuée le 5 octobre 2001. J'avais déjà perdu ma mère lorsque j'étais petite; cette fois-ci, je la perdais à tout jamais. Le pire, c'est qu'elle a perdu la vie lorsqu'elle s'est fait frapper par une voiture de police de la Sûreté du Québec en rentrant à la maison à pied une nuit.
C'est la douleur et la colère que j'ai ressenties au décès de ma mère qui m'a forcée à faire le point. J'ai été prisonnière du système pratiquement toute ma vie. Le système à l'époque, et encore de nos jours, est caractérisé par des échecs et par le racisme. Il a également enseigné à nos peuples ce qu'était la violence latérale.
Grâce à une force que m'a accordée le Créateur et grâce à la persévérance, après près de 40 ans, c'est ma révolte contre l'injustice qui m'anime. J'ai traversé toutes sortes d'épreuves dans ma vie, mais j'ai constaté que l'on devient animé d'une force particulière lorsqu'on révèle ce qu'on a vécu et qu'on raconte son expérience.
Je sais aujourd'hui que je ne suis pas seule. Lorsque vous étudiez les statistiques, chaque chiffre représente une vie, et parfois plus d'une. Je ne suis qu'une personne, mais je traîne avec moi toute une vie de douleur.
Je vous encourage lorsque vous quitterez cette salle aujourd'hui à commencer à vous imaginer un visage, une personne, chaque fois que vous entendez un chiffre lié à la violence, au mauvais traitement et à la survie. Je vous encourage également à prendre mon histoire et celle de n'importe qui d'autre très au sérieux en vous engageant auprès des femmes, des hommes, des enfants, des familles et des collectivités autochtones, en leur promettant d'apporter des changements.
À titre de représentants élus, vous pouvez dire que mettre fin à la violence dans les collectivités autochtones doit être une priorité de votre parti et de votre chef. Ne laissez pas une autre génération souffrir comme j'ai souffert. Investissez dans des programmes visant à assurer la guérison communautaire, la création d'endroits où les survivants et leurs familles pourront se rencontrer pour retrouver leur force et leur voix, des ressources pour assurer que les collectivités auront accès à des services de santé mentale et physique pour répondre aux besoins permanents des Autochtones. Enfin, s'il vous plaît, donnez-nous un endroit où nous pouvons rendre hommage à tous ceux qui ne sont plus des nôtres aujourd'hui pour que nous puissions vous parler de leur vie.
Je suis très heureuse de l'existence de votre comité, mais je ne peux pas m'empêcher d'avoir des doutes. Je me pose également des questions sur ces délibérations, et il en va de même pour d'autres membres de la famille des femmes autochtones assassinées et disparues.
Voici certaines de mes questions. Pourquoi les membres des familles n'ont-ils pas été avisés lorsque le comité est venu à Kitigan Zibi en juin? Pourquoi les délibérations de ces comités n'ont-elles pas été affichées en ligne alors que celles des autres réunions l'ont été? Pourquoi le comité a-t-il décidé d'aller à Prince Albert, en Saskatchewan, mais non pas à Regina et à Saskatoon, où un plus grand nombre de femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées? Pourquoi les familles n'ont-elles pas été mises au courant de la façon dont fonctionne le comité? Pourquoi n'avons-nous pas été invités à faire connaître notre point de vue sur le processus? Pourquoi n'avons-nous pas été consultés sur le financement dont nous avons besoin? Pourquoi ces décisions ont-elles été prises par des gens qui ne vivent pas notre vie?
Nombre d'entre nous demeurent méfiants. Même si le financement de Soeurs par l'esprit était renouvelé, nous craignons que l'on exige des concessions de la part de l'Association des femmes autochtones du Canada. Que se produira-t-il si ces concessions ne sont pas dans les meilleurs intérêts de ces familles? Que pourrons-nous faire? J'espère que je recevrai réponse à certaines de ces questions.
Comme je l'ai fait au cours des cinq dernières années, je continuerai à collaborer avec l'Association des femmes autochtones du Canada pour organiser des vigiles dans le pays tout entier pour rendre hommage à ma mère et aux femmes et aux filles autochtones assassinées et disparues. Au cours des cinq dernières années, l'initiative Soeurs par l'esprit est devenue un vrai mouvement national qui organise des vigiles dans plus de 84 villes et collectivités, y compris des villes à l'étranger.
Nous sommes sur une bonne lancée. Je suis très encouragée de voir la communauté qui se défend et qui s'exprime, et je continuerai donc ma lutte au nom des membres des familles qui souvent se sentent oubliés et muselés. Je ne mettrai jamais fin à ma lutte pour la justice et l'éradication de la violence.
Merci, Meegwetch.
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Merci beaucoup, madame Tolley.
Vous avez posé certaines questions très importantes sur la façon de procéder du comité. Nous avons essayé de consulter le plus grand nombre de groupes possible afin de décider de la meilleure façon de faire, mais lorsque nous nous déplaçons comme comité, nous sommes limités par le budget qu'on nous a accordé. Nous devons ainsi décider où nous allons, et nous essayons de visiter chaque région. Nous aurions beaucoup aimé aller à Regina en raison du grand nombre de femmes assassinées et disparues, mais nous devions également nous rendre dans des collectivités éloignées où personne ne s'était jamais rendu auparavant. Puis nous sommes allés à Vancouver-Est et, comme vous le savez, on y trouve là un grand nombre de femmes assassinées et disparues.
Nous pensions que nous pouvions comprendre les problèmes dans les villes, mais nous voulions également visiter les endroits plus éloignés et les réserves. Nous voulions parler à l'Autochtone moyen et pas simplement aux organisations parce que parfois nous pensions que, comme dans votre cas, madame Tolley, nous pourrions entendre des récits fort personnels qui ne seraient peut-être pas bien communiqués si vous parliez à de grandes organisations.
Je regrette sincèrement que nous n'ayons pas pu visiter toutes les régions et probablement pas pu faire autant que nous l'aurions voulu, rencontrer tout le monde par exemple, mais je tiens à vous remercier personnellement d'avoir soulevé ces problèmes et de nous avoir présenté un récit personnel et émouvant.
