:
Bonjour et bienvenue chers collègues. Je vous prierais de prendre place.
C'est un plaisir de vous retrouver après une pause d'environ deux semaines. Comme vous le savez, nous entamons une phase un peu plus intense de nos travaux. Nous allons tenir quatre séances cette semaine. Elles seront suivies, la semaine prochaine, de quatre séances en présence de témoins. Par la suite, vers la mi-septembre, nous partirons en tournée pour trois semaines dans l'ensemble du pays afin de consulter les Canadiens et les Canadiennes sur le terrain.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Dubé, qui est parmi nous pour la première fois, ainsi qu'à M. Ste-Marie avec qui, je crois, M. Thériault va partager son temps de parole lors de la période des questions.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui deux éminents témoins: le professeur Arend Lijphart, qui est à San Diego et que nous aurons par vidéoconférence; et le professeur Benoît Pelletier.
[Français]
qui, il va sans dire, est bien connu au Canada et au Québec.
Nous allons commencer par le professeur Lijphart, mais d'abord, je vais vous donner quelques détails à son sujet ainsi que sur son travail et ses intérêts dans le cadre des ses travaux universitaires.
[Traduction]
M. Lijphart est politologue et a pour spécialité la politique comparée, les élections et les systèmes électoraux, les institutions démocratiques et l'ethnicité en politique. Il est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de Yale et est actuellement professeur émérite, chargé de recherche en sciences politiques à l'Université de Californie, à San Diego.
M. Lijphart a été président de l'American Political Science Association de 1993 à 1996 et, en 1999, il a publié un ouvrage très connu, Patterns of Democracy. M. Lijphart a reçu de nombreux prix dans le domaine des sciences politiques et il détient des doctorats honoris causa de plusieurs universités, notamment de l'Université de Leiden, de l'Université Queen's de Belfast et de l'Université de Ghent, outre qu'il est fellow à titre honoraire de l'Université de Coventry.
Monsieur, vous avez 20 minutes pour votre témoignage après quoi nous céderons la parole au professeur Pelletier pour 20 minutes également. Nous aurons deux séries de questions et chaque député pourra poser une question à chaque fois dans les cinq minutes qui lui seront réservées en tout, cela comprenant les réponses. Les questions et réponses devront être limitées à cinq minutes par député.
Sans plus attendre, monsieur, je vous cède la parole. Merci beaucoup de témoigner par vidéoconférence.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. J'apprécie votre accueil.
Je vous parle depuis San Francisco et non pas depuis San Diego, mais je ne pense pas que cela fasse une grande différence pour vous, puisque c'est loin d'Ottawa de toute façon. Monsieur le président, j'apprécie beaucoup de pouvoir m'exprimer par téléconférence devant votre comité. Je me sens très honoré d'avoir été invité à vous parler.
Je suis très heureux de vous faire part de mes conclusions et constatations concernant les avantages de la représentation proportionnelle, ou la RP, et le genre de démocratie qu’une telle représentation engendre. Personnellement, je dois admettre que durant mes études au cycle supérieur et dans mon travail de jeune instructeur dans les années 1960, j’admirais le système gouvernemental britannique et son système électoral uninominal majoritaire à un tour, ou SMUT. Je crois que c'est ainsi que vous l'appelez le plus souvent au Canada et je me tiendrai donc à cet acronyme, SMUT.
Toutefois, avec le temps, j’en suis venu à la conclusion que la RP constitue la meilleure option. On observe également cette tendance en général chez les politicologues. La grande majorité des preuves empiriques viennent désormais appuyer fermement cette conclusion. La RP est un élément essentiel de ce que j’appelle la « démocratie consensuelle », surtout quand elle est combinée à un régime gouvernemental parlementaire. Elle entraîne habituellement un pluripartisme, qui, à son tour, mène à des cabinets de coalition ainsi qu’à des parlements plus forts et à des cabinets moins dominants. Par ailleurs, elle a tendance à être associée à un système plus coopératif de groupes d’intérêts.
Comme exemples types de démocratie consensuelle, mentionnons la Suisse, l’Allemagne, la Finlande ainsi que la Nouvelle-Zélande depuis la mise en place de la RP en 1996. Ces caractéristiques contrastent avec celles des démocraties majoritaires, comme la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande avant qu’elle ne passe à la RP en 1996: le système électoral uninominal majoritaire à un tour, les régimes de dualité de parti, les cabinets majoritaires à parti unique, les cabinets dominants vis-à-vis de leurs parlements ainsi que les systèmes de groupes d’intérêts plus compétitifs. Les démocraties consensuelles visent à gouverner au moyen d’un consensus général et non par une faible majorité.
