JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 7 juin 2005
¿ | 0900 |
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)) |
M. Raf Souccar (directeur général, Drogues et crime organisé, Gendarmerie royale du Canada) |
¿ | 0905 |
¿ | 0910 |
Le président |
M. Lawrence Palk (coprésident, Brant Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee) |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
Le président |
M. Randy White (Abbotsford, PCC) |
¿ | 0925 |
M. Raf Souccar |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ) |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
¿ | 0935 |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Raf Souccar |
M. Richard Marceau |
M. Evan Graham (coordonnateur national, Programme d'évaluation et de classification des drogues, Gendarmerie royale du Canada) |
Le président |
M. Richard Marceau |
M. Evan Graham |
M. Richard Marceau |
M. Evan Graham |
M. Richard Marceau |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
¿ | 0940 |
M. Evan Graham |
M. Joe Comartin |
M. Evan Graham |
M. Raf Souccar |
M. Joe Comartin |
M. Evan Graham |
M. Joe Comartin |
M. Evan Graham |
¿ | 0945 |
Le président |
L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.) |
M. Lawrence Palk |
L'hon. Roy Cullen |
M. Lawrence Palk |
L'hon. Roy Cullen |
M. Raf Souccar |
L'hon. Roy Cullen |
M. Raf Souccar |
L'hon. Roy Cullen |
¿ | 0950 |
M. Raf Souccar |
Le président |
M. Raf Souccar |
Le président |
M. Mark Warawa (Langley, PCC) |
M. Raf Souccar |
¿ | 0955 |
M. Evan Graham |
Le président |
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ) |
M. Raf Souccar |
M. Serge Ménard |
M. Raf Souccar |
M. Serge Ménard |
M. Raf Souccar |
M. Serge Ménard |
M. Raf Souccar |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. Serge Ménard |
À | 1000 |
M. Raf Souccar |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.) |
M. Raf Souccar |
Mme Anita Neville |
Le président |
M. Evan Graham |
Le président |
M. Randy White |
Le président |
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC) |
Le président |
M. Myron Thompson |
À | 1005 |
Le président |
M. Randy White |
M. Myron Thompson |
Le président |
M. Myron Thompson |
Le président |
Le président |
À | 1010 |
Mme Jennifer Stoddart (commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada) |
À | 1015 |
À | 1020 |
Le président |
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC) |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Jennifer Stoddart |
À | 1025 |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
M. Serge Ménard |
À | 1030 |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Serge Ménard |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Serge Ménard |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Serge Ménard |
Mme Jennifer Stoddart |
À | 1035 |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. Joe Comartin |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Joe Comartin |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Joe Comartin |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Joe Comartin |
Le président |
Mme Anita Neville |
Mme Jennifer Stoddart |
À | 1040 |
Mme Anita Neville |
Mme Jennifer Stoddart |
Mme Anita Neville |
Mme Jennifer Stoddart |
Mme Anita Neville |
Le président |
M. Myron Thompson |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Myron Thompson |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Myron Thompson |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Myron Thompson |
À | 1045 |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Randy White |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Randy White |
Mme Jennifer Stoddart |
M. Randy White |
Mme Jennifer Stoddart |
Le président |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
L'hon. Roy Cullen |
Mme Jennifer Stoddart |
À | 1050 |
L'hon. Roy Cullen |
Mme Jennifer Stoddart |
L'hon. Roy Cullen |
Mme Jennifer Stoddart |
L'hon. Roy Cullen |
Le président |
L'hon. Roy Cullen |
Mme Jennifer Stoddart |
À | 1055 |
Le président |
M. Mark Warawa |
Le président |
Mme Jennifer Stoddart |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 7 juin 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0900)
[Traduction]
Le président (M. John Maloney (Welland, Lib.)): Je déclare ouverte la 43e séance du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile.
Nous accueillons ce matin, de la Gendarmerie royale du Canada, le directeur général Raf Souccar et Evan Graham, et du Brant Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee, Lawrence Palk.
Habituellement, la règle veut que nous vous écoutions pendant une dizaine de minutes puis que nous passions aux questions et réponses, pendant des rondes de cinq minutes par député.
Je vais demander au directeur général Souccar de commencer.
M. Raf Souccar (directeur général, Drogues et crime organisé, Gendarmerie royale du Canada): Merci beaucoup, monsieur. Bonjour.
Comme vous l'avez déjà dit, je suis accompagné ce matin par Evan Graham. Evan est notre expert en ce domaine, c'est le coordonnateur national pour les experts en reconnaissance des drogues pour la GRC, et il est chargé en outre de la formation des autres corps policiers du pays.
Merci pour cette occasion de vous parler. J'ai le plaisir et le privilège de vous informer aujourd'hui sur le projet de loi C-16, Loi modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence.
[Français]
La Gendarmerie royale du Canada est heureuse que le gouvernement du Canada reconnaisse qu'il faille prendre des mesures pour remédier à la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. La collectivité policière, dont la GRC, est de plus en plus préoccupée par la conduite avec facultés affaiblies par des substances autres que l'alcool.
[Traduction]
Des études menées en Colombie-Britannique et au Québec révèlent que 20 p. 100 des conducteurs tués dans des collisions présentent une quantité de drogues ou combinaison d'un faible taux d'alcool et de drogues dans le sang. Toutefois, le nombre d'accusations de conduite avec facultés affaiblies par les drogues est demeuré relativement bas en raison de l'absence d'un mécanisme de vérification pour faciliter l'enquête et l'application de la législation sur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Par conséquent, le public canadien a souvent une perception erronée de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. La GRC s'inquiète particulièrement de la prévalence de la consommation du cannabis chez les jeunes. Ce qui est encore plus troublant, c'est que les jeunes ne perçoivent pas la drogue au volant de la même façon que l'alcool au volant. D'après un sondage sur la consommation de drogues mené en 2001 auprès d'étudiants du Manitoba, les étudiants, autant que les étudiantes, expriment une attitude fort négative envers la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, mais 19,2 p. 100 affirment qu'il n'y a rien de mal à conduire sous l'influence du cannabis. En fait, presque 26 p. 100 des répondants masculins estiment qu'il est acceptable de consommer du cannabis et de conduire.
[Français]
De plus, un sondage sur la consommation de drogues mené en 2002 auprès des étudiants de la Nouvelle-Écosse a révélé certains faits très troublants chez les jeunes conducteurs de la province. Selon les résultats, 15 p. 100 des étudiants titulaires d'un permis de conduire en Nouvelle-Écosse conduisent un véhicule automobile moins d'une heure après avoir pris deux consommations d'alcool ou plus, au moins à une occasion au cours de l'année. Pendant ce temps, 26 p. 100 des étudiants ont admis avoir conduit moins d'une heure après avoir consommé du cannabis, et ce, au moins à une occasion au cours de l'année.
¿ (0905)
[Traduction]
Compte tenu du fait que les jeunes représentent le sous-groupe de la population le plus exposé aux accidents qui causent des blessures ou la mort, le taux élevé d'adolescents qui conduisent après avoir consommé du cannabis devrait être considéré comme une grave menace à la sécurité routière. Le sondage sur la consommation de drogues mené en 2003 auprès d'étudiants de l'Ontario a également révélé des conclusions semblables avec un conducteur sur cinq, de la 10e à la 12e année, qui a conduit moins d'une heure après avoir consommé du cannabis au cours de la dernière année. En outre, 23 p. 100 des étudiants ont également affirmé s'être retrouvés passagers à bord d'un véhicule conduit par une personne qui avait consommé de la drogue. Une fois de plus, ces résultats soulignent l'importance de modifications au Code criminel et le besoin particulier de mieux renseigner les gens sur les risques associés à la conduite avec facultés affaiblies, sans égard à la substance consommée.
Bien que les données de Statistique Canada ne distinguent pas la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool ou par les drogues, les dernières statistiques révèlent qu'en 2002, on a porté 81 000 accusations de conduite avec facultés affaiblies. D'après les études menées au Canada, environ 20 p. 100 de tous les conducteurs aux facultés affaiblies ont consommé de la drogue. La divergence avec le nombre d'accusations réelles étant attribuable au manque d'officiers formés pour vérifier si la capacité de conduire est affaiblie par les drogues, ces chiffres se traduisent néanmoins par environ 16 200 accusations potentielles de conduite avec facultés affaiblies par les drogues en 2002.
