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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 021 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 29 avril 2014

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Nous accueillons

[Français]

M. Stéphane Roussel, professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique.
    Monsieur Roussel, vous disposez de 10 minutes pour votre allocution d'ouverture.

[Traduction]

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invité. Je connais plusieurs d'entre vous car j'ai déjà participé aux travaux du comité.

[Traduction]

    Je vais faire mon exposé en français. Si vous préférez poser des questions ou discuter en anglais par la suite, cela ne pose aucunement problème. Il m'est simplement plus facile de le faire en français.

[Français]

    J'ai participé à vos travaux, notamment à ceux sur l'OTAN et sur la participation du Canada aux différentes alliances. En abordant aujourd'hui la question de la coopération entre le Canada et les États-Unis, vous touchez un domaine que je connais bien puisque ma thèse de doctorat portait sur les relations canado-américaines en matière de défense. Par ailleurs, par extension, l'un des thèmes est la sécurité dans l'Arctique, qui est un autre de mes objets de recherche. La plupart des thèmes inscrits à l'ordre du jour des travaux du comité me sont également familiers.
    J'aimerais vous rappeler rapidement quelle est ma conception des relations canado-américaines. Essentiellement, lorsqu'il s'agit de discuter avec les États-Unis, le travail du gouvernement canadien doit consister à rechercher deux équilibres fondamentaux. D'une part, il s'agit d'équilibrer les relations du Canada avec les États-Unis et les relations du Canada avec le reste du monde. Il peut y avoir des contradictions ou des liens entre les deux. D'autre part, la préoccupation centrale du gouvernement canadien doit être de tenter d'équilibrer les considérations de sécurité, de prospérité et d'identité nationale.
     Bien souvent, ces considérations vont être en contradiction. Si on met l'accent sur l'une de ces considérations — on pourrait, par exemple, parler de sécurité et de défense —, on risque de causer des problèmes ou des difficultés en matière de prospérité ou d'identité. Je pourrai éventuellement y revenir.
    À plusieurs reprises, je me suis publiquement affiché comme étant un « continentaliste ». Cela veut dire que ma conception de la politique étrangère et de la défense canadienne est fondée sur l'idée que le Canada doit se rapprocher le plus possible de celle des États-Unis. La prospérité, la sécurité et même, à la limite, l'identité canadienne passent donc par un rapprochement très prudent, mais réel, avec les États-Unis. Je m'accole moi-même cette étiquette de « continentaliste ».
    Cependant, je plaide généralement pour un « continentalisme » de maturité, c'est-à-dire que la manière dont le Canada gère ses relations avec les États-Unis doit quand même être prudente. J'entends par là un « continentalisme » au sein duquel les considérations identitaires canadiennes — soit l'identité propre du Canada — doivent être préservées. Il s'agit d'un élément important non seulement pour l'existence même du Canada et pour l'unité nationale du Canada, mais aussi pour l'opinion publique et pour l'appui populaire dont doit jouir le gouvernement canadien.
    C'est également un « continentalisme » qui, contrairement à ce que certains gouvernements ont fait au cours des dernières années, ne vise pas à anticiper les demandes ou les attentes des États-Unis. Offrir des cadeaux au gouvernement américain avec l'espoir d'obtenir autre chose en retour est généralement une stratégie qui ne fonctionne pas dans le cas des relations canado-américaines.
    De plus, je crois fermement — je me réclame du libéralisme en tant que philosophie politique — aux institutions multilatérales et bilatérales. Certains gestes posés par le gouvernement au cours des dernières années peuvent laisser croire que les institutions ont maintenant moins bonne presse. Certaines institutions peuvent être vues comme lourdes, inefficaces ou coûteuses, mais elles comportent aussi un lot d'avantages extrêmement importants, en particulier sur le plan des relations canado-américaines dans le domaine de la défense. Les institutions jouent donc un rôle important car elles permettent d'équilibrer les relations entre les deux pays, de rendre la relation plus prévisible et de fixer des points d'ancrage auxquels on peut s'accrocher pour développer une relation à long terme.
    Enfin, je crois fermement que la communauté de valeurs et de vision du Canada et des États-Unis constitue un socle sur lequel on peut bâtir une relation à long terme. Tout cela, si vous voulez, fait partie du fondement de ma réflexion.
     Si on considère l'état actuel des relations canado-américaines, je vais d'abord me pencher sur l'Arctique et sur les questions relatives à la sécurité qui reviennent périodiquement.
    Comme vous le savez, il existe nécessairement un débat sur la nature des problèmes et des défis qui pourront se poser dans l'Arctique au cours des prochaines années. On ne les connaît pas encore, car cela appartient à l'avenir, mais quoi qu'on en pense, ces défis seront importants et nécessiteront absolument une coopération internationale. Cette coopération peut être multilatérale par l'entremise d'institutions comme le Conseil de l'Arctique ou l'Organisation des Nations Unies, mais il est crucial que le Canada examine plus attentivement la possibilité de développer des liens avec les États-Unis dans cette région.
    Certains progrès ont été accomplis au cours des dernières années. Par exemple, l'entente signée avec les États-Unis en décembre 2012 ou le cadre de coopération canado-américain de 2012 est un pas dans la bonne direction. Cependant, j'aimerais suggérer qu'on aille un peu plus loin. Je l'ai fait publiquement devant le comité à quelques reprises en suggérant de créer un comité consultatif conjoint canado-américain sur les questions de sécurité dans le Nord. Ce serait une sorte de commission permanente mixte de défense du Nord, qui fonctionnerait selon le même principe qu'un comité paritaire. Elle aurait pour mandat d'explorer les questions de sécurité qui préoccupent les deux pays et de faire essentiellement des recommandations aux deux gouvernements. Cette commission ne serait pas un organisme décisionnel, mais elle aurait un pouvoir de recommandations.
    Vous voulez aussi aborder la question de la défense antimissile. Cela fait partie de la liste des thèmes qu'on m'a soumise, et je vais terminer sur ce point.
    En 2004 ou 2005, cette question a beaucoup suscité l'intérêt des Canadiens, lorsque l'état actuel de la relation canado-américaine a été fondé. Je considère cette situation inconfortable et incomplète. Il serait probablement temps de revenir sur cette question et de permettre au Canada de participer directement et ouvertement à la défense antimissile. D'ailleurs, je me suis prononcé à plusieurs reprises en faveur de cette participation.
    La différence entre la situation de 2004 et 2005 et celle d'aujourd'hui, c'est que l'opposition qu'il y avait au Canada contre la défense antimissile était attribuable en grande partie à l'hostilité que bon nombre de Canadiens éprouvaient à l'égard de l'administration Bush. Il s'agissait aussi d'un prolongement de la guerre très controversée en Irak.
    Cette situation n'existe plus aujourd'hui et la plupart des États européens se sont prononcés en faveur de la défense antimissile. Le Canada ne s'est pas donné l'occasion d'en parler ouvertement en se maintenant à l'extérieur du programme. Il serait peut-être temps maintenant de se pencher sur cette question.
(1110)

[Traduction]

    Monsieur le président, je crois avoir utilisé les 10 minutes. Je vais arrêter ici.
    Merci beaucoup.
    Avant de commencer les questions, je rappelle aux membres du comité que nous n'avons qu'un témoin aujourd'hui. Nous pourrons donc lui consacrer 15 minutes supplémentaires. Ensuite, après le départ du témoin, nous devrons traiter d'un nombre important d'avis de motion et d'autres travaux du comité, dont le budget de notre étude sur la défense de l'Amérique du Nord. Ce n'est qu'un rappel.
    Pour les questions, nous commençons par le parti ministériel.
    Monsieur Chisu.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Roussel, merci beaucoup de votre exposé.
    Je vais commencer par des questions d'ordre général au sujet de l'incidence du changement du contexte de sécurité international sur le Canada et l'Amérique du Nord, par rapport à la défense et à la sécurité.
    Je pense notamment aux récents changements que l'on observe en Ukraine, à la démonstration de force de la Russie et à divers scénarios militaires. Quelle incidence ces changements auront-ils — ou ont-ils eu — sur les relations entre le Canada et les États-Unis?
    Je vous remercie de la question.

