Bonjour, chers collègues. Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue aux témoins d'aujourd'hui.
Nous accueillons trois témoins: le professeur Eric Maskin, Peter John Loewen et Jean-Sébastien Dufresne.
[Français]
Si vous me le permettez, je vais prendre quelques secondes pour vous faire part de leurs notes biographiques. Je vais commencer par celles de M. Dufresne.
Jean-Sébastien Dufresne est président du Mouvement Démocratie Nouvelle, un organisme non partisan qui oeuvre à promouvoir l'adoption de la représentation proportionnelle au Québec en réalisant des campagnes d'éducation populaire.
Monsieur Dufresne détient une MBA en développement économique des collectivités et a récemment été nommé l'un des 30 individus les plus performants parmi les moins de 30 ans par le Journal de Montréal en raison de son impact sur le monde des affaires.
Bienvenue, monsieur Dufresne.
[Traduction]
Le professeur Eric Maskin est économiste et professeur à l'Université Harvard. En 2007, il a reçu le Prix de la Banque de la Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel pour avoir jeté les bases nécessaires à une théorie des mécanismes d'incitation. Il a aussi contribué de façon considérable à la théorie des jeux, à la théorie des contrats, à la théorie des choix sociaux et à l'économie politique ainsi qu'à d'autres domaines de l'économie.
En tant qu'ancien étudiant en économie, je connais certaines de ces notions. Nous avons hâte d'en apprendre un peu plus durant votre témoignage.
M. Maskin est un ancien boursier postdoctoral à l'Université Cambridge et il a déjà été membre du corps professoral du MIT et de l'Institute for Advanced Study à Princeton, au New Jersey.
Bienvenue, et merci d'être venu nous rencontrer à Ottawa.
M. John Loewen est professeur agrégé en sciences politiques à l'Université de Toronto. Il a rédigé son mémoire sur le comportement politique à l'Université de Montréal. Il a récemment coécrit un livre intitulé The Behavioural Foundations of Partisanship, Participation, and Political Preferences in the Anglo-American Democracies. Il reçoit fréquemment des bourses et des récompenses du Conseil de recherches en sciences humaines dans le cadre de ses travaux sur le comportement politique.
Parmi ses affiliations professionnelles, mentionnons le fait qu'il est membre associé du Centre pour l'étude de la citoyenneté démocratique de l'Université McGill et du Centre for Public Opinion and Political Representation de l'Université Simon Fraser, rédacteur adjoint de la Revue canadienne de science politique et membre du groupe Experiments in Governance and Politics, aussi appelé EGAP.
Voici rapidement, de quelle façon nous allons procéder: chaque témoin aura 10 minutes pour présenter une déclaration, puis, il y aura deux séries de questions. Durant chacune des séries, chaque membre aura cinq minutes pour s'adresser aux témoins. Ces cinq minutes incluent le temps pour poser les questions et y répondre.
Si, pour une raison ou une autre, une question est posée alors que quatre minutes et demie sont écoulées et qu'il ne reste pas assez de temps pour répondre — situation qui se produit assez souvent — cela ne signifie pas que vous ne pourrez pas répondre plus tard lorsque vous aurez à nouveau la parole. Nous sommes très flexibles à ce propos. Si vous voulez aller au bout de votre pensée tandis que vous répondez à une question à un autre moment, n'hésitez pas à le faire.
[Français]
Nous allons commencer par M. Dufresne.
Vous avez la parole et vous disposez de dix minutes.
:
D'accord. Merci. Nous les respectons beaucoup, car ils ont effectivement un très gros travail à faire.
Je soulèverai les quatre points sur lesquels va porter ma présentation d'aujourd'hui. Je vais d'abord vous présenter brièvement le Mouvement Démocratie Nouvelle. Je vais aussi vous parler de l'état de la mobilisation de la société civile au Québec. Je vous ferai part par la suite de quelques constats que nous faisons au sujet des multiples consultations publiques qui se sont tenues au Québec. Finalement, je vous ferai part de notre vision du processus qui pourrait parvenir à une réforme électorale au palier fédéral.
Tout d'abord, le Mouvement Démocratie Nouvelle, ou MDN, est une organisation citoyenne non partisane, ou plutôt « transpartisane », puisqu'elle rejoint des citoyens et des citoyennes de différents horizons politiques. Elle rejoint aussi des gens de différents domaines d'activité, notamment ceux de l'éducation, des syndicats et des entreprises. Ce sont tous des bénévoles qui s'impliquent dans la cause de la réforme électorale. J'en suis moi-même un.
Dans la vie de tous les jours, je suis entrepreneur de même que président d'une agence de représentation d'éditeurs sur la scène internationale. Je ne suis donc pas un spécialiste des modes électoraux, ni un universitaire ou un professeur. Je suis toutefois un citoyen qui s'implique dans la cause de la réforme électorale au même titre que mes autres collègues.
Le MDN a été créé en 1999 à la suite d'un renversement de la volonté populaire survenu au Québec en 1998, soit lorsque le Parti québécois a formé le gouvernement alors que le Parti libéral est arrivé premier en ce qui a trait aux intentions de vote. Notre organisation a alors regroupé plusieurs acteurs de la société civile et a participé à plusieurs consultations publiques au Québec. En 2003, il y a eu notamment les états généraux sur la réforme des institutions démocratiques, auxquels ont participé 1 000 citoyens de toutes les régions du Québec.
En 2006, une commission parlementaire a été chargée d'étudier un avant-projet de loi libéral qui portait sur un système proportionnel mixte compensatoire. Il y a eu plus de 2 000 interventions, et 86 % de ces gens ont rejeté le statu quo et ont demandé une réforme électorale.
En 2007, il y a eu, entre autres, un rapport du directeur général des élections du Québec sur le système proportionnel mixte compensatoire. Près de 20 000 personnes ont alors signé une pétition, qui a été déposée à l'Assemblée nationale du Québec. À toutes ces étapes, le MDN a mobilisé des acteurs sociaux pour participer à un processus délibératif. En quelque sorte, le MDN est un catalyseur des forces vives de la société civile, qu'il s'agisse des organisations du milieu syndical, des jeunes, des femmes, des étudiants ou des gens du milieu communautaire. Les principaux acteurs de la société civile ont été interpellés dans le cadre de ces travaux.
On parle d'organisations qui représentent près de deux millions de Québécoises et de Québécois, soit le tiers des électeurs au Québec. On parle vraiment d'un processus délibératif. Ces organisations ont adopté des positions au sein de leurs instances et ont engagé un dialogue avec leurs membres sur cette question. Cela s'est fait au cours de plusieurs décennies au Québec. Ce n'est donc pas un enjeu qui est nouveau.
