NDDN Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent de la défense nationale
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 1er mai 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte.
Je présente mes excuses à tous les gens présents, en particulier aux témoins. Les rouages de la Chambre des communes font en sorte que de temps à autre les plans les mieux conçus des souris et des hommes... et des femmes également, bien entendu.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur la défense nord-américaine.
Nous accueillons Stephen Saideman, qui est titulaire de la chaire Paterson en affaires internationales à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton; et Alexander Moens, qui est professeur en science politique à l'Université Simon Fraser, à Vancouver.
Merci beaucoup, messieurs. Comme c'est la coutume, vous aurez droit à 10 minutes chacun pour faire votre exposé, puis nous passerons aux séries de questions. Allez-y. Je vous laisse décider entre vous qui ouvrira le bal.
Je suis honoré d’avoir l’occasion de m’adresser au comité.
Le point de départ de tout débat sur la sécurité du Canada, c’est que le Canada occupe une position exceptionnelle dans le monde; sa géographie limite les menaces et ses forces économiques, ainsi que sa stabilité politique, lui offrent une grande protection par rapport au reste du monde.
Même si l’on parle beaucoup de menaces terroristes, de cybermenaces et d’autres risques non traditionnels, il reste que, dans les faits, le Canada est suffisamment protégé pour se permettre de commettre des erreurs sans en payer le prix fort. C’est une excellente chose, compte tenu de la tendance du Canada à commettre des erreurs, parce que ses politiciens refusent de faire les compromis nécessaires et de prendre des décisions difficiles pour faire face aux nouvelles réalités en matière de défense du XXIe siècle. Évidemment, les erreurs peuvent toujours avoir de graves conséquences et mettre en danger les soldats, les pilotes, les marins et tout autre employé du gouvernement canadien.
Pour dire les choses clairement, nombre des problèmes en matière d’approvisionnement de défense ne sont pas nouveaux pour le Canada ou les démocraties avancées, et ils ne sont pas non plus la faute du gouvernement actuel. Le Canada doit recapitaliser sa flotte, tout en ayant à remplacer le noyau de son aviation, et cela constitue un véritable problème. Chez moi, nous essayons de n’acheter qu’une seule voiture à la fois et nous tentons d’espacer ces achats de manière à ne rembourser qu’un seul prêt-auto à la fois... Le tout fonctionnait bien jusqu’à ce qu’un autobus scolaire emboutisse notre plus récente voiture.
Dans le cas du Canada, la durée de vie des navires et des appareils était tout à fait prévisible; nous ne devrions donc pas à avoir à remplacer nos navires et nos appareils, ainsi que nos navires de patrouille de l’Arctique, tous en même temps. Même si les règles comptables permettent des dépenses simultanées, je ne suis pas certain que le gouvernement du Canada a démontré qu’il a l’expertise requise pour diriger de multiples programmes en même temps. Nous n’avons manifestement pas les chantiers navals requis pour construire de nombreux navires en même temps.
Or, le gouvernement qui est en place depuis un bon moment déjà refuse toujours de faire les compromis nécessaires. Le meilleur exemple est que nous pouvons réduire de 3 milliards de dollars le budget sans qu’il n’y ait de véritables conséquences. Par contre, voici possiblement le déni le plus important et le moins utile: le maintien du niveau symbolique de 100 000 militaires est très dispendieux et presque tout à fait inutile. C’est un engagement à maintenir un niveau symbolique. Les coûts en personnel représentent une part énorme du budget, à savoir plus de la moitié. Bref, si nous avions à réduire le budget militaire, nous devrions le faire à cet endroit, ainsi qu’ailleurs.
Le refus de le faire, combiné aux grands projets d’approvisionnement, signifie que les réductions viseront les opérations, l’entretien et les exercices. Aux États-Unis, on s’inquiète toujours du déclin des Forces; les Américains savent qu’il y aura toujours beaucoup d’équipement, de soldats, de marins, de fusiliers marins et de pilotes, mais ils craignent que les militaires perdent leur supériorité en raison d’un manque d’exercices militaires. C’est ce qui se produira au Canada. Ici, nous ne tenons pas compte des conséquences; nous préférons nous dire qu’une force symbolique de 100 000 militaires constitue une solide défense.
Les experts savent que le gouvernement dépense aujourd’hui environ les mêmes sommes qu’en 2006, en tenant compte de l’inflation normale. Le problème, bien sûr, est que dans le domaine du matériel militaire l’inflation est rarement normale. Un budget fixe pose problème lorsque l’inflation est importante. Nous insistons sur les avantages industriels des programmes de défense, et cela aggrave le problème; les systèmes construits au Canada ont donc un avantage concurrentiel sur ceux qui ne créent pas d’emplois au Canada.
Le programme de construction navale semblait être une bonne idée, à savoir d’organiser un concours national pour déterminer les endroits où les navires seraient construits. Le problème, c’est qu’en relançant de vieux chantiers navals inactifs le Canada se trouvera à payer le prix fort pour ces navires. Les navires seront beaucoup plus chers et presque assurément moins efficaces que ceux construits en Europe ou ailleurs. Il est presque certain que cette situation se traduira par un nombre moins élevé de navires; le MDN devra donc s’interroger sur les conséquences d’une flotte réduite, y compris les possibles réductions du nombre de marins et d’officiers, parce que moins il y a de navires, et moins il y a de marins et d’officiers.
Évidemment, la situation est symptomatique d’un problème persistant. Les Forces canadiennes devraient être façonnées en fonction de la stratégie du Canada, d’une évaluation des menaces qui pèsent sur le pays, des moyens à prendre pour s’en occuper et d’un équilibre entre les engagements et les capacités. La stratégie de défense Le Canada d’abord a été dépassée par les événements il y a des années.
La nouvelle stratégie tenant véritablement compte des contraintes budgétaires et de l’augmentation des coûts du matériel devrait reconnaître que le Canada aura à en faire moins avec moins de ressources — et non à en faire plus avec moins de ressources —, dont des forces terrestres, aériennes et navales plus petites. Le Canada peut encore être un bon partenaire au sein du NORAD et de l’OTAN, à condition que les forces qu’il affecte aux diverses missions ne soient pas inutiles. Mieux vaut avoir des forces moindres que des forces inutiles.
Plutôt que de procéder à des réductions par défaut et par accident — ce qui est littéralement le cas pour la marine canadienne avec les accidents qu’elle a connus —, le Canada peut et doit faire des choix difficiles. Le gouvernement est en fait en excellente posture pour le faire, étant donné que — et c’est ici que je fais un peu de politique — il est peu probable que les partis d’opposition gagnent des votes auprès des électeurs qui souhaitent une augmentation des dépenses militaires. Pour le prouver, ces problèmes ne sont pas uniques au Canada; la plupart des démocraties avancées sont aux prises avec les mêmes problèmes: des budgets plus serrés, des défis en matière d’approvisionnement de défense et des obligations au sein d’alliances.
Le Canada peut choisir la voie habituelle, à savoir d’essayer de s’en sortir tant bien que mal, mais cette fois les enjeux sont plus élevés, étant donné que les programmes sont très dispendieux et que tout culmine en même temps.
J'ai hâte d'en discuter avec vous aujourd'hui.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur le président. Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de mes opinions sur la défense nord-américaine.
Les Canadiens se sentent raisonnablement en sécurité. Ils sont majoritairement d’avis que nous pouvons nous concentrer sur l’économie canadienne et remettre à plus tard les questions relatives à la défense. Je présume que vos électeurs ne se pressent pas aux portes pour demander d’investir massivement dans la défense.
Par conséquent, certains vous conseilleront d’avoir une politique canadienne en matière de défense qui met l’accent sur des domaines précis et des capacités limitées avec de faibles budgets. Même si les ressources sont restreintes et qu’il faut établir des priorités, j’avance que nos valeurs et nos intérêts, à la lumière de la présente insécurité internationale, exigent une définition large de la politique canadienne en matière de défense.
Premièrement, ce que nous défendons n’a pas de prix. La démocratie constitutionnelle libérale du Canada a une très grande valeur, parce qu’elle protège devant la loi les libertés et les droits individuels, y compris le droit à la vie, la liberté de parole, la liberté de culte, la liberté d’association et le droit à la propriété. Ces droits et libertés forment un intérêt moral, parce que les humains ont une valeur incommensurable. En tant que chrétien réaliste, j’estime que cette valeur tient de la création par Dieu de tous les humains à son image.
La gouvernance libérale exige aussi un gouvernement représentatif, responsable et limité. Le Canada jouit de libertés individuelles et d’un bon gouvernement, et c’est de notre devoir de les défendre et d’aider son prochain à en jouir également.