En ce moment, l'article 253 du Code criminel interdit la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool ou par des drogues. Un conducteur que l'on soupçonne d'être en état d'ébriété peut être tenu, sur demande, de fournir un échantillon d'haleine afin que l'on puisse mesurer la concentration d'alcool dans son sang et déterminer si elle dépasse la limite légale. Ce n'est pas le cas d'un conducteur aux facultés affaiblies par les drogues étant donné qu'il n'y a pas de dispositions l'y obligeant dans le Code criminel, ni de limites établies en ce qui a trait à l'affaiblissement des facultés par les drogues.
[Français]
Les amendements proposés au Code criminel exigent l'inclusion d'une infraction dans laquelle un conducteur soupçonné d'être sous l'influence de la drogue est tenu, sur demande, de fournir un échantillon de substance corporelle, que ce soit de l'urine, de la salive ou du sang. Le refus d'un conducteur de se soumettre au prélèvement d'un échantillon de substance corporelle, à des épreuves standard de sobriété ou à une évaluation d'expert en reconnaissance de drogues constituera un acte criminel punissable en vertu des mêmes dispositions qui s'appliquent actuellement au refus de subir un alcotest.
[Traduction]
Avec la législation actuelle, lorsque les agents de police soupçonnent une personne de conduire avec les facultés affaiblies par les drogues, ils se fondent habituellement sur les symptômes non quantitatifs de l'affaiblissement des facultés par les drogues tels qu'une conduite dangereuse, ainsi que sur des témoignages. Les tests de dépistage des drogues sont admissibles en preuve devant un tribunal pourvu que le conducteur ait bien voulu les subir.
Les modifications proposées au Code criminel auront une incidence importante sur l'application des mesures législatives visant la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Il y aura probablement une forte augmentation du nombre de poursuites pour conduite avec facultés affaiblies par les drogues, et une réduction correspondante du nombre de personnes tuées et blessées sur les routes canadiennes.
¿ (0910)
[Français]
Le Programme d'évaluation et de classification des drogues, également appelé Programme d'expert en reconnaissance de drogues, fournit aux policiers une méthode qui permet de recueillir les preuves nécessaires afin de déterminer si un sujet a les facultés affaiblies et la cause de cet affaiblissement. Depuis sa mise en application au Canada en 1995, les agents de police du pays sont formés sur l'utilisation des épreuves de sobriété normalisées et d'évaluation d'experts en reconnaissance de drogues afin de détecter l'affaiblissement de la faculté par l'alcool et les drogues.
[Traduction]
La formation d'experts en reconnaissance de drogues est non seulement avantageuse pour la détection de conducteurs aux facultés affaiblies par les drogues, mais aussi pour la détection de conducteurs aux facultés affaiblies par l'alcool. Depuis le début des années 1980, plusieurs mesures, dont des initiatives législatives, de meilleures activités d'application de la loi, des sanctions plus sévères et des campagnes de grande envergure visant à sensibiliser le public ont toutes joué un rôle important dans le changement des attitudes et des comportements du public à l'égard de la conduite en état d'ébriété.
Des mesures législatives plus rigoureuses dont les règlements relatifs à l'immatriculation par étape progressive et l'existence des contrôles routiers afin de déterminer le niveau d'intoxication ont contribué à renforcer le message suivant : « Si vous buvez, ne conduisez pas. » Donc pas étonnant que les résultats de sondages récents sur la consommation de drogues chez les étudiants, menés dans diverses régions, indiquent clairement que les étudiants qui conduisent après avoir bu sont considérablement moins nombreux que ceux qui prennent le volant après avoir consommé des drogues, surtout du cannabis.
Les jeunes conducteurs consomment souvent du cannabis au lieu d'alcool, comme solution de rechange, sans avoir peur de faire l'objet d'un dépistage pendant un contrôle routier. Ils ne tiennent pas compte des risques liés à ce comportement puisqu'on n'insiste pas sur la nécessité de le faire. Étant donné les points faibles de la loi actuelle, ces conducteurs se disent que la conduite avec facultés affaiblies par les drogues n'est pas problématique et en fait, ils ne se gênent pas pour admettre qu'ils fument et prennent le volant par la suite.
Même s'il y a moins de données relatives au rôle joué par le cannabis dans les accidents, comparativement à celui de l'alcool, on sait qu'il a des effets physiologiques et psychologiques sur la conduite automobile. Des scientifiques de l'Université l'Auckland en Nouvelle-Zélande viennent d'achever une étude qui prouve catégoriquement le lien entre la consommation de cannabis et les accidents. Les chercheurs ont en effet constaté que les grands consommateurs de cannabis sont dix fois plus susceptibles d'être blessés ou de blesser d'autres personnes lors d'accidents de la route.
Bien que les Canadiens soient d'avis que la conduite avec facultés affaiblies par les drogues représente un grave problème de sécurité routière, l'utilisation de médicaments sur ordonnance et en vente libre qui peuvent avoir un effet sur la conduite est très commune. Des conducteurs de tous âges admettront avoir conduit un véhicule automobile après avoir consommé des médicaments. Compte tenu du fait que les données géographiques indiquent une population vieillissante, il y a de quoi s'inquiéter. La permissivité sociale et une attitude à l'égard de certaines drogues illicites ont mené à un faux sentiment de sécurité chez bon nombre de conducteurs canadiens. L'ordonnance de cannabis à des fins médicales et les débats au sujet de la décriminalisation de la marijuana ont contribué largement à éliminer la stigmatisation associée à cette drogue. En minimisant l'importance du cannabis et de son interdiction, on a également renforcé la perception erronée selon laquelle le cannabis n'a que peu ou pas d'effet sur la capacité de conduire.
La GRC s'est efforcée de sensibiliser la population à la conduite avec facultés affaiblies par les drogues en participant à diverses initiatives, dont l'élaboration d'une publication de Santé Canada intitulée « Parlons franchement de la marijuana » conçue pour les parents et les jeunes, et son nouveau site Web intitulé « Sois plus futé que la drogue » ainsi que le lancement du vidéo « Pas prêts à partir » en partenariat avec l'Association canadienne des chefs de police, le Service de police de Toronto et l'organisme canadien Les mères contre l'alcool au volant.
D'après un sondage de l'opinion publique effectué en 2003 par la Fondation de recherche sur les blessures de la route, les Canadiens classent les drogues illicites au volant seulement au deuxième rang en importance, relativement à l'alcool au volant, dans la liste des questions touchant la sécurité routière. Près de 82 p. 100 des personnes interrogées sont d'avis que les conducteurs soupçonnés d'être sous l'influence d'alcool ou de drogue devraient se soumettre à des tests de sobriété, et 80,5 p. 100 appuient l'idée d'établir pour les conducteurs, dans le cas des drogues, des limites absolues semblables à celles fixées pour l'alcool.
En adoptant le projet de loi C-16, le gouvernement fédéral donnera d'abord aux forces de l'ordre un cadre législatif et des outils pour faciliter le dépistage et les poursuites en matière de drogues au volant. Deuxièmement, il contribuera à rendre les routes canadiennes plus sûres et à réduire les coûts sociaux, économiques, médicaux et personnels imposés à la société par les conducteurs dont les facultés sont affaiblies.
Merci.
Le président: Écoutons maintenant M. Palk, du Brant Brantford Drinking and Driving Contermeasures Committee.
M. Lawrence Palk (coprésident, Brant Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee): Bonjour, monsieur le président et membres du comité.
Au nom du Brant Brantford Drinking and Driving Countermeasures Committee, j'ai l'honneur d'être avec vous aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-16, qui vise à modifier le Code criminel relativement à la consommation de drogues et à la conduite avec facultés affaiblies. Le groupe dont je suis coprésident milite depuis vingt ans en faveur de la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies dans la région de Brantford et du comté de Brant. Nous sommes également un des membres fondateurs de l'OCCID, l'Ontario Community Council on Impaired Driving.
Les membres de notre comité viennent de tous les milieux: ce sont des élus locaux, des travailleurs sociaux, des policiers, des jeunes, des porte-parole de services pour les victimes, des enseignants, des promoteurs de la santé et des victimes de la conduite avec facultés affaiblies. Notre perspective sur ce projet de loi est unique. Et, à la fin du présent exposé, j'espère que mon message vous aura ouvert l'esprit et qu'il aura touché vos coeurs.
