INDU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 8 février 2000
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): La séance est ouverte; conformément au mandat conféré au comité en vertu du paragraphe 108(2) du Règlement, étude relative à la productivité, à l'innovation et à la compétitivité.
Nous sommes très heureux d'accueillir nos témoins. Il s'agit aujourd'hui de M. John Helliwell, professeur d'économie, et de M. Jonathan Kesselman, professeur et directeur, Centre de recherche sur l'économie et les politiques sociales, tous les deux de l'Université de la Colombie-Britannique, ainsi que de M. Richard Harris, professeur d'économie à l'université Simon Fraser.
Je voudrais vous inviter à nous présenter chacun une déclaration liminaire ou des commentaires préalables avant que nous passions à nos questions sous forme de table ronde. Par conséquent, si l'un des membres du comité veut poser une question, il pourra la poser à nos trois témoins ou simplement à l'un d'entre eux et si les autres souhaitent ajouter quelque chose, ils pourront intervenir ou me faire signe, et j'essayerai de leur donner la parole.
Je vous propose de procéder dans l'ordre où je vous ai présentés. Si cela vous pose un problème ou si vous souhaitez intervenir dans un ordre différent, ce sera avec plaisir. Sinon, nous allons commencer par M. Helliwell. Vous êtes d'accord?
M. John Helliwell (professeur d'économie, Université de la Colombie-Britannique): D'accord. Nous sommes prêts à commencer?
La présidente: Quand vous voulez.
M. John Helliwell: J'ai été invité à me concentrer surtout sur les liens entre le Canada et les États-Unis au niveau du marché du travail, et plus précisément sur les questions relevant de ce que l'on appelle l'exode des cerveaux.
J'ai examiné ce problème de deux manières. D'une part, j'ai effectué de nombreuses études pour déterminer si les liens économiques étaient plus étroits au plan interne d'un pays plutôt qu'au niveau des relations internationales, et j'ai constaté que les liens économiques internes au Canada sont beaucoup plus forts que les liens entre des provinces canadiennes et des États américains.
Au cours de cette étude, nous avons examiné les schémas migratoires et constaté qu'en général, d'après les recensements effectués dans nos deux pays, un Canadien de Vancouver a à peu près cent fois plus de chances d'être originaire d'une autre province que d'être originaire d'un État américain.
La présidente: Excusez-moi, monsieur Helliwell. Nous essayons de régler le son. Puis-je vous interrompre un instant? Nous avons quelques problèmes. Le son n'est pas assez fort ici. Pourriez-vous rapprocher un peu votre micro de vous? Parfait. Ne tirez pas trop fort sur le cordon.
M. John Helliwell: C'est bien maintenant?
La présidente: Beaucoup mieux. Merci, monsieur Helliwell. Je suis désolée de cette interruption. Vous pouvez continuer.
M. John Helliwell: Je continue ou je recommence?
La présidente: Il vaudrait peut-être mieux recommencer pour que votre exposé soit bien clair.
M. John Helliwell: Je disais donc qu'on m'a invité à me concentrer surtout sur les liens du marché et le problème de l'exode des cerveaux. Je me suis notamment penché sur cette question en essayant de voir si les liens internes au sein des économies nationales étaient plus forts que les liens transfrontaliers; autrement dit, j'ai essayé de voir si la mondialisation était déjà en place ou si c'était un phénomène vers lequel nous sommes simplement en train de progresser, plus ou moins rapidement.
Les études sur les flux migratoires que nous avons effectuées en nous appuyant sur les données des recensements de nos deux pays nous ont permis de constater que les migrations interprovinciales étaient beaucoup plus importantes que les migrations entre États américains et provinces canadiennes, et qu'une personne vivant en Colombie-Britannique et qui n'était pas née en Colombie-Britannique avait cent fois plus de chances d'être originaire d'une autre province canadienne que d'un État américain de taille analogue et situé à la même distance.
En revanche, nous avons constaté qu'aux États-Unis les personnes vivant dans un État avaient certes plus de chances de venir d'un autre État américain que d'une province canadienne, mais qu'il y avait néanmoins beaucoup plus de personnes qui émigraient du Canada vers les États-Unis que des États-Unis vers le Canada. En fait, c'est une tendance que l'on constate depuis plus de 150 ans.
Nous pouvons déterminer les conséquences de ce phénomène en examinant les données des recensements effectués aux États-Unis pour déterminer le pourcentage de Canadiens d'origine dans la population américaine. Au début du siècle dernier, en 1900, les personnes nées au Canada vivant aux États-Unis représentaient plus de 15 p. 100 de la population du Canada. Ce nombre a régulièrement diminué au cours du siècle et, au début ou au milieu des années 90, il était tombé à 2 p. 100. On peut donc dire qu'actuellement on trouve aux États-Unis sept fois moins de Canadiens nés au Canada qu'il y a un siècle.
Évidemment, quand on aborde le problème de l'exode des cerveaux dans les médias ou dans les débats de politique, on s'intéresse beaucoup moins au chiffre d'ensemble qu'aux compétences et au niveau d'éducation supérieure des personnes concernées. Pour examiner ce problème de plus près, nous avons recueilli des données sur tous les diplômés de l'Université de la Colombie-Britannique depuis que cette université établit des statistiques, c'est-à-dire environ 1920, et nous avons essayé de voir quelles étaient les chances que ces divers diplômés vivent en Colombie-Britannique, ailleurs au Canada ou aux États-Unis.
Nous avons constaté que la situation de ces personnes ayant un haut degré d'éducation était étonnamment semblable à celle de l'ensemble de la population. Si l'on prend les diplômés ayant un baccalauréat de l'Université de la Colombie-Britannique, y compris ceux qui ont ensuite fait des études supérieures, on constate qu'environ 15 p. 100 des diplômés des années 50 vivent actuellement aux États-Unis. Ce pourcentage a diminué régulièrement, et au début et au milieu des années 90, il était tombé à environ 2 p. 100.
Si l'on passe aux programmes de troisième cycle, sur lesquels sont évidemment concentrées de nombreuses études sur les travailleurs hautement spécialisés, le tableau est beaucoup plus varié. Environ 15 p. 100 des détenteurs d'un doctorat de l'Université de la Colombie-Britannique vivent aux États-Unis. Le pourcentage de ces détenteurs d'un doctorat est presque le même pour les années 60 et pour les années 90. Évidemment, le nombre de personnes qui partent actuellement aux États-Unis est beaucoup plus élevé, puisqu'en 1960, 20 personnes seulement obtenaient leur doctorat chaque année, alors qu'actuellement il y en plus de 20 par mois.
• 1540
La clientèle de nos programmes de doctorat est aussi devenue
beaucoup plus diverse qu'elle ne l'était en 1960. Nous constatons
que 7 p. 100 des personnes qui obtiennent un doctorat chez nous
viennent des États-Unis. Plus de la moitié viennent d'un autre pays
étranger—et ne sont pas citoyens canadiens—mais à la fin de leurs
études ces diplômés ont plus de chances de rester au Canada pour y
travailler que de partir travailler ailleurs. Si l'on fait le
bilan, on constate donc que nos universités au niveau le plus
élevé—en tout cas, dans le cas particulier de l'Université de la
Colombie-Britannique—attirent les individus les plus qualifiés du
Canada et d'ailleurs, la crème de la crème, leur offrent une
formation en vue d'un doctorat, et ces diplômés peuvent ensuite
repartir à travers le monde, mais en fait le nombre de diplômés qui
restent au Canada est supérieur au nombre de Canadien que nous
attirons au départ.
Il existe une autre étude pertinente du marché local: il s'agit d'une étude réalisée par le Laurier Institute sur l'industrie des logiciels et de la haute technologie. La conjoncture en Colombie-Britannique est particulièrement délicate: les coûts locaux sont élevés, l'économie a eu tendance à stagner depuis une dizaine d'années et la fiscalité y est plus lourde qu'ailleurs au Canada. La situation est d'autant plus préoccupante que la Colombie-Britannique est située à proximité des réseaux de logiciels de Microsoft dans l'État de Washington, juste de l'autre côté de la frontière, et de la Silicon Valley de la Californie, et que les gens qui aiment le climat d'ici ont aussi tendance à bien apprécier la vie à Seattle et en Californie.
L'institut a fait une enquête auprès des entreprises locales pour déterminer le nombre de personnes qui étaient venues ou qui étaient parties au cours de l'année échantillon 1998. Ce qui m'a frappé, c'est qu'en dépit des grands titres qui ont découlé de cette étude, et qui parlaient notamment du nombre d'employés de ces entreprises qui étaient partis pour aller s'installer aux États-Unis, il était évident d'après les données recueillies qu'au cours de cette année 1998, en dépit du fait qu'un certain nombre d'employés de ces entreprises étaient partis aux États-Unis, ce qui n'est pas étonnant, compte tenu des perspectives plus alléchantes et des salaires plus attrayants qu'on leur propose là-bas, il y avait plus de personnes qui venaient des États-Unis pour travailler dans l'industrie des logiciels en Colombie-Britannique—50 p. 100 de plus—qu'il n'y en avait à quitter la Colombie-Britannique pour aller aux États-Unis.
Cette industrie progressait tellement vite que le nombre de personnes qu'elle attirait des États-Unis vers la Colombie-Britannique était encore plus élevé que le nombre de personnes qui partaient de la Colombie-Britannique vers les États-Unis. C'est sans doute une situation exceptionnelle, car, traditionnellement, il y a toujours eu plus de Canadiens à partir au Sud que d'Américains à venir au Nord. En outre, il s'agit d'une industrie particulière dans laquelle, s'il y a un écart entre nos deux pays, il est manifestement en faveur des États-Unis, et ce plus encore maintenant que d'habitude.
Je voudrais faire une dernière remarque sur les chiffres, car il s'agit de quelque chose qui sera familier à ceux d'entre vous qui lisent la presse sur cette question. Il s'agit d'une étude du Conference Board sur les migrations temporaires de Canadiens à destination des États-Unis. En vertu de l'ALENA, il existe des visas TN qui permettent à des Canadiens qui ont un travail aux États-Unis—mais ils doivent avoir au moins un baccalauréat pour obtenir cet accès automatique—de partir travailler aux États-Unis avec un minimum de formalités.
Les études comme celle effectuée par Statistique Canada sur les diplômés de 1995, ou notre propre étude sur les diplômés de l'Université de la Colombie-Britannique, ainsi que d'autres, montrent que c'est la forme d'accès que choisissent les personnes qui veulent aller s'installer aux États-Unis non pas simplement à titre temporaire, mais éventuellement de manière permanente. L'étude du Conference Board a mis en évidence un accroissement rapide du nombre de personnes qui obtiennent ces visas TN, et montré qu'en dépit d'une récente enquête sur la population réalisée aux États-Unis, d'après laquelle il y aurait moins de Canadiens d'origine vivant aux États-Unis au début de 1999 qu'en 1990, le nombre de ces visas temporaires a en fait progressé de manière impressionnante.
Nous devons donc nous poser deux questions: comment interpréter ces chiffres et, deuxièmement, quelles informations pouvons-nous recueillir pour régler une fois pour toutes cette question? Il y a une chose que les gens qui ont étudié ces chiffres ont omis de noter, et c'est le fait que les personnes qui obtiennent ce visa temporaire doivent soit opter pour un statut de migrant plus permanent, soit obtenir un nouveau visa l'année suivante. Les personnes qui entrent aux États-Unis avec un visa TN et qui y vivent toujours avec un visa TN plusieurs années après vont être comptabilisées dans les détenteurs de visas pour l'année en cours ainsi que dans les détenteurs pour l'année précédente et les années précédentes aussi.
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On ne peut donc pas se contenter de faire le total du nombre
de visas octroyés pour avoir le nombre total de Canadiens qui
travaillent aux États-Unis dans le cadre d'un de ces critères. Il
faut prendre le nombre total de visas TN pour l'année en cours et
laisser de côté ceux des années précédentes, car leurs détenteurs
ont soit choisi une forme de résidence permanente, soit opté pour
le retour dans leur pays, et ajouter à ce nombre le nombre de
personnes qui se sont installées avec des visas de nature plus
permanente au cours de la même période. Je n'ai pas fait ce calcul
de manière très précise, mais je pense qu'on arriverait à un total
assez proche de celui de l'enquête américaine sur la population
actuelle.