Voici ce que j’essaie de faire valoir. Nous serions disposés à investir tout notre PIB pour défendre nos libertés, si nous y étions obligés. Que devons-nous donc investir pour maintenir un niveau de sécurité élevé? Cela vaut-il vraiment 1 % de notre PIB, de notre prospérité? Nous sentons-nous suffisamment en sécurité que nous pouvons ainsi baisser notre garde? Permettez-moi de vous expliquer pourquoi je crois que nos mesures en la matière sont insuffisantes.
Les États continuent d’être le centre d’intérêt dans la sécurité internationale. Les groupes et les réseaux visent à former des États ou sont épaulés par des États. Les gens sont susceptibles de faire du mal à leur prochain pour améliorer leur sort. Les humains sont les esclaves du péché, et c’est ce qui explique cette tendance prédominante. Dans les affaires internationales, cette disposition est amplifiée, et nous n’avons jamais assez de lois ou de pouvoirs pour prévenir les comportements sans foi ni loi. Nous avons besoin de capacités pour contrer les intérêts qui vont à l’encontre de la doctrine libérale, et une puissance militaire suffisante est nécessaire pour ce faire.
Notre politique en matière de défense doit répondre à la question suivante. Qui sont ceux qui s’opposent à notre mode de vie? La réponse se résume à deux intérêts politiques globaux. En premier, nous avons l’autocratie, comme c’est le cas de certaines grandes puissances, dont la Russie et la Chine, et de nombreux petits États; en deuxième, nous avons le totalitarisme, dont nous sommes témoins dans les réseaux terroristes djihadistes, les États islamistes naissants et l’idéologie du juche en Corée du Nord. L’autocratie et le totalitarisme ne sont pas monolithiques. Il y a des variations qualitatives et quantitatives dans les deux cas.
Les deux plus importantes autocraties, soit la Chine et la Russie, voient leur budget militaire augmenter rapidement. Beijing et Moscou exercent une influence mondiale et revendiquent des territoires régionaux et des ressources. Ces deux tendances ne signifient pas qu’un conflit est inévitable, mais elles veulent dire que les démocraties libérales doivent avoir la volonté politique et la puissance militaire pour restreindre les ambitions des autocraties.
La tendance totalitaire se concentre dans un vaste croissant géographique qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à l’Asie de l’Est. Nous y retrouvons des djihadistes avec des ambitions islamistes violentes de domination et de souveraineté. Bon nombre de ces groupes causent des génocides religieux, de l’instabilité politique et des atrocités de masse et mettent en place des États extrémistes. Les réseaux et les États islamistes totalitaires menacent presque toujours nos libertés sur les plans politique, religieux et économique.
Des ennemis politiques peuvent devenir des amis démocratiques. Nous avons recours à la diplomatie, à l’économie et aux pouvoirs doux pour stimuler une telle transition, en particulier dans le cas de la Chine. Par contre, notre politique en matière de défense doit être sur le qui-vive en cas d’échec de la politique étrangère. Heureusement, la politique canadienne en matière de défense ne fonctionne pas en vase clos. Nos principaux partenaires sont les États-Unis et les membres de l’OTAN et le Groupe des cinq en ce qui concerne le renseignement et le cyberespace.
Trois paramètres stratégiques influent sur l’offre et la demande du Canada en matière de sécurité dans le cadre de cette constellation d’alliances. Premièrement, la puissance militaire américaine par rapport au nombre de défis et à leur ampleur est à la baisse. Deuxièmement, l’OTAN a par défaut une capacité militaire supérieure. Troisièmement, le cyberespace est un domaine de sécurité civil et miliaire dans lequel les règles ne sont pas légion et la distinction entre les capacités offensives et défensives n’est pas facile à faire.
Que ces paramètres signifient-ils pour la politique canadienne en matière de défense?
Tout d’abord, le Canada et les puissances moyennes du monde démocratique doivent accroître leur capacité de défense. Les années 1990 et les opérations de la Force internationale d’assistance et de sécurité ont montré que nous ne pouvons pas procéder au renouvellement de la défense en investissant seulement 1 % de notre PIB. Le renouvellement de la défense signifie qu’il faut affecter 1 % de notre PIB à l’entretien et investir des fonds additionnels pour réellement procéder au renouvellement de la défense.
Ensuite, la souplesse politique et militaire de l’OTAN se veut une occasion de collaborer avec d’autres démocraties constitutionnelles. La politique en matière de défense du Canada et sa politique étrangère devraient activement mettre l’accent sur l’établissement de partenariats avec des démocraties constitutionnelles de la région de l’Asie-Pacifique, de l’Arctique et de l’Amérique du Sud. Plus tard ce mois-ci, l’Université Simon Fraser espère être l’hôte d’une conférence organisée de concert par le Collège de défense de l’OTAN et l’Université Simon Fraser pour discuter de l’interaction de l’alliance avec les pays de la région de l’Asie-Pacifique.
Enfin, le Canada doit continuer de participer à des initiatives solides à caractère défensif et offensif dans le cyberespace, y compris au sein du Groupe des cinq et avec les États-Unis. Après les attentats du 11 septembre, la collecte de certains renseignements sur les personnes est devenue inévitable. Il y a place pour une participation parlementaire responsable au sujet de l’équilibre entre les objectifs en matière de sécurité et les libertés individuelles. Lors des opérations de la Force internationale d’assistance et de sécurité, le Canada a investi dans le transport aérien et l’armée. Il a maintenant besoin de moderniser ses forces de combat aériennes et navales. Nous devons faire notre entrée dans l’ère des appareils furtifs. Il faut renouveler notre flotte de surface en vue d’accroître notre présence dans les forces opérationnelles navales américaines.
Le Canada a l'obligation morale de prendre part à la défense de l'Amérique du Nord contre le chantage nucléaire. La défense antimissile n'est pas une idéologie; c'est une solution militaire pratique. Le danger actuel vient de la Corée du Nord, parce que nous ne croyons pas que la dissuasion nucléaire réussira à faire entendre raison au régime. Le régime nord-coréen se fout du bien-être de sa population. La participation du Canada dans la défense antimissile ne sera pas exempte de coûts; elle exigera des investissements soutenus et une grande participation.
Les capacités dans l'Arctique sont complexes et coûtent cher. Le Canada devrait réellement envisager de partager le fardeau à ce sujet avec les États-Unis et le Danemark en vue d'assurer la sécurité dans cette région.
Selon moi, la population n'a plus confiance dans le processus d'approvisionnement militaire du Canada. Chaque fois que j'en entends parler à Vancouver, c'est en dérision. À mon avis, il est temps de sortir des sentiers battus et d'envisager un plan pluriannuel qui inclurait d'autres partis politiques et qui pourrait rompre avec le statu quo.
Merci de votre temps.
Merci beaucoup, professeur. Vous étiez dans les temps, soit dit en passant.
Monsieur Williamson, vous avez les sept premières minutes.
Merci, monsieur le président.
C'est un plaisir de vous accueillir tous les deux au comité. Merci.
Monsieur Moens, j'aimerais revenir sur votre dernier point. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par un nouveau système concernant le processus d'approvisionnement militaire? Ce que vous avez brièvement expliqué me semble bien, mais l'un des défis est évidemment que, lorsqu’un nouveau gouvernement est élu, on constate parfois un changement de cap ou l'abandon pur et simple des façons de faire, si les priorités ne correspondent plus à celles du nouveau gouvernement.
J'aimerais vous entendre davantage à cet égard.
Merci.
J’ai délibérément adopté une approche globale quant aux objectifs, aux valeurs et aux paramètres. Je n’ai pas de détails sur le nouveau processus d’approvisionnement. Il faut un vaste processus politique qui mettra fin à la tendance que nous avons observée, c’est-à-dire qu’un parti au pouvoir fait une commande A puis lorsqu'un autre parti prend le pouvoir, il annule la commande A et fait la commande B, puis il y a un autre parti qui veut tout reporter. Le format exact... Je ne sais pas si c’est mon rôle de vous donner ces détails aujourd’hui, mais je suis professeur et chercheur, et je sais que presque tout le monde pense que ce processus est fichu.
Très bien.
Je vais vous poser une question précise. J’aimerais obtenir une réponse de vous deux.
En ce qui a trait aux relations de défense entre le Canada et les États-Unis et à la défense nord-américaine, je crois qu’il est important de discuter du remplacement des chasseurs CF-18. J’aimerais savoir quelles capacités et exigences vous recommanderiez pour un chasseur. Certains témoins qui ont comparu devant notre comité ont souligné l'importance de l’interopérabilité entre les alliés. Pouvez-vous commenter? Dans quelle mesure est-ce important pour la défense nord-américaine?