Les démocraties ne cadrent pas toutes avec les deux modèles parfaits de démocratie majoritaire et consensuelle. Elles se situent sur un continuum entre ces deux types absolus. Par exemple, le Canada est du côté de la démocratie majoritaire, mais ne se trouve pas dans une position extrême. L’une des raisons pour expliquer cette situation est que le Canada s’est retrouvé à l’occasion avec des cabinets minoritaires, ce qui ne cadre pas avec la définition idéale de la majorité à parti unique que l’on retrouve dans une démocratie majoritaire.
Je dois apporter trois précisions.
Premièrement, on peut ajouter une seconde dimension à la différence entre les deux types de démocratie. La principale différence dans ce cas se situe entre les régimes unitaires et centralisés par opposition aux régimes fédéraux et décentralisés. Le Canada appartient à la seconde catégorie. Je ne souhaite pas élaborer davantage sur ce sujet, puisque celui-ci n’est pas lié au système électoral et que ce point n’est donc pas pertinent dans le cadre de vos discussions. De toute façon, je suppose que le Canada n’est pas sur le point de modifier son système fédéral.
Deuxièmement, comme je l’ai déjà mentionné, les avantages de la RP dépendent grandement du fait qu’on l’associe à un régime gouvernemental parlementaire. Le Canada a la chance de pouvoir déjà compter sur un régime parlementaire. Les politicologues s’entendent pratiquement pour dire qu’ils n’aiment pas le régime présidentiel, qui présente de nombreuses faiblesses majeures. Je suppose que très peu de Canadiens seraient en faveur de l’adoption d’un régime présidentiel. C’est rassurant de savoir que nous n’avons pas à avoir d’inquiétudes à cet égard.
Troisièmement, j’aimerais aborder rapidement le terme « démocratie consensuelle ». Il ne faut pas voir cette notion comme un genre de démocratie en place dans des pays qui sont fortement consensuels et homogènes. Il faut plutôt comprendre que la RP et la démocratie consensuelle conviennent à n’importe quel pays, mais surtout à des pays qui présentent des divisions religieuses, linguistiques et ethniques et où il faut chercher à obtenir un consensus. Il est intéressant de noter que la RP a d’abord été mise en place dans les années 1890 dans des pays comme la Belgique où l’on observait de profondes différences religieuses et linguistiques. Certains de mes collègues en science politique parlaient également de la démocratie consensuelle comme d’une « démocratie de négociation », d’une « démocratie de compromis », d’une « démocratie de pacification » et d’une « démocratie proportionnelle ». Le dernier terme convient particulièrement, puisqu’il fait ressortir le rôle essentiel de la RP.
Pendant longtemps, on a surtout pensé que la RP présentait de légers avantages pour ce qui est d’assurer une représentation politique plus précise et une représentation des minorités, mais que le SMUT et les cabinets à parti unique étaient beaucoup plus avantageux pour assurer l’efficacité du gouvernement. Les cabinets à parti unique ont été présentés comme étant plus décisifs et plus capables à la fois de prendre des décisions rapides et d’élaborer des politiques cohérentes que les cabinets de coalition. Cet argument semble logique, mais il ne tient pas compte de quelques arguments contraires également logiques. Tout d’abord, les décisions rapides ne sont pas nécessairement des décisions intelligentes. De plus, en alternant entre un gouvernement de gauche et un gouvernement de droite, on diminue grandement le niveau de cohérence. Voilà la principale raison pour laquelle le célèbre politicologue britannique Samuel Finer, qui était un ardent défenseur du SMUT, a changé d’avis et s’est rangé derrière la RP dans un livre influent publié dès 1975. Enfin, les politiques appuyées par un vaste consensus sont plus susceptibles de connaître du succès et de maintenir le cap que les politiques imposées par un gouvernement qui prend des mesures décisives allant à l’encontre de ce que souhaitent d’importants secteurs de la société.