La Charte canadienne des droits et libertés énonce très clairement la notion que la « sécurité de la personne » constitue un droit fondamental qui doit être respecté. Et cela est rarement plus évident que dans le cas des affaires de conduite avec facultés affaiblies. En ce moment même, d'innocentes victimes de la conduite avec facultés affaiblies nous écoutent et vous tiennent responsables de leur sécurité, de leurs droits et de leur vie. Nous prenons tous des risques tous les jours lorsque nous montons dans une voiture et que nous nous déplaçons d'un point à un autre. Ceux d'entre nous, dont moi, qui ont été victimes d'un conducteur avec facultés affaiblies savent fort bien quelles sont les conséquences de tels accidents pour leur vie.
Pendant trop longtemps, la conduite avec facultés affaiblies a été une des principales causes de décès et de blessures. Ces accidents font perdre des milliards de dollars par année en impôts au Canada. Mais cela n'empêche pas certains d'entre nous de tenter le sort et de conduire égoïstement avec les facultés affaiblies. Je compte parmi les chanceux. Et j'ai survécu pour pouvoir venir vous parler aujourd'hui dans l'espoir que vous tiriez des enseignements de mon expérience.
Le 13 mai 1988, j'ai été frappé par une voiture dont le conducteur ne s'est pas arrêté. J'ai subi une fracture du cou, une fracture du crâne, une commotion et d'autres blessures. J'ai cru que c'était fini pour moi. Mais non, j'ai survécu. En 1989, les médecins ont découvert que j'avais subi des dommages irréparables au cerveau, lesquels ont changé ma vie. C'est en gardant cela à l'esprit que je veux vous parler aujourd'hui du projet de loi C-16.
Depuis plusieurs années, la société canadienne et le Parlement sont engagés dans un grand débat sur ce qu'on appelle la « décriminalisation de la marijuana ». Je me réjouis que le gouvernement du Canada ait pris conscience que la consommation abusive de drogues s'applique aussi aux médicaments, qu'ils soient délivrés sur ordonnance ou non. D'après les témoignages entendus par notre comité, la consommation abusive de médicaments est devenue un grave problème. Et nous félicitons le gouvernement de s'en être rendu compte. Nous comptons en outre que le gouvernement tiendra la promesse qu'il a faite dans le projet de loi C-16 et que l'administration d'épreuves de dépistage de drogues tant sur la route que dans les postes de police sera rendue absolument obligatoire. Pareilles épreuves ne seront pas volontaires comme elles le sont maintenant dans la loi.
Nous avons deux autres préoccupations très réelles à soulever relativement au projet de loi C-16.
D'abord, on note un manque total de clarté quand vient le temps de déterminer comment les forces de l'ordre seront formées dans le cadre du programme de « formation des formateurs » pour le dépistage des drogues. Certes, la GRC sera chargée d'assurer cette formation. Cela semble une bonne idée en théorie. Cependant, dans la pratique, les corps policiers de collectivités comme Brantford et le comté de Brant ne savent absolument pas comment fonctionnera ce programme. Combien d'argent obtiendront-ils? Combien d'agents pourront-ils former avec cet argent? L'argent leur parviendra-t-il? De plus, selon un policier qui siège à notre comité, le programme de formation au dépistage des drogues semble aussi simple qu'un jeu d'enfants, mais il est en réalité d'une très grande complexité. Après avoir communiqué avec la ministre McLellan, nous attendons patiemment une réponse de sa part sur nos inquiétudes, à l'instar des chefs de nos corps policiers municipaux et régionaux.
¿ (0915)
Notre autre préoccupation concerne la désormais célèbre « Stratégie canadienne antidrogue ». Notre comité est d'avis que la promotion du projet de loi C-16 et la sensibilisation du public en général à l'égard de la consommation abusive de drogues et de la conduite avec facultés affaiblies représenteront une tâche immense.
Question: y a-t-il vraiment un plan? Je dis cela en raison d'un certain nombre de réalités concernant les jeunes du pays. La plupart des jeunes croient toujours que « décriminalisation de la marijuana » est synonyme de légalisation. Ce n'est pas que les jeunes ne comprennent rien à rien. La situation est bien plus complexe. En fait, nous vivons dans une société où la consommation simultanée d'alcool et de marijuana est monnaie courante. Je ne saurais exagérer les effets néfastes que peuvent avoir ces deux drogues lorsqu'elles sont consommées ensemble. Des études ont montré que davantage d'adolescents délaissent l'alcool non seulement pour la marijuana, mais pour d'autres drogues également.
Comment va-t-on faire pour établir le dialogue avec les jeunes de la fin du secondaire? Pas plus tard qu'il y a deux ans, des enseignants ont informé notre comité que des enfants de notre région commençaient à consommer des drogues comme la marijuana dès l'âge de 10 ans. Le message que je veux vous communiquer est le suivant : si vous n'établissez pas le dialogue avec ces enfants avant qu'ils aient 10 ans, vous risquez de les perdre. Je ne tente pas de vous faire peur. Ce sont les faits.
Toute véritable « Stratégie canadienne antidrogue » doit tenir compte de ce point de vue local. Ma collectivité diffère radicalement d'endroits comme l'est de Vancouver ou le centre-ville de Winnipeg. J'ai vécu à Winnipeg et je sais que c'est vrai.
Où en sommes-nous donc maintenant? Il y a 30 ans, le problème de la conduite avec les facultés affaiblies par l'alcool n'en était qu'à ses débuts, à bien des égards. Nous sommes bien plus intelligents aujourd'hui, mais il n'empêche qu'il y a encore des gens qui conduisent avec les facultés affaiblies, causant plus de décès et de blessures. J'en suis un exemple vivant.
Comme l'a dit le toxicologue Barry Logan il y a seulement quelques mois à l'occasion d'une conférence de l'OCCID, à Toronto: « Nos connaissances sur les drogues sont aujourd'hui ce qu'étaient nos connaissances sur les facultés affaiblies par l'alcool il y a 30 ans. » Un autre groupe bien connu s'intéressant à la marijuana, NORML, qui est en fait le plus important groupe semblable en Amérique du Nord, a déclaré, au nombre de ses principes, qu'il ne faut jamais conduire après avoir consommé de la marijuana. Un avocat bien connu de la Colombie-Britannique, qui s'intéresse aux causes relatives à la marijuana, John Conroy, a dit exactement la même chose.
Nous avons besoin de mesures de réduction des dommages, pas d'une attitude laissant entendre que la décriminalisation signifie à peu près tout ce qu'on veut, y compris conduire avec les facultés affaiblies par la drogue. La sécurité publique est trop importante pour que l'on adopte n'importe quelle approche à l'égard de la conduite avec facultés affaiblies. Personne ne peut vraiment se rendre compte des conséquences que peut avoir la conduite avec facultés affaiblies par des drogues ou l'alcool à moins qu'un de ses proches ou de ses amis aient été touchés par les actes insensés ou égoïstes d'un conducteur avec les facultés affaiblies, actes que l'on peut certainement prévenir. Pareils actes ont pour effet de changer des vies. Et je le sais parce qu'ils ont assurément changé la mienne.
Mesdames et messieurs du comité, j'attends avec plaisir vos questions et vos observations.
Merci.
¿ (0920)
Le président: Merci, monsieur Palk.
Monsieur White, c'est à vous.
M. Randy White (Abbotsford, PCC): Merci, monsieur le président.
Un membre de ma famille est mort dans un accident causé par un conducteur dont les facultés étaient affaiblies et un autre a un handicap mental permanent; je sais donc de quoi vous parlez.
Je me demande toutefois si le Canada a véritablement une stratégie antidrogue. Les centres de désintoxication du pays n'ont pas suffisamment d'argent. Il y a très peu de publicité et le gouvernement ne semble pas avoir adopté une position particulière sur la métamphétamine. Vous avez parlé, monsieur, du centre-ville de Vancouver et de Winnipeg, mais on pourrait tout aussi bien parler de Sydney, en Nouvelle-Écosse, d'Abbotsford et Kelowna, en Colombie-Britannique et même de Windsor ou de toute autre ville au pays. Winnipeg et Vancouver ne sont plus les deux seules villes où ce genre de situation existe. Il y a aussi des projets pilotes, comme des sites d'injection, où on injecte des millions de dollars pour permettre aux toxicomanes de continuer à consommer de la drogue. Cela ne ressemble pas à une stratégie antidrogue nationale cohérente et homogène.
