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Bienvenue à tous au Comité permanent du patrimoine canadien. Conformément à l'ordre de renvoi du mardi 16 février, nous étudions le projet de loi , Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
Je rappelle à tous que nous siégeons toujours en formule hybride. Nous sommes tous en ligne, semble-t-il, sauf moi. Il est interdit, je le rappelle à tous, de prendre des photos ou des captures d'écran pour les distribuer. Merci beaucoup.
Normalement, je devrais maintenant souhaiter la bienvenue aux participants, mais aujourd'hui, je dois plutôt saluer leur retour. Comme vous le savez, à la dernière séance, nous avons été interrompus. Nous reprenons donc les délibérations qui n'ont pu se dérouler la dernière fois.
Nous voici donc de retour, et nous reprenons les travaux avec les trois premiers témoins, comme la dernière fois. De l'Alliance des producteurs francophones du Canada, nous accueillons Carol Ann Pilon, directrice générale. Il y a aussi Kevin Desjardins, président de l'Association canadienne des radiodiffuseurs. Et Joel Fortune, conseiller juridique, et M. Luc Perreault, conseiller stratégique représentent le groupe des radiodiffuseurs indépendants. Merci beaucoup encore une fois.
Comme vous le savez, les exposés sont limités à cinq minutes, comme la dernière fois, sauf qu'aujourd'hui, nous pourrons passer aux questions.
Nous entendrons d'abord Mme Pilon.
[Français]
Madame Pilon, vous avez la parole pour cinq minutes.
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Je tiens d'abord à remercier le Comité de me recevoir à nouveau.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de faire une présentation, qui a été versée au dossier public, je me contenterai de la résumer brièvement en mettant plus particulièrement en lumière des points qui sont cruciaux pour nous.
La présentation initiale de l'Alliance des producteurs francophones du Canada, ou APFC, mettait de l'avant trois principes fondamentaux.
Le premier porte sur l'absolue nécessité de mettre un terme au traitement inéquitable actuel qui exempte les entreprises en ligne de toute obligation de soutien à la création et à la diffusion de contenus canadiens.
Le deuxième concerne le besoin impératif d'inclure dans le texte de la Loi des dispositions visant à confier au système canadien de radiodiffusion, dans son ensemble, la mission claire de refléter la situation des communautés de langues officielles en situation minoritaire, ou CLOSM, et d'encourager la production d'émissions réalisées par leurs membres.
Le troisième insiste sur l'importance incontournable d'inscrire dans la Loi des dispositions significatives visant à renforcer la place de la programmation originale de langue française au sein du système canadien de radiodiffusion.
Nous avons joint à notre intervention des propositions concrètes de libellés d'articles et d'amendements donnant effet à ces propositions.
Un concept fort qui rallie les principes que nous vous présentons est la culture. Celle qui favorise notre épanouissement, valorise notre identité et permet l'expression de notre langue. C'est ce même grand principe de la diversité des expressions culturelles qui devrait constituer la fondation du système de radiodiffusion canadien et être au cœur de ces orientations.
Depuis notre première intervention, la a déposé un livre blanc qui, dans les années à venir, pourrait conduire à une révision de la Loi sur les langues officielles. Certains prétendent que cette éventuelle révision pourrait suffire à assurer l'atteinte des objectifs de notre second principe.
Bien que la réforme reconnaisse l'importance de soutenir la création et la diffusion du contenu francophone et d'en améliorer l'accès, il faut que cet objectif soit inscrit dans sa loi de référence, la Loi sur la radiodiffusion, afin que cela se traduise concrètement dans la réglementation que mettra en place le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, et qu'il soit inscrit dans les termes les plus clairs possible pour s'appliquer à l'ensemble du système de radiodiffusion.
L'expérience nous a démontré qu'à ce jour, la Loi sur les langues officielles n'a pas contraint le CRTC à mettre en place des mesures ayant des effets concrets en réponse aux besoins des CLOSM. Les chiffres en témoignent d'eux-mêmes puisque le volume de production francophone en milieu minoritaire s'établit à 4 %, bien que nous comptions pour 14 % de la population francophone au pays.
Lors de sa comparution, le ministre du Patrimoine canadien a laissé entendre que le libellé actuel de la Loi a fait en sorte que le CRTC a pu soutenir adéquatement la présence du contenu canadien de langue originale française dans le système de radiodiffusion.
Il est impératif de préciser que cette production est majoritairement québécoise et que l'essor de cette dernière a connu ne s'est pas forcément traduit ailleurs au pays. Ce phénomène n'est pas seulement attribuable aux décisions du CRTC, il relève largement de la politique culturelle québécoise qui, depuis de nombreuses années, favorise la création de produits culturels de langue française. Les francophones en milieu minoritaire ne bénéficient pas de ce soutien équivalent, c'est pourquoi la Loi doit assurer la création, la production, la présentation et la découvrabilité d'émissions originales de langue française, et ce, partout au Canada.
Au cours de vos échanges avec les radiodiffuseurs canadiens, plusieurs de ces derniers ont demandé des allégements très importants à leurs obligations actuelles, cela nous fait craindre que les millions de dollars additionnels provenant des entreprises en ligne ne soient en fait que des dollars de substitution.
Autrement dit, que tout l'exercice ne soit qu'un jeu à somme nulle: les diffuseurs titulaires de licences voyant réduire leur contribution au financement du contenu canadien d'un montant équivalent aux contributions des entreprises numériques.
Le ministre et les représentants de Patrimoine canadien ont clairement mentionné que telle n'était pas l'intention du projet de loi, mais rien dans le texte même de la Loi ne l'indique ni ne le garantit. Cela nous inquiète et nous préoccupe, encore plus compte tenu de l'accent mis sur la notion de souplesse dans le Décret d'instructions au CRTC, publié hier.
C'est pourquoi nous croyons qu'il est nécessaire d'inclure dans le préambule de la Loi ou dans les directives au CRTC que l'objectif est d'accroître les ressources globalement disponibles pour financer la création et la production de contenus canadiens de grande qualité et en assurer le rayonnement et la promotion.
Pour terminer, je dirai que nous saluons la présentation du projet de loi et encourageons le gouvernement à l'adopter dès que possible. Ce grand projet est fédérateur et il représente une occasion exceptionnelle de donner une voix à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens du pays.
Je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
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Bonjour, monsieur le président, membres du Comité.
Je vous remercie de m'avoir invité à revenir aujourd'hui devant le Comité pour discuter de ce projet de loi très important. C'est avec plaisir que je le ferai.
[Traduction]
Je m'appelle Kevin Desjardins et je suis président de l'Association canadienne des radiodiffuseurs.
L'ACR est le porte-parole national des radiodiffuseurs privés du Canada, représentant la grande majorité des exploitants privés de radio et de télévision de diverses collectivités, grandes et petites, qui diffusent dans les deux langues officielles.
Depuis près d'un siècle, les radiodiffuseurs privés canadiens font partie du tissu culturel et économique de notre pays. Ils ont fait entendre les récits proprement canadiens, investi des fonds pour favoriser l'expression des talents canadiens, employé des travailleurs canadiens, reflété la diversité canadienne, payé des impôts au Canada, diverti et informé les Canadiens.
Le projet de loi à l'étude arrive à un stade critique pour notre secteur. Depuis une dizaine d'années, le paysage de la concurrence où évoluent les radiodiffuseurs du Canada a fondamentalement changé. Des concurrents du monde numérique, non réglementés, se sont lancés sur le marché canadien sans entrave aucune et sans surveillance. Ils ont fragmenté les auditoires, fait baisser les revenus et fait augmenter les coûts de la programmation. Par-dessus tout, ils ont chamboulé les modèles commerciaux de la radiodiffusion classique.
Le marché de la publicité a changé radicalement, les plateformes en ligne accaparant maintenant la moitié des dépenses publicitaires. En fait, les stations de télévision classique privées ont déclaré une marge négative de 7 % en 2018-2019, soit la septième année consécutive de pertes. C'était avant la COVID-19.
De même, presque autant de consommateurs canadiens regardent les émissions en continu sur Internet qu'il y en a qui écoutent la télévision par câble ou satellite. En plus de réduire les auditoires et les abonnements, les nouveaux venus ont fondamentalement modifié le comportement des consommateurs.