[Français]

    Curieusement, on est tentés de dire que l'environnement revient à quelque chose qu'on a connu. Beaucoup d'observateurs, avec un petit sourire en coin, disent qu'on est de retour à la guerre froide ou encore qu'il y a des risques que la situation ressemble à celle qu'on a connue au cours de la guerre froide.
    Cet élément, soit la détérioration des relations avec la Russie, est une des choses qui est relativement nouvelle. Un autre élément nouveau, ce sont les tensions internationales entre les gouvernements, particulièrement la tension entre la Russie et les gouvernements occidentaux. Je comprends que c'est ce à quoi vous faites allusion.
    Ce changement soulève un certain nombre de questions. Notamment, cela nous ramène à un sujet que vous avez étudié il y a quelques années, à savoir la position du Canada au sein de l'OTAN. Depuis quelques années le Canada souffle le chaud et le froid à l'OTAN. L'OTAN n'a plus le même vernis ou la même grandeur qu'elle a déjà eu dans le passé. Par exemple, l'opposition du Canada au développement d'une stratégie de l'OTAN dans l'Arctique indiquait qu'il y avait un certain malaise à l'égard de l'institution.
    En fait, ce que la résurgence des tensions signifie, c'est que le Canada devra clarifier sa position dans l'alliance atlantique, ce qui se fait aujourd'hui même. L'annonce de l'envoi de troupes canadiennes en Pologne, je crois, ou en Roumanie, va forcer une discussion à ce sujet.
    Pour vous et pour les relations canado-américaines, cela peut signifier aussi une réflexion sur le lien entre, d'une part, la défense de l'Amérique du Nord, la défense de l'Arctique en particulier, et, d'autre part, la défense de l'Europe ou de la situation en Europe.
    Cela peut signifier aussi une remise en question des plans dans lesquels le Canada veut davantage investir. Veut-il revenir à la défense de l'Amérique du Nord ou investir dans des capacités d'intervention outre-mer? Cette tension entre les deux aspects de la politique de défense canadienne va toujours revenir.
(1115)

[Traduction]

    Vous avez mentionné l'Arctique, pour lequel j'ai un intérêt particulier. Nous avons vu l'intérêt renforcé de la Russie dans cette région, notamment par la mise à niveau des bases militaires dans leur partie de l'Arctique et les derniers développements liés à la mise à l'épreuve de l'espace aérien de divers autres États de l'Arctique.
    Quelles sont les menaces à la sécurité que vous entrevoyez pour l'avenir, en particulier pour le Canada? Comment pouvons-nous réduire ces menaces?
    Comment pouvons-nous faire front commun avec les États-Unis, qui sont aussi présents dans l'Arctique, en Alaska? Selon vous, comment pourrions-nous mener une action positive dans l'Arctique?
    L'intérêt du gouvernement envers l'Arctique se maintient, comme l'ont démontré les nombreuses visites du premier ministre dans l'Arctique chaque année et aussi certaines mesures que nous avons prises avant que la situation ne se détériore, comme on le voit actuellement avec la Russie, qui est un des principaux pays de l'Arctique.
    Je le mentionne parce que j'ai habité dans le bloc de l'Est et que je n'aime pas la façon dont évoluent les choses, car il y a un recul, comme vous l'avez indiqué. Je sais que dans certains cas, les objectifs de la Russie sont à long terme. Nous devons, d'une façon ou d'une autre, nous défendre contre l'attitude agressive dont fait preuve la Russie.
    Votre question comporte plusieurs dimensions. Je vous remercie de la question.
    À ce sujet, je pense que nous devons être très prudents. Nous ne devrions pas attiser le feu. L'un des conseils les plus importants que je peux vous donner est d'essayer de compartimenter les choses. Il ne faut pas confondre ce qui se produit actuellement en Ukraine et en Russie avec ce qui s'est produit dans l'Arctique.

[Français]

    Autant que nous pouvons le faire, il faut séparer les deux questions.
    Il ne faut pas se servir de l'Ukraine pour durcir la position dans l'Arctique. Le fait de séparer les deux dossiers serait probablement la meilleure chose à faire.
    Est-ce que la Russie pose une menace ou un risque dans l'Arctique, à moyen ou à long terme? C'est possible, et il faut tenir compte de cette possibilité. Par contre, il faut que ni le Canada ni les États-Unis ne puissent être qualifiés de responsables si jamais il y avait une course aux armements ou des tensions dans l'Arctique.
    Au cours des dernières années, le Canada a souvent été dépeint, notamment par les Européens, comme l'État le plus agressif à propos de l'Arctique, celui dont le discours était le plus ferme et le plus dur en ce qui concerne l'Arctique. Cette attitude risque de justifier d'autres comportements, notamment ceux de la Russie. Celle-ci pourrait se dire que, si les Canadiens sont agressifs, elle peut l'être également.
    L'Arctique comporte une profonde dimension identitaire pour la Russie et le Canada. C'est beaucoup moins le cas pour les autres États de l'Arctique. Être Canadien, c'est aimer l'Arctique, et les Canadiens y sont profondément attachés. Si les journaux révèlent qu'il y a des tensions ou des problèmes dans l'Arctique, ils vont donc réagir très fortement, de Vancouver à Terre-Neuve, quel que soit leur lieu de résidence, leur langue ou leurs préférences. La grande majorité des Canadiens est sensible à l'Arctique, et il faut en tenir compte. C'est le cas également en Russie.

[Traduction]

    Je vais peut-être vous demander d'expliciter cette pensée plus tard.
    Monsieur Harris, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Roussel, merci d'être venu aujourd'hui. Nous sommes heureux de vous accueillir et d'entendre votre point de vue.
    Votre concept de « continentalisme » prudent m'intéresse; cela a attiré mon attention. Bien entendu, nous collaborons, et il est important que le Canada le fasse, à l'échelle internationale, avec les États-Unis. Nous avons la plus grande superficie; le Canada est le plus grand pays du monde et il a le plus long littoral.
    Comment pouvons-nous maintenir le niveau de collaboration nécessaire avec cette superpuissance, compte tenu de toutes ses ressources et de sa planification militaire probablement bien plus avancée que nous pouvons l'imaginer, tout en préservant notre indépendance au sein de cette relation et en évitant d'être dépassés? Existe-t-il une formule? Quels conseils pourriez-vous nous offrir? Vous y avez manifestement songé, ce qui explique votre prudence. Pourriez-vous nous en dire plus, en ce qui a trait à l'établissement d'un cadre?
(1120)
    Certainement. À cet égard, je peux vous présenter deux arguments. Le premier est lié à l'histoire.
    Si vous regardez l'histoire des relations Canada-États-Unis, vous constaterez que le déséquilibre de la puissance des deux pays remonte à la fin du XIXe siècle. Le Canada existe toujours, il est toujours indépendant. Il a ses propres politiques et il se distingue encore des États-Unis. D'un point de vue historique, nous devrions établir un équilibre ou réduire cette crainte par rapport aux États-Unis. Le risque que pose le rapprochement avec les États-Unis pour la souveraineté canadienne est moins important que les gens ne le pensent en général.
    Deuxièmement, en quoi consiste la solution? À mon avis — toujours en fonction de l'histoire des relations Canada-États-Unis —, la solution réside dans les institutions. Plus le Canada fait preuve de fermeté envers les États-Unis pour indiquer ce qu'il veut ou ne veut pas et pour établir les règles entre les deux pays, mieux c'est. En général, au niveau des institutions, le bilan des relations Canada-États-Unis est très bon.
    Mes collègues américains sont parfois frustrés, parce que lorsqu'ils se penchent sur la dynamique des relations canado-américaines, ils constatent que les Canadiens se tirent beaucoup mieux d'affaire dans le jeu des négociations que les Américains, ce qui indique que les institutions protègent la souveraineté canadienne ou l'indépendance du pays.
    Comment peut-on atteindre cet équilibre?
    Une des questions est de savoir où fixer la limite. Ce que vous dites, c'est qu'il devrait y avoir une limite, que c'est important, pour que les règles soient connues.
    Nous pourrions nous retrouver avec une situation — et le MDN serait peut-être un exemple — où un pays pourrait avoir plus de préoccupations, de craintes ou pourrait vouloir consacrer plus de ressources à quelque chose qui présente un risque négligeable. Nous pourrions y être entraînés; les Américains pourraient penser que c'est une bonne idée, tandis que nous pourrions croire que nous y sommes tenus parce qu'ils sont nos partenaires. Observez-vous ce phénomène? Cette caractéristique s'applique-t-elle à certains aspects de la collaboration?
    Par exemple, c'est la Corée du Nord et non la Russie qui représente la menace qui exige la mise en place d'une défense antimissile.