Ce n'était qu'un petit préambule.
J'ai une question pour l'inspecteur Souccar sur la mise en oeuvre du projet de loi C-16. Ce projet de loi me paraît bien intentionné, mais il semble y avoir un manque de logique en ce qui concerne vos membres—et pas seulement eux mais tous les membres des services de police municipale du pays.
Vous faites toutes sortes de publicités, vous produisez toutes sortes de publications et de bandes vidéos, mais à mon avis, c'est sur la télévision qu'il faut se concentrer. Distribuer des documents de nos jours sans passer par les médias de masse est à mon sens un peu inutile. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Je vous pose tout de suite mes autres questions car je n'ai que cinq minutes.
Les douze millions de dollars affectés à ce programme sont loin d'être suffisants. À mon bureau, on a entrepris une petite étude sur l'équipement nécessaire et un seul appareil coûte de 250 000 $ à un million de dollars. Compte tenu de ce qui est prévu, le budget établi sera largement insuffisant. Si vous répartissez ces douze millions de dollars entre la GRC et tous les services de police municipale du pays, chaque part sera négligeable. C'est là ma deuxième question.
Vous avez beaucoup parlé de l'alcool et de la marijuana, mais vous n'avez pas fait mention de la métamphétamine, de la cocaïne, de l'héroïne ou de toute autre drogue parmi les nombreuses qu'on consomme. Je me demande pourquoi, puisque les critères permettant d'évaluer leurs effets sont assez différents selon chacune de leurs formes composites.
C'est tout.
¿ (0925)
M. Raf Souccar: Merci. Je vais tenter de répondre à toutes vos questions dans l'ordre. Vous avez soulevé plusieurs points.
Pour commencer, la stratégie antidrogue; ce n'est pas facile. Nous travaillons de concert avec plusieurs organismes en vue de trouver une approche équilibrée pour réduire la demande et l'offre. Nous reconnaissons que nos efforts ont laissé à désirer au chapitre de la réduction de la demande, de la sensibilisation. Nous nous débrouillons assez bien en matière de répression, bien qu'il serait bon pour nous d'avoir davantage de ressources. En ce qui concerne la réduction de la demande—l'information, le traitement, la sensibilisation, la désintoxication et ainsi de suite—nous pourrions faire plus.
Cela dit, je crois que nous avons réussi à sensibiliser les jeunes aux dangers de l'alcool au volant. Il y a plusieurs initiatives à cet égard. On voit parfois devant les écoles secondaires... Je sais qu'à Ottawa, on gare parfois des véhicules accidentés devant les écoles secondaires pour sensibiliser les élèves. Je suis entraîneur de hockey et de baseball auprès de jeunes de 5 ans à 20 ans et j'en parle souvent avec eux. Hier encore, on m'a dit que certains croient qu'il est bon de fumer du cannabis pendant les périodes d'examen car ça aide à mieux se concentrer, et à mieux conduire, car cela incite à la prudence. Personne ne parle du fait que cela réduit la capacité de réaction, de s'acquitter de deux tâches en même temps—conduire et rester conscient de la circulation autour, conduire et accélérer, freiner ou changer de vitesse, etc. Nous avons encore du pain sur la planche à ce chapitre.
Pour ce qui est des fonds qu'il nous faut pour atteindre notre objectif, la stratégie renouvelée pour la lutte antidrogue prévoit 910 000 $ pour nous, ce qui nous permet de garder Evan Graham comme coordonnateur national pendant cinq ans—et de payer pour l'infrastructure salariale du coordonnateur national et des formateurs. La formation est coûteuse. Dans le cadre de la stratégie antidrogue du Canada, nous avons donc décidé de réaffecter 4,1 millions de dollars devant servir à l'équipe de cannabiculture au programme de formation en dépistage des drogues afin que Evan puisse donner des cours un peu partout au pays.
Nous avons toujours tenté de dispenser de la formation de façon stratégique afin de former des policiers à l'échelle du pays. Rien ne sert qu'ils soient tous au même endroit. Si je ne m'abuse, je crois que nous avons maintenant formé 75 p. 100 des policiers autres que les membres de la GRC afin que le plus grand nombre de municipalités du pays aient du personnel formé. Nous tentons aussi de travailler plus intelligemment et non pas plus fort en formant des formateurs qui pourront à leur tour dispenser la formation et assurer une croissance exponentielle du nombre de policiers formés.
En ce qui concerne les tests de dépistage d'autres drogues, il est vrai que nous parlons beaucoup de marijuana. C'est probablement parce que c'est la drogue qu'on consomme le plus et celle au sujet de laquelle les jeunes ont entendu des messages contradictoires. Voilà probablement pourquoi nous parlons surtout du cannabis. J'ai remis au comité un exemplaire de la vidéo intitulée Pas prêt à partir qui, comme je l'ai dit, a été conçue par le Service de police de Toronto, l'Association canadienne des chefs de police et les Mères contre l'alcool au volant. Il s'agit de témoignages de membres de la famille, d'amis et de victimes d'un accident de la route qui est survenu juste à l'ouest d'Ottawa, près de Perth, après un bal de fin d'année et qui a coûté la vie à plusieurs adolescents. Quand on entend ceux qui ont été impliqués dans l'accident en parler cinq ans plus tard, on ne peut qu'être touché. C'est probablement l'une des raisons qui expliquent que nous nous concentrions sur le cannabis.
L'évaluation faite par l'expert en reconnaissance de drogue permet de dépister des drogues dans sept catégories : les dépresseurs du système nerveux central, les inhalants, la phéncyclidine ou PCP, le cannabis, les stimulants du système nerveux central, les hallucinogènes—notamment, le LSD, et les analgésiques.
Vous avez fait mention de le méthamphétamine. C'est un sujet qui nous intéresse. Jeudi, je serai à Regina pour présenter un exposé à des ministres des provinces de l'Ouest sur la situation relative à la méthamphétamine dans l'Ouest canadien et ailleurs au pays.
¿ (0930)
Nous faisons tout ce que nous pouvons pour sensibiliser les gens et transmettre le message. Mais vous avez raison de dire que nous avons encore du pain sur la planche pour faire comprendre aux gens que la drogue au volant est aussi risquée que l'alcool au volant.
Merci.
Le président: Monsieur Marceau, vous avez la parole.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais que vous nous donniez une illustration concrète de ce que le projet de loi C-16 veut dire. Supposons que je parte un vendredi pour aller passer une fin de semaine à Montréal en compagnie d'une personne agréable, que j'emprunte l'autoroute et que je sois arrêté après que le projet de C-16 soit devenu loi. Que se passe-t-il concrètement après que le policier m'ait arrêté sur l'accotement de l'autoroute 417?
M. Raf Souccar: La première chose que l'officier doit observer est une conduite erratique sur la route. Après vous avoir demandé de vous ranger sur l'accotement, il s'approche de votre automobile et il peut vous poser des questions. Si le projet de loi C-16 est devenu une loi en vigueur et qu'il soupçonne que vous conduisiez avec des facultés affaiblies par la drogue, il peut vous demander de subir une épreuve standard de sobriété.
M. Richard Marceau: Cela consiste à se toucher le nez, marcher sur une ligne droite, etc.
M. Raf Souccar: C'est exactement cela.
S'il considère toujours que vous conduisiez avec des facultés affaiblies, il peut vous demander de l'accompagner au poste de police afin qu'un expert en reconnaissance de drogues vous administre un examen.
M. Richard Marceau: Il s'agit là d'une demande?
M. Raf Souccar: C'est une demande, et si vous refusez, c'est comme si vous refusiez de vous soumettre à un alcotest sur l'accotement.
M. Richard Marceau: Donc, le simple fait de refuser d'accompagner le policier au poste est en soi une infraction.
M. Raf Souccar: C'est exactement cela.
M. Richard Marceau: D'accord. C'est un aspect de la question.
S'il je ne refuse pas et que je vous accompagne au poste, que se passe-t-il alors?
