:
Bonjour et bienvenue à tous à la sixième séance du Comité spécial sur la réforme électorale.
[Français]
Nous accueillons aujourd'hui trois experts en la matière. Tout d'abord, il y a le professeur R. Kenneth Carty, de l'Université de la Colombie-Britannique. Ensuite, il y a le professeur Brian Tanguay, de l'Université Wilfrid Laurier.
[Traduction]
Nous accueillons aussi Nelson Wiseman, directeur du Programme des études canadiennes et professeur au département de science politique à l'Université de Toronto.
Je crois que nous arrivons à un stade très intéressant de ces auditions, nous avons entendu la et nous avons entendu le directeur général des élections ainsi que son prédécesseur, mais désormais nous commençons à examiner, selon divers points de vue universitaires, les systèmes électoraux, en les comparant et en comparant les expériences de divers pays.
Nous nous réjouissons de vous entendre tous aujourd'hui afin que vous puissiez nous communiquer les fruits de vos recherches sur ces questions importantes pour nous permettre d'avoir un certain recul pour nos auditions suivantes et lorsque nous voyagerons à travers le pays.
[Français]
Sans plus tarder, je donne la parole à M. Carty.
[Traduction]
Vous avez la parole pendant 10 minutes.
:
Je remercie le président et les membres du Comité de nous avoir invités à témoigner aujourd'hui.
Bien que mon travail universitaire ait été en grande partie centré sur les questions que l'on vous a chargé d'étudier, je crois qu'il est également juste de dire que j'ai passé une bonne partie de ces 30 dernières années à examiner les applications concrètes de ces questions. J'ai été membre de la commission de délimitation des circonscriptions électorales et de la commission Fisher en Colombie-Britannique. J'ai fait partie de la commission Lortie, la Commission royale sur la réforme électorale, il y a plus de 20 ans. J'ai travaillé pour l'ombudsman de la SRC et pour l'ombudsman de la Colombie-Britannique sur des questions électorales et sur les émissions électorales, et j'ai été consultant auprès du directeur général des élections du Canada. J'ai siégé à la commission fédérale de délimitation des circonscriptions électorales de la Colombie-Britannique après avoir été nommé par le Président de la Chambre des communes. J'ai été directeur de recherches pour l'Assemblée des citoyens de Colombie-Britannique sur la réforme électorale, et par la suite, j'ai été consultant principal d’assemblées de citoyens aux Pays-Bas, au Nouveau-Brunswick et en Ontario, ainsi que dans le cadre de la Convention constitutionnelle de l’Irlande.
J'ai examiné beaucoup de ces questions en détail au cours de ces années, dans différents endroits. En partant de cette expérience, je voudrais simplement faire six observations simples et d'ordre général, ensuite je serais ravi de répondre à vos questions.
Ma première observation est une évidence, je suppose: il n'existe pas de système électoral parfait ni même de meilleur système électoral. C'est pourquoi il n'y a pas deux pays dans le monde démocratique qui utilisent exactement le même système pour élire leurs parlements. Chaque pays doit trouver une combinaison unique de composantes parmi toutes les composantes existantes pour créer un système électoral qui convient à leur histoire, leur géographie, leur ordre social et leur vie politique.
Ce qui est intéressant c'est que nous avons vu cela très fortement il y a une dizaine d'années lorsque cinq provinces ont engagé une réforme électorale dans notre pays. À la fin de ces réformes, les cinq provinces ont produit des recommandations très différentes pour des types de systèmes électoraux différents, à mon avis parce qu'ils ont admis que ce qui conviendrait au Nouveau-Brunswick n'était pas ce que voulaient les habitants de Colombie-Britannique, et ainsi de suite. En fin de compte, bien sûr, malgré les débats initiés par les gouvernements en fonction dans ces cinq cas, aucun de ces cinq systèmes différents n'a été adopté. Dans trois cas, c'est parce que les électeurs de la province ont rejeté le système, et dans le quatrième c'est parce que le gouvernement a été battu. Il n'y a donc pas de système électoral parfait, ni de meilleur système électoral, ni de choix facile.
Deuxièmement, je crois que l'on peut dire que notre expérience ne peut pas nous permettre de savoir de quelle façon une modification du système électoral va se concrétiser dans la pratique. La raison en est que lorsque les règles sont nouvelles, les partis politiques, les candidats et les électeurs auront des incitations claires à se comporter différemment de ce qu'ils faisaient sous l'ancien système. Les règles qui modifient le système de scrutin affecteront directement l'ensemble du système, y compris la manière dont les candidats sont choisis, qui les choisit, l'organisation et le financement des campagnes et la manière dont l'argent est dépensé et collecté lors des campagnes, la structure et la dynamique interne des partis politiques, le nombre et le caractère des partis politiques élus à la Chambre des communes et bien entendu les mécanismes de prise de décision par lesquels passent les électeurs lorsqu'ils font leur choix.
Pour prendre un exemple, lors de la dernière élection, nous avons assisté à bon nombre de votes stratégiques. Sous un système électoral différent, il pourrait n'y en avoir aucun, parce qu'il n'y aurait pas les mêmes incitations pour les électeurs, ce ne seraient pas les mêmes types de candidats qui seraient désignés et leurs campagnes seraient conduites différemment.
Troisièmement, je voudrais souligner que lorsqu'un système électoral différent produit un système de partis différent et un parlement différent, cela va donner lieu à un autre schéma de gouvernement. C'est assez clair, mais nous ne pouvons pas honnêtement dire comment cela fonctionnera en fin de compte après que de nouveaux schémas d'électeurs, de candidats, de parlementaires et de partis politiques auront évolué et changé au fil du temps.
Je crois qu'il est juste de prédire que dans la plupart des autres systèmes électoraux, les gouvernements de majorité tels que ceux auxquels les Canadiens ont été habitués disparaissent. Nous avons si peu d'expérience des gouvernements de coalition dans ce pays que nous n'avons pas d'idée claire de la manière dont ils travailleront ensemble à court terme ou à long terme, ni à quoi ils ressembleront. Cela semble très bien fonctionner au Danemark, par exemple, où le premier ministre est désigné au sein du troisième parti du Parlement. Les partis ont trouvé le moyen de construire des relations de travail. Cela ne semble pas fonctionner aussi bien en ce moment en Belgique ou en Espagne où les parlements ont des difficultés à former un gouvernement. Il existe par ailleurs toute une gamme d'exemples intermédiaires que l'on pourrait signaler.
