Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Il s’agit de la 34e séance du Comité permanent du patrimoine canadien.
Nous effectuons l’étude article par article du projet de loi C-10. Comme vous le savez bien sûr, nous nous sommes interrompus un moment pour passer à d’autres activités, notamment pour discuter d'une motion que nous avons adoptée pour permettre aux invités de venir dans la salle et aussi de recevoir un document du ministère de la Justice.
Nous avons également adopté une motion pour inviter le ministre de la Justice. Encore une fois, j’aimerais attirer votre attention à tous sur un fait que vous avez probablement déjà lu dans les médias sociaux. L'hon. David Lametti a confirmé qu'il comparaîtra devant le Comité permanent du patrimoine canadien demain, le 18 mai, à 14 h 30, heure de l’Est, pendant une heure. Le sous-ministre et les autres fonctionnaires qui étaient présents vendredi dernier seront là aussi.
L'hon. Steven Guilbeault sera également présent. Nous ne l’avons pas invité, mais je ne pense pas que vous vous opposeriez à ce qu’il se joigne à nous et qu’il prenne part à nos délibérations. Néanmoins, si cela vous dérange, vous pouvez tout simplement ne pas lui poser de questions, je suppose. C’est peut-être ainsi qu'on aborde ce genre de situation.
Cela se passera demain. Comme vous venez de le lire, il sera avec nous pendant une heure. J’aimerais que vous y pensiez quelques instants, et nous pourrons en discuter plus tard. Les deux ministres seront avec nous, et nous avons ce que le ministère de la Justice exigeait, alors une fois que ce sera terminé, nous pourrons tout de suite reprendre notre étude article par article. Nous pourrions donc la reprendre dès la deuxième heure demain, ou mercredi puisque nous nous réunissons aussi ce jour-là. Je vais vous laisser y réfléchir pendant quelques instants, et nous pourrons en reparler plus tard.
Cela dit, l’autre partie de la motion visait à inviter un groupe d’experts, dont la composition serait fondée sur les suggestions de chacun des partis représentés officiellement au Comité permanent du patrimoine canadien.
Le caucus libéral a suggéré que nous entendions Mme Janet Yale. Si vous vous souvenez bien, elle fait partie du Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications. Elle en est la présidente.
Bienvenue, madame Yale.
À la suggestion des conservateurs, nous accueillons à nouveau M. Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Le Bloc québécois nous a suggéré d'écouter M. Pierre Trudel, professeur au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal.
Je vous souhaite aussi la bienvenue.
Enfin, à la suggestion du NPD, nous avons M. Andrew Cash, président et chef de la direction de la Canadian Independent Music Association. M. Cash est loin d’être un étranger à ce comité, puisqu’il y siégeait il n’y a encore pas si longtemps — j’étais assis à côté de lui, mais je ne veux pas divulguer mon âge et le sien. Nous lui souhaitons aussi la bienvenue.
Vous savez comment les choses se déroulent. Nous allons commencer tout de suite. Nous n’allons pas faire de pause; nous allons poursuivre pendant deux heures entières, si vous le voulez. Nous aurons beaucoup de temps pour poser des questions, mais je suppose que vous voudrez tous faire une biopause à un moment donné. Si vous me le permettez, je trouverai un moment dans environ une heure pour faire cette pause, puis nous reprendrons nos travaux.
Commençons par Mme Yale. Bien sûr, ce sont des remarques liminaires. Vous avez jusqu’à cinq minutes, mais nous vous demanderons de ne pas dépasser ces cinq minutes pour que notre comité puisse respecter son horaire.
Merci à tous de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui. Mon collègue Pierre Trudel et moi-même sommes très heureux de présenter notre point de vue sur le projet de loi C-10.
Nous appuyons les efforts déployés par le gouvernement fédéral pour mettre à jour le cadre législatif régissant le système de radiodiffusion en y incluant à la fois les services de diffusion en continu des médias et les plateformes de partage. Cette approche est conforme à notre rapport, qui reconnaît les réalités d’un monde en ligne sans frontières dans lequel les Canadiens chercheront à accéder à du contenu médiatique fondé sur des intérêts personnels, quelle que soit la plateforme ou la technologie utilisée.
Le projet de loi C-10 exigerait que ces nouveaux services de diffusion en continu en ligne, notamment Netflix, Disney+ et Amazon Prime, ainsi que les plateformes de partage comme YouTube, soient tenus d’apporter une contribution adéquate au contenu culturel canadien. Ces services en ligne tirent d’importants revenus de la publicité qu'ils diffusent et des abonnements qu'ils imposent aux auditoires canadiens, mais ils ne sont pas tenus d'apporter de contribution. Il est impensable qu’en 2021, nous permettions à ces plateformes de tirer des revenus des auditoires canadiens, des consommateurs canadiens et de la créativité canadienne sans y apporter de contribution. Cela défie toute logique, surtout lorsque notre système impose des obligations aux radiodiffuseurs traditionnels qui sont maintenant beaucoup plus petits, moins puissants et moins prospères.
Dans notre rapport, nous avons recommandé que, par souci d’équité concurrentielle, on tienne compte des entreprises en ligne en mettant à jour les lois sur la radiodiffusion. Notre rapport indique aussi clairement que ces obligations réglementaires devraient se limiter aux plateformes ou, pour utiliser la terminologie de la loi, aux entreprises. Les créateurs individuels ne devraient pas être assujettis à cette réglementation, et c’est exactement ce que propose le projet de loi C-10.
Permettez-moi de me répéter. Le projet de loi C-10 impose des fardeaux réglementaires et l’obligation de contribuer aux créations canadiennes uniquement aux grandes plateformes de présentation et de diffusion en continu et non aux créateurs individuels.
Je vais expliquer cela différemment. Les programmes comprennent du contenu audio et audiovisuel. Les émissions de télévision, les chansons, les balados, les messages et toutes ces émissions ne sont pas assujettis à cette réglementation. Les gens qui créent du contenu, qu’il s'agisse d'amateurs ou de professionnels, et les auditoires, qu'ils soient grands ou petits, ne sont pas touchés par le projet de loi C-10 lorsqu’ils téléversent leur programmation, qu'ils la présentent ou même qu'ils la vendent à un service de diffusion en continu. Personne ne va surveiller ce contenu, leur imposer ce qu’ils peuvent dire ou les obliger à payer des cotisations.
Ce que le projet de loi C-10 exige — et à mon avis, il est grand temps que nous prenions cette mesure —, c’est que les entreprises comme YouTube, Disney-plus et Netflix qui présentent ce contenu et qui font de l’argent en le distribuant — se plient à un ensemble de règles et versent une partie des revenus qu’ils tirent des Canadiens à la production de contenu canadien.
Enfin, à ceux qui soutiennent que le projet de loi C-10 ne protège pas le contenu créé par les utilisateurs, nous répondons qu'ils se trompent complètement. L’article 2.1 proposé prévoit déjà explicitement cette exemption. Les nouveaux amendements déposés présentent cette exclusion encore plus clairement. Par conséquent, les gens qui persistent à créer la crainte illusoire que ce projet de loi entravera la liberté d’expression le comprennent mal, à mon avis, ou alors ils cherchent à induire les gens en erreur à d’autres fins.
Je conclurai en affirmant que, bien sûr, ce projet de loi est complexe et la politique sur la radiodiffusion et sa réglementation sont souvent très techniques. Le diable se cache dans les détails, et c’est pourquoi l’examen minutieux que fera ce comité est si important. Il n’est toutefois pas difficile de comprendre que notre tâche principale est de faire face à la réalité de ces immenses plateformes extrêmement puissantes. Nous devons veiller à ce qu’elles apportent une contribution aux créateurs et aux auditoires canadiens et qu'elles ne se contentent pas de tirer ce qu'elles veulent d'eux. Nous devons mettre à jour un cadre de radiodiffusion dont la dernière modification date d'avant même que le monde nous ait été offert en ligne. Nous avons besoin de ce que le projet de loi C-10 prévoit, de toutes ses dispositions et de toutes ses protections. Nous exhortons le gouvernement à adopter ce projet de loi le plus rapidement possible.
Comme vous le savez, je m’appelle Michael Geist. Je comparais à titre personnel et je ne représente que mon point de vue personnel. Je commence toujours par déclarer cela, mais il m'est particulièrement nécessaire de le faire dans ce cas-ci, compte tenu de la désinformation et des conspirations que certains ont soulevées. L'hon. Steven Guilbeault a été cité dans Twitter de façons très décevantes.
Comme vous le savez sans doute, j’ai beaucoup critiqué le projet de loi C-10. J’aimerais insister sur le fait que je ne critique aucunement l’appui du public à la culture ou à la réglementation des entreprises technologiques. Je sais qu'il est nécessaire que le public soutienne la culture et la réglementation des entreprises technologiques. Je crois cependant qu’il y a moyen de financer les programmes des créateurs cette année et non dans cinq ans comme le prévoit ce projet de loi.
De plus, je suis perplexe et découragé par le manque d’intérêt pour le projet de loi C-11, qui vise à moderniser les règles du Canada en matière de protection de la vie privée afin de répondre aux préoccupations sur la façon dont ces entreprises recueillent et utilisent nos données. Ce projet de loi rendrait également obligatoire la transparence algorithmique, ce qui est très nécessaire et très différent des résultats algorithmiques prescrits par le gouvernement.
Je limiterai mes observations préliminaires aux questions liées à la Charte et aux préoccupations générales sur la réglementation du contenu généré par les utilisateurs. Cependant, je me ferai un plaisir de répondre à des questions portant sur tous les aspects du projet de loi.
Il est absolument certain qu’après la suppression de l’article 4.1 proposé, le projet de loi s’applique au contenu généré par les utilisateurs, puisque la loi considère tout contenu audiovisuel comme un programme. Des experts et des fonctionnaires nous l'ont dit. Les tentatives visant à détourner l’attention de cette simple réalité en renvoyant à l’article 2.1 proposé pour faire valoir que les utilisateurs ne sont pas réglementés sont trompeuses et ne traitent pas de la question de la réglementation du contenu des utilisateurs.
Je vais parler des répercussions sur la liberté d’expression dans un instant, mais je tiens à souligner que personne, qu'aucun autre pays n’utilise la réglementation de la radiodiffusion pour réglementer ainsi le contenu créé par les utilisateurs. Les autres pays ont de bonnes raisons de rejeter cette approche. Ce n’est pas qu’ils n’aiment pas leurs créateurs et qu’ils ne veulent pas réglementer les entreprises Internet; c’est que la réglementation du contenu créé par les utilisateurs est irréalisable, qu'elle risque de nuire à la neutralité ainsi qu'à la liberté d’expression. Par exemple, l’Union européenne, qui ne craint pas d'imposer des règlements, fait la distinction entre les services de diffusion en continu comme Netflix et les services d'échange de vidéos comme TikTok ou YouTube. Aucun de ses règlements sur le contenu créé par les utilisateurs ne se rapproche de ceux du projet de loi C-10.
Quant à la Charte, l'énoncé publié la semaine dernière par le ministère de la Justice n'analyse et n'explique tout simplement pas pourquoi la Charte réglemente le contenu créé par les utilisateurs comme s'il s'agissait d'un programme. Il n’explique pas non plus si cela pourrait constituer une violation justifiable, il ne mentionne pas les implications de la dépriorisation du contenu, il ne précise pas l’utilisation de termes comme « service de médias sociaux », qui ne sont même pas définis dans le projet de loi. Il ne mentionne aucunement les problèmes de mise en œuvre qui pourraient exiger que les Canadiens divulguent des renseignements personnels sur l'endroit où ils se trouvent afin de satisfaire à des exigences nouvelles, mais mal définies.
À mon avis, la priorisation ou la dépriorisation du contenu qu'effectue le gouvernement par l’entremise du CRTC nuit obligatoirement à la liberté d’expression. Cet énoncé relatif à la Charte aurait dû souligner cette réalité et demander si l’article 1 la sauverait. Je ne pense pas que cet article la sauve.
Premièrement, la version initiale du projet de loi contenant l’article 4.1 visait à limiter le moins possible la liberté d'expression. À l'heure actuelle, le projet de loi ne la protège plus du tout.
Deuxièmement, l’objectif de la politique sur la découvrabilité ne suffit pas à sauver les droits à la liberté d’expression. Rien n’indique qu’il y ait un problème de découvrabilité dans le cas du contenu créé par les utilisateurs.
Le groupe d’experts de Mme Yale, qui semble avoir perdu son unanimité, a recommandé la découvrabilité, mais n’a cité aucune preuve pertinente appuyant ses allégations selon lesquelles le contenu créé par les utilisateurs pose un problème.
Troisièmement, le fait d'obliger YouTube à payer un montant supplémentaire pour soutenir la création musicale ne suffit pas non plus à sauver la liberté d’expression. Ce n’est pas une question de rémunération, parce que les œuvres sont déjà sous licence. Cette disposition impose des frais supplémentaires pour éviter que l’article 4.1 n’exempte YouTube. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas, car YouTube Music Premium aurait très bien pu être inclus. Je ne suis pas le seul à penser ainsi. Les fonctionnaires de Patrimoine canadien le soulignent aussi dans une note qu’ils ont écrite à la ministre. En fait, ce problème n'existait tellement pas que l’organisme de M. Cash n'a même pas mentionné cette disposition ni soulevé ce problème dans son mémoire soumis à ce comité.
Je trouve remarquable que la ministre et l’énoncé concernant la Charte assurent les Canadiens que le CRTC protégera la liberté d'expression, sans toutefois mentionner les interprétations que l'on pourra attribuer à l’article 4.1.
Permettez-moi de conclure en soulignant que s'il faut choisir entre l'imposition de paiements supplémentaires à un service de diffusion en continu et la protection des droits à la liberté d’expression des Canadiens, il me semble que tout le monde choisirait la liberté d'expression. J’ai été vraiment ébranlé de constater que mon gouvernement pense autrement.
