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Bonjour à toutes et à tous. Je vous souhaite la bienvenue à la 15
e séance du Comité spécial sur la réforme électorale.
Trois témoins sont avec nous ce matin, soit le professeur Barry Cooper, le professeur Emmett Macfarlane et la professeure Nicole Goodman.
Comme d'habitude, les témoins auront chacun 10 minutes pour faire leur présentation. Je tiens à préciser qu'après les présentations, il y aura deux périodes de questions. À chaque période, tous les députés auront l'occasion d'intervenir. Leur intervention peut durer jusqu'à cinq minutes, mais cela comprend les réponses aux questions. Si un intervenant n'a pas le temps de compléter ses propos, il pourra toujours faire des commentaires la prochaine fois qu'il aura la parole.
[Traduction]
Ne vous inquiétez pas; vous pourrez répondre à la question la prochaine fois que vous aurez le micro. Nous ne serons privés d'aucune information ni d'aucune réflexion simplement à cause d'une limite de cinq minutes.
Si vous me le permettez, je voudrais prendre quelques instants pour présenter nos témoins.
Comme je l'ai mentionné, nous accueillons Barry Cooper, qui est ancien agrégé supérieur de l'Institut Fraser et qui a enseigné aux universités Bishop, McGill, York et de Calgary au cours des 25 dernières années. M. Cooper a étudié la philosophie politique occidentale, la politique canadienne et les politiques publiques. Il étudie les travaux de philosophes politiques concernant des enjeux contemporains, plus particulièrement la place de la technologie et des médias dans la société canadienne, le débat sur le statu quo constitutionnel du Québec ainsi que la défense canadienne et les problèmes de sécurité.
M. Cooper a écrit, dirigé ou traduit près de 30 livres et rédige une chronique régulière dans le Calgary Herald.
[Français]
M. Emmett Macfarlane est professeur adjoint de sciences politiques à l'Université de Waterloo. Ses travaux de recherche portent présentement sur les réponses législatives aux décisions des tribunaux et sur la Constitution. Il a également conseillé le gouvernement du Canada sur le processus de réforme du Sénat. Ses travaux ont été publiés dans l'International Political Science Review, la revue Administration publique du Canada, la Revue canadienne de science politique et la Supreme Court Law Review.
[Traduction]
Nicole Goodman occupe le poste de directrice du Centre for e-democracy à la Munk School of Global Affairs de l'Université de Toronto et est chargée d'enseignement à l'Innovation Policy Lab de la faculté. Les recherches de Mme Goodman portent principalement sur les conséquences de la technologie numérique sur le comportement politique et sur les politiques publiques, et elle est largement reconnue en tant que grande spécialiste du sujet du vote sur Internet dans un contexte canadien.
Elle a corédigé de nombreux articles universitaires et rapports à l'intention d'organismes de gestion électorale et de gouvernements de partout au Canada, et elle a récemment dirigé une étude des élections municipales en Ontario visant à évaluer les effets de la technologie sur les électeurs, sur les candidats et sur les administrateurs électoraux. En ce moment, Mme Goodman participe à deux projets de recherche financés par le Conseil de recherches en sciences humaines afin de comprendre l'incidence de la technologie de vote numérique et de démocratie électronique sur les municipalités et sur les Premières Nations du Canada.
Bienvenue. Je suis déjà persuadé qu'il s'agira d'un groupe très intéressant et instructif, et que la discussion subséquente ne le sera pas moins.
Je voudrais commencer par M. Cooper; vous avez la parole, pour 10 minutes.
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Tout d'abord, je vous remercie de l'invitation. Je suis toujours heureux de venir à Ottawa, quand la météo est clémente.
Mon enseignement a trait à la philosophie politique et à la guerre, pas aux partis politiques et aux élections, alors mes commentaires refléteront cette optique par rapport à la réalité politique.
La réforme du système électoral modifie l'une des caractéristiques fondamentales du régime, que nous appelons au Canada le gouvernement responsable. Comme des principes fondamentaux sont en cause, je vais devoir faire un peu de science politique, et je m'en excuse à l'avance.
Premièrement, la modification d'éléments fondamentaux signifie qu'on ne peut pas simplement changer le système électoral sans que tout le reste change. Beaucoup de choses vont changer si nous passons du système uninominal majoritaire à un tour dont nous sommes dotés aujourd'hui à l'une des autres formes de représentation proportionnelle, ou RP... Je suis certain que vous l'avez déjà entendu désigner par ce sigle. Le type de RP a aussi de l'importance, mais je n'entrerai pas là-dedans. Voici ce qui est important: la modification du système électoral n'équivaut pas à simplement appliquer une nouvelle couche de peinture.
Deuxièmement, la politique suppose la formation de coalitions — d'intérêts, d'idéologies, de favoritisme personnel, de quoi que ce soit — afin de gouverner. C'est aussi vrai dans le cas des chimpanzés et des bonobos que dans celui des humains.
Les partis séparent les gens dans le sens qu'ils les divisent, mais ils les rassemblent aussi, puisqu'ils cherchent à former des coalitions gagnantes. Quel que soit le système électoral, qu'il s'agisse du système majoritaire ou de la RP, les parties existent pour former des gouvernements; voilà leur but rationnel. Il ne s'agit pas que de promouvoir des intérêts et des idéologies. D'autres organisations que les partis font souvent la promotion d'intérêts et d'idéologies, et ils sont, au sein des partis, souvent subordonnés à la formation d'un gouvernement, mais c'est là que les choses deviennent plus compliquées, car des systèmes électoraux différents incitent les gens à former des types de coalitions différents.
Plus précisément, les systèmes majoritaires incitent les gens à former des coalitions au sein d'un parti afin de remporter une majorité parlementaire. Brian Mulroney l'a fait lorsqu'il a formé sa célèbre coalition de nationalistes québécois et de politiciens de l'Ouest. Sous le régime de la RP, les petits partis, qui pourraient bien représenter des idéologies ou des intérêts — ou, au Canada, une région — n'ont ni la possibilité ni l'ambition de former un gouvernement. Ils veulent faire partie d'une grande coalition afin de promouvoir leur idéologie ou leurs intérêts de cette manière. La gouvernance dans ce système de RP suppose tout de même la formation d'une coalition, mais, maintenant, les partis les forment ouvertement au Parlement au lieu de le faire au sein d'un parti dominant. C'est-à-dire que tous les systèmes de RP incitent les gens à créer des partis fondés sur un seul enjeu dont le programme est comparativement étroit et à former la coalition après les élections.