Nous ne savons pas à quoi ressembleront les gouvernements ni comment ils travailleront. C'est quelque chose qu'il nous faudra apprendre et il nous faudra changer tandis que les nouveaux parlementaires et les schémas électoraux évoluent.
Quatrièmement, je dirais que nous ne devons pas oublier que les réalités fédérales de notre pays finiront par gouverner les réformes possibles, voire désirables.
Si nous maintenons notre pratique constitutionnelle qui assigne des députés par province, alors nous devons reconnaître que certains systèmes qui fonctionneront bien dans de grandes provinces comme l'Ontario ne fonctionneront peut-être pas très bien dans les territoires ou dans certaines des provinces de l'Atlantique plus petites qui auraient beaucoup moins de représentants, surtout si nous voulions passer à un système de type proportionnel qui nécessite plus de députés que de circonscriptions électorales.
Il serait bien sûr possible d'avoir des systèmes différents dans différentes provinces ou dans différentes parties des provinces. Nous en avons fait l'expérience au cours de l'histoire du Canada, mais cela nuirait à notre compréhension des élections en tant qu'événements nationaux communs et il nous faudrait alors commencer à réfléchir à ce qu'est une élection nationale. Cela aboutirait aussi, bien entendu, à une Chambre des communes dont les membres auraient des responsabilités et des orientations très différentes.
Si nous sommes préoccupés par le principe selon lequel « tous les votes comptent à parts égales », il y a eu beaucoup de débats à ce sujet, alors il se pourrait bien qu'il faille commencer par le fait que nous n'avons pas dans ce pays de représentation selon la population et que nous n'en avons jamais eu. Les votes ont toujours compté davantage sur l'Île-du-Prince-Édouard qu'en Colombie-Britannique. Changer les règles de scrutin et adopter un autre système ne modifiera pas cette réalité. Cela ne nous donnera pas une égalité des votes tant que nous ne modifions pas ce système. Je sais que c'est profondément inscrit dans la constitution et que cela va certainement au-delà de ce que quiconque au sein de ce comité souhaite raisonnablement proposer, mais c'est le genre de réalité que nous devons garder à l'esprit lorsque nous pensons à l'égalité des votes, cette dimension fédérale du système.
Cinquièmement, permettez-moi de dire que les milliers de Canadiens qui ont pris part aux récents débats sur la réforme provinciale au sein d'assemblées de citoyens en Ontario et en Colombie-Britannique, au sein de la Commission sur la démocratie législative au Nouveau-Brunswick, dans le cadre des audiences des commissions parlementaires dans tout le Québec, ont exprimé très clairement ce qu'ils attendent d'un système électoral. Ils ont désigné assez nettement ce qu'ils pensent être les trois valeurs les plus estimables.
La première est la juste représentation et en cela la plupart des votants ont signifié que quelque chose de l'ordre de la représentation proportionnelle était l'une des valeurs les plus importantes.
Deuxièmement, ils ont mis en avant une représentation locale, identifiable et forte, signifiant par là un individu, un député local avec lequel ils se sentaient en relation et à qui ils pouvaient s'identifier et qui s'identifierait à eux et à leur communauté.
Troisièmement, beaucoup de Canadiens, une grande diversité de gens en Colombie-Britannique à vrai dire, ont affirmé qu'ils voulaient davantage de choix lors du scrutin. Ils voulaient un scrutin plus sophistiqué. Le mode de scrutin actuel leur permet de mettre une croix à côté d'un nom et ils ont estimé que franchement ils faisaient des choix plus complexes tous les jours au Safeway que ceux qu'ils avaient à faire devant l'urne. La plupart des autres systèmes électoraux offrent différents schémas de choix, le choix fait donc partie de leurs doléances.
Voilà quels étaient les points de vue des électeurs, mais ce sont trois aspects très différents de tout système: les règles de comptage, la base représentative et la forme du scrutin. Ces trois dimensions d'un système, peuvent être et sont combinées de très nombreuses manières dans différents systèmes. Souvent, il faut abandonner une partie de l'un des systèmes si l'on veut en adopter une partie d'un autre. Par exemple, c'est pour cette raison qu'ils reconnaissent qu'il y a toujours un compromis entre la représentation proportionnelle et la représentation locale. Si vous voulez un représentant élu unique pour votre circonscription, il est très difficile d'avoir une représentation proportionnelle parce qu'il faut passer à des circonscriptions à plusieurs députés, et ainsi de suite.
En réalité, tous les systèmes électoraux impliquent des compromis difficiles et litigieux entre ces trois aspects qui ont ensuite des conséquences sur tous les autres aspects du système électoral que j'ai mentionnés. C'est la raison pour laquelle les cinq provinces ont produit cinq systèmes différents lorsqu'elles se sont soumises à cet exercice, parce qu'elles ont combiné ces éléments de base de façons assez différentes.
Permettez-moi de conclure par une remarque d'ordre plus personnel et peut-être moins basée sur les études comparatives. En tant qu'expert des partis politiques, j'ai passé ma carrière à étudier les partis politiques dans ce pays et à l'étranger, je suis particulièrement frappé par le rôle extraordinaire qu'ils ont joué dans l'histoire canadienne. Ce pays a été façonné et constamment reconçu et réinventé par les partis politiques qui ont été les bâtisseurs de la nation. Ils sont l'une des quelques institutions communes à tous les Canadiens. Les élections générales nationales sont l'une des seules choses que les Canadiens font ensemble. Le jour des élections, nous faisons cela tous ensemble. Ce sont les partis politiques nationaux qui nous lient les uns aux autres au moment des élections. Lorsque je vote pour le candidat d'un parti politique national, j'agis de concert avec mes concitoyens de Montréal et de Saskatoon et de centaines d'autres communautés dans tout le pays. Je crois que nous risquons de perdre une bonne partie de ce qui donne un sens national aux élections, une cause commune à notre vie publique collective, si nous affaiblissons les partis politiques nationaux.