M. Raf Souccar: C'est l'expert en reconnaissance de drogues qui entre en action à partir de ce point. Il peut vous faire subir plusieurs tests. Je peux demander à Evan d'expliquer exactement les étapes qui sont suivies au poste pour déterminer si oui ou non une personne a vraiment conduit en état d'ébriété. On peut prendre la pouls de la personne, examiner ses yeux, etc. Si une personne échoue ces tests, on passe alors à la troisième étape, qui consiste à prendre un échantillon de salive, de sang ou d'urine.
¿ (0935)
M. Richard Marceau: Et c'est obligatoire?
M. Raf Souccar: C'est obligatoire.
M. Richard Marceau: Si la personne refuse, on revient à l'étape précédente. C'est une infraction en tant que telle.
M. Raf Souccar: Exactement. L'expert en reconnaissance de drogues fait également une entrevue avec l'officier qui a arrêté la personne sur la route, pour savoir exactement ce qui s'est passé.
M. Richard Marceau: D'accord. Votre spécialiste au poste est-il un policier qui a reçu une formation?
M. Raf Souccar: C'est cela.
M. Richard Marceau: Est-ce que tous les policiers sont formés pour cela? Est-ce que c'est en train de devenir une condition préalable pour obtenir son diplôme d'une école de police? Est-ce que dans peu de temps tous les policiers seront en mesure de faire cette partie de la procédure?
M. Raf Souccar: En peu de temps, non, parce qu'on n'a pas les ressources pour le faire. J'ai essayé d'expliquer un peu plus tôt que nous tentons de former les entraîneurs. Cela signifie donner de la formation pour que ceux qui l'auront reçue puissent donner de la formation à d'autres, afin d'augmenter le plus rapidement possible le nombre de policiers formés. Si le projet de loi est adopté, j'espère que cette formation sera offerte dans peu de temps dans une école de formation pour policiers.
M. Richard Marceau: Un des éléments qui ont souvent été soulevés est celui de la fiabilité des tests. Vous, monsieur Souccar, en tant que policier, vous êtes à l'aise, vous considérez que c'est aussi fiable que le test pour déterminer l'alcoolémie. Vous croyez qu'on sera capable d'en arriver aux mêmes résultats et aux mêmes condamnations, si nécessaire.
[Traduction]
M. Evan Graham (coordonnateur national, Programme d'évaluation et de classification des drogues, Gendarmerie royale du Canada): Aux États-Unis, dans le cadre de ce programme, le taux de confirmation par analyse de l'échantillon toxicologique est de 85 p. 100. Différentes variables expliquent que 15 p. 100 des résultats ne sont pas confirmés par toxicologie, y compris le seuil d'inclusion du laboratoire d'État. Pour le cannabis, par exemple, chaque État a un seuil d'inclusion différent. L'analyse ne se fait peut-être pas à un seuil suffisamment bas et il se peut aussi qu'il n'y ait pas d'analyse en vue de détecter une drogue en particulier.
Jusqu'à présent, au Canada, la section de toxicologie judiciaire du laboratoire de la GRC, le laboratoire du Québec et la Société canadienne des sciences judiciaires ont recherché le groupe de drogues particulier indiqué par les experts en reconnaissance de drogue et, dans 95 p. 100 des cas, l'analyse toxicologique confirme le résultat de l'évaluation de l'expert en reconnaissance de drogue.
Le président: Ce sera votre dernière question, monsieur Marceau.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci beaucoup, monsieur le président.
Au poste de police, la personne qui est rendue à la troisième étape donne de l'urine, du sang ou de la salive. Combien de temps faut-il pour obtenir le résultat de l'analyse?
[Traduction]
M. Evan Graham: Cela dépend du laboratoire. Cela peut aller de six semaines à six mois. À l'heure actuelle, cela dépend de la capacité des laboratoires et c'est une question qu'il faudra régler.
[Français]
M. Richard Marceau: D'accord, mais que fait la personne? La laissez-vous repartir? Que se passe-t-il? Je m'excuse, je ne connais pas cette situation.
[Traduction]
M. Evan Graham: Le suspect est remis en liberté sur promesse de comparaître ou citation à comparaître et l'accusation ne sera déposée sous serment qu'une fois qu'on aura reçu le résultat du laboratoire. C'est ce qu'on fait actuellement quand on prélève un échantillon de sang pour dépistage de drogues aux termes d'un mandat ou un échantillon de sang pour dépistage d'alcool sur demande ou aux termes d'un mandat. Il nous faut attendre que l'échantillon ait été analysé.
[Français]
M. Richard Marceau: D'accord, merci.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Marceau.
Je cède la parole à M. Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs, d'être venus.
Monsieur Souccar, je crains que certaines des dispositions de ce projet de loi ne fassent l'objet d'une contestation aux termes de la Charte. Si tel était le cas, je présume qu'on présenterait des preuves de l'efficacité des mesures de prévention de la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue. Avez-vous vu des études qui montrent que, là où cette méthode a été adoptée, il y a eu réduction de l'incidence de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue?
¿ (0940)
M. Evan Graham: Nous venons de commencer une évaluation de cette question au Canada.
Aux États-Unis, des études ont été menées qui démontrent l'efficacité de ces mesures. Il y en a eu une en Californie, une autre en Arizona et une troisième au Minnesota. En Californie et en Arizona, où le programme est bien établi, il est rare que l'expert en reconnaissance de drogues ait à témoigner au procès, car ce genre de preuve est si bien accepté que, dans la plupart des cas, les accusés plaident coupables.
M. Joe Comartin: Monsieur Graham, je sais que cela fera partie d'un programme de sensibilisation du public, un peu comme on l'a fait pour l'alcool au volant, mais, ce que je veux savoir, c'est s'il y a eu moins de cas de conduite avec les facultés affaiblies par les drogues et non pas de condamnations ou de plaidoyers de culpabilité. Y a-t-il des études qui démontrent une baisse de l'incidence de la drogue au volant?
M. Evan Graham: Pas que je sache. Au Canada, nous ne connaissons pas l'envergure du problème. Nous savons qu'environ 20 p. 100 des personnes qui meurent dans un accident de la route étaient sous l'effet de la drogue, mais nous ne savons pas combien de personnes ont été impliquées dans un accident ou se sont rendues à destination saines et sauves. Encore une fois, cela fera partie de l'étude que nous mènerons pour déterminer l'envergure du problème.
M. Raf Souccar: J'aimerais ajouter une chose. Vous avez raison de dire que cela fera partie de notre programme de sensibilisation. Nous avons été témoins d'une baisse de l'alcool au volant et d'un changement d'attitude à l'égard de l'alcool au volant. Je le constate chez les jeunes aujourd'hui. Il y a quelques années, on trouvait tout à fait normal de prendre le volant après avoir pris deux ou trois verres. De nos jours, les jeunes préfèrent prendre l'autobus plutôt que la voiture s'ils sortent et savent qu'ils prendront de l'alcool. Mon fils fait cela. Il a 19 ans et je vois que, quand il sort en ville le vendredi soir avec ses amis, ils ne prennent pas de voiture. Ils ont tous un permis de conduire, mais ils ne se posent même pas la question, ils prennent l'autobus.
Cela fait partie de tout le processus de conscientisation. Je suis convaincu qu'avec le temps, c'est ce changement d'attitude qui entraînera une réduction du nombre de personnes qui conduisent avec les facultés affaiblies.
M. Joe Comartin: Monsieur Graham, savez-vous approximativement quand vous aurez terminé l'évaluation que vous avez commencée de la situation au Canada?
M. Evan Graham: Nous en sommes encore à planifier l'étude. Nous avons confié à des contractuels l'analyse documentaire et l'élaboration du processus. L'étude comme telle durera trois ans. Essentiellement, elle commencera quand nous disposerons des fonds qui ont été demandés dans le mémoire au Cabinet.
M. Joe Comartin: Je vois.
Dans un tout autre ordre d'idées, il y a un article du code qui me préoccupe car on l'invoque trop souvent comme moyen de défense dans les causes de conduite avec facultés affaiblies.
Il est présumé dans le code que l'ivressomètre donne un résultat précis mais on peut contester ce résultat si on a des preuves. Cela a donné naissance à tout un secteur d'activité chez les avocats de la défense. On pourrait invoquer cet article dans le cas de test de dépistage de drogues. Je ne sais si vous avez réfléchi à la probabilité que ce moyen de défense soit invoqué avec succès. Je sais que c'est un peu compliqué et que le résultat de l'ivressomètre est plus précis que celui des analyses toxicologiques, dont le taux de confirmation est de 85 à 95 p. 100, alors que celui de l'ivressomètre est de près de 100 p. 100. En dépit de tout cela, on invoque souvent ce moyen de défense avec succès devant les tribunaux inférieurs.