Rien de cela n'est nouveau. J'ai appris quels étaient les effets des systèmes électoraux durant mes études de premier cycle à l'Université de la Colombie-Britannique, durant les années 1960. Les documents que nous lisions étaient encore plus vieux.
J'ai un dernier élément de science politique à aborder. Nous savons tous que la règle de la majorité dans les élections libres est le fondement de la démocratie, mais, lorsqu'il y a plus de deux choix, il pourrait n'y avoir aucune majorité pour les choix du classement. Ce « paradoxe électoral » — comme on l'appelle — est l'équivalent électoral de « roche, papier, ciseaux ». Plus officiellement, il s'agit du fondement du théorème de l'impossibilité de Kenneth Arrow, qu'il a décrit en 1951 et qui l'a aidé à remporter le prix Nobel de l'économie, 20 ans plus tard. Ce que suppose cet argument très complexe est important: il n'y a aucun système électoral qui soit idéal.
Pour répéter, les divers systèmes électoraux fournissent des incitatifs différents, et ces incitatifs sont distincts des questions de l'établissement de la franchise, de l'homogénéité des circonscriptions et de ce que les tribunaux canadiens appellent les « communautés d'intérêt ».
Examinons encore une fois les conséquences qu'entraîne un système dont l'incitatif est la RP pour un parti politique qui se soucie davantage de la promotion d'un intérêt, d'une idéologie ou d'un programme particulier que de diriger.
Tout d'abord, le système entraîne la prolifération de petits partis. Même dans un système uninominal majoritaire à un tour, la dissolution de la coalition dominante de Mulroney a entraîné la formation de deux petits partis: le Parti réformiste et le PQ. Il a fallu une décennie à Stephen Harper pour recréer au moins une partie de la coalition au sein du Parti conservateur du Canada. À l'extérieur du Canada, entre 2000 et 2015, 17 % des élections à RP se sont soldées par la majorité d'un seul parti. Par contre, 85 % des élections selon un système uninominal majoritaire à un tour ont permis à un seul parti de remporter la majorité.
Et alors? Cette conséquence semble assez mineure.
Toutefois, le problème tient au fait que, lorsque les coalitions sont formées au Parlement plutôt qu'au sein du parti, les grands partis majoritaires doivent faire des concessions aux petits, y compris aux partis marginaux. Il s'agit là d'une raison suffisante pour que les petits qui se consacrent intensément à un seul enjeu soient favorables à la RP.
La logique est évidente. Si l'idéologie ou les intérêts d'un petit parti sont appuyés par la plupart des électeurs, il devient un grand parti. Sinon, il est en position de tirer profit du soutien — petit, mais intense — dont il jouit en échange de son appui à un grand parti au Parlement et de faire en sorte qu'un grand parti adopte les lois qu'il veut... mais, remarquez qu'il le fait contre la volonté de la majorité.
Les tenants de la théorie démocratique sont préoccupés, à juste titre, par la tyrannie de la majorité. La RP ouvrira pratiquement la porte à la tyrannie de la minorité, ou des minorités. En bref, la RP n'encourage pas d'abord et avant tout la vertu politique, notamment la modération, sans parler de la stabilité institutionnelle.
Le résultat pratique le plus évident, c'est que les élections à RP mènent à une augmentation des dépenses gouvernementales, car les grands partis accèdent aux demandes des petits en échange de leur soutien. Une étude a montré que les augmentations des dépenses gouvernementales sont de l'ordre de 25 %. De plus, les pays ayant adopté la RP tendent à payer leurs dépenses accrues en empruntant de l'argent et augmentent ainsi leur dette. Par conséquent, l'effet généralisé est un accroissement de la taille du gouvernement, ce qui augmente le pouvoir effectif des bureaucrates, et les bureaucrates ne sont élus par personne.
Je devrais dire — en passant — que l'avantage le plus évident auquel on renonce si on institue un système de RP, c'est qu'il devient plus difficile de retirer le pouvoir au gouvernement en place. Cet avantage pratique des systèmes majoritaires a clairement été mis en évidence lors des élections fédérales de 2015 et des élections provinciales albertaines de 2016.
Dans cette optique, concernant la modification du système électoral fédéral, le fait de remporter 39 % du vote populaire ne constitue pas un mandat, surtout si on demande combien des personnes qui ont voté pour les libéraux fédéraux l'ont fait parce que ce parti avait promis de changer le système électoral, mais sans dire comment. J'aurais tendance à croire que la réponse est « très peu », ce qui nous amène à un problème pratique final: la méfiance croissante — pour ne pas dire le cynisme — à l'égard des motivations du gouvernement. Comme tous les partis, les libéraux sont des acteurs rationaux; par conséquent, ils conserveront probablement un système électoral dont ils s'attendent à tirer avantage. Bien entendu, c'est une autre question de savoir s'ils en bénéficieront.
Il n'y a pas si longtemps, deux avocats ont écrit dans le Toronto Star — qui appuie habituellement le gouvernement au pouvoir — que le fait de permettre à une majorité parlementaire ponctuelle de changer unilatéralement les fondements de la distribution du pouvoir politique constituerait une tâche pleine de difficultés. Madison a mentionné quelque chose de très semblable dans « Federalist No. 10 », tout comme Tocqueville et de nombreux autres théoriciens démocratiques.
Laissez-moi conclure en répétant ma première observation, c'est-à-dire qu'un changement du système électoral changera des caractéristiques fondamentales. En langage juridique, cela équivaut à une modification de la convention constitutionnelle, ou de ce que nous appelons maintenant l'architecture constitutionnelle. Inutile de vous rappeler que les conventions constitutionnelles sont les coutumes, les pratiques et les principes qui ne sont pas appliqués par les tribunaux, mais qui constituent néanmoins une éthique politique pratique. Leur importance nous a récemment été rappelée par le spectacle du sénateur Duffy.
Ce qui est plus important, c'est que nous pourrions nous attendre à une contestation judiciaire de la part d'au moins une des provinces au motif que la modification du système électoral enfreint une convention constitutionnelle qui est en place depuis 1791. Ce changement modifie clairement l'architecture interne de la Constitution, ce qui incitera la Cour suprême du Canada à procéder à un examen minutieux.
La modification du système électoral touche évidemment des intérêts provinciaux. Songez seulement à l'exigence constitutionnelle de quatre députés pour l'Île-du-Prince-Édouard. Un de mes collègues de l'Université de Calgary a calculé que, si cette exigence constitutionnelle était reportée, la Chambre contiendrait plus de 600 députés, ce qui suppose un autre genre de changement architectural qui devra être apporté à la configuration de la Chambre.