Par le passé, les deux grands partis nationaux historiques de ce pays se sont brisés et sont tombés en morceaux, puis ont été raccommodés en réponse aux puissantes incitations de notre système électoral actuel, l'exemple le plus récent étant la reconstruction du Parti conservateur après qu'il se soit disloqué en trois parties lors de l'élection générale de 1993. Je crois qu'avec un système électoral fortement proportionnel, il y a un risque majeur que nous perdions nos partis politiques nationaux. Je crois que les incitations électorales favoriseraient fortement les partis régionaux et sectoriels aux dépens des partis nationaux. Nos partis nationaux pourraient facilement se briser en morceaux de tailles et de formes variées selon le parti concerné. Dans le cadre d'une représentation proportionnelle, à l'image de Humpty Dumpty, il serait très difficile de recoller les morceaux des partis nationaux.
Si le pays était mal gouverné, s'il y avait des preuves d'un authentique malaise démocratique national, s'il y avait une crise de la représentation, cela vaudrait peut-être le coup de prendre le risque et de passer à un type radicalement différent de politique électorale, une manière différente de créer un lien entre les Canadiens en cette journée particulière lors de laquelle nous agissons de concert pour faire avancer notre vie commune en tant que communauté, mais je ne crois pas que cela soit le cas. Afin de défendre les partis politiques et notre vie politique nationale commune, mon choix personnel serait de voter contre la représentation proportionnelle.
Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous.
[Traduction]
Je suis très reconnaissant au Comité spécial sur la réforme électorale de m'avoir invité à m'exprimer lors de la séance d'aujourd'hui. Le travail qu'effectue ce comité, comme chacun ici le sait certainement, est d'une importance vitale pour le fonctionnement futur de notre régime politique démocratique et je suis honoré de participer au processus.
En 2003, j'ai eu le grand plaisir et le privilège de travailler pour la Commission du droit du Canada, à la rédaction de son rapport: Un vote qui compte, la réforme électorale au Canada, qui a été soumis au ministre de la Justice en 2004.
Cela s'est fait à la suite d'une stratégie de consultation publique approfondie et multiforme entreprise par la Commission du droit du Canada, dans laquelle on a demandé aux citoyens et aux experts quelles étaient les valeurs qu'ils voulaient voir inscrites dans notre système électoral. Deux valeurs ont été mises en avant tant par les votants que par les experts lorsqu'on leur a demandé de réfléchir leur système électoral idéal. D'abord, il devrait favoriser la représentation démographique; autrement dit, le corps législatif qui se dessine à la suite d'une élection devrait refléter la population qui l'a élu. Ensuite, la traduction des votes en sièges devrait être juste ou équitable vis-à-vis des partis politiques; il devrait y avoir une correspondance générale ou une proportionnalité entre les votes qu'a reçus un parti et sa représentation au parlement.
Bien entendu il y avait d'autres valeurs, comme l'a mentionné M. Carty. L'importance de la représentation locale a aussi été fortement mise en avant lors de notre consultation.
Juste pour souligner l'importance accordée par la plupart des votants à l'idée d'équité dans les résultats électoraux, permettez-moi de vous donner des exemples issus de l'élection provinciale de 2007 en Ontario et du référendum associé lorsque 63 % des votants ont rejeté un système de représentation proportionnelle mixte pour la province.
À l'époque quelques collègues et moi-même avons mené une étude de l'électorat. Lorsque nous avons demandé s'il était acceptable ou inacceptable qu'un parti obtienne la majorité des sièges sans avoir obtenu la majorité des votes, 44 % ont répondu « inacceptable », contre 29 % qui ont répondu « acceptable ».
Lorsqu'on leur a demandé si un parti qui arrive en tête d'une élection avec environ 40 % des suffrages devrait obtenir plus de la moitié des sièges du corps législatif afin qu'il puisse facilement gouverner seul, seulement 23 % étaient d'accord. Mais 50 % pensaient que le parti ayant obtenu 40 % des suffrages devrait obtenir environ 40 % des sièges. Cette idée de proportionnalité semblait ancrée même parmi les votants qui avaient rejeté le système de représentation proportionnelle mixte. Nous avons mené notre étude après le référendum.
Notre système électoral existant — que l'on nomme scrutin majoritaire uninominal à un tour ou SMU — ne répond à aucune des exigences que j'ai mentionnées. Bien sûr il ne s'agit pas de nier que le système actuel a ses avantages: notamment sa simplicité pour l'électeur moyen, sa facilité d'administration, sa promotion de la représentation territoriale, le lien entre l'électeur et son député dans une circonscription donnée et le fait qu'il favorise une culture de responsabilité — les électeurs peuvent en général facilement identifier les décideurs, les partis et les récompenser ou les punir à la fin de leur mandat selon la vieille pratique consistant à jeter les gredins dehors.
Mais en ce qui concerne la production d'un parlement qui soit un miroir de la nation, le système électoral actuel est en effet très mauvais. Il établit des obstacles sérieux à l'élection des femmes, des candidats issus des minorités et des autochtones. À vrai dire voilà l'une des critiques d'origine du scrutin majoritaire uninominal à un tour faite par l'un des premiers défenseurs de la représentation proportionnelle dans les années 1850, John Stuart Mill.
Le scrutin majoritaire uninominal à un tour, comme nous le savons, ne produit tout simplement pas de résultats proportionnels. Il ne traite pas tous les partis de manière équitable. Et ce qui est plus important selon moi, le système actuel établit d'énormes obstacles à l'introduction de nouvelles voix au parlement — comme celle du Parti vert, par exemple — chose qui nuit considérablement à l'efficacité de ce corps en tant que forum pour l'émergence de nouvelles idées et de nouvelles politiques afin de faire face aux enjeux que pose ce monde en évolution rapide.
En prenant en compte les données issues des consultations publiques, la principale recommandation du rapport de la Commission du droit du Canada était d'établir un système mixte proportionnel, ou SMP, au Canada, semblable à ceux qui sont en usage actuellement en Allemagne, en Écosse, au pays de Galles et dans d'autres juridictions.