Merci.
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Merci, madame la présidente. Je tiens à remercier tous nos témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Madame Tolley — Bridget —, tout comme la présidente, je désire vous remercier d'avoir partagé avec nous un récit fort personnel. Nous vous en sommes reconnaissants parce que votre témoignage nous permet certainement de mieux comprendre ce que nombre d'Autochtones ont vécu. Merci.
J'ai beaucoup de questions à poser et très peu de temps pour le faire. Ma première question s'adresse à Kim.
Nous avons déjà parlé auparavant, et une des questions les plus pressantes — bien qu'il y en ait beaucoup, mais une des questions qui me préoccupent le plus —, c'est qu'un très grand nombre de femmes sont incarcérées simplement parce qu'elles ont réagi à la violence qu'elles subissaient. Nous avons entendu pendant nos déplacements des récits extraordinaires de racisme systémique.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus long, comme vous l'avez fait lors d'une conversation personnelle, sur les contacts que vous avez eus avec des femmes qui sont derrière les barreaux et qui y sont simplement parce qu'elles étaient des victimes.
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Je vous remercie beaucoup, madame Neville.
Comme nous en avons discuté, l'une des choses que j'ai remarquées lorsque j'ai commencé à travailler exclusivement avec des femmes et des jeunes filles, et particulièrement chez les femmes et les filles autochtones, a été le nombre d'entre elles qui avaient plaidé coupables et qui n'avaient donc même pas subi de procès. Nous avons d'abord pensé que ce phénomène résultait d'un manque de représentation juridique. Dans certains cas, c'est probablement en partie la raison du problème. En effet, il est indéniable que les compressions dans l'aide juridique ainsi que l'élimination du Programme de contestation judiciaire ont considérablement réduit la possibilité de s'attaquer aux problèmes systémiques, particulièrement au racisme systémique.
Aussi, si l'on tient compte de l'ensemble des femmes autochtones incarcérées pour infractions avec violence, à ma connaissance, il n'y a qu'une seule d'entre elles où la violence n'était pas une réaction à une violence antérieure.
Cela ne signifie pas que les crimes en question soient toujours excusables. Toutefois, dans certains cas, ces infractions avec violence ont été commises pour se défendre, et dans mes propos liminaires, j'ai déjà donné un ou deux exemples de cette violence défensive que les tribunaux ne reconnaissent pas comme étant de la défense, en grande partie parce que les femmes n'ont pas eu la possibilité de raconter ce qui leur est arrivé. Quoi qu'il en soit, dans bon nombre de causes, la violence dont les femmes ont fait preuve était réactionnelle. Je songe, par exemple, à quelques femmes déjà incarcérées dont les soeurs avaient été violées. Elles s'en sont prises à l'homme qui avait commis des viols à répétition en toute impunité dans leur collectivité. On a jugé que cette agression était un acte de vengeance; on les a d'ailleurs punies. En fait, dans une des causes, la femme tenait à plaider coupable à une accusation de meurtre et a d'ailleurs fait un plaidoyer en ce sens. Cela limite considérablement notre possibilité d'essayer de rouvrir la cause afin d'en faire connaître le contexte.
Ainsi que je vous l'ai déjà précisé, l'une des choses que nous nous sommes efforcés de faire... Je donne un cours à l'Université d'Ottawa — en fait, j'ai commencé la semaine dernière mon enseignement du trimestre actuel — qui porte sur la défense des femmes battues devant les tribunaux. Il y a d'ailleurs tant de causes concernant les femmes autochtones qu'il faudrait en citer un grand nombre, mais parmi toutes ces causes, nous en avons trouvé une seule où la femme en question s'est laissée convaincre de rejeter les accusations portées contre elle. Elle a été acquittée, ce qui n'a rien d'étonnant. Une fois qu'il a été possible pour elle de raconter ce qui lui était arrivé, de mettre les choses en situation, elle a été acquittée, dans une cause où elle avait tué un conjoint violent.
Je pourrais poursuivre longtemps sur le sujet. Il y a tellement d'exemples de cette situation.
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Merci, madame la présidente.
Merci, mesdames, d'être parmi nous. Vous me faites sentir très humble. Je suis très touchée par votre témoignage, madame Tolley. Merci de nous accueillir sur votre territoire et de nous faire suffisamment confiance pour partager avec nous votre point de vue même si, comme vous l'avez dit, vous ne croyez pas nécessairement que nous allons pouvoir agir — ce que nous devons faire. Vous avez probablement raison. Nous n'agissons pas suffisamment. C'est vrai, il y a plusieurs années que nous faisons des études, des rapports, et nous n'agissons pas suffisamment. J'espère que, cette fois-ci, le rapport sera suffisamment étoffé pour que nous puissions entreprendre de vraies réformes. Je l'espère.
Vous nous avez donné quelques pistes de solution. Je sais que l'un des problèmes qui me dérange le plus, c'est que 30 p. 100 des femmes qui se retrouvent en prison sont des Autochtones. Le plus souvent, une grande partie de ces femmes sont également victimes du syndrome de l'alcoolisation foetale. Pourtant, on sabre dans les programmes.
Selon vous, comment se fait-il que l'on sabre dans les programmes qui pourraient permettre de diminuer l'incidence de l'alcoolisation foetale, donc de diminuer la présence de femmes autochtones parmi la population carcérale? Quelqu'une d'entre vous pourrait-elle me répondre à ce sujet? Madame Pate?
:
Je m'excuse, mais je vais parler en anglais.
[Traduction]
L'un des problèmes inhérents au syndrome d'alcoolisation foetale est qu'il s'agit d'une manière racialisée et sexualisée de blâmer les femmes dans les cas dont l'État ne veut pas se saisir. Lorsque j'ai rencontré des pédiatres il y a quelques années, dès le début de notre collaboration sur cette question, certains d'entre eux nous ont demandé pourquoi nous ne nous penchions pas sur les problèmes liés à la malnutrition, à l'absence d'eau potable ou encore à l'absence de services de santé satisfaisants comme conditions menant ces jeunes et ces enfants à une situation déficitaire. À la place, nous nous sommes concentrés sur l'une des réalités visibles pour lesquelles nous pouvons blâmer la mère et, par conséquent, exempter l'État de toute responsabilité. À mon avis, c'est l'une des raisons pour lesquelles les programmes ont fait l'objet de compressions.