Heureusement, nous pouvons désormais compter sur de très bonnes méthodes pour trancher en cas de divergence, surtout depuis les environs de l’an 2000, depuis qu'on publie des quantités de données d’excellente qualité portant sur les gouvernements efficaces et la qualité de la démocratie. J’ai opté pour des sources gouvernementales officielles, des organisations internationales comme les Nations Unies et l’Union interparlementaire, l’Economist Intelligence Unit et le projet de gouvernance mondiale — dirigé par des experts de la Banque mondiale et de Brookings Institution. Les preuves tendent à démontrer que la démocratie consensuelle est supérieure à la démocratie majoritaire en ce qui a trait à la mise en place d’un gouvernement efficace et à l’élaboration de politiques et qu’elle est largement supérieure quant à la qualité de la démocratie.
Pour démontrer la solidité de ces constats bien établis, j’aimerais faire quelques remarques concernant les conclusions tirées de mon livre Patterns of Democracy, d'abord publié en 1999, puis réédité en 2012. Je vais vous citer des extraits de la réédition de 2012.
Premièrement, les 36 démocraties que je compare dans mon livre ne forment pas qu’un simple échantillon de démocraties; elles représentent toutes les démocraties qui cadrent avec la définition de démocratie continue sur une période d’au moins 20 ans, de 1990 à 2010, selon les critères couramment utilisés de la Freedom House.
Deuxièmement, j'évalue à la fois l’élément gouvernement efficace et l’élément qualité de la démocratie non seulement à l’aide de quelques indicateurs, mais bien d’un large éventail d’indicateurs. Pour ce qui est du gouvernement efficace, j’examine le rendement à partir de critères aussi fondamentaux et évidents que la croissance économique, l’inflation, le chômage et l’équilibre budgétaire; j’utilise aussi les mesures générales du projet de gouvernance mondiale que sont l’efficacité gouvernementale, la qualité de la réglementation, la primauté du droit et la lutte contre la corruption. Pour mesurer la qualité de la démocratie, je me penche sur la participation électorale, sur la représentation des femmes au sein des parlements et des cabinets, sur l’inégalité entre les genres, sur l’inégalité économique et sur les réponses à des enquêtes sur la satisfaction à l’égard de la démocratie. Par ailleurs, j’utilise aussi l’indice de démocratie général de l’Economist Intelligence Unit en plus des différentes catégories qui composent cet indice, comme la qualité du processus électoral, la participation politique et les libertés civiles.
Troisièmement, j'observe des corrélations positives entre la démocratie consensuelle et le gouvernement efficace pour 16 de mes 17 indicateurs; ces corrélations sont tellement solides qu’elles sont même statistiquement significatives pour 9 des mesures. En ce qui a trait à la qualité de la démocratie, je compte aussi 19 indicateurs; ces indicateurs démontrent tous sans exception que la démocratie consensuelle fonctionne mieux. Par ailleurs, les 19 corrélations sont très solides et statistiquement significatives.
Quatrièmement, on peut se poser légitimement la question suivante: le bon rendement de la démocratie consensuelle pourrait-il s’expliquer par d’autres facteurs et non par la démocratie consensuelle en soi? Il existe en réalité deux facteurs qui peuvent effectivement influer à la fois sur l’efficacité du gouvernement et sur la qualité de la démocratie. Il s’agit du niveau de développement économique et de la taille de la population. Les pays les plus riches ont tendance à mieux s’en tirer que les pays moins aisés, tandis que les petits pays, soit les moins peuplés, ont tendance à faire mieux que les gros pays. Par contre, ces facteurs peuvent être contrôlés et les résultats que j’ai mentionnés les contrôlent déjà. Cela signifie que les corrélations positives sont encore solides, même après qu'on eut pris en compte les conséquences du développement économique et de la taille de la population.
Permettez-moi d’aborder trois enjeux particuliers concernant la mise en place possible de la RP au Canada. D'abord, il est important que les défenseurs de la RP s’entendent sur le genre de RP qu’ils veulent mettre en place. On risque de ruiner les chances de la RP si ses défenseurs se divisent en camps hostiles en se basant sur la forme de RP qu’ils préfèrent.