Le dernier mot sur cette question de l'exode des cerveaux du Canada à destination des États-Unis, en termes de chiffres, c'est naturellement le recensement de l'an 2000 aux États-Unis qui nous le donnera. Pour compléter cela, il y a évidemment l'enquête de Statistique Canada sur les diplômés de 1995 et ce qu'ils sont devenus, enquête qui tend à corroborer étroitement les chiffres de l'Université de la Colombie-Britannique, et il y a aussi d'autres informations en provenance des diverses universités du Canada.
Je pense que cela devrait vous donner un bon point de départ. Naturellement, je peux suggérer aux membres du comité divers documents de référence pour compléter ces données, mais cela devrait être suffisant pour lancer la discussion.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Helliwell.
Monsieur Kesselman, vous avez la parole.
M. Jonathan R. Kesselman (professeur, Département d'économique; directeur, Centre de recherche sur l'économie et les politiques sociales, Université de la Colombie-Britannique): Merci.
J'ai déjà présenté à votre comité trois de mes études récentes sur les politiques que les pouvoirs publics devraient mettre en place pour stimuler la productivité au Canada. Elles portaient sur l'exode des cerveaux, l'imposition des gains en capital et l'impôt des particuliers. Aujourd'hui, je traiterai essentiellement du troisième de ces travaux, mais j'aimerais tout d'abord faire quelques observations préliminaires sur les politiques fiscales et l'exode des cerveaux. Naturellement, mon collègue, John Helliwell, a étudié cette question plus en détail et est certainement un expert plus qualifié que moi pour répondre à vos questions en la matière.
D'après les données recueillies jusqu'ici, l'exode des cerveaux qui se produit au Canada est relativement limité et concentré dans quelques secteurs; nous accueillons en fait, en termes nets, bien davantage de travailleurs spécialisés en provenance du reste du monde. Toutefois, nous ne pouvons fermer les yeux sur cette situation, surtout compte tenu de la difficulté croissante qu'ont les entreprises canadiennes à attirer et retenir des travailleurs hautement spécialisés.
Pour que notre économie croisse rapidement dans les secteurs de haute technologie, les entreprises canadiennes doivent non seulement retenir les compétences formées au pays, mais aussi embaucher des techniciens et des gestionnaires formés aux États-Unis. Lorsque les entreprises sont contraintes de verser des primes pour compenser le fait que les impôts sur les revenus des Canadiens sont plus élevés—ce qu'elles disent faire très souvent—elles doivent soit en absorber le coût, ce qui les rend moins compétitives à l'échelle internationale, soit se passer de ces compétences et voir leur croissance freinée.
Toutefois, comme je l'ai expliqué dans mon étude sur l'exode des cerveaux, qui est à la disposition de votre comité, il n'existe aucune pilule miracle, comme une forte baisse des impôts, puisque nous devons à la fois offrir des services publics suffisants et opportuns et instaurer un niveau de fiscalité acceptable. Une ponction fiscale trop lourde handicapera la croissance de l'emploi et la productivité et aboutira peut-être à une intensification de l'exode des cerveaux. Une ponction fiscale trop faible supposera une détérioration de l'infrastructure publique et une société plus mesquine, notre nation devenant alors une destination moins attrayante pour les entreprises, et les travailleurs et les gestionnaires talentueux.
Dans ce domaine, il y a une leçon évidente à tirer. Il faut axer les dépenses publiques en priorité sur les secteurs qui encouragent la productivité et l'atteinte des objectifs sociaux à l'échelon supérieur. Lorsque nous gaspillons les deniers publics en poursuivant des objectifs politiques ou régionaux, comme certaines subventions fédérales destinées à la formation et aux entreprises, dont vous avez peut-être discuté récemment à la Chambre des communes, nous n'effectuons pas les dépenses publiques productives en éducation, en soins de santé et en infrastructure qui sont essentielles, ou bien nous alourdissons plus qu'il n'est nécessaire le fardeau fiscal, si bien que les entreprises et travailleurs canadiens perdent de leur compétitivité. En bref, pour que le secteur privé soit compétitif, il faut un secteur public plus concurrentiel et plus concentré.
Je reviens maintenant au thème central de mon exposé, à savoir les politiques fiscales à mettre en oeuvre pour encourager la productivité et la croissance de l'économie canadienne.
La position de principe du gouvernement fédéral est qu'il faut réduire les impôts sur le revenu des particuliers plutôt que l'impôt des sociétés ou les charges sociales et répondre aux préoccupations des revenus faibles et moyens avant celles des revenus plus élevés. Cette approche peut être populaire, mais elle ne satisfait pas aux impératifs économiques d'une politique axée sur la productivité.
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Les politiques fiscales futures doivent comporter en priorité
des incitatifs axés sur l'offre pour assurer l'efficience et la
croissance de l'économie, les considérations propres à la demande
étant tout à fait secondaires. Il sera ainsi possible de donner
suite aux revendications en matière d'amélioration des salaires
réels à long terme, de possibilités de travail et de niveau de vie
au Canada.
Les interventions de la Banque du Canada visant à resserrer la politique monétaire signalent que la demande globale est désormais supposée être suffisamment dynamique, sauf dans certaines régions. Toute modification de politique fiscale dopant la demande des consommateurs donnera probablement lieu à un nouveau resserrement monétaire. En revanche, les politiques fiscales qui encouragent l'épargne transfèrent la demande finale de la consommation vers l'investissement, ce qui n'exerce pas de pression supplémentaire sur la demande et augmente à coup sûr la capacité productive de l'économie.
Le fait que les pouvoirs publics s'attachent essentiellement à l'impôt des particuliers et négligent l'impôt sur le revenu des sociétés et les prélèvements au titre de l'assurance-emploi semble tenir à une vue simpliste de ce que constituent les impôts. Ils voient l'étiquette plutôt que le contenu économique de ces impôts.
Le Canada compte beaucoup sur l'impôt des particuliers, quoique pas plus que les États-Unis, puisqu'il représente 38 p. 100 de l'ensemble des recettes, et relativement peu sur les charges sociales, comparativement à la plupart des pays, dont les États-Unis. Or, pour les travailleurs touchant un revenu faible ou moyen, l'impôt des particuliers et les prélèvements au titre de l'assurance-emploi constituent en fait des taxes sur le revenu du travail. Donc, maintenir les charges sociales à des niveaux artificiellement élevés—au-dessus de ce que nécessite le programme d'assurance-emploi—de manière à financer des réductions plus importantes de l'impôt des particuliers pour ceux qui touchent des revenus faibles et moyens est un compromis politique. Il maintient un taux d'imposition du revenu du travail très régressif dans les charges sociales, de manière à réduire l'impôt sur le revenu que paient les particuliers touchant des revenus faibles à moyens. Abaisser l'impôt sur les revenus des particuliers est plus populaire, mais du point de vue économique cela n'est guère différent.
Le gouvernement fédéral justifie également le fait qu'il ne veut pas procéder à des réductions plus rapides et plus fortes des charges sociales en déclarant que ce sont essentiellement les entreprises qui en bénéficieraient, puisque leurs cotisations déclineraient. Mais il ignore ce faisant l'incidence économique des charges sociales. Même si l'effet immédiat est de diminuer les coûts pour les employeurs, à plus long terme cet avantage touche essentiellement les travailleurs sous forme de salaires bruts plus élevés. Bien entendu, le gouvernement ne recueillera pas les avantages politiques de cette hausse du niveau de vie; il préférera donc poursuivre une politique fiscale qui lui permettra de voir son rôle reconnu plus directement.
La réticence des pouvoirs publics à réduire l'impôt des sociétés est elle aussi fondée sur le désir d'obtenir un avantage politique auprès d'un grand nombre de contribuables. La population en général n'appuie pas les baisses d'impôt des sociétés, pour la simple raison qu'ils ne comprennent pas les distorsions économiques résultant à court et à long terme d'impôts élevés ou faussés. Mais le gouvernement n'a aucune raison de ne pas donner suite à l'excellente analyse de son propre comité technique sur la fiscalité des entreprises ou aux recommandations plus récentes faites par le président du comité en faveur de baisses de l'impôt des sociétés fiscalement non neutres.
Pour améliorer l'efficience et la croissance de l'économie, il faut avant tout encourager davantage, par le truchement des politiques fiscales, l'épargne, l'investissement, l'esprit d'entreprise et l'innovation. Ces impératifs touchent plus les marchés de capitaux que les marchés de la main-d'oeuvre, mais, dans la mesure où ces derniers sont concernés, il s'agit surtout de la main-d'oeuvre hautement qualifiée et la mieux rémunérée, plutôt que des travailleurs peu spécialisés. Il faut donc chercher surtout à abaisser de manière raisonnée l'impôt des sociétés et l'impôt des particuliers, de façon à réduire les taux marginaux d'impôt les plus élevés, surtout dans la mesure où ils concernent l'épargne et l'investissement. Si l'on consacre à ces objectifs une portion importante de l'ensemble des revenus réservés aux mesures fiscales dans le budget de 2000 et des années ultérieures, il y aura des retombées économiques à long terme qui seront capitales pour le pays.
Pour ce qui est des sociétés, le changement le plus important à effectuer est de réduire le taux d'impôt de base que paient les entreprises qui ne font pas partie du secteur manufacturier et du secteur de la transformation, qui bénéficient actuellement d'un traitement préférentiel. Les secteurs les plus lourdement ponctionnés comprennent un grand nombre des secteurs de service de haute technologie et à forte croissance. Une fois que les règles du jeu auront été changées pour que tous soient sur un pied d'égalité, il ne sera plus nécessaire d'abaisser l'impôt des sociétés sous le taux que pratiquent les États-Unis. Cette mesure serait doublement valable, puisqu'elle aurait une incidence directe et indirecte sur l'économie canadienne, laquelle se répercuterait sur le secteur public sous forme de hausse des recette fiscales.
En ce qui concerne l'impôt des particuliers, les principales mesures à prendre si l'on veut améliorer la productivité sont les suivantes.
• 1555
Premièrement, il faut réduire les taux marginaux d'impôt pour
les revenus élevés et intermédiaires et relever fortement les
fourchettes de revenu auxquelles les taux marginaux d'impôt les
plus élevés s'appliquent, par la voie de changements au niveau
fédéral et provincial comme ceux proposés dernièrement en Alberta
et en Saskatchewan.
Deuxièmement, il faut abaisser le taux d'inclusion des gains en capital de 75 à 50 p. 100.
Troisièmement, il faut faciliter grandement l'accès aux régimes de retraite fiscalement avantageux.
Il est plus crucial de procéder à ces deux dernières mesures que de trancher dans le taux d'imposition des revenus élevés, car cela permettra de déplacer l'assiette de l'impôt des particuliers vers la consommation, ce qui encouragera l'efficience et sera porteur de croissance. Cela permettra également d'alléger considérablement les taux marginaux d'imposition des revenus de l'épargne et du capital ainsi que le fardeau fiscal global du capital-risque, des sociétés à fort potentiel de croissance, des entrepreneurs et des professionnels, techniciens et gestionnaires qui sont le plus susceptibles d'émigrer.
Une diminution du taux d'inclusion des gains en capital sera probablement peu onéreuse à court terme et pourrait même bien accroître les recettes. Les données relatives aux coûts à plus long terme, pour ce qui est des revenus, de cette mesure sont disparates, mais les coûts à plus long terme devraient être sensiblement moins élevés que ne l'indiquent les calculs statiques. Pour compenser les coûts ou les effets distributifs de cette mesure, on pourrait dans le même temps modifier ou réduire l'exemption actuelle de 500 000 $ à l'égard des gains réalisés sur des biens agricoles et des actions de petites entreprises. Ainsi, il y aurait une plus grande équité entre les contribuables.
On pourrait par ailleurs accroître l'accès aux plans d'épargne fiscalement avantageux soit en relevant la limite actuelle de cotisation aux régimes d'épargne à imposition différée, tels que les régimes de pension enregistrés et les REER, soit en instaurant de nouveaux plans d'épargne assortis d'un paiement anticipé des impôts, sur le modèle des Roth IRA américains.
Ce type de régime permettrait d'élargir l'accès à des plans d'épargne fiscalement avantageux à l'intention des hauts revenus pour un coût nul ou même négatif au départ, si l'on modifiait du même coup le plafond de cotisation aux plans à imposition différée. Cet accès pourrait également être beaucoup facilité pour les petits revenus. Il serait ainsi possible de réduire les impôts prélevés auprès des hauts revenus, lesquels ne peuvent cotiser autant qu'ils le pourraient, compte tenu du plafond imposé aux cotisations à ces régimes, ainsi que le taux marginal d'impôt sur le revenu à partir duquel ils épargnent.