L'autre chose est que nous avons pu compter sur certaines femmes très courageuses — je pense par exemple à Trish Monture, qui est malheureusement décédée il y a trois mois, et à Mary Ellen Turpel-Lafond, juge et défenseure des enfants en Colombie-Britannique — qui ont pris des décisions très courageuses. Par exemple, au sujet de l'alcoolisation foetale, on a amené quelques jeunes devant la juge et on lui a dit que puisqu'ils souffraient d'alcoolisation foetale, il n'y avait vraiment pas d'autres choix que de les incarcérer. Elle a répondu que s'ils souffraient du syndrome d'alcoolisation foetale et ne réussissaient pas à s'améliorer dans le cadre de certains programmes, alors il incombait au ministre des Services sociaux et peut-être aussi au ministre de la Santé de concevoir et de mettre sur pied d'autres programmes et d'autres services qui répondraient à leurs besoins. Malheureusement, ce jugement a été cassé en appel, mais il n'empêche que Mme Turpel-Lafond avait réagi correctement en refusant de jeter ces jeunes en prison, où ils ne recevraient aucun soutien et souffriraient vraisemblablement d'autres problèmes.
L'une des femmes autochtones dont je parlais se trouve justement dans cette situation. Elle est en cellule d'isolement, elle vient d'attenter à sa vie pour la énième fois et on l'a encore transférée à l'autre bout du pays. Son histoire est presque identique à celle d'Ashley Smith, et si je fais cette précision, c'est parce que les gens sont au courant de son histoire, qui a reçu un plus large écho.
En fait, nous devrions nous efforcer de réintégrer ces femmes dans leur collectivité et de s'en remettre aux soins de leur réseau de soutien communautaire, où elles aboutiront de toute manière, si toutefois elles ne meurent pas en prison avant. C'est sur quoi nous devrions concentrer nos efforts plutôt que d'essayer des solutions rafistolées et de créer davantage de programmes dans les prisons. À mon avis, c'est dans la collectivité qu'il faut que nous mettions sur pied des services, tant à titre de prévention que de soutien.
Nous ne devrions plus affirmer que c'est la faute de la mère parce qu'elle boit ou qu'elle engourdit ses sens en consommant d'autres substances, en prétendant que cela résoudra le problème. Si nous nous reportons aux générations précédentes, la plupart de nos mères n'avaient aucune idée des conséquences de la consommation de médicaments ou d'autres substances, et pourtant, on ne les blâmait pas pour autant de prendre un verre ou autre chose. À mon avis, c'est devenu un moyen pour l'État d'esquiver ses responsabilités.
Cela dit, je conviens qu'il s'agit là d'un problème tout à fait réel; ces questions sont très réelles, mais il y en a d'autres aussi que nous nous permettons de passer sous silence parce qu'elles nécessitent l'engagement de l'État et ses ressources.
Je dois parler en anglais. Je m'excuse.
[Traduction]
Très brièvement, j'aimerais dire que le syndrome de l'alcoolisation foetale est une incapacité. Il s'agit d'une incapacité légitime qu'il ne faut pas criminaliser. Je tenais seulement à le préciser.
Vous n'ignorez sans doute pas que la très grande majorité des enfants remis aux services de protection de l'enfance sont les nôtres. À l'heure actuelle, la justification invoquée pour les retirer à leurs parents est la pauvreté, n'est-ce pas? On se trouve donc à dire à des femmes vivant dans la plus grande pauvreté qu'elles ne sont pas de bonnes mères et qu'on va donc leur retirer leurs enfants. Pour revenir aux propos de Kim, cela intervient après coup. Encore une fois, ce sont la mère et les parents que nous blâmons parce qu'ils vivent dans la pauvreté, réalité qui s'insère aussi dans l'histoire.
Il faut que les gouvernements s'investissent dans les collectivités et engagent leurs ressources. Il faut aussi que nous investissions dans les familles. Lorsqu'on tient compte des maigres ressources dont vivent les gens qui reçoivent de l'aide sociale... Je sais que dans une réserve au Manitoba, une famille reçoit 174 $ par mois au titre de l'aide sociale. On peut presque prédire qu'un jour, leurs enfants leur seront retirés pour une raison ou une autre, parce qu'ils n'ont pas les moyens de pourvoir à leurs besoins; or, ces familles doivent aussi faire face à tous ces traumatismes intergénérationnels dont nous avons entendu parler aujourd'hui et qui sont des réalités dans nos vies.
Nous devons investir ces sommes non seulement dans l'aide sociale mais aussi dans l'éducation. Nous n'ignorons pas qu'au Canada, dans certaines collectivités, il n'existe même pas d'école où envoyer les enfants, alors que se passera-t-il? Nous savons qu'invariablement, beaucoup d'enfants tomberont dans la délinquance, leurs familles aussi, et on finira par leur retirer leurs enfants. C'est tout simplement un cercle vicieux.
Dans beaucoup de collectivités de notre pays, les gens disent que les services sociaux actuels et les services de protection de l'enfance ne sont que le prolongement des pensionnats indiens. Il faut que nous ayons le courage d'investir ces ressources en éducation, en santé, en nutrition et dans tous ces autres secteurs.
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J'aimerais tout simplement revenir un peu en arrière. Je sais que la question de la violence familiale, de la violence au foyer, fait partie du programme du gouvernement et du programme de divers gouvernements depuis de nombreuses années. Le problème, c'est qu'il a été désexualisé au point où cela a causé des problèmes.
Au milieu des années 1990, il y a eu des consultations productives au sein de ce que l'on appelait à l'époque généralement les « groupes de femmes ». On a consulté des organismes qui sont ici aujourd'hui et d'autres organismes que le comité a consultés, ce qui a permis de faire des recommandations pour mettre en oeuvre de vraies initiatives. Je vous recommande le document intitulé « 99 Federal Steps Towards an End to Violence Against Women », qui est l'un des produits de ces consultations.