Ces problèmes structurels exigent des solutions structurelles. Les radiodiffuseurs font leur part en investissant dans de nouveaux contenus et de nouvelles technologies et en suivant les auditoires sur de nouvelles plateformes. Leurs efforts n'en sont pas moins entravés par des obligations réglementaires intenables et inéquitables. C'est pourquoi nous accueillons favorablement le projet de loi .
La Loi sur la radiodiffusion a 30 ans et elle présume qu'existe toujours une réalité qui n'est plus depuis longtemps qu'un vestige de l'histoire. Elle suppose qu'il y a des moyens limités de diffuser du contenu à l'intention des Canadiens, comme c'était le cas à l'époque où ils ne pouvaient regarder ou écouter que des programmes sur les ondes publiques. Comme les licences d'exploitation des canaux de radiodiffusion sur ces ondes étaient rares, elles étaient très précieuses. Les obligations réglementaires imposées aux radiodiffuseurs, surtout en ce qui a trait au contenu canadien, étaient proportionnellement très lourdes.
Aujourd'hui, parce que les auditoires peuvent choisir entre une multitude de plateformes, la valeur des licences de radiodiffusion est bien inférieure à ce qu'elle a été. Néanmoins, les obligations réglementaires sont tout aussi lourdes voire parfois plus lourdes. Les radiodiffuseurs canadiens se retrouvent donc parmi les entreprises les plus lourdement réglementées au Canada, à un moment où ils tentent de livrer concurrence dans l'un des secteurs les plus profondément perturbés au monde.
Ces tendances ont provoqué une crise existentielle. Selon une étude publiée l'an dernier, les radiotélédiffuseurs allaient perdre plus d'un milliard de dollars en revenus entre 2020 et 2022.
Les radiodiffuseurs privés du Canada ne veulent pas revenir en arrière. Ils envisagent l'avenir avec optimisme. Ils veulent continuer d'évoluer avec les Canadiens et d'apporter une richesse culturelle et économique à la société, mais ils ne peuvent pas continuer à assumer seuls leurs importantes obligations.
Soumettre les radiodiffuseurs numériques au régime de réglementation est une première étape nécessaire, et le projet de loi le fait bien. Il ne suffit pas d'appliquer un régime parallèle pour arracher quelques dollars aux géants du numérique. Nous devons rééquilibrer les obligations et créer un cadre réglementaire moderne, souple et durable qui permettra aux radiodiffuseurs canadiens de s'adapter aux nouvelles réalités.
Ces changements sont particulièrement importants si nous voulons maintenir l'un des services publics les plus importants que nos radiodiffuseurs nationaux continuent d'offrir, c'est-à-dire les informations locales.
Les radiodiffuseurs privés canadiens demeurent particulièrement fiers d'être la principale source d'information dans les collectivités de tout le pays. À l'ère de la désinformation et des pandémies, il est essentiel de trouver des moyens de continuer à appuyer les services locaux d'information qui rendent compte des réalités de leurs collectivités et renvoient aux Canadiens une image juste et exacte du Canada. Nous savons que les géants du numérique ne s'intéresseront jamais tellement à la diffusion des informations du soir de Lethbridge, de Saskatoon, de Peterborough ou de Québec.
En fin de compte, le projet de loi doit appuyer les informations locales et nous aider à trouver des façons de veiller à ce que ces récits canadiens essentiels soient financés partout au Canada, dans tous les marchés, grands et petits.
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Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie de nous donner l'occasion de terminer notre présentation.
Je suis conseiller stratégique au sein du Groupe Stingray, qui est membre du Groupe de diffuseurs indépendants, ou GDI. Je suis accompagné de M. Joel Fortune, conseiller juridique auprès du GDI.
Le Groupe appuie le projet de loi , mais demande qu'il soit amendé avant son adoption. Le projet de loi donne au CRTC la compétence nécessaire pour superviser les services de programmation en ligne, comme Netflix, qui offrent des émissions individuelles aux abonnés. Le projet de loi donne au CRTC des pouvoirs importants, mais il lui retire celui de surveiller les services de distribution en ligne au moment même où les principales entreprises de câblodistribution au Canada s'apprêtent à offrir des services de distribution par Internet pour accompagner leurs services de câblodistribution déjà établis.
Ce manque de supervision touche aussi les plateformes mondiales, comme Netflix, Amazon et Apple TV, qui offrent également des plateformes de distribution regroupant des applications et des services fournis par d'autres entreprises. Plusieurs d'entre elles, dont Pluto TV, offrent d'ailleurs des services avec des guides de programmation et du contenu linéaire.
À l'heure actuelle, le CRTC a le pouvoir de veiller à ce que les services canadiens soient traités équitablement dans cet environnement en ligne. Le projet de loi C-10 élimine cette compétence. Les quelques changements que nous avons proposés régleront ce problème.
Pourquoi ce pouvoir réglementaire est-il si important?
En tant que radiodiffuseurs indépendants, nous savons à quel point il est essentiel d'avoir un accès équitable aux plateformes de distribution. Je vais laisser mon collègue Joel Fortune le soin de vous expliquer pourquoi l'avenir des radiodiffuseurs indépendants et des distributeurs indépendants dépend de ces amendements.
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Le GDI a récemment terminé une étude qui met en lumière certains des problèmes du système de radiodiffusion actuel du Canada. Entre 2015 et 2019, des consommateurs canadiens ont coupé le cordon et le nombre d'abonnés a chuté d'environ 6,5 %. L'étude du GDI révèle qu'au cours de la même période, les revenus des services télévisuels canadiens discrétionnaires, non obligatoires, ont diminué encore plus rapidement, soit de 20 %. Pendant ce temps, les revenus des grands services discrétionnaires intégrés verticalement ont augmenté. Le tarif de gros collectif par abonné pour ces services a augmenté de plus de 20 % pendant la même période. C'est plus du double du taux d'inflation.
Ces différences donnent fort à penser que la puissance commerciale des grandes EDR intégrées verticalement du Canada fausse le marché canadien. Ce genre d'écart dans les revenus est intenable. Il mine la diversité du système canadien. Nous croyons qu'il faut s'intéresser aux règles du CRTC dans ce domaine, mais, au moins, le CRTC a le pouvoir de faire le nécessaire. Aux termes du projet de loi , il ne sera pas en mesure de le faire pour les services en ligne.
Dans les services en ligne, il est impératif que le CRTC ait clairement compétence pour assurer le traitement équitable de tous les acteurs, y compris dans l'utilisation sans cesse changeante des algorithmes et dans l'utilisation équitable des données. Nous ne sommes pas les seuls à avoir ces préoccupations. La Canadian Communication Systems Alliance, ou CCSA, représente les entreprises indépendantes qui offrent des services de câblodistribution et de télévision sur IP. Elles sont l'une des deux parties de la radiodiffusion indépendante au Canada et nous sommes l'autre.
Dans le mémoire qu'elle vous a présenté, la CCSA souligne l'importance, pour le travail du Comité, de la puissance commerciale des géants médiatiques du Canada. Nous appuyons les observations de la CCSA, qui font écho aux nôtres, et les modifications qu'elle propose, en plus des nôtres. La CCSA propose un amendement à l'alinéa 9.1(1)f) au sujet des contrats entre les entreprises de radiodiffusion.
La CCSA propose également de prévoir dans le projet de loi, pour le CRTC, le pouvoir d'assurer une protection contre les préférences et les désavantages injustifiés dans la distribution. Ces deux amendements tiennent compte de la réalité des regroupements dans le secteur de la radiodiffusion au Canada.
Enfin, je vais revenir sur d'autres points abordés dans les délibérations du Comité. Pour ce qui est de la propriété canadienne, le projet de loi devrait prévoir comme objectif stratégique la propriété canadienne de tous les types de services. Il faut actualiser cet objectif et non le supprimer. Quant au rôle des radiodiffuseurs canadiens, on prétend les soutenir, on souligne leur rôle important comme fondement du système, mais le projet de loi omet la question la plus importante pour la plupart d'entre eux: l'accès équitable aux moyens de distribution.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
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La population francophone à l'extérieur du Québec compte pour 14 % de la population francophone au Canada. Présentement, la Loi sur la radiodiffusion comporte une seule référence à la dualité linguistique. Dans le projet de loi actuel, c'est la seule disposition qui nous confère un statut. Il est donc très important de nommer explicitement les communautés de langue officielle en situation minoritaire pour assurer la production de contenus, de même que l'accès à ces contenus dans les communautés situées à l'extérieur du Québec.