Deuxièmement, quelle serait la meilleure forme de RP? Je suis plutôt libre penseur sur ce sujet. Mon pays d’origine, les Pays-Bas, a opté pour la RP à scrutin de liste, et je crois que cela a bien fonctionné. La plupart des pays européens continentaux aussi ont choisi la RP à scrutin de liste. Toutefois, dans le cas du Canada, il serait probablement préférable de suivre l’exemple d’autres pays qui sont majoritairement ou partiellement anglophones. On parlerait ainsi, du système mixte avec compensation proportionnelle, le SRPM, mis en place en Nouvelle-Zélande dans les années 1990, qui a également été adopté pour les assemblées législatives de l’Écosse et du Pays de Galles. Il y a aussi le vote unique transférable, ou VUT, en vigueur en Irlande, à Malte et en Australie pour les élections sénatoriales, et cela depuis 1949.
Troisièmement, il faut s’assurer que, dans les faits, le système est en proportion raisonnable et que la barre n’est pas trop haute pour les petits partis. Pour le SRPM en Nouvelle-Zélande, le seuil minimal est de 4 %, ce qui est raisonnable selon moi. Dans le cas du VUT, aucun seuil officiel n’est nécessaire, car il utilise des circonscriptions électorales relativement petites. En Irlande, les circonscriptions doivent élire entre trois et cinq représentants chacune. À Malte, cinq membres sont élus dans chaque circonscription. En Australie, les six États deviennent les principales circonscriptions électorales, et chacune doit élire six sénateurs. À l’occasion, lorsqu’il y a ce que l’on appelle une « double dissolution », comme ce fut le cas récemment, ce nombre augmente et passe à 12, mais je dirais que cinq ou six est un nombre raisonnable.
Enfin, j’aimerais répondre à la question suivante: la RP convient-elle à un pays comme le Canada, qui est un vaste territoire et qui présente une diversité linguistique, ethnique et religieuse? La réponse est oui, sans aucun doute. En réalité, comme je l’ai déjà souligné, la RP convient particulièrement aux pays qui sont hétérogènes. Qu’en est-il de sa vaste étendue géographique? La superficie du Canada est inhabituelle, mais pas unique. L’Australie est comparable et recourt à la RP dans le cadre de ses élections sénatoriales depuis 1949. Selon moi, aucune raison logique ne permet de croire que la RP ne pourrait pas bien fonctionner dans un grand pays comme le Canada. L’élément le plus important dont il faut peut-être tenir compte est que la RP constitue la règle tandis que le SMUT représente l’exception parmi les démocraties contemporaines.
Des 36 démocraties abordées dans mon livre, on en compte quatre qui ne sont ni une pure RP ni un pur SMUT. Les autres sont réparties comme suit: 10 SMUT contre 22 RP. Il s’agit encore d’une exagération de l’utilisation du SMUT, car six des pays qui appliquent un tel système sont très petits, comme les Bahamas, la Barbade et le Botswana. Évidemment, il y a aussi de très petits pays qui utilisent la RP: l’Islande, le Luxembourg et Malte. Si l’on ne tient pas compte de ces très petits pays, la répartition est la suivante: 4 SMUT, le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Inde, contre 19 RP. Donc, quatre pays avec SMUT et 19 avec RP.
Par ailleurs, et enfin, je crois qu’il est important de mentionner que, dans ces quatre pays qui ont choisi le SMUT, on observe la présence d’importantes organisations qui défendent ardemment un changement en faveur de la RP. En revanche, on ne recense aucune organisation semblable qui fait la promotion du passage au SMUT dans l’ensemble des pays qui appliquent la RP.
Merci de votre bienveillante attention.
:
Merci, monsieur le président. Je remercie beaucoup les membres du comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
[Traduction]
Je m'exprimerai principalement en français, mais je prononcerai mes premiers mots en anglais.
Je tiens à souligner que je ne suis pas un spécialiste de la réforme électorale, bien que j'ai étudié ce domaine d'un point de vue de constitutionnaliste. Je voulais savoir jusqu'où le Parlement pourrait pousser la réforme électorale sans apporter d'amendement constitutionnel. J'apporte donc le point de vue d'un constitutionnaliste en matière de réforme électorale et pas celui d'un expert de la réforme comme telle.
Cela étant posé, j'ai été ministre de la Réforme des institutions démocratiques au Québec de 2005 à 2008 et, surtout de 2005 à 2007, quand nous avons beaucoup parlé de réforme électorale au Québec.
Je tiens à mentionner la contribution, à l'époque, d'un de vos députés — qui est aussi membre de ce comité — Luc Thériault, qui était alors porte-parole de l'opposition officielle quand je siégeais en face de lui à l'Assemblée nationale.
