Bonjour aux collègues et à nos invités. Bienvenue à la 17e séance du Comité spécial sur la réforme électorale. C'est la dernière semaine que nous passons à Ottawa et nous allons ensuite nous déplacer dans les différentes régions du pays; nous allons nous rendre dans 10 provinces et trois territoires. Dans trois semaines, le comité va se déplacer pendant trois semaines.
J'aimerais présenter nos invités. Nous avons M. Broadbent, qu'il n'est pas vraiment nécessaire de présenter, mais je vais quand même vous dire quelques mots à son sujet parce que je crois qu'il y a un certain nombre de faits le concernant qui sont très intéressants et qui vont au-delà de ce que nous savons déjà à propos de M. Broadbent, le chef politique.
C'est un ancien membre de l'Aviation royale canadienne — je l'ignorais en fait — un ancien chef du NPD et le fondateur de l'Institut Broadbent, bien sûr. M. Broadbent a commencé sa carrière comme professeur d'université — cela je le savais — et depuis 1968, il s'est mis au service de la population, comme député de la circonscription d'Oshawa-Whitby et également, de celle d'Ottawa Centre.
Il a été vice-président de l'Internationale socialiste de 1979 à 1989, ainsi que directeur du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique de 1990 à 1996. En 1993, il a été nommé Officier de l'Ordre du Canada et en 2001, Compagnon de cet Ordre.
M. Broadbent a été le porte-parole pour la réforme électorale, parlementaire et la démocratie, pour la responsabilité des entreprises, pour la pauvreté chez les enfants, dans le cabinet fantôme du NPD de 2004 à 2005.
[Français]
Monsieur Charbonneau, je vous souhaite la bienvenue. Je vous ai souvent vu à la télé en train de présider l'Assemblée nationale. C'est un plaisir de vous retrouver ici en personne.
Monsieur le président, je vais poursuivre.
Les membres du comité ont certainement reçu le mémoire préparé par l'Institut Broadbent. Je ne vais pas parler en détail de tout ce que vous trouverez dans ce rapport. Je vais retenir quelques points qui me paraissent importants et j'aimerais ensuite aborder une question particulière dont je veux parler et qui me paraît également importante pour tous les membres du comité, quelle que soit leur orientation idéologique, quelle que soit leur affiliation politique, ou quel que soit — simplement en qualité de député.
Les premiers commentaires parlent de l'appui donné à la représentation proportionnelle. Comme le savent les membres du comité, lorsque la plupart des spécialistes — non seulement ceux qui ont présenté un exposé au comité, mais ceux du monde entier qui ont étudié la démocratie et les institutions démocratiques — choisissent un système électoral, ils choisissent toujours une forme de RP.
Il est également vrai que parmi toute la gamme des organismes canadiens de la société civile qui sont en relation avec l'Institut Broadbent — cela représente quelque 60 organismes, depuis les YWCA jusqu'aux organismes de défense des droits de la personne et aux syndicats — un très large secteur de la population canadienne a appuyé, si je puis m'exprimer ainsi, les principes que l'on retrouve dans le mémoire de l'Institut Broadbent et qui appuient la représentation proportionnelle.
Il y a quatre principales raisons pour lesquelles j'estime qu'une forme de RP est de loin préférable au système majoritaire uninominal à un tour.
Premièrement, chaque vote doit compter. Avec la RP, il est impossible d'obtenir ce qui a été appelé à juste titre les « fausses majorités » qui ont été obtenues, que ce soit dans le cas de M. Trudeau avec sa récente victoire, puisqu'avec 39 % des voix, il a obtenu une forte majorité de députés, ou avant cela, avec l'élection de M. Harper qui avait obtenu un pourcentage de vote assez voisin, puisqu'avec 39 % des voix, il avait obtenu une forte majorité de députés. Dans plus de 80 % des démocraties qui font partie de l'OCDE, cela serait impossible. Pour obtenir un gouvernement majoritaire, il faut, dans la plupart des démocraties, obtenir le plus de voix. Par conséquent, la première chose à dire en faveur de la RP est qu'avec ce système, chaque vote compte et il n'y a pas de fausse majorité.
Deuxièmement, je dirais que le système majoritaire uninominal déforme aussi bien les résultats régionaux que nationaux. Par exemple, au cours de l'élection de 1997, le Parti réformiste, si je me souviens bien, a obtenu 40 sièges de plus que les conservateurs, alors qu'il avait obtenu à peu près le même pourcentage de voix au cours de cette élection, mais ses électeurs étaient exclusivement concentrés dans l'Ouest du Canada alors que ceux du Parti conservateur étaient répartis dans l'ensemble du pays. Il y a donc eu une distorsion causée par le système majoritaire uninominal à un tour.
De la même façon, mes collègues du Bloc québécois se souviennent peut-être qu'il y a eu une élection à la suite de laquelle ce parti a obtenu les deux tiers des sièges de la province du Québec avec moins de 50 % des voix. De nombreux Canadiens ne savaient pas que la majorité des Québécois avaient en réalité voté pour des partis fédéraux, mais le groupe qui l'a emporté, le groupe majoritaire, a été le Bloc québécois. Encore une fois, le système électoral a déformé les résultats de l'élection.
Le troisième commentaire que j'aimerais faire est que le système majoritaire uninominal décourage en fait une partie de l'électorat de voter pour leur premier choix. Selon un sondage que l'Institut Broadbent a effectué à la suite de la dernière élection fédérale, 46 % des Canadiens ont voté pour un parti qui n'était pas leur premier choix. Je le répète. Au cours de la dernière élection, 46 % des Canadiens ont déclaré avoir voté pour un parti qui n'était pas leur premier choix pour éviter d'élire, à leur avis, un autre parti qui leur serait encore moins favorable. Ce système n'incite pas les électeurs à voter pour le parti de leur choix; il les incite à voter, dès le départ, de façon stratégique, au lieu de faire connaître démocratiquement leur choix.
Le dernier commentaire que je ferai en faveur de la RP — et c'est un aspect très important pour moi — est que pratiquement, dans tous les pays du monde qui ont adopté la RP, il y a davantage de femmes qui sont élues. Elles représentent l'autre moitié, sur le plan des genres, de la population et c'est un aspect dont il est très important de tenir compte dans une démocratie.
Le Canada se place au 62e rang aujourd'hui pour ce qui est du pourcentage des femmes élues à la Chambre des communes. En Nouvelle-Zélande, lorsque le gouvernement a introduit la RP, le pourcentage des femmes siégeant à la Chambre des communes qui était de 21 %, est passé à 29 % au cours de la première élection utilisant la RP et au cours de l'élection suivante — la plus récente — ce pourcentage est passé à 31 %. Les études démontrent clairement qu'avec la RP, le nombre des femmes élues augmente sensiblement.