[Français]

    Généralement, la manière dont fonctionnent les relations canado-américaines repose sur le fait que nous reconnaissons, au Canada, les priorités stratégiques américaines. Un des éléments fondamentaux de la relation canado-américaine est que la menace est déterminée à Washington et non à Ottawa. Généralement, nous devons nous accommoder de la définition de la menace qui est faite par Washington.
    Là où le Canada a une marge de manoeuvre, c'est dans la manière dont il va faire face à cette menace. Il a toujours joué sur cette marge de manoeuvre. Nous ne pouvons pas empêcher les États-Unis de prendre des moyens pour défendre l'Amérique du Nord, mais nous pouvons négocier les modalités de notre participation à cette défense.
    Tant et aussi longtemps que les Canadiens manifesteront la volonté de contribuer à la sécurité nord-américaine, ils auront le respect des États-Unis. Les Américains n'ont pas tendance à vouloir empiéter sur la souveraineté canadienne dans la mesure où les Canadiens prennent leurs responsabilités.

[Traduction]

    Puis-je poser une question sur la souveraineté de notre immense territoire — y compris l'espace aérien — jusqu'aux confins de l'Atlantique Nord et de l'Arctique? Les conditions géographiques du Canada et les mesures que nous devons prendre par rapport aux patrouilles d'affirmation de la souveraineté et à nos capacités d'interception, notamment, influencent-elles nos choix stratégiques, comme l'achat d'un successeur au F-18? Pour le choix d'un chasseur, comparativement à d'autres pays, quelles devraient être les priorités du Canada quant au type d'appareil, à ses capacités et à ses fonctions? Quel est votre avis à cet égard?

[Français]

    Oui, tout à fait. Les conditions géographiques du Canada doivent nécessairement influencer nos choix. Les aspects géographiques que vous mentionnez, soit la grandeur du territoire et les distances énormes au Canada, ne trouvent leur importance que lorsqu'on répond à une autre question, qui est de savoir ce à quoi nous accordons la priorité. Donnons-nous la priorité à la défense du territoire canadien, ce qui semblerait logique, ou à la participation aux missions outre-mer? Dans le cas du F-35, il semble que ce soit la participation du Canada aux missions outre-mer qui l'ait emporté sur les considérations de défense territoriale.
    Pour que ces considérations géographiques jouent dans des décisions aussi techniques que l'achat d'un successeur au F-18, il faut d'abord décider ce sur quoi on veut mettre l'accent. Est-ce que la protection du territoire canadien est la première considération, oui ou non? Nous n'avons pas encore répondu à cette question.
(1125)

[Traduction]

    Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste 40 secondes.
    J'ai déjà posé la question et j'ai devant moi trois documents: United States Coast Guard: Arctic Strategy; National Strategy for the Arctic Region, présentée par le président des États-Unis et Implementation Plan for The National Strategy for the Arctic Region.
    Je ne crois pas qu'on y trouve plus de deux ou trois mots sur le Canada. En matière de stratégie pour l'Arctique, les États-Unis semblent faire cavalier seul. Cela nous donne-t-il une indication sur ce que nous devrions faire par rapport à nos propres priorités et si nous devions en faire...
    Il faudra attendre à la prochaine série de questions pour avoir une réponse.
    J'en prends note. C'est très intéressant.
    J'ai quand même réussi à poser la question.
    Monsieur Williamson.
    Merci, monsieur le président.
    En fait, ma question pourrait vous permettre d'y répondre. À votre avis, les institutions permettent-elles de protéger au préalable les intérêts des petits pays, en particulier — comme le Canada — et que nous pouvons promouvoir nos priorités au sein de ces organismes, surtout avec les États-Unis, que ce soit au sein de l'OTAN, de NORAD ou dans le cadre d'un accord de libre-échange avec les États-Unis?
    Cette question vous permettra peut-être aussi de donner une réponse. De quelle façon ces institutions permettraient-elles une harmonisation des priorités américaines aux objectifs du Canada dans le Nord? Vous pourriez aussi répondre en vous fondant sur certains des documents dont M. Harris vient de parler. J'aimerais en savoir davantage sur ce que vous pensez des institutions et sur l'idée d'en faire des intermédiaires pour promouvoir nos intérêts auprès des Américains.
    J'ai deux choses à dire à ce sujet.
    Premièrement, pour ce qui est des stratégies des États-Unis concernant le Nord et les divers documents qui ont été mentionnés, le premier élément qui me surprend concernant les Américains et l'Arctique, c'est leur absence. À Washington, il est très difficile de trouver quelqu'un qui s'intéresse à l'Arctique. Habituellement, ce sont des représentants de l'Alaska qui soulèvent la question et qui font beaucoup de bruit pour attirer l'attention de leurs collègues. Ces documents représentent donc, à certains égards, un point de vue marginal. On ne peut guère dire que le président s'intéresse vraiment à ce qui se passe dans le Nord. Voilà pour le premier élément de réponse.
    Deuxièmement, à ma connaissance, les Canadiens n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour amener les Américains sur ce terrain. Par exemple, une des occasions ratées ces deux dernières années est liée à la création d'une présidence nord-américaine au Conseil de l'Arctique. Le Canada assure actuellement la présidence du Conseil de l'Arctique. En avez-vous entendu parler? À cet égard, quelques éléments attirent l'attention, mais dans un premier temps, je pense que nous avons notamment raté l'occasion de discuter avec les États-Unis, qui succéderont au Canada à la présidence du Conseil de l'Arctique. Nous devons essayer de faire ce que les Scandinaves ont fait; ils ont agi de façon concertée à la présidence sur une période de plus de six ans, à moins que ce ne soit que pendant deux ans.
    Nous pourrions faire de même avec les Américains en essayant d'adopter une approche nord-américaine pour l'Arctique. Les gens auxquels j'ai parlé à Washington m'ont dit qu'ils n'avaient rien entendu du côté d'Ottawa. Donc, le fait qu'on ne mentionne pas le Canada dans ce document n'est pas vraiment surprenant, puisque le Canada n'interpelle pas les Américains sur cette question. À mon avis, nous devrions être plus proactifs.
    Cela m'amène à l'idée que j'ai déjà proposée: nous devrions entreprendre des discussions avec les États-Unis sur la création d'un comité binational chargé des enjeux relatifs à l'Arctique.
    Merci.
    Vous avez mentionné — et j'ai hâte d'entendre votre opinion à ce sujet — qu'il y a peu d'avantages à offrir des cadeaux aux États-Unis, mais je ne suis pas certain du contexte dans lequel vous l'avez dit. Pouvez-vous nous donner des exemples qui illustrent ce que vous entendiez par là?
    Habituellement, la stratégie des continentalistes consiste à dire que pour être pertinent à l'échelle mondiale, il faut l'être à Washington. Comment? En donnant aux Américains ce qu'ils veulent. Cette stratégie a été utilisée par des pays comme l'Australie, par exemple, en prouvant aux Américains que l'Australie pouvait être un solide allié sur lequel ils pouvaient compter, un allié qui les appuyait. Cette stratégie a été utilisée, dans une certaine mesure, au cours des premières années du gouvernement Martin, en 2004-2005. Elle consistait à dire que nous devions vraiment démontrer notre appui aux Américains, ce qui permettrait alors de passer à d'autres enjeux: l'accroissement de l'intégration nord-américaine, les questions liées au commerce, etc. Or, cela n'a jamais fonctionné, puisque l'on ne peut s'attendre à ce que les Américains prêtent attention à ce que fait le gouvernement canadien pour élaborer une stratégie à l'égard des États-Unis, sauf s'ils l'ont demandé. Pour le Canada, le risque est de donner aux Américains des choses qu'ils n'ont pas demandées. Les Australiens l'ont fait; ils ont modifié certains de leurs règlements et ont tenté de démontrer leur détermination dans la guerre contre le terrorisme. À Washington, personne n'y a prêté attention. Cette attitude n'a pas procuré aux Australiens les avantages escomptés.
(1130)
    Je suis aussi d'accord avec vous sur ce point.
    Me reste-t-il quelques minutes?
    Oui.
    Que pensez-vous d'une des institutions actuelles, le NORAD, et du fait qu'elle passe de la surveillance aérienne à la surveillance maritime? Devrions-nous étudier cet aspect, à votre avis? Est-ce une institution que nous devrions renforcer, ou êtes-vous d'avis qu'il faudrait trouver une autre solution?
    Le comité est allé à Colorado Springs; vous avez donc une idée de l'état des choses. Il y a un débat à ce sujet. Certaines personnes disent que l'âge d'or du NORAD est révolu, que c'est terminé et que nous devrions par conséquent passer à autre chose. Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. Le problème, c'est qu'il reste à évaluer le rôle que le NORAD peut jouer du côté maritime. Ce n'est pas encore clairement établi, même 10 ans après que le NORAD s'est vu confier un mandat en matière de surveillance maritime. Le NORAD ne peut pas agir; son mandat est la surveillance. L'organisme ne contrôle pas la marine et ne peut agir lorsqu'il décèle un problème. Son rôle n'est pas encore bien défini. D'autres, au contraire, disent que nous devrions aller de l'avant et faire quelque chose. Encore une fois, pour revenir à l'Arctique, nous devrions donner au NORAD un mandat lié à l'Arctique.
    Il vous reste une minute.
    À mon avis, le NORAD devrait être préservé, ne serait-ce que pour des raisons politiques, car dans l'esprit des gens, le NORAD est la pièce maîtresse des relations canado-américaines...
    Je ne saisis pas bien votre opinion. Pensez-vous que cela devrait relever du NORAD, ou que le NORAD devrait seulement se charger de l'aspect aérien?
    Non; si nous pouvons élargir son mandat, nous devrions essayer. Cela vaut la peine. C'est mon opinion.
    Très bien. Enfin, que pensez-vous du rôle de l'OTAN dans l'Arctique, s'il y a lieu? Est-il préférable que l'Arctique demeure sous l'autorité des pays du continent? Cela semble être la solution que vous privilégiez, mais je pose quand même la question.
    Oui, c'est clairement ce que je préfère, mais tenir l'OTAN à l'écart des questions liées à l'Arctique est difficile. Il y a des pressions à cet égard, particulièrement du côté des Norvégiens. Or, si nous voulons limiter le rôle de l'OTAN dans l'Arctique, comme le gouvernement semble vouloir le faire, nous devons favoriser davantage la collaboration bilatérale, si possible. Ce que je veux dire, c'est que nous devrions faire l'une de ces choses.
    Merci. Madame Murray, vous avez sept minutes.
    Merci d'être ici.
    Je vais revenir à la discussion sur la stratégie qui consiste à faire des cadeaux, ou non. Vous dites de ne pas donner le cadeau, mais de répondre à la demande. À titre d'exemple, cela veut-il dire que vous auriez conseillé au gouvernement de participer à la guerre en Irak à la demande des États-Unis?
    La guerre en Irak était un cas très spécial; beaucoup d'intérêts stratégiques du Canada étaient en jeu. Dans ce cas, si je retourne à 2003, j'étais de ceux qui affirmaient que lorsqu'une situation grave se produit, nous n'avons d'autre choix que d'intervenir. La situation a surpris tous les universitaires et nous essayons toujours de comprendre ce qui s'est produit à ce moment-là.
    Rétrospectivement, je peux dire qu'à l'époque, lorsque des intérêts fondamentaux étaient en jeu, le problème du Canada, c'était que ses principaux alliés étaient divisés. D'un côté, les Français et les Allemands; de l'autre, les Américains et les Britanniques. Pour le Canada, cela constituait probablement une bonne raison de rester à l'écart.
    Chaque situation est donc évaluée individuellement. Vous n'acceptez pas systématiquement les demandes des Américains concernant...