On peut dégager de grands constats de toutes ces consultations et travaux du MDN. Bien entendu, comme plusieurs témoins vous l'ont dit, le système doit être changé. Il y a un consensus clair à ce sujet. Il y a une préférence unanime pour un modèle à finalité proportionnelle. Ainsi, tout ce qui a trait au scrutin majoritaire à deux tours et au vote préférentiel a été évacué des avis qu'on a reçus de la part des principaux acteurs de la société civile. En fait, il s'agit de trouver une solution appropriée dans un contexte où les partis politiques — il faut bien le dire — reçoivent tous un appui minoritaire dans notre société. Un système à finalité proportionnelle nous apparaît donc le mieux indiqué.
Nous avons même révisé les principes qui guident nos démarches. Ce printemps, nous avons mené une démarche impliquant les principaux acteurs de la société civile ainsi que l'ensemble des partis politiques provinciaux, y compris le Parti libéral du Québec. Plusieurs principes importants en sont ressortis.
D'abord, il est ressorti que toute réforme devrait refléter le plus possible le vote populaire. On parle bien sûr d'une finalité proportionnelle.On a par la suite établi qu'il fallait assurer un lien significatif entre les électeurs et les électrices et les personnes élues. On a également soulevé l'importance de viser une représentation équitable des régions, ou du moins, de préserver leur poids politique. Cela semble être un élément très important. Par ailleurs, il faut favoriser la stabilité du gouvernement. Comme d'autres témoins vous l'ont dit, il existe à l'étranger des mesures pour encadrer les motions de censure afin d'éviter des renversements de gouvernement trop rapides dans des cas de modèles proportionnels.
De plus, il est ressorti qu'il faudrait offrir un système accessible quant à sa mise en pratique et à sa compréhension. Cela semble important pour les citoyens et les citoyennes. Contribuer à une meilleure représentation des femmes, des jeunes et des communautés ethnoculturelles est un élément qui est revenu massivement dans tous nos travaux.
Le MDN participe aussi, à l'échelle fédérale, à l'Alliance pour que chaque électeur et électrice compte. Celle-ci regroupe des acteurs de partout au Canada. Ses principes rejoignent sensiblement ceux que je viens d'énoncer.
Vous avez entendu plusieurs objections au cours des dernières semaines. Des personnes ont soulevé des préoccupations concernant le lien de confiance entre les citoyens et les élus, le risque de créer deux classes de députés dans les systèmes mixtes, les doubles candidatures, la prolifération des partis et l'obligation de rendre des comptes. Les personnes venues présenter leurs travaux se fient à des données probantes et à des études empiriques sur ce qui se fait au plan international. Or on voit clairement que ces préoccupations n'ont pas cours là où l'on expérimente depuis des années, voire des décennies, des systèmes à finalité proportionnelle.
Il y a quelques semaines, une activité a eu lieu à Montréal. On y a invité des organisations du genre de la nôtre, mais provenant de divers pays, afin qu'elles partagent leur expérience en matière de réforme électorale. Les organisations qui provenaient d'un pays de tradition britannique étaient toutes en faveur d'un système à finalité proportionnelle. Nous n'avons trouvé aucune organisation qui militait en faveur du maintien d'un système majoritaire uninominal à un tour ou qui, dans d'autres pays, militaient en ce sens. Cela n'existe pas à l'échelle internationale.
J'aimerais maintenant vous faire part de notre position sur le processus à suivre pour parvenir à une réforme électorale. Pour nous, il est très important que tout processus ait comme première considération la légitimité que cela peut représenter pour les citoyens et les citoyennes. Selon nous, il est important que la population puisse s'exprimer, mais il faut aussi lui permettre de le faire en faisant un choix avec confiance. Elle doit pouvoir s'exprimer en toute connaissance de cause. Nous croyons que la meilleure façon d'y arriver est de permettre à la population de voir comment fonctionne un système alternatif. L'idée est que les gens puissent prendre connaissance aussi bien des avantages que des inconvénients de toute solution proposée. Par la suite, après deux ou trois élections, il faudrait consulter la population, par voie référendaire ou autrement, pour vérifier si elle préfère maintenir le système proposé ou revenir au système précédent. Selon nous, cela permettrait aux citoyens et aux citoyennes de faire un choix en toute confiance.
Comment en arriver aux propositions? Des commissions d'experts pourraient se pencher sur les divers modèles existants, et ce, afin de déterminer lesquels cadrent le mieux avec les principes que favorise la population. Il pourrait aussi y avoir un jury formé de citoyens. Ceux-ci pourraient donner leur avis sur les recommandations du comité de façon à permettre de les appliquer dès les élections suivantes.
En conclusion, je crois que vous avez ici une occasion unique de réaliser un vrai projet de société, un projet qui peut marquer l'histoire du Canada et dont vont bénéficier les générations à venir. Vous avez le pouvoir sinon le devoir de faire en sorte que plus un seul Canadien ou Canadienne ne doute de la valeur de son vote. Selon nous, quand la démocratie l'emporte, peu importe quel parti forme le gouvernement, c'est l'ensemble des citoyens et des citoyennes qui en ressort gagnant.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup. Je tiens aussi à vous remercier de m'avoir invité ici ce matin.
Pour commencer, je vais mentionner cinq problèmes importants liés au système uninominal majoritaire à un tour, le mode de scrutin actuellement utilisé dans le cadre des élections fédérales.
Le premier problème, c'est que, souvent, un député qui représente une circonscription électorale a été élu par une minorité, en ce sens que la plupart des électeurs de sa circonscription n'ont pas voté pour lui.
Deuxièmement, le système uninominal majoritaire à un tour provoque souvent une grave incohérence au sein du Parlement, et j'entends par là que le parti de la majorité a souvent reçu bien moins que la majorité des votes. Par exemple, en 2011, le Parti conservateur a obtenu 53,9 % des sièges, mais seulement 39,6 % des votes. Il y a de nombreux exemples de telles incohérences.
Troisièmement, souvent, on élit le mauvais candidat dans une circonscription. Je vous expliquerai ce que j'entends exactement par là dans une minute.
Quatrièmement, les électeurs sont en quelque sorte privés du droit de vote s'ils votent pour un candidat qui n'est pas populaire, un candidat qui est peu susceptible de remporter les élections. Si les candidats A et B sont les candidats qui ont une réelle chance de gagner et que je vote pour le candidat C, alors, en fait, je ne peux pas participer au choix qui importe vraiment et je perds mon vote. Je pourrais bien sûr voter de façon stratégique, c'est-à-dire voter pour les candidats A ou B, et ce, même si je préfère le candidat C, mais le vote stratégique en lui-même est problématique pour des raisons sur lesquelles je reviendrai peut-être durant la période de questions.