Pour ce qui est des revenus inférieurs et moyens, les allégements fiscaux pourraient essentiellement prendre la forme de réductions plus rapides des charges sociales, jusqu'à ce que le taux de cotisation corresponde au niveau nécessaire à plus long terme pour maintenir le programme d'assurance-emploi. L'accumulation d'excédents massifs dans le compte de l'assurance- emploi est une invitation à dépenser en de nouvelles prestations sans devoir être soumis à l'examen budgétaire minutieux requis pour tous les nouveaux programmes de dépenses. Toute baisse supplémentaire d'impôt ciblant les petits revenus devrait viser le relèvement du seuil de revenu imposable, même si ce dernier a été légèrement majoré dans les deux derniers budgets fédéraux. Il faudrait également diminuer le taux d'impôt s'appliquant à la fourchette de revenus intermédiaires de manière à encourager cette catégorie de contribuables.
Les politiques fiscales prévues dans le cadre des prochains budgets devront rester axées sur les objectifs de productivité et de croissance. S'ils sont correctement utilisés, les revenus disponibles pour mettre en oeuvre des politiques fiscales devraient permettre d'améliorer grandement le rendement à long terme de l'économie.
S'il faut davantage de fonds que ce que le gouvernement fédéral est disposé à consacrer aux baisses d'impôt, il faudrait appliquer d'autres réformes visant à élargir l'assiette fiscale de l'impôt des particuliers. Ces dernières, notamment le traitement fiscal différent des indemnités d'accident du travail et l'abaissement des déductions au titre des intérêts qui dépassent le revenu de placement, devraient également améliorer l'équité entre les contribuables.
Il est indéniable que la mise en place des priorités fiscales suggérées ici exigera courage et leadership de la part du gouvernement fédéral. Ce dernier aura pour tâche d'éduquer le public sur les impératifs économiques d'une amélioration de la croissance et des niveaux de vie, tâche qu'il a déjà accomplie lorsqu'il était question d'éliminer son déficit.
Je suis encouragé de voir le gouvernement s'orienter dans les directions que j'ai suggérées ici, quoique de façon plus prudente et avec plus de contraintes budgétaires, à la lecture du rapport du Comité des finances de la Chambre des communes publié à l'issue de la table ronde sur la productivité ainsi que de son récent rapport sur le budget de l'an 2000. Il ne reste plus au gouvernement qu'à concrétiser ces idées de manière concertée et audacieuse dans ses prochains budgets.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Kesselman.
Je vais maintenant donner la parole à M. Harris, de l'Université Simon Fraser.
M. Richard Harris (professeur d'économie, Université Simon Fraser): Merci, et bonjour à tous. Je suis très heureux de pouvoir m'adresser à votre comité.
J'ai préparé quelques diapositives, mais il semble que nous n'ayons pas les moyens techniques suffisants pour les agrandir assez pour que vous puissiez les lire à l'écran. Je vais donc essayer de me faire comprendre en m'en tenant simplement à mes notes.
• 1600
Je vais me concentrer sur la question de la productivité
manufacturière au Canada et aux États-Unis. J'ai récemment
travaillé avec le Canadian Centre for the Study of Living
Standards, et organisé en janvier avec le professeur Jeff Bernstein
une conférence sur la question au cours de laquelle nous avons
présenté de nombreux résultats nouveaux des recherches en la
matière. Je voudrais donc souligner à votre intention les
principaux points de ces résultats.
Pourquoi l'écart de productivité manufacturière est-il si important entre le Canada et les États-Unis? Il y a diverses explications. Traditionnellement, c'est probablement le secteur sur lequel on a établi le plus de statistiques de productivité. C'est souvent ce secteur qui suscite le plus de curiosité dans les médias, et il est bien évident que dans le débat traditionnel canadien, compte tenu du fait que les États-Unis sont notre plus gros partenaire commercial, c'est lui qui retient toujours l'attention, et de très loin, pour toutes sortes de raisons. Il est exact aussi que des tas de gens ont leurs théories favorites sur l'interprétation à donner à un chiffre de productivité donné.
En substance, je vous dirais qu'il faut être très prudent lorsqu'on interprète ces chiffres et qu'on en tire des orientations politiques, bien que ce soit évidemment nécessaire en dernière analyse, et je vous ferai part de mes propres inclinations en matière de politique.
Je dois indiquer pour commencer qu'il est de plus en plus problématique d'insister sur le secteur manufacturier par opposition au secteur des services, étant donné la taille de ce dernier dans l'économie moderne et compte tenu du fait que par rapport au secteur manufacturier le secteur des services est de plus en plus considéré comme un intrant important. En fait, compte tenu de la réorganisation de l'économie, ce que l'on considérait autrefois comme élément du secteur manufacturier est bien souvent comptabilisé désormais comme activité de service. Voilà l'un des nombreux problèmes auxquels on est confronté.
Par ailleurs, les marchés mettent aujourd'hui l'accent sur les comparaisons internationales, c'est-à-dire que l'on s'intéresse aux comparaisons entre pays, ce qui soulève bien des questions difficiles, car malgré tous leurs efforts les bureaux de la statistique n'ont que des ressources limitées, et en définitive ils fonctionnent bien différemment.
Quelle est la situation actuelle du Canada en matière de productivité relative de la main-d'oeuvre? Nous disposons de chiffres nouveaux provenant d'une recherche en cours actuellement à l'Université de Groningen grâce à l'aide de l'OCDE, où l'on se sert de méthodes plus uniformes pour mesurer la productivité de la main-d'oeuvre, qui est désormais définie comme la valeur réelle ajoutée par chaque travailleur; les chiffres canadiens ne sont pas très rassurants. Si l'on considère les données recueillies à partir de 1960, la valeur ajoutée canadienne par employé s'établissait à 80 p. 100 du niveau américain. En 1973, elle passait à 84 p. 100, et en 1987, elle tombait à 77 p. 100 du niveau américain. En 1998, ce qui correspond aux chiffres les plus récents, l'application de la méthode de l'ICOP indique 69 p. 100 du niveau américain. Si l'on considère ces statistiques en valeur absolue, elles sont très inquiétantes, et l'on peut même prétendre qu'elles expliquent en grande partie le déclin du niveau de vie au Canada.
On remarquera cependant avec intérêt qu'un premier correctif important va consister à comptabiliser le fait que la productivité dépend du nombre d'heures de travail, et qu'une société peut choisir une journée de travail plus ou moins longue. Il se trouve qu'au Canada, je ne sais pas si nous avons choisi de travailler moins, mais nous travaillons moins. Si l'on regarde les chiffres de 1998, notre productivité par employé est à 69 p. 100 du niveau américain; sur une base horaire, nous ne sommes qu'à 75 p. 100 du niveau américain. C'est déjà en soi une différence importante que l'on constate en interprétant ces chiffres. Néanmoins, l'écart est bien réel, et il faut en tenir compte.
Si l'on regarde les données de l'ICOP sur certains secteurs particuliers, celles de 1997 pour le Canada et les États-Unis comprennent les secteurs suivants: alimentation, boissons et tabac; vêtements, produits chimiques, matériel électrique. Je reviendrai tout à l'heure sur le secteur du matériel électrique, car les données correspondantes pour le Canada et les États-Unis ont manifestement orienté récemment les débats, mais il est vrai que ce secteur revêt une importance historique.
Je voudrais maintenant parler un peu d'une question qui peut paraître terre-à-terre, mais il reste que je dois en parler, car tout est une question d'interprétation. Les chiffres de l'OCDE, comme ceux de l'ICOP, utilisent, pour établir leurs indices de productivité, la valeur ajoutée comme mesure de la production. Dans une recherche récemment terminée par Industrie Canada avec l'aide de Statistique Canada, où l'on utilisait ce qu'on a appelé les ensembles de données KLEMS, on s'est efforcé de tenir compte de l'étude de la productivité totale des facteurs. Cette façon de procéder supprime bon nombre des différences qui apparaissent dans les études de l'ICOP.
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Elle s'efforce d'utiliser la mesure de production totale et,
deuxièmement, de tenir systématiquement compte des différences dans
la façon dont les deux pays mesurent la charge en capital et la
somme de travail. Je vais évoquer séparément ces deux éléments,
mais en définitive le chiffre de la productivité, qui est censé
représenter l'écart d'efficacité technique entre les
pays—c'est-à-dire la productivité totale des facteurs—donne une
image notoirement différente de la productivité de l'industrie
manufacturière canadienne par rapport aux chiffres de productivité
de la main-d'oeuvre.
Je vous donne quelques exemples. J'ai composé ce tableau, et si nous regardons les chiffres de la productivité totale des facteurs pour le Canada par rapport aux États-Unis en 1995, où les États-Unis sont considérés comme représentant une valeur de un, nous trouvons un certain nombre de secteurs canadiens où la productivité totale des facteurs dépasse celle du secteur équivalent aux États-Unis. C'est notamment le cas du tabac, où l'efficacité technique est jugée deux fois plus grande, du raffinage du pétrole, avec 15 p. 100 d'efficacité en plus, et des véhicules automobiles, avec 7 p. 100 d'efficacité en plus. On remarque avec intérêt que l'équipement électrique, dont nous reparlerons tout à l'heure, indique seulement 2 p. 100 d'efficacité en moins par rapport au niveau américain.
Ce qui est remarquable, c'est que malgré une différence apparemment moins grande en matière d'efficacité technique totale ou de productivité totale, on note toujours une différence très importante en matière de productivité de la main-d'oeuvre. Les niveaux de productivité de la main-d'oeuvre, même après pondération au niveau des intrants et des extrants, sont toujours bien inférieurs aux niveaux américains.
Que faut-il en déduire? Que le problème tient non pas à un écart d'efficacité technique ou au fait que le Canada utiliserait une technologie inférieure ou une main-d'oeuvre moins bien formée, mais plutôt à la disponibilité d'autres intrants.
Je voudrais maintenant insister sur deux intrants particuliers et très importants, évidemment. Le premier concerne les heures de travail.
Si l'on compare les secteurs manufacturiers canadien et américain au cours des 20 dernières années, la différence la plus importante et la plus notoire concerne le fait que dans les usines américaines les ouvriers travaillent plus longtemps. En 1998, les ouvriers canadiens du secteur manufacturier travaillaient environ 37 heures par semaine, alors que pour la même année les ouvriers américains travaillaient 42 heures par semaine. C'est un écart systématique, qui s'est élargi depuis dix ans et qui persiste toujours.
On trouve un certain nombre d'explications à la persistance de ces écarts aux niveaux macro et microéconomiques, mais le facteur essentiel est indiqué par les études microéconomiques: si l'on prend un nombre donné d'employés auxquels on fait faire un plus grand nombre d'heures de travail, on obtient certains gains de productivité. En effet, la production par travailleur augmente davantage grâce aux heures supplémentaires ou à une journée plus longue de travail que par l'augmentation des effectifs. Évidemment, c'est là un élément essentiel du débat sur les mérites respectifs des formules américaines et européennes de travail dans le secteur manufacturier. Néanmoins, c'est une donnée incontournable, et toute explication de l'écart de productivité entre les différents pays doit en tenir compte.
L'autre différence, elle aussi tout à fait frappante, concerne le capital investi par travailleur. La productivité moyenne de la main-d'oeuvre peut augmenter soit à cause de l'augmentation de la productivité totale des facteurs, qui ne semble pas être une cause importante en l'occurrence, soit à cause d'une différence au niveau des capitaux investis par travailleur.
On remarque une différence essentielle entre les deux pays: dans le secteur manufacturier américain, le capital par travailleur a constamment augmenté, y compris au cours des années 90, alors qu'au Canada, malgré une augmentation importante à la fin des années 80, le capital par travailleur a diminué sensiblement de 1990 à 1996, tant en termes absolus qu'au niveau du taux de croissance.
À ce chapitre, les ordres de grandeur sont tout à fait saisissants. D'après l'OCDE, le capital par travailleur au Canada en 1998 ne représentait que 34 p. 100 de la valeur américaine correspondante. C'est là un chiffre auquel on ne peut pas sérieusement prêter foi, ce qui indique bien à quel point il est difficile de mesurer les capitaux. Mais il indique néanmoins qu'on note de sérieux problèmes du côté des investissements, et j'y reviendrai tout à l'heure.
• 1610
On note des choses curieuses dans les différences entre le
Canada et les États-Unis, notamment le fait que d'après les données
il semble que le secteur manufacturier canadien utilise des
intrants intermédiaires à un taux de croissance beaucoup plus
rapide que son homologue américain. Depuis dix ans, les intrants
canadiens appelés intermédiaires—on pense aux services ou aux
biens en transformation—ont augmenté à un taux 30 p. 100 plus
rapide que les intrants intermédiaires américains.