On a consulté des femmes dans les collectivités qui travaillaient pour lutter contre la violence ainsi que des femmes autochtones et d'autres femmes issues de minorités visibles. On a consulté un large éventail de femmes et on a fait des recommandations, mais on n'y a pas donné suite, surtout parce que cela créait un certain malaise. On remettait en question la façon dont les représentants abordaient la question.
Pour lutter contre la violence envers les femmes, il faut s'attaquer aux inégalités structurelles auxquelles les femmes doivent faire face: l'inégalité sociale, l'inégalité financière et l'inégalité raciale. Il faut s'attaquer à tous ces problèmes. Nous n'avons cependant pas encore constaté qu'il y avait un effort concerté en vue de régler ces problèmes et d'exiger une véritable égalité pour les femmes à tous les niveaux.
L'élimination du Programme de contestation judiciaire a sans doute été le pire exemple car c'était là un mécanisme qui permettait aux femmes — particulièrement aux femmes pauvres, aux femmes issues de minorités visibles, aux femmes handicapées — de faire valoir l'obligation de mettre en place des mesures tenant compte de leurs besoins.
Je pense qu'il y a des problèmes réels, mais je pense qu'il y a également des possibilités réelles.
La prévention consiste à mettre en place des mesures d'égalité sociale et financière de façon à ce que les femmes ne se retrouvent pas obligées d'essayer de s'en sortir. Nous avons créé un groupe de personnes qui peuvent être criminalisées à l'infini en permettant aux provinces de sabrer dans l'aide sociale comme elles l'ont fait.
Nous avons sabré dans les services de santé mentale. Dans le rapport de la Commission Kirby, le sénateur Kirby parlait des problèmes de santé mentale. Les femmes ont toujours été surreprésentées à cet égard. Nous avons fait des compressions dans ces services. Dans les prisons, auparavant les femmes pouvaient poursuivre des études postsecondaires. Tous ces services ont été interrompus en 1992.
Nous avons une succession de compressions qui ont créé encore plus de problèmes à cet égard. C'est pourquoi la population carcérale féminine est celle qui croît le plus rapidement. Ce n'est pas parce qu'on se promène à l'extérieur et qu'on craint pour sa sécurité à cause des femmes. Ce n'est pas par hasard qu'il y a un lien entre les deux. C'est une question de prévention. Les femmes qui viennent de la collectivité retournent à la collectivité, et à moins qu'il y ait des services et un soutien en place, la situation ne changera pas.
En fait, je viens tout juste de recevoir un appel des Services correctionnels. Ils m'ont avisée qu'ils s'apprêtaient à enfreindre la loi et à commencer à transférer des femmes partout au pays de façon illégale, parce qu'ils n'ont pas de lits. C'est quelque chose lorsque le gouvernement vous fait une telle annonce.
Je vous suis très reconnaissante d'être ici, et je veux vous remercier de tous les renseignements que vous nous fournissez. Cela nous aide à commencer à remplir tous les interstices, toutes les lacunes dans notre façon de comprendre ce problème.
Je voudrais m'adresser à tous les témoins, mais je vais commencer par Mme Pate. Vous avez dit quelque chose qui m'a troublée. Vous avez dit qu'il y a eu un recul en ce qui a trait à la violence faite aux femmes. Je me demande si vous pourriez nous en parler davantage.
Par ailleurs, je voudrais parler un peu du rapport Sapers de 2008. Essentiellement, ce rapport contenait un certain nombre de recommandations, mais ce qui est le plus horrifiant au sujet de ce rapport, c'est que le protocole de gestion a été utilisé et est toujours utilisé contre les femmes autochtones. Ce sont surtout les femmes autochtones qui se trouvent dans cette horrible situation, et les contrevenants autochtones sont ceux qui risquent le moins d'obtenir une libération conditionnelle.
Ce n'est pas une question précise, mais je me demandais si vous pouviez aborder certaines de ces questions, car je pense que la violence institutionnelle dont les femmes sont victimes est une question que nous devrions examiner.
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Lorsque j'ai parlé de « recul », je voulais dire qu'il est très clair qu'il y a une augmentation des accusations. Les femmes appellent la police pour obtenir une protection, mais elles risquent de plus en plus de faire également l'objet d'accusations si elles ont utilisé quelque type de force que ce soit pour se défendre, de sorte qu'il y a encore un plus grand nombre de femmes qui se retrouvent à l'heure actuelle en prison parce qu'elles ont été accusées de voies de fait alors qu'on aurait dû reconnaître qu'elles étaient en fait en train de se défendre ou de défendre leurs enfants.
Je vous recommanderais une étude qui a été faite par Elizabeth Comack. Elle avance que les femmes deviennent toutes aussi violentes, que l'émancipation et l'égalité font en sorte que les femmes sont toutes aussi violentes.
Lorsqu'elle a en fait examiné les statistiques, à Winnipeg seulement, ses chercheurs et elle ont constaté que même si les taux d'accusation étaient à peu près les mêmes, dans pratiquement aucun des cas où les femmes avaient été accusées de voies de fait les victimes ont eu besoin d'attention médicale. Dans presque tous les cas où ce sont des hommes qui avaient été accusés de voies de fait, les victimes avaient tout au moins eu besoin d'attention médicale et souvent, elles ont dû être hospitalisées. Il suffit d'examiner d'un peu plus près le dossier de la police pour voir clairement la différence sur le plan des pratiques d'accusation, de poursuite et, je dirais, de détermination de la peine.
Lorsque je vois qu'un homme et une femme ont été accusés... Il y a eu un autre cas à Winnipeg l'an dernier ou l'année précédente. Une femme a été accusée alors qu'elle avait d'abord été victime de l'homme qui avait été accusé en même temps qu'elle. Elle avait été attirée dans une situation dans laquelle elle a été exploitée sexuellement. Elle devait ensuite attirer d'autres jeunes femmes dans cette situation avec elle. Elle a ensuite été accusée de proxénétisme. Elle a été accusée d'agression sexuelle. Elle a reçu la même peine que l'homme qui l'avait au départ victimisée.
