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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je tiens à remercier le comité de nous permettre de témoigner par vidéoconférence. C’est certainement beaucoup plus facile ainsi pour nous. Je suis très honoré de pouvoir participer à votre étude sur les besoins futurs des États-Unis, du Canada et de l’Amérique du Nord en matière de défense.
Nous devons composer avec de vieilles menaces ainsi qu’avec de nouvelles. Nous devons défendre le continent contre des attaques militaires conventionnelles, mais aussi contre des cyberattaques, des pandémies, comme celles du virus Ebola qui menacent la santé de nos citoyens, et du terrorisme d’origine nationale, une menace qu’Ottawa connaît trop bien. Je sais que vous êtes nombreux à avoir essuyé une telle attaque il y a quelques mois. Nos propres citoyens sont influencés par des idéologies étrangères et peuvent donc constituer un danger pour nous.
À bien des égards, la défense nationale s’est transformée; composée habituellement d’activités militaires expéditionnaires ou outre-mer, elle inclut maintenant la participation des agences traditionnelles d’application de la loi et des agents de la paix ici même au pays. Les agents des services frontaliers, le ministère de la Sécurité publique et la GRC ont aussi un rôle à jouer dans la sécurité des citoyens et des entreprises ayant des intérêts ici et à l’étranger. Dans le monde hautement interdépendant d’aujourd’hui où l’économie et notre gagne-pain sont liés à des réseaux financiers, au mouvement des personnes et à des chaînes d’approvisionnement très dynamiques, on ne peut rester indifférent aux situations qui surgissent dans toutes les sphères nationales et internationales.
À cet égard, s’il y a une chose que j’aimerais que vous reteniez, c’est que les États-Unis et le Canada doivent être tous les deux disposés à dépenser davantage en matière de sécurité nationale pour faire face à cette réalité. Je sais que ce n’est jamais une chose facile. Il y a de nombreuses priorités à considérer dans les budgets, mais nos deux pays jouissent des retombées de la paix sans vraiment être en paix.
Nos dépenses en matière de sécurité ont été réduites, alors que les menaces continuent de se multiplier. Cela ne signifie pas qu’il faut dépenser autant qu’avant. Il faut plutôt dépenser plus intelligemment. La technologie nous offre de nombreuses possibilités d'accroître le retour sur notre investissement en défense. Je sais qu'en tant qu’élus, vous vous souciez beaucoup de l’utilisation de l’argent des contribuables, mais je ne crois pas qu'il soit nécessaire, à court terme, de réinvestir dans la sécurité nationale, tant aux États-Unis qu’au Canada. Nous pouvons collaborer à ce chapitre, c’est-à-dire, coordonner les améliorations que nous devons apporter respectivement à nos systèmes de sécurité pour renforcer la relation canado-américaine, mais aussi notre capacité de collaboration à l’échelle mondiale de façon à pouvoir réagir à ces menaces.
J’aimerais parler de trois questions en particulier afin d’attirer votre attention sur ce qui constitue, à mon avis, certaines priorités pour la relation de défense entre le Canada et les États-Unis et les investissements en défense. Premièrement, améliorer notre connaissance de la situation; deuxièmement, accroître notre capacité de collaboration; et, troisièmement, accroître notre capacité générale en investissant plus intelligemment et en améliorant nos systèmes d’approvisionnement. Je parlerai brièvement de chacune de ces questions et j’espère avoir suffisamment de temps pour répondre à toutes vos questions.
D’abord, améliorer notre connaissance de la situation. Graduellement, la guerre au terrorisme se transforme en une guerre de renseignement. Il est extrêmement important pour nous de savoir ce que font certains individus qui sont souvent très habiles pour cacher leur trace. Parallèlement, en raison de la nature des cybermenaces, nous fouillons le cyberespace afin d’y trouver les empreintes floues des pirates informatiques qui peuvent être soutenus par des États, notamment la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord.