Un tel système, dans l'esprit des membres de la commission, offrirait le meilleur des deux mondes puisqu'il comprendrait l'élection de députés individuels dans des circonscriptions géographiquement définies, ce qui est un élément constitutif du système de style britannique que nous utilisions déjà ici au Canada avant la Confédération, associé à la représentation des divers courants d'opinion de l'électorat par une représentation proportionnelle issue des listes de partis, comme cela se fait en Europe.
Je n'ai pas assez de temps pour entrer dans les rouages du modèle proposé par la Commission du droit du Canada, mais il suffit de dire pour l'instant que la principale caractéristique du système serait de diviser la Chambre des communes en deux parties différentes. Les deux tiers des sièges seraient des sièges de circonscriptions élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour et le tiers restant serait issu de listes régionales. Dans notre parlement actuel qui compte 338 sièges, cela se traduirait par 225 sièges de circonscriptions, 110 sièges de listes compensatoires et 3 sièges de circonscriptions uninominales pour les territoires comme c'est le cas actuellement.
Les électeurs auraient deux votes, un pour un candidat dans une circonscription et un pour un parti, ils pourraient diviser ces votes en choisissant de soutenir, par exemple, un candidat libéral dans leur circonscription tout en votant pour les verts dans la portion du scrutin destinée aux partis. Nous avons constaté que dans un pays comme la Nouvelle-Zélande, qui a adopté la représentation proportionnelle mixte, qu'entre 30 et 40 % des électeurs divisaient leur vote.
Une portion des sièges du parti serait déterminée par le vote du parti et le nombre de sièges des circonscriptions qu'il gagne serait alors déduit de son total. Les sièges restants sont occupés par les listes de parti régionales, qui seraient déterminées de différentes manières.
La Commission du droit du Canada a proposé des listes modulables, qui donneraient aux électeurs la possibilité soit appuyer la liste de parti, soit d'indiquer une préférence pour un candidat en particulier sur la liste. Depuis la publication du rapport de la Commission du droit du Canada, il est apparu très clairement avec le résultat du référendum en Ontario, par exemple, qu'une majorité d'électeurs ne tolérera pas la moindre manipulation de ces candidats sur les listes par l'élite du parti. Cela a été selon moi l'un des principaux facteurs ayant contribué à la défaite du référendum.
L'autre facteur a été la proposition d'augmenter la taille du parlement simplement pour revenir à la taille qu'il avait avant Mike Harris et le gouvernement progressiste-conservateur qui a été élu en 1995. Cette proposition a soulevé la colère de beaucoup d'électeurs.
Si je devais réécrire ou amender le rapport de 2004, j'essaierais de garantir que ces listes dans lesquelles nous faisons notre choix soient les plus ouvertes possible, soit sous la forme de listes totalement ouvertes dans lesquelles le votant peut faire une croix à côté du candidat qu'il veut soutenir, quel qu'il soit, ou même pourquoi pas, sous la forme d'une primaire de parti au niveau régional, ce qui serait l'une des manières les plus démocratiques possible de sélectionner ces candidats.
Si ce modèle, le système mixte proportionnel proposé par la Commission du droit du Canada, était adopté, une des conséquences les plus importantes serait évidemment que les gouvernements de majorité deviendraient improbables à l'issue des élections. Des coalitions de nécessité deviendraient la norme. Beaucoup contemplent cette perspective avec inquiétude et avec répugnance, mais je crois fermement que cette modification serait une immense occasion pour les Canadiens.
L'un des principaux défauts du modèle de Westminster est qu'il permet au parti au pouvoir, grâce à sa majorité législative artificiellement ou mécaniquement grossie, de dominer presque complètement l'agenda politique pendant quatre ou cinq ans et cela contribue par conséquent à la marginalisation du parlement. Comme le professeur Henry Milner l'a récemment dit — je me réjouis de voir qu'il est sur la liste des témoins qui doivent comparaître cette semaine —, notre système électoral contribue à ce qu'il appelle l'autocratie du CPM et la seule manière efficace de remédier à ce problème est de partager le pouvoir au plus haut niveau en remplaçant les gouvernements de majorité par des gouvernements stables de minorité ou de coalition.
Je partage le point de vue du spécialiste de sciences politiques néerlandais Arend Lijphart, selon lequel les démocraties de consensus, celles qui sont basées sur une forme de représentation proportionnelle, ont des électorats globalement plus satisfaits que dans le cas des démocraties majoritaires — comme la nôtre — qui fonctionnent sous le régime du scrutin majoritaire uninominal à un tour basé sur le modèle de gouvernement de Westminster.
Les démocraties de consensus dans l'étude de Lijphart, qui s'intitule Patterns of Democracy, procurent en effet une forme de démocratie plus douce et plus paisible que ses contreparties de type Westminster. Elles sont meilleures que ces dernières en matière de représentation des intérêts des femmes, de promotion de la participation à la vie politique et réussissent mieux à donner un filet de protection sociale adéquat à la majorité de leurs citoyens.
En même temps Lijphart montre que les critiques les plus typiques vis-à-vis des systèmes de RP, à savoir qu'ils produisent des gouvernements incapables de prendre les décisions économiques difficiles et conduisent donc à des performances économiques moindres, sont fortement exagérées. Les systèmes de RP sont à l'oeuvre dans un grand nombre de pays — prenez la Suède, la Norvège, l'Allemagne — dont les performances économiques ont été aussi bonnes voire meilleures que les nôtres ou que celles des États-Unis des 20 dernières années.
Bien que le rapport de la Commission du droit du Canada ait été ignoré par le gouvernement de l'époque, ses analyses et recommandations ont continué de nourrir les récents débats autour de la réforme électorale dans ce pays. Je sais que le Mouvement pour la représentation équitable au Canada s'y réfère très souvent et je trouve cela gratifiant.
Cette question refuse simplement de disparaître quel que soit le nombre de référendums et de plébiscites que nous avons organisés ces 10 dernières années. À mon avis, la seule manière de corriger les défauts significatifs du modèle de gouvernement de Westminster que nous utilisons est de mener une réforme électorale profonde, en adoptant un système qui garantit à la fois la représentation démographique et la proportionnalité dans la traduction des votes en sièges au parlement.