(1440)
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité permanent du patrimoine canadien, bonjour.
Je suis un professeur de droit et, depuis 1979, j'enseigne la Loi sur la radiodiffusion. J'ai été directeur de la recherche du comité Caplan-Sauvageau, qui a donné lieu à la Loi sur la radiodiffusion de 1991. Comme ma collègue Janet Yale l'a souligné, j'ai pris part aux travaux du Groupe d'examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunication.
Comme constaté dans l'avis émanant du ministère de la Justice, qui a été déposé il y a quelques jours, le projet de loi C-10, modifie la Loi sur la radiodiffusion, qui n'autorise pas à prendre des mesures à l'égard des individus quant aux contenus qu'ils créent et décident de mettre en ligne. Surtout, la Loi prévoit déjà très clairement que l'ensemble des mesures mises en place pour encadrer les activités de diffusion d'émissions doivent respecter la liberté d'expression.
D'ailleurs, la Loi sur la radiodiffusion n'a jamais autorisé le CRTC à censurer un contenu spécifique. Toute la pratique du CRTC au cours des 50 dernières années est là pour en témoigner. De surcroît, selon la Loi sur la radiodiffusion, le CRTC doit s'abstenir de réglementer la radiodiffusion d'une manière qui viole la liberté d'expression. Il est difficile d'imaginer une exclusion plus générale que celle-là. C'est une exclusion qui passe par l'interdiction d'interpréter la Loi d'une manière qui habilite le CRTC à prendre des mesures et à créer des règlements ou des ordonnances qui violent la liberté d'expression.
De plus, comme vous le savez, la Loi prévoit que le CRTC s'abstient de réglementer toute activité qui n'a pas de conséquence démontrable pour la réalisation de la politique canadienne de radiodiffusion. En fait, la Loi sur la radiodiffusion est une loi habilitante. On ne trouve pas de détails dans cette loi. C'est une loi qui habilite le CRTC à mettre en place des règles adaptées à la situation de chaque entreprise afin que celles-ci organisent leurs activités de manière à contribuer à l'accomplissement des objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion, inscrite à l'article 3 de la Loi.
Le projet de loi C-10 n'a donc pas à multiplier les exclusions à l'égard de tel ou tel type de contenu. Il s'agit plutôt de reconnaître que le projet de loi C-10 exclut déjà les mesures qui pourraient être soupçonnées de porter atteinte à la liberté d'expression et qu'il fait en sorte que la Loi sur la radiodiffusion vise l'ensemble des entreprises qui transmettent des émissions, y compris sur Internet, ce qui est l'objet principal du projet de loi C-10.
À l'égard de ces entreprises en ligne qui déterminent les contenus et qui, il ne faut pas l'oublier, réglementent déjà les contenus qui sont proposés aux individus au moyen de procédés fondés sur des algorithmes ou des technologies d'intelligence artificielle, le projet de loi C-10 renforce les garanties des droits fondamentaux de tous les Canadiens. Il habilite le CRTC à obliger les entreprises à fournir des informations sur les logiques derrière ces dispositifs algorithmiques, ce qui n'existe pas actuellement. Il permet au CRTC de mettre en place des mesures afin de garantir que les Canadiens se verront proposer des émissions qui reflètent les principes, les valeurs et les objectifs inscrits à l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion.
Rien, dans la Loi sur la radiodiffusion tel qu'on propose de la modifier, ne viendrait permettre au CRTC d'imposer à qui que ce soit des émissions qu'ils ne souhaitent pas entendre ou voir, ou encore moins permettre au CRTC de censurer les contenus qui circulent sur les plateformes.
La Loi vient plutôt assurer aux individus une réelle possibilité de choix. À l'heure actuelle, rien ne garantit que les entreprises en ligne proposent aux Canadiens un choix réel et véritable qui reflète les valeurs canadiennes telles qu'elles sont codifiées dans la Loi sur la radiodiffusion.
Une constante existe depuis les premières années de la radio, et c'est une tension entre ceux qui croient que les entreprises de radiodiffusion devraient être laissées aux seules forces du marché et ceux qui — à juste titre, selon moi — estiment qu'une intervention est requise pour assurer la disponibilité effective d'émissions issues de l'activité créative des Canadiens.
(1445)
Le projet de loi C-10 s'inscrit dans cette continuité, qui a permis aux Canadiens de disposer de médias proposant ce que le monde a de mieux à offrir, tout en accordant une place importante aux œuvres des créateurs d'ici, notamment des créateurs appartenant aux communautés minoritaires et aux communautés autochtones ou aux Premières Nations.
Monsieur le président, honorables membres du Comité et chers collègues du groupe d'experts, bonjour.
Je m’appelle Andrew Cash et je suis président-directeur général de la Canadian Independent Music Association, ou CIMA. Je suis heureux de comparaître à nouveau devant ce comité.
Tout d'abord, je tiens à souligner une chose. Les plateformes numériques comme Netflix, Spotify et YouTube sont incroyables. Elles offrent des possibilités phénoménales aux créateurs artistiques et culturels canadiens.
On a dit que le fait de travailler dans le secteur de la musique est une excellente façon de s’enrichir et une piètre façon de gagner sa vie. La pandémie a mis cette maxime en évidence. La situation d'un grand nombre d’artistes et de musiciens qui vivaient déjà sous le seuil de la pauvreté a empiré depuis le début de la pandémie. Les restrictions relatives aux voyages et aux rassemblements ont éliminé les possibilités de partir en tournée, de donner des spectacles et donc de générer des revenus.
La pandémie a également mis en évidence les inégalités systémiques du marché qui contribuent à réduire la rémunération des créateurs. Ce déséquilibre a poussé de plus en plus hors de portée la promesse d’un secteur stable, d'une classe moyenne composée d’artistes et de travailleurs des arts et de la culture dans notre pays. Ce secteur est en crise.
La CIMA a commandé au cabinet Nordicity un rapport sur les répercussions de la COVID. Ce rapport indique que le secteur de la musique indépendante a vu ses revenus diminuer de 233 millions de dollars, que les revenus des musiciens ont chuté de 79 %, que les revenus des entreprises indépendantes d’enregistrement sonore et d’édition ont diminué de 41 % et que des milliers d’emplois ont été perdus, et ce n’était qu'au cours des neuf premiers mois de la pandémie.
Nous ne prévoyons pas revenir à nos niveaux de revenus avant 2023 ou 2024, au mieux, mais à mesure que nous progressons vers la reprise, il nous faudra le courage d'attaquer le problème monumental des géants du numérique qui font des affaires extrêmement prospères au Canada en ne payant qu'une fraction d'un cent aux créateurs de contenu. Ils font des affaires dans notre pays sans aucune obligation de rendre compte et sans réglementation. Ils n'apportent pas de contribution équitable à notre écosystème des arts et de la culture.
Vous vous en rendez compte? Vous acceptez cela?
Les chiffres que je viens de vous citer soulignent l'urgence de nous aider à défendre les petits. Voulez-vous vraiment retourner dans vos circonscriptions et avouer à vos électeurs que vous avez voté pour protéger les grandes sociétés de technologie afin qu'elles puissent continuer à engranger des profits, à retirer des profits du pays et à ne rien donner en retour? À moins que les choses aient radicalement changé depuis que j’ai été élu, je ne pense pas que cela vous tente. En fait, plusieurs d’entre vous, quel que soit leur parti, ont souligné que les règles du jeu sont inéquitables et que nous devons nous attaquer à ce problème.
Le Règlement sur le contenu canadien a été créé il y a 50 ans pour établir une industrie nationale au sein du marché national. Nous voulions protéger et soutenir les créateurs de langue française qui baignaient dans un contenu culturel anglophone ainsi que nos créateurs de langue anglaise qui se heurtaient à la concurrence de leurs collègues de notre géant du Sud. Eh bien aujourd’hui, notre marché des arts et de la culture n’est plus national. Les plateformes numériques ont transformé la consommation du contenu. Aujourd’hui, le marché est mondial. Aujourd’hui, nous avons besoin de moderniser le système pour faire croître notre industrie nationale afin qu'elle prospère sur le marché mondial.
Ce projet de loi, aussi imparfait soit-il, pourrait nous orienter vers de nouveaux modes de découvrabilité, vers de nouveaux investissements pour nos artistes et pour nos entrepreneurs des arts et de la culture. Il pourrait accroître la transparence de l’information et la responsabilisation des grandes entreprises de technologie qui, à l’heure actuelle, n'assument aucune responsabilité.
La CIMA ne croit pas que le projet de loi modifié ne porte atteinte aux droits et libertés des personnes. Cette conviction a été confirmée par l’énoncé concernant la Charte publié la semaine dernière et par d’autres modifications proposées. Toutefois, nous affirmons clairement que nous nous opposerons à toute mesure qui mettra ces droits en péril. Les artistes défendent depuis longtemps les libertés civiles et la liberté d’expression contre les structures de pouvoir monolithiques. Notre travail repose littéralement sur la liberté civile et sur la protection de la liberté d’expression.
Le projet de loi C-10 ne pourrait pas [Difficultés techniques] de mauvaises vidéos. Il pourrait cependant transformer la vie des musiciens, des créateurs de contenu, des entrepreneurs et [Difficultés techniques] partout au pays. Il a le potentiel de faire passer le secteur créatif de la précarité à la stabilité de la classe moyenne, de libérer l’innovation et de créer une présence mondiale pour le secteur.
(1455)
C’est pourquoi je vous implore aujourd’hui de continuer à amender le projet de loi C-10 le plus rapidement possible afin qu’il soit adopté par le Parlement avant la fin de la session du printemps.
J'ai quelques problèmes d'ordre administratif à régler. Monsieur Geist, votre micro produisait des claquements de temps en temps. Pourriez-vous le placer entre votre nez et votre bouche?
C'est cela. Parfait, merci.
Maintenant, une autre chose. Je voudrais que nous souhaitions la bienvenue à M. Manly, du Parti vert, qui est avec nous aujourd'hui. Pour ceux qui nous observent de l'extérieur, nos quatre partis politiques sont membres permanents de ce comité. M. Manly représente le Parti vert. Le Règlement stipule que le Parti vert n'est pas officiellement reconnu, mais que ses députés peuvent participer en posant des questions, en se joignant aux débats et en proposant des amendements. Ils ne peuvent pas voter ou proposer des motions, mais ils peuvent participer à nos débats.
Cela dit, M. Manly — et je suis sûr que les membres du Comité en conviendront — a participé très activement jusqu'à maintenant à nos discussions sur les amendements. Pour cette raison, je vais exercer ma discrétion de président, monsieur Manly, et vous inscrire en cinquième place au premier tour. Je vais vous accorder entre trois et cinq minutes. Ensuite, s'il vous faut plus de temps, je crains que vous ne deviez vous tourner vers vos collègues. Vous aurez la parole à la fin du premier tour, juste après Mme McPherson, et je vous accorderai entre trois et cinq minutes pendant ce tour.
Allons-y, mesdames et messieurs.
Tout d'abord, j'ai deux noms pour cette allocution: Mme Harder et M. Waugh. Voulez-vous prendre trois minutes chacun, ou madame Harder, voulez-vous commencer, puis céder la parole à M. Waugh quand vous le voudrez?
D'ailleurs, c'est ce que nous allons faire.
Madame Harder, vous avez six minutes à votre discrétion.
Mme Yale, le ministre et tous les témoins d'aujourd'hui ont tenté de faire valoir que ce projet de loi ne porte pas atteinte à notre liberté d'expression. En fait, ils prétendent qu'il n'a même pas de répercussions et que, d'une façon ou d'une autre, le contenu peut être déplacé vers le haut ou vers le bas dans son ordre de présentation sans que cela nuise à d'autres contenus. Il me semble pourtant que si l'on facilite la découvrabilité de certains contenus, d'autres deviendront moins visibles. Je ne vois pas comment il peut en être autrement. Cela signifierait qu'il existe un mécanisme pour réglementer et organiser ce que je peux regarder et ce que je ne peux pas regarder, ce qui constituerait une forme de censure.
Monsieur Geist, je me demande si vous pouvez nous en dire davantage à ce sujet.
Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème qu'ont dénoncé de nombreux experts.
Précisons d'abord une chose: le contenu créé par les utilisateurs est réglementé. Il est absurde de dire simplement qu'il est exempté ou que le CRTC se concentre sur d'autres objectifs stratégiques. Ce contenu est réglementé comme tous les autres. Nous ne songerions jamais à dire que le CRTC réglementerait ou devrait réglementer des écrits comme des lettres personnelles ou des blogues, mais des millions de Canadiens expriment leurs sentiments par ces moyens. Nous affirmons que ces contenus sont traités comme tous les autres et qu'ils sont assujettis à la réglementation. C'est la première chose.
Lorsqu'on y ajoute, comme le prévoit l'amendement proposé par les libéraux, des exigences en matière de découvrabilité, cela signifie que le gouvernement, par l'entremise de son organisme de réglementation, détermine ce qui est affiché en priorité. Il ne s'agit pas d'un élément de contenu en soi, mais d'un choix. On élève certains contenus pour en abaisser d'autres. Cela a très évidemment une incidence sur la liberté d'expression des Canadiens. Cela se déroule dans un environnement qui, franchement, est tout à fait inapplicable dans le cas du contenu créé par les utilisateurs. Il est donc franchement absurde de prétendre que l'on augmente ainsi les choix, alors que ces choix sont illimités de toute façon.
J'ai assisté à la première conférence de presse sur le rapport Yale. Le président avait parlé d'uniformiser les règles du jeu. Ces derniers mois, nous avons souvent entendu parler de l'uniformisation des règles du jeu. Vous dites que ce n'est pas le cas.
Vous pourriez peut-être nous en parler. « Uniformiser les règles du jeu » est une expression que le gouvernement utilise depuis qu'il a déposé ce projet de loi en novembre.