Plus précisément, les décisions de la cour dans le renvoi concernant le juge Nadon, dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat de 2014 et, si on remonte à 1980, le Renvoi relatif à une résolution pour modifier la Constitution, sont de très bonnes indications du fait que le gouvernement perdrait.
Bref, songer à l'adoption d'un système de RP pour le Canada, c'est bien pour des étudiants de premier cycle en science politique qui se retrouvent dans un bar, le vendredi soir. Le fait que le Parlement envisage sérieusement ce changement constitutionnellement suspect, c'est de l'imprudence politique, pour ne pas employer de termes plus crus. Beaucoup de choses peuvent tourner mal, et ce sera probablement le cas.
Je voudrais commencer par remercier le président et les membres du Comité de m'avoir invitée et de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui et de leur faire part des conclusions et des réflexions découlant de mes recherches.
Avant de commencer, je voudrais attirer l'attention de tout le monde sur le fait que le Centre for e-Democracy, qui est une organisation consacrée à la génération, à la traduction et à la diffusion des conclusions de recherches universitaires au sujet de la façon dont la technologie numérique influe sur notre démocratie et sur nos sociétés, est en train de publier un rapport qui se penche sur la façon dont le vote sur Internet lors d'élections locales tenues en Ontario a influé sur les parties prenantes aux élections, comme les électeurs, les candidats et les administrateurs électoraux. Ce rapport a été publié aujourd'hui sur le site Web du centre. Merci.
J'ai structuré ma déclaration de manière à aborder l'applicabilité du vote en ligne en ce qui a trait aux principes directeurs de l'accessibilité et de l'inclusivité, de la mobilisation et de l'intégrité électorale. Je voudrais préciser clairement le fait que, quand je parle du vote en ligne, je fais allusion au vote en ligne à distance, ce qui veut dire avoir la capacité de voter depuis un endroit éloigné, comme le lieu de travail, le domicile ou peut-être l'étranger.
Il existe d'autres types de vote électronique, comme à partir de kiosques publics ou au moyen de dispositifs électroniques, dans un lieu de vote. Ces options permettent aux responsables des élections d'exercer un contrôle plus serré et peuvent réduire certains risques.
Le vote en ligne à distance offre aux électeurs un accès amélioré et présente le plus grand potentiel de réduction des coûts associés au vote. Il s'agit du seul type de réforme du vote électronique qui constituerait un important pas en avant du point de vue de l'accès et de la commodité pour les électeurs.
L'accessibilité du vote devient de plus en plus importante pour les Canadiens. De façon générale, les taux de participation aux élections fédérales et provinciales ont eu tendance à diminuer au cours des 25 dernières années, si on ne tient pas compte de quelques augmentations récentes qui sont liées aux considérations contextuelles de ces élections. En même temps, la participation électorale durant la période de vote par anticipation a augmenté de façon importante lors des mêmes élections. Pourquoi en est-il ainsi?
Certaines modifications ont été apportées à la structure du vote par anticipation, lesquelles pourraient avoir créé des possibilités de participation supplémentaires, comme les augmentations du nombre de jours consacrés au vote par anticipation. En général, ces possibilités semblent faire partie d'une tendance, qui se reflète également dans d'autres démocraties avancées, comme l'Australie et les États-Unis, et permettent aux électeurs de choisir de voter avant le jour des élections.
Par ailleurs, les électeurs de ces pays utilisent davantage d'autres méthodes de vote à distance, comme le vote par la poste. Par exemple, lors des récentes élections fédérales australiennes, la participation électorale globale a été la plus faible depuis l'adoption du vote obligatoire, en 1925, mais la participation aux bureaux de vote par anticipation a été d'environ 24 %. Il s'agit d'une augmentation par rapport aux 16,9 % de 2013 et aux 8 % de 2010. Si on tient compte des bulletins de vote envoyés par la poste, lors de ces élections, environ 34 % des bulletins de vote ont été déposés avant le jour des élections.
Le fait que les électeurs aient si aisément recours à la période de vote par anticipation et à d'autres méthodes de vote à distance indique que l'électorat contemporain veut des options — ou plutôt du choix et de la commodité — relativement au vote.
Des données probantes indiquent également que les améliorations au chapitre de l'accès peuvent éliminer certains des motifs d'abstention énoncés dans le sondage mené par Élections Canada auprès des électeurs et dans l'Enquête sur la population active de 2015 de Statistique Canada. Lors d'élections récentes, la fréquence de l'explication « empêchements liés au quotidien » était la plus importante catégorie fournie par les personnes qui n'avaient pas voté pour expliquer la raison de leur abstention. Cette catégorie comprend des justifications comme le fait d'être trop occupé ou à l'extérieur de la ville, la maladie ou un handicap, les conditions météorologiques ou des problèmes de transport. Les bulletins de vote en ligne peuvent permettre de voter dans des situations de la vie quotidienne ou en cas de problèmes de santé. Ces motifs d'abstention devraient être pris en compte par le Comité dans ses considérations relatives à la réforme du système électoral.
L'accès peut revêtir une importance particulière pour des groupes d'électeurs spéciaux, comme les citoyens ou les militaires à l'étranger, les personnes handicapées, les jeunes qui fréquentent un établissement d'enseignement postsecondaire éloigné de leur lieu de résidence, les personnes âgées et les membres de collectivités autochtones. Actuellement, dix pays sont dotés de programmes actifs de vote par Internet, et cinq d'entre eux ont amorcé la réforme visant à améliorer l'accès au vote pour les citoyens ou les militaires à l'étranger: l'Arménie, la France, le Mexique, Panama et les États-Unis. Les administrations qui ont mis en œuvre ces programmes semblent satisfaites de l'accès supplémentaire offert aux électeurs, et certaines ont étendu le programme à l'ensemble de l'électorat, comme l'Alaska.
Si le gouvernement décidait d'adopter le vote obligatoire, il serait aussi important qu'il adopte des réformes ou des mesures visant à améliorer l'accès aux urnes pour les électeurs, comme des journées supplémentaires de vote par anticipation, des centres de vote ou le vote en ligne à distance.
En ce qui concerne les conséquences du vote en ligne sur la mobilisation, j'aborderai d'abord la participation électorale. Une étude récente de l'adoption du vote par Internet dans des municipalités ontariennes menée¸ par ma collègue — Leah Stokes, professeure de science politique à l'Université de Californie, à Santa Barbara — et moi-même conclut que les réformes électorales augmentent la participation. Dans le cadre d'un examen de cinq élections tenues de 2000 à 2014, nous avons constaté que le vote par Internet a accru la participation électorale de 3 % dans les municipalités de l'Ontario.