Merci.
:
Merci, monsieur le président, et merci de m'avoir invité à participer à vos délibérations. Je vous invite à consulter mes 10 pages de notes.
Vous avez pour mandat d'étudier d'autres systèmes électoraux possibles, le vote obligatoire et le vote en ligne. Je vais rapidement vous expliquer ma position sur ces points.
Il n'y a bien sûr pas, comme l'a souligné M. Carty, de meilleur système électoral. Si je penche en faveur d'un autre système, c'est vers le système hybride utilisé au Manitoba et en Alberta entre les années 1920 et les années 1950, dans lequel vous aviez un vote unique et transférable dans une grande circonscription plurinominale pour les villes — Calgary, Edmonton, Winnipeg — et vous aviez le vote transférable dans les autres secteurs.
Je ne recommanderais pas l'organisation d'un référendum sur la question d'un changement de système électoral. C'est inutile, c'est de l'argent gaspillé et il y a de très grandes chances pour que cela soit un échec. Vous feriez tout aussi bien de recommander de ne pas changer le système et de faire faire des économies aux Canadiens.
Si vous organisez un vote libre au parlement à propos d'un changement de système, si c'est un vote libre, je pense également qu'il échouera, car ce n'est pas dans l'intérêt de la plupart des députés, ni très franchement, du parti au pouvoir.
M. Kingsley vous a donné quelques exemples des distorsions causées par le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Voici un exemple encore plus criant. En 1993, 2,2 millions d'électeurs canadiens ont voté pour le Parti conservateur et 5,6 millions d'électeurs ont voté pour le Parti libéral. Tous ces votes conservateurs ont abouti à l'élection de deux députés. Cela fait 1,1 million de voix pour élire un député. Les libéraux ont eu un député pour 31 000 voix et ils ont obtenu 177 sièges.
Je ne suis pas en faveur du vote obligatoire.
Vous avez aussi parlé du vote en ligne. Je n'y suis pas favorable non plus, mais s'il vient à être utilisé je crois que cela devrait être réservé aux personnes immobilisées chez elles et aux personnes handicapées.
Permettez-moi de dire quelque chose au sujet d'Élections Canada, parce que j'ai eu la chance de lire le témoignage du directeur général des élections. Je crois qu'Élections Canada ne devrait pas avoir d'autres fonctions éducatives supplémentaires au-delà de sa mission consistant à informer les gens sur les lieux de vote, les exigences d'identification et comment s'inscrire sur les listes électorales — autrement dit, les conditions inscrites dans l'actuelle loi sur l'intégrité des élections.
Cela dit, beaucoup d'études ont été faites sur des systèmes électoraux différents, y compris par bon nombre de gouvernements provinciaux, d'assemblées de citoyens, d'universitaires, par la Commission de réforme du droit et d'autres. Je suis curieux de voir ce que votre comité va pouvoir apprendre de nouveau. À vrai dire, la création de ce comité donne l'impression que le gouvernement hésite à tenir sa promesse électorale.
Il a été fait mention de l'assemblée des citoyens de l'Ontario. Je pense que l'on devrait y regarder de plus près parce je trouve l'expérience instructive. Il y a eu 986 soumissions sur le changement de système; 692 d'entre elles étaient des propositions et seulement 7 à 8 % étaient des commentaires négatifs. L'assemblé à voté à 94 contre 8 pour proposer un système mixte proportionnel, mais lors du référendum, le non l'a emporté très largement. Comme l'a souligné M. Tanguay, à peine plus du tiers des gens ont voté oui.
Je note respectueusement que M. Reid ne tient pas compte du coût des référendums. Il a déclaré aux médias: « Si nous nous inquiétons du coût de la démocratie, alors nous devrions suspendre toutes les élections futures n'est-ce pas? » Selon moi c'est une fausse équation. Si le parlement modifie le système électoral sans organiser de référendum, la communauté internationale le remarquera à peine. Si les élections sont suspendues, la réaction sera très différente.
Je suis conscient qu'un récent sondage indique que 65 % des personnes interrogées sont en faveur de la tenue d'un référendum. Je suggère que vous mettiez de côté de tels sondages. Je n'ai encore jamais vu un sondage, quel qu'en soit le sujet, dans lequel les personnes interrogées répondaient que le référendum n'avait pas leur préférence.
Je pense que les référendums sont une très mauvaise manière de déterminer les choix politiques et qu'il est néfaste de les considérer comme la mesure fondamentale de la démocratie. Si les Canadiens se sentent suffisamment concernés par la manière dont un gouvernement a modifié le système électoral et qu'ils s'opposent à ce changement, ils battront le gouvernement lors d'une élection, quel que soit le système utilisé. Le terme « démocratie » est trop facilement brandi dans les débats au sujet du système électoral.
La démocratie a une qualité kaléidoscopique qui transcende les règles électorales, bien plus vitale que le système électoral, bien plus vitale que les taux de participation ou que les bases de culture politique sous-jacentes d'un pays. La santé et la vigueur de sa société civile, l'indépendance et la probité de la justice, les libertés des médias, la transparence et la responsabilité de l'administration publique, les débats informés lors de la création des politiques publiques, une compétition sans entraves des idées politiques — à côté de ces éléments, le système électoral du Canada est annexe.
La représentation proportionnelle promet de mettre fin aux distorsions causées par le système actuel. La proportionnalité, incidemment, est une chose envisagée par les tribunaux dans le cadre de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le scrutin préférentiel, auquel je ne suis pas opposé, peut également créer une distorsion. Un parti peut obtenir 40 % de tous les votes de premier choix et ne pas emporter un seul siège. L'expérience de la Colombie-Britannique montre que l'appétit du public pour la réforme électorale varie avec la perception de l'injustice de la dernière élection. En C.-B., 58 % des votants étaient en faveur d'un changement lors du référendum de 2005, mais 61 % étaient contre lors du référendum de 2009. Cela indique que le public est inconstant.