Avez-vous étudié cette question? Ce moyen de défense et cette présomption figurent à l'alinéa 258(1)d.1) du code. Avez-vous analysé l'incidence que cet article pourrait avoir sur le projet de loi?
M. Evan Graham: Les éthylomètres de constat ont une tolérance de plus ou moins 20 milligrammes pour cent, alors que tout échantillon de liquide corporel donne une mesure exacte, sans variation, car il a été prélevé directement sur le corps.
Dans le cas d'un conducteur avec les facultés affaiblies par la drogue, il n'y a pas de niveau présomptif. Bien que la communauté scientifique s'entende sur le niveau réel à partir duquel certaines drogues affaiblissent les facultés, on s'est demandé si on devrait inclure un tel niveau, comme celui de 80 milligrammes pour cent prévu pour l'alcool. Mais le problème que pose l'alinéa 253b), c'est que certains ont les facultés affaiblies même si leur alcoolémie est bien inférieure à 80 milligrammes pour cent millilitres. Le résultat de l'ivressomètre ne vous permet pas de déterminer si le conducteur avait les facultés affaiblies, mais bien de déterminer s'il avait une alcoolémie supérieure à celle permise par la loi.
Dans le cas de l'affaiblissement des facultés par la drogue, seul l'alinéa 253a) s'applique. Si vous pouvez prouver l'affaiblissement des facultés par l'effet d'une drogue relevant d'une catégorie particulière et que le résultat de l'analyse toxicologique confirme que cette catégorie de drogue était présente dans l'organisme de l'accusé, vous pouvez déposer une accusation.
¿ (0945)
Le président: Monsieur Cullen, vous avez cinq minutes.
L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci à vous, surintendant en chef Souccar, monsieur Graham et monsieur Palk.
Monsieur Palk, merci de votre témoignage. Je présume que le conducteur qui a frappé votre voiture et omis de s'arrêter a subséquemment été arrêté et condamné et qu'on lui a imposé une peine. Peut-être pourriez-vous nous dire justement quelle peine lui a été infligée.
Vous avez dit que ce conducteur avait les facultés affaiblies par la drogue. A-t-on déterminé de quelle drogue il s'agissait?
M. Lawrence Palk: En fait, il s'agissait d'alcool. Environ 10 ans avant mon accident, ce même conducteur avait frappé et tué une jeune infirmière. Pour avoir causé l'accident dans mon cas, je crois qu'il a purgé deux mois de prison, qu'il a passé trois mois dans une maison de transition et qu'on a suspendu son permis de conduire pour trois ans.
L'hon. Roy Cullen: Et c'est tout ce que...
M. Lawrence Palk: C'est la peine qu'on lui a imposée.
L'hon. Roy Cullen: Et voilà qui m'amène à ma prochaine question, à l'intention de M. Souccar.
Pour la première partie, je m'appuierai sur ce qu'a dit M. Marceau. Disons qu'un policier suit une voiture dont la façon de rouler n'est pas normale, et qu'il l'arrête. Souvent, aussi, les policiers font des... Ce ne sont pas des barrages routiers, mais...
M. Raf Souccar: Comme pour le programme R.I.D.E.
L'hon. Roy Cullen: Oui, des points de contrôle du programme R.I.D.E.
Si quelqu'un est en état d'ébriété, ou que l'on soupçonne de l'être, je présume que les policiers peuvent s'en apercevoir rien qu'en sentant l'haleine du conducteur. Mais si quelqu'un est drogué parce qu'il a pris de la marijuana ou une autre drogue, quels sont les signes que le policier pourrait détecter?
M. Raf Souccar: Un policier peu rechercher divers signes, allant de l'odeur liée à la consommation des drogues au volant, la rougeur des yeux, l'empâtement de la parole, etc. Il y en a bien d'autres, qu'apprennent à reconnaître les policiers qui reçoivent une formation sur le tests de sobriété normalisés et la reconnaissance des drogues. Cela leur donne des raisons de parler un peu avec le conducteur pour se faire une idée, avant de lui demander de procéder à un test de sobriété normalisé.
L'hon. Roy Cullen: Merci.
J'aimerais revenir à la réponse donnée par M. Palk. Nous traitons souvent, sur la Colline, de diverses mesures contre l'alcool au volant. Il y a eu un projet de loi sur l'étiquetage des cannettes de bière et des bouteilles de boissons alcoolisées et de vins. Je trouve toujours troublant de constater que ceux qui représentent le plus grand risque, il me semble, sont les récidivistes, d'après les statistiques que j'ai vues.
Les gens ordinaires qui vont prendre un verre ou deux en ville... Comme vous dites, la plupart des gens sont des conducteurs responsables mais dans presque tous les cas, ceux qui causent les accidents comme celui dont a été victime M. Palk sont des récidivistes. Il me semble qu'on hésite à les incarcérer ou à leur retirer leur permis pour toujours. Même si leur permis de conduire est suspendu, ces gens conduisent tout de même et ils se font arrêter à maintes reprises.
Je crois que le projet de loi n'en traite pas, mais que faut-il faire pour que les récidivistes soient traités plus sévèrement?
¿ (0950)
M. Raf Souccar: Je pense que cela nous ramène à une discussion que nous avons eue plus tôt au sujet du cannabis et sur la façon d'agir contre les mariculteurs.
Là encore, la sensibilisation est importante, mais aussi la capacité de présenter un solide dossier au tribunal, ou de présenter les faits de manière à bien faire comprendre à l'appareil judiciaire les conséquences de l'acte pour lequel une personne est accusée. Parfois, il faudrait que les policiers puissent mieux présenter leurs dossiers au procureur, et dans d'autres cas, ce sont les juges qui doivent mieux comprendre les risques et la gravité de l'infraction.
Le président: Je regarde l'horloge et je vois qu'il reste six minutes avant l'arrivée du témoin suivant à 10 heures. Je vais demander aux membres du comité d'accepter que la prochaine ronde compte trois minutes pour les questions et les réponses, d'ici la fin de cette partie de la séance.
Si le comité le souhaite, nous pourrions vous réinviter. Il semble que nous ayons encore beaucoup de questions à vous poser.
M. Raf Souccar: Volontiers.
Le président: Bien.
Nous passons donc à une ronde de questions de trois minutes.
Monsieur Warawa.
M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, messieurs, d'être venus.
Je travaillais avant comme agent de prévention des sinistres pour une société d'assurance. Quand un accident de voiture mortel se produisait, je devais déterminer ce qui s'était produit et rédiger un rapport. Souvent, il y avait affaiblissement des facultés du conducteur.
Le projet de loi C-16 porte surtout sur les drogues illégales et l'alcool, mais les médicaments sur ordonnance peuvent aussi avoir une incidence sur la capacité de conduire. Les médicaments contre l'arthrite peuvent affaiblir les facultés. Avec le vieillissement de la population et la croissance du nombre de personnes consommant des médicaments, ce problème devient bien réel.
Dans le cadre de la stratégie antidrogue nationale, à laquelle M. White a fait allusion, il nous faut absolument un programme de sensibilisation. Vous savez peut-être qu'il y a déjà une page Web prête à être affichée et qu'on s'abstient de rendre publique pour une raison quelconque. Nous devons conscientiser les gens à ces questions. Peut-être voudrez-vous faire des remarques sur cette page Web qui n'est toujours pas en ligne pour une raison quelconque.
J'ai deux questions. Premièrement, que fait-on du véhicule pendant que le conducteur est au poste de police pour subir l'évaluation de l'expert en reconnaissance des drogues? Le véhicule est-il envoyé à la fourrière? Si on confirme que le conducteur est sous l'effet de l'alcool ou d'une drogue, que fait-on du véhicule? J'ai entendu dire que souvent, le véhicule est remorqué jusqu'au domicile du suspect qui, à son retour chez-lui, peut facilement reprendre le volant. Ces décisions se justifient mal et peuvent entraîner des risques.