En effet. Mme Yale parle souvent d'égaliser les choses, comme si nous devions traiter tous ces intervenants de la même façon.
Il faut reconnaître que le secteur de la radiodiffusion bénéficie actuellement de toute une série d'avantages réglementaires dont la valeur s'élève à des centaines de millions de dollars et qui ne sont pas offerts aux services de diffusion en continu. Il y a par exemple la substitution simultanée, qui consiste à remplacer des publicités valant des centaines de millions de dollars. Il y a la règle de diffusion obligatoire qui oblige à offrir certains canaux auxquels on n'a pas accès autrement. Il y a les investissements étrangers et les restrictions à la propriété. Il y a toute une série de mesures qui, en fait, ne rendent pas les choses égales.
Écoutez, cela ne veut pas dire qu'il ne devrait pas y avoir de réglementation pour les entreprises en ligne. Ce que je dirais, cependant, c'est que le fait d'essayer de les traiter de la même façon, comme le fait ce projet de loi, a rendu ces règlements fondamentalement imparfaits. Le Comité devrait le savoir mieux que quiconque. De nombreux témoins se sont dits préoccupés par la modification des exigences en matière de propriété canadienne, des priorités des artistes, de la propriété intellectuelle canadienne. Ces modifications tentent de traiter le contenu affiché en ligne exactement de la même façon que le contenu radiodiffusé.
Vous avez souvent dénoncé cela dans Twitter et dans d'autres médias sociaux. Vous avez dit qu'il fallait abandonner ce projet de loi et repartir à zéro. D'autres membres du Comité désirent que ce projet de loi soit adopté.
Plus de 30 ans se sont écoulés depuis la mise à jour de la Loi sur la radiodiffusion. Nous savons tous qu'il faudra modifier cette loi un jour ou l'autre. Pourriez-vous nous dire par quoi vous remplaceriez ce que nous avons devant nous aujourd'hui?
Je commencerai par souligner que je pense que nous avons vu les imperfections. Même M. Cash a reconnu que ce projet de loi est imparfait, et nous voyons maintenant le gouvernement contredire ses propres fonctionnaires à maintes reprises sur des conseils qu'ils ont envoyés sur ces questions dans des notes de service au ministre du Patrimoine.
Ce projet de loi est imparfait. Les préoccupations sont réelles et légitimes, et elles ont été soulevées par un nombre incroyable de personnes, notamment par des gens qui critiquent le plus fortement les sociétés de technologie qui font des affaires au Canada.
Il faut que nous fassions cela correctement, parce que nous ne modifions pas nos lois très souvent. Elles durent parfois des décennies. D'un autre côté, nous devons veiller à rémunérer les créateurs précisément pour les raisons que M. Cash a mentionnées.
Je dirais que tout commence par l'argent des contribuables. Le gouvernement a déjà annoncé qu'il veut augmenter les impôts des sociétés de technologie. Il devrait prendre une partie de cet argent et l'affecter directement aux divers programmes des créateurs, qui le recevraient ainsi cette année, quand ils en ont vraiment besoin, contrairement à ce que produirait ce projet de loi. Il faudra sans doute des années pour que le CRTC règle le litige qui s'ensuivra inévitablement. Personne ne verra un sou sortir de ce projet de loi pendant des années. Il faut établir un mécanisme à la fois pour adopter une bonne loi et pour veiller à ce que les créateurs reçoivent de l'argent rapidement.
Des technologues professionnels ont affiché une lettre ouverte au sujet de la politique canadienne sur Internet. Ils parlent de l'avenir d'un Internet libre et ouvert. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Cette lettre a été envoyée au premier ministre aujourd'hui.
Je pense que l'un des aspects les plus honteux du débat qui fait rage depuis quelques semaines a été la tentative continuelle de laisser croire que seuls les gens qui parlent au nom des entreprises de technologie ou qui ne sont pas critiques ou qui ne veulent pas que l'on réglemente Internet expriment des préoccupations au sujet du projet de loi C-10.
Cette lettre a été signée par certains des plus farouches détracteurs et des plus grands spécialistes de la politique technologique, dont Ron Deibert, Bianca Wylie, Nasma Ahmed et Lex Gill. Ce sont des gens en qui les Canadiens ont appris à faire confiance, des gens qui ont exprimé de réelles préoccupations au sujet des entreprises de technologie. Après avoir examiné le projet de loi C-10 et la politique gouvernementale sur Internet, ils se sont dits très préoccupés par l'orientation que nous prenons.
Il y a une chose que je tiens à souligner. Dans un contexte normal, lorsque nous sommes tous ensemble, nos témoins demandent parfois de pouvoir prendre la parole.
Je remarque que Mme Yale a levé sa main virtuelle, car elle désire faire une observation. Cependant, je dois dire que les six minutes complètes que nous accordons aux membres du Comité leur appartiennent. Je demande seulement à nos collègues de reconnaître qu'une personne lève la main. Ils ne sont pas tenus de lui donner la parole, il suffit de la reconnaître. À la fin du tour de questions de notre collègue, nous baisserons les mains, puis nous recommencerons.
Cela dit, nous donnons la parole à Mme Dabrusin pour six minutes.
En fait, j'ai remarqué que Janet Yale avait levé la main et semblait vouloir répondre à certains des commentaires de M. Geist au sujet de la découvrabilité et autre.
Nous pourrions peut-être commencer par là, en vous donnant l'occasion d'y répondre.
Merci beaucoup. J'aimerais faire deux ou trois brèves observations.
La première est que les programmes ne sont pas réglementés; les entreprises le sont. Lorsque M. Geist dit que s'il s'agit d'un programme, il est réglementé, ce n'est pas un programme à moins qu'il soit offert par une entreprise. Les entreprises en ligne sont les seules qui soient assujetties à la réglementation. Les créateurs de contenu ne le sont pas. C'est très clair. Premièrement, un programme n'est pas réglementé; seule une entreprise est réglementée, qu'il s'agisse d'une plateforme de diffusion en continu ou d'une plateforme de médias sociaux.
Deuxièmement, en ce qui concerne la découvrabilité, comme l'a dit M. Geist, les algorithmes qui sont utilisés par Amazon et Netflix sont mathématiquement purs, non contaminés par des considérations commerciales, et tout ce que nous regardons dépend entièrement des préférences des consommateurs. Eh bien, je peux vous dire personnellement que quand je fais des achats à Amazon ou que je choisis une émission dans Netflix, sans le savoir, j'attire toutes sortes de choses qui ne correspondent pas du tout à mes préférences et à mes goûts, mais à ce que le fournisseur essaie de promouvoir.
Une fois que nous reconnaissons que les algorithmes ne sont pas agnostiques, il s'agit vraiment de savoir si la politique culturelle a un rôle à jouer dans un monde où il y a tant de choix et des quantités illimitées de contenu. Il faut que nous sachions quels choix canadiens nous sont offerts. C'est le simple principe de la découvrabilité, et il ne s'agit pas d'empiéter sur la liberté de choix. Il s'agit de promouvoir les choix canadiens. Les gens ne sont pas tenus de les regarder s'ils ne le veulent pas. En fait, je n'y vois aucune restriction de la liberté de choix.
Voilà ce que j'en pense, mais je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
C'est essentiel de bien comprendre que les algorithmes utilisés pour aiguiller la circulation des contenus sur Internet ne sont pas neutres. Il s'agit d'une réglementation par défaut, ce sont des règles par défaut. Présentement, absolument rien ne nous garantit que cette réglementation par défaut, qui émane uniquement des choix commerciaux des entreprises commerciales, ne comporte pas des biais ou des violations possibles aux droits fondamentaux. Si l'on veut jouer dans le domaine du procès d'intention, il faut aussi tenir compte de cela.
À l'heure actuelle, les Canadiens n'ont aucune garantie que leurs choix ne sont pas orientés de façon tout aussi antidémocratique que cela pourrait possiblement l'être si les multiples cas de figure qui ont été évoqués finissaient par se réaliser. Si, un jour, le CRTC décidait de violer la Loi sur la radiodiffusion en imposant des règlements qui contreviennent à la Charte canadienne des droits et libertés, nos libertés seraient en danger. Or il s'agit d'une éventualité très lointaine.
En ce moment, il y a des éventualités très présentes. Les pratiques des entreprises qui dominent de façon monopolistique les plateformes en ligne peuvent impunément, sans que personne puisse y jeter un œil, porter atteinte à nos droits fondamentaux. Il est là, le véritable enjeu en lien avec les droits fondamentaux. C'est dans ce sens que le projet de loi C-10 viendrait renforcer la protection de nos droits fondamentaux.
À l'heure actuelle, sur Internet, il n'y a malheureusement pas de protection. Nos droits ne sont pas protégés. Nos droits d'accéder à du contenu qui nous ressemble et nos droits de ne pas être espionné lorsqu'on fait des choix ne sont pas garantis. C'est la réglementation étatique qui peut les garantir.
Il ne me reste qu'une minute. Je vais m'adresser à Janet Yale.
On a parlé de l'ampleur des consultations menées pour élaborer ce projet de loi. Pourriez-vous nous parler rapidement du nombre de consultations et des intervenants avec lesquels vous avez discuté en préparant votre rapport, qui a servi de toile de fond à l'élaboration du projet de loi C-10?
En fait, nous nous sommes donné beaucoup de mal pour aller rencontrer les gens d'un océan à l'autre. Nous avons communiqué de façon proactive. Nous avons dit clairement que nous étions prêts, disposés et capables de rencontrer n'importe qui, n'importe quel intervenant — les groupes linguistiques minoritaires, les communautés autochtones et les divers intervenants — de tous les aspects du débat. Nous avons mené des consultations pendant environ six mois pour nous assurer que les organismes, les intervenants et les groupes de consommateurs se sentaient interpellés par le contexte actuel et que nous entendions leurs recommandations sur la façon de procéder.
Nous n'avons commencé à délibérer qu'après avoir recueilli toutes les consultations écrites et orales. Il nous a fallu attendre, je dirais, d'août à janvier 2018 jusqu'au début de 2019 pour pouvoir commencer à délibérer sérieusement.
Je remercie les témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui; leur visite était très attendue. Je leur en suis reconnaissant, et je les remercie de leur disponibilité.
Pour commencer, je vais m'adresser à M. Trudel.
Monsieur Trudel, il y a quelques instants, vous avez parlé du fait que, dans l'état actuel des choses, on est encore bien moins protégé. La vie privée, la liberté d'expression et, à la rigueur, la liberté de choix de contenu sont moins protégées. Le projet de loi C-10 n'a pas l'intention d'empiéter sur cette situation.
Selon vous, le projet de loi va-t-il améliorer les choses ou est-ce que le statu quo sera maintenu?
Je pense que le projet de loi C-10, qui vise à modifier la Loi sur la radiodiffusion, va faire en sorte que celle qui en ressortira protégera davantage les droits des citoyens canadiens et des consommateurs canadiens. Quant à la possibilité qui est accordée au CRTC de jeter un coup d'œil sur les processus algorithmiques, il faut toujours rappeler que ce n'est pas un organisme qui censure du contenu derrière des portes closes. C'est un organisme qui réglemente certaines activités à partir d'un processus public auquel tout le monde est convié.
À l'occasion de ces processus, le CRTC pourrait inviter les grandes plateformes à expliquer comment fonctionnent les algorithmes et les autres processus qu'elles utilisent pour administrer la circulation des différents contenus. Il pourrait leur demander d'expliquer dans quelle mesure ceux-ci sont compatibles avec les valeurs canadiennes et en quoi ils ne sont pas susceptibles d'être inféodés à des intérêts commerciaux qui ne seraient pas déclarés. Il pourrait également leur demander d'expliquer dans quelle mesure ils sont compatibles avec les valeurs canadiennes, qui sont différentes des valeurs américaines. Je pense à l'égalité et à la diversité, entre autres. Surtout, il pourrait leur demander de lui dire dans quelle mesure les algorithmes permettent de procurer de véritables propositions aux Canadiens et peuvent très bien être organisés de telle manière qu'ils reflètent les valeurs que l'on retrouve dans la Loi sur la radiodiffusion.
Par exemple, ils pourraient rendre visibles des productions culturelles en provenance des groupes minoritaires, ainsi que la riche production des peuples autochtones du Canada ou des personnes racisées. Bref, avec une modification à la Loi sur la radiodiffusion telle que celle qui est proposée ici, la Loi favoriserait davantage la liberté d'expression que la censure. Elle inciterait, en quelque sorte, les entreprises à promouvoir la créativité canadienne, tout en laissant les consommateurs libres de consommer ce qu'ils veulent.
En ligne, personne ne pense une seule seconde que l'on peut forcer quelqu'un à regarder ce qu'il ne souhaite pas regarder. Cette question est réglée depuis longtemps. Par contre, ce que l'on a souvent du mal à trouver sur les plateformes, ce sont des produits culturels qui reflètent la créativité canadienne ou les productions des créateurs issus des minorités linguistiques ou culturelles du Canada. C'est cela qui manque, actuellement, sur les plateformes. C'est cela qui fait qu'au Canada, on a réussi à mettre en place un système audiovisuel ou médiatique qui est très ouvert sur le monde et qui n'a jamais pratiqué la censure, comme certains semblent le prétendre.
Au contraire, non seulement nous avons accès à tout ce qu'il y a dans le monde, mais en plus, nous avons accès aux productions de nos créateurs et de nos créatrices. C'est cela, la différence. C'est pourquoi je pense que c'est une loi qui augmente nos droits fondamentaux...
Monsieur Trudel, je vous interromps, parce que je veux vous ramener sur la question que vous venez d'aborder, soit celle de la censure.