Ces résultats correspondent aux conclusions d'autres recherches portant sur des réformes de « commodité électorale », comme le vote par la poste ou le vote par anticipation. Dans le cadre de ces études, des effets ont été observés dans la fourchette des 2 à 4 %, habituellement.
Les autres réformes électorales qu'envisage le Comité, lesquelles représentent des changements plus importants, pourraient ne pas avoir d'effets plus importants sur la participation. Par exemple, l'adoption d'un système de RP peut accroître le taux de participation de 5 %, alors que les lois sur le vote obligatoire affichent un taux de changement bien plus important, c'est-à-dire une augmentation moyenne du taux de participation de l'ordre de 7 à 16 % dans les démocraties avancées.
Toutefois, même dans les endroits où le vote obligatoire est déjà établi, comme en Australie, on parle d'améliorer davantage la participation électorale. Il s'agit d'un enjeu complexe, et aucune réforme institutionnelle ne sera à elle seule le remède magique.
En ce qui concerne la conception stratégique et l'aspect que devrait prendre la réforme électorale si elle était adaptée, nous constatons que, quand l'inscription au vote en ligne n'est pas exigée, 35 % de plus de gens choisissent le vote par Internet. Nous constatons également que le vote en ligne est moins utilisé lorsqu'il est offert durant la période de vote par anticipation et pas le jour des élections. Si le vote en ligne doit être offert, je recommanderais qu'il le soit le jour des élections.
Maintenant, laissez-moi dire quelques mots sur les personnes qui n'exercent pas leur droit de vote. Au Canada et dans d'autres pays dotés de programmes de vote en ligne établis, comme l'Estonie et la Suisse, les données probantes montrent que le vote en ligne amène certains électeurs peu fréquents à participer au processus électoral. Plus particulièrement au Canada, à l'échelon municipal, des données probantes indiquent que les gens qui, auparavant, avaient le droit de vote, mais ne l'exerçaient pas, ont été amenés dans le processus électoral lorsque le vote en ligne a été offert.
Pour ce qui est de l'âge et de la mobilisation, habituellement, le vote en ligne est attrayant pour les électeurs de tous âges, quoique pas de façon disproportionnée auprès des jeunes, comme on le croit souvent. Mes recherches sur le Canada et les conclusions provenant d'autres pays, comme la Norvège, montrent que les jeunes électeurs — ceux qui sont âgés de 18 à 25 ans — sont plus susceptibles de choisir les bulletins de vote en papier que le vote en ligne, peut-être par symbolisme ou rituel pour leur première participation.
De nouvelles recherches provenant de la Suisse concluent que, même si les électeurs âgés sont susceptibles d'avoir recours au vote en ligne et qu'ils demeurent loyaux envers la méthode électorale, les jeunes sont plus susceptibles d'essayer leur vote en ligne une fois, puis de retourner aux bulletins de vote en papier ou à l'abstention. Les électeurs âgés vont utiliser le vote en ligne, mais il ne s'agit pas de la solution pour mobiliser les jeunes.
Je terminerai par un dernier mot au sujet de l'intégrité électorale.
Même si l'authentification et la vérification de sécurité doivent être gérées avec soin, notre vie se passe de plus en plus en ligne. Je suis d'avis que la modernisation des institutions gouvernementales est inévitable et, que le vote en ligne soit adopté ou non, nous allons voir la technologie s'immiscer dans d'autres aspects du processus électoral, comme la liste électorale, l'inscription des électeurs et le dépouillement du scrutin. Ainsi, le gouvernement doit accorder aux recherches menées dans ce domaine la considération qu'elles méritent, ainsi que s'attaquer à la façon dont les technologies de vote pourraient s'appliquer à la situation contextuelle unique du Canada.
L'intégrité des élections devrait être une considération primordiale des parlementaires. Même si certains changements pourraient soulever des questions au sujet des conséquences de certaines réformes, le fait de ne prendre aucune mesure — qui est une décision, en soi — pourrait également avoir des conséquences sur la confiance des citoyens et sur leur foi en des élections et le Parlement.
Si le vote en ligne est mis en œuvre, son déploiement devrait faire l'objet d'une réflexion attentive, de recherches et d'essais dans une région sélectionnée ou auprès d'un groupe particulier d'électeurs avant sa mise en œuvre à plus grande échelle.
Enfin, le processus est très important. La réforme électorale n'est pas un processus qu'on peut manipuler de façon hâtive; il vaut bien mieux y accéder dans le cadre d'un processus attentif et délibéré. Même si un essai constituait une avancée pratique et si le changement est inévitable, le déploiement à grande échelle doit faire l'objet d'une bonne recherche, considération et planification.
Merci.
Je veux remercier le Comité de l'invitation à me joindre à vous aujourd'hui. Vous me pardonnerez si je ne suis pas aussi cohérent que je le pourrais, mais nous avons un bébé de deux semaines à la maison, et il s'avère que les bébés viennent avec une bonne dose de privation de sommeil.
Le mémoire que je vous ai soumis aborde un ensemble de questions disparates liées à la réforme électorale. Il explique pourquoi il n'y a aucune contrainte constitutionnelle importante au pouvoir du Parlement de mettre en œuvre la réforme. Il aborde la nature de la proportionnalité et vous rappelle que, même si les systèmes de RP sont conçus pour entraîner une représentation proportionnelle dans les assemblées législatives, ils n'entraînent pas nécessairement quoi que ce soit qui ressemble à un exercice proportionnel du pouvoir. Il vous met en garde au sujet du vote obligatoire et vous demande de songer à la possibilité que le vote obligatoire ne soit rien de plus que le traitement d'un symptôme d'un ensemble de problèmes plutôt qu'un remède à ces problèmes. Il présente un argument expliquant pourquoi je crois que la légitimité politique pourrait exiger, à la fin de ce processus, la tenue d'un référendum afin que l'on puisse s'assurer que les Canadiens sont favorables à la réforme qui sera proposée au bout du compte.
Pour ma déclaration préliminaire, je voudrais me concentrer sur la façon exacte dont les données probantes provenant de scientifiques sociaux, et surtout de scientifiques politiques, peuvent vous aider.