Ma deuxième question porte sur l'affaiblissement des facultés par les drogues et l'alcool. Dans les témoignages que j'ai entendus, on a affirmé qu'il est plus difficile d'obtenir une condamnation pour conduite avec les facultés affaiblies que pour meurtre. En Colombie-Britannique, on se contente souvent de suspendre le permis de conduire pour 24 heures. J'ignore toutefois s'il en va de même ailleurs au Canada. J'approuve l'esprit du projet de loi C-16. Mais en pratique, croyez-vous pouvoir obtenir des condamnations alors qu'il est déjà si difficile d'obtenir les condamnations pour conduite en état d'ébriété.
Merci.
M. Raf Souccar: En réponse à votre première question sur la page Web ou l'étude qui n'a pas encore été rendue publique, je ne suis pas certain de quoi il s'agit. Je sais que nous avons participé activement, avec Santé Canada, à la création du site Web « Sois plus futé que la drogue » qui contient des messages à l'intention des jeunes et des parents pour les aider à reconnaître la consommation de drogue. C'est un outil qui existe. Il y a aussi le CD que j'ai distribué plus tôt, Pas prêt à partir. Il y a d'autres initiatives que nous voulons étendre à l'échelle du pays pour contribuer à la sensibilisation, car c'est un élément important de la stratégie.
Je vais vous laisser Evan vous décrire ce qu'on fait du véhicule. Je crois savoir qu'il est remorqué. Pour ce qui est de savoir s'il est difficile d'obtenir des condamnations, je crois que ce projet de loi, d'abord et avant tout, donnera aux services d'application de la loi les outils nécessaires pour, à tout le moins, déposer des accusations. C'est la première étape. Si vous ne pouvez pas déposer d'accusation, la question de la condamnation n'a plus de pertinence. Il faut d'abord avoir les outils nécessaires pour reconnaître les conducteurs dont les facultés sont affaiblies par les drogues. Puis, nous pouvons travailler à préparer le dossier qui mènera à une condamnation, le cas échéant.
¿ (0955)
M. Evan Graham: Avec les tests de sobriété normalisés et le programme d'expert en reconnaissance des drogues, la formation que reçoivent les policiers pour bien enquêter sur les cas de conduite avec les facultés affaiblies devrait entraîner une augmentation des condamnations. Leur formation est bien meilleure qu'avant.
Pour ce qui est du véhicule, cela relève de chaque province. Moi, j'ai surtout travaillé en Colombie-Britannique. Nous n'avions pas le pouvoir de faire remorquer le véhicule d'un conducteur aux facultés affaiblies à moins qu'il n'ait été garé illégalement. Cela a changé depuis. On peut maintenant faire mettre le véhicule à la fourrière pour 24 heures. Cela diffère selon la province. Normalement, s'il n'y a pas de mécanisme prévu par la loi, la voiture est remorquée si elle est en stationnement illégal ou si le conducteur le demande pour des raisons de sécurité.
Le président: Merci, monsieur Graham.
Je cède maintenant la parole à M. Ménard du Bloc québécois.
[Français]
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Merci.
Si j'en juge par l'âge de vos enfants, je suis un peu plus vieux que vous. Je peux vous dire que mes enfants, sans même que je leur dise, ont des conducteurs désignés lorsqu'ils en ont besoin. Je trouve cela bien. On peut donc réaliser beaucoup de choses par l'éducation.
J'ai pratiqué le droit criminel durant 27 ans avant de faire de la politique et j'ai vu l'arrivée des tests objectifs qui, je pense, facilitent grandement le travail.
Les forces policières ont aussi fait autre chose au cours de ces dernières années: les barrages routiers. Vous êtes sans doute assez vieux pour avoir connu l'époque où on ne faisait pas de barrages routiers. Vous avez vu le début de ces barrages et vous en faites encore. On a remarqué une nette diminution du nombre de conducteurs avec facultés affaiblies aux barrages routiers.
Pourriez-vous me parler de cette différence? De mémoire, je crois qu'il y en avait entre 12 et 15 p. 100 au début. Maintenant, il y en a peine 1 ou 2 p. 100. Est-ce exact?
M. Raf Souccar: Je suis complètement d'accord avec vous, monsieur Ménard. Il y a eu une diminution remarquable des gens qui conduisent avec des facultés affaiblies. Je crois que c'est parce que ce n'est plus considéré acceptable de conduire avec des facultés affaiblies. Nous avons plusieurs programmes, par exemple l'Opération Nez rouge à Noël et au Jour de l'An.
Nous croyons que le message a été passé et que nous avons fait notre devoir en éduquant le public de la meilleure façon possible, ce qui a eu comme résultat une diminution du nombre de conducteurs avec facultés affaiblies.
M. Serge Ménard: Donc, on a obtenu des résultats formidables grâce à l'éducation du public, sans pour autant augmenter les sentences, n'est-ce pas?
M. Raf Souccar: On n'a pas augmenté les sentences. On en voit parfois qui sont plus sévères, mais de façon générale, c'est vrai.
M. Serge Ménard: Il est utile de le constater.
Les tests objectifs, les tests de réflexes, si je comprends bien, seront obligatoires si on adopte cette loi. Actuellement, une personne que vous arrêtez sur l'accotement n'a aucune obligation de s'y soumettre. Vous lui demandez de marcher sur une ligne droite en s'assurant de toucher le talon d'un pied avec les orteils de l'autre, de fermer les yeux et de se toucher les oreilles, etc. Il n'y a actuellement aucune obligation pour la personne de se soumettre à ces tests.
M. Raf Souccar: Absolument pas. En ce moment, c'est complètement volontaire.
M. Serge Ménard: La majorité des gens le font, ne sachant pas que ce n'est pas obligatoire.
M. Raf Souccar: Il y en a qui consultent un avocat. La plupart des gens qui consultent un avocat refusent de le faire. Par contre, plusieurs ne consultent pas un avocat et acceptent de passer le test.
M. Serge Ménard: Le dernier problème...
[Traduction]
Le président: Monsieur Comartin, à vous la parole.
M. Joe Comartin: Non, je cède mon temps à M. Ménard.
[Français]
M. Serge Ménard: Parlons de la marijuana. D'après ce que j'ai entendu, il semble acquis que la marijuana a un effet pendant quelques heures, mais qu'elle reste dans le sang pendant plusieurs jours, sans avoir d'effet sur la conduite.
Voyez-vous là une certaine injustice envers quelqu'un chez qui on dépisterait la présence de marijuana? D'autant plus que l'un de nos champions olympiques a prétendu que les traces de marijuana décelées dans son sang étaient attribuables à la fumée secondaire. Je ne crois pas que ce soit la raison pour laquelle il a conservé sa médaille d'or.
J'aimerais entendre votre réflexion à ce sujet, car j'ai trouvé votre présentation très objective et, par conséquent, très utile.
À (1000)
M. Raf Souccar: Vous avez tout à fait raison. la marijuana reste dans le système pendant plusieurs jours. Maintenant, les tests de toxicologie détermine la présence de deux sortes de THC, le tétrahydrocannabinol, dans le sang. Il y a un THC actif et un THC non actif.
L'hydroxy est le principe chimique actif, alors que le carboxy est inactif. Le test de toxicologie peut déterminer si c'est actif ou pas actif. Ce qui est actif reste dans le sang pendant 6 heures, pas plus. On peut donc déterminer, grâce aux tests de toxicologie, si le THC qui est dans le sang est actif ou non.
[Traduction]
Le président: Monsieur Comartin, il vous reste 45 secondes.
M. Joe Comartin: Je m'entretiendrai avec le caporal Graham après la réunion. Merci.
Le président: Je cède maintenant la parole à Mme Neville pour une intervention de trois minutes qui devra inclure la question et la réponse. Puis, je devrai clore la réunion.
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci.
J'ai une question sur les accusations ou condamnations de conduite avec les facultés affaiblies par la drogue par opposition à l'alcool. Il semble y avoir beaucoup plus de ces accusations et condamnations pour alcool au volant. Comment expliquez-vous cette différence? Il y a plus de condamnations pour conduite en état d'ébriété. Quels sont les facteurs qui contribuent aux condamnations pour conduite avec les facultés affaiblies par la drogue? Comment faire en sorte qu'il y ait plus d'arrestations et de condamnations?