Aussi, les pandémies ne sont pas nécessairement le résultat d’attaques armées ou biologiques. Il peut s’agir simplement d’une menace comme le virus Ebola qui se propage, par exemple, par l’entremise de travailleurs humanitaires qui rentrent à la maison ou de personnes infectées après avoir rendu visite à des membres de leur famille. Le défi consiste à savoir quand ces gens entrent au pays, à déterminer s’ils posent un risque et à s’assurer qu’ils disposent de l’aide dont ils ont besoin, mais aussi à assurer la sécurité du public.
En ce qui a trait au terrorisme d’origine nationale, par exemple, le genre de renseignements dont nous aurons besoin proviendra de collectivités dignes de confiance disposées à collaborer avec nos organismes d’application de la loi afin de nous alerter lorsqu’un jeune homme ou une jeune femme est radicalisé ou songe à commettre un acte violent. Il faut alors les intercepter avant qui'ils ne s’en prennent à eux-mêmes ou à autrui.
Dans ce contexte, il est très important de s’appuyer sur la collecte traditionnelle de renseignements, mais aussi sur nos forces policières nationales. Il est également important de développer de nouvelles aptitudes à travailler dans le cyberespace, notamment, afin d’en savoir davantage sur les activités qui se déroulent sur notre territoire et de déceler les menaces avant qu’elles ne deviennent des dangers réels.
Cela m'amène à la deuxième question: améliorer notre capacité de collaboration. Certains d’entre vous se souviendront qu’en 1986, les États-Unis ont adopté la loi Goldwater-Nichols qui réorganisait la capacité de défense du pays. Cette loi mettait l’accent sur l’importance de la collaboration. À l’époque, cela signifiait que la marine collaborait avec la force aérienne, que la force aérienne collaborait avec la force terrestre et que toutes les forces collaboraient avec les marines afin de coordonner les attaques et l’utilisation des ressources, de l’équipement et des munitions de façon à ce que toutes les forces américaines travaillent plus efficacement ensemble.
Cette mission est aussi importante que jamais, mais elle a pris une autre dimension. Elle s’est élargie de deux façons. D’abord, il faut coordonner les forces nationales et internationales. La création du US. Northern Command après les événements du 11 septembre fut un pas important dans cette direction. Ce commandement demeure le deuxième intervenant dans de nombreuses situations domestiques et apporte un soutien au Canada et au Mexique, au besoin, une aide essentielle, notamment sur le plan logistique après un ouragan ou un tremblement de terre. Le commandement sert aussi de mécanisme de coordination pour communiquer avec les premiers intervenants locaux afin de s’assurer qu'ils disposent de l'information et des ressources nécessaires pour intervenir en toutes circonstances, que ce soient les Olympiques de Vancouver ou le Superbowl lorsque celui-ci a lieu à Détroit, donc des deux côtés de la frontière.
Cette collaboration va dans les deux sens. Notre capacité de collaboration interfrontalière, non seulement aux plus hauts échelons, mais dans l’ensemble du système de sécurité, est importante, tout comme notre capacité à travailler main dans le gant avec les sources nationales et militaires. Le but est d’accroître notre capacité grâce à la collaboration et d’obtenir un meilleur retour sur nos investissements plutôt que de doubler nos efforts ou de créer une redondance délibérée. Nos deux pays peuvent faire beaucoup de choses pour se soutenir mutuellement à cet égard.
Les membres du comité savent probablement qu’en 2006, les États-Unis et le Canada ont investi dans le renouvellement du NORAD et élargi la mission de surveillance de l’organisation afin d’y inclure l’espace maritime. Parallèlement, ou dans les années subséquentes, nous avons mis au point le programme Shiprider pour la collaboration entre la GRC, la US. Coast Guard, la Garde côtière canadienne et la Marine canadienne. Dans le cadre de ce programme, les navires ont à bord un agent de l’autre pays lorsqu’ils enquêtent sur une menace ou une situation en particulier. Ainsi, lorsque le navire franchit la frontière de l’autre pays, il y a toujours un agent à bord ayant le pouvoir de mettre quelqu’un en état d’arrestation, d’enquêter ou de saisir des biens, bref, le pouvoir d’agir. Ce genre de collaboration doit aller au-delà de la surveillance maritime du NORAD.