L'autre aspect dont je veux parler — et je n'irai pas dans les détails parce que je veux avancer — est que la RP favorise la civilité et la courtoisie en politique. J'ai bien connu, une fois ma vie politique terminée, par exemple, des politiciens allemands qui étaient membres du CDU et du SPD. Ils connaissaient bien la situation en Scandinavie et ils m'ont tous dit qu'avec les systèmes multipartis qui obligent les partis à se regrouper pour former le gouvernement, les politiciens étaient plus courtois les uns avec les autres avant les élections et pendant les élections, parce qu'ils savaient qu'ils allaient être obligés de travailler avec d'autres partis par la suite. Ce n'est pas un aspect mineur.
Dans le dernier discours que j'ai prononcé à la Chambre des communes en 1989, j'ai parlé du problème que posait la civilité. C'est une question importante pour la démocratie. Le fait, qui n'a pas encore été établi clairement, que la RP a tendance à favoriser des débats civilisés, un aspect qui n'est pas associé au système majoritaire uninominal, constitue un autre avantage.
Permettez-moi d'en arriver à l'argument que je souhaite vraiment exposer aujourd'hui, parce qu'il n'a pas reçu beaucoup d'attention; c'est la question de l'unité nationale.
Quelles que soient les convictions idéologiques des députés qui se trouvent ici — et il y a des différences comme cela est normal dans une démocratie — ou les différences entre les partis — et elles sont réelles comme cela est normal dans une démocratie — tous les députés, à l'exception peut-être de mon collègue du Bloc québécois, dont je respecte les opinions sans toutefois les partager — tous les députés fédéralistes — ont clairement la volonté de préserver l'unité nationale du Canada et régissent vivement aux politiques qui risqueraient de compromettre cette unité.
L'expérience personnelle qui m'a fait abandonner la RP absolue, si je peux m'exprimer ainsi, et préférer une RP mixte qui permet d'élire son député, est une conversation que j'ai eue avec le père du actuel, M. Pierre Trudeau, en 1980. Après l'élection, lorsqu'il a regagné une majorité, il m'a invité à faire partie de son cabinet, bien qu'il possédait déjà une majorité. Il voulait également inviter à se joindre au cabinet un certain nombre de mes collègues du Nouveau Parti démocratique.
Pourquoi a-t-il agi ainsi? Ce n'est pas parce qu'il pensait que j'étais quelqu'un d'extraordinaire ou parce qu'il était follement amoureux du NPD, même s'il y avait bien sûr, à l'origine de cette proposition, un certain chevauchement entre nos orientations. Il souhaitait en fait, ce qui était tout à fait approprié, présenter, comme il me l'a dit au cours d'une conversation privée à l'époque, ce qui est devenu le programme national de l'énergie et procéder au rapatriement de la Constitution avec une Charte des droits.
Il savait que dans ces deux domaines, j'étais tout à fait d'accord avec l'essentiel de ces orientations; cela n'a pas été le cas pour d'autres aspects de ces orientations. Malgré le fait qu'il avait une majorité — et c'est cela qui est intéressant — il avait obtenu 22 % des voix en C.-B., mais aucun siège; 22 % des voix en Alberta, mais aucun siège; 24 % des voix en Saskatchewan, mais aucun siège; 28 % des voix au Manitoba, avec deux sièges. Bref, avec le programme national de l'énergie, il présentait une mesure qui aurait des répercussions considérables, en particulier sur l'Ouest du Canada, alors qu'il n'avait que deux sièges dans l'Ouest du Canada, même s'il avait obtenu en moyenne plus de 25 % des voix. Il n'avait que deux sièges.
Cela le préoccupait, ce qui est bien normal. Il savait que pour gouverner, il est souhaitable que toutes les régions soient représentées, non seulement parmi les députés, mais aussi parmi les ministres.
Je ne vais pas aller dans tous les détails, mais il en est résulté qu'il a présenté un programme national de l'énergie qui a eu, pour parler franchement, pour effet d'aliéner — pas entièrement, mais une partie de ce programme — le Canada de l'Ouest et auquel se sont opposés non seulement le gouvernement conservateur de l'Alberta, mais également le gouvernement NPD de la Saskatchewan.
J'essaie de dire en fait que, même avec de bonnes intentions, si vous n'avez pas dans votre cabinet des gens qui viennent de différentes régions alors que vous allez élaborer une politique essentielle pour les régions, alors vous pouvez faire de graves fautes. Le système majoritaire uninominal déforme les résultats électoraux au Canada et l'élection de 1980 l'illustre parfaitement: le gouvernement était majoritaire, mais le premier ministre a dû faire appel à d'autres personnes, à d'autres partis, parce qu'il n'avait que deux sièges. S'il y avait eu une représentation proportionnelle, il aurait obtenu beaucoup plus de sièges. Il aurait eu des sièges en Alberta, il aurait eu des sièges en Saskatchewan et il aurait eu des sièges dans pratiquement toutes les provinces de l'Ouest.
Cette expérience a beaucoup influencé ma réflexion personnelle au sujet des systèmes électoraux. Le système majoritaire uninominal peut avoir un effet négatif sur notre unité nationale même si les premiers ministres et les chefs de l'opposition n'en ont pas l'intention, à cause des résultats et de l'importance que toutes les régions soient représentées.
Monsieur le président, puis-je vous demander combien il me reste de temps?
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, bonjour. Je m'excuse de mon vocabulaire, mais j'ai passé 25 ans à l'Assemblée nationale, où un comité s'appelle une commission parlementaire.
Je suis content d'être avec M. Broadbent aujourd'hui. Je ne sais pas s'il s'en souvient, mais entre mes deux vies politiques, alors que j'étais président du conseil d'administration d'Oxfam-Québec, nous avons mené une mission de surveillance des élections au Honduras, si ma mémoire est bonne. Nous avions fraternisé ensemble à ce moment-là. Nous n'avions pas parlé de cette question, mais je me rends compte aujourd'hui que nous sommes toujours sur la même longueur d'onde sur bien des sujets.
Je ne dispose que de 10 minutes, et le reste du temps sera consacré aux échanges avec vous. D'entrée de jeu, je voudrais vous dire que le député Cullen, avant le début des travaux, est venu me saluer et m'a demandé si cela faisait longtemps que je potassais ce dossier. Après que je lui ai répondu oui, il m'a demandé pourquoi la réforme n'avait pas fonctionné au Québec. Je lui ai dit que c'était parce que les monarques élus n'avaient pas tenu leur promesse électorale.
Autrement dit, dans notre système politique, le premier ministre a un pouvoir énorme. Si un chef de parti promet, en campagne électorale, de changer le mode de scrutin de fond en comble, par exemple, la façon dont cela se fera reposera largement sur lui, c'est-à-dire sur la personne qu'il choisira pour s'occuper de ce portefeuille et sur la façon dont ses troupes vont se comporter.
Au Québec, on discute de la réforme du mode de scrutin depuis 1909, mais il y a eu de réels engagements électoraux. Depuis sa formation, le Parti québécois a cet engagement dans son programme. C'est uniquement en 1981 que René Lévesque a pu espérer mettre en marche ce programme et cet engagement qui lui tenaient à coeur, mais malheureusement, les événements qui ont suivi ne le lui ont pas permis.