Il y a donc une différence marquée entre les deux pays, à laquelle on ne peut apporter aucune explication systématique. Il se pourrait que la sous-traitance ait été plus grande. Il se pourrait que la circulation des composantes entre les deux pays ait augmenté à cause de la plus grande spécialisation résultant du libre- échange, mais, quoi qu'il en soit, on note des différences très importantes dans les chiffres de la productivité, et ces différences ne sont pas sans conséquences.
Après avoir ainsi présenté le contexte de la situation actuelle, je voudrais mettre maintenant l'accent sur quelques explications éventuelles. Je ne prétends pas proposer d'explications définitives. Ce sont plutôt des hypothèses dont on pourra délibérer. Mais avant d'en venir à des considérations concernant les choix politiques, je crois qu'il est important de s'efforcer tout d'abord de résoudre ces questions.
Tout d'abord, la première question fondamentale porte sur les causes de cet écart vertigineux entre les deux pays en ce qui concerne les capitaux par travailleur, tant en chiffres absolus qu'au niveau des taux de croissance. On peut avancer à ce sujet deux explications. La première concerne la comparaison des prix, et j'y ai consacré un très joli tableau que je vais envoyer au comité.
Parmi les nettes différences observées entre les deux pays depuis 10 ans, on remarque l'évolution des prix relatifs des facteurs d'intrant, mis en relief récemment dans les travaux d'Industrie Canada et de Statistique Canada.
Si l'on remonte à 1979, on constate que l'emprunt de capitaux coûtait environ 20 p. 100 de plus au Canada qu'aux États-Unis. En 1995, l'écart était passé à 90 p. 100. Il s'agit là du coût de l'emprunt, et non pas du coût du capital. Il représente ce qu'on appelle en économie le coût d'utilisation, c'est-à-dire l'utilisation d'une unité de service sur le capital.
Les règles essentielles de l'économie nous indiquent qu'en présence d'un écart de prix aussi important il n'est pas étonnant de voir les capitaux remplacés par la main-d'oeuvre. C'est exactement ce qui semble s'être produit, alors que l'inverse était vrai aux États-Unis. Quelles qu'en soient les raisons, cette différence remarquable dans les prix relatifs des intrants fait partie intégrante de l'histoire concernant les écarts de productivité entre le Canada et les États-Unis.
En revanche, cette conférence a aussi permis d'établir que la situation n'est vraisemblablement pas aussi mauvaise que ne l'indiquent les chiffres de l'OCDE, tout simplement parce que le Canada et les États-Unis ont toujours utilisé des méthodes différentes pour évaluer le stock de capital national. En définitive, il semble que le Canada ait tendance à pratiquer un amortissement plus court que les États-Unis, ce qui a pour effet de réduire les estimations du stock de capital national au Canada.
Je ne prétends pas que les chiffres de Statistique Canada soient incorrects. Il se peut que ce que fait le BLS aux États-Unis soit incorrect, mais les deux services sont bien différents et produisent des résultats différents, que l'on a tendance à prendre pour argent comptant dans les études dont les médias se font l'écho. Ce sont là en fait des différences de méthode, et non pas des différences économiques fondamentales.
Je voudrais maintenant parler de deux secteurs de production précédemment mentionnés, à savoir le matériel électrique et les produits électroniques. Dans ces deux secteurs, l'avantage des États-Unis, selon les statistiques officielles, apparaît comme une différence notoire et persistante entre les deux pays. De 1989 à 1997, si l'on tient compte de la productivité totale des facteurs, et non pas de la productivité de la main-d'oeuvre, cette productivité totale des facteurs a connu aux États-Unis dans les deux secteurs en question un taux étonnant de croissance annuel de 13,26 p. 100, alors que ce même taux était de 4,68 p. 100 au Canada. Mais si l'on supprime ces deux secteurs de l'étude comparative de la productivité des deux pays, on remarque alors que les États-Unis ont connu un taux de croissance de la productivité négatif, tandis qu'au Canada le taux de croissance annuel de la productivité totale des facteurs atteignait le chiffre non négligeable de 2,17 p. 100. Il faut donc se demander si tout cela est bien réel.
Évidemment, ces deux secteurs sont ceux qui ont connu les plus forts taux de croissance, mais ils ne représentent qu'une partie relativement modeste du PIB américain, à savoir 1,2 p. 100. Néanmoins, ils ont eu un effet remarquable sur les statistiques. Que se passe-t-il donc?
• 1615
Les participants à la conférence ont eu droit à un exposé très
intéressant de deux employés du BLS responsables des méthodes
utilisées pour obtenir les chiffres de productivité. Ils ont parlé
de l'effet spectaculaire obtenu dans ces deux secteurs par le
passage à ce qu'ils ont appelé des méthodes hédoniques de
correction des changements dans les prix des ordinateurs. Les
Américains se préoccupaient du fait que les améliorations réelles
de productivité n'étaient pas mesurées dans les statistiques
officielles à cause du rendement des ordinateurs, dont la puissance
a augmenté considérablement, et ils ont donc commencé à corriger
les indices des prix.
Je voudrais vous montrer à quel point cet élément est important. Supposons que dans le secteur des ordinateurs et des semi-conducteurs on ait fixé le déflateur à 100 dans les deux pays en 1992. En 1995, le déflateur américain était de 49, tandis que le déflateur canadien était de 109. C'est toujours vrai dans les statistiques produites aujourd'hui.
Il en résulte que dans les chiffres annoncés, si l'on prend la même valeur nominale de production, les États-Unis ont déclaré une production réelle multipliée par deux, tandis que le Canada déclarait une diminution de 10 p. 100 de la production réelle. Cette différence statistique, qui n'a été modifiée qu'à partir de 1996—Statistique Canada s'est partiellement engagée sur la même voie—reste en réalité le principal facteur qui puisse expliquer l'écart entre les résultats canadiens et américains.
En attendant qu'on puisse résoudre ces problèmes de mesure, force est de constater que nous avons un problème de productivité de la main-d'oeuvre. Le problème est sans doute moins flagrant dans les secteurs de haute technologie pour lesquels on ne dispose pas encore de données complètes, mais ses effets ne s'en font pas moins sentir.
Je voudrais parler brièvement des autres éléments intéressants mentionnés à la conférence. On y a présenté des exposés sur des études spécifiques, l'une sur le secteur des produits chimiques, l'autre sur l'automobile. Il apparaît clairement que dans ces industries—les études portaient sur les grosses entreprises—on estime qu'il n'y a aucun problème de productivité, ce qui est tout à fait étonnant, compte tenu des données de l'OCDE, d'après lesquelles l'industrie canadienne des produits chimiques est en très mauvaise posture. Un cadre de la sidérurgie a prétendu qu'il n'y avait pas d'écart de productivité important au niveau des petites aciéries électriques entre le Canada et les États-Unis. Dans les faits, c'est une réfutation intéressante des statistiques officielles.
Pour ce qui est de la R-D, de nombreuses études y sont consacrées...
La présidente: Monsieur Harris, je suis désolée de vous interrompre, mais je voudrais savoir si vous arrivez à la fin de votre exposé.
M. Richard Harris: Oui.
La R-D ne semble pas apporter d'explication, pas plus que la transparence. Au niveau de la productivité totale des facteurs, on semble constater des effets de convergence traditionnelle. Dans la mesure où un problème semble exister, c'est un problème d'investissement, ce qui nous ramène aux commentaires de mon collègue, John Kesselman. S'il existe un problème d'investissement qui expliquerait l'écart de productivité de la main-d'oeuvre, il faudrait chercher l'explication dans les domaines de la fiscalité ou des taux de change.
Je vous remercie.
La présidente: Merci beaucoup.
Vous nous avez donné tous les trois une information très abondante, et nous allons avoir bien des questions à vous poser. Je tiens à signaler d'emblée qu'un vote est prévu à la Chambre à 17 h 30, si bien que nous avons environ une heure pour vous poser des questions avant le début de la sonnerie d'appel. Je demande à chacun d'en tenir compte aussi bien pour les réponses que pour les questions.
Monsieur Penson.
M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Merci, madame la présidente.
J'ai trouvé vos exposés très intéressants. Il y a pourtant une chose dont personne n'a parlé, dans tout ce débat sur la productivité, et c'est le rôle du remboursement de la dette. Je sais que Pierre Fortin affirme non seulement qu'il faut réduire les impôts, mais aussi qu'il faut rembourser la dette. J'aimerais avoir votre avis concernant l'effet d'un tel remboursement de la dette sur la productivité. Il me semble que le facteur de confiance doit être pris en considération, et la question de la dette y contribue.
L'autre sujet dont j'aimerais parler, au cours des quelques minutes qu'il me reste, concerne le taux de change entre dollars canadien et américain. Lorsqu'une entreprise canadienne veut rajeunir son équipement ou sa technologie, lorsqu'elle veut réinvestir, elle doit bien souvent acheter de la technologie et du matériel provenant des États-Unis ou de l'étranger, et donc s'exposer au taux de change. À mon avis, c'est là un élément important.
J'aimerais avoir votre opinion sur ces deux sujets, si vous le voulez bien.
La présidente: Monsieur Penson, votre question s'adresse-t- elle à nos trois témoins?
M. Charlie Penson: J'aimerais avoir l'avis de M. Kesselman et de M. Harris.
La présidente: On pourrait peut-être commencer par M. Kesselman.
M. Jonathan Kesselman: Le remboursement de la dette pourrait sans doute être un élément positif dans le cadre d'un programme général d'amélioration de la compétitivité et de la productivité. Diverses possibilités sont envisageables, notamment la réduction des taux d'intérêt à long terme et la plus grande disponibilité des capitaux. Évidemment, les capitaux se déplacent dans le monde entier au-delà des frontières, et il n'est pas si facile de s'en saisir.
Si le gouvernement diminue la dette publique, le secteur public aura moins tendance à accaparer l'épargne intérieure, qui pourra donc s'investir plus facilement dans l'industrie canadienne. Mais comme je l'ai dit, la fluidité des capitaux au plan international est telle...
M. Charlie Penson: Il n'y a donc pas de concurrence entre les investissements, si l'on veut. Est-ce bien cela? Ce sont les industries qui sont en concurrence.
M. Jonathan Kesselman: C'est exact.
Quant au taux de change, je voudrais vous donner ma réaction. Les deux autres témoins auront peut-être des précisions à apporter. À cause de la faiblesse de notre dollar, les industries canadiennes qui veulent acheter des capitaux étrangers ou qui doivent verser des redevances ou des droits pour l'obtention d'un permis doivent débourser plus de dollars canadiens. En revanche, le Canada est un gros exportateur à l'échelle mondiale, et un dollar faible nous rend plus concurrentiels pour vendre nos produits à l'étranger. Comme les capitaux nécessaires à la production de nos exportations ne constituent qu'un élément dans l'ensemble des coûts, la faiblesse de notre dollar améliore notre compétitivité, toutes choses restant égales par ailleurs. Même s'il faut débourser davantage pour les intrants de capitaux, nous obtenons davantage de dollars canadiens pour chaque objet vendu à l'étranger. Et ces ventes compensent largement l'inconvénient de l'obtention des capitaux. Mais je vais en rester là pour permettre à mes collègues de compléter l'explication.
M. Charlie Penson: Permettez-moi d'intervenir et de vous poser une question à ce sujet. Pour autant que je sache, le secteur manufacturier importe beaucoup de composantes des États-Unis. Notre produit final comporte donc de nombreuses composantes qui ne sont pas fabriquées au Canada et sur lesquelles le dollar américain a aussi une incidence. C'est bien vrai, n'est-ce pas?
M. Jonathan Kesselman: C'est vrai. Je veux simplement dire qu'en particulier dans le secteur de l'automobile, où la production des pièces est très spécialisée, nous en importons beaucoup, mais nous exportons des voitures complètes ou de plus gros ensembles qui comportent une certaine valeur ajoutée par la main-d'oeuvre canadienne. Encore une fois, les deux effets se compensent.
M. Charlie Penson: Bien.
La présidente: Merci.
Monsieur Harris.