Fait intéressant, ces deux initiatives fonctionnent en silos. La première relève du côté militaire, alors que la seconde relève de ce que nous appelons aux États-Unis la « homeland security », ou la sécurité publique, au Canada. La nécessité d’établir un lien entre ces deux initiatives illustre bien le défi que nous devons relever au cours des prochaines années.
Cela m’amène à la troisième question dont j’aimerais parler: l’acquisition de nouvelles aptitudes. Les incroyables percées technologiques que nous connaissons de nos jours sont prometteuses, notamment les drones de surveillance, la reconnaissance par satellite, et, bien entendu, les protections cybernétiques élaborées grâce aux pirates informatiques recrutés pour aider nos gouvernements à protéger leurs systèmes domestiques.
Il y a un ensemble de nouvelles ressources sur le point d’entrer en fonction qui nous obligeront à accroître nos aptitudes militaires. Cette semaine, à Washington, le sénateur John McCain, le prochain président du comité sénatorial sur les services armés — il a déjà présidé ce comité — a dit qu’une des principales priorités des États-Unis au cours des prochaines années sera la réforme des acquisitions.
Les États-Unis dépensent beaucoup, mais comme le Canada, l'industrie américaine de la défense a dépéri et continue de dépérir. En vertu d’un nombre moins élevé de sociétés capables de présenter une soumission pour des marchés, celles qui le peuvent font souvent des soumissions basses sur des contrats à prix coûtant majoré. Donc, nous signons un accord qui semble abordable, mais lorsque le prix coûtant est majoré, on se rend compte que le coût est très élevé pour acquérir la technologie en question.
Nous devons faire des choix judicieux. Les ressources financières consacrées à la défense ne se multiplieront pas indéfiniment et, comme vous le savez, il y a d’autres priorités à considérer dans les budgets. Nous devons donc dépenser sagement.
Au moment où les États-Unis amorcent une réforme fondamentale en matière d’acquisition et de processus, l’occasion est belle pour renouveler les principes de l’Accord sur le partage de la production de défense conclu en 1956 dans lequel le Canada et les États-Unis ont convenu de coordonner leur approvisionnement et de puiser dans les bases de production de l’autre afin de satisfaire leurs besoins militaires en matière de défense. Il s’agit d’une belle occasion d’approcher ensemble la réforme en matière d’acquisition afin de nous assurer que nos systèmes se soutiennent l’un et l’autre. Ainsi, le Canada pourra tirer des leçons des gains que réaliseront les États-Unis grâce à ces réformes et il pourra également nous donner quelques conseils sur la façon de dépenser judicieusement. Le Canada connaît beaucoup de succès à cet égard.
Cela dit, je tiens à vous remercier de votre attention. Je vais céder le temps qu’il me reste à mon collègue.
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Merci, monsieur le président. C’est un honneur et un privilège de pouvoir témoigner devant le comité.
Je me limiterai à trois ou quatre sujets, après quoi nous pourrons passer à la partie importante de cette séance, soit les questions et réponses.
On peut faire trois grandes observations au sujet de la politique mondiale d’aujourd’hui qui ont une influence sur les États-Unis et le Canada.
Premièrement, la politique des grandes puissances est de retour. Cela ne signifie pas que les vieilles questions et les plus récentes portant sur le développement économique, l’environnement ou la lutte contre le terrorisme ont été mises de côté. On remarque que les grandes puissances commencent à s’irriter mutuellement et la tension monte. C’est une situation très différente par rapport à ce que nous vivons depuis la fin de la guerre froide ou même depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Deuxièmement, nous remarquons qu'il y a trois grands conflits dans le monde. Auparavant, l’accent était mis sur le conflit. À l’époque des guerres de Corée et du Vietnam, par exemple, et même en période de paix, c’était assez clair.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec trois grandes régions de conflit. D’abord, il y a un conflit le long du littoral de la Russie qui implique également l’Europe et certains pays asiatiques. Le deuxième est nouveau et représente un obstacle très sérieux. Je parle ici de la présence de l’État islamique au Moyen-Orient. Ce conflit attire beaucoup l’attention et constitue en quelque sorte le prolongement d'un conflit qui dure depuis très longtemps dans cette région. Le troisième est la confrontation entre la Chine et ses voisins dans la mer méridionale de Chine et la mer orientale de Chine. Cette confrontation ne nous concerne pas directement, mais nous touche tous, notamment en ce qui a trait au transport dans la région et à nos alliances.