(1135)
    La situation en Iraq a démontré que nous pouvions refuser sans nous exposer à de sérieuses conséquences.
    Bien.
     En réponse à une question sur le remplacement des CF-18, vous avez dit qu’il fallait se demander quelle est la priorité du Canada. S'agit-il de la défense et la sécurité du pays et du continent, ou des opérations à l'étranger? Voilà qui nous amène à nous interroger sur notre stratégie de défense actuelle, à laquelle certains reprochent de n’être qu’une longue liste d’équipement que nous n’avons pas réussi à acheter. Il est donc prévu de la redéfinir. Comment la voyez-vous? Nous avons entendu les perspectives stratégiques sur le Canada de Kerckhove et de Petrolekas, qui préconisent une approche plus complète qui inclurait la défense, le commerce, la politique étrangère, et ainsi de suite, et qui établirait nos priorités en réponse à ce genre de questions.
    Croyez-vous que c'est la chose à faire, et que le gouvernement devrait jouer un rôle plus important...
    Une stratégie globale est préférable.
    ... ou que nous devrions adopter une stratégie de défense sans tenter de l’intégrer à ces autres volets?
    Ma première réaction serait probablement de privilégier une stratégie globale. Plus la perspective est vaste, mieux ce serait. Notre problème a toujours été que c'est très difficile à réaliser. Prenons l'exemple de la politique internationale canadienne du gouvernement Martin en 2005, qui visait à conférer une vision globale aux relations internationales du Canada.
    Il est très difficile d'élaborer une stratégie semblable puisqu’il faut alors concilier de nombreux intérêts et points de vue divergents. Dans un monde idéal, ce serait certainement notre objectif, mais c'est très difficile.
    Mme Joyce Murray: Il faut parfois décider si une chose est idéale, mais peu réaliste, ou si elle est pratique, mais loin d’être idéale. Où vous situez-vous à ce chapitre?
    M. Stéphane Roussel: Concrètement, nous devrions avoir différents livres blancs. Ceux d’Affaires étrangères pourraient être distincts, pour nous donner une idée de la vision du monde gouvernementale ainsi que des éléments fondamentaux de nos relations internationales. Si j’en parle, c’est parce qu’il existe différentes philosophies et approches à ce chapitre. Nous ne pouvons rien faire tant que nous ne connaissons pas exactement la base: qu’est-ce qui représente une menace? Quel sera le plus grand obstacle dans les années à venir aux yeux des gouvernements? Il faut donc au moins une évaluation raisonnable à moyen terme des priorités du Canada, tant du côté de la Défense que des Affaires étrangères.
    Sommes-nous prêts à nous engager dans un programme de remplacement des avions de chasse à la hauteur, possiblement, de 20 à 40 milliards de dollars, sans avoir une stratégie ni connaître clairement nos priorités?
    Un bon livre blanc de la Défense pourrait suffire, pour autant que vous précisiez que nos priorités à ce chapitre consistent à protéger l’Arctique et le territoire canadien, à rejoindre une coalition internationale, ou peu importe. Quoi qu’il en soit, le choix stratégique doit être énoncé clairement puisqu’il aura une grande incidence sur les acquisitions.
    Il faut donc d’abord un livre blanc, après quoi nous pourrons déterminer les capacités dont nous avons besoin, puis trouver le meilleur achat possible.
    Oui, il nous faut des objectifs et une stratégie avant de pouvoir prendre une décision.
    Le premier ministre a affirmé que nous avions un engagement contractuel à l’égard des F-35, après quoi on a reconnu qu’il n’y avait aucun contrat. La charrue a vraiment été mise devant les boeufs. C’est ce que je comprends de votre témoignage.
    Je souhaitais aussi revenir sur la question de la capacité maritime. Une invitée qui comparaissait à propos de l'Arctique était d'avis que la priorité absolue de la défense du Canada et de l'Amérique du Nord devait être de renforcer notre faible capacité maritime actuelle. Elle avait aussi fait valoir que ce n'était pas une menace militaire à notre souveraineté qui était le plus préoccupant, mais plutôt des circonstances comme les changements climatiques et les activités dans l'Arctique qui pourraient avoir une incidence sur les questions de souveraineté, non pas sur le plan militaire, mais plutôt relativement au climat, à la pollution, et ainsi de suite.
    Que pensez-vous du fait de prioriser la capacité maritime? En deuxième lieu, êtes-vous d'accord avec les témoins affirmant que le noeud du problème n’est pas la menace militaire, mais plutôt d'autres questions touchant l'Arctique?
(1140)
    Vous avez 45 secondes pour répondre.
    Bien. À ce sujet, je pense que plus les activités et la présence humaine sont importantes dans l'Arctique, plus le gouvernement doit y être présent.
    La menace militaire n'est pas nécessairement le véritable enjeu. Il pourrait y avoir un déversement de pétrole ou une catastrophe environnementale, ou même de la criminalité ou un trafic illicite. Quoi qu’il en soit, toutes ces menaces possibles mettent clairement en évidence la nécessité d’une présence gouvernementale dans l'Arctique. Vous pourriez en dire autant de la sécurité maritime en général. Je conviens donc bel et bien que la menace militaire n'est pas la plus importante, à moins que notre relation avec la Russie change radicalement. Je ne veux pas jeter d’huile sur le feu.
    Merci beaucoup.
    Madame Gallant, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J’aimerais mentionner que lorsque notre ancien Parti réformiste, un de ceux qui composent le Parti conservateur, était dans l’opposition, nous avions commencé à demander au gouvernement libéral de l’époque à quel moment il allait commencer à préparer un livre blanc. Je pense que c’était en 1997.
    Il est donc intéressant qu’à notre arrivée au pouvoir, nous ayons proposé la stratégie de défense Le Canada d’abord, qui constitue notre livre blanc en évolution constante. Je sais que la députée siège depuis relativement peu longtemps au comité, mais c’est le gouvernement libéral qui a commencé à participer au Programme d'avions de combat interarmées. C’est donc lui qui a inscrit le Canada à l’ensemble des efforts de recherche sur le F-35 et qui est responsable de la suite des choses.
    Notre témoin a parlé de la rotation au sein du Conseil de l’Arctique. Ce que j’aimerais savoir, c’est dans quelle mesure la présidence ultérieure de la Russie pourrait avoir une incidence sur la défense de l’Amérique du Nord.
    D’abord, le Conseil de l’Arctique n’a rien à voir avec la sécurité et la défense, sauf en ce qui a trait à la recherche et au sauvetage, par exemple. Mais le pays à la présidence pourrait au moins fournir une sorte de liste de priorités concernant le genre d’activités qui devraient être déployées, surtout concernant les questions environnementales, sociales et de développement économique. Sans avoir de répercussion directe sur la défense et la sécurité, cette façon de faire vous donnerait au moins un pouvoir diplomatique pour attirer l’attention sur la question, ou inversement. Voilà ce que le gouvernement canadien semble être en train de faire.
    Le Conseil de l’Arctique n’a donc aucun lien direct avec la défense.
    Tout à l’heure, il a été question du NORAD, et de l’OTAN aussi. Croyez-vous qu’il serait avantageux d’élargir la portée du NORAD pour y inclure les partenaires européens de l’OTAN, de façon à coordonner et à homogénéiser la conscience mutuelle des circonstances sur le territoire de l’OTAN?
    La réponse est non. Le NORAD doit demeurer en Amérique du Nord. Je ne crois pas que les Européens accepteraient d’y participer, tandis que les Canadiens et les Américains ne voudraient pas nécessairement que les Européens viennent mettre leur nez dans la défense de l’Amérique du Nord.
    Nous avons des alliés — je connais par exemple des officiers britanniques qui travaillent avec le NORAD —, mais leur participation demeure assez générale. Nous ne voulons pas divulguer trop de détails dans ce genre d’instance. Nous pouvons créer d’autres types de tribunes, mais n’utilisons pas une institution comme le NORAD.
    Que pensez-vous d’étendre la portée du NORAD au cyberespace, en plus des espaces aérien et maritime? Cela favoriserait-il la sécurité en Amérique du Nord?
    Je ne crois pas. Nous pouvons créer une autre organisation, mais je doute que le cyberespace nécessite le même genre d’approche. Ce que je veux dire, c’est que cet enjeu ne nécessite pas le même genre d’interventions physiques. Nous pouvons donc nous inspirer du NORAD pour créer une instance parallèle, sans toutefois l’y intégrer directement.
    Compte tenu des mesures prises récemment par la Russie en Europe de l’Ouest, à quel point la menace contre notre souveraineté dans l’Arctique a-t-elle augmenté, le cas échéant?
    D’après ce que nous constatons jusqu’à maintenant, la situation ne constitue pas vraiment une nouvelle menace à la souveraineté canadienne dans le Nord. Mon inquiétude à cet égard, c’est qu’il risque d’y avoir un conflit entre les positions russe et canadienne au moment où le Canada revendiquera le plateau continental.