Selon certains, la Loi sur les langues officielles nous confère un certain statut du fait qu'elle est quasi constitutionnelle. Cela étant dit, il n'y a que Radio-Canada, à l'heure actuelle, qui est assujettie à des dépenses liées à des émissions canadiennes ou qui a dans son mandat, en application de la Loi, des obligations envers les communautés francophones en situation minoritaire.
Les grands groupes privés n'ont pas ces obligations. Or, en ce qui concerne ces groupes, le CRTC a choisi d'interpréter la dualité linguistique d'une façon assez vague. Il leur a imposé certaines attentes ou leur a offert des incitatifs qui ont eu très peu d'effet pour ce qui était de répondre aux besoins des CLOSM.
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Je vais peut-être répondre à cette question.
Bien des choses ne sont pas définies dans le projet de loi. Le terme « Internet » ne l'est pas nécessairement. Ce sont des termes qui sont généralement compris et qui peuvent acquérir un certain sens au gré des interprétations normales de la Loi.
Quant aux « conditions de service », par exemple, si vous parlez des conditions de service entre les entreprises de radiodiffusion, elles sont négociées par ces entreprises. S'il s'agit des conditions de service offertes aux consommateurs, ce sont généralement les dispositions contractuelles qui leur sont proposées. Nous pouvons nous enliser dans toutes sortes de problèmes de définition.
Il y a quelques définitions extrêmement importantes dans la Loi. Ce sont celles d'entreprise en ligne, d'entreprise de programmation, d'entreprise de distribution, de réseau. Il y en a bien d'autres. Il est important de...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup à tous les témoins d'être revenus aujourd'hui et d'avoir enfin pu faire des exposés complets.
Je vais adresser mes questions à Mme Pilon.
En tant que membre du Comité qui vient d'une communauté de langue officielle en situation minoritaire et qui se préoccupe beaucoup de cette question, j'estime que l'un des thèmes qui doit le plus être modifié dans cette loi, c'est la reconnaissance de la place des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada.
Au Québec, comme des témoignages antérieurs nous l'ont appris, plus de 25 % du contenu anglais original au Canada était autrefois créé au Québec; aujourd'hui, c'est moins de 7 %.
[Français]
Dans le reste du pays, seulement 4 % de contenu francophone est créé par des francophones hors Québec, et je ne crois pas que cela soit suffisant. Il faut trouver un moyen d'assurer non seulement l'épanouissement de la création, de la production et de la présentation d'émissions originales en langue française partout au Canada, y compris en français au Québec, mais aussi de reconnaître dans la Loi les communautés francophones de l'extérieur du Québec et la communauté anglophone du Québec.
Madame Pilon, quelles seraient donc les vraies conséquences de ne pas nommer explicitement dans la Loi les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada? J'imagine que vous m'avez entendu quand j'ai posé la même question au ministre . Il m'a dit que la réglementation du CRTC garantit ces choses-là. Cependant, je suis d'avis qu'il est préférable de le mentionner explicitement dans la Loi.
Êtes-vous d'accord sur cela?
:
Nous sommes tout à fait d'accord à ce sujet. Nous proposons deux principes pour assurer cette protection. Le premier vise vraiment les communautés de langue officielle en situation minoritaire, autant les anglophones au Québec que les francophones à l'extérieur du Québec.
Nous proposons aussi qu'un article soit ajouté à l'article 3 pour assurer précisément la création de contenus par et pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire et en garantir l'accès. Nous utilisons des mots, comme « assurer » et « garantir », qui sont des mots très clairs, très précis et qui ont un caractère fortement impératif.
Par le passé, cette dualité linguistique était souvent interprétée de façon très large dans les décisions relatives à nos communautés et dans les consultations avec le CRTC, comme je le disais tantôt.
Certains pourraient prétendre que la dualité linguistique peut être assurée en offrant du contenu francophone au Québec et du contenu anglophone dans le reste du Canada.
Dans la Loi actuelle, de même que dans le projet de loi , le seul endroit où les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont nommées, c'est dans le mandat de Radio-Canada.
J'irai même plus loin. Au moment du dernier renouvellement du mandat de Radio-Canada, on avait ajouté une condition selon laquelle un certain pourcentage des dépenses du radiodiffuseur devaient être engagé pour des productions à l'extérieur du Québec. L'interprétation qui en a été faite a fait en sorte que, dans les rapports du CRTC, Radio-Canada a inclus des productions anglophones doublées en français dans le compte des dépenses figurant dans les rapports pour respecter ses obligations.
Le fait de ne pas être précis, de ne pas nommer exactement les choses, peut entraîner toutes sortes d'interprétations. C'est ce que nous voulons éviter. Nous voulons que les dispositions du projet de loi énoncent clairement que les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont une valeur et qu'elles reconnaissent leur appartenance à l'identité canadienne et du système de radiodiffusion.
:
Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Ce qui m'a bien impressionné au sujet de vos amendements, qui sont très précis, c'est que vous avez travaillé non seulement avec les membres de votre organisation à l'extérieur du Québec, mais aussi avec les anglophones du Québec, comme le...
[Traduction]
Quebec English-Language Production Council.
[Français]
Vous avez aussi travaillé avec les diffuseurs francophones du Québec. Vous avez donc travaillé avec tous ces groupes pour essayer de trouver un équilibre dans le libellé de vos amendements afin de protéger le français partout au Canada, y compris au Québec. Votre objectif est de protéger également les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Québec et ailleurs au Canada. Je trouve cela très bien.
Ma prochaine question concerne un sujet que vous n'avez pas abordé.
Quelles sont vos craintes en ce qui a trait à l'absence de dispositions dans le projet de loi qui permettraient au CRTC d'encadrer les relations contractuelles entre les producteurs indépendants et les entreprises de radiodiffusion?
[Français]
En effet, il faut qu'il soit inscrit quelque part, soit dans le préambule de la loi, soit dans les directives, qu'on cherche à accroître le soutien à la production et à la diffusion de contenu canadien. Je pense qu'il faut que ce soit clair, parce que, comme M. Perreault la dit, effectivement, on peut être à la merci des décrets successifs qui pourraient être déposés par le gouverneur en conseil, ce qui pourrait faire en sorte que l'interprétation change d'un gouvernement à l'autre.
Idéalement, on dirait clairement dans le préambule de la loi que c'est pour soutenir la création canadienne qu'on fait ce projet de révision.
Je viens d'Edmonton Strathcona, et nous avons une très importante population francophone. Je suis très préoccupée par les moyens à prendre pour protéger les minorités de langue officielle et leurs droits linguistiques.
Je vais poser quelques questions au groupe de diffuseurs indépendants.
Vous avez probablement suivi les délibérations lundi, lorsque le ministre s'est joint à nous. Je lui ai demandé si le projet de loi garantirait que les radiodiffuseurs canadiens ne soient pas achetés par des entreprises étrangères.
Que pensez-vous de la question? Pourquoi avons-nous besoin d'une disposition dans le projet de loi pour protéger les radiodiffuseurs canadiens? Pourriez-vous en dire un mot, monsieur Perreault ou maître Fortune?
De façon générale, la Loi comporte deux grandes parties. Il y a les objectifs de politique énoncés à l'article 3, puis il y a les pouvoirs. Les deux éléments sont indispensables. Il faut avoir des objectifs stratégiques et il faut avoir les pouvoirs voulus. On peut bien avoir tous les nobles objectifs politiques du monde, s'il n'y a aucun pouvoir pour les appuyer, ce n'est pas la peine. De la même façon, on peut avoir tous les pouvoirs du monde, mais s'il n'y a pas d'objectif défini dans la Loi, les contestations peuvent pleuvoir.
Dans le cas de la propriété, tout d'abord sur le plan des politiques, il serait incroyable pour moi que le soutien de la propriété canadienne dans notre système ne soit pas un objectif. Cela ne veut pas dire que le libellé sur la propriété ne devrait pas être modifié; peut-être devrait-il l'être. Quoi qu'il en soit, nous avons proposé un amendement qui, selon moi, tient compte des plateformes mondiales tout en préservant l'espace nécessaire aux radiodiffuseurs canadiens.
Pourquoi ce choix? Nous ne voulons pas que les radiodiffuseurs canadiens soient simplement des succursales de plateformes étrangères. Je renvoie le Comité à l'excellent rapport Lincoln de 2003, qui dit précisément que l'intérêt supérieur des citoyens canadiens et la promotion de nos talents et de notre imagination ne peuvent être laissés à des intérêts étrangers.