Comme le Comité le sait déjà, la science politique peut fournir des réflexions importantes au sujet du fonctionnement et des conséquences des divers systèmes électoraux et des données probantes comparatives les concernant, mais les données probantes relatives aux sciences sociales ne peuvent être appliquées pour affirmer qu'un système particulier que le Canada pourrait envisager sérieusement d'adopter est plus démocratique qu'un autre, et cela comprend le système uninominal majoritaire à un tour.
Comme vous l'a dit Jonathan Rose, le choix entre les autres systèmes électoraux est une question de valeurs et de compromis. À mon avis, il y a les personnes qui sont en faveur des systèmes de RP avec le privilège, la proportionnalité et la participation avec droit de vote, et il y a celles qui sont en faveur du statu quo avec le privilège, l'efficience, le regroupement des votes et une hiérarchie des responsabilités plus claire. Ces valeurs correspondent toutes aux normes démocratiques, mais elles sont mises en relief dans des mesures variables par les divers systèmes électoraux. Rien n'est moins démocratique qu'un système qui privilégie les parties capables d'obtenir un soutien assez profond pour remporter des circonscriptions géographiques à un seul député, et il n'y a rien de moins démocratique dans un système qui cherche à s'assurer que les circonscriptions découpées dans une législature reflètent les parts du vote populaire.
La rhétorique trompeuse au sujet des divers systèmes électoraux pourrait nuire à notre capacité d'établir adéquatement les compromis qui sont associés à chaque système. Des accusations selon lesquelles le système uninominal majoritaire à un tour produit de fausses majorités risquent de mal présenter ce système entièrement. Il semble certainement qu'une fausse majorité est produite, si on cadre entièrement le système sur la base des parts de vote nationales, mais il ne s'agit pas du but du système actuel. Dans un système uninominal majoritaire à un tour, le système consiste effectivement en 338 élections distinctes mettant chacune en jeu une circonscription. Un parti qui remporte une majorité de ces élections ne remporte pas une fausse majorité. Les Canadiens pourraient raisonnablement préférer cette simple forme de représentation géographique. Dans la même veine, les accusations selon lesquelles les systèmes de RP s'assortissent d'une instabilité inhérente ne sont pas appuyées par les données probantes comparatives, et aucune donnée probante n'indique que les partis politiques canadiens, la culture politique au sein du Canada ou son Parlement sont incapables d'une manière ou d'une autre de s'adapter à un système qui produit plus facilement des gouvernements minoritaires ou de coalition.
Il a été décevant de voir certains des témoins experts qui ont comparu devant vous faire des affirmations normatives au sujet de la validité démocratique de certains systèmes par rapport à d'autres. Il s'agit peut-être d'opinions éclairées, mais elles sont ancrées dans des préférences normatives, dans une idéologie et même dans la partisanerie. Je n'insinue pas qu'elles sont illégitimes ou qu'elles ne sont pas valides. J'affirmerais qu'on peut faire valoir des arguments valides et normatifs en faveur de tout grand système électoral, y compris le statu quo.
La question est donc de déterminer qui aura le dernier mot. Avec tout le respect que je vous dois, les partis politiques ont trop d'intérêts qui leur sont propres pour qu'on leur confie la décision finale. Il y a déjà suffisamment de preuves anecdotiques du fait que les partis auxquels chacun d'entre vous appartient sont déjà enfoncés dans leurs points de vue au sujet du résultat de ce processus. Il serait absurde — surtout compte tenu des arguments formulés contre le système uninominal majoritaire à un tour — d'adopter un système électoral contre la volonté de la majorité des Canadiens.
Les promesses faites par le gouvernement durant la campagne électorale lui ont donné pour mandat de procéder à une réforme, mais elles ne lui ont pas donné pour mandat d'adopter un système électoral en particulier. Une modification électorale n'est pas comme l'adoption de toute autre loi ordinaire. Les Canadiens devraient avoir leur mot à dire dans la conception de l'élément fondamental qui les lie à l'État.
Je vais m'en tenir à cela. Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins qui comparaissent devant nous aujourd'hui.
J'aimerais d'abord poser une question à Mme Goodman.
Beaucoup d'électeurs souhaitent avoir la possibilité de voter en ligne. Ils nous abordent dans la rue pour nous dire qu'on est en 2016 et nous demandent pourquoi cela ne se fait pas. L'exemple qui est le plus souvent donné est qu'on peut maintenant payer une facture de téléphone par l'entremise de notre banque. Alors, pourquoi ne pourrait-on pas voter de la même façon? Par contre, même si cela est moderne et convivial et peut faciliter la vie de plusieurs personnes, pour reprendre une expression anglaise: If it's not broken, don't fix it.
On a quand même un système qui fonctionne bien. La loi permet aux gens de quitter le travail à une heure donnée pour aller voter. Lorsqu'on se présente aux bureaux de vote, on a seulement quelques minutes à attendre. Je n'ai jamais attendu très longtemps pour aller voter. On peut connaître les résultats deux heures après la fermeture des bureaux de vote. Si le résultat est incertain, les gens ouvrent boîte qui avait été scellée et font à nouveau le décompte des votes exprimés.
Si cela fonctionne bien, on se demande pourquoi il faudrait passer à une chose qui semble assez risquée pour plusieurs personnes. Je vais d'ailleurs donner un exemple concernant un vote qui n'a pas été fait en ligne, mais qui a été fait de façon électronique.
Lors des élections municipales à Montréal, en 2009, les gens n'ont pas voté sur des bulletins de papier, mais ont exprimé leur votes par l'entremise d'une machine. La compagnie qui a organisé le scrutin avait donné au départ des garanties phénoménales quant à la sécurité du processus. Or, un an et demi plus tard, on apprenait que la compagnie en question était incapable de nous garantir que les résultats qui ont été annoncés étaient exacts. En fait, on ne savait pas si le candidat à la mairie de Montréal avait effectivement été élu maire de Montréal, ce qui était passablement problématique.
Qu'est-ce que vous pourriez dire pour rassurer les gens à cet égard et pour que ce processus soit sécuritaire? Une telle façon de procéder semble bien intéressante, mais je n'en vois pas la nécessité.
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Merci de poser la question.
L'Estonie est un pays beaucoup plus petit. Je suis une scientifique sociale, alors je peux seulement aborder un peu la sécurité d'après ce que j'ai étudié, mais le système en place dans ce pays est très solide du point de vue de l'authentification. Depuis 2013, les responsables travaillent également sur la vérification.