    La situation actuelle dans l’est de l’Ukraine et en Europe pourrait avoir une incidence en envenimant les discussions sur le pôle Nord, par exemple, puisque les deux pays veulent le territoire. C’est drôle, mais les choses semblent prendre cette direction. Ainsi, la situation en Ukraine pourrait envenimer les relations entre le Canada et la Russie, qui seraient alors moins disposés au compromis. Elle pourrait donc bel et bien avoir une incidence, mais pas directement sur la souveraineté du Canada, pour l’instant du moins.
(1145)
    Merci beaucoup.
    Notre prochaine intervenante est Mme Michaud.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Roussel, je veux tout d'abord vous remercier de votre présentation très intéressante. Je suis heureuse de recevoir parmi nous un collègue de l'École nationale d'administration publique .
    Je voulais vous permettre de revenir un peu sur les points que vous aviez mentionnés quant au ton et à l'attitude que le Canada adopte sur la question de l'Arctique. En fait, pendant votre présentation, vous avez mentionnez que les menaces militaires ne constituent pas une menace immédiate ou, du moins, ne devraient pas trop nous préoccuper actuellement. Lors de rencontres précédentes, d'autres témoins nous ont aussi dit des choses similaires.
    En fait, M. de Kerckhove, de l'Institut de la CAD, avait mentionné qu'en fait, l'Arctique est un endroit où la coopération est le seul choix, notamment pour des missions de recherche et sauvetage.
    D'après ce que je comprends de vos propos, l'agressivité du Canada sur la question de l'Arctique pourrait nuire à ces efforts à l'avenir. Est-ce que je comprends bien vos propos?
    Oui, c'est juste. Cependant, je vais nuancer ces propos en disant que ce ton a changé au cours des dernières années. Le ton qu'on retrouvait de 2006 jusqu'à 2010 ou 2011 s'est beaucoup adouci. Par exemple, la rhétorique du « use it or lose it » a disparu.
    Les militaires canadiens ont joué un rôle important à ce sujet. Ils ont affirmé que leur principal défi, leur principale mission, était beaucoup plus d'aider les différents ministères à effectuer leurs tâches dans l'Arctique que de chasser des sous-marins ou de faire d'éventuelles manoeuvres militaires dans l'Arctique.
    Ainsi, le ton s'est adouci au cours des dernières années. Toutefois, je crains que cette réputation d'agressivité dont le Canada s'est doté va rester pendant un certain temps.
    Je comprends aussi, comme vous l'avez mentionné, que cela pourrait être utilisé par d'autres pays comme une justification pour durcir le ton ou mener d'autres actions dans l'Arctique qui pourraient, éventuellement, nuire à notre souveraineté. En fait, ce que vous recommandez ici, c'est la prudence et une distinction claire entre les différents enjeux, soit les conflits dans la communauté internationale d'un côté, et la question spécifique de l'Arctique de l'autre.
    Est-ce bien ce que vous avez mentionné?
    Tout à fait. Je conseille de compartimenter les choses ainsi que de faire preuve d'une grande vigilance, c'est-à-dire de ne pas être celui qui peut causer des tensions à cet égard.
    Je vous remercie.
    Sur un sujet connexe, dans le cadre des discussions du comité, il a été question à quelques reprises de la possibilité d'établir une garde côtière armée au Canada, comme ce qui existe aux États-Unis.
    Quel est votre avis au sujet de cette option?
    Je ne vois pas beaucoup d'avantages à ce que le Canada se dote d'une garde côtière armée, si ce n'est que cela nous permettrait d'harmoniser nos procédures avec celles de la Garde côtière américaine. Toutefois, les différences sont trop grandes.
    Aux États-Unis, la garde côtière fait partie du ministère de la Défense alors que, au Canada, elle relève du ministère des Transports. Ce sont deux entités très différentes. Je pense que les changements importants qui devraient être apportés ne justifieraient pas les bénéfices qu'on pourrait en tirer.
    Pourriez-vous nous donner un exemple concret d'un changement qui devrait être apporté au Canada pour harmoniser une garde côtière armée canadienne et une garde côtière armée américaine?
    Il faudrait probablement changer la loi pour que la Garde côtière canadienne puisse exercer ses activités en étant armée. Dans un tel cas, il faudrait changer le statut des gardes côtiers pour en faire des agents de la paix. Pour l'instant, je privilégie davantage que la Garde côtière, à l'instar de la marine canadienne, offre des plateformes à d'autres organismes déjà investis de ce pouvoir comme, par exemple, la Gendarmerie royale du Canada.
(1150)
    Il me reste combien de temps, monsieur le président?
    Il vous reste une minute.
    Monsieur Roussel, pourriez-vous élaborer un peu plus sur les risques d'incursion d'autres pays dans l'espace aérien canadien, en particulier dans l'espace aérien nordique? On a déjà parlé de la Russie, mais d'autres États sont-ils susceptibles, selon vous, de constituer une menace?
    À ma connaissance, il n'existe pas d'autres menaces. Même la Russie ne semblait pas, jusqu'à tout récemment, constituer une menace réelle. Les autres États ne constituent pas non plus une menace. Je ne pense pas qu'aucun autre État n'ait la possibilité physique de menacer l'espace aérien canadien dans l'Arctique.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Leung.
    Merci, monsieur le président.
    Nous parlons de l’Arctique, et aussi de nos critères de défense du côté de l’Atlantique, mais j’aimerais que vous nous disiez comment le Canada devrait composer avec sa troisième frontière du Pacifique Nord. Quel rôle devrions-nous assumer à l’endroit de certains de nos plus grands partenaires commerciaux, comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud? Au moins, la Corée du Sud et le Japon sont sur la même longueur d'onde que les États-Unis, contrairement à la Chine, qui a des aspirations en Arctique.
    Compte tenu de la situation, devrions-nous axer une partie du budget de la Défense sur l’entrée de l’océan Arctique du côté du Pacifique Nord?
    C’est vraiment intéressant, car c’est probablement le côté Pacifique du Canada qui constitue une de nos plus grandes faiblesses, puisque nous y portons rarement attention. Il est rare qu’on s’en préoccupe vraiment dans les documents de défense ou les livres blancs. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que le Canada a des intérêts grandissants du côté du Pacifique. Tôt ou tard, et le plus tôt sera le mieux, nous devrons y porter attention et élaborer une stratégie à cet effet. Pour l’instant, nous accordons bien plus d’attention à l’Arctique, mais c’est pourtant le Pacifique qui est le plus important pour le Canada dans les circonstances actuelles.
    Je ne peux qu’être d’accord avec vous, mais nous tentons aussi d’ouvrir la porte d’entrée du Pacifique. Nous allons d’ailleurs construire d’assez grandes installations portuaires à Prince Rupert, sur la côte de Vancouver. Nos routes maritimes et aériennes du Pacifique Nord sont de plus en plus populaires. Les États-Unis ont des porte-avions pour assurer une capacité de défense en haute mer. Ne devrions-nous pas nous aussi investir dans le Pacifique Nord pour nous doter d’une marine hauturière ou d’une défense terrestre?
    À mon avis, c’est trop cher. Nous n’en avons malheureusement pas les moyens.
    Nous devrions probablement commencer par créer des réseaux diplomatiques plus solides et par nouer des partenariats avec des pays du Pacifique autres que les États-Unis, pour voir sur lesquels nous pouvons vraiment compter. Il faut ici privilégier la diplomatie puisque nous n’avons pas suffisamment de ressources.
    Si nous optons pour cette voie, devrons-nous harmoniser nos politiques à celles des Américains, ou conclure des traités indépendants de coopération mutuelle, par exemple avec la Corée du Sud, le Japon, la Chine, et ainsi de suite?
    Encore ici, nous devrions probablement nous harmoniser aux États-Unis puisque nous partons pratiquement de zéro. Il s’agirait certainement de la meilleure stratégie pour le Canada.
    Quelles mesures sont déjà en place pour assurer la sécurité du Pacifique Nord?
    Il n’y a pratiquement rien.
    Il n’y a rien.
    Nous devons monter notre stratégie de toutes pièces. Il y a eu quelques tentatives à cet effet dans les années 1990, mais il n’y a presque rien. Du côté de la stratégie canadienne, tout est à faire.
    Si j’en parle, c’est parce qu’il y a toutes sortes de situations possiblement explosives dans le monde, que ce soit au Moyen-Orient, en Russie ou en Corée du Nord, et que nous ignorons souvent de quel côté la Chine penchera dans le cas de la Corée du Nord.
    D’après vous, comment devrions-nous tenir compte de cette question de défense dans nos interactions avec la Chine?
    Comme au Moyen-Orient, le Canada a très peu de pouvoir dans cette région. Encore ici, la meilleure stratégie du Canada reste probablement de donner son appui aux États-Unis.
    Par exemple, il n’y a pas de pays semblable à Israël que le gouvernement canadien pourrait appuyer comme il le fait actuellement. Les stratégies adoptées dans d’autres régions du monde ne peuvent pas s’appliquer là-bas. Voilà pourquoi je recommande de demeurer du côté des Américains à cet égard.
(1155)
    Merci beaucoup.