M. Richard Harris: Tout d'abord, en ce qui concerne le remboursement de la dette, je pense que bien des motifs militent en sa faveur, mais la productivité n'en fait pas partie. Rien n'indique, à mon sens, que les pays qui ont un très faible niveau d'endettement soient nettement avantagés au plan de la productivité. Quelles que soient les vertus que l'on prête au remboursement de la dette, que ce soit l'équité entre générations ou autres choses, du moins au niveau d'endettement que nous connaissons actuellement, elles sont sans rapport avec les problèmes de productivité.
Pour ce qui est du taux de change, il n'y a aucun doute possible. Au cours des années 90, l'écart spectaculaire observé au niveau des capitaux et de la main-d'oeuvre entre les deux pays était manifestement dû à la dépréciation réelle du dollar canadien. Nous importons de grandes quantités de machines et de matériel.
Malgré la grande ouverture des marchés canadiens, la part des dépenses du Canada en machines et en matériel par rapport au PIB est de 11 p. 100 inférieure à ce qu'elle est aux États-Unis. En chiffres absolus, ce sont des résultats très décevants, mais si on les convertit en chiffres réels, on a un problème très sérieux.
Il est absolument certain que la dépréciation du taux de change a profité aux entreprises canadiennes en stimulant leurs exportations, mais elle comporte aussi un coût à long terme lorsque les entreprises veulent acquérir de nouvelles installations ou du nouveau matériel.
La présidente: Monsieur Helliwell, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. John Helliwell: Certainement. Pour ce qui est du remboursement de la dette, je reconnais avec Rick Harris qu'il n'est pas directement lié à la productivité. Cependant, on peut mentionner deux liens indirects. Tout d'abord, ce n'est qu'en réduisant considérablement son endettement que le gouvernement pourra acquérir la crédibilité financière nécessaire pour surmonter la prochaine récession qu'il devra affronter tôt ou tard, sans avoir à augmenter les impôts et en évitant d'aggraver la récession.
• 1625
L'autre argument, c'est que lorsque l'endettement diminue, il
devient possible de proposer des taux d'imposition inférieurs à
plus long terme, car aujourd'hui le tiers des recettes de l'État
servent à payer l'intérêt sur la dette. Dans la mesure où la
situation s'améliore, il devient possible de diminuer les taux
d'imposition à plus long terme. On peut dire aussi qu'un impôt
différé est un impôt plus important et à plus long terme.
En ce qui concerne le taux de change, on peut apporter une réponse étroite. Rick a fait remarquer à juste titre que les Canadiens ont plus de mal que leurs homologues américains à importer des capitaux, mais ce n'est pas tout à fait le cas, car les entreprises américaines acquièrent des capitaux au même prix que les entreprises canadiennes. En fait, les Canadiennes ont un avantage, car la main-d'oeuvre, qui se combine aux capitaux, leur coûte moins cher. Elles ont donc un avantage net sur leurs concurrentes américaines, même lorsqu'il s'agit d'acheter la même machine à Philadelphie.
La présidente: Merci, monsieur Penson.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente.
Merci, messieurs, pour vos excellents exposés.
Monsieur Helliwell, vous avez parlé des visas temporaires de 1995. Je pensais que vous alliez nous parler davantage des raisons pour lesquelles ces visas avaient été instaurés et de leur effet sur l'exode des cerveaux. Est-ce que ces visas temporaires avaient pour principal objet d'inciter les Canadiens à venir travailler aux États-Unis? Je ne suis pas sûr de votre conclusion à ce sujet.
M. John Helliwell: Tout d'abord, je n'ai pas analysé les origines de la mise en place de cette mesure, mais l'intention des autorités américaines était manifestement de faciliter le commerce dans le cadre de l'ALENA en stimulant les mouvements inter-frontaliers, qu'ils soient temporaires ou à plus long terme.
Je ne suis pas certain qu'on ait prévu des chiffres aussi élevés. L'augmentation du commerce de part et d'autre de la frontière depuis l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange a été plus forte que prévu. Il est sans doute vrai que cette activité commerciale a stimulé les migrations. Mais, en un sens, les statistiques fournies notamment par le recensement ne montrent qu'un nombre étonnamment réduit de déménagements définitifs ou à long terme liés au libre-échange.
On peut s'attendre à un grand nombre de migrations temporaires, mais, comme je l'ai dit dans mon exposé, une partie des titulaires de ces visas temporaires demandent un renouvellement de visa et prolongent leur séjour aux États-Unis, tandis que l'autre partie ne fait qu'un séjour de courte durée.
M. Walt Lastewka: Merci.
Messieurs Kesselman et Harris, vous avez parlé du dollar canadien et du fait que certains doivent payer plus cher à cause des redevances et d'éléments importés. Il y a en même temps un avantage pour le Canada. Avez-vous pris part à des études pour déterminer quel serait le seuil de rentabilité, c'est-à-dire à quel moment la faible valeur du dollar canadien devient un désavantage pour nous si cette valeur augmente? Y a-t-il un seuil de rentabilité pour le dollar canadien?
M. Richard Harris: Je vais essayer de répondre. C'est une espèce d'ensemble d'éléments homogènes pour l'ensemble de l'économie. Certaines industries peuvent être très rentables, compte tenu de la valeur actuelle du dollar canadien, parce que leurs coûts d'intrant sont calculés surtout en dollars canadiens et leurs recettes en dollars US. Les pressions s'exerceront à mesure que le taux de change augmentera. Par ailleurs, dans le cas, par exemple, des industries de haute technologie qui doivent acheter des logiciels et de la technologie, certaines seront avantagées par une augmentation de la valeur du dollar canadien et sont considérées comme concurrentielles surtout à cause de la qualité de leur produit plutôt qu'à cause de leur prix.
L'économie englobe tous ces genres d'activités. Une augmentation de la valeur du dollar va exercer des pressions sur les industries dont la compétitivité dépend des coûts et sera avantageuse pour les industries de la haute technologie et de l'innovation. Je ne peux donc pas dire qu'il existe vraiment un seuil de rentabilité tel quel. Il est bien évident maintenant que si la valeur du dollar augmentait à 80c. demain, bon nombre d'entreprises auraient des problèmes parce qu'elles n'auraient pas eu suffisamment de temps pour s'adapter.
M. Walt Lastewka: Vous avez utilisé le chiffre de 80c. Je vous signale que j'ai été administrateur de General Motors. Dès que le dollar atteint 79c., il y a beaucoup de panique du côté canadien; nous avons des problèmes à cause des paiements aux États-Unis. Vous avez parlé de 80c. Les entreprises canadiennes auraient-elles encore des problèmes si le dollar valait 79c. ou 80c. si elles comptent uniquement sur le dollar canadien pour être concurrentielles?
M. John Helliwell: Si je peux ajouter un élément de réponse, pour déterminer la parité du pouvoir d'achat, ou, autrement dit, le taux de change auquel les coûts s'équivalent dans les deux pays, on parle encore d'un peu plus de 80c., soit 82c., 83c. ou 84c. Cela dépend de la méthode utilisée. En moyenne, les entreprises canadiennes auraient encore des coûts concurrentiels si le dollar valait plus de 80c. Bien entendu, certaines seront concurrentielles si le dollar vaut beaucoup moins et cesseront de l'être s'il atteint 80c. Il y a toujours des exceptions. D'autres n'auraient pas plus de problème à tolérer le dollar à 90c. qu'un habitant de Vancouver à tolérer la pluie.
M. Walt Lastewka: Je voudrais parler maintenant du faible taux pour les machines et l'équipement par rapport aux États-Unis. Ce faible taux est-il dû au fait que nous continuons d'être un pays de filiales? Pourquoi les investissements dans les machines et l'équipement au Canada accusent-ils tellement de retard par rapport aux États-Unis? Vous n'avez pas donné la raison; vous avez mentionné un pourcentage de 11 p. 100, je pense, mais qu'est-ce qui explique ce manque d'investissements?
M. Richard Harris: Je pense qu'il y a toutes sortes d'explications, mais aucune n'est entièrement satisfaisante. Comme je l'ai dit tantôt, il y a, bien sûr, le changement de prix entre les deux pays. C'est beaucoup plus coûteux pour une entreprise canadienne d'acheter des capitaux plutôt que de la main-d'oeuvre. Cela devient un facteur élémentaire qui n'est pas sans importance, vu le taux de change.
Il peut aussi y avoir des raisons fiscales. Le code fiscal des États-Unis contient des dispositions particulières qui permettent un amortissement très généreux pour les machines et l'équipement. L'OCDE a publié récemment des chiffres à ce sujet qui sont très étonnants. Je ne sais pas s'ils sont vraiment exacts, mais c'est vrai que les Américains semblent favoriser l'investissement beaucoup plus que d'autres pays de l'OCDE dans les machines et l'équipement.
Enfin, il me semble que le début des années 90 a été assez particulier. Les conditions macroéconomiques et politiques qui ont touché le Canada au début des années 90, c'est-à-dire le changement dans la politique monétaire, la lutte contre le déficit et la crise politique, ont tous eu des conséquences remarquables et très négatives pour la confiance. Les données dont nous parlons maintenant reflètent une bonne partie de ce qui s'est passé au début des années 90, et c'est une chose qu'il ne faut pas oublier.
La présidente: Une dernière question, monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Au sujet de la mesure de la productivité de la main-d'oeuvre, je pense que c'est M. Harris qui a parlé de 1982, 1987 et 1998. On se plaint constamment du fait qu'on n'utilise pas les mêmes paramètres et que l'on compare des choses différentes. Il me semble que nous devrions maintenant nous entendre pour utiliser le même système qu'aux États-Unis, parce que les États-Unis ne vont pas changer, et nous n'allons pas de notre côté adopter un tout nouveau système. Nous devrions pouvoir comparer les choses au Canada aux choses aux États-Unis, vu que nous sommes voisins. Qu'en pensez-vous?
M. Richard Harris: Je suis d'accord. À mon avis, un bon résultat du récent travail effectué par Industrie Canada et Statistique Canada a été de faire beaucoup pour nous permettre au moins de produire quelques chiffres comparables. Ce n'était pas le cas des autres chiffres que j'ai mentionnés.
De façon générale, il faudrait pour cela affecter plus de ressources aux agences de statistiques tant au Canada qu'aux États-Unis. Les agences statistiques américaines ne sont pas nécessairement les meilleures du monde. Elles utilisent encore certaines méthodes de sondage très périmées. Même si nous pensons devoir toujours nous comparer aux Américains, on ne peut pas toujours dire que les Américains ont les meilleures pratiques possibles dans ce cas-ci. Cela cause un certain problème.
M. John Helliwell: Il faudrait signaler que les agences des deux pays collaborent déjà bien et que les choses continuent de s'améliorer. Surtout pour le commerce après la signature de l'Accord de libre-échange, on a essayé à maintes reprises d'utiliser les données primaires de chaque pays pour aider l'autre à faire des échanges de statistiques.
Les changements apportés par la suite à la façon dont les États-Unis mesurent leurs importations et leurs exportations, et surtout les exportations, sont beaucoup plus importants que les changements apportés aux mesures canadiennes. Et les écarts entre les chiffres des deux pays ont été ramenés beaucoup plus aux chiffres canadiens. Quant aux chiffres sur la productivité, j'imagine qu'il y a du jeu des deux côtés, ou du moins il devrait y en avoir.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Lastewka.
Monsieur Dubé, s'il vous plaît.
M. Antoine Dubé (Lévis-et-Chutes-de-la-Chaudière, BQ): Je vous ai écoutés attentivement. Au cours du congé des fêtes, je me suis employé à lire des documents sur cette question ainsi qu'à interroger des particuliers et des personnes dans des entreprises.
Il arrive que les études sur ce sujet soient incomplètes parce que, lorsqu'on parle de l'exode des cerveaux, on ne tient pas toujours compte de toutes les variables. Nous reconnaissons que, dans son ensemble, la fiscalité n'est pas aussi avantageuse pour les particuliers au Canada qu'elle ne l'est aux États-Unis. Cependant, on semble oublier les services qu'assume l'État, au palier fédéral ou provincial, notamment en matière de santé. J'ai voyagé aux États-Unis durant cette période et j'ai constaté que la plupart des gens devaient souscrire à des assurances-santé qui leur coûtent souvent très cher, comme peuvent en attester ceux qui n'ont pas les moyens de s'en munir. On ne semble que très rarement tenir compte de cet aspect.
Il y a aussi le problème du coût de la vie. Il n'en coûte pas la même chose pour acheter une maison à Québec et à Toronto que dans une grande ville américaine, que ce soit Atlanta ou Dallas. Quoique des gens soient souvent attirés par des entreprises américaines, ils se rendent compte, une fois rendus sur place et après avoir pesé tous les facteurs, qu'ils n'ont pas toujours pris une bonne décision.
