INDU Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 février 2000
Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Je déclare la séance ouverte. Conformément au mandat que lui confère le paragraphe 108(2) du Règlement, le comité fait une étude relative à la productivité, à l'innovation et à la compétitivité.
J'ai le plaisir cet après-midi de présenter Thomas Brzustowski, du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, que nous connaissons tous sous le nom de Tom. Je vous souhaite la bienvenue.
M. Thomas A. Brzustowski (président, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'accueillir ici. J'espère que vous connaissez aussi notre organisation sous le sigle CRSNG, plutôt que sous son nom au complet, car il est très long et je sais que les gens ont tendance à s'embrouiller.
Je vous suis fort reconnaissant de m'avoir invité; je suis ici pour vous parler d'une seule question. C'est une question qui me tient à coeur. Il s'agit de la productivité, de la compréhension intuitive que nous en avons et de l'influence qu'elle exerce sur notre comportement en tant que particuliers et sur le comportement des grandes entreprises et de la nation.
Je trouve très intéressant de constater que la productivité est un concept que la plupart d'entre nous comprenons intuitivement mais qui, en même temps, polarise la discussion dans le débat public. Nous sommes tous convaincus, je crois, que nous avons avantage à être plus productifs dans tout ce que nous faisons, plutôt que moins productifs. En même temps, pour bien des gens—on le constate dans les résultats des sondages—les mots «productivité» et «augmentation de la productivité» ont des connotations négatives. On les associe habituellement aux pertes d'emploi, aux compressions et aux fermetures d'usines, bref rien de très réjouissant. C'est fort regrettable, mais il faut essayer de comprendre cette réalité et peut-être que l'on peut tenter de changer la situation en utilisant le mot différemment.
Pour ma part, je suis souvent très frustré quand je lis un article sur la productivité, parce que l'on dit que c'est une bien belle chose et l'on donne des chiffres et tout le reste, mais on n'en donne presque jamais de définition. On dirait que l'on s'attend à ce que le lecteur en connaisse la définition, mais pourtant, la définition qu'on en donne dans les journaux, par exemple, est généralement bien vague. C'est généralement la quantité d'un produit ou extrant quelconque par unité de coût ou unité d'intrant, et l'unité en question est le plus souvent la main-d'oeuvre. Il peut s'agir d'autre chose, mais les détails sont laissés de côté.
Dans mon très bref exposé, je voudrais proposer d'envisager la productivité d'une manière quelque peu différente. Un certain nombre de gens qui distinguent la nouvelle économie de l'ancienne disent qu'à une certaine époque, on pouvait mesurer efficacement le bien-être économique du pays en tonnes d'acier brut, en boisseaux de blé, en centaines de tonnes de soufre, en barils de pétrole, etc., mais qu'aujourd'hui, ces mesures ne sont plus satisfaisantes. En fait, ces repères n'ont jamais permis de faire de bonnes comparaisons parce qu'il fallait tout exprimer en un dénominateur commun, c'est-à-dire le dollar. Les services compliquaient un peu le tableau, parce que très souvent, le nombre d'heures travaillées ou même le nombre d'années-personnes consacrées à une tâche ne donnait pas une idée précise de la situation. Je trouve qu'il est beaucoup plus utile de tenir compte de la valeur des services fournis.
En fait, le seul argument que je veux apporter au comité est que l'on pourrait donner une bien meilleure définition de la productivité: la valeur de ce qui est produit, divisée par le coût de sa production. Que ce soit le coût de la main-d'oeuvre, le coût de la terre, le coût du capital ou tout autre coût, ce qui importe, c'est la valeur de ce qui est produit.
Je dois vous avouer d'entrée de jeu que je ne suis pas économiste. Je fais de mon mieux pour essayer de comprendre les concepts économiques, mais il m'apparaît très clairement que c'est en ajoutant de la valeur que l'on crée de la richesse. On ne peut pas créer de richesses sans ajouter de valeur. En fait, les économistes ont une définition de la valeur ajoutée qui débouche sur la création de richesses, à savoir que la valeur ajoutée est le revenu des ventes brutes moins le coût des intrants qu'il faut acheter, y compris le coût du capital utilisé. Cela permet de payer les salaires et les impôts tout en réalisant des profits, après avoir défalqué le coût du capital, profits que l'on peut utiliser pour payer des dividendes ou faire d'autres investissements, si la compagnie les conserve.
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Le simple fait de se livrer à une activité économique et de
produire ainsi de l'argent que l'on peut investir constitue à mes
yeux la création de richesses, même si nous utilisons couramment
cette expression que l'on définit rarement. Donc, si c'est la
valeur de ce qui est produit qui compte, il semble que ce soit tout
à fait conforme à une idée que l'on voit apparaître de plus en plus
souvent.
Dans les journaux financiers, dans les cahiers sur l'investissement, on dit que la valeur pour l'actionnaire est une notion fondamentale qui guide les décisions des conseils d'administration. Un important cabinet d'experts-conseils de New York appelé Stern Stewart a élaboré ce concept et je pense même qu'il a en fait enregistré comme marque de commerce le sigle VÉA, signifiant valeur économique ajoutée, dans lequel on tient compte du coût du capital utilisé, le coût de l'avoir propre. Ces gens-là ont également créé—et je pense qu'ils l'ont également protégé—le concept de valeur ajoutée du marché, qui sert à mesurer la performance des entreprises en termes de création de richesses.
Dans notre propre profession, celle des comptables, on va annoncer bientôt le lancement d'un projet visant à mesurer la création de valeur dans les entreprises, et non pas simplement la réalisation de la valeur à la fin de l'année. Dans tout cela, on met toujours l'accent sur le mot «valeur».
En termes très simples, je propose que nous pensions à la productivité—je n'en donne pas là une définition que je souhaite voir figurer dans les manuels—en termes de ce que nous produisons, divisé par ce qu'il en coûte pour le produire. À mes yeux, cette approche permet de jeter un éclairage neuf sur la productivité.
Autrement dit, il faut ajouter le plus de valeur possible à tout ce que nous exportons sur les marchés mondiaux; arriver sur le marché en premier en offrant de nouveaux produits et services qui répondent à un besoin et qui sont attrayants, c'est-à-dire des innovations; pouvoir fixer le prix, au lieu d'accepter passivement le prix déterminé par la loi de l'offre et de la demande; et par conséquent, faire tout ce que nous pouvons pour accroître la productivité, non pas simplement en réduisant le dénominateur de la fraction, mais en accroissant le numérateur, c'est-à-dire en augmentant la valeur de ce que nous produisons.
C'est vraiment tout ce que j'ai à vous dire aujourd'hui. Vers la fin de mon mémoire, je signale que l'innovation nous permet de fabriquer des produits ayant une plus grande valeur. Pour moi, c'est là que réside le lien entre la productivité et l'innovation. Si nous adoptons un concept de la productivité fondé sur la valeur, nous ouvrons la porte à la possibilité de fabriquer des produits d'une valeur de plus en plus grande, ce qui nous permettra de continuer d'accroître notre productivité, même si nous employons plus de gens et les payons mieux, au lieu de nous contenter de réduire le coût de production.
Je vais m'en tenir là, madame la présidente, et je me ferai un plaisir d'essayer, dans mes modestes moyens, de répondre à toutes vos questions sur ce lien entre la productivité et la valeur de ce qui est produit, et donc le lien entre la productivité et l'innovation. Il va sans dire qu'au départ, je pose comme hypothèse que les économistes ont raison quand ils nous disent que la hausse de la productivité est avantageuse. J'en suis fermement convaincu. Je pense que les données le prouvent.
J'ai rédigé un court document et mon intervention a été brève. Je serai maintenant ravi de me lancer dans une discussion avec les membres du comité, dans la mesure de mes compétences, et j'essaierai peut-être de répondre à certaines questions ou peut-être de soulever de nouvelles questions auxquelles il faudra répondre. Merci beaucoup.
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Merci beaucoup, monsieur Brzustowski. Nous allons maintenant passer aux questions.
Monsieur Riis, vous avez la parole.
M. Nelson Riis (Kamloops, Thompson et Highland Valleys, NPD): Merci beaucoup, madame la présidente.
Tom, je vous remercie beaucoup de votre exposé très intéressant.