Les élections qui ont eu lieu avant le référendum expliquent toutefois cette inconstance. En 2001, les libéraux ont remporté 77 sièges sur 79 avec 58 % des voix. Le NPD n'a remporté que deux sièges sur 79 en ayant obtenu bien plus de 20 % des voix — 22 %. Cela a semblé très injuste aux yeux de beaucoup de gens. En 2005 cependant, les Libéraux ont remporté 46 sièges avec 46 % des voix et les NPD 33 sièges avec 42 % des voix. Beaucoup de gens ont été satisfaits par ce résultat plus équitable et leur envie de changement était donc moindre lors du référendum de 2009.
Je ne crois pas qu'il y ait un fort désir populaire de changement au niveau national. Le public comprend que bien que les Libéraux aient obtenu moins de 40 % des voix lors des dernières élections, le résultat est en cohérence avec celui de 2011 lorsque les conservateurs ont obtenu le même pourcentage et que dans les deux cas les partis ont formé des gouvernements de majorité.
Les députés sont élus pour agir sur la plate-forme électorale de leur parti et pour exercer leur jugement, pas pour faire de la politique en relayant les opinions volatiles et impulsives de leurs électeurs.
Certains pensent que la convention constitutionnelle nécessite un référendum. Je crois que c'est ce que vous allez entendre demain. Je ne suis pas d'accord. Demain, vous entendrez également l'éminent constitutionnaliste Peter Russel. J'ai hâte d'entendre son avis. Il se peut qu'il me surprenne, mais je crois qu'il partage l'idée selon laquelle une telle convention n'existe pas.
Certains disent — et j'ai lu cet argument dans The Globe and Mail soutenu par le conseiller juridique de l'ancien premier ministre — qu'un scénario de référence est nécessaire parce que les tribunaux pourraient déclarer qu'un changement est non-constitutionnel parce qu'il n'y a pas de concurrence provinciale. Ceux-là citent le scénario de référence du Sénat.
Il n'y a, à mon avis, aucun parallèle. Les sénateurs représentent les provinces et les intérêts des provinces. Ce n'est pas le cas des députés: ils représentent les partis et les gens dans des circonscriptions définies. Dans le scénario du Sénat, la raison pour laquelle nous avions une référence est que de nombreux gouvernements provinciaux mettaient en cause la constitutionnalité des propositions du gouvernement fédéral et ont lancé des références eux-mêmes. Aucune province n'a insinué qu'elle mettait en cause la constitutionnalité d'un changement du système électoral fédéral. Si elles le faisaient, je pense qu'elles seraient battues en brèche par les tribunaux.
J'ai encore beaucoup de remarques et d'observations à faire, mais je vous remercie de m'avoir écouté.
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Tout d'abord, je n'ai pas participé à la conception de ce système. Ce système a été élaboré par les membres de l'Assemblée dont j'étais l'humble serviteur dans le cadre de cet exercice. Ce qui ressort clairement de ce référendum — nous avons fait plusieurs recherches sur la question par la suite —, c'est que la vaste majorité des personnes qui ont participé à ce référendum ne connaissaient absolument rien de la question sur laquelle ils allaient voter. Ceux qui ont voté pour la tenue du référendum ont voté pour l'adoption du système dans une proportion de 58 %, comme quelqu'un l'a déjà mentionné.
La grande majorité des personnes qui ont voté pour l'adoption du système connaissaient l'assemblée des citoyens et approuvaient cet exercice. En réalité, ils étaient là pour signaler leur approbation d'une initiative qui était venue de leurs concitoyens. Ils savaient que leurs concitoyens avaient passé un an à parcourir la province pour tenir des consultations, un an à réfléchir et à développer toute une série de solutions de remplacement, et qu'ils avaient envisagé un scrutin proportionnel mixte, le SPM, un scrutin à vote unique transférable, le VUT, et un scrutin majoritaire uninominal à un tour, le SMUT.
Tout porte à croire, d'après les sondages que nous avons menés, que ceux qui ont voté pour ce système étaient bien informés à son sujet et, qui plus est, connaissaient l'assemblée des citoyens et croyaient en son travail. La majorité des personnes qui se sont présentées aux urnes en ignorant tout de ce système ont voté contre. Je pense que les faits laissent entendre, et c'est certainement le cas en Ontario, que la grande majorité des gens qui participent à ces référendums n'a aucune connaissance substantielle de la question.
Dans les deux cas, on a demandé aux gens de voter sur une proposition très précise, parce que ni l'une ni l'autre de ces assemblées de citoyens n'avait formulé de recommandation pour le SPM ou pour le VUT; elles recommandaient un système à ce point détaillé, élaboré et complexe qu'il serait injuste de s'attendre à ce qu'il soit compris du public.
Quant à ce que j'ai dit en 2004... Je suis désolé, mais je ne m'en souviens pas.
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Bonjour, messieurs. J'ai beaucoup apprécié vos témoignages.
Monsieur Wiseman, j'ai bien aimé votre franchise, bien que je ne sois pas nécessairement d'accord sur ce que vous dites.
Je m'adresse ici aux trois témoins. Vous avez parlé de culture politique. Pour ma part, j'ai eu la chance, en quelque sorte, de sillonner le Québec pendant quatre ans dans le cadre de la commission qui portait sur la réforme du mode de scrutin dans cette province. Dans toutes les régions du Québec, les gens nous ont souvent dit qu'au-delà de la mécanique électorale et du mode de scrutin, ils étaient irrités par la façon dont la politique se faisait, notamment en ce qui avait trait à la ligne de parti.
Les partis politiques sont des machines de guerre idéologique. Or, un mode de scrutin mixte compensatoire va nécessairement mener à des gouvernements de coalition.
Cela va-t-il nécessairement diminuer le cynisme de la population à l'égard des gouvernements? D'une part, si la culture politique ne suit pas, la responsabilité à l'égard du mandat est plus ou moins claire lorsque arrive une période électorale. Je parle ici de la responsabilité concernant la façon dont cela s'est passé. D'autre part, qui fait la liste? Même si ce sont des électeurs qui votent et qu'il y a des primaires, la liste demeure toujours le choix des 15 premiers députés que le parti aura plus ou moins priorisés.
La ligne de parti n'est-elle pas plus forte dans un système semblable, en l'occurrence si le gouvernement est formé par une coalition qui est décidée par les apparatchiks des partis après coup, à la suite d'une élection?