Vous avez mentionné l'intégrité électorale. Il y a eu deux ou trois situations où l'intégrité des élections en Estonie a été remise en question, et je pense qu'il importe de les souligner. Une d'entre elles a eu lieu en 2011, quand un étudiant a prétendu qu'il pouvait trafiquer le système au moyen d'un maliciel de trucage d'élections. Vers la même date, dans le cadre des mêmes élections — mais on ne pense pas qu'il y ait de lien — un vote a été déclaré invalide durant le dépouillement. On a enquêté sur ce vote et sur ce qui pourrait l'avoir causé, car, en théorie, une personne pourrait déposer un bulletin de vote non valide. Aucun bogue n'a été trouvé.
Concernant le problème de l'étudiant, il a écrit au comité électoral national et à trois grands journaux, et l'affaire a fini par se rendre devant la Cour suprême, laquelle a rejeté l'appel au motif que, bien que l'étudiant était un citoyen estonien et qu'il pouvait faire l'objet d'attaques visant à le priver du droit de vote, il avait sciemment installé le maliciel sur son propre ordinateur, et ses droits n'avaient pas été bafoués. Peu après, un des autres partis politiques a également interjeté appel dans le but de rejeter tous les votes des élections, et cet appel a également été rejeté par la Cour suprême.
Vers la même période, le taux de votation en ligne en Estonie a commencé à frôler les 25 %, et cela a également suscité des préoccupations. Lorsque plus de 25 % des votes sont exprimés en ligne, on peut soutenir que l'incitation est plus grande pour une personne qui voudrait trafiquer les élections. La part du vote en ce qui concerne les électeurs qui votent en ligne a continué d'augmenter, et le pays n'a connu aucun problème.
Toutefois, à la lumière de cet incident, on a travaillé sur la vérification. Il existe divers types de vérification, mais, essentiellement, le type le plus simple est celui où on peut vérifier que son vote a été exprimé comme prévu. La vérification universelle est considérée comme la meilleure, et il s'agit du vote exprimé comme prévu, enregistré, puis dépouillé tel qu'il a été exprimé.
J'aimerais remercier nos trois témoins de s'être présentés aujourd'hui.
Encore une fois, M. Macfarlane, félicitations pour le nouveau bébé.
Puisqu'il est si rare de recevoir un expert du vote en ligne, je vais consacrer mes premières questions à ce sujet.
Deux des principes directeurs que l'on nous a présentés sont l'engagement, puis l'accessibilité et l'inclusivité. J'ai lu le rapport qui a été publié ce matin et je l'ai trouvé très intéressant, car je suis tout à fait en faveur d'une meilleure compréhension de la participation des électeurs en ligne.
Toutefois, dans votre rapport, vous mentionnez que les gens qui votent en ligne sont en général plus âgés, scolarisés et riches, et vous affirmez que, si le vote en ligne était adopté, nous n'observerions peut-être qu'une augmentation de 3 % de la participation des électeurs. Selon les principes directeurs, nous essayons de cibler les gens qui, normalement, ne voteraient pas, c'est-à-dire, probablement, les gens qui vivent en région, ceux qui n'ont peut-être jamais voté auparavant, et ainsi de suite. Si je me fie au profil de l'électeur type, je ne crois pas que le vote en ligne nous permettrait de joindre les électeurs que nous essayons de joindre.
Monsieur Macfarlane, vous avez dit également que le vote obligatoire ne ferait que traiter le symptôme d'un problème plus général. Je crois que vous avez raison.
Ma question s'adresse en réalité à Mme Goodman.
Sachant que le vote en ligne ne permettrait pas réellement d'augmenter la participation des groupes que nous essayons de mobiliser, comme les jeunes et les gens vivant en région ou les gens qui normalement ne votent pas, et que cela ne ferait qu'augmenter la participation de ceux qui votent déjà, comment analyseriez-vous les coûts et les avantages de la mise en oeuvre d'un système de vote en ligne, étant donné qu'il ne nous permet pas de régler les problèmes dont nous avons parlé?
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Merci de poser la question. Vous soulevez un point intéressant.
En général, dans tous les pays qui ont adopté le vote en ligne, nous constatons que ce sont surtout les gens plus âgés, scolarisés et nantis qui s'en servent. C'est une affaire de commodité. Les gens veulent que ce soit commode. Nous constatons en effet que bien des gens âgés utilisent ce système, des gens âgés qui vivent dans des maisons de retraite. Dans certains cas, ils utilisent Internet pour la première fois. Je suis allé en Nouvelle-Écosse et j'ai observé les élections; des gens âgés votaient en ligne pour la première fois.
Il est certain que cela facilite l'accès. Les gens âgés ont en général tendance à voter en ligne. Nous constatons que, dans certains groupes d'électeurs occasionnels, les gens qui ont déjà voté, mais qui n'ont pas toujours voté, ou encore des gens qui s'abstiennent, des gens qui auraient eu le droit de voter, mais qui ne s'en sont jamais prévalu, participent au processus électoral, mais c'est une modeste proportion.
En ce qui concerne la participation des électeurs, le chiffre de 3 % représente plusieurs élections de suite, au Canada. Rien ne garantit, si la réforme électorale était mise en oeuvre à l'échelle fédérale, que nous observerions le même effet; c'est que, si nous pensons par exemple au vote par correspondance, une autre procédure que l'on pourrait associer à la réforme électorale, nous constatons que les résultats sont en fait plus importants à l'échelon local qu'à l'échelle des élections générales. Cela pourrait aussi se vérifier pour le vote en ligne. Nous ne le savons pas, nous n'avons pas de donnée.
Le problème, si nous pensons à des pays comme l'Estonie, par exemple, c'est qu'il ne permet le vote en ligne que pour le vote par anticipation, il ne le permet pas pour l'ensemble de l'élection. Il est difficile de tirer des conclusions sur les répercussions d'une réforme électorale sur la participation de la population lorsque ce système n'est offert que pour le vote anticipé.
Je vais maintenant m'adresser à M. Macfarlane. J'aimerais revenir sur certains des commentaires que vous avez formulés sur les référendums. J'espère vous avoir bien compris. Je vous ai entendu dire entre autres qu'il n'existait pas d'argument convaincant contre les référendums.