Or, je ne dis pas qu'elle n'a aucune responsabilité ni qu'elle n'a joué aucun rôle dans cette affaire — pas du tout, mais a-t-elle la même responsabilité étant donné la façon dont elle a été attirée pour commettre cet acte? Je dirais que non.
C'est l'un des aspects de la contre-accusation.
En ce qui concerne le protocole de gestion, les Services correctionnels ont dit qu'ils mettraient fin à ce protocole. D'ici le mois prochain, ils sont censés avoir un nouveau plan. Nous les avons vivement encouragés à examiner certaines des options, notamment le centre de traitement de Brockville, pour faire sortir complètement les femmes des centres correctionnels fédéraux et des prisons, car la façon dont sont traitées ces quatre femmes autochtones — qui se trouvent à l'heure actuelle dans un établissement de sécurité maximale — est pire que dans l'unité spéciale à sécurité maximale qui existe au Québec pour les hommes.
Ces femmes sont escortées partout où elles vont. Elles sont en isolement. Elles développent des problèmes de santé mentale. Celles qui en avaient déjà à leur arrivée en ont encore plus. Ces femmes ne pourront jamais être réintégrées dans l'établissement, dans la prison, et encore moins dans la collectivité. La prison est en train de devenir le facteur de risque le plus important pour ces femmes et pour la sécurité publique. Nous avons fait valoir qu'il faudrait les sortir de cet environnement carcéral afin qu'elles ne soient pas constamment punies pour leur comportement qui, dans un établissement de soins de santé mentale, serait considéré comme étant un symptôme de leur maladie mentale et qui ne serait pas nécessairement considéré comme une raison de les punir.
Je pense qu'il y a de nombreux exemples de mesures que l'on pourrait prendre. Par ailleurs, Louise Arbour a fait de nombreuses recommandations en vue de limiter le recours à la ségrégation et d'instaurer la responsabilité correctionnelle. Je vous recommande de lire ce qu'elle a dit à ce sujet.
Je n'irai pas plus loin.
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Merci, madame la présidente, et merci à tous les témoins d'être venus rencontrer notre comité.
À titre d'observation à la suite de ce que vous disiez et des questions que vous avez posées, madame Tolley, le fait que notre pays ait même un Comité permanent de la condition féminine — que nous ayons toujours besoin d'avoir un tel comité — en dit long. Lorsqu'on ajoute le problème du racisme, on file droit vers la catastrophe. Je voulais tout simplement faire cette remarque pour me vider le coeur.
Ma question s'adresse à vous toutes. C'est peut-être une question que je devrais poser à Mme Fontaine, car vous avez travaillé avec le gouvernement provincial du Manitoba. Il me semble que tant au fédéral qu'au provincial, on utilise toujours davantage d'argent pour les ressources. Nous aimerions toujours avoir plus d'argent pour les programmes, mais nous sommes loin d'utiliser cet argent de façon adéquate. Nous avons des cloisonnements administratifs dans notre pays: tel secteur relève du provincial, tel autre, du fédéral. Nous tentons de prendre un enjeu et de le tourner dans tous les sens pour le faire cadrer avec un programme fédéral et provincial qui n'a aucun rapport avec la réalité et qui ne va absolument pas aider à régler le problème. Est-ce une bonne façon de décrire la situation?
Par ailleurs, sans avoir consulté les intervenants — dans ce cas-ci, la collectivité autochtone —, on élabore des programmes qui ne donneront pas nécessairement de bons résultats.
Je vais maintenant vous laisser répondre. À vous la parole.
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C'est une question à laquelle il est difficile pour moi de répondre. Je suis au gouvernement seulement depuis novembre, lorsque j'ai été nommée conseillère spéciale pour les questions concernant les femmes autochtones. J'ai travaillé au sein de notre collectivité pendant les 15 années précédentes.
Lorsqu'on travaille à l'externe, on a essentiellement l'impression que tout le monde travaille isolé les uns des autres et qu'il n'y a pas d'effort concerté. Si j'avais fait un exposé à titre de personne qui travaille à l'externe, j'aurais dit: « Oui, c'est vrai, il n'y a absolument aucun lien entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial, nos collectivités, etc. »
Cependant, comme je suis maintenant au gouvernement provincial, je dirais qu'il y a certaines choses qui se font tant au fédéral qu'au provincial. Il y a des comités fédéraux-provinciaux-territoriaux sur la violence à l'endroit des femmes autochtones. Je sais qu'au Manitoba, nous avons un groupe interministériel qui travaille sur la violence envers les femmes autochtones et sur les femmes et les filles portées disparues et assassinées, de sorte qu'il y a un lien, mais est-ce suffisant? Encore une fois, nous avons besoin de ces ressources, mais il ne faut plus travailler en vase clos.
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Je recommanderais au comité de passer en revue l'examen du projet de loi tel qu'il était, effectué par le directeur parlementaire du budget. Nous avons déjà la statistique selon laquelle un tiers des femmes qui purgent une peine fédérale sont autochtones. Dans l'une des annexes de ce document, le directeur parlementaire du budget révèle ce qu'il en coûte pour faire participer une femme au protocole de gestion. Je vous encourage à examiner ces chiffres, parce que les Services correctionnels ont estimé qu'il en coûte, en moyenne, au moins 185 000 $ par année pour garder une femme en détention sous responsabilité fédérale. Lorsqu'on pense à ce qui a mené ces femmes en détention et à ce que cet argent pourrait faire dans les collectivités, non seulement pour les femmes et leurs enfants, mais pour la communauté en entier, on peut voir qu'on pourrait faire beaucoup de choses avec ces 185 000 $.
Mais allons plus loin. Nous parlons de plus de 100 femmes autochtones détenues à des niveaux de sécurité supérieurs. Il en coûte jusqu'à 500 000 $ par année, voire plus, pour les garder en isolement. Elles nécessitent de trois à cinq membres du personnel et sont entièrement menottées où qu'elles aillent. Il s'agit de ressources incroyables qui pourraient être utilisées de façon beaucoup plus productive dans la collectivité.