J’aimerais connaître votre opinion à ce sujet, messieurs.
Ce qui est intéressant dans cette question, c’est qu’il y a eu beaucoup de confusion quant à l’utilisation qu'on fera de cet avion. Dans les faits, nous l'achetons pour les 20 ou 40 prochaines années. Les menaces d’aujourd’hui ne seront pas celles de demain. Les vraies questions qu’il faut se poser pour l’achat de cet avion sont les suivantes: quelles sont les menaces à long terme, et quels sont les engagements à long terme du Canada?
Je suis très ambivalent à propos du projet des F-35, parce que c’est très cher, et le processus de développement aux États-Unis a fait en sorte que le processus d’approvisionnement du Canada ne semble pas si problématique que cela, puisqu’il y a eu toutes sortes de controverses au sujet des F-35, de leur coût et tout le reste. Mais je crois que le Canada doit faire face à la réalité tant à titre de membre du NORAD qu’en tant que membre de l’OTAN. L’un des principaux arguments de vente de cet avion, d’après ce que je comprends, c’est son interopérabilité.
Au cours des 20 dernières années, les efforts mondiaux du Canada nous ont montré que les avions ne volent pas seuls. Ils font partie d’autres missions. Ils ont lancé des bombes sur la Serbie et le Kosovo et ont participé à la mission libyenne, et participent maintenant aux mesures de renfort en Europe de l’Est. Ces activités sont toutes réalisées par l’OTAN. Il est donc censé de considérer l’interopérabilité à titre de caractéristique fondamentale de l’avion. Je crois que certains concurrents se débrouillent très bien pour cela, mais nous avons plusieurs arguments pour chaque avion.
Je crois que l’interopérabilité est essentielle, puisque le Canada n’aura jamais une capacité suffisante, un nombre suffisant d’avions à lui seul, pour lutter contre la menace, sauf peut-être un avion en provenance de la Russie qui volerait au-dessus de l’Arctique. En cas de vraie crise, il nous faudra plus qu’un avion.
Je suis d'accord avec mon collègue, de façon générale. J'aimerais ajouter quelques points.
Tout d'abord, nous devons avoir une capacité de furtivité — qui n'en est qu'à ses débuts —, puisqu'il s'agit d'un processus commun des partenaires de l'OTAN et des États-Unis, bien sûr, pour la construction d'un futur aéronef. Le F-18, même le Super Hornet, a été construit il y a 20 ou 30 ans et est toujours utilisé, mais il n'est pas une option pour l'avenir. Il y a peut-être certaines possibilités d'intégration, mais pour l'avenir, je crois que la nécessité d'avoir des chasseurs pilotés sera bien réelle, surtout en raison de nos grandes étendues d'air, de terre et d'eau, pour que le Canada puisse être à la fine pointe de la technologie.
Merci.
Dans la même veine, en ce qui a trait à notre capacité de projeter la puissance ou de surveiller les côtes, le gouvernement canadien considère que le passage du Nord-Ouest fait partie des eaux intérieures canadiennes, tandis que les États-Unis et divers pays et alliés européens maintiennent qu'il s'agit d'un détroit international pour le passage en transit permettant un passage libre et sans entrave.
Que recommandez-vous au Canada de faire pour confirmer notre souveraineté dans le passage du Nord-Ouest?
Je dois me ranger du côté des Américains là-dessus. En tant que pays qui dépend grandement du commerce, le Canada dépend aussi du droit de passage sur d'autres détroits du monde. Pour expédier le pétrole, il faut passer par des détroits qui appartiennent à d'autres pays. En vertu du droit de la mer, tel que je le comprends — je ne suis pas du tout un expert juridique —, le Canada est pratiquement le seul pays à interpréter le passage du Nord-Ouest de cette façon. Je crois qu'à long terme, il est dans l'intérêt du Canada d'échanger avec les États-Unis et de faire des compromis quant au passage du Nord-Ouest, pour peut-être obtenir une part plus importante des territoires disputés, au point rencontre entre l'Alaska et le Canada dans la zone extracôtière, où il y a controverse quant à l'emplacement du territoire.
Je crois donc qu'à long terme, le Canada n'aura pas intérêt à se battre contre le reste du monde sur une question de droit international qui lui convenait auparavant, jusqu'à ce que la fonte de la calotte glaciaire fasse en sorte que ce ne soit plus pratique au nord.
Merci, monsieur le président.
Il est rare que deux experts qui témoignent devant notre comité aient des points de vue aussi divergents, mais vous avez tous deux fait valoir des points intéressants, je dois l'admettre.
Aussi, même si nous nous penchons sur la défense nord-américaine, notre étude est très vaste. J'aimerais poser une question sur un sujet important que nous abordons: l'avion d'attaque interarmées. Bien sûr, la furtivité est importante. On se pose tous les jours des questions sur la furtivité, sur le moment où la technologie sera disponible et en quoi elle consistera, et si elle durera, même si on la met au point aujourd'hui, et pendant combien de temps elle sera efficace.
Aussi, à propos de l'interopérabilité, le général responsable de la transformation de l'alliance de l'OTAN nous a dit que l'interopérabilité avait trait à la façon dont on travaillait ensemble, que les alliés de l'OTAN —28 pays — contribuaient de leur mieux, que l'important était de déterminer comment tout cela fonctionnait et que l'interopérabilité ne voulait pas dire le même aéronef. C'est donc un débat auquel nous sommes confrontés.
Je vous pose à vous deux la question. En ce qui a trait à la défense nord-américaine, et comme nous sommes le deuxième plus grand pays au monde, avec un énorme littoral et un espace souverain, y a-t-il un impératif quant à la situation géographique du Canada qui permettrait de déterminer le type d'aéronef ou de capacité dont nous avons besoin pour surveiller cet espace, pour assurer la connaissance du domaine et la capacité d'interception, par exemple? Est-ce que ces facteurs sont tout aussi importants ou plus importants que le fait d'avoir le même aéronef qu'un autre?
Vous pouvez tous les deux répondre à cette question.
Je crois que votre commentaire sur l'interopérabilité est vrai, mais cela ne vise pas seulement la technologie, et la question du F-35 ne vise pas uniquement la furtivité. On veut construire un aéronef avec la technologie d'aujourd'hui et de l'avenir, plutôt que de travailler avec...
Est-ce qu'on peut s'éloigner de l'aéronef même et parler des exigences et des attentes, des priorités du Canada en matière de défense et de la collaboration avec les États-Unis pour la défense nord-américaine?
Je dirais que nous ne savons pas quelles seront les menaces dans cinq ans. Par conséquent, comme notre projet est très ambitieux et difficile, nous devons faire très attention de ne pas opter pour la meilleure technologie et la plus moderne qui soit.
Je suis sceptique, parce que je crois que dans la course aux armements, les avantages sont contrebalancés, surtout dans ce domaine en particulier. Nous avons entendu de nombreuses histoires à ce sujet dernièrement. Je crois que pour l'achat du prochain avion, il faut songer à la zone qu'il peut couvrir, pas nécessairement mesurée en fonction de la distance qu'il peut parcourir, mais bien selon sa capacité de détection à distance, et ses systèmes d'armes à longue portée. Le problème avec le Canada, c'est que le pays est si vaste que les avions ont du mal à contrôler l'espace aérien.
Je crois qu'il faudrait songer en priorité aux avions qui ont le meilleur ensemble de capteurs et la meilleure capacité relative aux armes à longue portée pour compenser le fait qu'ils seront basés à Bagotville et à Cold Lake, ce qui signifie qu'il y aura beaucoup d'endroits difficiles d'accès.
Merci.
Monsieur Moens, de nombreux témoins qui ont comparu devant nous dans le cadre de l'étude sur la défense nord-américaine ont fait valoir que l'Arctique n'était pas vraiment une zone démilitarisée, mais qu'on n'y voyait pas de menace militaire et que les Américains ne voulaient pas qu'il soit militarisé. Vous êtes probablement le premier à suggérer un plan interarmées avec le Danemark et les États-Unis à des fins de capacité militaire. Pourquoi iriez-vous aussi loin?
Pourquoi êtes-vous de cet avis, alors que même la Russie ne veut pas militariser l'Arctique?
Pourquoi est-ce important selon vous? Ne s'agit-il pas d'une tentative coûteuse?
Je tiens à préciser que je n'ai pas utilisé l'expression « capacité militaire » dans mes commentaires.