Il a fallu attendre jusqu'en 2003, lorsque les Québécois se sont mis à s'intéresser à nouveau à la question, pour que les chefs des trois partis fassent la même promesse que celle de M. Trudeau aux dernières élections, soit celle de changer le mode de scrutin employé pour les élections générales. Les libéraux venaient de subir une expérience douloureuse en 1998, alors qu'ils s'étaient retrouvés à l'opposition officielle et que nous, avec Lucien Bouchard, avions pris le pouvoir avec 35 000 votes de moins.
Aujourd'hui, en 2016, je suis devant vous en tant qu'ancien ministre responsable du dossier, et toujours rien n'a bougé au Québec. Pourtant, tout avait été fait. Le directeur général des élections avait émis un avis, des citoyens avaient participé à une commission parlementaire spéciale, et avant cela, j'avais lancé les états généraux en tant que ministre de la Réforme des institutions démocratiques. Malheureusement, le premier ministre de l'époque, M. Charest, a décidé que c'était terminé.
Au Québec, aujourd'hui, on utilise le prétexte qu'Ottawa reprend le dossier pour dire qu'on va attendre de voir ce qui va se passer avant de décider si on va le reprendre aussi. Or, sauf le parti gouvernemental, tous les partis à l'Assemblée nationale reprennent maintenant le dossier.
Pour ma part, je suis un partisan de la mise au rancard du système, pour les mêmes raisons que M. Broadbent a évoquées et pour les mêmes raisons que vous avez entendues de la part de plusieurs témoins.
Comme le disait René Lévesque dans un texte en 1972, c'est un système démocratiquement infect qui génère des gouvernements qui ne reposent pas, la majorité du temps, sur des majorités populaires, mais plutôt sur des distorsions dans leur représentativité. Nous vivons dans une démocratie représentative, mais la représentation fait l'objet de distorsions et est faussée.
Il y a des partis et des idées qui sont surreprésentés, alors que d'autres sont sous-représentés ou ne sont pas représentés du tout et qu'une partie considérable de la population, que ce soit au Québec ou dans l'ensemble du Canada, est favorable à ces idées et a voté en leur faveur.
Par ailleurs, comme M. Broadbent en a parlé, dans un système comme le nôtre, qui est un système ancestral, on génère aussi une culture excessive de la confrontation.
On pourrait en dire davantage sur les défauts du système, mais j'espère que les députés qui ont récemment pris l'engagement électoral de modifier le système sont convaincus de la chose et qu'ils ne sont pas en train d'étudier la question pour finalement décider de maintenir le statu quo. Quand on prend un engagement électoral, on le respecte et on s'organise pour aller jusqu'au bout — je m'excuse de le dire aussi crument —, sinon on abuserait des citoyens, comme on l'a fait au Québec. On a abusé des citoyens pour finalement ne pas honorer son engagement politique et électoral. C'est d'autant plus important quand on est premier ministre ou chef de parti.
Je suis un partisan du mode de scrutin proportionnel mixte parce que c'est le système de remplacement qui répond le plus aux besoins et aux attentes des Québécois et des Canadiens en général. On garderait une représentation directe avec des députés de circonscription, mais on aurait aussi une représentation juste et équitable.
L'an dernier, en avril 2015, un colloque à l'Assemblée nationale a été organisé par la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l'Université Laval, avec la collaboration de l'Assemblée nationale, et la maison CROP avait fait un sondage pour l'Université. Il en était ressorti que 70 % des Québécois étaient d'accord pour qu'il y ait un changement du mode de scrutin pour avoir une représentation politique plus juste et plus équitable.
Ce système, comparativement à tous les autres systèmes qui ont été expérimentés, étudiés et même conçus de façon théorique, a l'avantage de faire une transition. Cela veut-il dire que, au Canada, on serait obligé de vivre pendant 100 ans avec un nouveau mode de scrutin, par exemple avec le système proportionnel mixte compensatoire? Non, pas nécessairement. Par contre, la transition ferait en sorte que ce soit plus facile pour les citoyens d'atteindre leurs deux objectifs: avoir une représentation juste et équitable et, en même temps, conserver des députés de circonscription.
On doit le dire très franchement. Des gens, dont certains députés ici, ont dit qu'on aurait deux sortes de députés avec ce système. On n'a pas deux sortes de députés; ce sont les mêmes citoyens qui sont responsables et maîtres du jeu du système électoral, et ces mêmes citoyens choisissent, selon deux mécanismes, des représentants pour eux et des représentants des partis. Cela veut dire que lorsqu'on est élu député, que ce soit comme député de liste ou comme député en fonction du système actuel uninominal à un tour, la réalité dans les caucus comme ceux au Parlement, c'est que les deux catégories de députés n'en font qu'une. Ils sont tous des représentants des citoyens et ils sont tous aussi des porte-étendards de leur parti politique. C'est un faux argument que de prétendre qu'on aurait deux classes de députés.
Il n'y a pas de problème dans les pays où cela existe. Pourquoi en aurait-on ici alors qu'on n'en a pas eu en Allemagne, en Écosse, en Nouvelle-Zélande et dans bien d'autres pays? À un moment donné, il faut que l'argumentation repose sur les faits, et non pas sur une espèce d'abstraction.
Au Québec, une des raisons pour lesquelles cela n'a pas fonctionné, c'est que la majorité des députés, y compris ceux qui avaient fait cette promesse par l'entremise de leur chef et de leur programme politique, avaient peur de perdre leur siège.
Deuxièmement, une partie importante des députés, surtout ceux qui étaient au gouvernement ou ceux qui espéraient pouvoir y accéder, pensaient à ce moment-là qu'ils ne seraient pas en mesure de contrôler le programme politique comme ils le voudraient, c'est-à-dire de faire ce qu'ils voudraient avec une minorité de l'appui populaire. Du fait qu'on a une majorité parlementaire, on accélère le processus avec des bâillons, que ce soit à l'Assemblée nationale ou ici, avec des projets de loi mammouth et avec d'autres mécanismes parlementaires. On utilise sa majorité parlementaire qui repose sur une minorité de l'appui populaire pour bâillonner le Parlement et accélérer les processus, alors qu'on n'a aucune légitimité pour le faire.
Finalement, il y a une troisième raison pour laquelle cela ne s'est pas concrétisé au Québec. C'est que le Parti québécois considérait qu'il perdrait le contrôle du programme référendaire, puisqu'en 1976 et en 1994, il avait pris le pouvoir avec une minorité de l'appui populaire.
Cependant, aujourd'hui, le modèle écossais et l'expérience écossaise ont prouvé que cela ne tenait pas la route. Ce n'est pas à travers une élection qu'on gagne et qu'on fait un pays, c'est à travers un processus référendaire. Il faut une majorité. Alors, on peut bien contrôler le programme référendaire, mais si on ne réussit pas à obtenir une majorité populaire, cela ne donne pas grand-chose.