Je me dois d'être critique, même si je veux du changement.
Tout ce que je décris n'est-il pas susceptible de susciter encore plus de cynisme, si les partis politiques ne s'ajustent pas? Qu'est-ce qui nous permet de croire que les partis seront en mesure de s'adapter?
Que vaudront les plateformes électorales après 25 ans si, mandat après mandat, on se retrouve avec des gouvernements de coalition?
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Merci, monsieur le président.
Messieurs, soyez les bienvenus dans votre Parlement. C'est toujours très impressionnant d'avoir une telle qualité au pied carré autour de la table. Merci beaucoup de votre contribution à la démocratie canadienne et à l'exercice que nous tenons en cette belle journée de juillet. Il ne fait pas beau ici, à Ottawa, mais il fait quand même beau dans cette salle.
Messieurs, vous avez dit beaucoup de choses dans vos témoignages. S'il y a des points de vue que je ne partage pas du tout, il y en a toutefois un sur lequel je suis tout à fait d'accord.
[Traduction]
M. Carty a déclaré au début de son exposé qu'il n'y avait pas de système parfait. Il faut comprendre que nous essayons simplement de trouver la meilleure solution pour les Canadiens parce qu'il n'y a pas de système parfait. S'il y en avait un, nous l'aurions déjà adopté.
[Français]
La publicité d'un commerce du Québec dit: « Si ça existait, on l'aurait. » Si le système parfait existait quelque part, on l'aurait. Nous sommes tout à fait conscients
[Traduction]
il n'y a pas de système parfait.
[Français]
Par contre, il y a quelque chose qui m'a vraiment surpris et que j'aimerais approfondir avec vous, monsieur Wiseman.
[Traduction]
Vous avez parlé de tenir un vote libre et vous avez dit que vous n'étiez pas contre un vote libre, mais vous avez ajouté que, s'il y avait un vote libre, rien ne changerait. J'aimerais que vous m'en disiez davantage à ce sujet. J'aimerais en entendre davantage. Comment pouvez-vous en arriver à cette conclusion aujourd'hui?
:
Je ne pense pas avoir un système préféré. J'ai fait tout ce que j'ai pu pendant une dizaine d'années pour ne pas en avoir un, pendant la période où je travaillais avec les citoyens de la Colombie-Britannique.
Franchement, je sais quels sont les avantages qu'offre un système de RPM ou un système de VUT, option dont vous entendrez parler, je crois, demain matin, ou un système à liste fermée, que quelqu'un a décrit comme étant un système dans lequel tous les candidats qui se présentent dans le pays figurent sur la feuille et l'électeur en choisit un et cela se traduit...
Il existe des centaines de possibilités et chacune d'entre elles exige des compromis. Si vous donnez un peu plus d'importance à la proportionnalité, alors vous perdez un peu sur le plan de la représentation locale ou si vous donnez un peu plus de choix aux électeurs, alors vous réduisez un peu la capacité des partis à exercer une discipline sur leurs membres. Tous ces systèmes font appel à des compromis. Je n'ai pas de système préféré.
La grande réussite du système canadien des partis est, à mon avis, qu'il a empêché que les clivages énormes, les divisions que l'on retrouve au Canada se reflètent dans notre Parlement et que nous obtenions un pays incapable de fonctionner.
Les nouveaux démocrates constituent un type de parti national cohérent. Je ne pense pas que nous souhaitions un système dans lequel les nouveaux démocrates du Leap Manifesto ou les nouveaux démocrates de Notley soient obligés de se présenter de façon indépendante parce qu'ils savent qu'ils obtiendraient davantage de votes dans différentes parties du pays, en s'appuyant sur différents secteurs de leur électorat. Une des forces de notre système, et de son fonctionnement, est qu'en fait, il a obligé les partis à faire beaucoup d'efforts pour empêcher que toutes ces divisions s'expriment, dans un pays qui évolue constamment.
Le système politique canadien est une expérience tout à fait remarquable. Au XXe siècle, notre électorat s'est accru beaucoup plus rapidement que celui de n'importe quel autre pays, beaucoup plus rapidement qu'aux États-Unis. Nous sommes passés d'un pays composé de petites localités rurales à des villes les plus multiculturelles au monde. Quelle que soit la façon de mesurer la transformation qu'a connue le Canada, il est probable que notre ordre social démocratique a changé davantage que celui de n'importe quelle autre démocratie et nos grands partis nationaux ont quand même réussi à s'y adapter. Le système était différent pendant la Première Guerre mondiale, pendant la Deuxième Guerre mondiale et pendant les années 1960 et pendant les années 1980. Je pense qu'il a obtenu d'excellents résultats, je dois le dire.
Les gens de Davos viennent de classer notre système de gouvernance au deuxième rang de tous les pays. Nous sommes au sommet des indices de développement politique des Nations unies. D'après la plupart des indices comparatifs, nous avons assez bien réussi. Le système électoral n'est pas le seul responsable de cette situation, mais c'est un des éléments. Si l'on commence à changer ces éléments, on commence à démolir ce système. C'est sans doute une opinion conservatrice avec un petit « c ».
D'abord, j'aimerais dire à mes collègues M. Blaikie et Mme May, qui ont relevé le vote de 1993 du Bloc québécois, qu'ils ne devraient pas considérer cela comme étant, en quelque sorte, une aberration régionale. Je vous fais remarquer que je suis souverainiste, comme tout le monde le sait; ne tombez pas de votre chaise.
Les juges de la Cour suprême, au paragraphe 164 de l'arrêt Figueroa, disent ceci:
Notre système fédéraliste représente peut-être la manifestation la plus remarquable de l’importance attachée à la représentation politique des intérêts régionaux au Canada.
Plus loin, ils citent ainsi les Pères de la Confédération:
[...] « toute proposition qui impliquerait l’absorption de l’individualité du Bas-Canada, ne serait pas reçue avec faveur par le peuple de cette section » et, dans les provinces maritimes, bien que la langue et le système juridique fussent les mêmes que dans le Haut-Canada, « il n’y avait [...] aucun désir de perdre leur individualité comme nation » [...]