Vous avez identifié l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans cette discussion au sujet de la productivité, soit que la plupart des gens—dont bon nombre de gens que je rencontre—pensent que la productivité passe par la réduction des effectifs, la baisse des salaires, et ainsi de suite, pour que le pourcentage soit le plus bas possible. J'ai beaucoup aimé vos observations, car elles nous mettent, je crois, sur une piste intéressante.
• 1540
En fait, selon vous, il faut faire en sorte que le Canada
fabrique—et je paraphrase—des produits haut de gamme pour que ce
chiffre soit le plus élevé possible. Pourriez-vous nous donner un
exemple? De toute évidence, sur les marchés internationaux, nous
livrons concurrence à d'autres pays dans le domaine de la
fabrication de produits haut de gamme. Pouvez-vous mentionner deux
choses: une marchandise qui est un succès de gamme supérieure et
qui permet d'augmenter cette valeur et également, ce que vous
appelez dans votre mémoire une «innovation», où là encore nous
livrons bataille sur le marché haut de gamme contre des concurrents
internationaux?
Ces questions sont-elles claires?
M. Thomas Brzustowski: Oui, elles sont claires, mais cela ne veut pas dire qu'il soit facile d'y répondre.
Permettez-moi de vous donner deux exemples de produits à valeur ajoutée, d'innovations fondées sur des matières premières. Dans un cas, je sais que l'industrie canadienne a tiré profit de la valeur ajoutée et dans l'autre, nous exportons la matière première, nous importons le produit à valeur ajoutée et nous le payons plus cher. Nous payons une prime pour ce produit.
Prenons le nickel, qui est une matière première. La société Inco produit du nickel. Il y a plusieurs années, au cours d'une visite d'un laboratoire d'Inco à Mississauga, j'ai assisté à une démonstration d'un processus qui permettait à l'entreprise de produire de la mousse de nickel, qui sert d'ingrédient dans les accumulateurs au nickel-cadmium rechargeables. Cette mousse de nickel, qui coûte très cher la livre, était exportée vers des fabricants japonais d'accumulateurs au nickel-cadmium, au lieu d'exporter simplement le nickel brut. À mes yeux, c'est un exemple d'un produit à valeur ajoutée fondé sur une matière première. Le processus et ce produit en particulier ne constituaient pas une innovation; ils sont venus remplacer quelque chose qui existait déjà sur le marché.
L'exemple suivant me fait sourciller quelque peu. Nous exportons de la pâte de bois, une matière première. Nous devons accepter le prix qui nous en est offert sur le marché mondial car un grand nombre d'autres pays peuvent également exporter de la pâte de bois. Par ailleurs, nous importons souvent des marchandises comme des filtres spécialisés à forte valeur ajoutée ainsi que des matériaux absorbants fabriqués à partir de cette pâte au moyen de processus relativement simples. Mais ces produits sont fabriqués à partir d'une matière première que nous exportons en grande quantité.
Ainsi, dans le premier cas, nous avons su saisir l'occasion et dans l'autre, non.
Pour moi, l'innovation se définit comme un nouveau produit ou service qui est lancé sur le marché. Une innovation canadienne excellente, pour prendre un exemple très visible, est le dispositif de pile à combustible que produit la société Ballard.
Toutes les innovations ne sont pas issues de la recherche. Certaines innovations découlent simplement du savoir-faire, de l'expérience ou de la capacité de résolution de problèmes. Certaines innovations émanent d'une nouvelle perspective dans un marché, de la production d'un service ou d'un produit relativement simple dont il se trouve qu'on a besoin. Certaines innovations peuvent être lancées sur le marché simplement parce que quelqu'un a acheté un élément de technologie et s'en est servi.
J'espère que cela répond d'une certaine façon aux questions.
M. Nelson Riis: Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Riis.
Monsieur Lastewka, vous avez la parole.
M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie beaucoup de votre exposé.
Encore une fois, vous nous forcez à réfléchir à un autre niveau sur la façon dont nous souhaitons améliorer les choses. J'estime que vous avez éclairé un concept qui est très mal compris, soit la productivité et la formule dont il convient de se servir pour la mesurer. Je vous ai entendu réitérer à maintes reprises que nous devrions concentrer nos efforts sur la valeur de ce qui est produit et que dans le contexte de la R-D, il faut aller au-delà de la matière première. Nous exportons énormément de matières premières dans le monde et nous importons les produits finis. À une époque, on jugeait important qu'à défaut d'assumer la responsabilité intégrale du produit, on en assume 10 ou 20 p. 100 au moins, pour avoir davantage de valeur ajoutée.
Comment faire pour transmettre le message à tous les intéressés? Comment livrer le message au sujet de la productivité? Vous avez mentionné l'aspect négatif des pertes d'emplois, des fermetures d'usines et du sabrage dans les coûts. C'est toujours ce qui semble retenir au premier chef l'attention des gens. C'est ce dont on parle dans les journaux. On rapporte combien de personnes ont perdu leur emploi, ou combien de conteneurs de moins quittent le Canada ou quoi que ce soit. Comment faire comprendre au milieu scientifique et aux médias ce qu'est la valeur ajoutée?
M. Thomas Brzustowski: C'est une question à la fois difficile et capitale. Commençons par le terme «valeur». Une chose a-t-elle une valeur en soi ou a-t-elle une valeur uniquement en fonction du prix que quelqu'un est prêt à payer sur le marché? Je ne suis pas philosophe. J'ai tendance à croire que la valeur d'une chose est fonction du prix que les gens sont prêts à offrir sur le marché. Il y a donc le critère du marché.
Dans le domaine des matières premières, où les fournisseurs peuvent venir de n'importe où dans le monde, il n'y a pratiquement pas de différence entre les produits et le prix est déterminé par l'offre et la demande mondiales. Nous n'avons pas d'autre choix que d'accepter ce prix. Cependant, pour qui fabrique un produit unique—et il n'est pas toujours nécessaire qu'il soit fondé sur la recherche, mais je reviendrai à la question de la recherche tout à l'heure car c'est très important—, un produit dont les caractéristiques particulières sont convoitées, et que les gens sont prêts à acheter à un prix qui couvre les coûts de production et de R et D tout en vous laissant une marge bénéficiaire intéressante qui vous permettra de développer la prochaine génération, il y a possibilité de créer des emplois, de fixer le prix; votre comportement sur le marché est alors tout à fait différent.
D'abord et avant tout, je dirais aux hommes et aux femmes d'affaires canadiens—et j'expliquerai pourquoi dans un instant—qu'ils devraient tenter de pénétrer les secteurs où ils peuvent obtenir pour leurs produits un très bon prix et des marges bénéficiaires intéressantes sur le marché mondial. Pourquoi mentionner expressément les gens d'affaires canadiens? Tout simplement parce que j'ai eu une fort mauvaise surprise à la lecture du premier rapport annuel qu'a publié récemment le Conference Board du Canada sur l'innovation. On y signalait qu'en comparaison avec les États-Unis, dans les conseils d'administration des sociétés et dans les bureaux de direction, le pourcentage des PDG canadiens qui considéraient l'innovation comme un défi dans leur propre secteur s'établissait à 12 ou 13 p. 100 par rapport aux Américains qui affichaient, eux, un pourcentage de 70 p. 100. Cela représente un fossé navrant.
À mon avis, c'est un groupe qu'il faut cibler. Je voudrais que disparaisse cette idée que nous sommes satisfaits d'être des bûcherons et des porteurs d'eau. Si cette idée pouvait passer au folklore ou, mieux encore, à la légende, je m'en réjouirais car je n'aime pas que l'on nous considère ainsi. Lorsque le dollar canadien monte et descend comme un yo-yo en réaction aux actions de quelqu'un d'autre, par exemple lorsqu'une banque décide de vendre une partie de ses réserves aurifères... L'or étant une matière première et le dollar canadien étant lié aux matières premières, il souffre de cette association. En réalité, ce lien est extrêmement ténu, mais il est gravé dans l'esprit des commerçants. Nous devons changer notre image.