Cinquièmement, ce système peut pousser les candidats et les partis peu populaires à ne pas se présenter. Par exemple, supposons que je suis un candidat de droite en désaccord avec le Parti conservateur sur certaines questions politiques importantes. Je peux hésiter à me présenter, parce que, si je me présente, je cours le risque de diviser le vote de la droite, aidant peut-être ainsi à élire un candidat de gauche. Pour cette raison, je peux décider délibérément de ne pas me présenter, même si cette décision non seulement me prive d'une candidature aux élections, mais prive aussi l'électorat d'une autre voix politique.
Ce sont, selon moi, cinq graves problèmes associés au système uninominal majoritaire à un tour.
Eh bien, il s'avère qu'il y a un mode de scrutin simple qui permet de régler ces cinq problèmes. En fait, il y a un seul mode de scrutin qui permet de les régler tous les cinq: la règle de la majorité.
Selon la règle de la majorité, les électeurs ne votent pas simplement pour un candidat: ils peuvent classer les candidats. Le candidat A est le meilleur, le candidat B arrive deuxième, et ainsi de suite. Le candidat gagnant est celui qui est préféré par une majorité, selon les classements, par rapport à chacun de ses adversaires. Ce candidat est celui qui a vraiment remporté la majorité puisqu'il l'emporterait sur chacun de ses adversaires s'ils devaient s'affronter en tête à tête.
J'ai préparé une diapositive pour illustrer cette situation. Imaginons que l'électorat se divise en trois groupes différents: 40 % de l'électorat préfère le candidat A, puis le candidat B, et ensuite le candidat C; 35 % de l'électorat préfèrent le candidat C, puis le B, et ensuite le A; et les autres 25 % préfèrent le B, puis le C, et ensuite le A. Ce n'est qu'un exemple qui ne correspond à aucune situation réelle.
Que se passe-t-il selon la règle de la majorité? Conformément à la règle de la majorité, le candidat B l'emporte à la majorité sur le candidat A parce que le groupe du milieu, celui des 35 %, préfère le candidat B au candidat A, et que le groupe à la droite, celui des 25 %, préfère le candidat B au candidat A. Le candidat obtient une majorité de 60 %.
Le candidat B l'emporte aussi sur le candidat C à la majorité parce que le premier groupe, le groupe des 40 %, préfère le candidat B au candidat C, et le troisième groupe, le groupe des 25 %, préfère le candidat B au candidat C, ce qui donne 65 %. Par conséquent, le candidat B est celui qui l'emporte vraiment à la majorité.
Examinons maintenant ce qui se passe dans le système uninominal majoritaire à un tour. Dans le cadre de ce système, les électeurs votent pour un seul candidat. On peut présumer que les gens dans le premier groupe voteront pour le candidat A, les gens dans le deuxième groupe, pour le candidat C, et les gens dans le troisième groupe, pour le candidat B. Le candidat A l'emportera parce 40 % est le pourcentage de votes le plus élevé. On élit ainsi le mauvais candidat. Le candidat A est élu dans le système uninominal majoritaire à un tour, mais une majorité d'électeurs, 60 %, lui préfère le candidat B. Et en fait, dans cet exemple, une majorité d'électeurs préfère aussi le candidat C au candidat A, alors le candidat A est un très mauvais choix du point de vue de la volonté de la majorité.
La règle de la majorité règle les cinq problèmes que j'ai décrits parce que le gagnant représente une majorité d'électeurs
L'un des problèmes au Canada, c'est la différence entre la proportion de sièges remportés par le parti majoritaire au Parlement et la proportion de votes obtenus. Cette différence disparaîtrait très probablement si on applique la règle de la majorité, parce que le parti majoritaire aurait ainsi remporté une majorité dans chaque circonscription remportée.
De plus, les électeurs qui préfèrent un candidat moins populaire ne seront pas privés de leur droit de vote s'ils classent le candidat en question en premier, parce que, s'il y a deux autres candidats qui ont de réelles chances de l'emporter, ils peuvent avoir leur mot à dire dans la lutte entre ceux-ci en les classant un au-dessus de l'autre dans leur liste. Les électeurs sont ainsi vraiment encouragés à voter selon leurs convictions profondes.
Enfin, un candidat de droite qui est en désaccord dans une certaine mesure avec le Parti conservateur, ou un candidat de gauche qui est en désaccord dans une certaine mesure avec le NPD, n'a pas à s'inquiéter de la division du vote à droite ou à gauche en s'affirmant parce que, pour prendre l'exemple des conservateurs, les électeurs de droite sont susceptibles de placer ce candidat et le candidat conservateur au-dessus du candidat de gauche. Il n'y a donc pas de division du vote.
Pour ces cinq raisons, j'affirme que la règle de la majorité est un mode de scrutin de loin supérieur au système uninominal majoritaire à un tour. Je ne propose pas l'adoption d'un système proportionnel. Je serais heureux d'en discuter durant la période des questions, mais je n'en parlerai pas ici parce que, de toute évidence, il s'agirait d'un changement beaucoup plus radical vu le système électoral actuel.
Merci beaucoup.
Faut-il changer le mode de scrutin au Canada? C'est la principale question que se pose actuellement le Comité. À mes yeux, le Comité a déterminé qu'une réforme est inévitable, ce qui est apparent vu la réticence de la plupart des partis à envisager de tenir un référendum sur tout système proposé, puisque les référendums sont difficiles à gagner. Ce l'est peut-être aussi à la lumière des témoignages présentés au Comité. En effet, même s'il y a eu des témoignages très variés et très informatifs fondés sur des données probantes, ce qui est rafraîchissant, peu ont défendu le maintien du statu quo.
Aujourd'hui, j'espère formuler quatre observations, et mon objectif global en procédant ainsi est de donner à réfléchir aux membres du Comité et à leurs collègues. Il est à souhaiter que vous accorderez le même poids aux forces et faiblesses connues de notre système actuel qu'aux avantages et désavantages connus et inconnus des autres modes de scrutin.
Mes quatre observations sont les suivantes: premièrement, la réforme électorale présente certes des avantages potentiels, mais ils sont limités; deuxièmement, les désavantages de la réforme électorale sont inconnus et pourraient être substantiels; troisièmement, la démocratie canadienne fonctionne bien actuellement — en fait, je l'espère —; et quatrièmement, nous pourrions dès maintenant corriger la plupart des problèmes qui affectent notre démocratie sans en modifier de fond en comble les institutions.