Troisièmement, des changements structurels radicaux sont en cours dans le système. Il s’agit, selon nous, du changement du cycle de puissance de certains États. Par exemple, le Japon a atteint son sommet en matière de puissance et connaît maintenant un déclin marqué. L’Union soviétique s’est effondrée en 1989 à la fin de la guerre froide et la Russie cherche maintenant à s’extraire du creux de son cycle de puissance pour retrouver sa grandeur.
Finalement, un autre changement important risque de survenir lorsque la Chine, qui a amorcé la remontée de son cycle de puissance, atteindra ce que nous appelons un point critique de changement, c’est-à-dire le moment où son pouvoir continue d’augmenter, mais à un rythme soudainement plus lent. La Chine aura beaucoup de difficultés à gérer ce changement, notamment en ce qui a trait à sa relation avec Taïwan. Non seulement sera-t-elle touchée par ce changement, mais nous le serons tous, y compris le Canada. Ce changement touchera les États-Unis de diverses façons; l’État devra notamment apporter des ajustements nécessaires pour gérer ces transitions.
La politique mondiale vit des changements importants.
En ce qui concerne les relations bilatérales, il existe, à mon avis, de nombreux secteurs de convergence et de coordination. Le secteur du pétrole est un de ceux ayant un impact important en matière de défense.
Il y a, bien entendu, le sort du pipeline Keystone. Je crois qu’il y aura des développements dans ce dossier, en raison des changements au Congrès après les élections de mi-mandat. Il y aura probablement un vote sur ce projet, mais le président, qui s’inquiète beaucoup des questions environnementales à long terme et qui vient de conclure un accord très important avec la Chine afin que celle-ci réduise sa pollution environnementale, notamment son impact sur le réchauffement climatique d’ici 2030… Ce projet de pipeline ne fait toujours pas l’unanimité et le président pourrait imposer son droit de veto si le Congrès choisit d’appuyer le projet.
Je vais terminer mon exposé en parlant de la relation très importante et très positive entre les deux pays en ce qui concerne ce que l’on appelle le NORAD maritime. J'appuie ce concept depuis longtemps. J’ai présenté des arguments en sa faveur bien avant que cette terminologie ne soit adoptée. Je ne peux pas dire que j’ai eu un impact direct sur l’adoption de cette terminologie, mais en tant que spécialiste, j’ai défendu avec vigueur ce concept, tant au Canada qu’aux États-Unis, et je suis ravi de voir que des progrès ont été réalisés dans ce projet.
Bien entendu, les deux gouvernements participent activement à l’identification et à la surveillance des déplacements de cargaisons illicites le long de nos côtes. Ces efforts sont coordonnés et il s’agit, selon moi, d'une façon très efficace de procéder à l’intérieur du cadre du NORAD et du NORTHCOM.
Le mandat du NORAD maritime est simplement de faire rapport et d’informer les gouvernements en temps opportun. La prise de mesures d’interdiction relève de chaque chef de gouvernement, mais toutes ces activités sont coordonnées, ce qui est positif et essentiel. D’ailleurs, plusieurs alertes ont été déclenchées jusqu’à maintenant.
J’aimerais souligner, en terminant, que le NORAD, dont certains avaient prédit la disparition en tant qu’organisation importante, est maintenant plus important qu’il ne l’était. En quel sens? Le NORAD s’est tourné vers les menaces à l’espace aérien. Au cours de la dernière année, plus de 400 bombardiers ont effectué des sorties le long de la côte nord-américaine, mais également près des territoires européens et des régions où la défense est une préoccupation. Il nous revient alors de déployer des chasseurs en réaction à ces sorties. Cela n’a rien de nouveau pour nous. Le NORAD a les compétences, le dévouement et l’expérience nécessaires pour traiter ce genre de situation et intervenir positivement.