Je reviens maintenant à votre question sur la recherche. Bien que ce ne soient pas toutes les grandes innovations couronnées de succès sur le marché qui dépendent de la recherche, un grand nombre en sont tributaires. Celles qui le sont produisent quelque chose d'entièrement nouveau et qui n'a jamais existé auparavant—le laser, le transistor, etc., ainsi que toutes les applications du génie génétique, que ce soit dans le domaine des soins de santé ou dans d'autres domaines. Les choses qui n'existaient pas auparavant, qui sont tout à fait différentes des services ou des produits déjà offerts découlent de nouvelles connaissances et de nouvelles intuitions, et c'est là où brille la recherche.
Le CRSNG publie un ouvrage, dont j'enverrai volontiers des exemplaires au comité pour qu'il les distribue, qui recense 111 entreprises canadiennes dont la fondation est attribuable à une recherche fondamentale non ciblée qui a été effectuée sur une période de 20 ou 30 ans sans le concours de l'industrie et qui a donné naissance à des produits, des marchandises et des services dans de nombreux domaines.
Prenons l'exemple de la recherche en mathématiques. Deux universités à Montréal ainsi que l'École des hautes études commerciales de l'Université de Montréal ont donné naissance à deux sociétés qui vendent des logiciels de préparation d'horaires pour des sociétés de transport ainsi que des sociétés ferroviaires publiques dans le monde. Une autre entreprise vend des logiciels d'ordonnancement aux fins de l'affectation des employés des sociétés aériennes internationales. Ces applications sont attribuables à des travaux de recherche mathématique et ont donné des emplois à des centaines de titulaires de doctorat. C'est un service qui n'existait pas auparavant, mais qui a été rendu possible grâce à la recherche.
• 1550
La recherche fondamentale fait naître les idées qui débouchent
sur ce que j'appelle les innovations radicales, des choses
entièrement nouvelles. En partenariat avec l'industrie, la
recherche ciblée fait du travail très important pour résoudre des
problèmes qui ne peuvent être résolus avec les connaissances
actuelles et pour améliorer des procédés et fabriquer de nouveaux
produits, mais tout cela se fait à l'intérieur d'entreprises
établies. Ce sont deux activités complètement différentes, mais
elles ont toutes les deux leur place.
J'espère que ces précisions contribuent à répondre à la question. Il s'agit de questions très difficiles.
La présidente: Dernière question, monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Merci, madame.
J'en suis conscient, car beaucoup d'entre nous se débattent avec cette question depuis maintenant longtemps. J'en ai une certaine compréhension parce que, comme je viens de l'industrie, je sais que c'est un domaine qui est très mal compris, comme vous l'avez signalé. Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment nous pouvons amener les quotidiens à mieux comprendre ce qu'est la productivité.
M. Thomas Brzustowski: Eh bien, je pense qu'il faudra rien de moins qu'un effort concerté. Nous l'avons fait il y a quelques années au sujet de l'exercice physique, grâce à notre programme ParticipACTION, et il en est résulté un essor des activités de loisirs, de l'exercice physique, etc. Il faudrait des gens qui s'y connaissent beaucoup plus que moi en communication pour monter une campagne destinée à infléchir l'opinion publique, mais il faut notamment montrer que les Canadiens sont suffisamment compétents et intelligents pour ajouter beaucoup de valeur à des produits que le monde entier voudra acheter. Cela nous permettra de créer des emplois plus nombreux et plus intéressants.
La présidente: Monsieur Riis.
M. Nelson Riis: Puis-je soulever un rappel au Règlement?
La présidente: Un rappel au Règlement? Allez-y.
M. Nelson Riis: J'ignore si c'est vraiment un rappel au Règlement, mais il m'est venu une réflexion inspirée de cette dernière réponse. Peut-être qu'il faut trouver un nouveau nom. Tom a évoqué le programme ParticipACTION. C'était un nouveau nom qu'on n'avait jamais entendu auparavant et c'est devenu une sorte de symbole dans notre pays. Peut-être qu'il faut remplacer le mot productivité par quelque chose d'autre pour amener les gens à voir les choses différemment.
Voilà, c'est ce que je voulais dire en guise de rappel au Règlement.
La présidente: Je crois que c'est plutôt une déclaration, mais passons.
Monsieur Jones, vous avez la parole.
M. Jim Jones (Markham, PC): Je vous remercie de votre exposé, Tom, mais j'essaie encore de comprendre exactement ce que vous dites. Par exemple, je comprends la notion de valeur ajoutée. Prenons une cargaison de bois d'oeuvre embarquée à bord d'un navire à Vancouver sous forme de billots bruts qui, pendant la traversée, sont transformés et arrivent au Japon sous forme de produits finis. C'est de la valeur ajoutée. Au lieu de le faire faire à bord du navire, nous devrions le faire au Canada parce que c'est ce processus qui crée des emplois. L'autre exemple est celui des matières premières qu'on expédie au Japon, par exemple le minerai de fer, et qui nous reviennent sous forme de produits finis.
Je comprends que c'est ce que vous voulez dire par «valeur ajoutée». Mais je passe ensuite à la valeur pour les actionnaires ou à la capitalisation boursière et je me demande si c'est un bon indicateur. Par exemple, il y a à peine quelques jours, quelqu'un a dit ici que la capitalisation boursière d'une firme de Vancouver est de six milliards de dollars alors que les revenus sont d'un million de dollars. Je crois que c'est une entreprise qui oeuvre dans le secteur des modifications génétiques.
J'ignore comment nous pouvons voir les choses sous cet angle, parce que je crois que certaines de ces compagnies de haute technologie commencent en fait à capitaliser un potentiel de connaissances intellectuelles qui peuvent déboucher ou non sur la fabrication d'un produit. Les gens ne rentreront peut-être jamais dans leur argent et j'ai donc énormément de difficulté à comprendre exactement ce que vous voulez dire.
M. Thomas Brzustowski: Eh bien, je vous remercie de me poser cette question, car elle me donne l'occasion d'apporter des précisions.
La compagnie que vous décrivez correspond à ce que certains appellent une compagnie pré-profit, qui ne réalisera peut-être jamais de profits. Si j'ai mentionné ce point, c'était uniquement pour donner à entendre que je ne suis peut-être pas une voix qui crie dans le désert.
Il y a bien des gens qui discutent de divers aspects de la valeur. Vos exemples de valeur ajoutée sont tout à fait justes. Prenons le cas d'une compagnie de Calgary qui communique par l'Internet avec des clients du Japon qui peuvent concevoir leurs propres maisons en ligne; du bois d'oeuvre précoupé aux dimensions requises est expédié à partir de Calgary dans des conteneurs et tout est réglé. Nous ajoutons beaucoup de valeur au bois d'oeuvre, énormément de valeur, et c'est un merveilleux exemple. C'est vraiment de la valeur ajoutée.
• 1555
Je ne voulais pas laisser entendre que je préconise d'adopter
l'avoir des actionnaires comme une sorte de slogan, parce que je ne
m'y connais pas suffisamment dans ce domaine. Tout comme vous, j'ai
entendu des histoires assez étranges, par exemple des sociétés qui
ont fermé leurs portes parce que le terrain qu'elles occupaient
valait à un moment donné plus cher que leurs profits de plusieurs
années, mais elles ont agi ainsi sans réfléchir aux perspectives à
long terme ni aux personnes en cause. Tout ce que je dis, c'est que
les gens parlent de plus en plus de la valeur. C'est tout ce que je
dis. Or, si les gens en parlent de plus en plus, pourquoi ne pas
les amener à discuter de la productivité?
M. Jim Jones: Je comprends la valeur ajoutée et je dirais que du point de vue canadien, nous avons notre bonne part des ressources naturelles du monde. Si le Canada voulait tenter de passer de... Je persiste à dire que nous sommes un pays de ressources naturelles. Tout au moins, notre pays continuera d'être en grande partie fondé sur les ressources naturelles. Que suggérez-vous? Nous voulons passer à l'industrie du savoir, mais cela ne va pas créer tous les emplois qu'il nous faut au Canada. Que devrions-nous faire de nos ressources naturelles pour y ajouter de la valeur?