Même pour des gens qui ne partagent pas le point de vue indépendantiste, idéalement, il est préférable d'avoir un mécanisme politique qui fait qu'on développe quelque chose de fondamental en démocratie: une culture de la collaboration, du compromis et de la coalition. La coalition n'implique pas que nos gouvernements sont instables. Quand on invoque cet argument, il est battu en brèche dans tous les pays où il y a des systèmes proportionnels, plus particulièrement dans ceux où il y a des systèmes proportionnels mixtes compensatoires. Le fait de devoir établir des compromis avec des adversaires politiques, de même qu'avec des gens dont l'idéologie est plus proche de la nôtre, crée néanmoins un climat politique favorable. Les citoyens en ont ras le bol de la partisanerie excessive et des comportements qui dévaluent la chose politique, en fin de compte. Il en va de même partout au Canada, y compris au Québec.
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Merci, monsieur le président et bonjour à tous.
Mes remarques d'aujourd'hui vont porter sur le processus utilisé pour réformer le système électoral au Canada; je ne vais pas parler du genre de système électoral qu'il conviendrait d'adopter. Mes remarques sont tirées d'un article intitulé « The Process of Electoral Reform in Canada: Democratic and Constitutional Constraints ». Cet article paraîtra prochainement dans la Supreme Court Law Review.
Dans l'article, j'examine un certain nombre de mécanismes que l'on pourrait utiliser pour réformer le système électoral, notamment une assemblée de citoyens, une commission, un référendum et un comité parlementaire représentant tous les partis. Je l'ai fait en m'appuyant sur l'expérience provinciale et internationale comparée en matière de réforme électorale. J'ai brièvement examiné les tentatives de réforme électorale faites en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, dans l'Île-du-Prince-Édouard, en Ontario et au Québec, ainsi que la réforme électorale introduite en France, en Italie, en Nouvelle-Zélande, au Japon et au Royaume-Uni.
Ma principale conclusion est que la réforme électorale n'exige aucun processus ou mécanisme particulier, mais que le processus choisi doit être, et sembler être, légitime sur le plan démocratique. Pour acquérir une légitimité démocratique, le mécanisme doit respecter clairement trois principes: premièrement, la neutralité politique ou l'absence de partisanerie; deuxièmement, prévoir des consultations et troisièmement, organiser un débat.
Une réforme électorale est différente de l'adoption d'une loi ordinaire parce qu'elle fixe les règles de base qui permettent d'obtenir le pouvoir politique. C'est la raison pour laquelle le processus de réforme électorale doit respecter une norme très élevée en matière de légitimité démocratique.
Permettez-moi de parler de la première norme, la neutralité politique ou l'absence de partisanerie.
Cette norme est importante parce qu'elle garantit la neutralité du processus, ce qui, à son tour, empêche le parti au gouvernement de renforcer son emprise en choisissant des règles qui le favorise aux dépens des autres partis politiques. C'est également la norme qui est la plus difficile à respecter, en grande partie, parce que le choix du mécanisme peut avoir un effet déterminant sur le genre de réforme de fond qui sera finalement adoptée. Autrement dit, le choix du mécanisme peut être aussi partisan que celui du système électoral, dans le sens qu'un mécanisme particulier pourrait favoriser ou empêcher un résultat particulier qui est favorable ou défavorable à un parti politique donné. En particulier, un gouvernement majoritaire doit éviter de paraître protéger ses intérêts, en veillant à ce que le mécanisme soit aussi peu partisan que possible.
Quant aux normes exigeant des consultations et un débat, elles démontrent que le processus a permis d'examiner et de prendre en compte une large gamme d'opinions et de solutions. La consultation est reliée à l'idéal démocratique de la participation tandis qu'un débat permet d'en arriver à une décision collective justifiée par des motifs que tous ceux qui ont participé au débat trouvent convaincants. Les solutions valides ne doivent pas être exclues sans avoir été prises en compte, que ce soit directement ou indirectement, en fixant dès le départ des limites ou des buts arbitraires.
Pour renforcer davantage la légitimité démocratique et les normes en matière de neutralité politique, de consultation et de débat, je ferai trois remarques.
Premièrement, la réforme proposée devrait avoir l'appui de tous les partis politiques. Dans le cas où un consensus serait impossible, il serait important que la réforme proposée ait l'appui des partis politiques qui ont obtenu une majorité au moins, et ce qui serait préférable une super majorité, du vote populaire enregistré pour l'élection de 2015. La composition du comité spécial sur la réforme électorale renforcera la légitimité apparente et réelle des recommandations du comité, mais il serait tout aussi important que les partis s'entendent au palier législatif pour éviter toute apparence d'intérêts partisans.
Deuxièmement, la légitimité démocratique réelle et perçue du mécanisme serait renforcée si l'on ajoutait un mécanisme supplémentaire comme une commission, une assemblée de citoyens ou un référendum. Les réunions publiques renforcent bien sûr la légitimité du processus, mais elles ne permettent pas le genre d'analyse approfondie qu'effectue une commission ou d'obtenir une réponse inclusive comme le fait un référendum.
Cela dit, je ne pense pas qu'un référendum soit nécessaire pour légitimer la réforme électorale, même s'il constitue bien sûr une possibilité, à titre de mécanisme supplémentaire.
Il convient toutefois de noter qu'un référendum n'est pas toujours un choix neutre sur le plan politique. Si l'on se base sur l'expérience provinciale des référendums en matière de réforme électorale, on peut penser qu'un référendum national échouerait, ce qui aurait pour effet de conserver le statu quo, le système majoritaire uninominal à un tour, qui avantage les grands partis.
Il serait peut-être préférable de retenir comme mécanisme supplémentaire une commission chargée de la réforme électorale. De nombreuses recommandations de la Commission royale Lortie sur la réforme électorale et le financement des partis de 1989, par exemple, ont été utilisées pour réviser les lois électorales, mais il n'est pas nécessaire que la commission ait une telle ampleur. Par exemple, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard ont chacun mis sur pied une commission de huit personnes, et la commission de l'Île-du-Prince-Édouard était formée en partie de citoyens. Au Québec, la commission parlementaire a bénéficié de l'assistance d'un comité composé de huit citoyens.
Ma troisième remarque et recommandation est de repousser le délai du 1er décembre 2016 que le gouvernement s'est lui-même imposé. Votre comité spécial a entendu un certain nombre de témoins et des députés ont tenu des réunions publiques au sujet de la réforme électorale, mais ce délai paraît inutilement court et il risque de compromettre la légitimité apparente du mécanisme. Les processus consultatifs et délibératifs devraient se dérouler sur une période plus longue pour refléter l'importance et l'ampleur de la réforme électorale, en particulier, compte tenu du fait qu'aucun autre mécanisme supplémentaire n'est prévu comme une commission, par exemple.