Je parlais de la capacité d'assurer une surveillance aérienne et maritime entre les trois pays, puisque le Danemark et le Groenland surveillent le flanc est, les États-Unis le flanc ouest, et nous sommes au milieu.
Je ne parle donc pas de la militarisation de l'Arctique, parce que je suis du même avis que vous: la Russie n'a pas exprimé son intérêt à cet égard ni posé de geste qui donnerait à penser que c'est nécessaire. Mais je crois que plutôt que de débattre du passage du Nord-Ouest, qui ne représente pas une question de sécurité importante, il faut songer à la surveillance conjointe entre les États aux vues similaires.
À votre avis, donc, est-ce que le NORAD et ses mécanismes sont inadéquats à cette fin, ou est-ce que vous suggérez que le NORAD devrait établir une capacité interarmées avec le Danemark aux fins de la surveillance et de la connaissance du domaine?
C'est intéressant.
Monsieur Saideman, vous pourriez nous parler de la collaboration avec les États-Unis... Nous avons reçu un témoin intéressant de Montréal, M. Roussel, qui se décrit comme un continentaliste prudent et qui a dit que dans le cadre des négociations relatives à un partenariat en matière de défense continentale avec les États-Unis, il fallait être prudents au moment d'exprimer ce que nous voulons et ne voulons pas.
Quel est votre point de vue sur la façon dont le Canada et les États-Unis peuvent collaborer à la défense continentale, à la défense nord-américaine, tout en veillant à ne pas nous questionner sur notre propre existence, à être maîtres chez nous, comme on le dit au Québec? Est-ce un enjeu à votre avis?
Je crois que les États-Unis et le Canada ont beaucoup plus de points en commun que de conflits en ce qui a trait à la protection nord-américaine. Leurs menaces sont similaires: la cybermenace, le terrorisme, ce genre de choses, ces menaces distantes. Je crois qu'il y a une importante marge de manoeuvre. Je crois que nous avons gagné de l'expérience avec le NORAD, et que nous pouvons miser là-dessus. Je dirais que nous pourrions élargir le NORAD pour couvrir la mer, parce qu'il faut collaborer au large des côtes de nos pays.
Je vais devoir vous interrompre.
MM. Leung et Warawa vont partager leur temps; je vous aviserai lorsque trois minutes et demie se seront écoulées.
Merci, monsieur le président; je partagerai en effet le temps qui m'est accordé avec mon collègue, M. Warawa.
La défense comporte de nombreuses dimensions, qu'il s'agisse des avantages économiques, de la protection géographique ou frontalière, de l'accroissement de la géographie ou de la protection des routes commerciales.
Votre commentaire voulant que la politique de défense du Canada doive suivre notre politique étrangère m'intéresse. La plupart des pays européens de l'OTAN dont vous parlez ont leur propre capacité de défense pour produire ces biens, et ils s'en servent. La Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne utilisent cette capacité dans le cadre de leur politique économique. Le Canada est une puissance moyenne, et nous n'avons pas la capacité de produire des armes.
Si on songe à la période après la Seconde Guerre mondiale, notre politique étrangère visait le maintien de la paix; elle a évolué au fil du temps pour viser l'établissement de la paix puis la consolidation de la paix. Étant donné ces trois modèles successifs, j'aimerais savoir comment nous pouvons aller de l'avant au XXIe siècle pour maintenir cette politique étrangère et conserver notre modeste capacité de défense, en tenant compte du fait que nous ne fabriquons pas d'armes au Canada, parce que nous n'en avons tout simplement pas la capacité.
Merci.
À titre de précision, j'ai dit que la politique de défense, la politique étrangère et d'autres domaines de la politique, à titre d'expression de nos intérêts nationaux, nos intérêts canadiens, fonctionnaient ensemble. Or, si nos objectifs en matière de politique étrangère ne se matérialisent pas, nous devons avoir une certaine capacité de défense qui ira plus loin. Donc si, par exemple, nous n'arrivons pas à bien gérer ces deux menaces et qu'elles ne respectent pas les règles du comportement international, comme ce qu'on voit aujourd'hui en Ukraine, alors nous devons avoir la capacité de défense nécessaire pour gérer la situation. C'était mon point.
Est-ce que j'ai répondu à votre question?
Eh bien, pas tout à fait.
Que se passe-t-il dans le cas improbable où notre politique étrangère et celle des États-Unis entrent en conflit? Comment pourrions-nous alors harmoniser notre processus d'acquisition de biens ou notre capacité à préserver notre souveraineté et notre indépendance?
Par exemple, on se demande tout le temps ce qui arrivera quand les États-Unis voudront soudainement toutes nos réserves de pétrole et d'eau douce. J'aimerais maintenant qu'on me dise comment nous pouvons adapter cette politique ou si nous allons toujours être à la merci des Américains.
Non, je n'utiliserais pas l'expression « à la merci ». En tant que démocraties constitutionnelles libérales développées, nos différends seront réglés par des négociations et la politique.
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas mentionné d'autres pays démocratiques quand j'ai parlé des deux types d'adversaires politiques, car je ne crois pas que notre politique de défense doive tenir compte de cette possibilité.
Merci à nos deux témoins.
Je siège au comité en tant que remplaçant, mais je trouve cette discussion très intéressante.
Comme mon temps est limité, je vais poser une question à M. Moens. J'aurais aimé pouvoir en poser aux deux témoins.
Monsieur Moens, vous avez dit que les démocraties libérales doivent avoir la volonté nécessaire — et je paraphrase — ainsi que la capacité et l'équipement pour y donner suite. Vous avez également affirmé qu'une politique de défense doit prévoir l'éventuel échec d'une politique étrangère.
La population russe est très favorable aux mesures énergiques de M. Poutine. En fait, ses tactiques ne font qu'accroître sa popularité. Les Russes approuvent donc ses démarches.
Pourriez-vous nous parler de la volonté que vous attribuez à l'ensemble de la population canadienne et aux Américains et nous dire quelles sont ses répercussions sur nos priorités en matière de défense?
J'aimerais d'abord faire une petite observation par rapport à ce que vous avez dit sur Poutine. Depuis qu'il a pris le pouvoir, la Russie devient de plus en plus autocratique. Nous devons être prudents par rapport à ce que veulent vraiment les Russes. Ils n'ont pas la même liberté d'expression que nous.
À propos du point principal que vous avez soulevé, dans le cas des États-Unis, je crois qu'ils ont encore d'énormes moyens. Mes commentaires sur le renouvellement et le financement de la défense n'auraient pas été tout à fait les mêmes en ce qui les concerne.
Pour ce qui est du Canada, à titre de représentants du peuple, je crois que vous devez sensibiliser la population canadienne à la nécessité d'avoir une capacité de défense. En tant que professeur d'université, j'essaie d'informer mes étudiants sur nos besoins en matière de politique étrangère et de défense. Je pense que les Canadiens comprennent mal notre politique de défense et qu'il y a beaucoup de place à l'amélioration.
Les États-Unis s'apprêtent à réduire plutôt considérablement le financement de leurs forces armées. Selon vous, quelle sera l'incidence de ces compressions sur les capacités interopérationnelles du Canada avec les États-Unis?
Je ne pense pas qu'il y aura de répercussions dans un proche avenir, mais je crois que c'est un message extrêmement important pour les puissances moyennes comme le Canada, la France, l'Australie, le Japon et autres qui devront combler les lacunes de la capacité militaire dans le monde que les États-Unis, si on peut dire, laissent de côté.
À défaut de quoi, nos adversaires politiques s'imposeront et notre sécurité sera grandement compromise.
Merci, et merci aux témoins d'être ici pour nous faire part de leurs points de vue sur ces questions intéressantes. Je vais poursuivre avec le même sujet.
Monsieur Moens, vous laissez entendre que le Canada a besoin d'une plus grande capacité militaire pour être en mesure de combler les lacunes et d'apporter une contribution si la politique étrangère d'un autre État avorte. Préconisez-vous l'augmentation du budget de la Défense nationale et, le cas échéant, dans quelle mesure?
Oui, c'est ce que je propose.
Selon moi, la proportion de 1,1 % des dépenses militaires dans les années 1990 était clairement insuffisante pour financer et renouveler la défense, et je soutiens qu'il y a des preuves que cela ne convient pas.
Prenez la période la plus coûteuse de la FIAS. On parlait probablement d'environ 1,4 % ou 1,5 % de nos dépenses militaires, et seule une petite partie de nos capacités a été renouvelée...
Vous proposez donc une proportion d'à peu près 1,4 % ou 1,5 %. J'aimerais passer à d'autres aspects de la question.
Je vois.