À la lumière de ces quatre observations, le Comité ne devrait pas opter pour une réforme en profondeur de notre système électoral. Je fais plutôt valoir qu'il devrait envisager et recommander des réformes plus limitées et ciblées, qui pourraient permettre de régler les problèmes de notre système politique actuel.
Ma première observation, c'est que la réforme électorale présente certes des avantages potentiels, mais ils sont limités. Les meilleures preuves à cet effet sont les nombreuses études transnationales très bien conçues qui tentent d'isoler et de cerner les répercussions empiriques des systèmes électoraux sur divers résultats d'intérêt. La conclusion fondamentale, à la lumière du témoignage qu'André Blais a déjà présenté, c'est que la participation électorale dans le cadre des systèmes de représentation proportionnelle est plus élevée, mais que, en moyenne, elle n'augmente que de trois points de pourcentage. Les citoyens ont aussi l'impression que les élections sont plus justes dans le cadre d'un tel système. Voilà pour les avantages.
Par ailleurs, les systèmes de RP n'éliminent pas le besoin de voter stratégiquement ni le taux de votes stratégiques: ils ne mènent qu'à un type différent de vote stratégique. En d'autres mots, ces systèmes exigent d'autres compromis des électeurs. Ce qui est encore plus important, c'est que même si les systèmes de RP ont peut-être pour effet d'élargir la représentation, ils n'ont pas pour effet d'améliorer la concordance entre les résultats stratégiques et les préférences des citoyens. Ce que Blais n'a pas mentionné, Leslie Seidle et d'autres l'ont souligné dans leur exposé, soit que la réforme électorale permettrait probablement d'accroître l'équilibre des sexes au sein de notre Parlement, ce qui, d'après moi, est un avantage évident et absolu.
D'après mon interprétation de la documentation, les affirmations concernant un meilleur rendement économique, une meilleure gestion budgétaire et de meilleures politiques sont probablement attribuables à d'autres facteurs que le système électoral en tant que tel. Bien sûr, les défenseurs des systèmes de RP feront peut-être valoir que de telles études sous-estiment dans une certaine mesure les avantages ou les répercussions positives de la RP. Je crois qu'il est raisonnable de s'opposer ainsi et d'affirmer que les estimations économétriques transnationales ne disent pas tout. Il serait plus raisonnable de prendre en exemple un pays très similaire au nôtre où des changements ont été apportés au système électoral pour ensuite observer les résultats avant et après la réforme relativement à plusieurs indicateurs d'intérêt. En procédant ainsi, nous pourrions peut-être avoir quelque chose à dire sur la façon dont la réforme électorale peut changer la vie politique d'un pays.
La Nouvelle-Zélande est, bien sûr, un bon exemple, et cela, pour des raisons évidentes: elle partage la même histoire coloniale que le Canada et elle a une longue tradition ininterrompue de gouvernance démocratique, et le pouvoir y alternait traditionnellement entre un petit nombre de partis uniques qui formaient régulièrement des gouvernements majoritaires. Or, en 1996, après une série de référendums, la Nouvelle-Zélande a adopté un système mixte proportionnel, dans le cadre duquel elle a depuis tenu sept élections.
Je renvoie les lecteurs intéressés à mes observations écrites, dans lesquelles j'examine de plus près les données, mais je m'en tiendrai ici aux principaux résultats: la réforme électorale a effectivement permis d'accroître le nombre de partis en Nouvelle-Zélande, tant le nombre de partis « effectifs », qui se présentent aux élections, que le nombre de partis qui remportent des sièges. Il s'agit d'un résultat sans équivoque. La réforme a aussi permis d'accroître légèrement le nombre moyen de partis au gouvernement, même s'il semble maintenant que les gouvernements unipartites sont la norme. De toute évidence, la réforme n'a pas mené à la création de grandes coalitions générales après les élections. Elle n'a pas eu pour effet d'augmenter la participation électorale ni même de freiner le déclin de la participation aux élections en Nouvelle-Zélande. En outre, la réforme n'a pas accru le taux de satisfaction des citoyens à l'égard de leur système démocratique. Au contraire, ces résultats semblent avoir diminué depuis l'adoption du nouveau système. Le nombre de femmes élues durant les dernières élections n'est que de cinq points de pourcentage supérieur au nombre de femmes élues durant les dernières élections canadiennes.
Pour ce qui est des résultats importants, il y a plus de différences entre les pays qui partagent un même système électoral qu'entre les moyennes des divers systèmes électoraux. En bref, les systèmes de RP améliorent certains résultats, mais sont loin d'être une panacée.
Ma deuxième observation concernait le fait que la réforme peut entraîner certains désavantages ou, du moins, qu'elle est susceptible d'avoir certaines répercussions indésirables d'un point de vue normatif. Il reviendra au Comité de déterminer si ces résultats sont peu souhaitables d'un point de vue normatif, mais il y a bien certaines répercussions probables.
Premièrement, la réforme pourrait avoir pour effet de donner un rôle peut-être permanent aux petits partis régionaux. Je me ferai un plaisir de vous en dire plus à ce sujet.
Deuxièmement, les petits partis pourraient avoir une influence excessive au sein du gouvernement. S'il est inadmissible qu'un seul parti détienne 100 % du pouvoir gouvernemental en ayant obtenu 40 % des votes, pourquoi serait-il acceptable qu'un parti ayant obtenu 10 % des votes détienne 20 % du pouvoir?
Troisièmement, il y aura plus d'éléments pouvant inciter les acteurs politiques à exploiter les divisions sociales. À ce sujet, certaines données comparatives sont utiles: si nous comparons les 15 pays occidentaux qui comptent les plus importantes populations nées à l'étranger, nous constaterons que, au cours des dernières élections dans chacun de ces pays, la proportion moyenne du vote pour des partis en faveur d'une réduction des niveaux d'immigration légale s'élève à 3,5 % dans les pays qui ont adopté la règle de la majorité. Dans les pays qui misent sur la RP, ce taux monte à 8,7 %. La part moyenne des sièges de tels partis qui veulent réduire l'immigration légale est de 0,1 % dans les pays qui ont adopté la règle de la majorité, mais de 10 % dans les pays qui ont adopté un système de RP.
Enfin, un système proportionnel accroît l'instabilité du gouvernement. En effet, les gouvernements survivent moins longtemps et sont créés plus souvent sans élections. Reste à savoir si cette situation est souhaitable du point de vue normatif, mais la régularité empirique est indiscutable.