Je parlerai maintenant des entreprises. Mes collègues ont parlé du taux de change, et on a constaté qu'il y avait à la fois des avantages et des inconvénients. Vous nous disiez que la semaine de travail était plus longue aux États-Unis, puisqu'elle compte 42 heures alors que la nôtre n'en compte que 38. Je reconnais qu'il est utile de nous comparer aux États-Unis parce que nous avons conclu un traité de libre-échange avec ce pays, mais il faut se rappeler qu'on estime que le peuple américain est celui qui travaille le plus grand nombre d'heures au monde et que sa moyenne dépasse même la moyenne japonaise. On semble oublier que nous sommes en concurrence avec d'autres pays que les États-Unis.
On a parlé de productivité et on compare souvent le nombre d'heures travaillées. Je crois me souvenir que M. Kesselman a insisté sur l'importance du capital pour la productivité. Que nous recommanderiez-vous à cet égard? Qu'est-ce que le gouvernement peut faire en ce sens?
Je pense en particulier à une industrie, celle de la construction navale. Cette industrie a beaucoup de difficulté à trouver le financement nécessaire à la construction de bateaux qui coûtent des centaines de millions de dollars. Sans nécessairement prêter de l'argent aux entreprises de construction navale, est-ce qu'un gouvernement ne pourrait pas recourir à des garanties de prêts ou à d'autres mesures du genre afin de leur permettre de s'autofinancer à longue échéance?
[Traduction]
La présidente: Vous posez la question à tous les témoins, monsieur Dubé?
[Français]
M. Antoine Dubé: Oui.
[Traduction]
La présidente: Qui veut commencer? Monsieur Kesselman.
M. Jonathan Kesselman: Je ne sais pas vraiment si j'ai dit quelque chose qui puisse vous aider à conseiller une industrie particulière comme l'industrie des chantiers navals des provinces de l'Atlantique. Peut-être que le Canada n'est tout simplement pas concurrentiel dans certaines industries, et l'industrie de la construction navale a traditionnellement reçu toutes sortes de subventions directes et indirectes du gouvernement pour survivre. Bien entendu, c'est aussi le cas dans d'autres pays.
Je ne peux pas vraiment répondre à votre question, mais je pense qu'il serait souhaitable, non pas particulièrement pour cette région ou pour les travailleurs de l'industrie de la construction navale d'une localité particulière, mais pour les travailleurs canadiens moyens, d'avoir un régime fiscal plus neutre, qui traite les diverses industries de façon plus équilibrée.
• 1640
À l'heure actuelle, l'impôt sur le revenu des sociétés
privilégie de façon relativement importante l'investissement dans
les industries de fabrication et de transformation et dans
certaines industries primaires. Ce sont les industries de
l'ancienne économie. Elles sont encore importantes pour le Canada
et elles le resteront, mais ce n'est pas dans ces secteurs qu'il y
aura le plus de croissance. Ce n'est pas là qu'il y a le plus de
connaissance. Ce n'est pas dans ces secteurs qu'il y aura
probablement le plus de croissance de la productivité, qu'il y aura
toute une gamme de nouveaux services, de logiciels, de matériel et
de nouveaux produits. Certains aspects de cette expansion touchent
la fabrication, mais bien d'autres ne la touchent pas.
Une entreprise qui ne fait pas partie du secteur de la fabrication, de la transformation ou des ressources primaires aura un taux d'imposition certainement plus élevé. C'est une chose que le Comité technique de l'imposition des entreprise que j'ai mentionné tantôt a examinée. Il s'agissait d'un comité établi par le ministère des Finances à Ottawa pour faire une étude approfondie des problèmes relatifs à l'imposition des entreprises du Canada.
L'une des recommandations les plus importantes du comité, avec laquelle je suis tout à fait d'accord, de même, sans doute, que la plupart des économistes canadiens des finances publiques, c'est qu'il faudrait égaliser les chances, c'est-à-dire qu'il faudrait réduire le taux d'imposition pour les autres secteurs de l'économie, y compris le secteur des services et celui de la haute technologie.
Si cela veut dire qu'il faut relever le taux d'imposition des secteurs de la fabrication et de la transformation, qu'on le fasse, mais si l'on songe maintenant de façon générale à réduire les impôts, on pourra peut-être opter pour une autre solution que le comité en question, à qui l'on avait dit de recommander des changements neutres sur le plan fiscal. Nous pourrions probablement simplement dire maintenant qu'il faut réduire le taux d'imposition sur le revenu de base pour les industries autres que celles de la fabrication et de la transformation pour faire en sorte que tous les secteurs paient le même taux, qui serait un taux plus faible que celui que paient bon nombre d'entreprises à l'heure actuelle.
La présidente: Merci.
M. Jonathan Kesselman: Cela n'aiderait probablement pas l'industrie de la construction navale, mais ce serait à l'avantage du travailleur moyen et du contribuable moyen à la longue.
La présidente: Merci.
Monsieur Harris.
M. Richard Harris: Je n'ai pas grand-chose à ajouter, sauf que, d'après ce que j'ai pu constater et ce qu'on a vu au Canada, les subventions industrielles sélectives n'ont pas été vraiment couronnées de succès. Je suis bien d'accord pour vouloir faire quelque chose pour aider l'industrie locale en accordant de telles subventions, et dans ce cas-ci il était question de subventions de capital, mais je dois dire que l'expérience n'a pas été particulièrement positive au Canada. Ce n'est donc pas une solution que j'envisagerais.
La présidente: Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Helliwell?
M. John Helliwell: Ce qu'on a dit au sujet des impôts et de la fuite des cerveaux était tout à fait exact. Ceux qui quittent le pays ne le font pas toujours pour payer moins d'impôt. Ils savent que les impôts servent à quelque chose et que, en moyenne, les pays où le taux d'imposition est plus élevé offrent aussi de meilleurs services publics. Ils optent pour le pays où les avantages s'équilibrent le mieux.
D'après les sondages menés auprès de gens bien instruits qui se sont établis dans un autre pays, les différences de taux d'imposition viennent d'habitude loin en troisième place, derrière les occasions d'emploi et les raisons familiales, comme motif de déménagement. Cela ne veut pas dire que nous ne voudrions pas un système d'imposition efficace, mais cela montre non seulement que la fuite des cerveaux ne représente pas un très grand nombre de personnes, mais aussi qu'elle n'est pas due surtout au régime fiscal.
La présidente: Merci.
Merci, monsieur Dubé.
Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib): Merci, madame la présidente.
Je voudrais poursuivre où vous vous êtes arrêté, monsieur Helliwell. Dois-je comprendre que vous n'êtes pas entièrement d'accord avec M. Kesselman, monsieur Helliwell? M. Kesselman a nettement préconisé un régime fiscal plus généreux pour les industries autres que celles de fabrication ou de transformation. Voulez-vous dire, monsieur Helliwell, qu'une entreprise qui songe à investir au Canada pour augmenter la productivité du pays ne serait pas nécessairement attirée par une réduction du taux d'imposition, mais peut-être bien par d'autres facteurs, pour avoir les avantages équilibrés dont vous avez parlé?
M. John Helliwell: Les entreprises qui investissent au Canada vont tenir compte du genre de services qu'elles obtiendront, du genre de localités où elles s'installeront, des niveaux d'instruction de la main-d'oeuvre, etc. Plus une société est bien partagée à ces divers points de vue, plus les gens voudront s'y établir ou y travailler.
• 1645
Vous ne pourrez pas facilement trouver un point de divergence
entre mes opinions et celles de John Kesselman sur la neutralité
fiscale, cependant. Je préconise un régime fiscal qui traite les
égaux de façon égale depuis au moins trente ans, et je n'ai
toujours pas vu de bonne raison pour changer d'avis là-dessus.
M. Dan McTeague: Monsieur Kesselman, pourriez-vous peut-être me donner une idée de l'avantage comparatif qui existe aux États-Unis en ce qui a trait au régime d'impôt sur le revenu des sociétés pour les nouvelles industries de technologie?
M. Jonathan Kesselman: Eh bien, je vais tenter de le faire.
De façon générale, l'impôt sur le revenu des sociétés au Canada n'est pas beaucoup plus élevé qu'aux États-Unis. En fait, si on compare des provinces particulières à des États particuliers, selon le secteur, on s'aperçoit que certains ont un traitement plus favorable au Canada qu'aux États-Unis, car nous n'avons pas seulement l'impôt fédéral sur les sociétés, mais aussi l'impôt provincial sur les sociétés. C'est semblable aux États-Unis. La plupart des États ont une taxe aux deux paliers.
Il y a peut-être des éléments ici où certaines choses peuvent être radiées plus rapidement aux États-Unis. Je ne suis pas un expert en la matière. Certainement, pour ce qui est du capital durable, comme le professeur Harris l'a dit, l'amortissement du capital durable, du capital fixe, est généralement plus rapide aux États-Unis qu'il ne l'est ici, ce qui est en quelque sorte un avantage pour une entreprise sur le plan des mouvements de trésorerie grâce à l'impact fiscal.
Pour ce qui est des autres coûts accessoires, je ne connais aucune différence majeure. De façon générale, il est vrai cependant que dans le secteur de la technologie, s'il n'est pas engagé dans la fabrication, les coûts seraient typiquement relativement plus élevés au Canada par rapport aux États-Unis. C'est quelque chose que nous pourrions corriger en abaissant le taux général d'imposition des sociétés au Canada au niveau actuel du secteur de la fabrication et de la transformation, ce qui aiderait alors les entreprises de haute technologie dont l'activité principale est la fourniture de services plutôt que la fabrication.
M. Dan McTeague: Merci.
Vous avez dit que dans le secteur pétrolier et dans l'industrie de l'automobile—j'espère avoir bien compris—la productivité de la technologie était plus élevée aux États-Unis qu'elle ne l'est au Canada. Je pense que vous avez parlé de 15 p. 100. Ai-je bien compris ce que vous avez dit précédemment?
Un témoin: En fait, c'est le contraire. Le Canada est plus productif que les États-Unis sur le plan de l'efficacité technique, mais pas pour ce qui est de la productivité de la main-d'oeuvre.
M. Dan McTeague: Dans ce cas, ma dernière question est la suivante: pourriez-vous nous illustrer l'impact du niveau de la propriété étrangère qui existe dans certains secteurs clés au Canada, particulièrement dans le secteur pétrolier et celui de l'automobile, puisque ces deux secteurs représentent les deux principales économies, pour ce qui est des provinces au Canada? Cela constitue-t-il de quelque façon que ce soit un obstacle qui nous empêche de concevoir ou de mettre en place des politiques qui pourraient améliorer la productivité, tant du point de vue de la main-d'oeuvre que du point de vue de la technologie? Considérez- vous cela comme des éléments inhibiteurs?
Je posais la question à tous les trois, si l'un d'entre vous veut bien y répondre.
La présidente: Qui veut commencer?
Un témoin: Quel est l'élément inhibiteur? L'existence de la propriété étrangère?
M. Dan McTeague: Le niveau de propriété étrangère et la décision peut-être de la part d'une société de ne pas investir au Canada à moins qu'il n'y ait suffisamment d'incitatifs, ou à moins qu'il n'y ait une société technique différente, peut-être beaucoup plus robuste, bien éduquée.
Je voudrais savoir si, parmi les industries qui ont été citées ici, celles du pétrole et de l'automobile, par exemple... Je pense que nous comprenons tous que dans le cas de l'automobile, d'où Walt et moi-même venons—pour ma part du côté japonais et pour sa part du côté américain—le niveau de prise de décisions qui pourrait aider à améliorer la productivité canadienne est de plus en plus déterminé par des entités qui se trouvent à l'extérieur du Canada, dont les intérêts sont bien différents de nos intérêts alors que nous tentons de mettre en place une politique gouvernementale dans le domaine de l'économie.
M. Richard Harris: Bien, je vois.
Ce sont là des préoccupations très légitimes. En fait, c'est le côté noir de la mondialisation de bien des façons. Cependant, cela n'est pas un nouveau problème pour le Canada. Nous sommes depuis très longtemps une petite économie ouverte par rapport aux plus grandes économies dans le monde. Pendant toute ma vie j'ai entendu parler du phénomène de la succursale d'une façon ou d'une autre. Il n'y a rien de nouveau.