Si vous ne le permettez, j’aimerais citer le capitaine de la Marine américaine, Martin Beck, commandant du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord qui a dit: « Nous sommes de garde, et nous n’avons pas le droit d’échouer. »
Je ne saurais dire mieux. Je crois que nous sommes entre bonnes mains. Je suis impatient de répondre à vos questions.
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Messieurs, je vous remercie pour vos exposés.
Je m’intéresse beaucoup à la situation en Arctique. La plupart des témoins que nous avons entendus ont dit que la détérioration des relations avec la Russie, en raison de la crise qui sévit en Ukraine, n’aura aucun impact sur les relations internationales en ce qui a trait à l’Arctique.
Lundi, la Russie a mis sur pied son nouveau commandement stratégique mixte pour l’Arctique. Celui-ci est devenu opérationnel le 1er décembre. Le commandant de la flotte nordique, Vladimir Korolev, a annoncé que le quartier général du nouveau commandement, qui s’appuie sur la flotte nordique, sera installé à Severomorsk. Le commandement disposera également d’unités militaires, navales et de surface, de sous-marins nucléaires, et d’unités stratégiques de défense aérienne et aérospatiale, de ressources et de bases transférées à partir des districts ouest, sud et du centre, mais pas des districts militaires de l’est. Le commandement sera comparable à ces derniers.
Le 24 novembre dernier, donc, il y a quelques semaines, le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé la création de ce nouveau commandement.
Toute la flotte nordique relèvera de ce commandement, tout comme une partie importante de la première flotte de la Force aérienne et le commandement de la défense aérienne. Le transfert officiel se déroulera sur plusieurs semaines et se fera par l’entremise du ministère de la Défense. Ce nouveau commandement disposera également de bases aériennes et de garnisons nouvellement construites ou mises à jour et d’installations d’accostages, principalement sur territoires insulaires arctiques, y compris Novaya Zemlya et les nouvelles îles sibériennes, Wrangel Island et Cape Schmidt. Depuis octobre, celles-ci sont sous la responsabilité de la force opérationnelle interarmées et protégées par un système d’armes de défense aérienne et côtière à la fine pointe.
La force terrestre du commandement est composée de deux brigades arctiques spéciales dont la première devrait être opérationnelle en 2015. C’est bientôt. Elle sera basée dans le village d’Alakurtti situé à 50 kilomètres de la frontière finlandaise. Cette brigade a été rétablie en mars. Il s’agit d’une flotte d’envergure dotée d’une unité du renseignement composée de 3 000 spécialistes. L’autre brigade devrait être opérationnelle en 2016 et basée quelque part dans le district autonome d’Iamalo-Nénétsie. Les travaux pour rendre ces brigades opérationnelles se font rapidement et sans interruption.
Le 29 novembre, le chef du centre national de défense nationale, le général Mikhail Mizintsev, a dit que le projet allait inclure 13 nouveaux terrains d’aviation, des zones d’entraînement aérien et des zones de tir, des sites radar et de navigation aérienne, 150 navires de la flotte nordique et 1 200 unités et sous-unités, y compris une garnison éloignée.
La Russie a également augmenté de plus de 30 % ses forces spéciales en Arctique, en vertu de la garnison restructurée du 61e régiment indépendant d’infanterie navale installé à la base Sputnik, à Pechenga, à l’intérieur du cercle polaire, soit à 10 miles de la frontière norvégienne et à 40 miles de la frontière finlandaise. Elle sera colocalisée avec la 200e brigade indépendante d’infanterie reformée en mai 2011.
Souscrivez-vous à l’évaluation selon laquelle la Russie ne représente aucune menace pour le continent nord-américain?
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Je dois d'abord préciser que je ne suis pas un spécialiste de la Russie, mais j'aimerais appuyer vos propos en y ajoutant deux observations.