Mon article traite également des limites que la Constitution impose à une réforme électorale; je ne peux pas aborder cette question de façon détaillée, en raison des contraintes de temps, mais ma conclusion est qu'il est probablement possible d'introduire une réforme électorale sans adopter une modification constitutionnelle exigeant le consentement des provinces, pourvu que la réforme respecte certaines limites constitutionnelles. Je serais heureuse d'aborder l'aspect constitutionnel, si vous souhaitez poser des questions à ce sujet.
Merci.
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J'ai été député pendant 25 ans à l'Assemblée nationale, et ce, dans le même système qui a cours. J'étais à la fois un parlementaire et un représentant des citoyens. Si j'avais été dans une dynamique proportionnelle pure, par exemple, j'aurais aussi été un député représentant ses concitoyens et s'intéressant à leurs problèmes. Je les aurais reçus à mon bureau et j'aurais fait le travail qui devait être fait. J'aurais aussi représenté mon parti politique.
Dans un scrutin proportionnel mixte compensatoire, il y aurait deux types de députés, mais je ne crois pas que ces derniers se comporteraient différemment. Certains auraient des responsabilités dans leur équipe parlementaire respective. Dans un système proportionnel mixte, un député faisant partie d'une liste régionale aurait à travailler avec ses collègues de la région, et non pas avec l'ensemble des députés, en vue de représenter les intérêts de sa région, de la même façon que le ferait, mais à une plus petite échelle, un député de circonscription, puisque sa circonscription serait plus petite que sa région. C'est comme si on essayait, théoriquement, de créer deux sortes de députés parce qu'il y aurait des mécanismes différents pour les choisir afin de faire en sorte que la représentation politique, elle, soit juste, correcte et équitable.
En définitive, qu'est-ce qui compte? Dans une démocratie représentative, la représentation doit être correcte. Il ne faut pas qu'il y ait une sous-représentation inacceptable, une surreprésentation inacceptable ou une non-représentation inacceptable. Dans un système qui pourrait mieux représenter les grands courants politiques de la société, les grandes idées, les grands partis et, parfois, les plus petits, les députés élus feraient leur travail de la même façon que les autres. Il n'y a pas deux façons d'être un représentant au Parlement.
Quand j'étais député et que je me levais pour prendre la parole, je parlais tantôt de ma région, tantôt de ma circonscription, mais en général, on discutait des grandes questions. Le député est un parlementaire, mais il est aussi une sorte d'intermédiaire entre les citoyens et les élus. Ce n'est pas parce que j'aurais été un député de liste que je n'aurais pas fait ce travail.
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Je dirais que, quelle que soit la façon dont le Parti libéral a voté au sujet de cette motion — et je dois vous avouer franchement que je ne connais pas très bien cette situation — il y a eu une campagne électorale par la suite. L'homme qui est devenu premier ministre a fait campagne en faveur d'une réforme électorale, qui comportait de nombreuses options, si ma mémoire est exacte. Il a également utilisé, encore une fois si je ne me trompe, des expressions comme « chaque vote doit compter » et « il faut faire en sorte que chaque vote compte ». Si vous partez de ce principe, il n'y a qu'un seul système qui le permet, et c'est un type de RP. Je pense que les libéraux pourraient légitimement affirmer qu'ils ont fait campagne sur cette réforme, comme pourraient le dire le Parti vert et le NPD.
Permettez-moi d'ajouter quelque chose au sujet d'un mécanisme délibératif. Je souscris à ce qu'a déclaré notre collègue universitaire au sujet de l'importance des délibérations du comité et que c'est un travail qui renforce sa légitimité.
J'aimerais mentionner un aspect négatif des référendums. Si toutes les conditions relatives au débat et aux engagements pris au cours de la campagne électorale étaient remplies par plusieurs partis, alors je demanderais aux membres du comité de réfléchir à l'effet que pourrait avoir sur le pays la tenue d'un référendum.
J'étais en Angleterre au moment du vote sur le Brexit et je peux vous dire que le pays est gravement divisé à l'heure actuelle, très gravement. Que se passerait-il au Canada, que la question mise au référendum soit acceptée ou non, si le Québec et l'Alberta votaient d'une façon et que le reste du pays votait d'une autre façon ou si la Colombie-Britannique et le Québec votaient d'une façon et les autres provinces d'une autre façon, si les campagnes étaient très intenses, tout comme les divisions? Je pense sérieusement que cela nuirait à l'unité nationale au lieu de la renforcer. Que le référendum soit approuvé ou non, il pourrait entraîner de profondes divisions.
Si c'était la seule solution, je dirais à l'honorable député... Je comprends parfaitement l'argument en faveur d'un référendum, même si je ne souscris pas à cette solution, mais si toutes les conditions concernant la tenue d'un débat et les promesses faites au cours de la campagne électorale étaient remplies, alors je pense qu'il serait légitime que le Parlement prenne seul la décision.
J'ajouterais une dernière remarque. Les deux grands théoriciens des sciences politiques de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, l'un étant libéral et l'autre conservateur, Edmund Burke et John Stuart Mill, auraient tous les deux été en faveur que la décision soit prise par le Parlement dans un cas comme celui-là.
Pour commencer, je vais adresser mes commentaires et mes questions à nos deux derniers témoins.
Ces dernières semaines, j'ai organisé dans ma circonscription quelques réunions publiques au sujet de la réforme électorale. La dernière a eu lieu samedi dernier. Elle était organisée par le Mouvement pour la représentation équitable au Canada et par une association de circonscription voisine du Parti libéral.
Pour la première que j'ai mise sur pied, il y a un certain nombre d'électeurs qui sont venus, notamment des partisans déclarés du Parti conservateur, qui ont très bien exposé ce qui les inquiétait dans un référendum. Je dirais que j'ai retrouvé à peu près les mêmes personnes à la séance que nous avons tenue samedi. Je ne pourrais pas vraiment parler de percée, mais j'ai trouvé la séance très intéressante parce que nous sommes passés de l'examen de cette position à une discussion des valeurs.
Voici la question que j'avais posée à l'assistance « De quelles valeurs devrions-nous nous inspirer pour élaborer un nouveau système? » Avec des participants très variés, puisqu'il y avait certains membres du Parti conservateur et d'autres qui étaient là, nous avons commencé à parler des choses dont devrait s'inspirer, d'après eux, un nouveau système.
J'ai trouvé un document de l'Institut Broadbent intitulé La réforme électorale canadienne — Sondage sur les solutions de rechange possibles. Il contient un bon chapitre au sujet des valeurs et on retrouve un certain nombre de choses du genre « Le bulletin de vote est simple et facile à comprendre ». Cela a suscité un appui de 55 % des répondants, alors que 51 % étaient en faveur de l'affirmation « Le système donne des gouvernements solides et stables ».