Sur le plan juridique, la directive existe en vertu du texte législatif actuel, et elle exige que le système de radiodiffusion soit détenu et contrôlé par des Canadiens. Cette orientation est directement liée à cet objectif. S'il n'y a pas d'objectif en matière de la propriété canadienne, au nom de quoi peut-on donner cette directive? Il est certainement possible de contester en droit la directive en soutenant qu'elle ne tient plus, compte tenu des changements apportés à la politique et à la Loi. C'est ce qui nous préoccupe.
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À mon avis, il est très important qu'on fasse avancer ce projet de loi. Si, dans cinq ans, les plateformes mondiales sont vraiment, pour tous les Canadiens, le moyen d'accéder au contenu, il est clair que nous ferons face à un sérieux problème. En effet, ces grandes plateformes mondiales ne paient pas d'impôt au Canada. Le Canada ne bénéficie pas d'avantages fiscaux sur les revenus qu'elles engrangent.
De plus, il y a le fait que ce sont elles qui auront leur mot à dire sur notre souveraineté culturelle. Cela implique des décisions importantes concernant les contenus qui seront offerts. Les algorithmes qui, par l'entremise de certaines applications, orientent les Canadiens vers des contenus, sont créés à l'étranger pour des plateformes mondiales. Ces grandes plateformes n'ont donc pas beaucoup d'intérêt pour le Canada.
Il est important de commencer à superviser cet écosystème pour assurer la découvrabilité des contenus canadiens. Il faut voir à ce que le Canada, les Canadiens, aient accès à des programmateurs canadiens, et non à des programmateurs qui signent des ententes globales, mondiales, avec certains services.
Je vous donne comme exemple Stingray. Il est très difficile d'avoir accès à ses plateformes mondiales parce qu'elle a tendance à signer des ententes avec Spotify, entre autres. Ces décisions sont prises à l'extérieur du Canada. Les artistes, les créateurs et les diffuseurs canadiens vont donc tous être en difficulté si on n'est pas en mesure rapidement de superviser l'écosystème des grandes plateformes mondiales.
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Je voudrais reformuler. Il ne s'agit pas de réduire le contenu canadien. Ce n'est pas ce dont nous avons parlé. Il s'agit d'être plus souple quant au genre de contenu canadien dans lequel les radiodiffuseurs canadiens peuvent investir. À l'heure actuelle, il y a des règles assez strictes sur la nature des émissions à financer et sur celles que les radiodiffuseurs doivent appuyer.
Une chose me préoccupe: s'il y a d'une part des obligations en matière de dépenses et, d'autre part, une contraction des revenus publicitaires, ce qui finit par écoper, c'est la production interne des radiodiffuseurs, c'est-à-dire les informations. À dire vrai, les émissions d'information sont loin d'être assez bien considérées comme une expression du récit canadien. En fait, plus de Canadiens se tournent vers les radiodiffuseurs pour obtenir de l'information — de préférence aux journaux — que vers toute autre source. Quant à nous, ce que nous souhaitons vraiment, c'est qu'on nous laisse réinvestir à l'interne dans les émissions d'information et d'actualités des radiodiffuseurs.
Il ne s'agit pas de réduire le contenu canadien. Le prétendre, c'est propager des bobards. Il s'agit de permettre aux radiodiffuseurs d'investir dans leurs propres émissions sans être nécessairement tenus de dépenser à l'extérieur de leurs services.
Bienvenue à la deuxième partie de la séance d'aujourd'hui. Nous discutons du projet de loi .
Nous allons entendre les témoignages. Nous manquons de temps. J'espère pouvoir faire deux tours. Je demanderai peut-être à réduire un peu le temps alloué au deuxième tour. Soyez indulgents. Nous y viendrons un peu plus tard.
Pour l'instant, je vais présenter les témoins. De la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, nous accueillons Nathalie Guay, directrice générale, et Bill Skolnik, coprésident. Wendy Noss, présidente, représente l'Association cinématographique-Canada. Et de l'Alliance internationale des employés de scène, nous accueillons John Morgan Lewis. Enfin, de Québecor Média, nous accueillons Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction, et Peggy Tabet, vice-présidente aux affaires publiques et réglementaires.
Nous allons entendre tout d'abord la Coalition pour la diversité des expressions culturelles.
Monsieur Skolnik, vous avez cinq minutes.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie le Comité de nous avoir invités cet après-midi. Je m'appelle Bill Skolnik. Je suis coprésident de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, la CDEC. La Coalition regroupe 43 organisations qui représentent plus de 200 000 créateurs, interprètes et membres d'associations professionnelles, artisans en production musicale et visuelle, éditeurs, syndicats et collectifs.
Depuis plus de 20 ans, nos membres travaillent ensemble à la protection et à la promotion des expressions culturelles diverses du Canada. Ma collègue Nathalie Guay et moi avons été des délégués des OSC à plusieurs assemblées de l'UNESCO consacrées à ce sujet. Cette protection et cette promotion cruciales supposent l'exercice de la souveraineté culturelle. L'examen de la Loi sur la radiodiffusion est un élément essentiel parmi les outils à utiliser pour rétablir un certain équilibre dans notre écosystème. Il convient de souligner que le maintien de la diversité culturelle a été délibérément inclus dans le mandat de la commission Yale.
Nous avons appris récemment qu'une personne sur quatre travaillant dans ce secteur a perdu son emploi en 2020 à cause de la pandémie. Parallèlement, les entreprises qui donnent accès aux expressions culturelles en ligne ont réalisé des profits considérables. Les revenus de Netflix ont augmenté de plus de 22 % en 2020. Ce fut aussi une excellente année pour Spotify. Le total des abonnements a augmenté de 27 %.
La CDEC a salué la présentation du projet de loi , le 3 novembre 2020, et s'est réjouie de l'accord de tous les parlementaires pour en accélérer l'adoption, ce que nous interprétons comme une prise de conscience commune de l'urgence d'agir.
Bon nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité ont parlé de nos propositions visant à améliorer le projet de loi. Nous sommes allés au fond des choses pour nous assurer que la Loi sur la radiodiffusion permet vraiment au Canada de maintenir sa souveraineté culturelle. Les changements que nous vous demandons d'envisager sont le résultat d'un consensus sans précédent qui s'est dégagé parmi nos membres, qui se caractérisent par la diversité de leurs intérêts et leur éclectisme. Nous répondrons au projet d'orientation stratégique avec les mêmes objectifs. La Loi sur la radiodiffusion ne se borne pas à réglementer un secteur d'activité. Elle est l'expression d'une politique culturelle et doit le rester.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Guay, qui vous présentera ces propositions.
Merci.
:
Merci, monsieur Skolnik.
Bonjour à toutes et à tous.
Je m'appelle Nathalie Guay et je suis directrice générale de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles.
Vous avez reçu nos sept grandes demandes pour bonifier le projet de loi . Je vais les survoler et je serai heureuse de recevoir vos commentaires et vos questions.
Premièrement, il faut inclure les services de distribution fournis par les entreprises en ligne, comme cela a été présenté plus tôt aujourd'hui, et inclure sans ambiguïté les médias sociaux. Nous comprenons que l'intention est bien d'inclure les médias sociaux, y compris leur rôle d'organisation de contenu professionnel, mais nous trouvons que les exclusions amènent une confusion dans le projet de loi C-10. Notre approche permet de les inclure d'emblée, notamment pour que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, puisse pleinement utiliser ses nouveaux pouvoirs pour recueillir des informations auprès de ces entreprises, puis laisser ce dernier déterminer si ces entreprises doivent contribuer à nos écosystèmes et comment elles doivent le faire.
Deuxièmement, pour notre souveraineté culturelle, notre identité et notre cohésion sociale, ce système doit être sous contrôle canadien. La directive du CRTC dont on parle beaucoup ne s'applique pas aux entreprises qui n'ont pas besoin d'une licence. Le système peut être essentiellement canadien, malgré la présence de certaines entreprises étrangères.
Troisièmement, la loi doit continuer de mettre en valeur les talents canadiens. La formulation de l'alinéa 3(1)f) proposé au paragraphe 2(3) du projet de loi pourrait faire en sorte que les entreprises de radiodiffusion n'aient plus aucune obligation de faire appel aux talents canadiens, alors que le texte actuel permet déjà de tenir compte de la nature du service.