[Français]

    Monsieur Larose, vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Bonjour, monsieur Roussel. Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd'hui. Ce que vous avez dit jusqu'à présent était très intéressant.
    Y a-t-il un pays dans le monde ayant une situation économique semblable à la nôtre, une grande capacité militaire et à peu près le même climat qui s'est vraiment positionné pour défendre son territoire, et ce, sans être dans l'ombre d'un autre pays? Il y a peut-être la Norvège, qui a une armée très efficace et un livre blanc stratégique clair.
    On essaie souvent de trouver des situations comparables et on a beaucoup de difficulté à y arriver. L'État que l'on compare le plus souvent au Canada est l'Australie.
    Y a-t-il un pays nordique comparable au Canada?
    Dans les États nordiques, ce serait la Norvège, mais il y a de très grandes différences entre ce pays et le nôtre. La Norvège est beaucoup plus petite que le Canada, tant sur le plan géographique que sur celui de la population. Ce pays est particulièrement habile pour tirer parti de sa position. Il a, entre autres, un pied dans la porte de l'Union Européenne sans en être membre. Il est dans l'OTAN. C'est un État qui joue le rôle de médiateur ou de pont entre les pays.
    Il garde quand même une certaine indépendance.
    Vous avez parlé plus tôt de la mise en place de la stratégie sur l'Arctique et de la différence entre notre reconnaissance des menaces et celle que font les États-Unis. Ces deux réalités sont complètement différentes, mais il y en a qui sont similaires. Pouvez-vous les relever et faire la différence entre les deux?
    Parlez-vous de l'Arctique?
    Généralement, comme je le disais précédemment, ce sont les Canadiens qui relèvent plus de menaces que les Américains à cet égard.
    Pouvez-vous faire une liste des menaces?
    La liste classique contient des menaces à la souveraineté du Canada. À mon avis, c'est une menace qui est imaginaire dans la mesure où il y a une très petite partie du territoire canadien qui est menacée.
    Donc, on ne peut pas déterminer les menaces de façon précise, mais on peut spéculer.
    On spécule parce qu'il s'agit de l'avenir; ce sont des scénarios.
    En 2014, les problèmes auxquels on fait face, ce sont des accidents d'avion comme celui qui s'est produit à Resolute ou des situations où un navire est en détresse. Ce peut être aussi des communautés isolées qui font face à des crises sociales, à des difficultés climatiques, à des problèmes environnementaux, à des accidents ou à des catastrophes très graves. En 2014, ce sont encore les menaces immédiates auxquelles on doit faire face.
    Si vous me demandez ce sur quoi devrait se préoccuper le gouvernement canadien aujourd'hui, ce serait de faire décoller un avion de Trenton pour aller porter secours à une communauté dans le Nord canadien, que ce soit à Resolute ou dans n'importe quelle communauté isolée.
    Étant donné les moyens dont nous disposons, la diplomatie n'est-elle pas notre meilleur outil dans une optique à long terme?
    Les menaces dont j'ai parlé se trouvent à l'intérieur du territoire canadien. Même si on a une entente — ce serait seulement avec les Américains — pour faire face à certaines crises locales, ce n'est pas une question de diplomatie. C'est une question de services gouvernementaux rendus à la population. C'est ce dont il s'agit.
    Il faut donc revenir aux principes liés à notre souveraineté, à savoir comment on la défend et quels sont les différents volets, qu'ils soient militaires, environnementaux ou civils, qu'il faut envisager lors d'une crise.
    Selon moi, la souveraineté canadienne n'est pas en danger dans l'Arctique. C'est plutôt une vue de l'esprit et elle découle en bonne partie du fait que les Canadiens sont attachés à l'Arctique et craignent parfois de voir une partie du territoire canadien être pris par quelqu'un d'autre. Ce n'est pas le cas. Il n'y a pas de menace réelle à la souveraineté canadienne.
    Sur le plan stratégique à long terme, n'y a-t-il pas un problème de créer une très forte dépendance de la part des Américains? C'est ce dont je parlais. Vous avez mentionné l'Australie et la Norvège. Cela pourrait se produire à long terme car on a ici des ressources absolument extraordinaires. N'est-il pas à l'avantage de tout pays de créer une dépendance? Dans le passé, lors de crises majeures, les redevances étaient énormes. On l'a vu avec l'Europe lors de la Seconde Guerre mondiale. Nos ressources sont importantes. Cette relation n'a d'ailleurs jamais été testée. Jusqu'à quel point doit-on faire attention à la relation qu'on a avec les Américains? Jusqu'à quel point faut-il prioriser notre souveraineté par opposition à leur vision du monde?
(1200)
    Je n'ai pas de crainte à ce sujet parce que, historiquement, les relations canado-américaines ont été « compartimentalisées ». Ce qui relève de la défense touche uniquement la défense. Ce n'est pas parce que les Américains étaient en territoire canadien au cours de la Seconde Guerre mondiale et qu'il y avait une excellente coopération avec eux que les ressources canadiennes ont pour autant été mises en danger. Il y a toujours ces murs étanches entre les différents domaines d'activité. Historiquement, ces activités dans le domaine de la sécurité n'ont pas entraîné de pertes de la nature de celle dont vous parlez. Les Canadiens doivent faire leur part, c'est clair, mais je n'ai pas de crainte en ce qui a trait aux conséquences d'une coopération plus étroite avec les États-Unis dans la mesure où elle est bien balisée, qu'elle est faite de manière explicite et que les règles sont établies de manière explicite.