Ma troisième observation, c'est que la démocratie canadienne fonctionne bien. D'après ma lecture des témoignages présentés au Comité spécial et des questions posées par les membres, on ne souligne pas assez le bon fonctionnement de la démocratie canadienne.
Bien sûr, on peut s'opposer à bien des éléments qui la composent. Notre pays a connu une domination d'un parti qui n'a d'égale qu'en Suède et au Japon. Nous avons enregistré, à l'instar de la plupart des autres pays, un déclin considérable des taux de participation électorale, bien que la tendance se soit renversée aux dernières élections. Fait peut-être plus important encore, il arrive souvent qu'un parti obtient une majorité bien plus grande que le nombre de voix qu'il a obtenues aux urnes. Aucune de ces observations n'est particulièrement positive et elle se retrouve assurément bien souvent parmi les critiques contre le système actuel.
Ce qu'on mentionne moins fréquemment, ce sont les quatre domaines dans lesquels notre démocratie fonctionne bien.
Premièrement, notre démocratie a donné lieu à plus de 40 élections fédérales et à des dizaines de transitions de pouvoir pacifiques, tant entre des leaders de partis différents qu'au sein d'un même parti. C'est un élément fondamental de la démocratie et c'en est un où le Canada se démarque de la plupart des autres démocraties. En effet, le régime démocratique ininterrompu du Canada figure parmi les plus longs au monde, le pays se classant après quelques autres pays seulement.
Deuxièmement, selon les normes en vigueur à chaque époque, nos élections ont été menées de manière assez libre et équitable, et le droit de suffrage a été établi de manière ouverte. À l'exception du scandale du Canadien Pacifique et des cas négligeables d'achat de votes lors des premières élections de notre histoire, la démocratie canadienne est un modèle de bonne gestion des élections.
Troisièmement, notre démocratie parvient à bien représenter les minorités et les peuples autochtones, surtout si on la compare à celle de nos homologues anglais et américains. En outre, à ce sujet, je vous renvoie à l'observation écrite tirée du témoignage de Leslie Seidle. Du point de vue de l'histoire, nos partis politiques représentent depuis très longtemps la diversité de notre pays, qu'elle soit linguistique, confessionnelle ou ethnique, et ce, sans qu'on ait vu naître des partis expressément ethniques ou confessionnels. Je tiens à souligner que cette représentation s'est maintenue malgré le fait que les peuples fondateurs et, plus tard, les vagues d'immigration aient, à plusieurs moments de l'histoire, considéré que leurs différences étaient trop grandes pour interagir entre eux ou partager un objectif commun. Pour dire les choses sans détour, notre pays rassemble depuis longtemps des éléments nécessaires à l'éclatement d'une crise identitaire. En règle générale, nous avons évité les pires écueils et n'avons rencontré que les moindres.
À ce sujet, on répète souvent que nous ne sommes pas l'Italie ni Israël. Mais cela ne signifie pas que notre pays n'est pas caractérisé par des économies régionales qui se font compétition, par des différences religieuses et ethniques souvent profondes et par les modes de vie différents. Je crois comprendre que les personnes qui formulent cet argument veulent dire que, même si nous avons une population profondément divisée et dysfonctionnelle, notre pays ne l'est pas. En fait, le système électoral actuel pourrait bien être la source de cette stabilité.
Quatrièmement, le Canada protège depuis longtemps les droits des groupes minoritaires. Dans l'histoire récente, cette protection est assurée par la Charte, mais, avant son adoption, des droits ont été accordés aux minorités, souvent pour des raisons électorales. Dans d'autres situations, c'est grâce à la tradition d'inclusion et de coopération, qui constitue la norme au sein d'un parti politique, que ces droits étaient protégés.
Ma quatrième observation, et ce sera ma dernière, c'est qu'il existe des solutions réalistes qui ne nécessitent pas des changements institutionnels fondamentaux pour régler la plupart des problèmes que connaît notre démocratie. J'aimerais encourager le Comité à aborder de manière globale et modeste la réforme dans nos institutions démocratiques.
Notre système actuel comporte effectivement des lacunes: il n'y a pas encore un nombre égal de députés des deux sexes au Parlement; les chefs des partis semblent peut-être avoir trop de poids comparativement aux députés; les membres locaux des partis ne contrôlent pas vraiment la sélection des candidats; et les comités parlementaires sont souvent faibles et n'ont souvent ni le temps ni la capacité pour étudier de manière adéquate des questions stratégiques et en débattre.
Cette liste est loin d'être exhaustive, mais il existe des solutions réalistes pour chacun de ces problèmes sans qu'il soit nécessaire d'apporter des changements de fond à une institution fondamentale. En fait, le Comité et les partis des membres peuvent envisager d'apporter un certain nombre de changements à la procédure parlementaire, au droit administratif et aux règles des partis pour régler certains de ces problèmes, voire tous. Il semble plus justifié d'adopter une approche systématique et progressive face à l'amélioration de nos institutions démocratiques plutôt que de procéder à une réforme de fonds.
Notre système électoral est une institution démocratique centrale. Il existe en parallèle d'une myriade d'autres institutions. Il définit nos politiques non seulement grâce à ses règles, mais grâce aux normes et pratiques qui ont évolué à ses côtés et en son sein. Il est important de réfléchir non seulement aux avantages et inconvénients de la réforme, mais aussi au mérite de notre système actuel. Au bout du compte, il s'agit d'un système qu'il vaut la peine de maintenir.
Merci beaucoup.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Tous les témoins ont été très intéressants, mais je vais poser mes questions à M. Loewen.
Monsieur Loewen, dans une certaine mesure, vos préoccupations reflètent les miennes. Je crois peut-être être moins enthousiaste à l'égard du système actuel que vous l'êtes, mais j'estime que, même si le système actuel n'est pas le meilleur que nous puissions imaginer, ce n'est assurément pas le pire non plus. Je crains que le pire soit en fait un scénario réaliste. Le pire, selon moi, ce serait un système électoral qui permet de prédire le résultat des prochaines élections, c'est-à-dire qu'il permettrait à un parti — ou peut-être deux ou trois partis — d'obtenir de meilleurs résultats que dans le cadre du système actuel, tandis que les autres en obtiendraient de moins bons, même si les électeurs expriment les mêmes préférences.
Agir ainsi en connaissant déjà le résultat du processus reviendrait effectivement à miner systématiquement le droit de vote de certains électeurs ou à en réduire la valeur, tout en augmentant la valeur du vote d'autres électeurs, et ce, de façon prévisible, non pas pour toutes les élections, mais très certainement pour les prochaines. Selon moi, il est là, le problème sous-jacent.