Quatrièmement, nous pensons qu'il faut élargir les possibilités d'appel au gouverneur en conseil. Le projet de loi C-10 donne beaucoup de pouvoirs au CRTC. Assurons-nous d'un meilleur équilibre en permettant aux organisations de la société civile de présenter des recours pour déclencher une révision d'une décision du CRTC.
Cinquièmement, il faut des dispositions plus robustes pour s'assurer de la création de contenu original en langue française et pas que de contenus traduits ou sous-titrés en français. Pour tenir compte de la diversité culturelle, il faut aussi des émissions originales de langue française issues des minorités francophones et des émissions en langues autochtones.
Sixièmement, les ordonnances devraient avoir une durée maximale et pouvoir être modifiables, afin de permettre aux diffuseurs et aux producteurs de mieux planifier leur programmation et leur production, mais aussi pour s'assurer que les conditions sont réexaminées et que tous les intervenants peuvent se faire entendre concernant un service.
Septièmement, il faut éviter un nivellement vers le bas. La formulation de l'alinéa 5(2)a.1) proposé au pagraphe 4(1) du projet de loi, par exemple, ouvre la porte à ce que des entreprises puissent se comparer trop facilement à d'autres pour obtenir des conditions moins contraignantes. Ensuite, il pourrait être plus logique et avantageux d'adapter des exigences de dépenses à des entreprises précises plutôt que de définir par règlement ce qui pourrait ressembler à un minimum s'appliquant à tous. Nous souhaitons aussi qu'il y ait un processus d'audience publique pour l'émission des ordonnances.
Enfin, deux autres corrections méritent d'être apportées. Le CRTC doit continuer à se prononcer sur la proportion d'émissions consacrées à certains genres, sans quoi les émissions d'intérêt national, les émissions pour enfants, les dramatiques et les documentaires risquent d'être négligés au profit d'émissions moins coûteuses à produire, comme le sport et la téléréalité.
Le CRTC doit aussi pouvoir encadrer les pratiques contractuelles entre les producteurs indépendants et les entreprises de programmation, y compris le secteur de la musique. C'est une proposition du rapport Yale qu'il faudrait intégrer, compte tenu de la taille des joueurs qui seront soumis à des ordonnances et à des réglementations du CRTC.
Merci.
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Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du Comité.
Merci de nous avoir offert l'occasion de vous exposer le point de vue commun des studios mondiaux représentés par l'Association cinématographique-Canada, qui regroupe notamment Walt Disney, ViacomCBS/Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, Netflix, NBCUniversal/Universal Pictures et Warner Brothers.
Tous investissent largement dans l'économie de la création au Canada: production de séries télévisées et en continu, longs métrages, postproduction de calibre mondial, effets visuels et projets d'animation. Ils emploient plus de 94 000 Canadiens chaque année et soutiennent plus de 23 000 entreprises canadiennes.
Je suis accompagnée, en mode virtuel, de John Lewis, qui dirige l'Alliance internationale des employés de la scène et des projectionnistes au Canada. L'Alliance est le plus grand syndicat représentant les travailleurs du divertissement, les costumiers et décorateurs, les monteurs, les directeurs de photographie, les artistes des effets visuels et à peu près toute l'équipe.
Nous avons tous deux pensé qu'il serait utile de souligner que nos grands studios et cette grande organisation syndicale sont d'accord pour dire que la politique culturelle moderne doit tenir compte des possibilités qui s'offrent à tous les Canadiens qui créent des films, des émissions de télévision et des émissions de divertissement en continu au Canada et que les investissements étrangers sont importants pour la création au Canada.
Depuis de nombreuses années, les membres de l'Association sont des partenaires et des investisseurs dans les milieux de la création au Canada, et aujourd'hui, ils offrent aux consommateurs canadiens divers choix en ligne, y compris du divertissement provenant du monde entier sur Netflix, les marques Disney tant aimées sur Disney+, les émissions de téléréalité de Hayu de NBCUniversal, le service Pluto TV de ViacomCBS et leur nouveau service Paramount+ appuyé par la publicité, et le service de diffusion en continu d'animation japonaise le plus populaire de la francophonie, Wakanim de Sony.
C'est dans cette perspective générale que nous reconnaissons que les questions complexes qui sont au coeur du projet de loi C-10 ont fait l'objet d'une excellente réflexion. Nous tenons à féliciter le gouvernement d'avoir reconnu qu'il est logique d'aborder avec souplesse l'élaboration d'une politique de radiodiffusion moderne, compte tenu de l'évolution rapide et constante du marché.
Les services de diffusion en continu à l'échelle mondiale offrent des possibilités aux créateurs canadiens, contribuent à la croissance économique et offrent un divertissement intéressant aux consommateurs canadiens. Permettre au CRTC d'adapter les conditions de service avec souplesse, en fonction de la meilleure façon dont chacun de ces services peut ou devrait contribuer à la société canadienne, est une approche optimiste et sensée.
Pour moderniser complètement la politique de radiodiffusion, nous recommandons d'ajouter trois critères aux facteurs dont le CRTC devra tenir compte dans ses décisions futures, comme le prévoit l'article 5 de la Loi.
Plus précisément, le Parlement devrait exiger que le CRTC fasse ce qui suit: premièrement, encourager la concurrence et l'innovation; deuxièmement, veiller à ce que la réglementation des entreprises en ligne favorise le choix et l'abordabilité pour les consommateurs canadiens; troisièmement, reconnaître que la concurrence et le choix croissant de programmation en ligne contribuent aux objectifs de la politique de radiodiffusion.
L'ajout de ces critères fera en sorte que le projet de loi ne perpétue pas une politique de radiodiffusion vieille de plusieurs décennies, mais crée plus de choix pour les consommateurs et plus de débouchés pour les créateurs et les cinéastes canadiens.
Certains soutiennent que le projet de loi devrait simplement imposer aux entreprises en ligne les mêmes obligations qu'aux radiodiffuseurs canadiens. Ils laissent ainsi entendre que rien n'a changé depuis des décennies. La Loi sur la radiodiffusion était conçue pour limiter le choix des consommateurs. Cette approche fait abstraction des nombreux avantages que la politique a valus aux radiodiffuseurs. Elle ne tient pas compte des modèles d'affaires très différents des services de diffusion en continu, de leur offre de contenu, ni des avantages uniques que les studios mondiaux apportent au Canada en investissant dans la production.
D'aucuns vous demandent d'amender le projet de loi pour en atténuer la souplesse, mais nous croyons que la bonne façon de servir les créateurs, les travailleurs et les consommateurs du Canada est d'élaborer un cadre stratégique tourné vers le changement et qui aide le Canada à en tirer parti.
Les entreprises en ligne créent un divertissement aux dimensions mondiales et reflètent un large éventail de points de vue et d'expériences. Ce contenu est fait au Canada grâce à la créativité des Canadiens. Il fait partie d'un marché mondial du contenu qui a entraîné des investissements étrangers de plus de 4,8 milliards de dollars par année dans la production au Canada. Près de 90 % de la croissance des investissements dans la production au Canada au cours des cinq dernières années, et plus de la moitié de toute la production au Canada, sont attribuables aux investissements des studios mondiaux alimentés par ces nouvelles entreprises.
Les Canadiens talentueux, qui veulent rester au Canada, perfectionner leurs compétences, travailler au sommet de leur art, aident à créer des récits qui trouvent un écho chez des auditoires du monde entier. Ils ont besoin que cette politique soit souple et capable de s'adapter. Les téléspectateurs, qui veulent les meilleures histoires, qu'elles viennent du Canada ou du reste du monde, ont besoin que cette politique soit tournée vers l'avenir et conviviale.
Une approche moderne qui favorise l'investissement, la concurrence et l'innovation plutôt que le protectionnisme permettra d'avoir un plus grand marché pour la création au Canada, plus de possibilités de développement des talents pour les créateurs canadiens, plus d'emplois pour les travailleurs canadiens et des avantages pour les consommateurs canadiens.
Merci de nous avoir permis de vous présenter ce point de vue. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés.
Je suis Pierre-Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor Média. Je suis accompagné de ma collègue Mme Peggy Tabet, vice-présidente aux affaires publiques et réglementaires de Québecor Média.
Le projet de loi est une révision longuement attendue de la Loi sur la radiodiffusion. Nous en avons parlé. Depuis sa dernière mise à jour en 1991, il y a 30 ans, le moins qu'on puisse dire est que le paysage de la radiodiffusion a connu un bouleversement profond et irréversible avec l'émergence de diffuseurs en ligne étrangers tels que Netflix, Disney+ et Amazon, dont les capitalisations boursières sont de plusieurs centaines de milliards de dollars. On parle de 1 500 milliards de dollars pour Amazon, et de 357 milliards de dollars pour Disney+. Afin de mettre ces montants en perspective, je vous signale que, pour Québecor Média, il s'agit de 8 milliards de dollars.