M. Thomas Brzustowski: Je pense que les notions de valeur ajoutée et d'innovation ne sont pas limitées aux industries de haute technologie, quoiqu'elles soient extrêmement actives et très visibles dans ce secteur. Mais il est possible d'innover. Supposons par exemple que quelqu'un achète sur le marché une scierie automatisée et commence à produire du bois précoupé ou à fabriquer de nouveaux produits quelconques qu'il ne pouvait pas fabriquer auparavant. On ajoute ainsi de la valeur sur place, au Canada, et cette valeur ajoutée sert à payer des impôts, à verser des salaires et à produire des profits pour les investisseurs.
Ce peut être aussi simple que quelqu'un dont la mère faisait de très bons sandwichs et qui achète une machine à envelopper les sandwichs pour se lancer dans ce secteur d'activité; ou bien ce peut être quelqu'un qui travaille dans le domaine scientifique et qui s'empare de la toute dernière invention, rassemble les idées émanant de six ou sept laboratoires différents, invente une nouvelle façon de fabriquer quelque chose ou carrément un nouveau produit, le fait breveter, et passe ensuite à autre chose, peut-être en fondant une compagnie dérivée. Il y a une foule d'activités possibles. Mais à mes yeux, l'idée selon laquelle la valeur ajoutée est le montant brut des ventes moins ce qu'on a payé pour les intrants et pour le capital, parce qu'il faut payer aussi pour le capital, et que le montant ainsi obtenu sert à payer les salaires et les impôts et à distribuer des profits, est, à mes yeux, une idée phare qui devrait nous guider dans notre réflexion.
Mais je ne suis pas un expert. Je serais bien incapable de trouver un meilleur nom pour désigner la productivité et ne comptez pas sur moi pour rédiger un message populaire susceptible de convaincre les gens de s'orienter dans cette direction. Je dirais toutefois qu'intuitivement, je trouve qu'en mettant l'accent sur la valeur, nous ouvrons la porte à de nombreuses possibilités qui n'existent pas si l'on cherche seulement à fabriquer toujours le même produit en plus grande quantité au moindre coût.
M. Jim Jones: En existe-t-il à votre connaissance des exemples dans le milieu de la recherche? Existe-t-il une technologie qui, si elle était appliquée de façon concertée au secteur pertinent, nous permettrait de créer beaucoup d'emplois et d'ajouter beaucoup de valeur à un produit quelconque, qu'il s'agisse de matières premières ou d'aliments naturels? Pourriez-vous nous donner des exemples de secteurs où le Canada n'agit pas assez énergiquement, que ce soit par des programmes d'encouragement comme la fiscalité ou quoi que ce soit d'autre, pour forcer les gens à s'orienter dans cette direction?
M. Thomas Brzustowski: Je vais répondre à cette question de deux manières. Je vais vous donner un exemple d'un secteur où nous sommes en fait très forts et où nous progressons rapidement et dans des directions étonnantes, et je vais vous donner ensuite un exemple de certains obstacles qui empêchent de commercialiser beaucoup de résultats de la recherche, si vous le voulez bien.
Le premier secteur est celui de la robotique. Notre pays a fabriqué le Canadarm. Nous sommes très bons en robotique. Grâce à un investissement fait par PRECARN, dont il a été question dans le budget d'hier, on va passer à l'étape trois de la diffusion de la robotique et de la technologie dans ce domaine. On se lance dans des domaines comme l'extraction minière à distance, qui est beaucoup plus sûre, ou encore la robotique dans la salle d'opération, qui permet de faire une intervention chirurgicale sur un coeur qui bat, sans avoir besoin de l'arrêter. Et il y a une foule d'autres applications entre les deux. Les Canadiens sont excellents en robotique et c'est un domaine dans lequel nous commençons graduellement à passer de la technologie pure à la commercialisation de certains produits. Je pense que c'est ce dont nous avons besoin.
• 1600
Dans beaucoup de domaines où la recherche universitaire fait
naître des idées qui semblent brevetables parce qu'elles semblent
constituer une percée dans un domaine quelconque, nous sommes
confrontés, comme beaucoup d'autres pays, à la situation où l'on
commence par investir dans la technologie pure sans qu'il y ait la
moindre demande du marché. Ce qu'il faut faire, c'est,
premièrement, se rendre compte que l'on a sous la main un projet
susceptible d'avoir un impact et d'intéresser le marché, et
deuxièmement, savoir le vendre aux investisseurs. Ce qu'il faut,
pour commercialiser un produit fondé sur la recherche, c'est de
l'investissement, des capitaux privés; le montant nécessaire peut
être bien des fois et même des milliers de fois le montant qui a
été investi à même les deniers publics dans le projet de recherche,
et l'on s'aperçoit qu'il est fort difficile de trouver de pareilles
sommes.
C'est un jeu qui est tout aussi incertain que l'était au départ le projet de recherche. Quand on s'entretient avec des gestionnaires de R-D des grandes entreprises, on s'aperçoit que même pour eux, qui travaillent dans un environnement où l'on est déjà réceptif, il y a encore beaucoup d'incertitude.
Par conséquent, si nous avions plus facilement accès à des capitaux et si l'on pouvait prendre des décisions plus rapides en matière de capitaux, qu'il s'agisse de l'argent fourni par des personnes qui croient aux projets ou par des investisseurs providentiels, c'est-à-dire qu'il y a d'abord apport de compétences, après quoi les familles hypothèquent leur maison, puis les voisins et des personnes retraitées de la localité ajoutent leur grain de sel et leur écot, et l'on finit par amasser des fonds suffisants pour commercialiser des produits—si tout cela était plus facile, nous aurions de meilleurs résultats. Je n'ai pas d'expérience personnelle en la matière, mais c'est ce que j'ai entendu de la part de bien des gens.
M. Jim Jones: Si l'on compare la recherche que nous faisons au Canada à celle que l'on fait, disons, aux États-Unis, je pense que l'on peut probablement dire sans trop de risque de se tromper qu'aux États-Unis, beaucoup plus de grandes entreprises font de la recherche tandis qu'au Canada, l'essentiel de la recherche se fait probablement dans des établissements financés par le gouvernement. Je peux me tromper. Combien de temps faut-il pour que la recherche que nous faisons au Canada débouche sur un produit, et combien de temps s'écoule-t-il aux États-Unis entre l'investissement et la commercialisation d'un produit? Savez-vous pourquoi? Je ne sais pas lequel des deux est le plus rapide. Mais si ce sont les États-Unis, pourquoi?
M. Thomas Brzustowski: Je comprends la question et j'espère que les échanges permettront d'ajouter à ce que j'en sais.
Le temps qu'il faut, à certains égards, dépend beaucoup du secteur d'activité. Dans l'industrie des communications et de l'information, tout bouge tellement vite, surtout dans les compagnies qui sont déjà bien établies, que le fait d'arriver sur le marché six mois avant les concurrents donne un avantage appréciable. Bien souvent, on ne prend même pas le temps de faire breveter le produit.
Par contre, si vous avez trouvé une nouvelle molécule qui peut servir à fabriquer un médicament, les essais cliniques et les processus d'approbation peuvent prendre 15, 16 ou 17 ans. Cela peut prendre énormément de temps.
Voici comment je vois les choses. Le secteur privé fait de la recherche qui est absolument de premier ordre au Canada, mais nous n'en avons pas beaucoup. Nous avons des laboratoires de recherche publics qui sont absolument de très fort calibre au Canada, mais nous n'en avons pas beaucoup non plus. C'est pourquoi nos dépenses brutes consacrées à la R-D divisées par le PIB donnent un ratio d'environ 1,6, tandis qu'un petit pays comme la Suède a un ratio deux fois plus élevé et que la Finlande s'en rapproche; pour leur part, les États-Unis ont un taux supérieur à trois qui augmente constamment.
Là où nous sommes compétitifs par rapport aux pays avec lesquels nous commerçons, c'est dans la capacité de nos universités de faire de la recherche. Nous avons un nombre comparable d'étudiants, des ratios étudiant-professeur comparables, et un nombre comparable de professeurs. À ce chapitre, nous sommes dans la même ligue. Résultat: il se trouve que le Canada est en tête pour deux résultats statistiques: une plus grande partie de notre recherche industrielle se fait dans les universités, en comparaison de tous les autres pays du G-7, et une plus grande partie de la recherche universitaire est financée par l'industrie au Canada que dans tout autre pays du G-7. Simplement parce qu'ils se connaissent mutuellement et qu'ils sont présents, cette interaction est plus prononcée au Canada que dans les autres pays.