Monsieur Saideman, vos commentaires m'ont plutôt donné l'impression que ce qui compte, c'est d'élaborer une stratégie claire qui nous aide vraiment à prendre des décisions et à définir les priorités. Vous m'avez également donné l'impression que nous pourrions faire des achats militaires plus rentables.
Je m'intéresse beaucoup à l'idée de la stratégie, ce qui explique ma première question. Pensez-vous que nous devrions avoir une stratégie inclusive qui englobe, comme d'autres témoins l'ont suggéré, les affaires étrangères, la défense, le commerce et l'aide au développement? Devrions-nous avoir une stratégie globale à partir de laquelle nous pourrions ensuite élaborer une politique de défense, ou êtes-vous plutôt d'avis que nous pouvons tout de suite adopter une politique cohérente qui nous donne une idée de la voie à suivre et des priorités?
Je pense que nous remettons chaque année ces décisions à plus tard et que cela se traduit par l'augmentation des coûts et une plus grande inefficacité. Il serait bien de faire une analyse pangouvernementale qui touche à tout, mais je crois que nous devons obtenir l'heure juste pour ce qui est de la défense. Pour prendre ce genre de décisions, je dirais qu'il faut miser sur l'inclusion d'employés des Affaires étrangères. Ils ont évalué les menaces, car ce n'est pas seulement une question de défense; c'est également lié aux affaires étrangères. Je dirais qu'il faut avoir une meilleure idée de nos engagements et de ce que seront les menaces dans 10, 20, 30 ans.
À vrai dire, nos engagements sont très clairs, et je ne pense pas que nous devions repenser le NORAD ou l'OTAN. Nous devons réfléchir à leurs répercussions, car il faut du temps et de l'argent pour déplacer nos navires du golfe Arabique jusqu'à la mer Noire ou la mer Baltique. Nous ne savons pas où ils jetteront l'ancre, mais nous dépensons de l'argent en envoyant des avions en Roumanie. Il y a un coût associé à cela.
À propos de la défense nord-américaine, même si c'est avec des F-35 ou d'autres avions, d'autres témoins nous ont dit que cela dépend vraiment de si la priorité est ailleurs ou ici, ce qui a moins de répercussions sur le plan militaire. J'ai été étonné d'entendre M. Moens dire que nos grands espaces et nos mers sont un argument en faveur des F-35, car d'autres témoins ont affirmé le contraire. À quel point la défense nord-américaine avec ces avions est-elle prioritaire par rapport au déploiement dans d'autres pays?
Pour élaborer une stratégie, quels seraient — spontanément — les cinq principes ou valeurs clés que vous établiriez en premier pour vous aider à définir les priorités? Par exemple, où se situe la défense nord-américaine par rapport aux questions de défense et de sécurité externes? Quelles grandes valeurs ou quels grands principes établiriez-vous?
Une fois de plus, je crois que le plus important est la défense du Canada. Le principal objectif de toutes forces armées est la défense de son territoire. Par contre, comme je l'ai dit, au cours des 20 à 30 prochaines années, les navires, les avions et les militaires canadiens ne serviront généralement pas tous les jours à défendre le pays contre des menaces étrangères. C'est peut-être ce que font quotidiennement ceux qui travaillent en cybersécurité et dans divers autres domaines, mais si on fait des prévisions en s'inspirant du travail accompli par les Forces canadiennes durant les 20 dernières années, à l'exception de la protection offerte pendant les Jeux olympiques et de différentes activités menées ici, la plupart des missions coûteuses qui ont nécessité de l'équipement de pointe se sont déroulées ailleurs: en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Libye.
Je pense que le Canada a un choix quand il s'agit de prendre des décisions concernant les investissements majeurs. Nous pouvons mettre fin à notre engagement envers l'OTAN et ne pas investir dans des navires et des avions, mais je pense que cet engagement est important.
Le principe, c'est que le Canada ne peut pas se battre seul dans le monde. Un des principes fondamentaux est le multilatéralisme. Le Canada ne peut pas combattre seul.
Le Canada se battra aux côtés des démocraties pour faire face aux menaces à la sécurité nationale et, parfois, pour des raisons humanitaires qui chevauchent des questions de sécurité. À mon avis, il n'a pas la capacité de consacrer beaucoup de ressources à chaque crise humanitaire. Il le fera seulement lorsqu'il y a un point de convergence entre la sécurité et les motifs humanitaires.
C'était par exemple le cas en Libye. Pour le Canada, l'enjeu dans ce pays était l'OTAN. C'était une question de sécurité en plus d'être une mission essentiellement liée à sa responsabilité de protéger, même si les gens l'ont perçu différemment. Le Canada ne peut pas envoyer tous ses chasseurs, ses avions et ses navires partout où il se passe quelque chose dans le monde. Il doit faire des choix, et il n'interviendra que lorsque les intérêts humanitaires coïncident avec les intérêts en matière de sécurité.
Merci, monsieur le président.
Je m'interroge sur l'Arctique. Vous n'en avez pas vraiment parlé. L'un de vous est-il préoccupé par la défense du territoire arctique?
Quand nous pensons à l'Arctique, c'est réellement de l'avenir qu'il est question. À l'heure actuelle, il n'y a pas vraiment de menace, mais les investissements que nous faisons aujourd'hui sont évidemment importants pour les 20 à 30 prochaines années. Est-il vraisemblable qu'il y ait une grande menace dans l'Arctique? Il est très coûteux pour tout le monde d'y mener des opérations et d'y construire de nouvelles installations, pas seulement pour les Canadiens, mais aussi pour les Russes, les Américains, les Danois et les tous les autres.
Je ne pense pas que la menace soit grave et je doute qu'elle le devienne plus tard, car il est très difficile pour tout le monde d'y effectuer des opérations. Je ne suis pas climatologue et je ne peux pas dire si le réchauffement de la planète facilitera les choses, mais ce sera toujours très coûteux. Pour relever le défi de l'approvisionnement en ressources, il faut composer avec les endroits les plus à risque. À mon avis, compte tenu de ce que nous avons vu au cours des 20 dernières années et de ce que nous verrons pendant les 20 prochaines, l'Arctique est une grande priorité, mais il n'arrive pas en tête de liste. Ce ne sera tout simplement pas une zone de combat.
Merci.
Monsieur Moens, dans le même ordre d'idées, vous avez explicitement mentionné que la Russie, la Chine et les groupes terroristes de l'Afrique occidentale sont ceux qui menacent notre mode de vie. Pour l'instant, pensez-vous qu'il serait utile de s'efforcer d'avoir une présence plus forte à l'avenir dans l'Arctique?
Compte tenu des politiques russes en Géorgie et en Ukraine, je suis persuadé que nous devrions réfléchir aux capacités nécessaires pour prendre part à un éventuel conflit en Arctique. Je crois que cela fait partie de la politique de défense d'imaginer ce genre de choses et de penser, en collaboration avec nos alliés démocratiques, aux capacités dont nous aurions besoin pour faire face à différentes menaces possibles.
Au sujet de la cyberdéfense et de la cyberoffensive, vous avez dit que le Canada coopère avec le Groupe des cinq. Vouliez-vous dire que le Canada participe déjà à des cyberopérations offensives?
Je dois vous admettre que le cyberespace est difficile à comprendre. Si je ne m'abuse, lorsque des lignes de code sont vulnérables, et c'est de cela dont il est question dans ce domaine, un ennemi a la possibilité d'attaquer, mais il expose par la même occasion sa propre capacité, y compris sa vulnérabilité. Dans le cyberespace, la ligne de démarcation entre l'offensive et la défensive n'est pas aussi facile à tracer que, par exemple, dans le cas des guerres conventionnelles. Nous n'avons rien à gagner en adoptant une attitude moralisatrice et en ne menant pas de cyberoffensives, car, si c'était ce que nous faisions, nous n'en saurions pas plus sur la cyberdéfense.
Nous devons donc collaborer avec nos alliés, y compris les États-Unis et le Groupe des cinq — et je crois que nous le faisons déjà — pour nous assurer d'avoir les capacités requises, car les cyberattaques ne relèvent pas seulement du domaine civil, mais également du domaine militaire. Nous devons avoir un large éventail de capacités.
Vous avez parlé du Groupe des cinq, du Canada et des États-Unis, mais nous avons également un centre d'excellence en Estonie, un pays d'Europe de l'Est qui a essuyé une cyberattaque. Pensez-vous que les divers membres de l'OTAN devraient coopérer plus souvent comme le font les États-Unis et le Canada dans le cadre du NORAD?