J'ai l'impression que vous voyez les choses comme moi à ce sujet. En plus de ce que vous avez dit aujourd'hui, j'ai aussi noté certaines choses que vous avez déjà écrites.
Cependant, un scénario de rechange a été présenté par l'un de nos témoins d'hier. Ed Broadbent a fait valoir que le fait que plusieurs partis — le Parti vert, le NPD et les libéraux — ont fait la promotion d'un certain type de réforme électorale au cours des dernières élections est suffisant pour légitimiser l'adoption d'un nouveau système. Il a fait valoir que l'approbation de ces partis dans la Chambre des communes constituerait un genre de super majorité et qu'il ne serait donc pas nécessaire d'utiliser un autre type de mécanisme d'approbation pour légitimiser le nouveau système adopté, peu importe ses répercussions.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l'argument selon lequel une majorité multipartite légitimise un système électoral en l'absence de tout autre mécanisme d'approbation?
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Je crois que c'est un argument vicié, et ce, pour deux ou trois raisons.
Premièrement, pour ce qui est des faits, je ne crois pas que les élections ont porté principalement sur la réforme électorale. Je crois que cet enjeu était très, très loin sur la liste des enjeux qui ont eu une incidence sur le vote et sur lesquels les discussions ont porté. Les faits précis dans le cadre des élections me donnent à penser qu'il ne s'agissait pas d'élections dans le cadre desquelles il y a eu beaucoup de discussions.
De façon générale, nous ne menons habituellement pas des élections qui portent sur des enjeux précis. C'est l'exception, et je crois qu'on pourrait faire valoir que c'est une façon valable de tenir des élections. Nous choisissons des dirigeants et des partis, puis nous évaluons leur rendement. En ce qui a trait aux faits associés aux élections, cet argument me convainc.
Deuxièmement, je crois que c'est un changement institutionnel majeur. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une entente en vertu de laquelle il faut soumettre ces changements à un référendum, mais, selon moi, puisqu'il s'agit d'un changement à ce point fondamental et puisque l'intérêt propre des intervenants contaminera assurément dans une certaine mesure le débat — puisque les partis discutent des règles en vertu desquelles ils seront élus —, il serait préférable de prévoir un mécanisme de freins et contrepoids et non pas de laisser tout simplement les partis soumettre cette question au vote.
Troisièmement — et je vais le dire très sans détour si vous me le permettez —, je n'ai pas encore entendu un argument au sujet de l'incapacité des électeurs de prendre une décision durant un référendum qui n'a pas aussi pour effet de condamner les décisions qu'ils ont prises durant les élections. Pour dire les choses autrement, l'électeur simple d'esprit qu'on peut manipuler et facilement confondre et qui, apparemment, ne pourra pas faire un choix éclairé dans le cadre d'un référendum est aussi l'électeur qui a élu tous les membres de la Chambre des communes. Je crois qu'il serait dangereux de commencer à croire que les électeurs sont incapables de prendre des décisions éclairées sur des questions fondamentales.
En bref, je ne crois pas qu'il y a une convention constitutionnelle qui vous empêche de tenir un référendum, mais je crois que, si 60 % des électeurs des dernières élections sont en faveur d'une réforme électorale — ce que vous semblez affirmer —, il sera très certainement aussi facile de remporter un référendum portant sur ce sujet.
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Merci beaucoup de la possibilité que vous me donnez. Laissez-moi formuler deux arguments à ce sujet.
L'un est qu'il y a eu une tentative furtive et — selon moi —, en fin de compte, vaine, d'attiser un sentiment antimusulman au Canada lors des dernières élections. En fin de compte, il est difficile de maintenir ce sentiment lorsqu'en tant que parti, il faut avoir plus d'un enjeu à l'égard duquel remporter la victoire et qu'il faut convaincre les gens d'un grand nombre de circonscriptions du fait qu'on est un candidat pour qui il vaut la peine de voter. Le sentiment est plus facile à maintenir dans les pays où le système électoral est plus permissif. Je ne crois pas que les gens des Pays-Bas, par exemple, soient intrinsèquement plus racistes que les Canadiens, qu'ils soient intrinsèquement plus antimusulmans, mais je constate, par exemple, que le parti de Geert Wilder récolte actuellement une très grande part du vote aux Pays-Bas, en particulier parce qu'il n'a pas à faire face aux difficultés liées au fait de remporter un grand nombre de circonscriptions. Il peut se contenter de séduire un petit groupe de gens aux points de vue franchement intolérants, dans l'ensemble de son pays.
De façon plus générale, je ne veux pas que nous nous occultions les réalisations de notre pays et la mesure dans laquelle il a été difficile de le former. Il fut un temps où, si vous étiez le premier ministre et que vous deviez former un Cabinet au Canada, vous deviez avoir un ministre anglophone et un ministre francophone du Québec. Non seulement cela: vous deviez avoir un ministre anglophone qui appartenait à l'une des Églises principales; vous deviez avoir un ministre anglophone qui était membre de l'Église presbytérienne, par exemple. Vous deviez vous préoccuper de la représentation des Québécois d'origine irlandaise, et vous deviez vous soucier des diversités variées du Québec, sans parler de toutes les autres diversités qui existent dans notre pays.
Notre pays a été formé par des gens qui, à diverses époques, étaient vraiment en conflit les uns avec les autres et qui n'ont aucune mesure de compréhension réciproque. Notre système électoral a créé des incitatifs pour que les partis dissimulent ces différences et, en fait, qu'ils les étouffent et qu'ils intègrent les gens le mieux possible en leur sein. Je pense que cela a beaucoup à voir avec le succès de notre pays. À la base, notre pays n'aurait probablement pas dû fonctionner; pourtant, il l'a fait. C'est peut-être par accident; c'était peut-être un simple coup de chance, ou bien cela a peut-être quelque chose à voir avec le système électoral dont nous étions dotés dans le passé.
Mon dernier argument, je suppose, serait qu'aujourd'hui nous n'avons peut-être pas ce degré d'inimitié sociale, que nous avons des différences qui pourraient être exploitées, mais que, quand je regarde l'émergence de partis anti-immigrants dans d'autres pays autrement industrialisés, je crains que ces divisions puissent être exploitées dans notre propre pays, sans parler des divisions régionales qui existent encore également.
Voilà ce qui me préoccupe.
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Merci, monsieur le président.