Nous ne faisons pas assez de recherche. Une étude que j'ai faite sur la commercialisation des résultats de la recherche a fait ressortir avant tout que les professeurs universitaires canadiens ont beaucoup moins de temps à consacrer à la recherche que leurs homologues américains, et lorsqu'ils ont en main un produit commercialisable, les décisions relatives au financement sont beaucoup plus lentes dans notre pays qu'aux États-Unis. Parce que les États-Unis ont une masse critique plus importante, il y a là-bas des gens qui se spécialisent dans les divers produits et qui savent exactement ce qu'il faut faire aux diverses étapes du développement. Ici, nous avons des gens qui sont beaucoup plus généralistes en raison de leur mandat.
La présidente: Merci, monsieur Jones.
Monsieur Murray, vous avez la parole.
M. Ian Murray (Lanark—Carleton, Lib.): Merci, madame la présidente.
Monsieur Brzustowski, on dirait bien que vous êtes venu ici aujourd'hui dans un état d'esprit assez philosophique. C'est du moins l'impression que j'ai eue quand vous avez commencé votre intervention. Par conséquent, au lieu d'entrer dans les détails de la productivité, je voudrais revenir à cette suggestion que vous avez faite quand vous avez dit que nous devions changer notre image. Je pense que c'est ce que vous avez dit. Vous avez discuté avec M. Lastewka d'une campagne publicitaire semblable à celle de ParticipACTION pour amener les médias à comprendre ce qu'est la productivité.
Permettez d'abord que je précise quelles sont mes idées à ce sujet. Je ne crois pas que nous aurions beaucoup de résultats si nous tentions de former les médias.
Vous avez, selon moi, raison de dire que nous devons changer notre image. J'ai toujours pensé que si l'on pouvait changer l'image du Canada pour le présenter comme un pays beaucoup plus excitant, il en résulterait des conséquences considérables débordant de loin le développement économique et allant jusqu'à, disons, l'unité nationale. Par exemple, si les Québécois voyaient le Canada anglais comme l'un des lieux les plus passionnants de la planète, ils seraient moins enclins à s'attacher à leur rêve de la souveraineté parce qu'ils voudraient faire partie de cette entité tout à fait spéciale. Quand une équipe canadienne de soccer remporte un match de la Gold Cup, par exemple,—ce qui arrive de temps à autre—cela nous excite passablement.
Au sujet de toute cette question de l'augmentation de la productivité, vous avez évoqué la crainte de perdre des emplois et les connotations négatives du mot «productivité», mais il s'agit essentiellement de la crainte du changement, qui existe probablement dans toute société. Peut-être qu'au Canada, on a tendance, sinon à craindre davantage le changement, du moins à appuyer ceux qui craignent le changement, peut-être à leur détriment. Je donne l'exemple des mineurs de charbon du Cap-Breton que l'on garde au travail même après que la mine de charbon n'est plus rentable, ce qui peut en fait être nocif pour leur santé, pas seulement pour l'économie de cette région du pays. Il arrive souvent que les gouvernements interviennent et que les décideurs s'imaginent venir en aide à leurs compatriotes ou faire ce que l'électorat attend d'eux, ce qui nous pousse, dans les affaires publiques, à prendre certaines décisions qui ont peut-être des conséquences négatives.
Voici où je veux en venir: comment pouvons-nous récompenser les gens qui innovent? Nous en avons vu je crois quelques exemples dans le budget d'hier, même si les mesures étaient peut-être assez étroitement ciblées. Si nous voulons devenir une société novatrice, faut-il administrer une sorte de traitement de choc au système canadien? Malheureusement, on fait souvent de grandes choses après des périodes de guerre ou de privation, quand les gens ont faim et qu'il leur faut absolument innover pour que leur vie retrouve son cours normal et qu'ils connaissent de nouveau la prospérité. En ce moment, le taux d'épargne est très bas parce que nous nous sommes faits une petite vie bien tranquille et que nous dépensons tout l'argent que nous gagnons. C'est un phénomène qui se manifeste non seulement au Canada, mais dans tout le monde occidental.
Voici donc ma vraie question: comment pouvons-nous créer et stimuler ce désir d'innover? Je pense que la presse suivrait et qu'il ne faut pas lui demander d'amorcer le mouvement. Comme il faut exercer un attrait sur les gens, faut-il utiliser la carotte ou le bâton?
M. Tom Brzustowski: Je vous remercie de cette question. Elle m'apparaît beaucoup plus philosophique que ma propre démarche, qui est plutôt axée sur la plomberie, pour ainsi dire.
N'est-il pas intéressant de constater que lorsque les Canadiens agissent en tant que consommateurs, non seulement ils recherchent les produits novateurs, mais ils les portent aux nues. En musique, en littérature, dans le divertissement, dans les automobiles qu'ils achètent et les vêtements qu'ils portent, les Canadiens transforment en héros les auteurs et les concepteurs des produits qu'ils achètent.
Mais on dirait que cette attitude s'arrête à la porte de l'usine ou de l'entreprise. Nous n'accordons pas le même statut de vedette à ces gens-là. C'est vraiment très intéressant. J'ignore comment expliquer ce comportement. Mais peut-être y a-t-il là des leçons que nous devrions saisir et méditer. Combien de Canadiens chercheraient délibérément à acheter la mode de l'année dernière, combien d'entre eux ne tiennent pas à posséder le tout dernier disque de leur vedette favorite, combien préfèrent lire seulement de vieux livres et laissent de côté les ouvrages les plus récents de la littérature canadienne, qui sont en fait acclamés non seulement partout dans le monde, mais aussi dans notre propre pays, ce qui est tout à fait extraordinaire? Si nous pouvions accorder la même admiration à nos scientifiques, à nos gens d'affaires qui sont novateurs, aux ingénieurs, aux concepteurs qui doivent nécessairement contribuer à l'élaboration de tout nouveau produit...
• 1610
Je ne sais pas comment nous devons nous y prendre, mais peut-être qu'un
bon point de départ consisterait à cerner clairement le
problème. La condition limite n'est pas un public insensible à
l'innovation, mais plutôt un public qui réagit de façon
extravagante à l'innovation dans d'autres domaines. J'ignore
comment on peut tabler sur cette situation, mais j'adorerais qu'on
me l'explique.
M. Ian Murray: Vous traitez tous les jours avec des gens extrêmement intelligents. Vous êtes vous-même une personne intelligente, mais vous côtoyez un groupe de gens qui constituent l'élite intellectuelle de la société au Canada. Nous avons tous assisté à des soirées, des dîners et des remises de prix du CRSNG et nous avons vu ces gens-là, qui sont extraordinaires. Quand vous leur parlez des problèmes de ce genre, si jamais vous en avez l'occasion, et que ces gens-là ont l'occasion de braquer leur intelligence vive sur ce problème, ressentez-vous une certaine frustration dans leurs commentaires sur les difficultés de faire avancer les choses au Canada?
M. Thomas Brzustowski: Il s'agit d'une communauté dont l'une des valeurs est que l'on ne doit pas se mettre en évidence, faire sa propre publicité. On est reconnu par ses pairs pour le travail que l'on fait et l'on est mis en nomination pour des prix, mais on n'en fait pas la demande.
Ce sont des gens très timides et en retrait et bien peu d'entre eux sont de bons communicateurs. Nous avons eu la chance d'en rencontrer un bon nombre à l'occasion des petits—déjeuners Bacon and Eggheads, mais ce n'était qu'un petit échantillon. Dans ce milieu, la timidité et la modestie sont des valeurs qui sont tenues en haute estime. Quelqu'un doit le faire à leur place, quelqu'un qui comprend quelles sont leurs réalisations, quelqu'un qui comprend le public, quelqu'un qui peut faire de la vulgarisation dans le meilleur sens du terme.
M. Ian Murray: Je manque de temps et je vous pose donc carrément la question: comment célébrer leurs mérites? Disons que nous, au gouvernement, voulions faire de ces gens-là des étoiles dans notre firmament, à l'égal de ceux qui écrivent des romans ou produisent d'autres oeuvres. Des médailles d'or seraient-elles suffisantes ou bien faut-il créer une chaire portant leur nom à l'université? Qu'est-ce qui motiverait ces gens-là et les amènerait à voir le Canada comme un pays de rêve?