Essentiellement, le but de votre présence à vous tous, aujourd'hui, est d'essayer de balayer ce problème afin que nous puissions continuer à faire d'importants travaux sur ce projet de loi. Je partage tout à fait votre opinion, il est absolument nécessaire de protéger la culture. Cependant, le fait qu'on ne crée plus l'article 4.1 a suscité des inquiétudes chez certaines personnes et dans certains groupes. D'autres amendements sont à venir, dont un article 2.1, qui ne semble pas suffire pour convaincre les gens. De façon générale, quand vous nous parlez du projet de loi C-10, vous n'y voyez absolument aucun risque pour la liberté d'expression. Toutefois, supposons que, dans un scénario extrapolé, le CRTC se retrouve à prendre des décisions allant à l'encontre de la liberté d'expression.
D'abord, un tel scénario pourrait se produire, et dans quel contexte? Ensuite, quels seraient les recours pour y remédier?
Je pense qu'il y a des mécanismes de défense, dans tout cela.
Si le CRTC prenait une telle décision, il le ferait à la suite d'un processus public. Il y aurait un appel d'observations du public. Il convierait tous les Canadiens à venir donner leur point de vue sur les mesures qu'il envisage de prendre. Par la suite, il prendrait ces mesures. Il émettrait une ordonnance ou un règlement. Ce règlement ou cette ordonnance pourrait être contesté en vertu des dispositions qui sont déjà dans la Loi sur la radiodiffusion.
Une des premières contestations qui me viendraient à l'esprit, c'est que le CRTC aurait interprété la loi d'une manière qui contredit la liberté d'expression. Cela me semble être une hypothèse particulièrement éloignée ou impensable, puisque, pour que cela arrive, il faudrait que le CRTC ait fait fi de toutes ces dispositions.
Vous ne savez pas à quel point j'apprécie votre enthousiasme depuis que je siège à ce comité. Mais je vais m'arrêter là, car nous devons respecter notre horaire.
Nous passons maintenant la parole à Mme McPherson.
Monsieur le président, j'ai besoin d'une précision. Je crois comprendre que vous avez donné au député du Parti vert du temps pour poser des questions. Je crois comprendre que cela n'est permis que si un autre membre permanent du Comité accepte de partager son temps de parole.
En fait, madame Harder, dans des circonstances normales, vous avez raison, mais j'ai aussi observé des situations où l'on a appliqué un pouvoir discrétionnaire en faveur d'autres députés. Je n'ai pas accordé de temps à M. Manly jusqu'à maintenant dans le cadre des délibérations sur le projet de loi C-10. Cependant, comme il a proposé de nombreux amendements, j'ai pensé qu'en appliquant la discrétion de la présidence, je pourrais l'inviter à intervenir.
Il n'a droit qu'à une question — certainement pas plus de cinq minutes — et il y a des précédents, madame Harder.
Je remercie tous les témoins d'être venus aujourd'hui.
De toute évidence, nous avons pour objectif de créer une loi sur la radiodiffusion qui protège la liberté d'expression des Canadiens, qui uniformise les règles du jeu et qui force les géants du Web à contribuer à notre secteur de la radiodiffusion. Je vous remercie tous d'être venus ici pour nous faire part de votre expertise. Je suis convaincue que nous essayons tous de trouver une manière de collaborer, d'entendre des experts, d'obtenir la meilleure information possible afin de créer la meilleure loi possible pour l'avenir.
Je sais que nous reconnaissons tous que le projet de loi dont nous sommes saisis nécessite un certain travail et une certaine attention. Je vous remercie donc d'être avec nous aujourd'hui et de nous aider à produire un projet de loi, ou la future loi, aussi favorable que possible à nos radiodiffuseurs, à nos artistes et à notre secteur créatif.
Je vais commencer par poser quelques questions à M. Cash.
Monsieur Cash, vous avez parlé de l'influence de l'industrie de la musique indépendante et de l'importance qu'elle a pour notre culture locale et pour notre développement économique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, s'il vous plaît?
Vous savez, environ 80 % de tous les joueurs de la scène musicale, dans le secteur de la musique en général au Canada, sont des travailleurs autonomes ou des propriétaires uniques. En un sens, ils exploitent de petites entreprises. Il y a de plus grandes entreprises, bien sûr, mais en général, c'est la réalité. Leurs efforts combinés et leurs risques combinés...
Soit dit en passant, ils courent beaucoup de risques non seulement sur le plan des ressources financières, mais aussi sur le plan de la santé physique et mentale. Il est vraiment nécessaire que des gens comme vous comprennent vraiment ce que nous faisons et comment nous le faisons. Les gens ne savent pas vraiment comment la musique qui arrive dans leurs oreilles a été produite. Ils ne savent pas qui l'a produite et comment. C'est l'une des raisons pour lesquelles un projet de loi comme le C-10 est si important.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire, la COVID a vraiment mis au jour les vulnérabilités du système. La situation aurait été différente avant l'avènement d'Internet, mais le fait est que ces énormes entreprises ont des répercussions sur notre secteur des arts et de la culture. Elles ont besoin de contenu, mais pas seulement de contenu canadien. Il leur faut le contenu de tous les créateurs du monde. Elles en ont besoin pour faire rouler leur plateforme. Malheureusement, elles engloutissent ainsi souvent les artistes et les petites entreprises indépendantes appartenant à des intérêts canadiens.
N'oublions surtout pas, en posant des questions sur la scène musicale canadienne indépendante, que nous parlons d'entreprises canadiennes. Ce ne sont pas des entités multinationales. Il s'agit de gens qui vivent et qui travaillent dans vos collectivités, qui élaborent de la propriété intellectuelle et qui, bien souvent, réussissent à l'exporter vers des marchés situés au-delà de nos frontières pour en rapporter les revenus au Canada.
Nous considérons le projet de loi C-10 comme un moyen d'améliorer la situation et d'y ajouter de la valeur.
Une préoccupation a été soulevée au sujet du projet de loi C-10. Il s'agit bien sûr de la nécessité de protéger la liberté d'expression. Comme vous le savez, le NPD réclame cela depuis très longtemps. Je pense que les artistes, plus que toute autre catégorie de personnes, défendent la liberté d'expression. C'est au cœur de leur raison d'être.
Pourriez-vous nous parler davantage de la réalité économique que connaissent les artistes de votre industrie et nous dire pourquoi ils veulent que les géants du Web paient leur juste part tout en respectant pleinement, bien sûr, la liberté d'expression et la capacité des gens de publier le contenu de leur choix sur Internet?
En ce qui concerne la musique, à l'heure actuelle le secteur Internet fonctionne de la façon suivante: peu d'entreprises, peu d'artistes, ont le moindre pouvoir de négociation avec YouTube. En général, la musique est déjà en ligne. Il faut choisir entre l'octroi d'une licence et une rémunération dérisoire ou l'absence totale de rémunération. C'est vraiment un choix difficile pour les entrepreneurs, c'est certain, mais pour les artistes eux-mêmes, cela pose un énorme problème.
Le tableau n'est pas entièrement sombre pour les artistes. Comme je l'ai dit d'entrée de jeu, ces plateformes représentent d'énormes possibilités, mais nous devons bien faire les choses. Pour cela, il faut notamment assujettir ces énormes entreprises, les plus grandes entreprises de l'histoire, à un système de réglementation qui leur fasse rendre des comptes aux Canadiens.
Vous le savez probablement, mais Edmonton Strathcona compte énormément d'artistes. J'ai hâte que nous ayons de nouveau des spectacles en direct et que nous puissions voir certains de nos artistes.
Merci beaucoup de ce que vous avez fait pour encourager les artistes. Merci de votre témoignage.
Monsieur le président, je crois que mon temps de parole est écoulé, n'est-ce pas?
Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui. C'est un débat très intéressant sur un projet de loi très important. J'ai travaillé dans l'industrie de la radiodiffusion de multiples façons. J'étais également musicien professionnel, c'est donc quelque chose qui me tient à cœur.
Pour commencer, j'aimerais demander à M. Trudel s'il approuve la suppression de l'article 4.1 proposé.
J'aimerais ensuite vous interroger, monsieur Trudel, au sujet de la neutralité du Net et de la façon dont les algorithmes influent sur ce concept au regard de la loi canadienne. Je comprends le principe de ralentissement artificiel du trafic, mais comment les algorithmes influent-ils sur la loi sur la neutralité du Net?
Je suis de ceux qui pensent que l'article 4.1 était inutile. Il constituait une source de confusion, car la Loi prévoit déjà toutes les balises requises pour s'assurer que la réglementation du système de radiodiffusion au Canada se fait dans le plein respect de la liberté d'expression. De plus, le CRTC a l'obligation de limiter son action uniquement aux entreprises dont l'activité et l'action ont des conséquences perceptibles sur la réalisation de la politique canadienne de radiodiffusion. Par conséquent, l'article 4.1 a été enlevé à bon droit, parce qu'il était inutile, à mon avis. Je l'ai d'ailleurs écrit dans un article du journal Le Devoir.
L'algorithme est intéressant. Les algorithmes, actuellement, quel que soit leur mode de fonctionnement, déterminent les types de contenus qui seront plus visibles que d'autres.
Qu'il s'agisse de radiodiffusion traditionnelle ou en ligne, dans tous les pays, la réglementation des médias de radiodiffusion comporte une caractéristique fondamentale, c'est que des lois viennent nécessairement faire un équilibre entre les intérêts commerciaux des entreprises et les autres intérêts qui doivent être accommodés. Dans la radiodiffusion traditionnelle, cela a pris la forme de règles limitant l'activité commerciale des stations de radio ou de télévision, limitant le temps de publicité, par exemple. Dans le cas des réseaux ou des entreprises de radiodiffusion en ligne, il est prévisible que le CRTC développe de nouvelles façons d'assurer cet équilibre entre les impératifs commerciaux et les autres objectifs que la législation sur la radiodiffusion a toujours voulu faire prévaloir dans toute l'histoire canadienne de la radiodiffusion.
Ce qui distingue le Canada de beaucoup d'autres pays dans le monde, c'est que, justement, nous avons un système de radio et de communication qui est autre chose qu'un simple conduit pour acheminer du matériel selon des logiques strictement commerciales ou d'affaires. Donc, c'est ce type de...
J'aimerais prendre un instant pour poser la même question à M. Geist au sujet du concept de neutralité du Net et de la façon dont les algorithmes fonctionnent.
Est-ce qu'ils nous fournissent simplement du contenu commercial? En quoi le fait d'intégrer à cet algorithme les règles sur le contenu canadien et la découvrabilité fera-t-il une différence? En quoi cela influe-t-il sur la neutralité du Net et la loi sur la neutralité du Net?
Premièrement, pour ceux qui ne le savent pas, la neutralité du Net affirme la nécessité de traiter tout le contenu sur un pied d'égalité, peu importe la source ou la destination. C'est un principe fondamental, je crois, des gouvernements qui se sont succédé, même s'il semble que le ministre du Patrimoine ait fait état de ses doutes, du moins à l'occasion d'une entrevue avec les médias à ce sujet.
Nous venons d'entendre M. Trudel. Il a dit que les algorithmes déterminent le type de contenu visible. Cela fait directement écho aux préoccupations concernant la neutralité du Net et souligne l'idée qu'un algorithme peut en fait miner ces principes de neutralité.
Si cela se fait à la demande d'un gouvernement, et c'est précisément ce qui est proposé dans ce projet de loi, le CRTC sera chargé de prendre ces décisions. C'est là qu'interviennent les préoccupations relatives au contenu, à la liberté d'expression et à la neutralité du Net. Je le répète, c'est précisément la raison pour laquelle aucun pays au monde ne fait cela. Personne ne croit qu'il est approprié qu'un gouvernement choisisse quels contenus sont priorisés ou non.
La transparence algorithmique dont M. Trudel a parlé est tout à fait autre chose. En fait, elle est absolument nécessaire du point de vue de la réglementation et elle est même incluse dans le projet de loi C-11, que le gouvernement, pour une raison ou une autre, a en grande partie enterré et n'a pas fait avancer.
Il ne s'agit pas de savoir si nous réglementons les algorithmes; il s'agit de savoir si le CRTC et le gouvernement vont utiliser ces algorithmes pour déterminer et rendre prioritaire ou non ce que nous pouvons voir.
Monsieur Trudel, j'aimerais vous poser une question assez directe, et j'aimerais recevoir une réponse assez brève.
Vous avez parlé plusieurs fois du CRTC comme d'un organisme de réglementation efficace, qui s'assurera d'être le rempart des questionnements de plusieurs spécialistes au regard de la liberté d'expression.
Toutefois, ce matin, dans Le Devoir — vous avez même cité une lettre que vous aviez envoyée au même média —, des anciens du CRTC expriment une opinion complètement opposée à la lecture que vous faites en ce moment du projet de loi C-10. Ces anciens du CRTC sont l'ancien commissaire du CRTC de 2009 à 2013, Timothy Denton; Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC de 2007 à 2012; Peter Menzies, vice-président des télécommunications du CRTC de 2013 à 2018; Michel Morin, commissaire national du CRTC de 2008 à 2012; Philip Palmer, conseiller juridique au ministère de la Justice et chef du contentieux au ministère des Communications de 1987 à 1994.
Se pourrait-il que des experts aient des opinions qui sont différentes des vôtres et qui tiennent la route? Ce sont des gens qui étaient sur le terrain.
Ces gens ont-ils une certaine crédibilité, oui ou non?
Je ne me prononce pas sur la crédibilité ou la compétence des personnes.
Ce que je constate, cependant, c'est que le CRTC est régi par des lois. Les décisions qu'il a rendues tout au long de son histoire ont été des décisions qui ont été confirmées par les tribunaux. La décision la plus célèbre qui pourrait être invoquée par ces gens qui pensent que le CRTC est un bureau de censure ou un tribunal d'inquisition, c'est la décision de ne pas renouveler la licence d'une station de radio de Québec, en 2004. La Cour fédérale a confirmé que le CRTC avait correctement appliqué les règles et n'avait pas violé la liberté d'expression. Cela a été confirmé par la Cour suprême.