En 2020, 68 % des Canadiens francophones étaient abonnés à un service de diffusion en ligne, et un francophone sur deux était abonné à Netflix. La concurrence mondialisée avec les géants du Web comme Facebook et Google a largement déstabilisé notre système de radiodiffusion et, plus que jamais, les joueurs traditionnels locaux, comme TVA et Vidéotron, font face à une iniquité injustifiable et insoutenable.
Lors du dévoilement du projet de loi C-10, le document de présentation du ministère du Patrimoine canadien promettait de « remédier aux asymétries réglementaires » et d'« offrir de la flexibilité et de la prévisibilité ». Or, force est de constater que les conséquences du projet de loi dans son état actuel vont à l'encontre de ces objectifs.
Pour les entreprises traditionnelles, qui mettent en valeur notre culture québécoise et francophone ainsi que les retombées économiques qui en découlent, le projet de loi impose de nouvelles mesures réglementaires contraignantes qui ne résoudront pas l'iniquité à laquelle elles doivent faire face depuis plusieurs années et qui ne font que les enliser davantage dans un gouffre financier et un univers kafkaïen de réglementation. De 2010 à 2019, les principales télévisions généralistes privées au Canada ont subi une baisse colossale de leurs bénéfices avant intérêts et impôts totalisant 223 millions de dollars canadiens et, de 2010 à 2020, cette baisse était encore plus marquée, totalisant 336 millions de dollars.
L'intention originelle du législateur, certainement légitime, de réglementer la télédiffusion avait comme corollaire l'octroi d'une licence et la détention d'un privilège. Depuis de nombreuses années, la technologie permet de diffuser sans frontière et sans licence. Alors, tenter de réglementer « l'irréglementable » est illusoire. C'est la raison pour laquelle le projet de loi devrait accorder la flexibilité réglementaire nécessaire aux joueurs traditionnels et alléger leurs fardeaux administratif et financier en retirant les obligations superflues. Pour que la Loi sur la radiodiffusion soit moderne et équitable pour les entreprises d'ici, Québecor Média croit fermement qu'il faut assouplir la réglementation quand les forces du marché opèrent déjà efficacement et réglementer uniquement où il est nécessaire de le faire.
Par ailleurs, on ne peut passer sous silence le grand absent de ce projet de loi, soit un mandat recentré pour CBC/Radio-Canada. Récemment, le CRTC a tenu des audiences publiques dans le cadre du renouvellement des licences de CBC/Radio-Canada. Plus de 70 intervenants de l'industrie se sont succédé pour dénoncer les dérapages du diffuseur public, sans compter les plaintes déposées au CRTC à ce sujet et la pétition des Amis de la radiodiffusion, signée par plus de 16 000 personnes, contre la nouvelle diffusion de contenu de marque Tandem, dont plusieurs collaborateurs de CBC/Radio-Canada.
La course effrénée de CBC/Radio-Canada aux cotes d'écoute, ses visées commerciales et sa soif insatiable de revenus compromettent l'avenir et la pérennité des diffuseurs privés et, par voie de conséquence, la diversité des contenus. Chaque acteur du système doit jouer son rôle et, pour ce faire, le législateur se doit plus que jamais de revoir en profondeur le mandat du diffuseur public.
En conclusion, après 30 ans d'attente, le législateur propose de réglementer les entreprises étrangères au lieu de déréglementer les entreprises locales. Nous avons de sérieuses réserves quant à la capacité du CRTC de mettre en application cette nouvelle réglementation et de contraindre les entreprises étrangères en ligne. Afin d'éviter que cette nouvelle loi soit un coup d'épée dans l'eau, il est urgent que le législateur apporte des amendements aux lois permettant la mise en place d'un écosystème flexible et équitable, tant sur le plan réglementaire que fiscal, afin que nos entreprises demeurent pérennes et que notre culture demeure forte.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins qui ont pris le temps de se joindre à nous cet après-midi.
Ma première question va s'adresser à vous, monsieur Péladeau.
Dans votre conclusion, vous disiez que vous aviez de sérieux doutes quant à la capacité du CRTC de mettre en application la nouvelle réglementation proposée dans le projet de loi . Pour rétablir l'équité entre les géants du Web et les entreprises de diffusion traditionnelles, vous soutenez que le législateur, au départ, aurait dû au moins alléger le fardeau réglementaire de ces dernières avant même de penser à réglementer les joueurs en ligne.
À quel égard auriez-vous souhaité un assouplissement réglementaire? Pouvez-vous nous donner plus d'informations?
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Il y a une panoplie de règlements auxquels sont assujettis, non seulement les radiodiffuseurs, mais également les télédistributeurs. Ces règlements pénalisent considérablement ces entreprises canadiennes qui créent de l'emploi, font travailler des Canadiens et des Canadiennes et participent très étroitement au financement de la télévision et de la culture canadiennes.
Vous savez probablement que les télédistributeurs canadiens participent de façon importante au financement de la télévision. Cela dit, des personnes qui m'ont précédé ont abordé le phénomène du cord cutting, ou désabonnement du câble. Les câblodistributeurs perdent effectivement des clients parce qu'ils sont assujettis à des réglementations, notamment en ce qui concerne la distribution du service de base. Or, aucune entreprise étrangère n'y est assujettie. Cela a comme effet d'accélérer le phénomène du cord cutting. Par voie de conséquence, on cesse présentement d'alimenter le Fonds des médias du Canada, qui participe au financement des entreprises canadiennes.
Le service de base est un aspect. En ce qui a trait au financement de la radiodiffusion, je vais vous donner un exemple. On se demande comment une telle chose peut encore exister, mais il y a, par exemple, des gens qui chronomètrent la durée des applaudissements des spectateurs lors d'une émission pour déterminer si, oui ou non, les radiodiffuseurs peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt. Cet environnement existait lorsqu'on était en mesure d'octroyer une licence, un privilège, mais cela n'existe plus. Aujourd'hui, on diffuse par l'entremise d'Internet.
Luc Perreault, un de mes collègues que je connais et que j'estime beaucoup, parlait plus tôt d'une exemption concernant la réglementation de l'Internet. Comment le législateur pourrait-il légiférer sur l'Internet et déterminer ce qui est accessible? On pourrait certainement le faire en vertu de dispositions du Code criminel, mais c'est une autre paire de manches. Comment peut-on envisager de réglementer l'Internet, donc Netflix et Disney+, par exemple?
Mme Noss, qui m'a précédé, a parlé de la place importante qu'occupent maintenant les diffuseurs américains — ils sont en effet américains pour la plupart —, pour ce qui est de la diffusion en continu. Nous avons aussi fait des efforts. Il y a le Club illico, mais, comme vous le savez probablement, il était déjà assujetti à la taxe sur les produits et services, la TPS, et à la taxe de vente du Québec, la TVQ, ce que les diffuseurs en ligne étrangers n'étaient pas. On a tenté d'éviter cette question en parlant de l'existence d'une taxe Netflix.
Je pense que le législateur doit prendre ses responsabilités. Sinon, à la fin de cet exercice, l'industrie et la culture canadiennes — et plus particulièrement la culture québécoise — seront très gravement atteintes.
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Si vous parlez des chiffres réels, je ne les ai pas sous la main, mais si vous voulez vous donner la peine de lire le
Globe and Mail d'il y a deux jours, vous verrez ce qui est arrivé à des gens formidables qui ont été considérés comme des étoiles, comme Ashley MacIsaac et Old Man Luedecke. L'effet a été catastrophique. À cause de la COVID, bien sûr, mais le problème avait commencé bien avant. Qui sait quand la situation se rétablira, si jamais elle se rétablit?
Le projet de loi, les amendements qui y sont apportées, sont l'occasion de relancer la production pour tous ces gens, d'assumer nos responsabilités, de nous engager à donner aux créateurs, aux artistes, aux producteurs canadiens la possibilité de travailler dans ce système, de reprendre vie, de se relancer. La catastrophe dont toutes nos organisations nous parlent dépasse l'entendement. Vous pouvez prendre connaissance des statistiques sur le secteur du divertissement et de la culture qui est le plus durement touchées, à l'exception peut-être de celui de l`hôtellerie et du tourisme. Je n'en suis pas certain, mais les faits sont là.