J'ai préparé un sommaire de mon exposé qui, je pense, vous a été distribué. Du moins je l'espère. Je l'ai rédigé dans les deux langues officielles. Je vais donc faire mon exposé en français, mais les députés anglophones de ce comité seront en mesure de suivre l'essentiel de mon exposé grâce à la version anglaise de mon résumé.
Commençons donc par mon exposé officiel.
[Français]
Monsieur le président, dans le cadre de mon analyse, j'ai examiné différentes dispositions constitutionnelles. Je les mentionne ici parce que celles dont je vais parler sont sans doute selon moi les dispositions constitutionnelles les plus importantes afin de déterminer dans quelle mesure le Parlement du Canada peut procéder à une réforme du mode de scrutin sans apporter de modification constitutionnelle.
Dans la Loi constitutionnelle de 1867, j'ai examiné entre autres l'article 37, qui porte sur la constitution de la Chambre des communes, l'article 40, qui touche les districts électoraux, l'article 41 sur la continuation des lois d'élection, l'article 51 sur les révisions électorales, l'article 51A sur le droit d’une province d’avoir un nombre de députés qui n'est pas inférieur au nombre de sénateurs qu'elle a ainsi que l'article 52, qui porte sur l'augmentation du nombre de députés à la Chambre des communes.
Dans la Loi constitutionnelle de 1982, j'ai examiné plus particulièrement l'article 3, qui porte sur le droit de vote, ainsi que le paragraphe 52(2), qui donne une définition de la Constitution du Canada. C'est une définition non exhaustive qui — et cela doit être précisé dès maintenant — ne fait aucune mention de la Loi électorale du Canada. J'aurai d'ailleurs l'occasion d'y revenir. J'ai également examiné l'ensemble de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, qui contient la procédure de modification de la Constitution du Canada.
Par ailleurs, j'ai examiné l'alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 concernant la charge de Reine et celle de gouverneur général. Cette charge ne peut être modifiée qu'avec l'unanimité du fédéral et des provinces. J'ai aussi examiné l'alinéa 41b) concernant le droit d’une province d’avoir un nombre de députés qui n'est pas inférieur au nombre de sénateurs qu'elle a. L'unanimité est également requise pour apporter un modification à cet égard. En outre, j'ai examiné l'alinéa 42(1)(a) concernant le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes. Celui-ci est soumis à la procédure 7/50, soit le consentement de la Chambre des communes et du Sénat, sous réserve du fait que le Sénat n'a qu'une veto suspensif de 180 jours, et d'au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de toutes les provinces.
J'ai aussi, bien entendu, examiné l'article 44 qui confère une compétence au Parlement pour apporter unilatéralement des modifications constitutionnelles. Toutefois, ces modifications doivent être relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes. Il y a quand même d’importantes exceptions qui s'appliquent par rapport à l'article 44. En fait, ce qui est intéressant quant à cet article, c'est que le Parlement peut modifier seul la Constitution du Canada. Comme je viens de le mentionner, il peut également apporter des modifications relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat et à la Chambre des communes, sous réserve néanmoins entre autres de l'article 41 et de l'article 42 dont j'ai parlé précédemment, lesquels requièrent l'unanimité et la procédure 7/50, respectivement.
En examinant la jurisprudence, les causes juridiques qui m'ont semblé les plus pertinentes ont été les suivantes: Figueroa c. Canada; le Renvoi relatif à la réforme du Sénat; Le procureur général de l'Ontario c. SEFPO, la décision du Comité judiciaire du Conseil privé dans In re Initiative and Referendum Act; ainsi que le Renvoi relatif à la sécession du Québec.
À la lumière de tout ce que j'ai lu, mon analyse m'amène à dire qu'aux yeux de la Cour suprême du Canada, le système uninominal majoritaire à un tour, soit the first-past-the-post system, est constitutionnel, et ce, malgré ses défauts.
[Traduction]
Il est bon de savoir que le système actuel est conforme à la constitution canadienne, malgré ses faiblesses que nous constatons tous.
[Français]
Deuxièmement, et ce que je dis ici s'inscrit toujours essentiellement dans la perspective de la Cour suprême du Canada, la Constitution n’exige pas un système électoral démocratique en particulier et ne prévoit pas que ce système soit immuable. En d'autres termes, la Cour suprême s'est montrée ouverte à un changement du mode de scrutin et a mentionné que notre Constitution ne requérait pas un mode de scrutin en particulier.