Si vous croyez qu'il s'agit seulement de manigances ou de rêveries de la part de gens qui font le travail et qui ne peuvent pas voir le portrait d'ensemble, je vous encourage à voir ce que les chefs des services correctionnels ont dit au milieu des années 1990, et non pas ce que Kim Pate de la Société Elizabeth Fry ou ce que l'Université d'Ottawa ont dit. Les chefs des services correctionnels ont affirmé que si les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral en venaient à une entente, on pourrait probablement libérer jusqu'à 75 p. 100 des détenus qui purgent des peines d'emprisonnement sans augmenter le risque à la sécurité publique.
Il s'agit d'un chiffre incroyable. Il nous montre à quel point des gens sont incarcérés pour des questions liées à la pauvreté ou pour toute autre inéquité. Ils doivent retourner dans la collectivité, payer pour leurs crimes et rendre des comptes. On ne parle pas de libérer les gens sans surveillance et sans les obliger à répondre de leurs actes. Ils peuvent rester dans la collectivité selon des approches dont d'autres ont déjà parlé — approches réparatrices — tout en payant pour leurs crimes, en habitant dans la collectivité et en y contribuant, en y travaillant. Il y a de nombreux exemples.
Pour ce qui est des femmes autochtones et des femmes en général, j'étais au Cap-Breton il y a deux semaines pour parler de l'inéquité qui découle du fait qu'il faut toujours incarcérer les femmes dans des endroits centraux, même dans un contexte provincial ou territorial. On les force à quitter leur foyer, à subir des perturbations qui se répercutent sur leurs familles et leurs carrières, même pour des peines très mineures ou courtes. Je crois qu'il y a de nombreux exemples de solutions de rechange. Il existe des façons de mieux dépenser l'argent. Nous n'avons pas à dire, « Obtenez de l'argent frais »; nous dépensons déjà beaucoup d'argent.
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Merci, madame la présidente.
J'aimerais joindre ma voix à celle de mes collègues qui vous ont souhaité la bienvenue. Nous vous remercions du temps et de l'énergie que vous consacrez à nous parler de vos expériences. Sans votre apport, nous ne serions pas au courant de la situation. Il est bien que vous témoigniez.
J'ai une foule de questions, et vous devrez être indulgents. Je suis nouveau au comité et je n'ai pas beaucoup d'expérience. Si mes questions semblent un peu manquer de pertinence, souriez et répondez. Je vous en serais reconnaissant.
J'ai d'abord une observation.
Kim, vous pourriez peut-être répondre.
D'après ce que j'entends, il y a suffisamment de structures en place pour offrir diverses solutions, pour traiter directement avec les gens, pour les aider et pour subvenir à leurs besoins, mais les procédures ne sont pas suivies.
Je laisserais entendre qu'actuellement, il serait question d'administration de certains conseils de bande qui utilisent l'argent à leurs fins plutôt que pour les membres de la bande. Cette question n'est pas réglée, mais ce qu'il faut retenir, comme vous l'avez dit, Kim, c'est qu'il y a assez d'argent. Est-ce que les procédures ne sont pas suivies?
J'aimerais parler du défenseur public. Si une femme autochtone est devant le tribunal, pourquoi n'a-t-elle pas accès à un défenseur public? Si une personne est accusée et n'a pas les moyens de se payer les services d'un avocat, au Canada, les avocats sont des défenseurs publics.
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J'ai bien compris ce que vous dites. Si j'avais l'air de dire que toutes ces ressources sont disponibles actuellement, eh bien, je dois apporter une correction, parce que la plupart des ressources dont je parle ont été systématiquement éliminées. Les services sociaux, l'éducation et les soins de santé ont été éviscérés dans ce pays, autant qu'on a permis aux provinces et aux territoires — avec l'élimination du régime d'assistance publique du Canada au milieu des années 1980 — de dépenser l'argent de l'impôt fédéral de façon très différente et de ne pas accorder la priorité à ceux qui sont le plus marginalisés. Je crois que c'est là qu'il faut commencer.
Même si on a accès à l'aide juridique publique, le fait est que si vous ne risquez pas la prison et que votre cause n'est pas présentée ainsi en première instance, vous pouvez commencer à vous monter un dossier et à vous mettre à risque d'emprisonnement, comme Mme Fontaine l'a expliqué et, une fois que vous enfreignez vos conditions, vous finissez en prison. C'est ainsi que la plupart des gens aboutissent en prison la première fois. Ashley Smith en est un exemple. Elle n'est pas allée en prison parce qu'elle avait commis une infraction. Elle a été emprisonnée parce qu'elle a manqué à ses conditions de probation pour avoir commis une infraction.
Il y a des solutions de rechange, mais à moins de rétablir les services qui ont été éliminés et à moins d'offrir aux juges des solutions de rechange à l'emprisonnement... J'offre souvent de la formation aux juges. En fait, je travaille à la planification d'une autre formation. L'un des principaux enjeux, surtout pour les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale, les femmes autochtones et les femmes pauvres, c'est le manque de ressources dans la collectivité.
Je ferais valoir que le comité a un énorme potentiel d'influence auprès du gouvernement pour que les ressources soient rétablies pour ces services très essentiels, afin qu'on ne mette pas davantage de gens à risque d'être marginalisés et victimisés; le seul système qui ne puisse pas répondre, « Désolés, nous n'avons plus de place » ou « Désolés, ce n'est pas notre mandat » — désolés, désolés, désolés —, c'est le système carcéral.
Il s'en faut de peu pour être accusé, comme probablement tout le monde ici le sait. Si vous êtes dans la rue et que vous constituez une nuisance, vous pouvez être accusé de méfait. Si vous êtes dans la rue et que vous demandez de l'argent, si c'est perçu comme un problème, vous serez accusé d'avoir constitué une menace ou de toutes sortes de choses; c'est ce qui se passe tout le temps.