J'ai consulté quelques notes. Hier, nous avons reçu M. Lijphart qui nous a exposé certains commentaires que j'ai trouvés utiles. Il a parlé du danger des scrutins qui se fondent sur la confusion et la désinformation des électeurs. D'autres témoins nous ont expliqué que les référendums ne se prêtent pas à des questions complexes et en effet, dans ce type de dossier, c'est très complexe. Des témoins nous ont dit que les résultats étaient très instables et imprévisibles. Ils sont associés à des émotions et, souvent, à des mensonges flagrants. Nous l'avons vu dans le cas du référendum sur le Brexit et des partis qui ont fait campagne contre la proposition. Un des partis disait qu'il utiliserait tout l'argent économisé, l'argent qui n'aurait pas été versé à l'Union européenne, pour le consacrer à la santé. Le lendemain, le même parti a dit: « Oh, en fait, nous ne pouvons réellement pas le faire. » Nous entendons ce type de mensonge flagrant dans des campagnes référendaires.
D'autres problèmes se présentent, entre autres une insatisfaction générale à l'égard du gouvernement. Il y a eu récemment un exemple en Colombie-Britannique. Nous avons tenu un référendum sur le transport en commun dans le Lower Mainland pour savoir si les contribuables étaient prêts à payer une taxe supplémentaire pour l'amélioration du transport en commun. Mais, plutôt que de discuter de cette question, les gens ont discuté de l'efficacité de Translink, l'organisme qui supervise le transport en commun. Au bout du compte, les gens ont voté, non pas sur la question formulée, mais sur une question tout à fait différente. La proposition a été rejetée.
À mon avis, il s'agit là de raisons convaincantes de ne pas tenir un référendum.
Mon dernier commentaire m'a été transmis sur Twitter. C'est le commentaire d'une personne qui travaille dans le domaine des stratégies financières et des modes de vie: « Je ne veux pas avoir à voter sur quelque chose que je ne comprends pas. Ne pourrions-nous pas laisser le gouvernement faire son travail et faire l'essai de ce nouveau système avant de voter? »
Au total, n'existe-t-il aucune raison convaincante à opposer à votre affirmation selon laquelle il n'existe pas d'argument convaincant contre les référendums? Quand je vois qu'on met tout cela dans le même panier, je me dis que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de faire participer les Canadiens. Je vous laisse commenter.
Je suis d'accord sur le fait que les Canadiens sont aussi intelligents que les Néo-Zélandais et je rejette tout simplement l'argument du ministre libéral et du Parti libéral selon lequel les Canadiens sont trop peu informés, trop stupides et trop réticents à apprendre pour être en mesure de prendre eux-mêmes une décision dans ce dossier.
Cela m'amène aux questions que je voulais poser à M. Cooper.
Monsieur, vous avez dit qu'aucun système électoral n'était idéal. J'aimerais cependant signaler à votre attention qu'il existe en fait un système électoral encore pire, et je ne parle ni du SMP, ni du VUT, ni d'un autre type de scrutin. Il s'agirait simplement d'un système qui ferait en sorte que l'issue du scrutin serait prévisible, c'est-à-dire qu'il changerait la nature des résultats de la prochaine élection, et ce, même si les Canadiens ont les mêmes préférences qu'aujourd'hui. On peut deviner comment cela fonctionne en examinant par exemple les prévisions qui avaient été faites quant aux résultats prévus pour les élections de 2011 et de 2015 selon différents systèmes. Je crois que nous devrions éviter de nous retrouver face à un cas où le mandat réel ou supposé qui a été donné au gouvernement à l'issue des élections de 2015 sert en fait à changer les règles du jeu de façon que, si tout le monde votait de la même façon qu'aux dernières élections, le parti au pouvoir remporterait davantage de sièges.
Nous avons reçu hier M. Harold Jansen, qui a mené une étude montrant qu'un autre système de scrutin aurait permis aux libéraux d'obtenir de meilleurs résultats tant en 2015 qu'en 2011, et M. Jansen a parlé d'une étude précédente selon laquelle les résultats des élections précédentes auraient eux aussi été différents et favorables aux libéraux. Il a dit que, les trois fois où, dans l'histoire du Canada, des provinces avaient adopté un système — elles n'avaient pas tenu un référendum, elles avaient tout simplement adopté un système — distinct ou différent du scrutin majoritaire uninominal à un tour — il s'agit de la Colombie-Britannique en 1950, du Manitoba en 1921 et de l'Alberta dans les années 1920 —, c'était sous l'impulsion des membres du parti au pouvoir qui défendaient leurs intérêts personnels. Le nouveau système favoriserait ce parti-là. Puis, lorsque les trois partis en question ont décidé de revenir au mode de scrutin majoritaire uninominal, c'était encore une fois sous l'impulsion des membres du parti au pouvoir, qui défendaient ouvertement leurs intérêts personnels, avantagés par le retour au scrutin majoritaire uninominal à un tour.
La question que je voulais vous poser est celle-ci. Je crois que c'est l'argument le plus convaincant qui soit en faveur d'un référendum. Je le dis sans prétendre que le scrutin majoritaire uninominal est meilleur ou pire que d'autres systèmes. J'aimerais vous demander si vous êtes d'accord avec moi pour dire que c'est là la véritable raison pour laquelle un référendum en l'occurrence représenterait une mesure de protection utile pour le peuple canadien.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Macfarlane, je suis très heureux que vous ayez mis les points sur les i et les barres sur les t en précisant que les modes de scrutin proportionnels ne mènent pas nécessairement à des gouvernements instables. Le fait de tenir de tels propos est un mythe, et je pense qu'il est important de le dire clairement. Au contraire, ces modes de scrutin peuvent donner lieu à des gouvernements très stables. Nous l'avons vu dans plusieurs pays démocratiques occidentaux, notamment en Suisse, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède et en Allemagne.
Sur Twitter, une personne du nom de Jesse Hitchcock suit les travaux du comité et veut que nous parlions davantage de ce qui est à l'origine des faibles taux de participation lors des élections.
À cet égard, madame Goodman, je vais vous soumette une idée. Je pense que le mode de scrutin actuel, que l'on appelle « Le premier prend tout », est un frein à la participation électorale. Dans certains comtés du Québec, des députés ont été élus avec moins de 30 % des voix. Autrement dit, le vote de 70 % des électeurs n'a pas compté. Il a été immédiatement mis à la poubelle.
À titre d'exemple, je vais prendre les résultats dans le comté de Rosemont–La Petite-Patrie. Dans ce comté, pour un conservateur, il n'est pas très motivant d'aller voter. Celui-ci a peu de chances de remporter ses élections. Il en va de même pour un néo-démocrate dans le comté de M. Deltell. On entend souvent les gens se demander ce qui suit: « Pourquoi est-ce que j'irais voter? Mon vote ne changera rien. » S'il y a un élément de proportionnalité, ce vote ne fera peut-être pas de différence dans le comté, mais il va être comptabilisé par la suite lors de la redistribution des sièges.