[Traduction]

    Merci infiniment.
    Vous avez cinq minutes, monsieur Bezan.
    Merci, monsieur le président. Si vous me le permettez, j’aimerais donner mon temps à M. Carmichael; je poserai mes questions au troisième tour.
    Monsieur Carmichael.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie notre témoin.
    J’ai entendu vos propos au sujet des relations entre les Canadiens et les Américains, et il y a manifestement des questions budgétaires, surtout aux États-Unis, qui ont des répercussions sur les relations canado-américaines quant à la présence militaire dans le Nord. Je comprends ce que vous dites sur la quasi-absence d’entente à ce stade-ci, et je n’y vois aucune objection.
    Le NORAD a récemment terminé une opération d’intervention rapide de deux semaines. J’aimerais que vous nous parliez brièvement de la collaboration actuelle entre le Canada et les États-Unis et de la façon dont nous pourrions l’intensifier. Y a-t-il une grande coopération du côté de la défense dans le Nord?
    Le niveau de coopération sur le terrain entre le Canada et les États-Unis pourrait être qualifié de satisfaisant, du moins en ce moment, compte tenu des ressources que les deux pays fournissent dans le Nord. Les militaires des deux côtés travaillent très bien ensemble. Ce n'est rien d'étonnant, puisque les Canadiens et les Américains travaillent côte à côte depuis des décennies.
    Là où il y a des améliorations à faire, c'est à un niveau un peu plus élevé, donc pas seulement au niveau tactique et opérationnel, mais aussi pour l'élaboration de stratégies et de doctrines. C'est pourquoi je crois que la discussion devrait se concentrer sur d'autres enjeux, et pas uniquement sur la coopération sur le terrain. Nous n'avons pas de vision commune de ce que sont les menaces, de la façon de les aborder et des défis que nous devrons relever dans 5 à 10 ans. La coopération entre les services militaires est satisfaisante, mais nous devrions adopter une approche qui soit davantage intergouvernementale.
    Merci.
    J'aimerais parler de l'Arctique brièvement. Dans votre témoignage d'aujourd'hui, vous avez dit rapidement que le Canada était le plus audacieux dans l'Arctique. Je ne suis pas certain si vous êtes en faveur de cela ou non. Dans un témoignage précédent, vous avez dit que l’installation navale de Nanisivik était un poste important et qu'il fallait terminer et développer ce projet.
    Je me demandais si vous pouviez nous parler brièvement de l'installation de Nanisivik, pour que nous sachions où en est le projet et l'importance que ce poste revêt pour la défense et la sécurité dans le Nord.
    Ce poste est primordial, car il n'y a pas d'infrastructure navale dans l'Arctique. Nous en avons cruellement besoin. Pour assurer une plus grande présence dans le Nord, c'est crucial. Nous devrions donc appuyer ce projet et veiller à ce qu'il se concrétise. Nous allons plus tard devoir penser au développement du Nord, pour les 20 à 50 prochaines années, en établissant d'autres installations navales. S'il y a des avantages rattachés à l'ouverture du passage du Nord-Ouest, nous devons être en mesure d'en profiter. Avoir de telles installations, même si elles sont de petite envergure, pourrait s'avérer crucial à cette fin. L'installation navale de Nanisivik, la première du genre, est donc essentielle.
(1205)
    Donc, quand vous parlez de Nanisivik — et je fais référence au commentaire de mon collègue, M. Leung, sur le Pacifique Nord —, seriez-vous prêt à soutenir le même type de présence dans cette zone géographique?
    On s'éloigne de mon domaine de compétence. Je ne ferais que réfléchir tout haut et je ne serais pas en mesure de vous donner une analyse viable, alors je préfère m'abstenir de tout commentaire à ce sujet.
    Très bien. Merci beaucoup.
    Vous avez une minute.
    Quand vous dites que les États-Unis sont absents de l'Arctique, je me demande à quel point il est réaliste de s'attendre à ce qu'ils s'impliquent davantage, compte tenu notamment de leurs restrictions budgétaires. À la lumière des compressions budgétaires qui ont touché directement les États-Unis, est-ce bien vraisemblable? Il est question de conclure une entente. Nous pouvons en discuter et je pense que nous pourrions arriver à un consensus, parce que nous sommes de très proches alliés, mais est-ce bien réaliste de s'attendre à cela?
    En fait, c'est intéressant, parce que je lisais ce que mes collègues ont écrit à ce sujet au cours des 10 dernières années. Ils ont tous répété que les États-Unis s'en venaient et qu'ils allaient signer la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Nous attendons toujours.
    Je ne veux donc pas me commettre en vous disant qu'ils y seront l'an prochain ou dans deux ans. Je préfère user de prudence et présumer que la situation actuelle demeurera la même dans un futur rapproché. Dans ce contexte, la stratégie du Canada doit être d'engager les Américains ou de prendre l'initiative, plutôt que d'essayer...
    Je vais devoir vous interrompre.
    Monsieur Harris.
    Merci, monsieur le président.
    Les Américains nous diront — et c'est ce que j'ai entendu de leurs représentants — qu'ils ne croient pas à la militarisation de l'Arctique. On nous a dit que l'Arctique n'était pas sous menace militaire. Et il n'y a pas que vous qui nous avez dit cela, mais aussi le sous-ministre de la Défense ou le sous-ministre adjoint aux politiques de la Défense.
    Pourtant, vous dénoncez notre réputation de militaristes dans l'Arctique. Est-ce possible de faire une distinction avec le besoin d'infrastructures dont on vient de parler? Aussi, M. Carmichael a parlé de la nécessité de déployer des brise-glaces, d'assurer une présence ou de défendre notre position, si on veut. Est-ce possible de dissocier les deux et de décréter que l'un est essentiel et que l'autre pourrait avoir des conséquences inattendues?
    En fait, ce n'est pas parce que le Canada construit des brise-glaces ou des ports que sa stratégie est vue comme trop audacieuse. C'est le ton du discours qui a cet effet. Les diplomates américains me demandent constamment « Quel est votre problème, au Canada? Pourquoi vous en faites-vous autant pour votre souveraineté? Personne n'en veut. »
    C'est donc le discours qui donne cette impression, et pas vraiment l'affectation de ressources. Les seuls à parler de la souveraineté du Canada dans l'Arctique, ce sont les Canadiens eux-mêmes. Nous sommes à l'origine du problème. Notre attitude attire l'attention du monde entier sur nos préoccupations concernant notre souveraineté dans l'Arctique.
    Merci.
    Vous avez parlé de l'entente avec le NORAD, l'USNORTHCOM et le Commandement des opérations interarmées du Canada. Je vois ici qu'elle a été signée par deux généraux le 11 décembre 2012. S'agit-il d'une entente diplomatique ou d'un cadre opérationnel? Je fais mon Canadien prudent en ce moment, pas mon continentaliste prudent. Cela n'a évidemment pas été tellement publicisé. C'est assuré par le conseil commun, qui existe depuis 1944, je crois. Est-ce qu'on devrait être mieux informés à propos de cela? Est-ce que cela devrait faire partie d'une stratégie globale mieux articulée, comme vous l'avez indiqué?
    C'est une entente très courante. Je pense qu'il existe entre 700 et 800 ententes connues de ce genre entre le Canada et les États-Unis pour le volet militaire. Ce n'est donc pas inquiétant.
    Je crois par contre que des ententes devraient être conclues à un niveau plus élevé. Celles en place portent sur les volets tactique et opérationnel, et ce n'est pas suffisant à mon avis. Il faudrait viser plus haut. Je m'inquiète plutôt du contraire.
(1210)
    Nous avons aussi parlé de la connaissance de la situation maritime, un aspect évidemment important qu'on partage maintenant grâce au NORAD. La prochaine étape, s'il doit y en avoir une, c'est d'établir un commandement interarmées, comme c'est le cas avec le NORAD. Selon vous, est-ce que c'est souhaitable ou nécessaire...
    Pardon, quelle est la...
    Au NORAD, un officier canadien occupe le poste de commandant adjoint, et c'est un officier américain qui est commandant. On nous dit qu'il y a une raison à cela, qu'un général canadien était à la tête du NORAD au moment des attentats du 11 septembre et qu'il a fermé l'espace aérien de l'Amérique du Nord. Pensez-vous que c'est le genre de choses qu'on pourrait établir avec les États-Unis pour ce qui est de l'ensemble du domaine maritime?
    Si la structure est la même, je doute que les choses vont changer. Les Américains n'aiment certainement pas l'idée de changer la structure. Ils veulent qu'un Américain demeure au commandement. Ils ne changeront pas cela, c'est certain.
    C'est un assez bon compromis pour le Canada d'avoir un officier canadien comme commandant adjoint.
    Je pense plutôt à l'avenir et je ne cherche pas à m'opposer à la situation actuelle. Je veux dire que pour le secteur maritime, nous pourrions délaisser la notion de coopération et de connaissance de la situation, qui prévaut largement en ce moment, vu les capteurs et les différentes ressources que le Canada et les États-Unis partagent pour repérer ce qui se trouve dans l'océan et qui se dirige peut-être vers nous: des navires, des narcotrafiquants, etc. Tout cela est possible. Mais est-ce qu'on prévoit délaisser le modèle axé sur la surveillance et la connaissance pour en adopter un autre? Non.
    Je ne suis pas au courant de cela. C'est une des critiques que j'ai entendues à propos du NORAD, soit que ses ressources servent uniquement à la surveillance et qu'il a une capacité opérationnelle très limitée. À ce que je sache, il n'a pas été question de changer cela.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Bezan, pour les cinq dernières minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Roussel, j'apprécie votre ferveur pour la défense de l'Arctique canadien et la coopération avec nos alliés américains.
    J'ai un peu de mal avec votre commentaire selon lequel les portes de Washington nous sont toujours fermées. Pourtant, chaque fois que les membres du comité s'y rendent, à titre de parlementaires, nos collègues américains nous assurent que les portes sont ouvertes pour le Canada, étant donné son engagement à l'égard de la guerre au terrorisme en Afghanistan.
    Je croyais que nous avions réussi à assurer la bonne volonté de nos deux gouvernements et à favoriser leur collaboration en faisant ce qui devait être fait. Le 9 mai, nous rendons hommage à tous ceux qui ont combattu et qui ont perdu la vie en Afghanistan. Votre commentaire me laisse donc quelque peu pantois, à savoir que les Américains semblent indifférents, car on nous répète souvent que les portes de Washington nous sont ouvertes. Nos efforts militaires sont certainement remarqués et appréciés par les Américains.
    En général, oui, les Canadiens ont une très bonne réputation à Washington. Mais c'est en général.
    Le problème se pose lorsqu'on essaie d'utiliser cette réputation dans un but bien précis. Il faut alors s'assurer que quelqu'un à Washington est au courant de ce qu'on fait et de ce qu'on veut. Si vous voulez utiliser la réputation du Canada comme stratégie de négociation, par exemple — et un exemple flagrant serait les négociations entourant le projet de pipeline —, il ne suffira pas d'être gentils pour obtenir des concessions de la part des États-Unis. Cela ne fonctionnera pas pour différentes raisons, malgré notre bonne réputation. Avoir une bonne réputation facilite les rencontres et les discussions, mais cela ne signifie pas qu'on vous donnera tout ce que vous demandez, dans le secteur militaire ou ailleurs.
    Une autre chose que les Canadiens ne comprennent pas habituellement, c'est qu'on ne peut pas s'attendre à obtenir des concessions du côté commercial parce qu'on a une bonne réputation du côté militaire. C'est compartimenté tout cela. Nous ne devrions pas franchir ces limites, parce que le Canada va en payer le prix, c'est certain. Il faut que nous...
    Nous le constatons en ce moment avec le projet Keystone et tout le reste, comme l'étiquetage mentionnant le pays d'origine.
    J'aimerais parler de l'évaluation des menaces concernant la sécurité nord-américaine. Les représentants du NORAD nous ont dit que des aéronefs militaires russes testaient constamment notre espace aérien — de façon constante, et pas seulement dans l'Arctique, mais aussi sur la côte du Pacifique et de l'Atlantique, tant aux États-Unis qu'au Canada. Je pense que c'est une préoccupation pour le comité, et cela devrait l'être aussi pour l'ensemble des Canadiens: les Russes ont toujours été les premiers à tester notre vigilance et à essayer de voir si on dormait aux commandes.
    On assiste à une prolifération de missiles de croisière à l'échelle mondiale; à peu près tous les grands joueurs en ont. Si la plupart des grandes économies font preuve de retenue dans leurs dépenses militaires, la Russie a quant à elle augmenté son budget militaire de 92 %. Elle a récemment rouvert deux bases navales dans l'Arctique, des vestiges de la Guerre froide, et elle a haussé considérablement le financement accordé à la construction de navires destinés à l'Arctique.
    Je me demande si nous ne devrions pas voir cela comme un signe que la Russie est beaucoup plus agressive face à l'Arctique et à l'ensemble de la sécurité nord-américaine.
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    Oui, on peut le voir de cette façon. Si on veut être prudents par rapport à l'avenir, il faut reconnaître que les Russes ont développé certaines capacités. Mais cela ne signifie pas nécessairement qu'ils ont l'intention de s'en servir agressivement. L'Arctique est une région importante pour la Russie, et pas seulement pour des considérations économiques ou géostratégiques; c'est aussi une question d'identité. C'est important pour la Russie de démontrer qu'elle demeure une grande puissance, et l'Arctique est un de ses principaux fronts. Elle s'est faite insistante là-bas pour des raisons de politique interne également. Cela fait partie du jeu.
    Je veux simplement dire que nous ne devrions pas réagir de manière excessive. Oui, la prudence est de mise. Il faut la surveiller et faire preuve de vigilance, sans réagir trop fortement.
    Merci d'être venu témoigner aujourd'hui.
    Le comité va poursuivre la séance à huis clos pour étudier ses travaux, mais juste avant, j'aimerais vous soumettre deux questions.
    Monsieur Carmichael, avec le consentement unanime du comité, vous pourrez demeurer dans la salle pendant la séance à huis clos. Également avec le consentement unanime du comité, le fils de M. Harris aimerait assister à la séance.
    Je m'en remets à vous. Ai-je votre consentement pour que ces deux messieurs demeurent dans la salle?
    Des voix: Oui.
    Le président: Puisque le comité y consent, nous allons faire une pause avant de poursuivre la séance à huis clos.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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