Il faut vraiment voir comment l'argent est dépensé et le réaffecter, et pas nécessairement dire que c'est la faute à ceux qui tentent de remettre sur pied un système à la dérive. Actuellement, nous réarrangeons les fauteuils de pont du Titanic proverbial, parce que nous tentons de déplacer ces femmes comme si nous ne savions pas quel était le réel enjeu. Le réel enjeu est le suivant: Pourquoi aboutissent-elles dans le système? Sachant que les taux de criminalité et les taux d'emprisonnement ailleurs sont en baisse, comment se fait-il que les taux des femmes montent en flèche? Ce n'est pas lié au risque à la sécurité publique.
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Merci, madame la présidente.
Bienvenue à tous.
Madame Tolley, comme vous l'avez mentionné, nous avons visité votre réserve. Nous avons entendu un témoignage important sur une jeune Autochtone disparue une année et demie auparavant. Qu'il y en ait une ou 29, comme le disait Mme Wheelton, ou 80 comme au Manitoba, c'est tout aussi important. Je dis toujours que chez les Blancs, quand il y a un décès, on fait les manchettes et on fait tout pour retrouver le coupable. Il semble malheureusement que le gouvernement ne veuille rien faire quand il s'agit de communautés autochtones.
Dans le document réalisé par l'initiative Soeurs par l'esprit, on voit que 582 cas ont été répertoriés. Aujourd'hui, il y en a plus de 600, et ça inclut deux personnes qui ont été tuées il y a deux semaines à Vancouver. Encore là, on ne fait rien. C'est carrément inacceptable. Il y a quelques semaines, une personne est venue nous rencontrer ici. La recommandation allait un peu dans le sens de ce que vient de dire le chef, à savoir qu'il faudrait écouter la communauté plutôt que de laisser le gouvernement tenter d'imposer des règles qui ne s'appliquent pas à la communauté ou qui ne reflètent pas l'ensemble de celle-ci. En effet, cette façon de faire ne permet pas d'atteindre les objectifs voulus.
Le regroupement Soeurs par l'esprit a fait des enquêtes dans la communauté. Ces personnes ont réussi à répertorier chacun des cas. On m'a dit qu'à Vancouver il y a quelques semaines, on en avait répertorié 18, que des dizaines de policiers y avaient travaillé, mais qu'ils avaient mis un terme à l'enquête parce qu'ils n'arrivaient pas à leurs fins. Ils auraient pu travailler avec les gens de Soeurs par l'esprit, qui avait probablement de l'information pertinente sur chacun de ces dossiers.
Cela étant dit, nous avons reçu, il y a quelques semaines, une personne qui nous a dit que ça devait se faire dans la communauté, que l'histoire, la culture et l'éducation y étaient importantes, un peu comme le mentionnait Mme Pate. Même à l'intérieur des prisons, on devrait faire quelque chose en ce sens. On parle donc ici de prévention, de protection, de santé et de financement soutenu pour régler ce problème une fois pour toutes.
Il ne faudrait pas que la police devienne le seul outil pour régler ce problème. En fait, elle ne l'est pas. Elle ne peut pas régler les problèmes de pauvreté dans les communautés. Selon cette personne — et j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet —, il faudrait regrouper tout cela, en collaboration avec les principaux intervenants. Il pourrait y avoir une grande enveloppe. Celle-ci servirait à résoudre divers problèmes. Ça se ferait dans et par la communauté. Si 16 ministères ont chacun une enveloppe, ils finissent tous par la réduire, peu importe comment ils le font. Pour eux, ça n'a pas d'importance parce que c'est une question de dollars. La meilleure façon de gérer et de régler ces problèmes serait probablement de confier cela à la communauté.
Que pensez-vous de l'idée de faire une recommandation qui impliquerait tout le monde et dans laquelle on préciserait un montant d'argent, la façon dont il serait utilisé ainsi que la manière dont les choses se feraient, et ce, non pas par le gouvernement, mais par la communauté?
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Je crois fondamentalement que nous devons rétablir les normes nationales. Ceux qui comme moi se souviennent de la suppression du Régime d'assistance publique du Canada savent qu'il ne s'agissait pas du meilleur régime. Nous voulons avoir des normes nationales plus solides et plus durables qu'à l'époque.
Je crois que la recommandation selon laquelle il faut retourner au niveau de la collectivité est importante. Dans toutes les communautés où je suis allée, qu'elle ait été très petite, isolée ou très grande, les gens ont toutes sortes d'idées sur ce qu'il faut faire avec les ressources qui sont actuellement utilisées à la poursuite, la détention et ultimement pour tenter d'assurer la réinsertion sociale des gens dans leur collectivité. Il y a probablement un très petit nombre de personnes — pas seulement de femmes, mais aussi d'hommes et de jeunes — qui doivent être incarcérées, et il y a des choses beaucoup plus créatives à faire à la place.
Vous pourriez formuler des recommandations pour exercer une pression réelle pour changer ce qui se passe. Je crois qu'il serait aussi important que vous formuliez certaines recommandations à l'égard du nombre de projets de loi qui font en sorte que les gens sont incarcérés plus longtemps. Ces mesures auront un effet disproportionné sur les Autochtones, surtout les femmes autochtones. L'impact se fera sentir de façon disproportionnée chez les plus pauvres et chez ceux qui ont des problèmes de santé mentale. Nous avons besoin de normes nationales qui remettent vraiment en question le mécanisme selon lequel l'emprisonnement est la norme. L'un de nos plus importants problèmes sociaux est le fait que nous parlons de prévention de la criminalité comme la solution aux problèmes sociaux et le fait que l'emprisonnement est la norme.
Nous nourrissons les enfants dans le cadre de programmes de petits déjeuners et on considère cette mesure comme de la prévention du crime. Voulons-nous vraiment transmettre à tous nos enfants le message selon lequel nous leur offrons le petit déjeuner afin qu'ils ne deviennent pas de jeunes contrevenants? C'est essentiellement ce qui arrive lorsqu'on fait valoir ce genre d'argument.