M. Thomas Brzustowski: Ces derniers mois, j'ai assisté au Canada à deux événements où l'on a fêté les gens de ce milieu. Le premier était un dîner de gala réunissant environ un millier de personnes, et dans l'autre cas, il s'agissait d'un dîner de quelque 800 personnes, qui ont eu lieu à Calgary et à Vancouver, respectivement, et ces gens-là ont été traités comme des vedettes. On a montré de courtes vidéos vantant leurs réalisations. Les chefs de file de la collectivité étaient présents. Quelqu'un avait organisé un événement annuel de reconnaissance du mérite.
La soirée de remise des prix de l'Alberta en sciences et en technologie est un événement annuel qui attire 1 000 personnes en tenue de soirée pour entendre vanter les mérites d'une quinzaine de personnes, que ce soit en technologie ou en sciences, en recherche pure ou en innovation. C'était vraiment impressionnant. J'aimerais que ça se fasse partout au Canada. J'aimerais qu'un plus grand nombre de gens organisent de tels événements un peu partout, d'un bout à l'autre du pays.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Murray.
Monsieur Riis, vous avez la parole.
M. Nelson Riis: Je vais reprendre là où Ian s'est arrêté. Ces dernières années, dans notre propre pays, nous avons vu certains changements et les innovateurs que vous évoquez sont effectivement davantage reconnus, par exemple lorsque les banques célèbrent les mérites des gens d'affaires autochtones, etc. Nous progressons dans cette voie, mais c'est un fait que notre équipe de soccer a gagné et que, pour la plupart, nous ne savions même pas que nous avions une équipe. Mais voici que tout à coup nous avons gagné. Je pense donc que nous avons encore du chemin à faire.
C'est peut-être l'une des voies à suivre. Comme vous le savez, le gouvernement est justement en train de créer des chaires de recherche d'un bout à l'autre du pays et il faut espérer que cela aidera à cet égard, en particulier pour ce qui est des relations entre les trouvailles technologiques et la demande du marché, et peut-être devrions-nous nous tourner vers certaines de ces chaires pour nous aider dans ce domaine.
Ma question est d'ordre assez pratique: qui va s'occuper d'attribuer ces chaires, comment va-t-on s'y prendre exactement, et où seront-elles situées?
M. Thomas Brzustowski: Je ne le sais pas encore. Je m'attends à ce que les règles soient publiées ou bien présentées dans un discours d'ici quelques semaines. Un groupe de gens se penche sur la question. On en a beaucoup discuté. Mais on peut supposer que les universités se verront attribuer un certain nombre de chaires et qu'elles devront produire une stratégie. Elles présenteront les noms de candidats à ces chaires aux conseils subventionnaires et les noms proposés seront examinés par des pairs. Je pense que toute cette démarche est énoncée à la page 104 ou 107 du plan budgétaire présenté hier soir.
• 1615
Si vous voulez en conclure qu'il y a beaucoup de place dans ce
processus pour mettre en relief les mérites et les réalisations, je
pense que vous avez raison. Il est très important de nommer ces
gens-là, de les identifier, d'en faire des vedettes localement.
Mais il y a encore toute une autre dimension dans ce processus, et
j'espère que vous me permettrez d'ajouter cette observation, même
si elle n'a pas directement rapport avec la question.
Nous devons changer aussi notre image à l'étranger, pour attirer des investissements directs étrangers, parce que notre part de ces investissements diminue même si nous devenons de plus en plus compétents dans la fabrication de pointe, la R-D et une foule de domaines. Apprendre à nous connaître, c'est apprendre à nous aimer, mais il n'y a pas assez de gens qui nous connaissent, parce qu'ils nous regardent sans nous voir... dans la plupart des pays, nous n'existons même pas.
Je trouve très frustrant d'essayer de trouver des nouvelles du Canada dans un journal d'Europe continentale, sans même parler de nous voir présenter comme un bon endroit où investir. C'est pourquoi je dis que changer notre image à l'intérieur pourrait aider à améliorer aussi notre image à l'étranger, mais nous devrons peut-être prendre des mesures visant spécifiquement à améliorer quelque peu notre image dans le monde.
M. Nelson Riis: Je voudrais ajouter quelques observations. La première porte sur l'image que vous avez évoquée au début de votre présentation, celle de bûcherons et de porteurs d'eau. Je pense que cette perception est dépassée chez nous, mais qu'elle subsiste encore dans bien des milieux de la communauté internationale. Quand on parle de notre marché des titres boursiers, les gens reviennent souvent au fait que le prix des denrées est en baisse et que l'économie canadienne doit donc en prendre un coup, ce qui n'est pas nécessairement le cas. Mais cette perception existe.
J'aurais peut-être une question à poser à mes collègues autour de la table, et elle s'adresse aussi à vous, Tom. Je me rappelle d'avoir été étonné le mois dernier en lisant un article au sujet du pourcentage des revenus qui, en Saskatchewan, est tiré directement de l'agriculture. C'était inférieur à 2 p. 100. La plupart d'entre nous pensent probablement que c'est plutôt de 50 p. 100 ou 30 p. 100, mais moins de 2 p. 100 des revenus dans la province de Saskatchewan proviennent directement de l'agriculture. Il nous arrive donc à nous aussi d'être étonnés par la réalité.
Ma dernière observation est que j'espère que même si vous pourrez peut-être vous rendre utile pour l'attribution des chaires et la création du processus, l'on ne perdra pas de vue le fait que de nos jours, une grande partie de l'innovation vient assurément des universités, mais aussi d'autres établissements, jusqu'aux simples collèges techniques, qui attirent toute une nouvelle catégorie d'équipes de chercheurs.
J'ose croire que nous ne déciderons pas que, disons, l'Université de Toronto en aura 10 p. 100, les autres en auront 5 p. 100 et 6 p. 100, et que l'on va jeter 2 p. 100 en pâture à tous les autres réseaux, alors qu'en fait ils pourraient représenter notre chance de briser cette mentalité parce qu'il se fait de la recherche très novatrice au niveau des collègues techniques.
C'est une simple observation et je vais m'en tenir là.
M. Thomas Brzustowski: Très bien.
La présidente: Merci.
Monsieur Malhi, vous avez la parole.
M. Gurbax Singh Malhi (Bramalea—Gore—Malton—Springdale, Lib.): D'après votre document, le CRSNG fait des investissements qui renforcent la capacité d'innover du Canada, à la fois par la formation de personnes hautement qualifiées et par des partenariats entre l'université et l'industrie dans des projets de recherche. Mais la plupart des professionnels, des gens d'affaires et des simples particuliers pensent qu'à cause de l'exode des cerveaux, nous perdons notre productivité. Qu'en pensez-vous?
M. Thomas Brzustowski: Vous soulevez une question fort importante. Nous avons un secteur d'activité et trois programmes: nous investissons dans la recherche fondamentale, qui nous donne accès aux travaux de recherche du monde entier; nous investissons dans les partenariats université-industrie, qui cherchent à résoudre des problèmes industriels; et nous investissons dans la formation des gens.
Avec l'aide du CRSNG, quelque 50 000 jeunes Canadiens ont réussi à décrocher, au cours des 22 dernières années, des diplômes de maîtrise et de doctorat en sciences et en génie. Certains d'entre eux ont quitté le pays. Nous faisons des sondages sur les étudiants diplômés et nous avons des données très limitées sur les intentions et les faits. Mais je sais qu'un sondage a permis de constater que 17 p. 100 des répondants qui avaient terminé leurs études grâce à notre aide sont à l'étranger, et la moitié d'entre eux prévoient revenir au Canada. Les autres, non. On peut donc dire qu'il y a une perte de quelque 8,5 p. 100.
• 1620
Ce qui incite ces gens à partir, c'est d'abord et avant
tout—même si ce n'est pas là le seul facteur—l'occasion qu'on
leur offre de travailler à la fine pointe de leur domaine avec de
bonnes installations, auprès de bons collègues, de gens qui
reconnaissent leur mérite et les encouragent dans ce qu'ils font.