Vous évoquez beaucoup le CRTC, mais des acteurs du CRTC ont levé un drapeau rouge ce matin, parce qu'ils ont l'impression de voir un discours uniforme dans le paysage public. Ces personnes, qui appliquaient cette loi, disent que cela ne fonctionne pas.
Pardonnez-moi, je veux finir mon commentaire, parce que ma prochaine question s'adressera à un autre invité. J'ai seulement cinq minutes.
Je veux vous montrer qu'il y a des discours différents. Ces gens ont le droit de s'exprimer, et ils ont droit d'avoir une voix au Parlement canadien.
Cela étant dit, je vais permettre à M. Geist de nous expliquer la différence entre l'article 2.1 et l'article 4.1. Le ministre nous dit sans arrêt qu'en vertu de l'article 2.1, tout est protégé et que le contenu des utilisateurs ne sera pas mis en danger. En même temps, M. Trudel parle de l'article 4.1 comme d'une source de confusion, disant qu'ultimement, il n'aurait pas dû exister.
Monsieur Geist, à titre de professeur de droit et grand défenseur de la liberté d'expression, pouvez-vous nous donner votre vision des choses à cet égard?
Je trouve tout à fait remarquable que certains témoins disent que l'article ne veut rien dire du tout et que d'autres disent qu'il faut le supprimer. On peut donc supposer qu'il y avait un problème.
Voici la réalité, telle que je la vois, telle que beaucoup d'autres experts la voient et telle que le ministère l'a vue, y compris dans les commentaires formulés directement au Comité et dans les notes de service écrites au ministre du Patrimoine qui sont maintenant disponibles en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.
Premièrement, le nouvel article 2.1 proposé traite, comme nous l'avons entendu, directement de la réglementation des entreprises en ligne. Il est vrai que nous n'allons pas traiter un million d'utilisateurs de TikTok comme s'ils étaient l'équivalent de CTV ou d'autres diffuseurs. Ils n'auront pas à comparaître devant le CRTC, ce qui est tout à fait logique, parce qu'ils ne sont pas des radiodiffuseurs.
Cependant, même cela a été un sujet d'inquiétude. Bien entendu, le ministre du Patrimoine a déclaré que le nombre de téléspectateurs ou d'abonnés que vous touchez pourrait vous faire entrer dans cette catégorie, et certains groupes de créateurs ont laissé entendre qu'ils étaient en faveur de l'utilisation de ce critère. Il me semble toutefois qu'il n'en serait pas ainsi avec le nouvel article 2.1 proposé.
Le nouvel article 4.1 proposé visait à faire en sorte que les émissions elles-mêmes, le contenu, ne soient pas traités comme quelque chose qui pourrait être réglementé par le CRTC.
Cela a été plutôt clair. Bien sûr, un certain nombre de services en ligne ont dû s'adresser au CRTC pour déterminer si le contenu de leur service était visé par cette mesure. Cela comprend certains des services YouTube. Il était tout à fait possible que ces cas soient concernés.
Si nous tenons tant à ce que le CRTC fasse les choses correctement, j'aurais pensé que nous aurions foi en notre capacité à protéger le contenu créé par les utilisateurs, cette forme essentielle d'expression, tout en faisant confiance au CRTC pour décider à bon escient de la portée de la loi.
J'ai une dernière question très brève à vous poser.
Peut-on à la fois être pour la neutralité d'Internet, comme l'ont affirmé M. Guilbeault, Mme Joly, M. Lametti et M. Bains lors de différentes interventions, et être favorable au projet de loi tel que modifié?
Je ne crois pas que le projet de loi, dans sa forme actuelle soit compatible avec la neutralité du Net. Et certains des plans dont nous savons que le gouvernement a parlé au sujet du blocage des sites Web le sont encore moins.
Nous devrions être clairs. Le Canada est considéré comme un chef de file dans ce domaine, comme un chef de file en matière de neutralité du Net. Il a même parfois cherché à se distinguer des États-Unis et d'autres pays qui ont pris du recul par rapport à la neutralité du Net. Adopter ce projet de loi et donner au gouvernement le droit d'accorder la priorité ou non aux contenus mine gravement notre crédibilité de porte-parole de la neutralité du Net.
Je remercie nos témoins de s'être joints à nous aujourd'hui dans le cadre d'une excellente discussion.
J'aimerais d'abord m'adresser à Mme Yale.
Madame Yale, j'aimerais revenir sur la neutralité du Net, car nous en avons beaucoup entendu parler au cours des dernières minutes. Ce projet de loi compromet-il la neutralité du Net? Comme cela a été souligné, le Canada a joué les chefs de file dans ce domaine.
De toute évidence, de mon point de vue, cela ne risque pas de compromettre la neutralité du Net. Celle-ci est principalement liée à la capacité des entreprises de télécommunications et à leur fonction de transport de données. Il s'agit de s'assurer qu'elles n'avantagent ni ne désavantagent un contenu en particulier. Prenez les services en ligne qui sont fournis. Si vous êtes un client de Bell ou de Rogers, vous devez vous assurer que votre abonnement en ligne à Disney n'est pas privilégié au détriment de votre abonnement en ligne à Crave ou à un autre service de diffusion en continu. Le principe de la neutralité du Net exige que les entreprises de télécommunications soient agnostiques et qu'elles s'assurent que le contenu parte du point A et soit livré au point B sans interférence, ralentissement ou blocage. Notre rapport dit très clairement que le principe de la neutralité du Net est fondamental.
Parler d'objectifs de politique culturelle est une tout autre chose, comme l'a dit mon collègue, M. Trudel. Si nous croyons en la politique culturelle, nous faisons des choix. Ces choix s'appliquent aux radiodiffuseurs traditionnels, qui ont des obligations concernant le contenu et les horaires des émissions qu'ils diffusent, mais aussi aux câblodistributeurs qui ont des obligations en matière de distribution. Le fait que les contenus soient maintenant distribués sur Internet ne change rien à la question fondamentale de savoir si, aux fins de nos valeurs et de notre politique culturelle, il faudrait exiger — dans un monde, comme le dit notre rapport, de choix fantastiques et d'accès sans frontières aux contenus — que les Canadiens soient informés des choix qui leur sont offerts dans leur pays. Je ne crois pas que cela entre en conflit avec le principe de la neutralité du Net. C'est vraiment un sujet complètement distinct, à mon avis.
J'ai une autre question à vous poser. M. Geist a dit qu'avec la suppression de l'article 4.1 proposé, le projet de loi menace maintenant le contenu généré par les utilisateurs et la liberté d'expression. Selon votre avis d'expert, que faut-il répondre aux citoyens canadiens qui s'inquiètent à ce sujet?
Tout d'abord, je dirais qu'il n'y a rien dans le projet de loi tel qu'il a été modifié, en excluant l'article 4.1 proposé, qui menace la liberté d'expression.
Jusqu'à maintenant, j'ai essayé d'expliquer clairement que les utilisateurs mettent du contenu sur, disons, un média social. Il est certain que le contenu peut tomber sous la définition légale d'« émission », mais comme je l'ai déjà dit, les émissions ou programmes ne sont pas réglementés, alors si vous êtes un blogueur ou quelqu'un qui fait des balados, c'est du contenu, c'est certain, mais comment est-il distribué? Il est distribué parce que vous concluez un accord avec Spotify ou avec YouTube, et il est diffusé sur ces plateformes.
Ce sont les plateformes, les entreprises en ligne, qui seraient réglementées, et non les créateurs de contenu, qu'il s'agisse d'utilisateurs, d'amateurs ou de professionnels. Vous êtes libre de mettre en ligne tout ce que vous voulez, que vous le monétisiez ou non, que vous en retiriez des revenus de publicité ou d'abonnement ou non. Ce n'est pas visé par le projet de loi C-10. Ce sont les entreprises en ligne qui le sont, et les utilisateurs n'exploitent pas les entreprises en ligne. Ils ne sont pas soumis à la réglementation.
À mon avis, il n'y a pas de menace à la liberté d'expression ou à la capacité de diffuser ce que vous voulez sur n'importe quelle plateforme sans craindre que votre contenu soit modéré ou réglementé de quelque façon que ce soit.
Je suis sûr que beaucoup de gens vous remercieront, car cela nous amène à la pause.
Mesdames et messieurs, lorsque vous reviendrez en ligne, veuillez activer la vidéo pour que je puisse voir que vous êtes prêts. Entretemps, je vous demande de ne pas dépasser cinq minutes, s'il vous plaît.
Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes.
Je vois que vous avez toutes les raisons du monde de vous opposer à ce projet de loi.
En ce qui a trait à la possible atteinte à la liberté d'expression, sur laquelle porte notre réunion d'aujourd'hui, y a-t-il un langage qu'on pourrait utiliser dans ce projet de loi qui vous rassurerait et qui nous permettrait de régler le problème et de continuer notre travail?
Sur cette question précise, je pense qu'il ne fait aucun doute que nous devons remettre l'article 4.1 proposé dans la réglementation ou exclure toute réglementation de ce type de contenu. Cela comprendrait la découvrabilité, ce qui relève sans aucun doute, comme nous l'avons entendu de la bouche même de M. Trudel, d'un choix et, en fin de compte, de la neutralité du Net.
Monsieur Trudel, quelle est votre opinion là-dessus? Je sais que vous n'avez pas de crainte quant à l'atteinte à la liberté d'expression, mais pensez-vous qu'on devrait apporter une modification afin de préciser tout cela, par acquit de conscience et pour rassurer les gens inquiets?
La neutralité d'Internet s'applique au réseau lorsqu'il est question des tuyaux. On ne parle pas de neutralité d'Internet relativement aux plateformes. En effet, la littérature mondiale traite de la neutralité d'Internet lorsqu'il est question des tuyaux et de la connexion Internet. Cela ne s'applique pas à Google ou à YouTube, qui sont des entreprises.
Si je suis un médecin et que je pratique la médecine sur Internet, je suis lié par les règles qui régissent la pratique de la médecine. Si on me punit à cause de cela ou si on m'interdit de faire certaines choses, on ne viole pas la neutralité d'Internet. C'est la même chose pour la radiodiffusion ou pour la diffusion d'émissions par les plateformes. La prétention selon laquelle cela concerne la neutralité d'Internet m'apparaît donc sans fondement.
La neutralité d'Internet vise à empêcher les fournisseurs de connectivité de bloquer ou de favoriser certains contenus. Ce ne sont pas les fournisseurs de connectivité qui sont visés par le projet de loi, mais bien les plateformes, les YouTube et les Spotify de ce monde. Ce sont des entreprises à l'égard desquelles on n'a jamais pensé appliquer le principe de neutralité d'Internet.
Nous avons beaucoup insisté sur les risques que présente le projet de loi C-10 et sur les préoccupations que les gens — les experts — ont soulevées au sujet de la liberté d'expression.
Monsieur Cash, j'aimerais vous poser une brève question au sujet des promesses du projet de loi C-10. Si une version du projet de loi C-10 est adoptée qui offre un soutien à notre communauté artistique, pourriez-vous nous parler un peu de la croissance du marché international et de l'incidence qu'aurait l'adoption de ce projet de loi C-10 sur le secteur?
Il ne fait aucun doute que le secteur évolue, et qu'il évolue en fonction du marché mondial. Les entrepreneurs canadiens, les artistes canadiens et l'ensemble du secteur de la musique indépendante sont prêts à jouer un rôle important dans la reprise économique de notre pays après la COVID, une reprise qui sera axée sur la création de bons emplois verts pour la classe moyenne, et sur le développement de la propriété intellectuelle canadienne par des artistes et des entrepreneurs qui ont le savoir-faire et l'expérience nécessaires pour exporter à grande échelle sur tous les marchés de la planète.
Les besoins du secteur pourraient grandement être appuyés par l'injection des mesures de soutien promises par le projet de loi C-10. Nous devons travailler rapidement pour faire adopter ce projet de loi, car le CRTC a beaucoup de travail à faire pour que cela se produise.
Je vais poser quelques questions — je n'ai probablement pas beaucoup de temps — à M. Geist.
Monsieur Geist, mon collègue, M. Champoux, vient de demander quelles modifications au projet de loi C-10 seraient nécessaires pour qu'il bénéficie de votre appui. Vous parlez de supprimer l'article 4.1 proposé.
Ma préoccupation est que nous devons trouver une façon d'adopter cette loi sur la radiodiffusion. Nous savons qu'il y a 30 ans qu'elle se fait attendre. Cet article mis à part, que devrions-nous faire selon vous pour nous assurer que ce projet de loi tienne ses promesses, c'est-à-dire uniformiser les règles du jeu, protéger notre secteur artistique et notre secteur de la radiodiffusion, et aussi protéger la liberté d'expression?
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, j'estime que le projet de loi comporte plusieurs lacunes. Honnêtement, si les objectifs que vous venez d'énoncer sont importants, je suis d'avis, surtout sur le plan financier, que la meilleure chose que nous puissions faire est de nous assurer que l'argent sera disponible rapidement. Nous pouvons le faire grâce à des mesures comme la taxe sur les services numériques et d'autres mesures fiscales connexes.
Je pense qu'à bien des égards, nous devons revenir en arrière et examiner de plus près certaines des approches contenues dans ce projet de loi. J'ai un peu de mal à comprendre certains des commentaires que j'ai entendus aujourd'hui.
Revenons sur cette notion, par exemple, de neutralité du Net, qui est un principe fondamental et qui doit être protégé. Mme Yale et M. Trudel nous ont dit que ce projet de loi n'avait rien à voir avec ce principe. Dans leur propre rapport, ils soulignent qu'il y a d'autres questions émergentes qui vont au-delà de l'accès classique à Internet et qui ont beaucoup à voir avec les objectifs de la neutralité du Net. Je ne sais pas si cela a été écrit par des personnes qui ne font plus partie de leur équipe et qui se sont dissociées du groupe d'examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, mais il est clair que ce sont des questions auxquelles nous devons réfléchir.