On pourrait toujours dire qu'au-delà des considérations quantitatives, ce qui s'est passé en 1993 a été tout simplement la manifestation qualitative de la dynamique politique canadienne, après deux tentatives pour rétablir quelque chose au niveau canadien qui se sont soldées par un échec. La nation s'est exprimée et a pu former l'opposition officielle. Il n'y a là rien d'aberrant. En 2011, la même chose s'est produite: il y a eu une volonté de la part d'une région, soit le Québec, de donner une chance à la vague orange.
Vous avez dit qu'il n'y avait pas de système parfait. Ce qui me préoccupe, ce ne sont pas les principes, mais la façon de s'y prendre. Au Québec, le projet de réforme s'est échelonné de 2003 à 2007. Quand nous avons fait le tour du Québec en un an, nous avions déjà un avant-projet de loi. Nous avions donc un modèle et nous consultions les gens sur quelque chose de précis. Or là, nous sommes devant rien. Nous allons consulter les gens dans 338 circonscriptions, mais pour leur demander quoi? Allons-nous leur demander quel mode de scrutin ils veulent?
Vous nous dites que personne ne s'intéresse à cela et qu'on doit faire de l'éducation politique. Je veux bien, mais c'est complexe. En même temps, comment peut-on penser changer les règles démocratiques de notre société sans laisser le peuple trancher les avantages et les inconvénients, puisqu'il n'y a pas de mode de scrutin parfait? Je vous demande de répondre à cette question.
Si ce n'est pas un débat d'experts ni un débat de politiciens, comment peut-on penser que de simplement faire de l'éducation pendant un nombre de mois donné pourrait justifier qu'on change les règles, et ce, sans référendum? Les gens qui voteraient la prochaine fois ne sauraient même pas comment le vote fonctionne.
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Je vais maintenant passer à mes propres questions.
J'aimerais revenir sur la remarque très provocatrice qu'a faite M. Wiseman, au sujet des choses nouvelles que nous pourrions apprendre et des consultations publiques. J'ai en fait envoyé un bulletin à tous les électeurs de ma circonscription. C'était un simple exposé de base sur la réforme électorale. J'ai reçu plus de 300 réponses individuelles, rédigées à la main et mises à la poste, et plus de 80 % des répondants voulaient se débarrasser du système uninominal à un tour.
Mais sur le reste, les opinions divergeaient complètement, comme vous pouvez l'imaginer. Certains voulaient le VUT, d'autres la RPM, d'autres voulaient un système mixte. Dans l'ensemble, mes électeurs n'aimaient pas l'idée du vote obligatoire, ce qui est intéressant. Il s'agit de ma circonscription, Saanich—Gulf Islands.
Par contre, pour ce qui est de consulter la population — et je suis convaincue que la consultation de la population est une bonne chose, je le dis en passant, et notre comité va faire tout ce qu'il pourra à ce sujet —, si je pense à l'assemblée des citoyens de la C.-B., à l'assemblée des citoyens de l'Ontario et au rapport de la Commission du droit de 2004, pensez-vous qu'il y a des leçons à tirer de tout cela et qu'il n'y a pas vraiment quoi que ce soit de nouveau et que nous devrions simplement oublier ces aspects et tirer des leçons?
Je m'adresse à vous trois.
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Je ne pense pas que le système uninominal donne de bons résultats, mais je crois que les Canadiens le préfèrent parce que c'est celui qu'ils connaissent. Les gens préfèrent conserver le système actuel, même s'il est insatisfaisant, plutôt que de faire un saut dans l'inconnu, parce qu'ils ne s'intéressent pas aux systèmes électoraux. Chaque fois que je fais des conférences, non seulement à des groupes de personnes âgées, mais dans ma propre classe, les étudiants me disent, je ne comprends pas vraiment comment cela va fonctionner. Eh bien, je ne comprends pas vraiment comment fonctionne le système de l'impôt sur le revenu, mais je remplis ma déclaration.
J'aime le système qui était utilisé au Manitoba, peut-être parce que je le connais bien. Dans cette province, Winnipeg était une circonscription plurinominale de 10 députés. Les intérêts de la population qui habite, disons, à Spadina—Fort York, ne sont pas si différents que ceux des personnes qui vivent à côté, à Davenport ou à l'endroit où je vis, University—Rosedale. De la même façon, les intérêts des personnes qui vivent dans Papineau ne sont pas très différents de ceux de leurs voisins de Rosemont—La Petite-Patrie, mais ces intérêts collectifs sont très différents des personnes qui vivent en Abitibi—Témiscamingue ou à Kenora.
J'estime que le vote préférentiel pourrait se justifier à l'extérieur des grandes villes. Dans les grandes villes, on pourrait avoir une seule circonscription de grande taille, ou dans des villes comme Toronto, Montréal ou Vancouver, peut-être trois ou quatre circonscriptions. Ce système a semblé donner de bons résultats au Manitoba. La seule évaluation que j'ai examinée, celle de Tom Peterson, indiquait que ce dernier pensait que les résultats étaient proportionnels et ne favorisaient aucun parti en particulier. Je dois néanmoins reconnaître qu'à l'époque, il y avait beaucoup d'élections par acclamation dans les régions rurales; c'était une coalition qui était au pouvoir.
Un autre aspect, que nous ne pouvons pas reproduire maintenant, est que, depuis 1974, le nom des partis figure sur les bulletins de vote. C'est un élément d'importance considérable parce que, lorsque les gens vont voter, ils ne connaissent peut-être pas le nom du candidat, mais si votre nom figure à côté du mot « libéral » et qu'ils savent que Justin Trudeau est un libéral, ils savent ce qu'ils veulent. La plupart des gens apprennent vraiment pour qui ils votent lorsqu'ils se rendent dans le bureau de scrutin.
J'aime le fait qu'auparavant l'électeur était obligé de s'informer parce que deux candidats pouvaient se présenter et un disait « Je suis le candidat conservateur » et l'autre disait « Non, non, j'ai assisté à une assemblée et c'est moi, le candidat conservateur. » Les gens décident qui sera le candidat conservateur s'ils veulent voter conservateur. À l'heure actuelle, c'est le chef de parti qui a le dernier mot.