[Traduction]
Donc, le scrutin majoritaire uninominal à un tour respecte la constitution, mais ce n'est pas le seul dans cette situation, et ce n'est pas le seul à être conforme aux valeurs canadiennes.
[Français]
Les Canadiens sont acquis à une forme démocratique de gouvernement. Il faut donc respecter le principe démocratique. La Cour suprême a dit que les Canadiens sont acquis politiquement et constitutionnellement à une forme démocratique de gouvernement. En d'autres termes, il y a une protection constitutionnelle au sujet du maintien d'une forme démocratique de gouvernement au Canada sans que la Cour n'ait précisé de quelle forme de gouvernement il puisse s'agir.
La Cour suprême semble aussi vouloir dire que le choix d'un mode de scrutin par rapport à un autre exprime une option entre des valeurs politiques concurrentes. Le gouvernement dispose d'une assez grande latitude en la matière et il ne convient pas que la Cour intervienne en ce qui concerne la réforme du mode de scrutin ou, du moins, il ne convient pas qu'elle intervienne trop.
[Traduction]
Quant à moi, cela est fondamental. La Cour suprême a dit que la réforme électorale relève des représentants élus, du Parlement, du gouvernement. Ce n'est pas un aspect dans lequel la Cour suprême souhaiterait intervenir.
Il est possible que, si elle avait à le faire, si certains des principes dont je vais vous parler dans deux minutes risquaient d'être compromis, elle le ferait, mais la Cour suprême ne souhaite pas intervenir à ce stade. A priori, elle souhaite ne pas le faire. En fait, la Cour a confirmé que tout ce dossier est essentiellement une question de décision politique et non de décision du judiciaire.
[Français]
Quelles sont donc les principales conditions devant être respectées par le Parlement en ce qui concerne la réforme du mode de scrutin? En élaborant ces conditions, je dis que le Parlement peut agir seul en matière de réforme du mode de scrutin, mais à la condition de ne pas toucher à l'un des principes que je vais mentionner dans un instant.
Le premier principe est bien établi par la jurisprudence. Il s'agit de la notion de représentation effective. La Cour suprême parle d'une égalité relative entre les électeurs. Il ne s'agit donc pas d'une égalité totale ou parfaite. Toutefois, il doit y avoir une égalité relative en ce qui concerne le poids de chaque vote dans l'ensemble politique canadien. Si on outrepassait le principe de la représentation effective, cela amènerait vraisemblablement la Cour suprême à intervenir.
[Traduction]
Cela étant, tant que le principe de l'égalité relative est respecté, la Cour suprême du Canada ne souhaite pas intervenir dans le débat.
[Français]
Le deuxième principe est le suivant. La réforme ne doit modifier ni la charge de Reine ni celle de gouverneur général. Comme je l'ai dit précédemment, la charge de Reine et celle de gouverneur général sont soumises à la règle de l'unanimité, soit la procédure de modification par consentement unanime.
[Traduction]
Est-il possible d'envisager une réforme électorale qui n'ait pas d'incidence sur le cabinet de la Reine ou sur celui du gouverneur général? La réponse est oui. Les principales fonctions du gouverneur général et de la Reine devront être respectées dans toute réforme électorale appliquée au Canada, de quelque nature qu'elle soit.
[Français]
Le Parlement ne peut pas porter atteinte au droit des provinces d'avoir un nombre de députés au moins égal à celui des sénateurs.
[Traduction]
C'est là une limite très intéressante. Pour le moment, elle ne s'applique qu'à de très petites provinces qui ne comptent pas beaucoup de députés et qui ont même plus de sénateurs que de députés. Elle leur permet d'avoir autant de députés que de sénateurs. Cependant, si le nombre de circonscriptions au Canada devait être modifié, il faudrait veiller à ne pas modifier le nombre de sénateurs attribué à chaque province, compte tenu de l'état actuel de la constitution canadienne.
[Français]
Bien entendu, le Parlement ne peut pas toucher au principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes parce que cela est couvert par la formule 7/50. Or on aborde ici quelque chose de beaucoup plus délicat, qui découle vraisemblablement de la jurisprudence. Je crois que le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 protège le parlementarisme de type britannique et le principe du gouvernement responsable.
[Traduction]
D'après la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, il est établi que le préambule de la loi de 1867 confirme ou protège le modèle de gouvernement de Westminster et confirme ou protège le principe du gouvernement responsable.