• 1650
Je pense que nous pouvons dire deux choses. En fin de compte,
si l'on regarde l'expérience du Canada par le passé en général, la
propriété étrangère tendait plutôt à apporter des avantages sur le
plan de la technologie et de l'accès au marché. Il est difficile
d'imaginer qu'une économie de la taille de celle du Canada ne
puisse soutenir le genre de niveaux de revenus que nous avons sans
propriété étrangère.
Il est vrai également, naturellement, que les sociétés canadiennes ont été de gros acquéreurs de services et d'autres débouchés aux États-Unis et dans d'autres pays, et cela fait partie également de la mondialisation. Donc, du point de vue de la politique gouvernementale, je suis réellement convaincu que nous devrons vivre dans un régime de marché financier ouvert, du moins vis-à-vis des autres pays de l'OCDE. À mon avis, nous n'avons vraiment pas beaucoup de leviers au niveau de la politique gouvernementale qui nous permettent de remettre en question la propriété étrangère.
M. Dan McTeague: C'est très intéressant.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Helliwell.
M. John Helliwell: Je pense pouvoir ajouter quatre points, dont un est une nouvelle relativement bonne, tandis que les trois autres ne le sont pas autant.
Pour ce qui est de la bonne nouvelle, depuis le tout début, l'industrie de l'automobile est naturellement à propriété étrangère, et pourtant c'est l'un de ces secteurs où il n'y a absolument aucun écart et souvent certains avantages dans les entreprises canadiennes. La propriété étrangère n'a donc manifestement pas nui à cette industrie par le passé. Je pense que le secret, c'est que ce secteur a adopté un point de vue plus équilibré de son exploitation canado-américaine que la plupart des autres secteurs, ce qui a donné des résultats assez équilibrés sur le plan de la productivité.
Il y a cependant certains secteurs qui ont fonctionné derrière la barrière tarifaire au Canada. Lorsque l'ALE est entré en vigueur, et ils se retranchaient dans les années 90... et pour bien des raisons dont j'ai parlé récemment au sujet de la migration. C'est assez coûteux pour une entreprise américaine d'avoir un va- et-vient de ses employés dans un pays étranger. Si on a l'intention de fermer une usine, souvent il est plus logique de garder l'usine qui se trouve plus près, dans son propre pays. Un certain nombre de filiales canadiennes ont été fermées au cours de cette période. Si elles avaient été indépendantes au départ, elles auraient peut-être fait une rationalisation et se seraient réorientées vers le nouveau marché et auraient gardé une plus grande capacité au Canada, une capacité plus efficace.
Troisièmement, il est vraiment difficile d'expliquer pourquoi le Canada, qui a les incitatifs fiscaux les plus intéressants pour la R-D industrielle, a le pourcentage de R-D le moins élevé dans l'industrie parmi tous les pays du G-7. L'une des raisons que l'on donne parfois, c'est que souvent la R-D est une fonction de l'administration centrale que l'on garde près du bureau principal de la société mère. Le Canada, avec la part la plus importante de propriété américaine, en voit alors les conséquences.
Le dernier point, c'est que dans l'économie locale on craint que, par exemple, si les grandes sociétés locales axées sur la communauté sont reprises et que leurs bureaux principaux se retrouvent alors ailleurs, il ne soit plus difficile d'obtenir même participation locale communautaire qui permet d'avoir un bon rapport entre l'entreprise et la communauté dans laquelle elle fonctionne. Il est tout simplement plus difficile de le faire si la gestion n'est pas présente localement et n'est pas présente dans la communauté.
La présidente: Merci.
Monsieur Jones.
M. Jim Jones (Markham, PC): Merci, madame la présidente.
L'exode des cerveaux et l'exode des emplois: 4 p. 100 des Canadiens qui ont le revenu le plus élevé paient 16 p. 100 de l'impôt sur le revenu. Je crois que les 10 p. 100 qui ont le revenu le plus élevé paient entre 27 et 30 p. 100 de l'impôt sur le revenu. Ce sont ces gens qui partent aux États-Unis. Certains quittent le Canada pour un emploi plus rémunérateur, mais certains ne partent pas uniquement pour un emploi plus rémunérateur, mais ils amènent aussi leur emploi avec eux. Que faut-il faire pour garder ces gens ici?
M. John Helliwell: Plus l'écart fiscal est grand, plus il y a de migration liée à l'impôt. Or, l'un des principaux groupes à partir est en fait celui des déclarants qui ont un impôt sur le revenu élevé. Lorsqu'il y a des écarts fiscaux très importants, les gens peuvent partir pour des raisons fiscales. Cela n'a peut-être rien à voir avec le choix de carrière. Il est beaucoup plus probable qu'il s'agisse d'un mouvement de contribuables résidents.
De grandes différences de tranches d'imposition comportent un coût financier. Une forte mobilité entraîne des limites sur la façon dont le régime fiscal d'un pays peut se démarquer de celui d'un autre pays.
Comme l'incidence générale de ces différences sur la mobilité est relativement faible, il ne peut s'agir d'un facteur dominant lorsqu'on décide de la nature du régime fiscal d'un pays. Il n'est tout simplement pas vrai de dire que la mobilité peut forcer d'adopter une égalité entre les taux d'imposition et, essentiellement, les filets de sécurité des gouvernements et ce à quoi les taux d'imposition servent.
• 1655
L'écart actuel entre le Canada et les États-Unis est plus
élevé pour les niveaux supérieurs que pour les niveaux moyens.
D'ailleurs, cet écart joue de la façon contraire pour les niveaux
les moins élevés. Dans un sens, on peut dire que les valeurs
canadiennes correspondent davantage à un système d'impôt progressif
et de transferts qu'elle ne le font aux États-Unis. Les gens qui
aiment ce genre de société sont plus susceptibles de rester. Les
gens qui ne l'aiment pas ou qui ne veulent pas payer pour ce genre
de système sont plus susceptibles de partir.
Comme John Kesselman l'a fait valoir dans ses travaux, quand vous avez deux sociétés différentes, qui offrent des services différents et des styles d'imposition différents, qui ont des opinions différentes sur ce que le gouvernement devrait faire et comment il devrait le faire, on obtient des courants migratoires dans les deux sens. Des gens des deux pays vont partir à la recherche d'une communauté répondant davantage à leurs goûts. Cela dit, si, dans tous les pays, on retrouve un mouvement vers des taux d'imposition légèrement plus bas, il y aura peut-être un petit prix à payer pour ceux qui tirent trop de l'arrière.
M. Jim Jones: Si on songe aux revenus faibles, moyens et élevés au Canada, ainsi qu'aux taux d'imposition et aux tranches d'imposition qui s'y rapportent, comment tout cela se compare-t-il à ce qui se fait aux États-Unis, en ce qui concerne les revenus faibles, moyens et élevés?
M. John Helliwell: John, vous avez des chiffres plus précis que les miens à ce sujet.
M. Jonathan Kesselman: Je vais tenter de dire quelque chose d'utile. Pour les revenus les plus faibles, en général la combinaison des impôts et des divers crédits d'impôt, ainsi que d'autres paiements de nature sociale, est sûrement plus favorable au Canada qu'aux États-Unis.
M. Jim Jones: Un instant. Quelle est la définition d'un faible revenu au Canada, et où se situe la limite salariale, la limite de revenu pour chacun de ces niveaux?
M. Jonathan Kesselman: La chose est très subjective, bien sûr, mais je dirais que les gens qui gagnent jusqu'au revenu à temps plein moyen, qui se situe aux environs de 30 000 $ au Canada, ont à supporter un fardeau moindre qu'aux États-Unis. Bien entendu, les gens qui se situent au niveau le plus bas de cette catégorie ne font pas partie de la classe moyenne aisée, mais on ne les retrouve pas non plus chez les travailleurs à faible revenu.
Notre taux d'imposition marginal le plus élevé se situe à environ 60 000 $, selon les revenus des particuliers, et il se situe un peu plus haut pour la surtaxe touchant les revenus élevés, dans les provinces où on l'applique. Par conséquent, les niveaux d'imposition les plus élevés, ici, se situeraient vers les 60 000 $ à 70 000 $.
Aux États-Unis, le taux d'imposition fédéral le plus élevé se situe à, eh bien, autour des 200 000 $ américains, selon le revenu familial. On voit que c'est beaucoup plus élevé. Cependant, les taux d'imposition marginaux réels que vous payez une fois que vous êtes rendu au sommet ne sont pas vraiment différents de ceux du Canada, étant donné que la plupart des États ont également des impôts sur le revenu. Ces impôts ne sont pas aussi élevés que les impôts provinciaux d'ici, mais on les retrouve dans quelque 40 États.
Également, il y a les charges sociales. La composante assurance-maladie de l'impôt pour la sécurité sociale n'a pas de limite supérieure, ce qui fait que quelques points de pourcentage s'ajoutent. De plus, l'impôt de base sur la sécurité sociale, y compris l'assurance-maladie, s'élève à environ 80 000 $ américains, je crois. Le plafond, ici, se situe autour de 35 000 $ canadiens. Qui plus est, aux États-Unis, le taux des charges sociales s'établit à environ 15 p. 100. Ici, il va atteindre 9,9 p. 100 dans quelques années. Nous en sommes maintenant à 7 ou 8 p. 100.
Une fois qu'on commence à ajouter tous ces autres impôts, y compris l'impôt foncier pour des propriétés de valeur comparable dans bien des régions des États-Unis, impôts qui sont plus élevés que dans des régions semblables du Canada, et qu'on tient compte du tableau d'ensemble, de l'impôt sur le revenu des États et du fédéral aux États-Unis, et de la façon dont les charges sociales sont plus lourdes pour les revenus plus élevés aux États-Unis, dans ce cas, du moins dans certains domaines—par exemple, les frais d'utilisateur sont plus courants aux États-Unis—les différences ne sont pas aussi élevées qu'on le croirait à lire les journaux qui comparent simplement l'impôt sur le revenu fédéral américain et l'impôt sur le revenu canadien, où l'on ajoute les impôts fédéral et provinciaux.
M. Jim Jones: Si je regarde le secteur de la haute technologie au Canada et aux États-Unis, je vois que le PIB que le Canada tire de ce secteur s'établit à environ 20 p. 100. Aux États-Unis, environ 40 à 45 p. 100 du PIB vient du secteur de la haute technologie. J'aimerais établir un lien entre ces chiffres et l'investissement en capital. Est-ce que les taux d'amortissement au Canada diffèrent de ceux des États-Unis?
Également, si je regarde cet investissement en capital au cours des dernières années, et là où vous citez les 13 p. 100 comparativement aux 4,68 p. 100, est-ce qu'on peut dire que les investissements en capital, aux États-Unis, sont allés davantage du côté stratégique, comme dans les secteurs de la haute technologie, alors que le Canada en est resté en quelque sorte à investir dans les anciennes industries plutôt que dans les industries stratégiques? Ces chiffres pourraient être pires qu'ils ne le semblent.
M. Richard Harris: Il y a une différence entre regarder le secteur de la haute technologie sous l'aspect de l'utilisation des apports de haute technologie et le regarder, comme je crois que vous le faites, sous l'angle d'une de ces définitions de la haute technologie qui la décrit comme un amalgame d'industries qui tendent, soit à utiliser des travailleurs de haute technologie, soit à produire de la haute technologie.
Le gros des investissements dans les produits soi-disant de haute technologie va principalement aux ordinateurs et aux logiciels, et la plupart de ces produits sont utilisés dans le secteur des services. Si on regarde les choses sous cet angle, les pays ne diffèrent pas tellement.
Là où les deux pays diffèrent de façon considérable, c'est dans le fait qu'aux États-Unis, pour les produits électroniques et électriques, ainsi que pour les semi-conducteurs, qui sont des composantes des ordinateurs, la croissance de la production est beaucoup plus élevée qu'au Canada. Il s'agit donc d'une définition sectorielle.
M. Jim Jones: C'est ce dont je parle; je parle davantage de ce type d'investissements plutôt que des ordinateurs personnels et des ordinateurs au bureau. J'ai davantage en tête la robotique, les instruments. Pourquoi n'obtenons-nous pas une partie des investissements d'Intel pour des puces de mémoire ou des substrats, ou de grands circuits intégrés? Il semble bien que la majeure partie de ces produits se fait aux États-Unis.
M. Richard Harris: Eh bien, un des avantages de la mondialisation, c'est la spécialisation, bien sûr. Ce ne sont pas tous les pays qui vont nécessairement avoir une industrie du semi- conducteur. En vertu des avantages concurrentiels, les pays vont se spécialiser dans la production des choses qu'ils font le mieux. Le rendement économique et la croissance ne seront pas nécessairement améliorés si tout le monde se met à avoir une industrie du semi- conducteur. Je pense qu'il faut s'en servir comme une espèce de point de référence.