En ce moment, je doute que l'OTAN soit tout à fait prête à pousser la cybercoopération plus loin qu'elle ne l'a déjà fait. La cybersécurité est un domaine tellement délicat que, d'un point de vue pratique, on a tendance à la développer avec des partenaires démocratiques en qui on a confiance et avec lesquels on a déjà travaillé.
Je ne suis pas certain que nous renforcerions nos moyens de défense en rendant la cybersécurité trop multilatérale trop rapidement.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je veux tout d'abord remercier les témoins de leurs présentations.
Ma première question s'adresse à M. Saideman.
Je voudrais revenir sur certains commentaires que vous avez formulés sur le processus qui a été mis en oeuvre pour remplacer du même coup de nombreux navires de la marine. Dans votre présentation, vous avez dit que les résultats actuels nous permettaient de constater que le Canada ne dispose pas des installations requises pour effectuer tous ces travaux en même temps. Ne pensez-vous pas qu'il y a aussi un problème à l'intérieur même du processus d'attribution des contrats? Je vais vous donner un exemple.
À l'automne 2011, le gouvernement a octroyé des contrats de construction navale se chiffrant à 33 milliards de dollars, et ce, pour les 30 prochaines années. Il y a eu un long processus, mais le Chantier Davie, à Lévis, dans la région de Québec — je suis députée dans cette région — a malheureusement été exclu. Les contrats ont été attribués à deux chantiers plutôt qu'à trois et on n'a pas nécessairement eu recours à toutes les installations disponibles sur le territoire canadien.
Il me semble que cet exemple reflète de façon flagrante certains problèmes qui se trouvent à l'intérieur du processus mis en oeuvre par le gouvernement. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
[Traduction]
L'un des aspects que nous avons améliorés ou qui, du moins, pourraient être améliorés est le processus d'approvisionnement. En effet, le gouvernement a proposé de créer un Institut d'analyse de la défense dont les experts, qui ne seront pas employés par le gouvernement, je crois, analyseront les divers plans de manière indépendante.
L'une de mes plus grandes craintes à propos du Canada est qu’il se mette à agir un peu trop comme les États-Unis à un égard en particulier. L'un des pires aspects de l'acquisition du matériel de défense aux États-Unis est que tous les systèmes sont construits dans quelque 400 circonscriptions du Congrès situées dans quelque 50 États, ce qui, d'un point de vue politique, décourage l'élimination des programmes.
En ce moment, nos programmes de construction de navires semblent viser davantage la création d'emplois à Vancouver et à Halifax que la conception de navires efficaces. Je ne soutiens pas que ce travail dépasse les capacités de ces chantiers navals, mais toutes les estimations que j'ai passées en revue jusqu'à maintenant semblent indiquer que nous obtiendrons un seul navire pour la même somme que les Britanniques ont dépensée pour en obtenir quatre.
[Français]
En plus, comme vous le savez, le Chantier Davie représente la plus grande cale sèche au pays. C'est donc dire que des installations déjà existantes au pays n'ont pas été exploitées, ce qui retarde le processus d'acquisition de matériel dont on a vraiment besoin. C'est le problème que je vois dans ce cas-ci, mais je crois que cela pourrait aussi se répéter dans le cadre de divers autres processus d'achats militaires.
[Traduction]
Je comprends votre point de vue. Je ne suis pas un expert en matière de construction navale. Par conséquent, je ne peux pas parler des capacités des divers chantiers navals. Je ne peux qu'examiner les faits, comme je le fais toujours, selon une optique très comparative.
Or, je vois d'autres démocraties avancées prendre conscience de leurs forces et de leurs faiblesses. Lorsque je constate que la Grande-Bretagne, qui, dans le passé, avait la réputation d'être la plus importante puissance navale de la planète, confie à d'autres pays la construction de ses navires, afin d'obtenir des navires plus performants et moins coûteux, je m'interroge sur les choix du Canada, étant donné que la construction navale ne fait pas partie de ses activités depuis 20 ou 30 ans — j'oublie l'intervalle exact. Comme les chantiers navals partiront de zéro, les navires coûteront plus cher et, même si ces programmes emploient des Canadiens, nous obtiendrons au bout du compte moins de navires. Nous devons donc reconnaître le compromis que nous avons accepté. Si nous disposons de moins de navires, nous devrons réduire les effectifs de notre marine.
Le processus de construction en entier me pose un énorme problème. Ce n’est pas tant l’endroit où ils ont choisi de faire construire les navires qui me dérange, mais plutôt le fait qu’ils ont choisi d’acheter des équipements qui n’étaient pas nécessairement les meilleurs. Ce qui est logique sur le plan politique ne l’est pas nécessairement sur le plan de la défense nationale.
[Français]
Je vous remercie beaucoup.
Je vais tout d'abord adresser la question suivante à M. Moens, mais s'il reste du temps par la suite, j'aimerais que M. Saideman y réponde également.
Je voudrais savoir si, à votre avis, la Chine est un État ami ou plutôt ennemi. On constate un accroissement des relations entre le Canada et la Chine, notamment aux niveaux économique et commercial. Par contre, la Chine est un proche allié de la Corée du Nord, qui est clairement considérée comme une menace pour le monde occidental.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
[Traduction]
C’est en premier lieu une amie. Nous entretenons avec elle une relation amicale que nous devons développer autant que possible. Toutefois, notre politique de défense doit garantir que nous disposons des ressources nécessaires, au cas où notre relation cesserait d’être amicale. Par exemple, la Chine est très…
Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos deux témoins. Je trouve les témoignages d’aujourd’hui très intéressants et convaincants.
Nous parlons en ce moment de la défense de l’Amérique du Nord. Nous avons entendu certains témoins parler de la relation qui existe entre le Canada et les États-Unis et, en tant que professeurs, vous vous spécialisez tous deux dans les relations canado-américaines. Je veux avoir une idée de la façon dont vous concevez notre relation avec les États-Unis en ce moment et de la façon dont certains des problèmes politiques qui surviennent aux États-Unis influent sur les décisions qui sont prises concernant la défense de l’Amérique du Nord.
Merci.
Je suis très préoccupé par la relation générale que le Canada entretient avec les États-Unis. Je pense qu’il s’agit d’une relation dans laquelle très peu de projets communs attirent suffisamment l’attention. Je crois que les désaccords relatifs au projet Keystone XL, par exemple, nuisent considérablement à cette relation, et je pense que les Canadiens ne s’attendent pas vraiment à ce que les États-Unis proposent des projets importants au cours des années à venir.
Par conséquent, je ne crois pas que, pendant cette période, nous pouvons nous attendre à ce que notre relation compte un grand nombre de nouvelles initiatives et à ce que notre collaboration dépasse celle que nos rapports quotidiens exigent, ce qui me désole. Je pense que notre relation avec les États-Unis est la plus importante que nous ayons sur la planète, mais nous devons investir en prévision de meilleurs moments.
Je pense qu’en ce qui a trait aux enjeux relatifs à la défense, nous sommes très près l’un de l’autre. Toutefois, je crois que le passage du Nord-Ouest est la grande question qui nous sépare. En outre, nous avons du mal à nous entendre sur ce que nous devrions nous engager à faire dans le domaine de défense antimissile balistique.
Cependant, j’estime que les opérations du Canada en Afghanistan et en Libye témoignent de la relation solide que nous entretenons avec les États-Unis. Lorsque la situation est cruciale, les deux pays combattent bien ensemble. J’ai publié un livre à propos des difficultés que l’OTAN a rencontrées, dont le sous-titre est « Fighting Together, Fighting Alone », parce que tous les pays ont mené leur propre combat en Afghanistan, à l’exception de quelques-uns, dont le Canada qui a collaboré avec les États-Unis. En fait, des Canadiens ont commandé des Américains à Kandahar sans problème, alors que de nombreuses frictions se produisaient là-bas.
En ce qui concerne nos relations en matière de sécurité, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord ne nous donne pas beaucoup de nouvelles, et le Canada est souvent frustré de ne pas être mentionné dans le discours sur l’état de l’Union. Voilà des exemples de réussite. Toutefois, qui attire l’attention dans le discours sur l’état de l’Union? L’Iran et la Corée du Nord, deux pays auxquels le Canada ne tient pas à être associé.
Les mauvaises nouvelles comme Keystone rendent les choses difficiles, mais les relations en matière de défense que le Canada entretient avec les États-Unis sont couronnées de succès. Elles n’engendrent aucune mauvaise nouvelle parce qu’elles se déroulent très bien en tout temps
Vous avez parlé tous les deux de l’évaluation des menaces, et certains de nos témoins nous ont dit que la souveraineté du Canada n’était nullement menacée, en ce sens qu’aucun État voyou ou acteur sans territoire ne risquait d’attaquer le Canada. Je pense que bon nombre de personnes ne sont pas de cet avis. Personnellement, je suis toujours préoccupé; les événements du 11 septembre étaient complètement inattendus, et des situations de ce genre pourraient se produire ici. Je répète que c’est en ce sens que le groupe des cinq joue un rôle important dans la façon dont nous nous défendons.