La question qui se pose en premier lieu est donc de savoir jusqu'où va cette protection. Pour être franc avec vous, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, et personne ne le peut. Il incomberait à la Cour suprême du Canada de préciser elle-même ce qu'elle entendait en fixant cette limite, en cas de litige ou de problème, ou encore si elle devait être saisie d'un renvoi sur ce sujet.
[Français]
La première question consiste donc à savoir jusqu'où va cette protection, qui découle du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et qui n'est pas explicite. Elle est implicite
[Traduction]
parce que le préambule dit que nous voulons d'une constitution qui soit fondée sur les mêmes principes que la constitution du Royaume-Uni. La jurisprudence a repris cette affirmation et conféré une forme de protection au modèle de gouvernement de Westminster et de gouvernement responsable.
[Français]
La première question vise donc à savoir jusqu'où va cette affirmation des tribunaux et la deuxième consiste à savoir quel est le contenu du
[Traduction]
Le modèle de gouvernement de Westminster. Que signifie ce concept?
[Français]
Il y a un risque à vouloir définir un tel concept, mais il me semble qu'un certain nombre de principes font partie du parlementarisme de type Westminster.
Le premier principe veut que les pouvoirs exécutifs soient officiellement et théoriquement conférés au chef de l'État et qu'ils soient concentrés sous sa gouverne.
En vertu du deuxième principe, ces pouvoirs exécutifs sont exercés en pratique par le premier ministre et les ministres.
En vertu du troisième principe, le pouvoir exécutif fait partie de l'assemblée législative. En d'autres termes, non seulement l'exécutif contribue-t-il à l'exercice du pouvoir législatif, mais il fait partie intégrante de l'assemblée législative.
Selon le quatrième principe, le pouvoir exécutif doit rendre des comptes à l'assemblée législative. Il doit répondre des politiques gouvernementales devant l'assemblée législative.
Le principe suivant veut que la légitimité démocratique du pouvoir exécutif dépende de l'assemblée législative et qu'elle soit octroyée par celle-ci.
En vertu du dernier principe, qui rejoint le principe du gouvernement responsable, le premier ministre doit remettre la démission de son gouvernement au gouverneur général ou doit demander la dissolution de la Chambre s'il ne dispose pas de la confiance des élus du peuple.
Pour ma part, c'est la définition que je donne au parlementarisme de type britannique. Cela dit, il est évident que d'autres experts pourraient vouloir raffiner cette définition ou la compléter.
Une dernière contrainte pour le Parlement du Canada découle d'un arrêt du Comité judiciaire du Conseil privé datant de 1919, soit In re Initiative and Referendum Act. Cela a été repris en 1987 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Le procureur général de l'Ontario c. SEFPO. Le Comité judiciaire du Conseil privé parlait des provinces, et le même principe s'applique vraisemblablement au Parlement canadien. En fait, le Parlement ne peut pas provoquer des bouleversements profonds par l'introduction d'institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien. En anglais, on dirait que le
[Traduction]
Le Parlement ne peut introduire des institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien.
[Français]
Vous allez me demander ce que cela veut dire exactement. Or cela mérite d'être défini de nouveau par la jurisprudence. Ce que nous savons, c'est que le Parlement ne pourrait pas, par exemple, confier au peuple la totalité des pouvoirs législatifs. Le référendum ne pourrait pas devenir le seul mécanisme pour l'adoption des lois. Il reste qu'au-delà de cela, nous ne savons pas ce que cette expression veut dire.
Je répète que le Comité judiciaire du Conseil privé parlait des législatures provinciales et renvoyait au paragraphe 92(1) de la loi de 1867. Or le parallèle est valable également pour l'ancien paragraphe 91(1) de la loi de 1867 et le Parlement du Canada.
[Traduction]
Enfin, je dirais qu’il se trouvera peut-être des experts pour dire que le Parlement n’a pas de prise sur le fait qu’il y a des circonscriptions électorales au Canada. L'article 40 de la Loi constitutionnelle de 1867 fait référence aux circonscriptions électorales. Certains experts peuvent dire que les circonscriptions électorales sont du ressort de la Constitution et ne peuvent être modifiées par le Parlement unilatéralement, mais je ne partage pas ce point de vue. Je pense que l'article 44 de la loi de 1982 autorise le Parlement à abolir des circonscriptions électorales ou à en réduire le nombre de manière unilatérale.