Au cours de la dernière année, pour des raisons qui sont propres à chacun des pays, les budgets de la défense des États-Unis et du Canada ont été réduits. Par exemple, aux États-Unis, nous avons eu les compressions budgétaires automatiques, ce qui a entraîné une réduction des dépenses militaires, tandis que la Russie a augmenté ses dépenses militaires de 18 %. J'ai bien dit 18 %.
Mon deuxième commentaire — et cela concorde avec les vôtres, je pense — c'est que l'Arctique a atteint un seuil critique. Cela pourrait nous déplaire; c'est certainement mon cas. Le réchauffement climatique me préoccupe beaucoup, et il se produit à un rythme effarant. Le seuil critique dont je parle, c'est qu'avant de mettre fin à leurs activités de forage, les sociétés ExxonMobil et Rosneft ont découvert le premier gisement de pétrole exploitable d'importance, que l'on estime à trois quarts de milliard de barils de pétrole. Selon moi, cela entraînera une ruée vers le pétrole, ce qui signifie qu'il y aura un accroissement du trafic maritime dans l'Arctique. Je ne parle pas tant de navires qui traversent l'Arctique, mais de navires qui font la navette, ce qui nécessitera une surveillance. Les déploiements comme ceux que vous avez décrits préoccupent beaucoup la Russie, car elle a un long littoral ouvert dans cette région. En réalité, ce que signifient ces déploiements pour les autres pays, c'est qu'il faut les prendre très au sérieux.
En conclusion, compte tenu de tous ces facteurs, je ne crois pas que nous — c'est-à-dire le Canada et les États-Unis, ou les Européens — accordons autant d'importance aux questions liées à la défense dans l'Arctique que nous le devrions.
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Merci beaucoup. Les députés libéraux se trouvent à votre gauche, mais je suis ici.
Des voix: Oh, oh!
L'hon. John McCallum: J'aimerais revenir sur la question de l'Arctique, mais l'aborder sous un angle quelque peu différent.
M. Chisu a expliqué la menace russe, mais il ne faut pas oublier les questions entourant la souveraineté dans l'Arctique et le passage du Nord-Ouest. Comme le professeur Doran l'a mentionné, s'il y a beaucoup de pétrole en Arctique, il y aura inévitablement un plus grand nombre d'allées et venues de bateaux, ce qui pourrait engendrer des conflits et certainement causer des dégâts environnementaux.
Je sais que les revendications canadiennes de souveraineté territoriale dans l'Arctique ne reçoivent l'appui ni des États-Unis, ni de l'Union européenne, ni de la Russie, ni d'à peu près n'importe quels pays autres que le Canada. Je crois savoir qu'il pourrait finir par y avoir des procédures judiciaires internationales visant à trancher la question, mais j'ignore à quel moment elles pourraient avoir lieu, et si d'autres pays accepteront même une telle procédure.
Ma question s'adresse à l'un d'entre vous, ou à vous deux. Qu'adviendra-t-il à ce chapitre, selon vous? Compte tenu du rôle plus déterminant de la Russie, du pétrole qui se pointe possiblement à l'horizon, et du réchauffement de la planète qui ouvre une voie de transport plus vite que ce qu'on a cru, les enjeux pourraient être importants plus tôt qu'on aurait pu l'imaginer. Croyez-vous que le Canada et les États-Unis pourraient s'entendre ou trouver un compromis quant à une vision conjointe de la souveraineté, de façon à ce que nous puissions collaborer plus étroitement plutôt que de nous opposer, comme vous l'avez dit? De façon plus générale, quelle sera l'issue de la situation, d'après vous?
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Je vous remercie infiniment de la question. Je vais me lancer en premier.