Quant au revenu personnel et à l'impôt, ce sont des facteurs qui
entrent en jeu, mais plus tard. L'important, c'est d'être à la fine
pointe.
J'espère que le nouveau programme de chaires qu'on a annoncé nous permettra d'attirer certains Canadiens expatriés; en revenant au Canada, ils pourront accroître notre productivité en étant des chefs de file de ces activités à valeur ajoutée au Canada, au lieu de faire le même travail ailleurs. Je pense que personne ne peut prédire avec exactitude quel en sera l'effet, mais bien des gens ont rencontré à l'étranger des Canadiens qui leur ont dit: «J'aimerais bien retourner au Canada si j'en avais l'occasion». Espérons donc que c'est ce qui va arriver.
Il y a bien des éléments sur lesquels personne n'a la moindre emprise; par exemple, à l'intérieur des grandes entreprises, des divisions se déplacent de part et d'autre de la frontière. Ce sont des décisions d'affaires. Mais ce que nous pouvons faire, à la fonction publique, au gouvernement et dans les universités, c'est d'essayer de créer des occasions permettant aux Canadiens qui sont des chefs de file dans leur domaine d'accomplir du travail de pointe dans notre pays, de voir à ce qu'il y ait un financement suffisant et à ce que l'on reconnaisse leurs mérites, afin d'appuyer toute cette démarche. Ensuite, l'étape suivante consiste à créer une certaine demande sur les marchés pour les résultats qu'ils obtiennent afin que leurs travaux servent à ajouter de la valeur ici même, dans notre pays. C'est un espoir. Ce n'est pas une recette; c'est seulement un espoir.
M. Gurbax Singh Malhi: Merci.
La présidente: Merci, monsieur Malhi.
Monsieur Jones, vous avez la parole.
M. Jim Jones: Oui, j'ai une question au sujet des chaires de recherche et de leur emplacement éventuel. Pouvez-vous les éparpiller également un peu partout au Canada, ou bien est-il probablement plus avantageux qu'elles soient situées là où il y a des grappes d'expertise dans le secteur public dans un domaine donné?
M. Thomas Brzustowski: C'est une question qui fait en ce moment même l'objet de démarches politiques assez intenses de la part des provinces Maritimes—et c'est délibérément que je ne dis pas les provinces de l'Atlantique; je dis Maritimes, parce que Terre-Neuve ne semble pas participer à cet effort—et aussi de la part de la Saskatchewan et du Manitoba. Leur crainte est que si, comme prévu au départ, ces chaires sont attribuées proportionnellement à la part des fonds des conseils subventionnaires qui sont distribués dans des concours, les petites universités en obtiendraient un tout petit nombre. Voilà ce qu'elles craignent.
Dans ce contexte, il y a deux hypothèses concurrentes qui n'ont pas encore été démontrées ni l'une ni l'autre. Je ne sais pas comment on s'y prendra pour les prouver. L'une pose que si l'on installe les chaires dans les concentrations où l'on a enregistré les meilleures réalisations, où il y a la plus forte concentration de gens, cela maximisera les avantages de chaque chaire additionnelle.
D'autres affirment tout le contraire. Ils disent que si l'on installe les chaires là où elles constitueront un point fort dans une région qui est autrement relativement faible, elles deviendront des pôles d'attraction, ce qui est le plus avantageux. Mais qui peut le prouver? Je l'ignore.
Nous avons des exemples des deux au Canada. Nous avons de petites universités qui obtiennent très peu de subventions de recherche mais qui sont passées à travers le processus politique très difficile consistant à établir des priorités et à faire converger leurs ressources. Je donne l'exemple de l'Université du Québec à Chicoutimi, qui reçoit très peu d'argent du CRSNG, mais qui compte trois chaires très prestigieuses du CRSNG parce qu'on y a concentré les ressources. Il y en a une sur la biologie de l'épinette noire, qui est l'essence dominante là-bas. Il y en a une autre sur la métallurgie extractive de l'aluminium. L'Alcan a des usines là-bas. Et enfin, il y en a une sur l'incidence du verglas sur le rendement des interrupteurs et des lignes de transmission de haute tension, parce qu'on trouve dans cette région de très longues lignes de transmission.
Il est absolument faux de prétendre que c'est une expérience que nous avons financée et qui a dérapé qui a causé le grand verglas il y a deux ans. Ce n'est pas vrai.
Mais enfin, les gens de là-bas ont concentré leurs ressources. C'est ainsi qu'une petite université peut réussir. Il faut de la volonté. Il faut du courage. Mais nous avons aussi de nombreux exemples de grandes universités qui font beaucoup de travaux de recherche et qui ont une masse critique dans un domaine important. Comment décider a priori de quel côté pencher?
M. Jim Jones: La question que je me pose, c'est de savoir si vous pouvez installer des chaires là où il n'y a pas de masse critique et, le cas échéant, quels en seraient les résultats à long terme?
• 1625
J'ai un collègue de mon caucus qui craint déjà que les
Maritimes soient désavantagées dans l'attribution des chaires, mais
peut-être que les universités de ces provinces n'ont pas concentré
leurs efforts sur certaines compétences. Peut-on intervenir
maintenant et faire du rattrapage pour greffer de l'expertise dans
ces universités? Cela prendra probablement beaucoup de temps,
surtout s'il n'y a pas là-bas d'industrie qui leur permettrait
d'acquérir une compétence spécialisée.
M. Thomas Brzustowski: Il n'est pas toujours nécessaire de retourner en arrière et de rebâtir. Le CRSNG décerne chaque année quatre prix Steacie. Ce sont des prix décernés à des professeurs agrégés qui ont obtenu leur doctorat il y a 10 ou 12 ans et qui font vraiment leur marque dans le monde. L'un de ces prix a été décerné cette année à l'Université du Nouveau-Brunswick. Maintenant, si l'on creuse bien, on constate qu'il y a en fait une grappe de petites compagnies, dont certaines ont été créées dans le sillage des travaux faits à l'université. On ne serait pas porté à dire que Fredericton est un pivot, mais il y a quelque chose là-bas.
Je ne sais trop que dire, sauf que certaines universités se sont données comme mission de former un grand nombre d'étudiants du premier cycle, de leur offrir un très bon enseignement et de faire quelque chose de très important à ce niveau, sans s'engager à fond dans la recherche. Devraient-elles obtenir des chaires? Sauront-elles les utiliser judicieusement? Cela reste à voir. Je ne connais pas la réponse à cette question.
M. Jim Jones: Il y a bon nombre d'années, le réseau Internet a été créé par les universités pour diffuser l'information et la recherche, etc. On peut espérer qu'en créant ces centres d'excellence et des chaires de recherche, elle feront peut-être un pas de plus dans cette direction, parce que la distance constituera l'un des désavantages. Il faut donc espérer que l'on tablera sur tous les moyens possibles de communication afin d'abolir la distance.
M. Thomas Brzustowski: C'est un point très important. Je ne peux pas me prononcer sur la façon dont les chaires seront établies, mais je peux vous dire que pour ce qui est de l'enseignement de la conception technique, activité à laquelle se livrent de façon isolée un certain nombre de gens d'un bout à l'autre du pays, le CRSNG va implanter un réseau canadien de conception technique qui permettra de mettre en communication tous ces gens-là, de manière qu'ils puissent élaborer de nouvelles méthodes didactiques et de nouvelles approches, précisément pour les raisons que vous avez énoncées.
La présidente: Merci, monsieur Jones.
Monsieur Lastewka, vous avez la parole.
M. Walt Lastewka: Merci. J'ai une question qui m'est venue à l'esprit après avoir suivi tout ce dialogue.
J'ai visité de nombreuses universités pendant l'étude que nous avons faite d'un bout à l'autre du pays sur la commercialisation de la recherche gouvernementale, et j'ai été intrigué de voir comment certaines universités ont d'excellents départements de transition vers la commercialisation qui aident les scientifiques à mettre en marché leurs travaux ou à faire connaître au milieu universitaire les réactions du marché. Pendant notre étude, nous avons entendu à maintes et maintes reprises des gens nous dire qu'au Canada, nous n'avons pas suffisamment de gens compétents qui se font une spécialité de servir d'intermédiaires entre les chercheurs et le marché afin de commercialiser les résultats. Je voudrais vous entendre là-dessus.