C'est quelque chose qui... Si nous les remettons en selle, cela va toucher beaucoup d'entre vous. Vous représentez de grands festivals, même dans les petites villes, que ce soit le Festival of the Sound, le vieux festival de folklore de Drummondville, le festival de Victoriaville ou celui d'Orford, qui est célèbre — un quatuor à cordes a même repris son nom. Toutes ces choses peuvent être relancées.
Nous devons assumer nos responsabilités. Nous ne devrions pas avoir honte de dire que nous allons aider les artistes canadiens, les créateurs, les producteurs et les éditeurs. Nous pouvons faire quelque chose.
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Merci, monsieur le président.
C'est à mon tour de remercier les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
Ma première question s'adressera à Mme Guay, de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles.
Madame Guay, cette semaine, lors des rencontres de l'ADISQ, le ministre a d'entrée de jeu parlé du projet de loi , et il a parlé de la Loi sur la radiodiffusion comme d'une loi culturelle.
Hier, nous avons pris connaissance des directives que le ministre entend envoyer au CRTC lors de l'adoption du projet de loi. Quelle a été votre réaction, hier, en prenant connaissance de cette lettre et de ces directives?
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Comme vous l'avez dit, cela s'est passé hier. Nous allons donc certainement nous réunir avec nos membres pour en discuter.
J'ai parlé à plusieurs d'entre eux, et je peux déjà vous dire qu'ils sont extrêmement déçus de l'approche, qui ressemble davantage à une loi de marché qu'à la loi culturelle qu'elle devrait être. De plus, certains éprouvent des craintes quant à une déréglementation du secteur.
Cela dit, nous avons multiplié les rencontres depuis le mois d'août pour faire valoir notre point de vue, et nous sentons que plusieurs personnes nous écoutent.
Nous pourrions dire à ce stade que, si nos amendements sont bien reçus, cela nous encouragera à travailler sur le projet de décret pour suggérer des changements allant dans le sens de nos objectifs.
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Je vous remercie de votre question.
Nous craignons de nous retrouver avec davantage de contenu traduit ou sous-titré en français si la Loi n'est pas renforcée. Nous trouvons important de renforcer la Loi en ce qui a trait au contenu francophone original.
Je vous rappelle que plusieurs de nos membres ont eu recours au gouverneur en conseil, en 2017, quand le CRTC a revu les conditions de renouvellement des licences des services de télévision des grands groupes de propriété de langue française. Il n'y avait alors pas d'exigence pour la création et la production d'émissions originales de langue française.
Il faut manifestement renforcer la Loi pour éviter que cela ne se reproduise, d'autant qu'elle va maintenant s'appliquer à des entreprises étrangères.
Premièrement, nous proposons, au cœur de la politique canadienne de radiodiffusion, l'ajout des productions originales en français des communautés linguistiques en situation minoritaire. Mme Pilon nous en a parlé plus tôt.
Deuxièmement, nous avançons que la réglementation et la surveillance doivent favoriser la présentation d'émissions canadiennes aux Canadiens créées et produites dans les deux langues officielles de même qu'en langues autochtones.
Je ne parlerai pas de la troisième modification, car je sens que vous voulez poser une autre question.
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Je le ferai avec plaisir, monsieur le député.
Effectivement, ces obligations peuvent paraître fastidieuses. J'en ai une liste sous les yeux, alors je vais vous en faire l'énumération.
Tout d'abord, il y a des quotas de diffusion. Par exemple, TVA doit avoir 50 % de contenu canadien en soirée. Ensuite, il y a les obligations de dépenses en émissions canadiennes, les obligations de dépenses en émissions d'intérêt national, les obligations à l'égard de la production indépendante ainsi que les obligations en matière de production locale. Il faut aussi respecter des dépenses et un nombre d'heures pour les nouvelles de reflet local. Nous avons aussi des obligations en ce qui concerne le sous-titrage et la vidéodescription, de même que l'obligation de contribuer à des fonds indépendants et au FMC. S'ajoutent à cela la réglementation entourant le service de base à 25 $ et les obligations de distribution de certains services de programmation, comme APTN, CPAC, AMI-télé, TV5 et Unis TV. C'est sans compter tous les rapports: les rapports sur les deux vérifications annuelles, les rapports financiers annuels, les rapports sur la production, les rapports sur les femmes en production, les rapports sur la propriété, le registre et l'enregistrement de la programmation, les rapports sur la diversité culturelle, et ainsi de suite.
Vous comprenez que, au lieu d'investir dans la production québécoise et canadienne, nous investissons dans la paperasse et dans l'administration, alors que nos concurrents étrangers n'ont aucune obligation à cet égard.
J'écoutais avec intérêt Mme Guay, un peu plus tôt. En réalité, nous n'avons pas besoin de réglementation pour savoir que nous devons investir en programmation canadienne. Nous avons toujours largement dépassé les seuils établis. Pourtant, nous avons toujours ce fardeau administratif obligatoire. Nous savons très bien qu'il est important pour nous de diffuser du contenu canadien, et c'est ce que nous faisons. Nous faisons également travailler tous les artisans et toutes les parties prenantes des secteurs de la culture, de la télévision et de la télédiffusion en général, et ce, pour une raison bien simple: notre public. Dieu sait qu'il y a du talent au Québec, et le public s'attend à ce que nous le mettions à l'écran. C'est toujours ce que nous avons fait. D'ailleurs, nous le faisions déjà bien avant que Québecor achète TVA. C'est un élan naturel historique au Québec. Ce n'est pas parce qu'une réglementation les y oblige que les télédiffuseurs canadiens ou québécois offrent du contenu canadien.
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Je vous remercie de me permettre de prendre la parole aujourd'hui pour faire entendre la voix de la majorité des travailleurs du cinéma et de la télévision. Voilà pourquoi je suis présent.
L'Alliance est le plus grand syndicat de l'industrie du divertissement, représentant plus de 150 000 créateurs en Amérique du Nord, dont 30 000 au Canada. Nous sommes des créateurs de l'ombre: directeurs photo, costumiers, scénographes, maquilleurs, techniciens d'effets spéciaux.
Nous devons modifier la Loi sur la radiodiffusion avec confiance et optimisme. Notre industrie est en plein essor. Nous sommes prospères, non pas à cause des quotas de contenu et des restrictions réglementaires, mais parce que nous excellons. Notre infrastructure est de calibre mondial, et notre talent créatif l'est aussi. Malgré la pandémie, notre industrie du cinéma et de la télévision a rebondi pour retrouver des sommets historiques, ce qui n'aurait pas été possible sans une réflexion sérieuse et une coopération pour assurer la sécurité au travail des acteurs et des équipes de tournage.
L'Alliance est d'accord pour dire qu'il faut une approche souple pour créer une politique de radiodiffusion moderne et permettre au CRTC de tirer parti de ses compétences pour élaborer des mécanismes propres à appuyer l'ensemble de l'industrie, car, au bout du compte, une industrie saine a besoin à la fois d'un secteur national prospère et d'un secteur étranger. Les deux se complètent; ils ne se font pas concurrence.
Nous n'avons rien contre le fait que les entreprises en ligne étrangères contribuent à l'industrie nationale — nous croyons qu'elles doivent le faire —, mais pour établir cette contribution, nous demandons au Comité de tenir compte de toute la portée de cette contribution. Les entreprises en ligne étrangères investissent directement dans la production de contenu au Canada. Comme on l'a récemment signalé, depuis 2017, Netflix a dépensé à elle seule 2,5 milliards de dollars pour employer des créateurs canadiens. Cela représente des dizaines de milliers d'emplois au Canada.
En 2018-2019, l'industrie des services de l'étranger a été la composante la plus importante des productions employant des créateurs canadiens, que mon organisation représente, et je suis déçu d'entendre des observateurs déplorer que les productions étrangères n'emploient pas de talents canadiens. La grande majorité des postes de créateurs dans les productions étrangères sont canadiens, et prétendre le contraire va à l'encontre des faits. Pire encore, c'est laisser entendre que le travail de Canadiens de talent sur Star Trek à Toronto, Deadpool à Vancouver ou X-Men à Montréal n'est pas aussi important et que c'est négligeable. C'est là un élitisme culturel qui ne devrait pas guider nos orientations.