En tant qu'amis — le Canada et les États-Unis sont fondamentalement des nations amies malgré tous leurs différends à propos de l'Arctique — nous avons selon moi passé beaucoup de temps à discuter du problème sans toutefois le résoudre. Il est étonnant que nous nous disputions encore la frontière de la mer de Beaufort, non pas que le conflit n'est pas légitime, mais plutôt parce que nous en avons discuté, en avons tracé la carte et en avons débattu pendant longtemps. On se serait attendu à ce qu'une sorte d'entente soit conclue. Le fait que les États-Unis et le Canada travaillent à contre-courant depuis longtemps dans l'Arctique a selon moi incité les Russes et d'autres pays à essayer de définir une nouvelle réalité dans le secteur, à notre détriment.
J'ai assisté à une réunion récemment où les États-Unis envisageaient sérieusement de créer un port au Groenland pour l'est de l'Arctique, simplement parce que nous n'arrivons pas à nous entendre avec le Canada sur l'emplacement d'une base dans l'Arctique pour les navires. Il s'agirait d'une sorte de port en eau profonde. C'est un véritable gaspillage d'efforts et d'argent, inévitablement.
Je pense qu'il faut résoudre la question en deux étapes. Les États-Unis doivent commencer à accorder plus d'importance à l'Arctique. Le secteur est accessoire à bien des égards à la conception américaine de la sécurité nationale, mais cela doit changer. Je pense aussi que le Canada doit aller de l'avant. Au fil des ans, les gouvernements canadiens ont semblé espérer que les États-Unis signent le Traité sur le droit de la mer, qui aurait fourni un cadre à la résolution du conflit. Or, le Sénat refuse toujours de le faire malgré le soutien du Président Obama et de son prédécesseur, le Président Bush.
Je pense que nous aurons peut-être besoin de trouver une nouvelle route pour sortir du continent. Un geste du Canada pourrait être nécessaire, mais dans l'ensemble, je pense que nous devons trouver un moyen de nous entendre, puis de faire front commun devant le reste du monde.
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Merci, monsieur le président.
Professeur Sands, je vous remercie d'avoir soulevé dans vos remarques d'ouverture un point que je trouve assez intéressant et qui me concerne particulièrement.
Vous avez énuméré les menaces à la sécurité nord-américaine. Vous avez mentionné le home grown terrorism, qu'on pourrait appeler du terrorisme fait maison. Je suis le député de la circonscription où un membre des Forces canadiennes a été attaqué et tué par un automobiliste. Je suis donc directement concerné par la menace à la sécurité nord-américaine que représente le terrorisme d'origine intérieure, qui est le sujet de notre étude aujourd'hui.
Cela soulève une question que plusieurs de mes concitoyens me posent souvent. À partir de quel moment peut-on qualifier d'attaque terroriste une attaque, par exemple, contre un membre des Forces canadiennes?
Vous avez donné l'exemple de l'attaque qui est survenue à Ottawa, mais dans l'attaque dont je viens de parler, la personne avait à sa disposition un couteau et conduisait une voiture Nissan 2000. C'était là son équipement et ce qu'il avait à sa disposition. Elle n'avait pas de formation.
Vous êtes des experts en sécurité, mais vous ne l'êtes pas en matière de propagande. En tant qu'experts en matière de sécurité, placeriez-vous au même niveau l'attaque contre le World Trade Center, qui a nécessité une coopération internationale organisée et où des personnes ont été envoyées dans un pays pour y recevoir une formation de pilote d'avion, et l'attaque que commet une personne qui a accès à une rhétorique terroriste dans Internet, mais qui est seule chez elle et isolée et qui, en raison de problèmes de santé mentale, ne peut pas avoir de liens avec ses voisins ou ses proches?
Est-ce que ces deux attaques peuvent être mises sur le même niveau? Quelle est votre appréciation par rapport à ces deux phénomènes?
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La situation est très délicate. Je commencerai par présenter mes condoléances aux citoyens de votre circonscription et du Canada qui sont touchés. C'est très difficile.