J'ai des questions à vous poser à tous, mais je dispose de deux ou trois interventions, alors j'espère que nous aurons certaines occasions d'échanger.
Monsieur Loewen, je pense que je vais commencer par vous.
J'ai aussi sous les yeux quelques commentaires que vous avez formulés. Pour la gouverne de tous les autres, je vais les lire — ils sont très brefs —, puis je vais poser une question fondée sur ces commentaires.
C'était en fait l'été dernier — je pense même que c'était avant la fin des élections —, que vous avez formulé le commentaire suivant, et je cite: « Les personnes qui souhaitent réformer [notre système électoral] devraient le faire dans le cadre d'un mandat clair et disposer de plans détaillés et d'une approbation publique étendue. »
Voici un autre commentaire que vous avez formulé, et je cite:
Quoi qu'on puisse penser des vertus des divers systèmes électoraux — et il y a bien des arguments pour recommander une diversité de systèmes différents —, il semble remarquable que cette décision soit laissée aux comités parlementaires, puis à un simple vote de la Chambre.
J'ai l'impression que votre emploi du terme « remarquable » n'était pas destiné à avoir une connotation positive.
Puis, à la suite des élections, en décembre, vous avez également écrit ce qui suit:
En bref, on ne peut pas faire valoir d'emblée que nous avons besoin d'une réforme pour régler le problème des fausses majorités et que le gouvernement actuel a pour mandat de modifier le système électoral.
Je suis certes d'accord avec vos commentaires. Ils ont été formulés pour de bonnes raisons, mais je me demandais si vous pouviez expliquer de façon un peu plus détaillée — pour le Comité et aux fins du compte rendu — votre raisonnement et en quoi le plan actuel supposant une étude par un comité, puis un vote à la Chambre, c'est — comme vous l'avez dit — « remarquable » et, je le suppose, pas d'une façon très positive.
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... qui est merveilleuse; pourtant, elle a été rejetée par le gouvernement actuel. Je suppose que c'est parce qu'on est en 2016.
Je pense que la question que je vous ai posée au sujet du mandat est importante. Le mandat du Comité — et je vais lire un extrait de la résolution de la Chambre des communes —, c'est de « déterminer et étudier d'autres modes de scrutin, pour remplacer le système majoritaire uninominal à un tour ». Nous ne sommes pas en train de déterminer si nous devrions changer le système ou non; la question, c'est « comment ». Comme vous dites, tous les systèmes supposent des compromis. Comme l'a souligné M. Dufresne — de même que M. Maskin —, il y a certains avantages.
Pour revenir sur ma question au sujet de l'amélioration de la qualité du Canada, je suppose que le fait de défendre le statu quo et de dire que le système fonctionne jusqu'à maintenant ne constitue pas un argument solide en ce sens. Nous n'aurions aucunement réformé la façon dont nous votons au Canada si nous nous étions contentés de compter sur l'idée que le Canada se porte assez bien en ce moment. Les femmes ne voteraient pas, ni les Autochtones, parce que, à ce moment-là, le Canada se portait assez bien. En tout temps, il y a eu des gens pour dire — et je ne laisse pas entendre que vous en faites partie — que les Autochtones ne devraient pas avoir le droit de voter parce que le Canada se porte très bien, et, avant cela, au sujet des femmes, et, entre les deux, au sujet des Canadiens d'origine japonaise.
Je ne considérerai pas cet argument comme une raison de maintenir le statu quo. Je tiens compte de certaines de vos autres positions.
M. Broadbent était ici, hier, et il a affirmé qu'une faiblesse du gouvernement libéral de 1980, c'était que, bien qu'il avait obtenu environ de 23 à 24 % du vote dans l'ouest du Canada, il n'avait pratiquement aucune représentation; pourtant, il envisageait d'apporter un changement draconien à la politique énergétique, à la politique relative au pétrole et au gaz, plus particulièrement. Le premier ministre avait invité M. Broadbent et certains autres intervenants de l'Ouest et du NPD à se présenter au Cabinet —cela n'a pas eu lieu — et a présenté une politique qui n'était pas cohérente pour les Canadiens de l'Ouest.
S'agit-il d'une évaluation juste de ce moment de l'histoire?
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J'ai deux commentaires à ce sujet.
D'abord, tout ce que j'ai à dire en ce qui concerne votre deuxième point, c'est que si vous examinez les données transnationales pour en extraire l'ensemble des points positifs qui sont, en moyenne, plus saillants dans les pays où il y a un système de représentation proportionnelle, alors vous devez également vous pencher sur les points négatifs. À mon avis, il est plus probable que des partis hostiles aux immigrants et à l'immigration légale remportent des sièges lorsqu'un pays très multiculturel a recours à un système de représentation proportionnelle plutôt qu'à un système majoritaire.
En ce qui concerne votre premier point, je crois que vous posez une question normative, une question qui se résume principalement à ce qui suit: imaginez tout un éventail, à la suite des prochaines élections, dans lequel... ce système n'a pas mené à une fragmentation complète en Nouvelle-Zélande. Il y a deux partis principaux, le Parti national et le Parti travailliste, qui continuent de récolter 40 % des votes, environ, à chaque cycle électoral. Toutefois, imaginez une situation où un des partis traditionnellement plus importants remporte 45 % des votes et décide de former un gouvernement de coalition majoritaire avec un parti qui a obtenu 6 % des votes. Grâce à cette coalition, le parti détient la majorité des sièges au Parlement.
Selon la règle de Gamson, cet autre parti devrait disposer d'un pouvoir proportionnel à sa part des sièges. Dans ce cas, pourquoi un parti qui a remporté 5 % des votes aurait-il droit à 10 % du pouvoir au Cabinet? Pourquoi est-ce que cela est préférable à une situation où un parti disposerait de tous les pouvoirs avec seulement 40 % ou 45 % des votes? Il s'agit d'une question normative, et je crois que le Comité devrait l'approfondir, mais le fait est que les gouvernements de coalition sont plus présents avec un système de représentation proportionnelle qu'avec un système majoritaire. Les gouvernements de coalition présentent certains avantages, mais également certains inconvénients, entre autres une responsabilité plus floue et des négociations à huis clos qui ont lieu après ou entre les élections, mais pas avant.
C'est à ce genre de compromis normatifs auxquels il faut s'attendre, et le Comité ferait bien de les étudier. J'attends encore un argument convaincant — et je suis prêt à me laisser convaincre — pour justifier le fait qu'un parti qui a reçu un très petit pourcentage des votes pourrait disposer d'un pouvoir disproportionné au Cabinet, simplement parce qu'il fait partie d'une coalition. Il faut aussi justifier pourquoi cela est souhaitable, car ce ne l'est peut-être pas, n'est-ce pas? Je n'ai toujours pas entendu d'argument pour justifier cela, et ce scénario est plus probable dans un système de représentation proportionnelle que dans un système majoritaire.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Ma question s'adresse au professeur Maskin, mais avant de la poser, je vais prendre quelques minutes pour faire une introduction.