M. Thomas Brzustowski: Entièrement d'accord. Vous devez vous rendre compte que ces gens-là ont des titres et des qualités formidables. D'une part, ils doivent avoir des connaissances scientifiques. Ils doivent être connaisseurs en sciences au point de pouvoir déceler quelque chose d'intéressant quand ils visitent un laboratoire. D'autre part, ils doivent bien connaître le marché. Il leur faut posséder une sorte d'instinct qui leur dit que quelque chose correspond à un besoin qui existe sur le marché. Ensuite, ils doivent connaître les milieux de l'investissement et connaître des gens qui sont capables de fournir de l'argent en quantité suffisante et au bon moment, à un prix intéressant, et qui sont prêts à assumer un risque appréciable et à suivre la bonne stratégie de retrait. Ils doivent aussi connaître les subtilités de l'obtention de brevets, de la création d'entreprises, etc. Et il leur faut en plus être de bons gestionnaires, capables de faire avancer les dossiers.
C'est un cahier des charges extrêmement difficile à respecter. La tâche est énorme. Beaucoup d'universités ont appris à le faire bien et ont trouvé des gens pour accomplir le travail. D'autres universités ne l'ont pas encore appris. Elles n'ont pas les ressources humaines voulues.
M. Walt Lastewka: Je vois tout cela du point de vue suivant: il s'agit de retirer du domaine scientifique, du domaine de la recherche, ce que les consommateurs peuvent acheter un jour. Je vais vous donner l'exemple de l'Université de l'Alberta à Edmonton, où il y a une collaboration presque transparente entre les scientifiques, le bureau et le consommateur. Beaucoup de transactions se font dans un sens et dans l'autre, de façon visible. Les gens s'aperçoivent qu'il y a là un point chaud, et il s'agit justement de créer un plus grand nombre de points chauds.
• 1630
C'est presque la même analogie que lorsque j'ai commencé à
travailler avec de petites entreprises et que je devais les aider
à mettre en place un système pour faire avancer les dossiers. Il y
a bien des gens qui sont de mauvais gens d'affaires mais de grands
entrepreneurs. Ce n'est pas différent de la recherche qui passe par
une période de transition avant d'aboutir sur le marché; il faut
que les chercheurs disposent des encouragements voulus pour faire
leur travail.
M. Thomas Brzustowski: Je pense que votre visite a été très fructueuse, parce que vous avez mis le doigt sur certains éléments clés. L'Université de l'Alberta est l'une des meilleures au Canada dans ce domaine.
Les chercheurs dans nos universités—personne ne s'en étonnera—se rangent dans deux catégories sur cette question: il y a ceux qui s'intéressent tellement à la recherche proprement dite mais qui s'intéressent tellement peu aux avocats et aux financiers qu'ils aimeraient bien que quelqu'un se charge de tout cet aspect en leur nom. Ceux-là ont besoin des services des gens que l'on trouve à l'Université de l'Alberta. Il n'y en a pas beaucoup, seulement quelques-uns. D'autres chercheurs ont suffisamment l'esprit d'entreprise pour croire qu'ils sont les mieux placés pour amener leurs idées sur le marché. À un moment donné, en cours de route, ils sont remplacés par des gestionnaires professionnels, mais ils apportent leur propre bagage d'esprit d'entreprise, la capacité de travailler de longues heures et de se consacrer corps et âme à une tâche. Il faut permettre à ces deux catégories de gens de s'épanouir. Les deux ont besoin d'aide.
Pour ma part, j'aimerais bien voir les écoles d'administration des affaires jouer un plus grand rôle dans ce dossier et contribuer à former des gens de ce genre. La plupart apprennent sur le tas. La plupart méritent un salaire conforme à leur valeur sur le marché, c'est-à-dire un salaire plus élevé que celui que touchent les professeurs pour lesquels ils travaillent, et ils ne se sentent pas à l'aise dans les universités. Beaucoup d'entre eux sont des cibles visées par les recruteurs du secteur privé canadien. Aux États-Unis, on trouve beaucoup de ces gens-là. C'est un vrai défi de ressources humaines dans ce domaine.
La présidente: Merci, monsieur Lastewka.
Monsieur Murray, vous serez le dernier intervenant.
M. Ian Murray: Merci.
Je voudrais revenir à notre discussion sur le besoin de changer la façon dont les autres nous voient. Je me suis dit que nous pourrions probablement limiter nos efforts à un groupe plus restreint, c'est-à-dire changer la façon dont les jeunes nous perçoivent. Voyez tout le tapage et l'exaltation qui accompagnent les révolutions en biotechnologie et aussi en micro-électronique et dans les logiciels; cela a beaucoup à voir avec les jeunes. J'ai été frappé de vous entendre dire qu'il faut des gens qui peuvent en même temps connaître la technologie et reconnaître les possibilités qui existent sur le marché. Il me semble que ce sont surtout des jeunes, qui comptent peut-être quelques années d'expérience sur le marché du travail et qui sont au fait de toute la documentation actuelle, y compris les médias populaires.
Voici donc la question que je vous pose, et je vous demande encore une fois de vous fonder sur votre expérience. Y a-t-il un moment dans la vie—supposons que l'on parle de diplômés universitaires, disons dans les disciplines scientifiques—où les gens sont le plus créateurs et le plus productifs? Jusqu'à quel âge faut-il attiser les passions? Les gens commencent-ils à—je ne parle pas d'épuisement professionnel, mais disons à décliner durant la quarantaine, la cinquantaine, ou la fin de la trentaine? Y a-t-il un seuil magique?
M. Thomas Brzustowski: Je suis bien tenté de vous donner une réponse intéressée. Je vais vous dire une chose. Je ne connais pas les aspects théoriques de la question, mais je sais qu'il existe en bien des endroits au Canada un programme qui s'appelle le programme Shad Valley, qui place des étudiants qui viennent de terminer leurs études secondaires dans un environnement très intense pendant l'été; ces jeunes gens passent six ou huit semaines à faire des études avancées en sciences et en informatique et ils sont placés en situation d'entreprise; c'est très exigeant et ils doivent à tout prix faire preuve d'esprit d'entreprise. Cela semble donner des résultats fabuleux, mais le programme touche seulement un petit nombre de gens, plusieurs centaines par année, d'un bout à l'autre du pays.
• 1635
Je ne voudrais pas avancer un âge auquel les gens cessent
d'être productifs. Je pense que cela varie grandement d'un individu
à l'autre. Chose certaine, on trouve dans ce groupe bon nombre de
très jeunes gens que l'on pourrait appeler les entrepreneurs
branchés.
M. Ian Murray: Au sujet des professeurs qui ont la permanence, on semble s'inquiéter dans les universités quand l'âge moyen devient trop élevé.
M. Thomas Brzustowski: Mais je rappelle qu'aux États-Unis, il n'y a pas d'âge de la retraite obligatoire pour les professeurs et il y a des gens qui ont près de 70 ans et même plus qui continuent d'être productifs dans leur domaine. Je ne voudrais donc pas généraliser. Il y a peut-être des gens qui connaissent la question sur le bout des doigts. Pour ma part, je n'ai que de vagues impressions.
Mais Shad Valley est un programme magnifique. Nous devrions en avoir d'autres du même genre.
M. Ian Murray: C'est une bonne suggestion.
La présidente: Monsieur Brzustowski, je vous remercie beaucoup d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. La réunion a été très intéressante et nous sommes toujours contents de bénéficier de vos conseils. Si vous avez d'autres observations à faire, nous serions heureux que vous nous les transmettiez au cours des prochaines semaines.
M. Thomas Brzustowski: Permettez-moi simplement de remercier le comité pour cette discussion que j'ai trouvée des plus intéressantes. J'ai beaucoup aimé les questions et les observations. Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Pourrions-nous avoir un exemplaire du livre?
La présidente: Quel livre?
M. Walt Lastewka: Vous avez mentionné un livre de 110 compagnies.
M. Thomas Brzustowski: Il est intitulé Research Means Business. Nous en ferons parvenir au comité un nombre suffisant d'exemplaires dans les deux langues officielles.
La présidente: Merci beaucoup. Nous vous en sommes reconnaissants.
La séance est levée.