Le fait que leur vote puisse compter et constituer une voix au Parlement ne motivera-il pas les électeurs et électrices à aller voter?
Je viens de lire sur Twitter qu'Elsie Wayne vient de rendre l'âme et, comme je viens tout juste de vous poser une question sur les deux sièges que le Parti progressiste conservateur a réussi à conserver, en 1993, je me suis dit que je devais l'annoncer à mes collègues. C'était une grande dame.
Pour en revenir à notre sujet, M. Cooper, vous dites que vous ne pouvez envisager que deux seules façons, en réalité, de donner plus de légitimité au changement du mode de scrutin. La grande majorité des témoins que nous avons reçus, y compris M. Macfarlane, et ce sont des constitutionnalistes, ont dit qu'il n'était pas nécessaire de tenir un référendum. Ils ont tous dit assez clairement que, selon la Constitution, il revient au Parlement de mettre au point un mode de scrutin. Les modes de scrutin au Canada ont tous été modifiés, depuis 1867, à l'échelon fédéral comme à l'échelon provincial, et jamais un référendum n'a été nécessaire.
La question qui vient à l'esprit, c'est de savoir s'il n'existerait pas une autre façon de faire, étant donné que je suis également persuadée qu'une plus grande légitimité s'impose au moment de modifier le système électoral. J'aimerais que vous me disiez tous les trois si vous auriez déjà envisagé et si vous pensez qu'il serait justifié — et j'aimerais pouvoir me rappeler où j'ai vu cela, dans quel article — que le Parlement tienne un vote dont le résultat exigerait plus que la simple majorité. Autrement dit, que la modification de notre système électoral exige quelque chose de plus. Je garde l'esprit ouvert sur cette question; j'aimerais seulement connaître vos réflexions touchant la proposition d'exiger, disons, que les deux tiers des parlementaires votent en faveur d'un changement quelconque du système électoral de façon à éviter un ricochet, comme si un parti au pouvoir change le système électoral et que le parti qui prend le pouvoir par la suite le change à nouveau.
J'aimerais que vous répondiez tour à tour et que vous disiez si, à votre avis, cette proposition aurait une valeur particulière en tant que moyen supplémentaire d'augmenter la légitimité d'un changement qui relève du Parlement, sur le plan juridique comme sur le plan constitutionnel? J'ajouterais que notre mandat reflète la façon dont les gens ont voté, aux dernières élections, mais je ne vais pas parler davantage de ce sujet avec vous étant donné le temps qu'il me reste.
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Merci, monsieur le président.
J'imagine donc qu'il y a un mandat spécifique, selon ce que vous dites, pourtant vous mentionnez également qu'il s'est fait beaucoup de rhétorique trompeuse au sujet des divers systèmes que nous avons explorés. C'était un peu surprenant, à mon avis, étant donné que je n'ai jamais entendu aucun des témoins le dire avant. Vous avez dit que les Canadiens préféraient peut-être cette simple forme de représentation géographique et que les sièges étaient remportés à l'échelon géographique local, que ce siège suppose de nombreux votes, et que le parti qui dirige est celui qui a remporté la majorité des sièges.
Nous avons beaucoup parlé de la représentation locale, de la représentation géographique en disant qu'elle mettait en relief la responsabilisation, l'attachement à la collectivité, et du fait que les députés comprenaient leur collectivité locale. Mais dans une circonscription importante sur le plan géographique, comme on en trouve en Ontario et dans toutes les autres provinces, les préoccupations des collectivités nordiques sont très différentes de celles des collectivités de la région de Niagara, par exemple, et aussi des collectivités de la Région du Grand Toronto. Dans les caucus, nous avons tendance à discuter des causes que défendent les députés, dans l'intérêt de leurs régions, et il y a parfois de grandes différences.
Dans un nouveau système, peu importe de quel système il s'agira, comment allons-nous faire pour protéger cet aspect important, la possibilité d'élire une personne qui représente la collectivité, pourra défendre ses intérêts et faire adopter un règlement en sa faveur?
Prenons le cas d'une personne qui se présenterait à mon bureau de circonscription. Je puis l'aider à trouver une solution à son problème, et il se peut que ce problème soit plus courant dans ma région que dans la région d'un de mes collègues. Il nous arrive de discuter des divers problèmes qui se présentent dans nos circonscriptions respectives. Comment allons-nous nous y prendre dans un nouveau système?
La présidence du Comité est assortie de certains avantages, dont l'un est de pouvoir écouter en détail des témoignages fascinants. Un inconvénient est le fait que je ne peux jamais rien dire, sauf si c'est pour interrompre quelqu'un après cinq minutes.
J'aimerais faire un commentaire seulement. Ce n'est pas que je veux défendre le statu quo de quelque façon que ce soit, ce n'est qu'une simple réflexion.
J'ai l'impression que les gens ont tendance à simplifier notre système. Je dis cela en tant que parlementaire qui siège à la Chambre depuis un certain temps. Beaucoup de gens vont affirmer que notre gouvernement — ou l'autre gouvernement — peut faire ce qu'il veut parce qu'il est majoritaire, ou quelque chose du genre. Je leur explique donc que cela n'est pas vraiment vrai, puisqu'il y a beaucoup de freins et de contrepoids dans notre système.
Nous avons des tribunaux. Nous avons des provinces, et leur pouvoir est manifeste à chaque fois que le gouvernement fédéral essaie de négocier un programme national. Nous avons les médias. Il va sans dire que les médias se montrent très critiques de tous les gouvernements, comme ils se doivent de l'être. Nous avons les syndicats, par exemple, et des conventions collectives qui peuvent entraver les gouvernements, même les gouvernements ayant d'écrasantes majorités. Nous avons été témoins de la façon dont un octogénaire armé d'un microphone sur la Colline du Parlement avait mis un frein à la tentative du gouvernement Mulroney de réformer le système de pensions. Dans les années 1960, le gouvernement Diefenbaker — et je n'essaie pas d'isoler les gouvernements conservateurs — jouissait d'une grande majorité, et nous avons vu comment il s'est simplement effondré.
N'est-il pas juste, du moins en partie, de dire que notre système n'accorde pas un pouvoir absolu au parti qui obtient moins de 50 % des votes? Simplement, notre système met l'un des partis dans une meilleure position pour négocier et ainsi surmonter les obstacles qui l'empêchent d'atteindre ses objectifs, lesquels sont parfois d'ampleur nationale.
Il vous reste 15 secondes; je ne veux pas être injuste et étirer, même un peu, la réunion.