Messieurs, pourriez-vous parler tous les deux de la menace que font peser sur nous des États et des acteurs sans territoire?
Monsieur Moens, je sais que vous avez mentionné la Russie, la Chine et la Corée du Nord. Nous qualifions la Corée du Nord et l’Iran d’États voyous. Dans le contexte de l’Arctique, nous savons que la Russie investit énormément dans ses forces armées. L’argent qu’elle a dépensé l’année dernière pour développer ses flottes de navires, ses forces aériennes et son armée, et notamment pour rouvrir ses bases navales dans l’Arctique, représente une hausse de 90 %.
Je pense qu’il est important de ne pas perdre de vue le fait que la Russie a considérablement augmenté son budget de la défense au cours des dernières années, alors qu’au cours des 20 dernières années, la Chine a haussé annuellement ce même budget de 8 à 10 %, en moyenne. En outre, la Chine s’intéresse énormément à la génération d’avions furtifs, à la cinquième génération de chasseurs à réaction. Si notre relation avec la Chine progresse comme nous le souhaitons, la Chine se joindra aux pays démocratiques, et notre monde sera meilleur et plus sécuritaire.
[Traduction]
Merci, monsieur le président.
Ma question s’adresse précisément à M. Saideman.
Les ressources, dont nous disposons pour gérer la complexité de notre planification stratégique sur notre propre territoire, au sein de la communauté internationale, ou dans le cadre de notre relation avec les États-Unis, sont limitées. Nous ne pouvons pas tout faire en même temps.
Vous avez mentionné l’écart de 20 années qui sépare le moment où nous commandons, sans avoir rédigé un livre blanc, le matériel dont nous semblons avoir besoin et celui où nous recevons le matériel en question, qu’il soit compatible ou non avec nos projets à venir.
Que pensez-vous des produits qui sont déjà sur le marché et que nous pourrions acheter rapidement? Je n’ai rien contre la création d’emplois, mais, en même temps, quels dangers nous guettent? Tous semblent s’entendre pour dire que nous faisons face à de nombreux dangers, mais ces mêmes personnes sont prêtes à attendre 20 ans avant que nous disposions du matériel dont nous avons besoin pour les affronter. Je pense que la ligne de démarcation entre les deux types de produits est mince et qu’il faut trouver un équilibre entre les deux. J’ai parlé à de nombreuses entreprises qui affirment sans cesse que les commandes sont impossibles à satisfaire, alors que des produits qui existent déjà pourraient être achetés à même…
[Français]
les tablettes.
[Traduction]
J’aimerais aussi que vous abordiez la question de la menace environnementale et de la mesure dans laquelle nous devons en tenir compte, chose que nous ne semblons pas observer très fréquemment.
En ce qui concerne votre première question, je pense qu’au cours de notre magasinage, nous devons songer à acquérir des systèmes défensifs souples. Par exemple, la marine dispose de frégates qui ont servi dans de nombreuses situations au cours des 20 ou 30 dernières années. Nous ne savons pas exactement quelles menaces navales l’avenir nous réserve, mais nous pouvons nous attendre à devoir contribuer à des forces opérationnelles de l’OTAN dans le cadre d’interceptions en haute mer ou pour apporter une aide humanitaire. Nous voulons que nos navires et nos chasseurs aient plus d’une dimension, car nous ignorons quelles missions auront lieu. Contrairement aux États-Unis, nous ne pouvons pas disposer de différents types d’avions pour gérer différents types d’éventualités. Ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent.
Je crois que, pour gérer les problèmes d’aujourd’hui et de demain, nous devons mettre avant tout l’accent sur la souplesse. Il est probablement préférable de parler de problèmes que de menaces, car, pour en revenir à la question à laquelle je n’ai pas réussi à obtenir de réponse, le Canada n’est pas menacé par la Russie en ce moment. En revanche, les pays baltes, la Roumanie et la Pologne le sont et, comme nous sommes membres de l’OTAN, nous devons participer à la lutte contre les menaces de ce genre. Ces menaces deviennent des problèmes canadiens. En outre, nous partageons avec le monde d’autres problèmes, parce que nos valeurs vont plus loin que la défense du Canada. Par exemple, nous interviendrons lors du prochain tsunami.
Nous devons disposer de ressources de ce genre pour intervenir dans des situations de ce genre, même si le Canada n’est pas menacé directement. Ces considérations influent sur le genre de produits que nous souhaitons acheter, parce que nous n’avons pas nécessairement besoin de certaines capacités. Il y a quelques années, l’armée désirait se débarrasser de ses chars d’assaut parce qu’elle ne prévoyait pas de guerres terrestres en Europe dans un avenir rapproché. Ensuite, l’armée est allée en Afghanistan et a décidé qu’elle avait besoin de chars d’assaut. Toutefois, nous avons été en mesure de trouver un char d’assaut déjà disponible qui suffisait à satisfaire nos besoins à Kandahar.
Je dirais que la meilleure façon d’aller de l’avant consiste à adopter une approche souple.
La sécurité environnementale fait allusion à certains des autres facteurs que nous devons prendre en considération lorsque nous déterminons le genre de matériel dont nous avons besoin. Manifestement, le matériel de recherche et de sauvetage a fait l’objet de nombreuses discussions. Nous devons nous occuper des navires-patrouilleurs de l’Arctique. Compte tenu des réalités du monde actuel, les militaires ont intérêt à réduire au minimum leur incidence environnementale sur la planète, mais ce n’est pas vraiment la meilleure solution pour lutter contre les répercussions environnementales que d’autres personnes ont sur cette même planète. Peut-être que lorsque nous faisons face à une controverse en matière de pêches, il est bon que la marine affronte les bateaux de pêche responsables de méfaits. Je ne sais pas exactement comment la marine participe à la lutte contre la pollution. Ce genre de réflexion concernant la sécurité environnementale doit commencer aux Affaires étrangères avant de passer à la Défense.
Lorsque nous avons parlé des produits qui existaient déjà, vous avez mentionné la possibilité d’étendre le mandat du NORAD à l’Arctique, n’est-ce pas?
Étant donné que nous ne savons pas quand nous recevrons des avions, ne serait-il pas intéressant d’avoir des drones? Que pensez-vous des drones, de surveillance bien sûr, et non de combat?
Je pense qu’il est difficile de bâtir des institutions à partir de zéro. L’OTAN existe toujours parce qu’elle vaut mieux que toutes les autres alliances possibles. Le NORAD est un bon cadre sur lequel s’appuyer, parce que son bilan en matière de réussites et de collaboration est excellent. Le NORAD est une institution plutôt utile, alors il est logique de l’améliorer et d’élargir son mandat afin qu’il comprenne les mers. De plus, le NORAD dispose de matériel et de logiciels que nous pouvons prendre comme point de départ.
Je pense que quelles que soient les capacités de reconnaissance, qu’il s’agisse de satellites, de drones ou d’avions pilotés, il est logique de coordonner ces efforts. Les États-Unis ont investi beaucoup plus de ressources dans ces capacités que le Canada. Par conséquent, si nous pouvons prendre connaissance de ce que le NORAD peut observer…
Merci beaucoup. Nous allons devoir nous arrêter ici.
Monsieur Williamson, vous disposez de cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Je vais reprendre ma question concernant la défense de l’Arctique et passer un peu sous silence la question de la souveraineté pour aborder la question de l’intérêt parce que, selon la façon dont vous envisagez la question, si des navires étrangers traversent ce que nous appelons des eaux canadiennes, une surveillance policière sera nécessaire, et on peut dire la même chose d’une défense aérienne d’une sorte ou d’une autre.
Je me demande aussi si vous n’êtes pas en train de minimiser la façon dont la Russie se renforce, en rouvrant des bases navales dans ses ports et en accordant aussi une attention accrue à ses capacités maritimes dans le Nord, ainsi que l’importance de se préparer en conséquence.
Pour en revenir à la question, je répète que nous passerons sous silence l’enjeu de la souveraineté. Toutefois, nous mettrons l’accent sur la projection du pouvoir et sur notre capacité d’au moins patrouiller une région que nous considérons comme notre zone d’influence, qu’un conflit militaire existe ou non.