En fait, j'aimerais d'abord vous demander si nous pouvons envisager de prolonger la séance. C'est une conversation très utile. Nous avons ici des gens très intelligents et instruits, et je pense que nous devrions leur poser davantage de questions.
Que diriez-vous de traiter de cette question vers la fin de la séance? Ce serait à 16 h 30, heure de l'Est. Habituellement, c'est par consentement tacite que nous levons la séance à ce moment-là. Toutefois, si nous sommes au beau milieu d'une conversation, nous pourrons prolonger un peu.
Entretemps, je vais essayer de voir si c'est possible, parce que je dois vérifier la logistique de la salle et ainsi de suite — avec votre bénédiction, bien sûr.
Monsieur Aitchison, vous avez la parole. Lorsque vous serez prêt, vous pourrez céder la parole à votre collègue, M. Shields.
Merci beaucoup. C'est ce que j'ai l'intention de faire.
Je veux me concentrer très précisément sur les commentaires que vous avez faits, madame Yale et monsieur Geist. J'ai du mal à comprendre comment, si vous réglementez les plateformes en ligne — les médias et les forums par lesquels les Canadiens créent du contenu et le partagent avec le monde —, vous ne réglementez pas indirectement les créateurs de contenu eux-mêmes. Vous avez dit que vous réglementez les plateformes et non les créateurs de contenu, mais vous réglementez indirectement les créateurs de contenu, n'est-ce pas?
J'aimerais que M. Geist et Mme Yale nous en parlent, s'il vous plaît.
J'ai essayé de faire cette distinction. Je ne l'ai peut-être pas faite clairement. Les amendements ultérieurs précisent sans ambiguïté que la seule chose qui sera réglementée s'agissant des plateformes... Laissons de côté les services de diffusion en continu, car il me semble que la controverse porte maintenant davantage sur les médias sociaux que sur les services de diffusion en continu.
Les services de diffusion en continu, à l'instar des conservateurs de musées, achètent et créent le contenu qu'ils emballent et mettent à votre disposition. Si un producteur crée une émission qui est ensuite diffusée sur Netflix, elle est générée par un créateur, mais je ne pense pas que cela soit notre sujet. Ce dont il est question, c'est le contenu généré par les utilisateurs, lorsque les gens font des choses — des balados, des chansons, des danses, etc., puis les téléchargent sur une plateforme comme YouTube. Ces contenus sont générés par les utilisateurs. Ils ne font pas l'objet d'un contrat direct avec un service de diffusion en continu. Les gens peuvent utiliser les plateformes à leur discrétion.
Ce pouvoir discrétionnaire n'est pas modifié. Les gens peuvent afficher ce qu'ils veulent sur les médias sociaux. Ce n'est pas réglementé. Les amendements les plus récents dont a parlé le ministre Guilbeault ne prévoyaient que trois contraintes vis-à-vis de ces plateformes, seulement trois. Il y a eu une véritable contraction du pouvoir de réglementation du CRTC à l'égard de ces plateformes.
Les trois contraintes sont les suivantes: premièrement, les plateformes doivent fournir de l'information sur leurs revenus, qu'il s'agisse de publicité ou d'abonnements. Deuxièmement, ces recettes servent à calculer le montant de leurs redevances ou de leurs obligations de dépenses, selon le cas. Il s'agit simplement de savoir combien elles gagnent au Canada et quel est le montant approprié de leur contribution. Le troisième élément est ce que nous appelons la découvrabilité, c'est-à-dire la façon de rendre visible le contenu créatif canadien.
C'est tout. Je ne vois pas en quoi cela serait de la réglementation du contenu. Ce n'est tout simplement pas le cas.
D'accord. Merci. Il ne nous reste plus beaucoup de temps, alors j'aimerais donner la parole à M. Geist, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Merci beaucoup.
Absolument, et je pense que vous avez tout à fait raison. Ce que nous avons maintenant, en fait, c'est une impartition de cette réglementation aux plateformes technologiques, ce qui offre aux Canadiens encore moins de protection. Le gouvernement fait indirectement ce qu'il serait difficile de faire directement, c'est-à-dire réglementer la découvrabilité de ce contenu.
Et comment pourrions-nous faire? Si je fais une vidéo avec mes frères et sœurs qui vivent aux États-Unis et dans d'autres pays, s'agit-il de contenu canadien, ou pas? Nous avons déjà du mal à déterminer ce qui constitue du contenu canadien pour les productions certifiées. Tout à coup, nous allons demander au CRTC de décider quelle vidéo de chat constitue du contenu canadien et laquelle n'en est pas. Lorsque vous demandez au gouvernement de décider ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas, il s'agit absolument d'une réglementation. À bien des égards, la délégation de pouvoirs aux plateformes technologiques pour faire respecter ces décrets gouvernementaux est encore pire, parce qu'elles ne sont pas assujetties au même genre de restrictions.
Après M. Louis, comme je l'ai dit, ce sera à nouveau au tour des conservateurs. Il semble que nous allons commencer ce troisième tour de questions, mesdames et messieurs, puis nous verrons au fur et à mesure.
Je remercie nos témoins. Je vous remercie tous d'être ici pour cette merveilleuse discussion.
Je vais commencer par Mme Yale, parce que je crois qu'il règne une certaine confusion.
Nous avons parlé des préoccupations relatives à la liberté d'expression. Vous avez dit tout à l'heure que rien dans ce projet de loi ne menace la liberté d'expression. Vous avez parlé des utilisateurs qui mettent du contenu en ligne. Même s'il s'agit de balados, on les appelle quand même des programmes. C'est très bien, mais ils sont toujours diffusés sur ces plateformes, et les plateformes sont les entreprises en ligne qui seront réglementées. Je crois qu'il y a un peu de confusion entre les artistes canadiens et le contenu canadien en ce qui concerne la découvrabilité.
Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet et peut-être clarifier un peu les choses, puisque vous êtes l'experte en la matière?
Je pense que vous avez très bien décrit la distinction que je fais entre les programmes et les entreprises. Je pense que la question de la découvrabilité n'est pas nouvelle; c'est simplement que le fait d'être en ligne et sur les médias sociaux crée de nouvelles conditions de promotion et de visibilité pour le contenu canadien.
Dans le contexte des médias sociaux, nous n'allons pas faire les choses comme nous l'avons fait dans les médias traditionnels. C'est peut-être aussi simple que de s'assurer que parmi... Prenez Spotify, il pourrait y avoir des listes de diffusion canadiennes. S'agissant des médias sociaux, la question de savoir comment nous allons faire en sorte qu'il y ait des choix canadiens parmi la vaste gamme de choix disponible est, je pense, celle que devra se poser l'organisme de réglementation au fil du temps.
On ne peut pas figer ce genre de choses dans la loi, parce que nous n'aurions pas pu envisager l'Internet lorsque la Loi sur la radiodiffusion a été mise en place, et nous ne pouvions pas non plus imaginer l'évolution des modèles d'affaires pour les services de diffusion en continu et les médias sociaux. C'est le rôle même de l'organisme de réglementation de déterminer ce qui est approprié à un moment donné, car à mesure que les circonstances et les modèles d'affaires changent, il faudra aussi adapter la réglementation. Je pense que la souplesse est essentielle dans un environnement qui évolue si rapidement.
Je vous remercie de l'avoir dit. Je vous remercie d'avoir soulevé la question des listes de lecture, car en tant qu'artiste, je comprends comment les artistes canadiens font face à la concurrence de conglomérats et de ressources venant des États-Unis. La Loi sur la radiodiffusion a toujours veillé à ce que les artistes canadiens aient les ressources nécessaires pour avoir une bonne visibilité à l'échelle locale, nationale et internationale. J'ai l'impression que lorsque les Canadiens vont sur Internet — par exemple sur YouTube ou dans un endroit qui a une liste de diffusion —, ils ont du mal à découvrir des artistes canadiens. Cela me préoccupe. Je sais que c'est une préoccupation pour nos artistes canadiens et pour tout le secteur culturel. Nos artistes sont les voix des Canadiens. Je ne pense pas que le public en ligne devrait uniquement être exposé à la culture américaine.
Vous avez écrit: « Tel qu'il a été rédigé à l'origine, le projet de loi laissait entrevoir la possibilité que certaines plateformes, comme YouTube, puissent se soustraire à leurs obligations de faire des contributions appropriées. Cette lacune est désormais corrigée, et nous nous en réjouissons. »
Pourriez-vous nous expliquer cela plus en détail? Cela concerne l'article 4.1 proposé, et cet équilibre entre le soutien à nos artistes et la protection de notre propre liberté d'expression.
Exactement, et je pense que la suppression de l'article 4.1 proposé indique clairement que les médias sociaux sont visés par le projet de loi C-10, ce qui n'était peut-être pas clair auparavant.
Comme je l'ai dit, étant donné que le contenu généré par les utilisateurs, qui est toujours visé par l'article 2.1, n'est pas réglementé, je crois qu'il n'y a pas de menace à la liberté d'expression et que les utilisateurs continueront d'être libres, une fois que le projet de loi C-10 sera adopté, de mettre le contenu qu'ils veulent en ligne ou sur les plateformes de médias sociaux comme ils le font aujourd'hui.
Je vais peut-être céder la parole à M. Cash. Je sais qu'il ne me reste qu'une minute, mais je tiens à vous remercier. Je suis membre de la Canadian Independent Music Association ou CIMA depuis de nombreuses années, alors je vous remercie de défendre les intérêts de tous les artistes. Vous avez dit que 80 % des personnes qui travaillent dans le secteur de la musique sont des travailleurs autonomes. J'ai été l'un d'eux toute ma vie.
Pouvez-vous expliquer à tout le monde la baisse de revenu qu'a entraîné le passage au numérique? Même les ventes de CD [Difficultés techniques] en direct, couvraient les artistes — ou les diffusions à la radio traditionnelle. Pouvez-vous expliquer à tout le monde le montant des recettes perdues? J'ai parlé à des artistes qui, je le sais, gagnent environ un quart de cent grâce à la diffusion en continu, et nous avons discuté des pertes de revenu.
Eh bien, on a beaucoup parlé du fait que les services de diffusion en continu paient très peu pour le contenu qu'ils utilisent. Cela s'explique en partie par le fait que le marché a été dévalué, à cause de l'existence d'un géant qui n'a pas besoin de négocier avec qui que ce soit. Vous allez accorder une licence à YouTube parce que vous voulez faire quelque chose, mais cela touche Spotify et cela touche Apple Music, c'est une première chose.
Il y a aussi un autre aspect. La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ou SOCAN vient de publier des statistiques. Dans le monde numérique, 90 % des redevances qu'elle perçoit au Canada vont à des auteurs-compositeurs étrangers et seulement 10 % restent au Canada. En revanche, dans les médias conventionnels, plus de 30 % des redevances perçues au Canada restent au Canada. C'est un autre aspect clé de ce sujet.
Je vais donner la parole à M. Geist. Vous venez d'entendre que Mme Yale appuie les 97 recommandations, y compris celle qui, selon moi, sème la discorde, selon laquelle on recommanderait aux membres du CRTC de vivre dans la région de la capitale nationale, ce que je trouve problématique.
Pour aller plus loin, The Social Dilemma est un documentaire que beaucoup de gens ont vu, y compris ma petite-fille. Elle est très perspicace — bien sûr, tous nos petits-enfants sont intelligents — et nous avons discuté de ce projet de loi. Elle connaît très bien la technologie. Elle comprend comment les algorithmes fonctionnent et comment ils l'orientent à partir de son historique d'écoute et de ce qu'elle fait. Ce à quoi elle s'oppose, c'est à la participation du gouvernement dans ce domaine; elle s'y oppose fermement. C'est une jeune fille très maligne qui s'oppose à ce que le gouvernement joue ce rôle. Elle comprend le secteur privé, ses algorithmes et leur incidence sur elle.
Monsieur Geist, vous avez parlé d'argent. Des députés nous ont dit qu'il y avait urgence. Vous avez aussi expliqué comment nous pouvons obtenir des fonds. Je pense que c'est la question brûlante. Comment pouvons-nous trouver de l'argent?
Voudriez-vous dire quelques mots sur la question de l'argent et sur ce que d'autres personnes ont dit au sujet du modèle australien? Comment y parvenir? Comment l'Australie s'y prend-elle?
Je signale les problèmes de presse sur lesquels l'Australie a avancé, mais pour répondre précisément à votre question sur les algorithmes, qui est importante à mon avis, je dirai qu'il ne fait aucun doute qu'il y a des difficultés. Quiconque a vu des films qui traitent des médias sociaux s'inquiète, à juste titre, de certains de ces algorithmes.
Toutefois, ce projet de loi ne traite pas de cette question. En fait, il remplace, d'une certaine façon, les choix du gouvernement par les choix des entreprises. Nous avons plutôt besoin d'une plus grande transparence algorithmique sur cette question.
L'idée que la découvrabilité est l'un des problèmes que nous devons résoudre n'est pas nouvelle... Vous savez, nous l'avons entendu à plusieurs reprises. Je dois dire deux choses.
Tout d'abord, Mme Yale a parlé, comme nous l'avons entendu, avec beaucoup de gens d'un bout à l'autre du pays. Ils n'ont absolument pas été en mesure de prouver qu'il y a un problème de découvrabilité du contenu créé par les utilisateurs. Aucune étude n'a révélé que c'était un problème. Je me demande parfois si les gens utilisent ces services. Si vous voulez trouver du contenu canadien sur Netflix, tapez « Canada » ou « Canadien ». Si vous pensez qu'il n'y a pas de listes de diffusion canadiennes sur Spotify, vous n'avez peut-être pas utilisé Spotify, avec tout le respect que je vous dois. Il y a de nombreux choix pour ce genre de contenu.
Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire mieux. Cependant, il est imprudent de penser que nous devons prendre tout le contenu créé par les utilisateurs, trouver un mécanisme pour le classer dans la catégorie canadienne, puis demander au gouvernement de faire des choix quant à ce qui est priorisé ou ne l'est pas. C'est précisément la raison pour laquelle personne d'autre sur la planète ne le fait.
Vous dites « personne d'autre sur la planète », vous l'avez répété à plusieurs reprises et d'autres nous l'ont déjà dit. Avez-vous entendu quelqu'un d'autre en parler ou réagir à l'idée de ce que le Canada essaie de faire?
Je pense que ce que nous faisons comporte des risques importants. Ce que ce projet de loi fera, lorsque les services étrangers examineront le Canada... De toute évidence, certaines grosses sociétés qui sont déjà implantées ici n'iront nulle part, mais d'autres entreprises de services à l'étranger pourraient examiner certains de ces règlements et les coûts qui s'y rapportent et décider de bloquer l'accès des utilisateurs canadiens au marché.
Pensez à un service comme Molotov, un service en langue française qui dessert toute une série de pays d'Afrique francophone. Il n'est pas disponible au Canada à l'heure actuelle. L'entreprise qui propose ce service va-t-elle venir au Canada si elle est assujettie à ce genre de réglementation? Il en va de même pour les services basés en Inde et en Corée. Cela va frapper très durement nos communautés multiculturelles, car des entreprises proposant des services qui, autrement, pourraient être disponibles au Canada, examineront les coûts, examineront ce qui a d'ores et déjà été présenté comme des obligations claires auxquelles elles devront faire face en vertu de ces règles, et diront qu'elles renoncent tout simplement à opérer sur le marché canadien.
Vous parlez d'une simple taxe pour soutenir nos industries culturelles, et vous aimeriez que cela se fasse. Serions-nous en mesure de rapidement mettre en place un tel mécanisme?
Le gouvernement l'a déjà annoncé. Il a dit qu'il allait mettre en œuvre une taxe sur les services numériques à compter de l'an prochain. Il y a des préoccupations quant à la possibilité d'aller de l'avant sans consensus international, mais le gouvernement a clairement indiqué qu'il voulait aller de l'avant.
Il a parlé des revenus que cela va générer. Il me semble qu'il n'y a rien qui empêche le gouvernement de dire qu'il va prendre une partie de ces recettes et les verser dans les fonds dont nous parlons en ce moment pour appuyer les créateurs et s'assurer qu'il y a de l'argent maintenant. Ce n'est pas le cas de l'approche envisagée dans le projet de loi C-10 qui prendra, comme je l'ai dit, des années à régler par l'entremise des tribunaux et du CRTC.
Merci, monsieur le président. Ce fut un plaisir d'écouter les témoins aujourd'hui et de participer à un débat animé.
Je tiens également à dire que certaines personnes ont été présentées comme des champions de la liberté d'expression. Je crois que tous les témoins sont des champions de la liberté d'expression, tout comme les artistes canadiens et tous les membres du Comité. Nous sommes tous attachés à la liberté d'expression.
Je tiens à souligner que lors de la réunion que nous avons eue avec les fonctionnaires du ministère de la Justice et le ministre Guilbeault la semaine dernière, j'étais le seul député à demander s'il y avait ou non un lien entre l'article 1 et l'alinéa 2b) de la Charte en ce qui concerne la découvrabilité. C'est l'une des questions soulevées aujourd'hui par M. Geist.
J'aimerais passer en revue avec Me Yale — Je vais l'appeler ainsi parce que je viens du Québec — quelques-unes de mes interrogations.
Partons du principe que nous sommes tous d'accord pour dire que les utilisateurs ne sont pas régis par le nouvel article 2.1 proposé. Les utilisateurs eux-mêmes ne sont pas régis. Si le contenu d'un utilisateur est régi, il l'est uniquement par le biais des entreprises en ligne, qui le seraient à leur tour, dans une moindre mesure et dans des conditions très précises, à condition que l'amendement de Mme Dabrusin soit adopté par le Comité.
Ces conditions précises seraient, premièrement, que les entreprises devraient déclarer leurs revenus au Canada. Je ne vois pas en quoi cela serait lié à la liberté d'expression. Deuxièmement, elles seraient tenues de contribuer à la culture canadienne. Là non plus il n'est pas question de liberté d'expression. Le seul enjeu en matière de liberté d'expression, à mon avis, pourrait être lié à un troisième facteur, soit la découvrabilité, qui est la seule autre chose qui pourrait être réglementée si l'amendement de Mme Dabrusin est adopté.
Maître Yale, est-il vrai, selon vous, que les entreprises en ligne comme les médias sociaux — et je vais prendre Facebook comme exemple — peuvent en fait censurer le contenu des messages des utilisateurs en fonction de leurs propres règles et règlements?
Je pense qu'il faut faire attention à ce que nous voulons dire quand nous parlons des grandes plateformes de médias sociaux et de leur capacité à intervenir dans le contenu. Aujourd'hui, si elles considèrent qu'un contenu est illégal, elles exercent une surveillance. Cela relève un peu de la fiction de laisser entendre que le contenu en ligne n'est pas réglementé. Ces entreprises s'autoréglementent parce qu'il n'existe pas de règles. Elles sont donc assez vigilantes...
Ce n'est pas ce que je disais, je soutenais plutôt le contraire. Je disais qu'au-delà du contenu illégal, les fournisseurs de médias sociaux ont souvent tendance à dire que certains contenus racistes ne peuvent pas être affichés, même si ce ne sont pas des propos illégaux et haineux. Leurs règles vont au-delà de la simple légalité. Est-ce exact?
Tout à fait. Cela peut faire l'objet d'une autre discussion quant à savoir si ces plateformes réglementent, de leur propre initiative, ce que j'appelle le contenu légal, mais abominable ou, comme on dit en anglais, « lawful but awful ». Chaque plateforme a ses propres règles et règlements. Certaines suppriment ce contenu pour diverses raisons et ne le rendent pas disponible. Cela se fait déjà, c'est certain.
C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai fait valoir qu'il est faux de prétendre que ces algorithmes sont inoffensifs. Chaque plateforme a ses propres règles et prend ses propres décisions concernant ce qu'elle surveille, ce qu'elle supprime, ce qu'elle promeut et ce qu'elle vous propose. Je n'accepte pas l'argument voulant que la liberté de choix du consommateur existe. C'est l'intérêt commercial des plateformes qui dicte, dans une grande mesure, ce que vous voyez. Je suis donc tout à fait d'accord avec vous. Je pense qu'il est préférable de nous assurer que certains de ces choix soient canadiens.
Je comprends. Pour aller plus loin, je suis d'accord avec vous, mais pour ce qui est des algorithmes, certaines plateformes déclarent publiquement que leurs algorithmes serviront leurs propres intérêts privés. Ils dirigeront les internautes vers différents types de contenu. Les gens ne vont pas seulement aller vers le contenu qu'ils préfèrent. En fait, Facebook s'est vantée que, si vous faites une recherche sur le déni de l'Holocauste, elle utilisera ses algorithmes pour vous rediriger sur le site Yad Vashem. Elle prend la décision que vous devez maintenant connaître la vérité sur l'Holocauste, et non les mensonges sur lesquels vous risquez de tomber sur sa plateforme.
Ses algorithmes ne sont pas assujettis à la Charte, parce que l'entreprise n'est pas un gouvernement. Est-ce exact, madame Yale? Est-ce que ses algorithmes peuvent faire tout ce que l'entreprise veut qu'ils fassent?
Dans l'éventualité où le CRTC aurait un pouvoir restreint d'ordonner aux plateformes de favoriser la découvrabilité de créateurs canadiens, il n'aurait pas la capacité de retirer les créateurs canadiens de la plateforme en vertu de cet amendement. Il n'aurait pas la capacité de dicter aux créateurs canadiens ce qu'ils doivent créer. Il pourrait trouver une façon d'aider les internautes à trouver des créateurs canadiens quand ils font une recherche. Ce serait... Si jamais le CRTC adoptait ce genre de lignes directrices, les entreprises devraient se conformer à la Charte. Est-ce exact, madame Yale?
Monsieur Geist, je comprends bien que vous ne souhaitez pas que nous réglementions les plateformes pour leur imposer des obligations quant au contenu qu'elles doivent nous présenter. Je pense que votre vision fait abstraction de la réalité que nous vivons au Québec, soit l'obligation de veiller à la protection de la culture francophone, qui est non seulement celle des Québécois, mais aussi celle des francophones à l'extérieur du Québec. J'aimerais que vous en parliez brièvement.
Pensez-vous que nous pouvons parvenir à protéger à la fois la culture québécoise et francophone et le contenu canadien, qui mérite d'être mis en valeur et d'être facilement découvrable lorsqu'on navigue sur les plateformes?
Tantôt, vous disiez qu'il était facile de trouver du contenu canadien. Oui, c'est peut-être facile de trouver un certain contenu canadien, mais il n'est pas nécessairement mis en valeur. C'est ce que nous cherchons à faire, au même titre que doivent le faire les entreprises de radiodiffusion canadiennes.
Êtes-vous alors complètement opposé à l'idée que nous puissions imposer ces obligations aux plateformes en ligne?
Bien sûr, je peux faire deux ou trois commentaires.
Premièrement, s'agissant de certains... Nous devons faire une distinction entre les services de diffusion en continu et le contenu généré par les utilisateurs.
Quand nous parlons de contenu généré par les utilisateurs, je pense honnêtement que la réponse est non. Dans un monde où règne ce genre de contenu, je ne crois pas que nous devrions demander au CRTC d'intervenir dans ces choix par le biais de la découvrabilité. Pour répondre brièvement aux commentaires de M. Housefather, accorder la priorité à certains contenus, c'est la retirer à d'autres. Dans cet exemple de Facebook, il y avait une raison pour empêcher qu'un autre contenu soit vu. Cela s'appliquerait également aux choix du CRTC pour bloquer certains contenus.
Pour les services de diffusion en continu, c'est différent. Ce n'est pas vraiment ce dont nous parlons ici. Je ne pense pas qu'on y trouve ce genre de contenu. Netflix, par exemple, diffuse le film Jusqu'au déclin, que l'entreprise a financé, et qui n'est même pas considéré comme un contenu canadien. Cela fait partie du problème inhérent au système.
Je pense qu'il est possible de faire certaines choses, mais lorsque nous nous concentrons, comme nous l'avons fait, sur des enjeux comme la neutralité et la liberté d'expression, nous finissons par nous éloigner des objectifs que vous venez d'intégrer à ce projet de loi, en cherchant maintenant à réglementer la liberté d'expression des utilisateurs. Vous pouvez dire que cela se fait par le biais d'une plateforme et vous pouvez dire que c'est indirect, mais en fin de compte, c'est le cas.
Pour être clair, pour revenir au début de votre question, je répète que je ne suis pas contre la réglementation des plateformes technologiques. Ces enjeux, surtout ceux que nous avons évoqués au sujet des algorithmes, démontrent la nécessité de faire preuve de plus de transparence afin que nous sachions comment ces choix sont faits, notamment en ce qui a trait à la réglementation de ces plateformes. Nous avons besoin de mieux protéger les données recueillies par ces plateformes. C'est aussi une forme de réglementation des plateformes. Le Bureau de la concurrence doit s'attaquer plus efficacement aux effets anticoncurrentiels. C'est aussi une forme de réglementation.
C'est un mythe de prétendre que ce projet de loi porte sur la pertinence de réglementer ou non les plateformes technologiques. Au bout du compte, avec ces changements, il porte plutôt sur la pertinence de réglementer la liberté d'expression des utilisateurs.
Mesdames et messieurs, nous allons dépasser un peu le temps prévu. Nous avons le temps de terminer cette discussion. C'est maintenant au tour de Mme McPherson, puis de M. Waugh et de Mme Dabrusin, après quoi nous devrons lever la séance parce que ce sera officiellement la fin du troisième tour.
Cette discussion est fascinante, et je remercie tous les experts de nous faire part de leurs points de vue. Je sais que vous avez des divergences d'opinions, mais comme je l'ai déjà dit, notre objectif est de produire une bonne loi pour les Canadiens.
Je voudrais revenir sur une question posée par M. Champoux.
Monsieur Geist, êtes-vous d'accord avec l'idée de soutenir le contenu canadien? Croyez-vous au contenu canadien?
Oui, bien sûr que j'y crois. Je pense qu'une partie du problème que nous avons, c'est que nos règles, dans leur structure actuelle, sont vraiment inefficaces pour nous assurer de la présence d'un contenu canadien. Il y a un problème quand nous voyons des productions inspirées d'un roman de Margaret Atwood ou de Yann Martel et que, même s'il s'agit d'auteurs canadiens, ces productions ne sont pas considérées comme un contenu canadien. Il y a un problème quand des coproductions cinématographiques qui n'ont absolument aucun lien avec le Canada sont traitées comme un contenu canadien. Je souhaite que le gouvernement examine la question de plus près et précise ce qu'il entend par raconter des histoires canadiennes et soutenir un contenu authentiquement canadien.
C'est donc la définition qui pose problème, mais vous êtes d'accord avec l'idée qu'il faut produire du contenu canadien, le rendre plus disponible, le promouvoir et s'assurer que nos histoires sont racontées ou quoi encore.
Lorsque ces géants du Web ne paient pas leur juste part d'impôt, c'est comme si le gouvernement leur faisait un cadeau aux frais du secteur culturel, aux frais de nos entreprises culturelles et de notre souveraineté culturelle.
Comment pouvons-nous régler ce problème et cesser de faire ce cadeau aux géants du Web afin de l'offrir plutôt à nos entreprises du secteur culturel?