Au cours des discussions que nous avons eues cette fin de semaine, il y a eu quelques questions qui ont été soulevées par divers participants. Je ne veux pas critiquer un système particulier, mais ces personnes ont également soulevé des questions au sujet des systèmes comme la RP et de l'idée d'avoir un gouvernement de coalition. Est-il possible d'obtenir un gouvernement solide et stable et est-ce que ces deux idées sont incompatibles? Pour ce qui est de l'affirmation « Le bulletin de vote est simple et facile à comprendre » — à ma première réunion publique, il y a eu un homme qui a présenté un bulletin de vote allemand qui mesurait trois pieds par trois pieds. Les gens se sont souvenus de ce bulletin et ils craignaient qu'un système de RP avec ce genre de bulletin soit trop complexe.
Je vous invite simplement à faire des commentaires sur la façon de régler ce genre de problème. Comment encadrer la discussion au sujet des valeurs pour que nous en arrivions à un système qui représente la meilleure solution pour le Canada à ce moment-ci et qui soit conçu pour les Canadiens? Je ne vous pose pas vraiment une question, mais j'aimerais avoir vos idées sur les valeurs et les critiques que nous entendons. Que devons-nous faire à ce sujet?
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Le mandat du Comité énonce déjà un certain nombre de principes et de valeurs. Vous devez y réfléchir et évaluer les différentes options. Effectivement, c'est un guide fondamental. Par exemple, doit-on accorder de l'importance à une juste représentation des grands courants politiques dans notre société? Est-ce que la sous-représentation, la surreprésentation ou la non-représentation nous préoccupent?
On doit aussi se préoccuper de la stabilité des gouvernements. Cependant, comment faire la démonstration que les gouvernements ne seront pas stables si, tout à coup, le mode de scrutin est différent et que les partis sont obligés de se coaliser? La seule façon serait d'essayer cette formule et d'examiner ce qui s'est fait ailleurs. Autrement, ce ne sont que des fantasmes de peur. On invoque le fait que les gens ne veulent pas avoir des élections régulièrement, toutes les semaines. On cite les pires exemples comme l'Italie et Israël en disant que c'est effrayant. Cependant, si on fait abstraction de ces exemples qui ne sont pas pertinents au choix qui pourrait être fait ici, on dédramatise beaucoup les choses.
Vous allez recevoir demain le président du Mouvement Démocratie Nouvelle, où j'agis à titre de conseiller spécial. Je connais un peu le dossier, mais j'ai appris une chose lorsque nous avons reçu des experts au cours du printemps dernier. Dans un certain nombre de pays, un mécanisme parlementaire a été mis en place pour assurer la stabilité des coalitions. On appelle cela le vote de confiance constructif. Ce mécanisme a été lancé par l'Allemagne de l'Ouest, qui a le modèle de compensation parfait. Finalement, c'est 50-50. La moitié des députés sont élus selon le système actuel et l'autre moitié selon un système proportionnel.
On a là un mécanisme qui fait en sorte que, s'il veut défaire un gouvernement, un parti au sein d'une coalition doit être en mesure de proposer une autre solution ou un nouveau chef de gouvernement qui soit capable de créer une nouvelle majorité parlementaire. Autrement, on reste avec les engagements qu'on a pris et l'entente politique qu'on a conclue pour former la coalition.
Rien ne nous empêcherait de mettre en place un mécanisme de ce genre. Il y a moyen d'aller là où l'on veut tout en innovant, afin de s'assurer qu'il n'y aura pas de gouvernements instables. Le seuil peut être de 3 %, mais il pourrait aussi être de 5 % ou de 6 %. Il y a des instruments pour garantir une stabilité, en fonction des principes.
C'est génial. J'aime beaucoup cette conversation. J'aime tout ça aussi.
Je me demande si nous sommes arrivés à un point de bascule politique dans ce pays. Je pense à vous, Ed, aux côtés de Guy Giorno et de M. Himelfarb, lisant des citations de , parlant de la qualité médiévale de notre système et lisant la citation du ministre sur la façon dont notre système a été conçu pour le contexte du XIXe siècle et n'est pas adapté aux besoins du Canada du XXIe siècle. Y a-t-il un point de « pluripartisme » que nous avons franchi, avec le Parti québécois, le Bloc québécois et diverses personnes se prononçant en faveur d'un système proportionnel?
J'ai une brève remarque à ce sujet, puis une question pour vous, monsieur Broadbent.
En ce qui concerne la stabilité, nous avons entendu qu'au cours des 55 dernières années dans les pays développés, l'équilibre est presque égal entre les pays qui utilisent un mode de représentation proportionnelle et ceux qui utilisent le scrutin majoritaire uninominal à un tour, pour ce qui est de la stabilité. De fait, les pays avec la représentation proportionnelle sont légèrement plus stables. On peut penser que les coalitions sont instables. Dans l'histoire du Canada, quand les partis ont partagé le pouvoir, nous avons produit nos politiques les plus progressistes et les plus durables. Les pensions, les soins de santé, le drapeau — et la liste est longue — ont tous vu le jour quand les partis ont eu à mettre un peu d'eau dans leur vin.
J'ai une question au sujet du vote positif comme choix positif lorsque les électeurs se trouvent devant l'urne électorale et n'ont pas à étudier une liste d'options négatives du style « Je n'aime pas vraiment cette personne, ou ce parti, ou ce chef de parti. Qui puis-je choisir pour les déloger? », contrairement à « Qu'est-ce que je veux? » C'est un peu comme quelqu'un qui achète un téléphone cellulaire et à qui le vendeur dit « Il y a tous ces choix, mais vous n'en avez que deux dans votre ville, donc choisissez un de ces deux. Vous n'avez pas accès aux autres. » Ce magasin ne resterait pas en affaire longtemps. Je ne comprends pas pourquoi nous continuons à procéder avec ces faux choix.
Je reviens sur le fait que 46 % des électeurs n'ont pas voté pour leur premier choix lors de la dernière élection. Quel effet pensez-vous que cela a eu à long terme pour le Canada en ce qui concerne l'enthousiasme des électeurs, l'espoir et la façon dont les partis réagissent et créent des plateformes pour les électeurs dans le cadre de ce scénario?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les trois témoins qui sont parmi nous aujourd'hui.
Monsieur Charbonneau, je vais vous permettre de continuer vos propos, étant donné que ma question est un peu dans la même veine que ce que vous avez mentionné.
C'est la première journée où je participe aux travaux de ce comité. J'arrive de ma circonscription. C'est l'été et, drôlement, je peux vous dire que, malgré toutes les activités auxquelles j'ai participé, personne ne m'a parlé de réforme électorale. J'entends toutes les grandes discussions à ce sujet. J'entends souvent parler de cas où les pays sont passés du mode de scrutin uninominal au mode de scrutin proportionnel, en particulier du cas de la Nouvelle-Zélande. Comme vous l'avez si bien mentionné, les gens de ce pays ont réfléchi longuement à cette question. Il leur a fallu exactement 10 ans pour en arriver à un changement du mode de scrutin.