Je crois que c'est l'un des problèmes d'avoir tous ces navires — les frégates, les navires de soutien, les brise-glace — en construction en même temps. Nous ne pouvons pas faire tout d'un coup, et c'est le problème que nous avons maintenant, non? Alors selon moi, la construction des brise-glace est une priorité. La construction de navires qui pourront sillonner les eaux du Nord est en fait une plus grande priorité que la construction d'autres types de vaisseaux, car c'est ce qui manque le plus.
Je tiens toutefois à faire une mise en garde au sujet de cette discussion selon laquelle la Russie augmenterait ses dépenses de 10 ou 20 % par année. Ces augmentations sont calculées à partir d'une donnée de référence beaucoup plus basse que celle des États-Unis. Quelqu'un a mentionné la semaine dernière que les réductions auxquelles les États-Unis procèdent cette année équivalent au budget militaire de l'Allemagne. Cela nous donne bien sûr une idée de l'ampleur des réductions, mais aussi de l'impressionnante capacité des Américains.
À l'inverse, la Russie part de son niveau le plus bas — qui a été atteint au lendemain de la Guerre froide — et tente de rattraper des années de laisser-aller. Les Chinois ont un programme militaire beaucoup plus costaud que celui des Russes. Je suis d'avis que nous devrions nous préoccuper de leurs investissements dans le Nord et ne pas perdre de vue que ce qui nous paraît coûteux l'est tout autant pour eux. Si les Russes consacrent beaucoup de ressources à la construction de ports dans le Grand Nord, ce n'est peut-être pas une mauvaise chose en ce qui nous concerne, car nous savons qu'ils gaspillent de l'argent. Ils consacrent beaucoup d'argent à cela, comme ils ont dépensé 50 milliards de dollars sur des Jeux olympiques qui n'ont rien fait pour redorer leur blason, compte tenu de ce qui est arrivé en Ukraine. S'ils souhaitent gaspiller leur argent, laissons-les faire. Nous devons investir un peu, mais nous devons tenir compte de bien des aspects...
Permettez-moi de vous interrompre. Vous nous dites que nous ne devrions pas nous soucier de répondre promptement s'ils décidaient d'envoyer un navire ou un avion. N'avons-nous pas le devoir d'égaler la prestation des Russes, non pas en matière de dépenses, mais de capacité? Ne devrions-nous pas avoir la capacité de surveiller notre espace aérien et être en mesure d'affirmer notre présence face à toute tentative d'intrusion plutôt que de fermer l'oeil parce que vous avez jugé que c'était une perte d'argent que d'investir dans ce domaine?
Tout à fait. Je ne dis pas que le Canada devrait renoncer à la construction des avions de nouvelle génération. L'une de tâches quotidiennes de ces appareils sera en fait d'aller à la rencontre des avions russes qui voudront s'approcher, alors nous continuerons sans hésiter à investir à cet égard. Comme je l'ai dit, nous devrions investir dans des navires pour la surveillance des océans, tant pour les problèmes de sécurité environnementale — comme le fait d'avoir ces navires qui jettent des déchets dans le passage du Nord-Ouest — que pour traiter avec les navires russes qui viennent près de nos côtes.
Mais nous ne pouvons échapper aux compromis. Nous devons accorder notre attention aux capacités que nous pouvons nous permettre et cesser d'être obnubilés par ce que les Russes sont en train de construire. Nous devons nous rappeler que nous ne pouvons pas nous ruiner à essayer d'égaler les Russes, et que nous devons compter sur notre collaboration avec les États-Unis.
Merci beaucoup pour ce temps supplémentaire que je ne manquerai pas d'utiliser à bon escient.
J'ai le sens pratique assez développé. Je crois que les gens qui règlent la facture pour l'équipement militaire devraient autant que faire se peut tirer tous les avantages possibles de ces investissements.
Ma question porte donc sur ces gros achats de navires et d'aéronefs. Si nous optons pour les F-35 — pour lesquels nous faisons partie d'un consortium de nations —, nous pourrons en profiter en fabriquant certaines pièces au Canada. Cela nous permettra entre autres de réaliser que nous avons sans doute la quatrième ou cinquième industrie de l'aéronautique en importance au monde. Notre capacité en matière de construction navale est nulle. Nous en avons déjà eu une, alors nous devons tenter de la remettre sur pied. Dans l'optique de la création d'emplois, de l'édification de l'économie et de l'optimisation des avantages à long terme pour les Canadiens, pouvez-vous rédiger la liste des pour et des contre des deux enjeux que je viens de présenter? Je ne vais pas prendre plus de temps que ça.
Monsieur Harris, vous avez cinq minutes.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Saideman, vous avez capté mon intérêt lorsque vous avez affirmé que le Canada peut et doit faire moins avec moins, compte tenu des compressions qui touchent les dépenses militaires.
Nous avons fait l'objet de critiques pour avoir dépensé trop d'argent sur trop de choses sans toutes les mener à bien, et pour avoir tenté de plaire en tout à tous. Dans l'optique de faire moins avec moins, que laisseriez-vous tomber? C'est une question de priorités. Je pense ici aux priorités nationales, au SAR et à ces autres choses que nous ne faisons pas assez bien pour le moment. Vous indiquez du même souffle que nous pouvons nous acquitter de nos obligations envers l'OTAN et le NORAD et fournir un appui aux missions internationales avec moins d'argent. Pouvez-vous nous dire s'il y a quelque chose que vous laisseriez tomber?
L'exemple typique de cela — et c'en est un qui ne s'applique pas nécessairement bien —, ce sont les quatre sous-marins à moitié opérationnels que détient le Canada. Quelqu'un a dit: « Nous avons eu une bonne année; nous avons eu 250 jours de mer. » Ça, c'est pour les quatre bâtiments, ce qui fait qu'en moyenne, chaque sous-marin n'a été opérationnel qu'une partie de l'année.
Les sous-marins constituent une capacité formidable. Le grand intérêt que je leur porte me vient de mes lectures d'enfant sur les combats des sous-marins américains dans le Pacifique. Mais c'est une capacité qui coûte cher, et il est peu probable que le Canada achète six, huit ou dix nouveaux sous-marins dans un avenir rapproché, des achats qui seraient indispensables pour faire le travail comme il faut. Étant donné l'état actuel de la flotte — avec ces quatre sous-marins, dont deux ou plus sont très moyennement opérationnels —, les sous-marins canadiens ont une valeur purement symbolique. Pour avoir une vraie capacité à cet égard, il faut se doter d'une vraie capacité. Or, si le Canada n'est pas disposé à investir à cette fin, je ne vois pas pourquoi nous devrions investir pour maintenir une capacité de façade.
Le problème est que si vous renoncez complètement aux sous-marins, cela signifie que vous dites adieu à cette capacité pour 20, 30, 40 ou 50 ans, et que vous perdez le savoir-faire des matelots et des officiers qui ont été formés dans ce domaine. Mais je crois que la vraie question est celle-ci: allons-nous acheter six ou huit vrais sous-marins modernes dans un avenir rapproché? Si la réponse est non, alors nous n'avons pas besoin d'autant de matelots et d'officiers, et nous pouvons réduire la taille de la marine.
Monsieur Moens, c'est une grande question, mais je me dois de la poser. Vous vous décrivez comme un chrétien réaliste. Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous voulez dire. Les autres personnes qui examinent les questions militaires en fonction de leur conviction chrétienne parlent de désarmement et préconisent d'autres moyens pour réaliser la paix. Que pensez-vous du désarmement nucléaire en tant qu'objectif? C'est l'un des objectifs de l'OTAN, l'une de ses principales activités. Évidemment, l'Iran et la Corée du Nord sont visés, mais l'OTAN prône aussi le désarmement nucléaire en général. Avez-vous des opinions à formuler à ce sujet?
Je crois que mon observation était que le réalisme moral traduit cette tendance à vouloir la justice, la paix et le désarmement, tout en comprenant que ces intérêts sont contradictoires et qu'il sera par conséquent impossible de les concrétiser tous. À l'instar de tous les autres types de désarmement, le désarmement nucléaire n'est hautement souhaitable que si tous les États dotés de la puissance nucléaire acceptent d'y renoncer à peu près en même temps. En revanche, étant donné l'insécurité politique dans laquelle nous vivons, je dirais que la perspective d'un désarmement nucléaire unilatéral n'est pas souhaitable.
Sur ce, je vais devoir lever la séance.
Merci beaucoup. N'hésitez pas à vous adresser à nous par écrit si vous croyez ne pas avoir bien saisi certaines questions qui vous ont été posées, et n'oubliez pas de répondre à la question de la présidence. Votre réponse sera communiquée aux autres membres.
La séance est levée.
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