Il faut prendre du recul et faire des recommandations qui portent fondamentalement sur ce dont Louise Arbour a parlé il n'y a pas si longtemps lorsqu'elle était encore aux Nations Unies. Elle a dit que nous devions assurer les droits fondamentaux de la personne. Toutes les personnes dans notre pays devraient avoir droit à de la nourriture, à des vêtements, à un logement, à une éducation et à des soins de santé. Lorsque les pays ont des normes de traitement minimal — qu'il s'agisse des pays scandinaves, de l'Australie quand ils avaient de meilleurs programmes sociaux, ou de notre propre pays lorsque nous avions de meilleurs programmes sociaux — les taux de criminalité et d'incarcération sont beaucoup plus bas.
Si l'autre mécanisme avait fonctionné, alors nous nous précipiterions tous vers les États-Unis, parce que ce serait l'endroit le plus sécuritaire et les besoins de tous seraient comblés. Nous savons que c'est tout à fait le contraire.
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Merci beaucoup de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
J'aimerais répéter aujourd'hui ce à quoi notre collectivité a dû faire face à plusieurs reprises: je veux parler de la disparition des deux jeunes femmes, Maisy Odjick et Shannon Alexander, et de l'impact que cela a eu sur notre collectivité.
Aucune collectivité ne peut se préparer à un tel événement. Aucune collectivité ne peut se doter des outils pour affronter cela. Nous venions à peine d'être élus en 2008, et au cours de l'automne de cette année-là, les événements ont eu lieu. Nous n'avions pas d'expérience dans le domaine. Nous ne savions pas vers où nous tourner. Les forces policières étaient dans l'incertitude. Nous avions posé beaucoup de questions. Nous nous sentions frustrés. La famille — et je la comprends bien — était désemparée, sans doute en raison de notre manque d'efforts et elle se demandait ce que nous allions faire.
Il faut donner la possibilité de mettre en place les moyens d'aider les collectivités à affronter ce genre de situation.
L'autre événement dont j'aimerais vous parler, est celui du décès de la mère de Mme Tolley, qui a été tuée par une voiture de patrouille de la SQ qui circulait dans la collectivité. La famille a posé bon nombre de questions et aimerait obtenir des éclaircissements et qu'on lui rende justice. Elle aimerait obtenir des réponses et pouvoir en tirer des leçons.
Mais la porte a toujours été fermée. Pourquoi? Pourquoi est-ce que Bridget, en tant que femme, en tant que chef de sa famille, a dû chercher elle-même à obtenir des réponses et s'est constamment heurtée à des portes fermées?
Notre collectivité est frustrée car, bien que vous parliez de toutes ces choses à un très haut niveau et que vous ayez créé des programmes, dans les faits, cela ne se retrouve pas dans la collectivité, comme il se devrait. Nous devons mieux comprendre les choses et pouvoir mieux partager les renseignements. Les programmes viennent et partent; certaines organisations reçoivent du financement et le répartissent, mais pas toujours.
Le mouvement des Soeurs par l'esprit et tout ce qu'il représentait commençait enfin à trouver sa place, mais tout d'un coup on lui a fermé la porte. Une occasion existait. Il s'agissait du développement de la capacité et de l'occasion de créer des possibilités. Je suis préoccupé, car on est en train de couper l'herbe sous les pieds de ce mouvement. Or, il aurait pu créer un soutien et une compréhension et, ce qui est vraiment essentiel: un élan important.
J'aimerais conclure comme suit: Je regardais la télévision hier soir, et ils parlaient de l'héritage de Ronald Reagan. Il faisait un discours quelque part et il a prononcé des mots très simples que j'aimerais vous répéter. Il a dit: « Nous avons le pouvoir de créer le changement. »
En effet, nous avons ce pouvoir, mais voulons-nous l'exercer? J'espère que oui. J'espère que le comité va défendre les femmes autochtones et apporter les changements qu'il faut faire maintenant.
Merci.
J'aimerais remercier nos témoins d'être venus aujourd'hui. Nous avons fait le tour du pays, et nous avons entendu tellement de choses semblables à ce que vous avez dit ici. Vous nous avez présenté des nouvelles informations que nous n'avions pas, et Kim, tout particulièrement, votre présentation sur l'incarcération des femmes autochtones était très émouvante et extrêmement tragique et scandaleuse à mon avis. Je n'étais même pas au courant des statistiques que vous nous avez données, et elles sont désolantes.
En conclusion, je pose habituellement une question, mais je pense que vous avez fait le tour, donc ma question pourrait être redondante. J'aimerais simplement formuler une observation.
Je ne sais pas si vous êtes au courant qu'il n'y a pas trop longtemps une centaine de chiens ont été abattus très brutalement dans ma province, la Colombie-Britannique. J'ai été scandalisée, car je pense que nous, les libéraux, avions un projet de loi sur la cruauté envers les animaux, qui n'est jamais vraiment entré en vigueur, qui aurait pu aborder le traitement des animaux vulnérables de notre société qui ne peuvent s'exprimer.
Toutefois, je voulais dire que bien que j'ai trouvé que l'abattage était un acte très répréhensible, dans l'espace de quatre jours la province de la Colombie-Britannique a exigé une enquête sur l'abattage des chiens. Pendant 20 ans, des femmes ont été portées disparues et assassinées dans cette province, et pas une seule enquête n'a été exigée jusqu'à récemment.
Nous devons nous poser la question — et vous nous l'avez signalé — sur la façon dont nous établissons nos priorités en tant qu'êtres humains et Canadiens, et la valeur que nous attribuons aux humains dans notre société. Les femmes autochtones, je présume, sont bien placées pour poser cette question.
Merci d'être venus. Nous allons maintenant passer aux travaux du comité. Ils ne seront pas à huis clos, donc les témoins n'ont pas à se presser pour partir.
Ce que nous faisons maintenant, c'est l'élection d'un nouveau vice-président. Comme vous le savez très bien, Mme McLeod ne fait plus partie du comité, donc nous devons élire un nouveau vice-président. Le comité a décidé jeudi dernier que nous le ferions aujourd'hui.
J'aimerais recevoir une nomination. Je libérerai le fauteuil de la présidence pour que la greffière puisse conduire l'élection et que je puisse voter. Voilà comment ça se déroule. La greffière conduira l'élection.
Allez-y.