Est-ce à dire que le Canada a investi dans les mauvais secteurs? Je ne saurais vous répondre. Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'il est clair, selon les données récentes, que les États-Unis ont connu une croissance spectaculaire dans ces deux secteurs. Nous n'avons eu qu'une part plus petite du gâteau. Peut- être avons-nous commis une erreur. Seul le temps pourra nous permettre de le savoir.
Le fait que les instruments de politique publique ont également eu un effet dans ce domaine est une autre question intéressante. Là encore, il faudrait effectuer beaucoup de recherche.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Jones.
Monsieur Lastewka, avez-vous une autre brève question?
M. Walt Lastewka: Oui, j'ai deux questions.
L'industrie automobile et ses composantes jouent un grand rôle dans nos exportations, etc. Parfois, je pense qu'il faudrait séparer ces secteurs et le reste de la production du Canada, l'industrie de la fabrication, pour pouvoir bien comparer notre productivité. Quelle est votre opinion à ce sujet? Est-ce que le secteur automobile et le secteur des pièces nous empêchent d'avoir un tableau d'ensemble du secteur de la fabrication au Canada?
M. Richard Harris: Je ne vois pas pourquoi on devrait établir une distinction entre les deux. C'est simplement une question d'information. Il est toujours intéressant de savoir quelle est la productivité d'un secteur en particulier. Les composantes de la construction automobile se livrent à une concurrence pour l'utilisation des ressources avec d'autres secteurs de l'économie. Par conséquent, lorsqu'il s'agit d'évaluer le rendement de l'économie en tant que tel, la dernière chose qu'on voudrait faire serait de laisser de côté le Sud de l'Ontario.
Mais peut-être que j'interprète mal votre question.
M. Walt Lastewka: Non, je songeais au secteur automobile parce qu'il exerce une dominance si grande. Est-ce que cela nous permet d'étudier le secteur manufacturier de façon adéquate?
M. Richard Harris: Eh bien, il est certain que la très forte demande américaine, au cours des années 90, cet incroyable boom américain, qui, jusqu'à récemment, était avant tout provoqué par une hausse des dépenses de consommation, a été très profitable pour notre industrie automobile. On ne saurait en douter, devant la croissance stupéfiante de nos exportations. De toute évidence, cela a privé d'investissements d'autres activités, parce qu'on investit les ressources dans le secteur de l'automobile. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une mauvaise chose. Cela reflète simplement la façon dont l'économie utilise ses ressources de la manière la plus efficace.
M. Walt Lastewka: Pour ma deuxième et dernière question, madame la présidente, j'aimerais demander à M. Harris qu'il nous en dise un peu plus sur les heures travaillées.
Quand on compare le Canada et les États-Unis, on constate que ces heures s'établissent à 37 par rapport à 42. Qu'en est-il de la comparaison avec les heures travaillées en Europe, ou dans certains pays d'Europe? Il y a moins d'heures de congé et d'absence aux États—Unis. Est-ce l'absentéisme? Pourriez-vous nous donner certains faits qui expliqueraient cette différence?
M. Richard Harris: Une des possibilités, si on regarde une gamme plus étendue de pays, a peut-être trait au degré de syndicalisation. Comme vous le savez, le degré de syndicalisation est moindre aux États-Unis qu'au Canada. Cela pourrait être un des facteurs.
Je crois que dans les données combinées pour le Canada et les États-Unis—données qui comprennent les heures supplémentaires, les congés, et tout le reste—on retrouve un autre facteur dont je n'ai pas parlé. Il s'agit du fait que le Canada présente un nombre inhabituellement élevé de très petites entreprises au sein de son secteur manufacturier. La distribution de la taille de ces entreprises au Canada est très différente de celle des États-Unis. Cette situation a toujours été plutôt compliquée. Les statistiques pourraient bien refléter, en partie, la présence de ces petites entreprises dans l'échantillon total.
Si l'on songe à deux grandes usines automobiles, une à Oakville et l'autre à Detroit, je pense qu'on pourrait se demander s'il existe une différence importante entre les heures travaillées aux deux endroits. Je pense que cette différence n'est probablement pas aussi importante que les données le laissent entendre.
M. Walt Lastewka: Les dernières données montrent qu'il y a une différence, et elles montrent très clairement qu'aux États-Unis les employés des constructeurs automobiles prennent moins de temps en congé que leurs homologues canadiens.
Si je songe à mon expérience de l'Europe, où les travailleurs ont obtenu des lois sur les congés, etc., les heures de congé en Europe sont beaucoup plus élevées que celles au Canada. Évidemment, mes données sont peut-être un peu vieilles, et c'est pourquoi je me demandais si vous n'en aviez pas de nouvelles au sujet du Canada comparativement aux États-Unis et à l'Europe.
M. Richard Harris: Il est absolument vrai que les États-Unis ont encore des heures travaillées beaucoup plus longues dans le domaine de la fabrication qu'en Allemagne et en France.
M. Walt Lastewka: Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie beaucoup, monsieur Lastewka.
En tant que présidente du comité, je n'ai pas l'habitude de poser trop de questions, mais je vis dans le sud-ouest de l'Ontario, et j'ai grandi près de la frontière, ce qui fait que toute la question de l'exode des cerveaux me préoccupe parfois. Là où j'ai grandi, et là où je vis actuellement, il y a des Américains qui choisissent de vivre au Canada parce qu'ils considèrent qu'ils y trouvent une société plus sûre, et j'ai des voisins qui travaillent encore aux États-Unis, mais qui choisissent de vivre au Canada. Ces gens-là profitent, en quelque sorte, du meilleur de deux mondes, parce qu'ils n'ont pas à déménager pour avoir le type d'emploi qu'ils désirent.
Je ne suis pas sûre qu'il y ait vraiment un exode des cerveaux, quand je vois des gens... Je vais parler de la situation chez DaimlerChrysler, parce que c'est probablement celle que je connais le mieux. Cette compagnie a un très grand institut de recherche aux États-Unis, situé à environ une heure ou une heure 15 minutes de Windsor. Ils ont maintenant aussi des installations de recherche en partenariat avec l'Université de Windsor. Bien des étudiants en génie qui suivent le programme de travail-études à cette installation de recherche, à Windsor, finissent par se trouver un emploi à temps plein au Centre de recherches situé aux États-Unis. Pourtant, le chef de Chrysler aux États-Unis est actuellement un Canadien, qui vient de Windsor, et le chef de Chrysler Canada à Windsor est un Américain.
Je vois que les investissements qui sont faits et les décisions qui sont prises sont à l'avantage de Windsor quand je songe à l'usine de mini-fourgonnettes et que je me dis que la personne qui prend des décisions pour les États-Unis est, en réalité, un Canadien de Windsor. Pour l'usine de mini-fourgonnettes de Windsor et les Canadiens qui y travaillent, il s'agit d'une excellente nouvelle. Je ne considère pas qu'il y a là exode des cerveaux.
En fin de compte, est-ce qu'il y a quelque chose que je ne comprends pas dans les statistiques relatives à l'exode des cerveaux?
M. John Helliwell: L'un des arguments en faveur d'échanges plus faciles entre les deux pays, c'est que ce genre d'échanges permet de développer une espèce de compréhension de l'autre pays et de ses institutions, et permet au commerce et aux investissements de connaître plus de vigueur. L'exemple que vous nous donnez le prouve bien. À bien des égards, ce qui empêche peut-être le Canada d'obtenir une plus grande part de ce qui serait des occasions attrayantes, c'est le manque de connaissance qu'ont les Américains des occasions qu'offrent le Canada et ses institutions. Dans le contexte de Windsor, on voit davantage d'échanges à deux sens, et on comprend mieux tout le bien qu'on peut en retirer.
• 1710
Par le passé, quand nous n'avions tout simplement pas le
potentiel, en matière d'éducation supérieure, qui nous aurait
permis au niveau du doctorat d'obtenir de la recherche et de la
formation de qualité supérieure, il était tout à fait normal que
des gens aillent aux États-Unis ou en Europe pour recevoir leur
formation. Quand ils revenaient, ils ramenaient avec eux non
seulement l'éducation qu'ils avaient reçue, mais aussi une certaine
conscience qui leur permettait d'avoir une vision plus mondiale que
s'ils étaient restés au pays. Maintenant, du point de vue de
l'éducation, la circulation se fait davantage dans les deux sens,
mais elle produit encore le genre d'avantages dont vous parliez.
La présidente: Très bien. Maintenant, regardons un peu les emplois dont les salaires ne sont pas supérieurs, mais qui se situent plutôt dans ce que j'appellerais les revenus moyens, comme dans les sciences infirmières. Il y a toujours eu, surtout dans les communautés frontalières... Il y en a un autre exemple à Windsor, où l'on retrouve des installations de formation universitaire et un collège qui offrent tous deux des programmes en sciences infirmières.
Dans les hôpitaux de Detroit, on retrouve beaucoup de personnel infirmier canadien, jusqu'à 40 p. 100 dans certains hôpitaux. Il s'agit de Canadiens qui traversent la frontière et travaillent aux États-Unis, puis qui reviennent au Canada, qui ont choisi de vivre au Canada, mais de travailler aux États-Unis simplement parce que le système canadien ne peut absorber un grand nombre d'infirmiers ou d'infirmières pour une année donnée. Pourtant, ils veulent vivre au sein de la communauté où ils ont grandi et où se trouvent leurs familles. Il s'agit là d'une situation intéressante.
Lorsqu'on parle de ce qui se passe dans le secteur de la haute technologie, et que nous voyons des diplômés de l'Université de Waterloo, par exemple, qui se font embaucher immédiatement aux États-Unis, on peut se demander si nous avons des entreprises, au Canada, qui pourraient leur offrir des emplois.
M. John Helliwell: Eh bien, les statistiques que j'ai citées un peu plus tôt, et qui étaient tirées de l'étude sur le secteur de la haute technologie en Colombie-Britannique, tendent à montrer qu'en fait les migrations des États-Unis vers la Colombie- Britannique ont été plus élevées que les migrations de la Colombie- Britannique vers les États-Unis en 1998, et ce, de façon importante. Il est donc évident qu'il existe des occasions d'emploi et des entreprises qui attirent les gens au pays. Il y a autre chose que ce pôle d'attraction dont on parle tant, Silicon Valley.
La présidente: Bien.
J'ai une dernière question à poser, à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre. Quand on entend dire que les impôts ne devraient être ni trop élevés ni trop faibles, sait-on quel est le niveau optimal auquel ils devraient être fixés? Avez-vous des idées là-dessus?
M. Jonathan Kesselman: Dans une démocratie, le niveau optimal est déterminé par les représentants du peuple. Ce que nous pouvons faire pour notre part, nous qui sommes trois économistes universitaires, c'est de vous expliquer la situation et de tenter de vous faire voir à vous, membres du comité, quelles sont les meilleures façons de fonctionner pour un régime fiscal, combien coûtent à l'économie certaines caractéristiques du régime fiscal et comment améliorer celui-ci.
Ce n'est pas aux spécialistes de juger les avantages que présentent les dépenses de l'État. On peut bien discuter de ce qu'il en coûte de financer les dépenses publiques, pas seulement en termes de montant, mais aussi en évaluant la façon dont elles nuisent à l'efficacité et à la croissance de l'économie. Ces dommages sont inévitables, même dans le meilleur des mondes fiscaux. Mais ces désavantages doivent être évalués par rapport aux avantages qu'il y a à offrir des services publics et à aider les pauvres, peu importe la façon dont ils sont évalués par les électeurs et interprétés par les élus. Je ne sais s'il est vraiment possible de situer cette évaluation, qui évoluera au fil des ans dans un pays donné, et aussi d'une culture à l'autre et d'un pays à l'autre.
La présidente: Merci.
Nous savons à quel point vous êtes occupés tous trois, et c'est pourquoi nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui. Les membres du comité devront sans doute réfléchir à la question, relire les documents ainsi que votre témoignage d'aujourd'hui. J'ai entendu l'un de vous suggérer de rembourser la dette, alors que les deux autres ont estimé que ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire. Nous devrons donc relire avec soin votre témoignage.
Monsieur Harris, nous vous serions reconnaissants de nous faire tenir copie de vos acétates.
Merci à vous trois d'avoir pris le temps de comparaître. Vos propos seront très précieux pour nous lors de la rédaction de notre rapport. Merci d'avoir comparu.
La séance est levée.