Quand je regarde les résultats, contrairement à ce qu'on laisse sous-entendre, j'ai l'impression qu'on tient un faux débat en ce moment. On dit qu'en changeant de mode de scrutin, plus de gens seront intéressés à la politique et donc plus de gens iront voter. On mentionne que le taux de participation aux élections risque d'augmenter. Or, dans les derniers pays qui ont changé de mode de scrutin, ce n'est pas ce qui s'est produit dans un premier temps. En Nouvelle-Zélande, le taux de participation était de 85 % lorsque ce pays a fait le changement, pour passer à 88 % lors de l'élection suivante. Toutefois, en 2014, lors de la dernière élection, le taux de participation a été de 76,9 %. Donc, outre l'impression qu'on a selon laquelle les gens seront plus intéressés à voter s'il y a un changement du mode de scrutin, il faut davantage regarder les études qui ont été faites concernant le désintérêt des gens. C'est plutôt le fait que les gens manquent de temps et d'intérêt face à la politique qui explique qu'ils ne se présentent pas dans les bureaux de vote.
J'aimerais entendre vos commentaires sur le processus qui a été mis en place en Nouvelle-Zélande avant d'arriver à ce changement. Vous en avez fait mention. J'aimerais que vous poursuiviez vos propos à ce sujet.
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Eh bien, cela explique peut-être pourquoi vous l'avez cité comme ayant dit deux choses contradictoires. Je ne vois pas comment on peut changer d'avis au sujet de déclarations factuelles concernant l'opinion de personnes d'autorité. Il y a 12 ans, vous avez cité les référendums et avez déclaré que cela répondait à ses valeurs; maintenant, vous dites à ce comité que ses valeurs sont tout autres. Vos opinions ont peut-être changé, mais à mon avis, on ne peut changer les siennes étant donné qu'il est mort et que cela semble un peu injuste.
Je remarque qu'il y a 12 ans, vous avez aussi déclaré — et je cite ici un article que vous avez écrit dans Policy Options — qu'à votre avis, le meilleur système était une « question de référendum créée par des citoyens », et que vous vous fondiez pour cela sur le modèle de l'assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique. Nous pensons maintenant que des consultations quelque peu étendues ou un processus de délibération pourraient contribuer à obtenir l'approbation des gens, alors que pour la Colombie-Britannique, cela avait été considéré comme étant la première étape d'un processus à deux étapes, ce que j'avais pensé être une bonne idée et vous aussi, à l'époque.
J'aimerais, en fait, vous interroger sur ce point: vous avez dit que les référendums divisent l'opinion, et pour appuyer votre déclaration, vous avez cité le référendum du Brexit. J'aimerais vous signaler que si vous tentiez de faire une analogie valide, ce serait si le gouvernement britannique avait pris la décision de quitter l'Union européenne sans consulter le peuple, parce que c'est effectivement ce dont il s'agit ici, le gouvernement ne tenant pas un référendum et décidant de changer le système électoral comme si le gouvernement conservateur de la Grande-Bretagne avait décidé de quitter l'Union européenne sans consulter le peuple. Cela aurait été illégitime.
Vous dites que les référendums divisent l'opinion. Pourtant, quand je pense aux trois référendums qui se sont tenus au Canada, je vois une tout autre histoire. En 1992, un enjeu qui était sur le point de faire éclater le pays — l'échec de l'accord du Lac Meech et ses retombées — a été réglé par le truchement d'un référendum à l'occasion duquel les Québécois et la majeure partie du reste du pays ont voté contre la nouvelle proposition. Cela a paru préférable à voir le gouvernement l'appliquer tout simplement parce qu'il avait l'appui de la majorité des partis — en fait, de tous les partis — à ce moment-là.
En 1942, nous avons eu un plébiscite sur la conscription. Bien qu'il ait révélé une profonde division, il nous a permis de faire face à cette division. Je crois que cela a été préférable à l'introduction de la conscription sans référendum en 1917, avec les émeutes que cette action a causées à Québec et ailleurs, mais surtout à Québec.
En 1898, nous avons eu un référendum pour déterminer si le gouvernement fédéral devait interdire l'alcool, et cela a révélé une profonde division: le Québec était contre, et le reste du pays pour. Le résultat a été la décision de laisser les gouvernements provinciaux s'occuper de la question.
Par conséquent, s'il y a des divisions, un référendum de consultation, le seul type de référendum que nous avons au Canada, révèle assurément le problème. Cela n'est-il pas préférable à l'imposition d'un système électoral qui pourrait avoir ou ne pas avoir l'appui du peuple qui ne dispose d'aucun autre moyen que des sondages pour indiquer s'il l'appuie, et à son imposition indépendamment de ce que disent les sondages pour la simple raison que lors de l'élection précédente un certain nombre de partis ont signifié qu'une réforme électorale — aucune réforme précise, simplement une réforme électorale en général — était une bonne idée?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais émettre un bref commentaire avant de poser mes questions.
Je pense qu'il serait bon de rappeler à tout le monde que le gouvernement conservateur précédent a changé la Loi électorale du Canada. Il a rendu le vote plus difficile et moins accessible. Il a aussi retiré le droit de vote aux citoyens outremer. En outre, il n'a jamais été question de référendum.
Monsieur Charbonneau, je voulais vous dire que nous prenons bel et bien notre travail très au sérieux, ici. Le gouvernement libéral a pris l'engagement de changer le mode de scrutin, ce à quoi nous, au NPD, sommes férocement favorables. En effet, ce serait plus juste pour les citoyens, notamment du fait que les votes ne seraient pas perdus.
Notre travail ici, au Comité, consiste à faire preuve de leadership et à soumettre des propositions en vue de changer le système. Le Parti conservateur est le défenseur du statu quo, mais je crois qu'il y a autour de la table des partis politiques qui représentent 63 % des électeurs et électrices. Ceux-ci ont voté pour des partis qui voulaient changer le mode de scrutin et améliorer notre démocratie.
Monsieur Broadbent, il y a des institutions de type Westminster, mais il y a très peu de pays dans le monde qui fonctionnent encore selon le système « le premier remporte tout », qui crée ces distorsions dont on parle si souvent. Le coeur du modèle de Westminster est évidemment le Royaume-Uni. On a assisté dernièrement à des déconcentrations de pouvoirs en Irlande du Nord et à la création des Parlements régionaux au pays de Galles ainsi qu'en Écosse. Or ces gens ont dans tous les cas eu recours à un système proportionnel mixte. En Irlande du Nord, c'était même une condition à la déconcentration des pouvoirs. Ces gens devaient donc faire l'effort de s'asseoir et de travailler ensemble.
À votre avis, comment pourrions-nous aller dans la même direction que nos cousins britanniques, écossais ou gallois?
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J'estime pour ma part qu'il s'agissait bien d'une assemblée publique et que ceux qui souhaitaient y assister étaient tenus de payer leur entrée. Reconnaissons que lorsque l'affaire a été ébruitée, le Parti libéral a retiré de son site Web l'annonce de la réunion.