À certains égards, peu importe si les motifs sont politiques ou attribuables à une instabilité mentale. Nous avons été secoués par des incidents horribles de fusillades en milieu familial et d'autres drames qui sont survenus parce que de jeunes hommes — il y a parfois des femmes, mais il s'agit souvent d'hommes — commettent un acte de violence pour toutes sortes de raisons. Ils sont frustrés. Sur le plan de la sécurité, la première étape est d'éviter que ces drames ne surviennent, et d'essayer d'arrêter l'individu avant qu'il ne s'en prenne à d'autres ou à lui-même. Peu importe son motif, nous voulons assurer la sécurité des gens. Qu'il s'agisse d'une tuerie en milieu scolaire, de la fusillade de l'École polytechnique de Montréal, ou d'un drame du genre, nous devons essayer de protéger les gens.
Nous finissons toujours par nous poser très humainement une question inévitable: pourquoi? Aurions-nous pu faire quoi que ce soit pour éviter le pire? Aurions-nous pu en faire plus si nous en avions su davantage? C'est la raison pour laquelle je soulève la question du renseignement à l'échelle très locale. Dans la vaste majorité des activités terroristes que les États-Unis ont été en mesure d'empêcher, et même dans le cas des fusillades en milieu scolaire et des actes isolés de violence apolitique qu'ils ont pu arrêter, les États-Unis ont découvert que le renseignement ayant permis de sauver la situation provenait de gens du milieu qui connaissaient le jeune ou les individus, et qui ont faire part de leur inquiétude aux forces de l'ordre. Le renseignement provenait aussi des agents qui ont écouté et compris ce que les gens leur disaient, puis qui ont travaillé avec eux afin d'essayer d'éviter que l'individu ne s'en prenne à lui-même ou à d'autres.
C'est ce que nous avons observé dans le cas de la Cellule de Lackawanna à Buffalo, à Detroit, et lors de bien des incidents. Je pense que nous devons établir un climat de confiance entre les milieux policiers, les parents, les professionnels qui travaillent auprès des jeunes à l'école, et les agents qui sont là pour assurer notre sécurité. Ne vous inquiétez pas autant du motif, et concentrez-vous plutôt sur la façon d'aider et de protéger les gens.
Il peut être difficile de mobiliser pleinement la composante civile de nos forces de sécurité. Je pense notamment aux services du renseignement. C'est le défi que nous devons relever. Il y a toujours eu une différence de culture entre les forces militaires et les services civils d'application de la loi. Les attitudes sont différentes. Le degré de rapprochement avec les citoyens n'est pas le même. Je pense qu'il sera difficile de faire le pont entre les deux.
Lorsque la coopération entre les services s'est amorcée dans les années 1980, il y avait tellement de fierté au sein des forces maritimes comme de l'armée de terre, sans même vous parler des forces aériennes, que l'on arrivait mal à combler les écarts de culture entre les deux groupes. Nous y sommes parvenus en multipliant les exercices interarmées, les entraînements conjoints et les simulations de guerre. Pour faire progresser considérablement les choses, nous pourrions simplement faire en sorte que militaires et représentants des forces de l'ordre des deux pays, les quatre entités de l'équation, participent à des exercices conjoints, et apprennent à se connaître et à se faire confiance. L'équipement et tous les autres éléments pourront être harmonisés par la suite, mais il faut faire cet effort-là.
Les gouvernements ont mis sur pied la Commission mixte permanente de défense et la Commission de coordination militaire, deux structures propices à la collaboration. Au sein des forces locales de maintien de l'ordre, l'infrastructure est beaucoup plus faible, car nous ne sommes pas allés plus loin que les équipes intégrées de la police des frontières. Il y aurait donc vraiment lieu de mobiliser une partie des forces militaires et civiles au moyen des centres de fusion — il en existe déjà un certain nombre — pour que l'on puisse s'entraîner ensemble, dialoguer et mieux comprendre la culture de l'autre.
Ce sont peut-être les services frontaliers qui vont servir de pont à cet effet. Bon nombre des agents frontaliers embauchés par le Département de la sécurité intérieure des États-Unis après le 11 septembre sont des anciens combattants qui sont passés de la vie militaire à la vie civile. Ces gens-là comprennent bien les deux cultures. Ils pourraient nous aider dans nos efforts pour établir le lien entre les deux groupes.