L'impôt est la solution. Le moyen évident de nous assurer que ces entreprises contribuent à l'économie canadienne, si elles sont aussi prospères que nous l'avons constaté, c'est d'exiger qu'elles paient un impôt conséquent et d'utiliser ces recettes fiscales à notre guise. C'est évident.
En réalité, certaines de ces entreprises investissent beaucoup dans notre pays. L'ancienne ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, est intervenue et a obtenu un engagement de 500 millions de dollars sur cinq ans pour s'assurer que ces entreprises investissaient dans la production au Canada. On ne peut pas dire qu'elles ne produisent rien. Le film Jusqu'au déclin est un bon exemple, ainsi que Trailer Park Boys ou d'autres productions de Netflix. Il existe de nombreux exemples.
Il n'est pas exact de dire que ces entreprises ne contribuent pas ou qu'elles ne produisent pas au Canada. Il est clair qu'elles contribuent, mais il est pertinent de se demander si elles paient leur juste part d'impôt. Des études donnent à penser qu'en raison de la structure du système, ce n'est pas le cas et nous devons corriger cela. Avec ces recettes fiscales, nous pourrons faire tout cela, sans démanteler la Loi sur la radiodiffusion de cette manière et sans enfreindre directement la libre expression des utilisateurs.
Pas du tout. Je souhaite que nous modernisions notre Loi sur la radiodiffusion pour qu'elle soit tournée vers l'avenir, au lieu de chercher une fausse équivalence et de dire que la seule façon de faire est de regarder en arrière et de traiter les entreprises Internet comme des radiodiffuseurs conventionnels. C'est justement ce que vous cherchez à faire et vous n'arrêtez pas de nous buter à une myriade de problèmes quand vous utilisez l'approche réglementaire comme vous le faites.
Modifions la Loi sur la radiodiffusion correctement, pour maintenant et pour l'avenir, et, parallèlement, assurons-nous que les recettes fiscales seront au rendez-vous.
D'accord. Je vais partager mon temps de parole avec M. Aitchison.
À mon avis, l'éléphant dans la pièce est le CRTC et le manque de confiance des Canadiens à son endroit. Nous sommes plusieurs anciens diffuseurs à participer à cette discussion sur Zoom en ce moment, mais la confiance dans le CRTC est faible ou inexistante. Quand nous voyons un ancien président, un ancien vice-président ou d'autres intervenants commenter ce projet de loi, c'est comme s'ils agitaient le drapeau blanc qui nous préoccupe tous et que nous devons absolument aborder dans le cadre de notre étude de ce projet de loi.
Monsieur Geist, j'aimerais connaître votre avis à ce sujet, parce qu'à l'époque où j'étais radiodiffuseurs, nous avions très peu confiance dans le CRTC.
Bien, je pense que la frustration à l'égard du CRTC existe depuis de nombreuses années. Je dois admettre que je trouve presque étonnant que des gens disent maintenant que nous pouvons penser que le CRTC pourra trouver des solutions à presque tous ces problèmes.
Très honnêtement, je pense que bon nombre des députés de tous les partis reconnaîtront que ce projet de loi manque terriblement de détails. Il était censé s'inscrire dans une instruction. Celle-ci ne contenait pas beaucoup de détails non plus. Le CRTC s'est retrouvé à devoir régler les problèmes les uns après les autres.
Le président du CRTC a reconnu devant vous que le Conseil n'a pas forcément une grande expertise sur ces questions actuellement, et quiconque a déjà suivi les travaux du CRTC vous dira que les problèmes liés aux télécommunications traînent depuis des années. Ce sont des processus très lents.
Par exemple, quand M. Cash parle de l'urgence de corriger certains de ces problèmes, cela me frappe parce que l'urgence est totalement incompatible avec cette stratégie législative. Il faudra attendre des années avant que l'argent soit déployé sur le terrain. Nous traitons ces questions par le biais d'un conseil contre lequel des groupes de tout le pays se sont battus, ayant parfois l'impression qu'ils avaient été exclus du processus ou que les décisions n'étaient pas justes ou qu'elles avaient été rendues trop tard. Voilà pourquoi il y a un manque de confiance.
J'ai l'impression que nous essayons de réinventer la roue, en quelque sorte. Je me demande si nous avons étudié ce qui se fait dans d'autres pays. Je pense en particulier à l'Australie, qui a imposé un seuil de revenu et un nombre d'abonnés avant de réglementer les entreprises. Que pensez-vous ce cela? Pourquoi n'appliquons-nous pas un modèle semblable à celui de l'Australie, au lieu de demander au CRTC, et M. Geist vient justement d'en parler, de proposer une réglementation et de ratisser très large? Cette approche me semble mal ficelée, voire dangereuse. Pourquoi ne pas suivre l'exemple de l'Australie?
Premièrement, c'est une réglementation tournée vers l'avenir et non vers le passé. Si vous regardez comment les services de diffusion en continu et les plateformes de partage seraient assujettis à la Loi, vous verrez qu'il ne s'agit pas d'un modèle de licence, mais bien un modèle d'enregistrement, ce qui déjà beaucoup moins onéreux. Ce modèle évite toute ingérence dans les modèles d'affaires ou dans le genre de contenu que vous produisez et la manière dont vous l'offrez. Il s'agit d'un mécanisme très simple.
Désolé, c'est mon temps de parole et j'ai l'impression que vous donnez suite à ce que disait M. Geist. Je vous demande précisément... Désolé, je ne voulais pas...
J'allais dire que l'enjeu fondamental avec lequel l'organisme de réglementation doit toujours composer, c'est de savoir si oui ou non le service en question va contribuer à l'atteinte des objectifs de la politique canadienne en matière de radiodiffusion. Notre rapport prévoit la création de seuils d'exemption, et c'est ce que fait le CRTC.
Au bout du compte, que vous les insériez ou non dans la Loi ou dans la réglementation, vous êtes absolument certains qu'il y aura des seuils en-deçà desquels ces règles ne s'appliqueront pas — des seuils relatifs aux revenus et au nombre d'abonnés. Il incombe au CRTC de faire ce travail, à mon avis, et nous l'avons certes mentionné dans notre rapport, parce qu'avec le temps, ces seuils devraient évidemment être modifiés.
À mon avis, il n'y a aucun problème à confier ce travail à l'organisme de réglementation et à se concentrer sur les gros joueurs. D'autres pays, comme vous l'avez dit, ont établi un seuil raisonnable en-deçà duquel le règlement ne s'appliquerait pas.
Je suis contente que nous ayons abordé brièvement l'article 2.1 et la suppression de l'article 4.1 du projet de loi, mais aussi l'amendement que j'ai proposé, le G-11.1, qui restreint vraiment les pouvoirs que le CRTC aurait quant aux obligations faites aux entreprises de médias sociaux de déclarer leurs revenus générés au Canada et d'en investir une partie dans le Fonds canadien d'investissement culturel. L'autre partie précise que la disposition sur la découvrabilité devrait être différente de celle qui s'applique à la radio et à la télévision. Elle porterait seulement sur la découvrabilité de créateurs canadiens d'émissions et ne prévoit pas un système comme celui qui s'applique aux radiodiffuseurs conventionnels.
Compte tenu de la portée très limitée qui est proposée quant à son application aux plateformes de médias sociaux et l'exclusion complète des particuliers qui publient du contenu de cette application, croyez-vous que le projet de loi devrait être adopté?
Certainement. Je pense qu'il y a urgence de le faire. Comme l'ont souligné certains membres du Comité, ces plateformes de diffusion en continu et de partage profitent de l'énorme valeur qu'elles génèrent au Canada en divertissant leurs auditoires et en récoltant les recettes générées par la publicité et les abonnements. En termes simples, comme vous l'avez expliqué, elles seraient tenues de faire une contribution et de s'assurer que les produits canadiens sont visibles dans les choix offerts aux clients. Je pense que c'est une excellente chose et un grand pas dans la bonne direction.
À mon avis, tel qu'amendé, le projet de loi apporte des garanties supplémentaires et ferme très bien les portes. Autrement dit, il réduit à néant la probabilité que le CRTC, à un moment ou à un autre, prenne des décisions qui pourraient, de quelque manière que ce soit, mettre en cause la liberté des utilisateurs d'Internet.
Il ne me reste que deux minutes, mais j'aimerais revenir à vous, madame Yale. Nous avez participé à ce processus dès le début, avec votre rapport et toutes les consultations que vous avez menées. Avez-vous un dernier commentaire à faire pour clore la discussion d'aujoud'hui?
Je dirais que ce qui nous a vraiment frappés, c'est le sentiment d'urgence exprimé par la communauté des créateurs canadiens.
Il est vrai qu'une partie de ces plateformes et de ces services de diffusion en continu dépensent de l'argent au Canada sur des productions de services, mais le véritable critère, du point de vue de la politique culturelle, c'est de savoir s'ils investissent dans des productions où les postes de création sont confiés à des Canadiens. C'est ce qui nous permettra d'avoir un secteur culturel dynamique au Canada et, du point de vue de la politique culturelle, nous y croyons fermement. Ce que nous ont dit les gens d'un bout à l'autre du Canada, c'est que nous devons assujettir à la Loi ces services en ligne et nous assurer qu'ils contribuent équitablement à la politique culturelle canadienne. C'est ce que nous avons entendu haut et fort partout où nous sommes allés.
Je vous remercie, chers collègues. C'est ainsi que prend fin cette discussion.
J'ai une question importante à poser en terminant, mais avant de le faire, je tiens à remercier chaleureusement nos invités d'aujourd'hui. Nous avons constitué ce groupe d'experts, et je suis d'accord avec tous mes collègues pour dire que nous avons eu une discussion très intéressante.
Par ailleurs, je tiens à remercier M. Cash, Mme Yale, M. Trudel et M. Geist de leur présence. Un grand merci à vous quatre.
Nous avons fait un excellent travail aujourd'hui. C'est vraiment impressionnant.
Sauf erreur de ma part, nous nous sommes conformés à la motion, comme nous le souhaitions. Nous avons une demande du ministère de la Justice concernant sa mise à jour de l'énoncé relatif à la Charte.
Nous avons entendu M. Guilbeault et nous l'accueillerons à nouveau demain. Nous entendrons également le ministre Lametti demain. Comme ils passeront deux heures avec nous, je propose donc deux choses. Nous pouvons commencer par l'examen article par article, et ensuite consacrer l'heure suivante aux ministres, ou nous pouvons continuer l'examen mercredi à la même heure. Nous pouvons le faire demain et aussi mercredi. Nous commencerons l'étude article par article par l'amendement G-11.1, celui que Mme Dabrusin a mentionné il y a un instant.
Si le Comité est d'accord, j'aimerais faire une proposition.
Comme vous l'avez mentionné, nous allons recevoir demain le ministre de la Justice. Sa comparution est en lien avec un gazouillis qu'il a publié en fin de semaine, si je ne m'abuse.
Voici ce que je propose. Après la comparution d'une heure du ministre, on devrait ajourner le Comité ou régler des éléments techniques entre nous. Nous reprendrions notre étude mercredi.
Cela permettrait à tout le monde de retourner voir leur organisation et d'analyser tout ce qui a été dit par les témoins lors des réunions de vendredi dernier et d'aujourd'hui. Il y a beaucoup de contenu. Comme vous l'avez dit, tous les experts qui ont témoigné aujourd'hui nous ont transmis beaucoup d'information. Bien que certains veuillent nous laisser croire qu'il y a qu'une seule vision dans ce dossier, il y en a plusieurs, et elles ont été très bien représentées. Je pense que tout le monde a fait du bon travail aujourd'hui, je tiens à le souligner.
Je propose que, demain, après la comparution du ministre, nous fassions une pause pour le reste de la rencontre et que nous reprenions notre étude mercredi, à la même heure. Cela laisserait à chaque personne le temps de faire le tour des sujets que nous avons abordés. Ce que le ministre dira demain aura des répercussions sur notre vision relativement aux amendements.
Je pense donc que ce serait sage d'écouter le témoignage du ministre et de travailler chacun de son côté pour le reste de la journée.
Comme personne ne semble vouloir intervenir, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire et dire que je serais d'accord. Que pensez-vous d'accueillir les deux ministres demain? Nous leur consacrerons peut-être un peu plus d'une heure, qui sait, mais nous le ferons. À ce moment-là, nous pourrons lever la séance et le lendemain, mercredi, nous reprendrons l'examen article par article, en commençant par l'amendement G-11.1.
Monsieur le président, j'aimerais que vous réfléchissiez à ce qui suit. Puisque nous n'utiliserons pas la deuxième heure de la réunion pour poursuivre nos travaux, je vous demande de réfléchir au schéma des tours de parole, afin que nous ne soyons pas limités à une heure.
Si vous nous dites que nous allons avoir le temps de faire deux ou trois tours, il ne faudrait pas qu'il y ait de réelles contraintes de temps. Nous pourrons alors empiéter sur la deuxième heure, qui est déjà prévue à l'horaire.
Je vais vous dire une chose. Habituellement, j'essaie d'abord de faire une première ronde de six minutes par intervenant et ensuite une deuxième ronde de questions. J'essaie de faire un premier tour de quatre questions et un deuxième tour de quatre questions également. D'accord? C'est ce que j'essaie de faire.
Je suppose que le ministre va rester avec nous à ce moment-là. Si nous dépassons le temps prévu, ce ne sera que de 5 ou 10 minutes, mais j'essaierai d'avoir deux tours de quatre questions chacun, de la part des quatre partis reconnus.
Y a-t-il des commentaires à ce sujet?
Comme nos invités sont toujours avec nous, je tiens à les remercier à nouveau pour cette discussion fort intéressante. Elle s'est très bien déroulée.
C'est tout pour aujourd'hui. Je vous remercie. Nous nous reverrons demain à 14 h 30, heure de l'Est.