Nous entendons aussi beaucoup dire qu'il est important d'appuyer les récits canadiens. Il faudrait éviter de les confondre avec le contenu canadien. Ce n'est pas parce qu'une création est considérée comme du contenu canadien qu'il s'agit d'un récit proprement canadien. Lorsqu'un film de Hallmark représente une petite ville américaine, il est considéré comme canadien, mais pas The Handmaid's Tale ou Barkskins à Québec. Nous devons repenser la définition de ce qui constitue une production canadienne, et nous sommes heureux que le projet de loi envisage que le CRTC modernise la définition du contenu canadien. Notre système en 10 points est très désuet et il faut le moderniser. Nous appuyons également l'amélioration de la découvrabilité des productions canadiennes sur les services de diffusion en continu.
Si je pouvais vous faire part d'une préoccupation des travailleurs de cette industrie, ce serait pour vous demander de ne causer aucun tort. De plus, je profite de l'occasion pour remercier le ministère du Patrimoine canadien de l'appui phénoménal qu'il a apporté aux travailleurs culturels pendant la pandémie. L'Alliance représente également les travailleurs des arts de la scène, et les mesures prises par le gouvernement fédéral ont été salutaires pour des milliers de familles qui ont perdu leurs moyens de subsistance.
Merci.
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Merci beaucoup, madame McPherson.
Mesdames et messieurs, chers collègues, il nous reste environ huit ou neuf minutes. Je vous demande une faveur. Nous allons passer à la deuxième série de questions. Non seulement parce que cela me plaît, mais aussi parce que nous avons demandé aux témoins de revenir, puisque nous les avons convoqués il y a plusieurs semaines et qu'il a fallu annuler à la dernière minute pour respecter les exigences de la démocratie.
Puis-je demander à chacun de mes collègues de réfléchir à une ou deux questions et d'essayer de me céder en retour une partie de leur temps? Je ne veux pas donner la parole à un ou deux partis, puis interrompre le cycle. Je voudrais que les quatre partis puissent intervenir. Entre collègues, ce n'est que justice. Je vous invite à la plus grande concision. Je vais accorder le temps nécessaire, bien sûr, mais je compte sur votre collaboration.
D'accord, passons à M. Aitchison.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
J'ai une question assez brève à poser à M. Péladeau.
J'entends sans cesse des gens parler des difficultés auxquelles font face les radiodiffuseurs canadiens, en partie à cause de la réglementation, et aussi à cause du nouveau contenu en continu, par exemple, qui arrive et qui n'est pas assujetti à la même réglementation. Je suis plutôt d'accord avec vous pour dire qu'il serait préférable d'assouplir la réglementation des radiodiffuseurs classiques.
Diriez-vous que l'approche du projet de loi , qui, faute d'une véritable analyse réfléchie de la situation, appelle simplement « radiodiffuseurs » les entreprises en ligne, est une façon paresseuse de résoudre le problème?
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Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir appris une nouvelle expression. Je vais aussi abréger pour que tout le monde ait sa chance.
Le temps de tout le monde est précieux. Cela a été extrêmement utile.
M. Skolnik a parlé des créateurs et des artistes de notre culture ou de notre industrie. Vous avez parlé de « catastrophe ». Je suis tout à fait d'accord. Le contenu numérique est de plus en plus démonétisé. Pour beaucoup de consommateurs, la musique est devenue pratiquement gratuite, l'écriture ne coûte plus guère, les consommateurs obtiennent des vidéos et des images pour presque rien. Nous savons tous qu'il faut des années de travail acharné pour créer des oeuvres artistiques et musicales. Un soutien est indispensable. Si rien ne change, une grande partie de la création artistique ne pourra pas survivre.
À cause de la pandémie, les artistes ne sont pas en mesure de travailler et de se produire devant des auditoires. Selon l'une de mes définitions, l'art rassemble. Nous devons donc soutenir la création plus que jamais.
Monsieur Skolnik, je comprends très bien la passion qui vous anime. Je vous remercie également d'avoir dit que notre étude préalable avait été importante pour faire avancer les travaux rapidement.
Je vais passer directement aux amendements. Je n'en aborderai qu'un seul aujourd'hui, celui qui, selon vous, pourrait réduire l'obligation de faire appel au talent canadien et libérer les entreprises de radiodiffusion de cette obligation.
Comment pouvons-nous inscrire dans la Loi l'idée que nous voulons maintenir le contenu canadien? Vous avez utilisé une série à titre d'exemple.
Quoi qu'il en soit, je veux revenir à Mme Noss et à M. Lewis. J'utilise cette expression: l'un n'exclut pas l'autre. Aider l'un n'enlève rien à l'autre. Nous devons tirer parti du fait que nous pouvons mettre en valeur nos propres gens avec nos propres talents.
Nous craignons que la réglementation ne soit ramenée au plus petit dénominateur commun. Nous devons dire que ces entreprises peuvent faire telle ou telle chose, mais que, si elles veulent avoir les mêmes avantages, elles doivent faire appel à des Canadiens sur toute la ligne. Le marché va jouer un grand rôle. Que le contenu soit canadien ou non, il faut le vendre. Toutefois, nous croyons que, comme par tant d'autres règlements au Canada, il faut mettre en valeur les Canadiens et qu'ils doivent avoir leur place. Notre amendement devrait faire en sorte que, dans tous les aspects, on tienne compte des Canadiens, et pas seulement dans les situations tout à fait courantes. Nous savons que dans d'autres pays, comme en Amérique latine, le Disney Channel, par exemple, est obligé d'avoir du contenu local.
Pour nous, ce n'est pas préjudiciable, c'est promotionnel. Nous devons assurer une promotion et un soutien constants.
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Merci, monsieur le président.
Si tout le monde est généreux de son temps comme cela, on pourra faire une troisième ronde de questions.
Je voudrais poser une question à Mme Guay. C'est une question que j'ai posée au groupe de témoins précédent.
Madame Guay, est-ce que vous croyez qu'il est possible de répondre aux attentes d'à peu près toutes les parties de l'industrie, c'est-à-dire les radiodiffuseurs canadiens, les entreprises étrangères en ligne et l'industrie culturelle?
Selon vous, est-il possible que l'on trouve un compromis à la satisfaction de tout le monde dans le projet de loi C-10?
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C'est vrai. Certains radiodiffuseurs aujourd'hui — et M. Péladeau l'a dit à maintes reprises — demandent un assouplissement des conditions pour pouvoir être plus concurrentiels. En un sens, ils ont raison de dire que les conditions actuelles sont injustes pour eux. Nous proposons que les entreprises en ligne respectent les mêmes au lieu que les conditions soient assouplies.
Si nous revoyons les conditions à la baisse pour tout le monde, ce sont les artistes, les créateurs et les maisons de production locales qui en paieront le prix, qui perdront leur emploi et leurs contrats. De plus, le public canadien n'aura plus accès à nos grandes productions canadiennes. Nous aurons accès à moins de diversité.
L'économie en paiera aussi le prix parce que les radiodiffuseurs paieront pour la production étrangère ou d'autres types de production qui n'apporteront pas de valeur ajoutée à notre économie.
Un autre aspect important est l'incapacité de nos producteurs de détenir les droits d'auteur sur leurs productions et de les commercialiser ainsi à l'échelle internationale. Si ceux qui présentent les produits, tant classiques que numériques, détiennent tous les droits, les producteurs n'auront aucun recours. Il y a un lien avec la capacité du CRTC de ramener la notion de termes de l'échange, ce qui est une autre de nos recommandations.
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Certainement, madame McPherson. Merci beaucoup.
Je tiens à remercier mes collègues de m'avoir aidé au deuxième tour. Pour des raisons évidentes, je suis heureux que nous ayons bouclé ce tour.
Les témoins d'aujourd'hui ont été excellents. Je suis heureux que nous les ayons réinvités. Le Comité en a décidé ainsi parce que, la première fois, il a fallu annuler. Vous avez tous été formidables. J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit.
Je remercie Mme Guay et M. Skolnik, de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, Mme Noss, de l'Association cinématographique-Canada, M. Lewis, de l'Alliance internationale des employés de scène, Mme Tabet, de Québecor Média Inc., et enfin, mais ce n'est pas le moindre, M. Péladeau. J'apprécie toujours ce que vous avez à dire, monsieur. Merci de vous être joint à nous.
Nous allons devoir faire une brève pause avant de poursuivre à huis clos. Encore une fois, je remercie les témoins de s'être joints à nous.
[La séance se poursuit à huis clos.]