Aux dernières élections, le Parti libéral nous a dit que 2015 serait la dernière élection avec le « first-past-the-post system », qui est le mode de scrutin utilisé depuis 149 ans. Le mandat de ce comité est d'explorer les différentes options qui s'offre à lui.
Dès le début, M. Arend Lijphart nous a donné des explications sur les deux grandes familles de mode de scrutin qui existent, soit la famille majoritaire et la famille consensuelle ou proportionnelle. En fait, le vote alternatif que vous proposez aujourd'hui fait partie de la même famille que le mode de scrutin actuel dont on veut se débarrasser — c'est la promesse qu'a faite le gouvernement libéral —, car il crée des distorsions et de fausses majorités.
J'ai bien l'impression que le mode de scrutin alternatif que vous nous proposez est une autre manière de créer une majorité. Il pose toutefois des problèmes pour les gens comme nous qui veulent que le Parlement représente les choix et les voix des citoyens et des citoyennes. Le seul exemple connu dans une démocratie occidentale avec lequel on peut faire une comparaison est celui de l'Australie. Dans ce pays, le système de vote alternatif crée un bipartisme très puissant qui écrase les voix des citoyens qui ne votent pas pour ces grands partis.
Laissez-moi vous donner l'exemple des quatre dernières élections en Australie. Dans ce pays, il y a la Coalition nationale et le Parti travailliste. Ensemble, en 2016, ces deux partis ont eu 97 % des députés, en 2013, 97 %, en 2010, 96 %, et en 2007, 99 %. Il y a une distorsion de 15 % à 25 % des voix exprimés par les citoyens et les citoyennes.
C'est un peu comme si, dans votre système, quelqu'un dont le premier choix est le Parti vert, sachant que celui-ci ne sera probablement pas élu, décidait de voter pour le NPD comme deuxième choix, libéral comme troisième choix et conservateur comme quatrième choix, parce que c'est ce dernier parti qu'il veut éviter à tout prix. Il y aurait de bonnes chances qu'il se retrouve avec un député libéral, qui n'est ni son premier ni son deuxième choix.
Supposons que vous alliez chez un concessionnaire pour y acheter une voiture. Votre premier choix est une voiture électrique. On vous dit que c'est une très bonne idée, mais que ce n'est pas possible. Alors, vous décidez d'acheter une voiture hybride. On vous dit que ce serait intéressant aussi, mais qu'il n'y en a aucune qui est disponible pour le moment. Comme vous ne voulez pas avoir un VUS, vous choisissez une camionnette comme troisième choix, mais ce n'est pas ce que vous êtes allé chercher et vous ne voulez pas d'une camionnette. Pourquoi un électeur devrait-il se retrouver avec une camionnette alors qu'il n'en veut pas?
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Merci, monsieur le président.
Après avoir entendu divers experts, il est clair pour nous que tout système électoral induit un biais quant au vote stratégique. Il s'agit de valeurs. À partir des valeurs que l'on privilégie, on fait un choix. Tous les systèmes comportent des inconvénients.
Pour ma part, quelque chose m'irrite un peu. On peut s'attendre d'un mode de scrutin qu'il ne gomme pas la réalité et la dynamique politiques réelles d'un territoire donné. La ministre ou mon collègue de droite prétendent qu'en ce qui a trait à 1993, c'est l'une des raisons pour lesquelles il faudrait changer le mode de scrutin, et ce, parce que cela a entraîné du régionalisme.
En fait, c'est peut-être heureux que cela soit arrivé. C'est peut-être en effet le seul avantage que le système actuel ait eu dans l'histoire du Canada. Après l'échec de Meech et celui de Charlottetown, cela a pu faire en sorte que, lors de ces moments importants de l'histoire québécoise et canadienne, les deux voix exprimées soient refléter au Parlement.
Si on veut réduire à une région géographique la réalité québécoise, je pense qu'on se trompe. En 1867, lors des discussions qui ont mené à l'établissement de notre parlementarisme, les Pères de la Confédération ont précisé qu'il ne fallait pas oblitérer l'identité nationale du Bas-Canada. Si on veut un mode de scrutin sur mesure au Canada, il faudrait qu'on me dise de quel Canada on parle. Est-ce celui d'après 1982 ou celui de 1867?
Cela dit, lorsque je vous entends parler du pluralisme idéologique, je constate qu'il y a un problème. Vous dites qu'il y aura un écart et qu'un petit parti pourrait former le gouvernement avec un noyau plus grand. Or c'est cela, le pluralisme idéologique. Il se peut que ce dernier soit ce que choisit la population pour que, de façon claire, elle puisse aussi accéder à la gouvernance. Si un petit parti représente les gens qui ont voté pour lui et si sa plateforme électorale est compatible avec un projet de loi que le plus grand parti ayant le plus de voix veut mettre en vigueur, je ne vois pas en quoi cela est un problème sur le plan mathématique.
Or le pluralisme idéologique ne se réduit pas à des mathématiques. Je pense qu'il faut dépasser cela. Je sympathise avec le Mouvement Démocratie Nouvelle, mais je ne comprends pas que son représentant ait « patiné » à deux reprises lorsqu'il était question de mettre la population dans le coup. À mon avis, pour que la population ait confiance, il faut qu'elle soit dès maintenant partie prenante de la décision. De cette façon, elle pourrait agir à titre d'arbitre pendant quatre ans. On pourrait alors dépasser le caractère partisan ainsi que l'aura des experts et des initiés.
Monsieur Dufresne, vous représentez des initiés. C'est parfait pour notre démocratie, parce que vous allez nous éclairer. Par contre, quand je vais dans la rue et que je visite les gens, ils n'ont aucune idée de ce que nous faisons ici. Notre mandat est de les consulter et non de décider à leur place. Certains experts nous ont dit — et je caricature à peine ces propos — que la démocratie était trop importante pour la laisser entre les mains du peuple.
En ce qui me concerne, je pense que vous devriez revoir votre position. Même si nous sommes pressés par le temps, nous n'arriverons à rien et nous resterons chacun dans notre camp. La réforme n'aboutira à rien si nous ne mettons pas la population dans le coup, et pour la mettre dans le coup, il faut la laisser trancher la question.