Mais nous avons par la suite entendu dire que certains se sont vu refuser l'entrée d'une assemblée publique simplement parce qu'ils ne s'étaient pas inscrits à l'avance.
Je n'entends pas citer le nom du député en cause, car je ne veux pas en faire un débat de personnes, mais selon une tribune publiée dans le Vancouver Sun, une assemblée publique a bien eu lieu, au cours de laquelle une majorité des intervenants se sont déclarés en faveur d'un référendum avant même que le moindre changement soit apporté au mode de scrutin. Toujours selon cet article, les intervenants ont demandé, à plusieurs reprises au député s'il entendait faire savoir au que ses électeurs estimaient devoir être consultés par référendum avant toute modification d'un régime électoral qui a, depuis plusieurs siècles, donné de bons résultats. Selon l'article « Il ne nous a pas répondu sur ce point ».
Le temps nous manque pour citer plusieurs autres incidents qui porteraient, dans une certaine mesure, à mettre en doute la légitimité de ce type d'assemblée.
Madame Dawood, vous avez dit, dans votre exposé, que:
Une réforme électorale est différente de l'adoption d'une loi ordinaire parce qu'elle fixe les règles de base qui permettent d'obtenir le pouvoir politique. C'est la raison pour laquelle le processus de réforme électorale doit respecter une norme très élevée en matière de légitimité démocratique.
Puis, dans la Revue de droit de McGill, vous aviez écrit, et là encore je vous cite:
Si le gouvernement était à même de réformer unilatéralement nos institutions démocratiques, il pourrait tout aussi bien les réformer unilatéralement dans un sens anti-démocratique.
Puis, dans un éditorial publié au début de cette année dans Options politiques, vous dites que:
... la modification du système électoral ne doit pas être simplement instaurée par le parti politique qui détient la majorité.
J'entends simplement par cela rappeler que, comme vous l'avez vous-même dit, les citoyens doivent être invités à se prononcer. Le changement de régime électoral ne peut pas être simplement décidé par le parti qui détient la majorité des sièges au Parlement.
Pourriez-vous en premier lieu nous dire si, selon vous, c'est effectivement là un principe important, et que les citoyens doivent être appelés à participer bien au-delà de ce qui peut se faire dans le cadre d'une assemblée publique. Êtes-vous d'avis que la question ne peut pas être simplement laissée à la classe politique? Êtes-vous d'accord que les citoyens doivent d'une manière ou d'une autre pouvoir participer aux décisions qui vont être prises, que ce soit dans le cadre d'un référendum, d'une assemblée des citoyens ou d'un autre mécanisme de consultation?
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Merci, monsieur le président.
J'étais en train de consulter le fil d'actualité de Twitter. Je tombe non pas sur une question posée par quelqu'un qui suit les délibérations du comité, mais sur quelqu'un qui sollicite un commentaire sur un essai que je suis moi-même en train de lire. Il s'agit d'un essai intitulé « Our Benign Dictatorship », écrit il y a un certain nombre d'années par M. Flanagan et M. Harper.
Permettez-moi d'en évoquer un passage sur lequel je souhaiterais obtenir vos commentaires:
D'après les auteurs de cet essai, nous nous plaisons à penser que nous vivons dans une démocratie achevée, mais en fait nous vivons sous un régime à peine mieux qu'une sorte de dictature bonasse, pas vraiment dans un régime de parti unique, mais sous un régime de parti unique amélioré, rongé par le factionnalisme, le régionalisme et le copinage caractéristiques de ce type de régime.
Voilà ce que M. Harper disait au milieu des années 1990, avant de tirer profit des avantages que ce système lui procurait, ce qui l'a peut-être porté à changer d'avis. Le correspondant de Twitter propose qu'à chaque fois que mes collègues du Parti conservateur prononcent le mot « référendum », on boive un verre. Ce ne serait pas d'après moi la solution.
Permettez-moi de vous demander ceci. C'était à une époque où celui qui était alors premier ministre du Canada, estimait que nous vivons sous un régime de dictature bonasse. La situation actuelle exige me semble-t-il que le gouvernement ait le courage de mener à bien la réforme, l'honnêteté de ne pas truquer le nouveau système dans un sens qui l'avantage. Nous devons en outre tous avoir, ainsi que nous y invite M. Charbonneau, la modestie et le sens des responsabilités nous permettant de parvenir à des compromis qui, selon la professeure Dawood, renforceraient la légitimé des recommandations que le comité est appelé à formuler.
Y a-t-il, dans ce que je viens de dire, ou dans le passage tiré de l'essai de M. Harper et de M. Flanagan, quelque chose qui vous paraisse déplacé?
Je vais m'adresser en premier à M. Broadbent, puis à M. Charbonneau.
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Je voudrais d'abord revenir sur l'idée de dictature.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les spécialistes de la question ont constaté que notre système parlementaire permet que le pouvoir soit de plus en plus centralisé au sein du bureau du premier ministre. Cela est vrai non seulement du Canada, mais également du Royaume-Uni et d'autres pays du Commonwealth.
Il est vrai que notre système permet une telle centralisation, que facilite par ailleurs le scrutin uninominal à un tour et la virulence du débat politique. Cela est favorisé par le modèle parlementaire de Westminster avec le parti au pouvoir siégeant d'un côté, et les partis d'opposition de l'autre. D'autres pays démocratiques ont opté pour l'hémicycle, les partis siégeant côte à côte plutôt que face à face.
Je suis porté à convenir avec M. Harper lorsque, dans une envolée lyrique, il parle de dictature. Notre système repose sur un certain nombre de principes — les droits garantis par la Charte, notamment —, mais notre système laisse effectivement la place à l'exercice d'une volonté politique et dans notre système, le premier ministre dispose d'un pouvoir excessif.
La plupart des personnes qui ont pris la parole devant votre comité, dont moi et M. Charbonneau, reconnaissent qu'une réforme de notre régime électoral aurait notamment l'avantage d'aboutir à une vie politique plus consensuelle. Le premier ministre n'exercerait plus le pouvoir direct dont il jouit actuellement. Pour gouverner, il lui faudra vraisemblablement procéder davantage par consensus et s'entendre avec au moins un autre parti.
Dans le même article, s'il s'agit bien de celui que j'ai lu, M. Harper et M. Flanagan prônent une forme de représentation proportionnelle. Ils estiment en effet que ce type de régime électoral a notamment pour avantage d'atténuer le pouvoir centralisateur du premier ministre. Cela me semble en effet souhaitable.
Je répète que je félicite l'actuel de son initiative en ce domaine, et j'ose espérer qu'il saisit bien les conséquences qu'entraînera la forme plus consensuelle de gouvernement qui pourrait résulter d'une recommandation de votre comité tendant à réduire le pouvoir surcentralisateur dont jouit actuellement notre premier ministre.