M. Raf Souccar: Je pense qu'il y a plus d'accusations et de condamnations pour alcool au volant tout simplement parce que nous avons un appareil permettant de déterminer l'alcoolémie. Nous avons l'alcootest et l'ivressomètre et les agents de police sont depuis longtemps formés à reconnaître les symptômes de l'affaiblissement des facultés par l'alcool et non pas par les drogues.
Je crois donc qu'avec le programme d'expert en reconnaissance des drogues, le test de sobriété normalisé et toute la formation qu'Evan dispense à l'échelle du pays, ainsi qu'avec ce projet de loi, nos policiers seront de plus en plus en mesure d'intercepter les conducteurs aux facultés affaiblies par la drogue et que le nombre d'accusations et de condamnations augmentera.
Je sais que le nombre de poursuites pour conduite avec les facultés affaiblies par la drogue augmentera et qu'il y aura en conséquence une réduction des blessures et des décès dans les accidents de la route.
Mme Anita Neville: Ce sera tout pour moi aujourd'hui. Merci.
Le président: Merci beaucoup, madame Neville.
Je remercie tous les témoins d'être venus ce matin. Nous recommuniquerons avec vous.
Monsieur Graham, vous avez fait allusion à des études menées en Californie. Pourriez-vous nous faire parvenir des exemplaires de ces rapports?
M. Evan Graham: Oui.
Le président: Merci beaucoup.
Je suspends les travaux pendant une minute pour permettre aux témoins suivants de prendre place.
Oui, monsieur White.
M. Randy White: Monsieur le président, nous avons tant de questions, je crois que nous devrions réinviter les représentants de la police.
Le président: J'en ai déjà parlé. Nous verrons si c'est possible.
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC): Et quand est-ce que ce serait?
Le président: Notre horaire est rempli jusqu'au 23 juin. Il nous faudra...
M. Myron Thompson: À l'automne?
À (1005)
Le président: Nous pourrions prévoir une séance supplémentaire, si vous le souhaitez.
M. Randy White: Oui, peut-être faudrait-il faire cela.
M. Myron Thompson: Monsieur le président, je signale que dix députés siègent à ce comité et que seulement la moitié d'entre eux ont pu poser des questions aujourd'hui. Cela n'a rien à voir avec les partis politiques. Nous voulons tous simplement avoir des réponses à nos questions.
Je pense que nous devrions revoir notre mode de fonctionnement.
Le président: Cela dépend. Parfois, nous avons beaucoup de questions pour les témoins, parfois nous en avons moins. Pour trouver le juste milieu...
M. Myron Thompson: Je comprends, mais...
Le président: En l'occurrence, nous avons demandé aux témoins de revenir et ils ont accepté.
Je prends note de vos observations.
Je suspends les travaux pendant une minute.
À (1005)
À (1009)
Le président: Nous reprenons nos travaux.
Nous accueillons maintenant la commissaire à la protection de la vie privée, Mme Jennifer Stoddart. Madame Stoddart, vous pouvez faire vos remarques liminaires, après quoi il y aura une période de questions.
Merci beaucoup d'être venue.
À (1010)
Mme Jennifer Stoddart (commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invitée en cette belle matinée pour vous entretenir de ce sujet extrêmement intéressant et complexe.
[Français]
Nous sommes là ce matin pour discuter du projet de loi C-16, un projet de loi qui propose d'apporter des modifications au Code criminel en ce qui a trait à la conduite avec facultés affaiblies. Le commissariat n'a pas eu, par le passé, l'occasion de se prononcer sur cette question. Nous acceptons donc volontiers votre invitation à faire part de nos préoccupations relatives aux modifications proposées et à leur incidence sur le droit à la protection de la vie privée des Canadiennes et des Canadiens.
Me Patricia Kosseim, avocate générale, m'accompagne ce matin et pourra répondre à vos questions d'ordre plus juridique.
J'aimerais mentionner, en guise de préambule à mes observations, une chose très importante. Le commissariat reconnaît qu'il existe au Canada un problème de conduite avec facultés affaiblies et un problème de sécurité routière. Chaque année, près de 3 000 personnes sont tuées dans des accidents impliquant des véhicules à moteur, et nous savons que l'alcool contribue à un nombre considérable de ces accidents. Certains éléments probants indiquent également que la conduite avec facultés affaiblies par les drogues, plus précisément lorsqu'elles sont combinées à l'alcool, est un des facteurs d'accident impliquant des véhicules à moteur.
Nous appuyons les intentions de ce projet de loi, qui sont de rendre nos routes plus sécuritaires et de protéger les Canadiennes et les Canadiens des effets de la conduite avec facultés affaiblies. Cependant, comme nous en discuterons, nous entretenons certaines réserves sur la manière dont le présent projet de loi se propose d'aborder le problème.
[Traduction]
Avant de discuter de dispositions spécifiques du projet de loi C-16, j'aimerais prendre du recul et faire mes observations sur le problème sociétal plus général qui sous-tend ce projet de loi.
Bien que nous ayons tendance à associer le terme « drogues » avec la marijuana, la cocaïne et d'autres drogues illicites, plusieurs médicaments délivrés sur ordonnances et même des médicaments en vente libre peuvent agir sur nos habilités motrices et réduire le temps de perception-réaction. La plupart d'entre nous, à un moment ou l'autre, consomment des drogues pouvant avoir un effet sur notre performance au volant et je crois qu'il vaut la peine d'en prendre note alors même que cette législation va de l'avant.
Je traiterai maintenant des dispositions du projet de loi C-16.
Le projet de loi propose un processus en trois étapes pour déterminer la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. D'abord, si un agent de la paix a des motifs raisonnables de soupçonner qu'une personne qui conduit un véhicule à moteur a consommé des drogues, il peut soumettre celle-ci à des épreuves de coordination des mouvements le long de la route. Ensuite, en se fondant sur la manière dont la personne a réagi lors de ces épreuves, l'agent de la paix peut, dans l'éventualité où il aurait des motifs raisonnables de croire que la personne a les facultés affaiblies, exiger que la personne se soumette à une évaluation menée à un poste de police par un expert qualifié en dépistage des drogues. Enfin, en se fondant sur cette évaluation, l'agent de la paix peut exiger que la personne fournisse un échantillon de liquide buccal ou d'urine ou qu'elle fasse l'objet d'un prélèvement de sang en vue de déterminer s'il y a présence de drogue dans l'organisme de la personne.
De façon générale, ce processus est similaire à celui utilisé pour déterminer la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, à l'exception d'une différence considérable. Cette différence, bien entendu, c'est qu'une personne soupçonnée de conduite avec facultés affaiblies par l'alcool se verrait demander de se soumettre à une épreuve à l'ivressomètre. Soumettre une personne à une épreuve à l'ivressomètre est bien moins envahissant que d'exiger qu'elle fournisse une substance corporelle. De plus, l'épreuve à l'ivressomètre est une méthode beaucoup plus précise d'évaluation de l'affaiblissement des facultés.
J'aimerais maintenant parler de l'évaluation des facultés affaiblies par les drogues. Cette question est au coeur de mes préoccupations au regard du projet de loi. Bien que le recours aux épreuves à l'ivressomètre approuvées à titre de méthode pour mesurer le niveau d'alcoolémie ait surmonté de nombreux défis d'ordre juridique, et que le lien entre le niveau d'alcoolémie et l'affaiblissement des facultés soit bien établi, il n'existe aucune méthode objective et reconnue de manière générale pour déterminer l'affaiblissement des facultés par les drogues. Il n'existe pas non plus de corrélation uniforme établie entre la concentration de drogue détectée dans l'organisme d'une personne et l'affaiblissement des facultés.
À (1015)
[Français]
Le ministère de la Justice du Canada, dans un document de consultation publié en 2003, reconnaît les limites importantes des tests de dépistage de drogue:
Les experts en criminalistique ont fait savoir que contrairement à l'alcool, il est souvent extrêmement difficile d'établir le seuil de concentration précis à partir duquel les facultés de la plupart des conductrices ou des conducteurs seront affaiblies. De plus, il se peut que l'analyse de certains liquides organiques pour trouver des traces de drogue indique simplement qu'il y a eu consommation de drogue plusieurs jours ou même plusieurs mois auparavant. |
Le rapport du Comité spécial sur les drogues illicites du Sénat, déposé en 2002, insiste sur le fait que la présence de drogue dans l'organisme ne signifie pas nécessairement que celle-ci ait été la cause de l'accident, et je cite ce rapport du comité spécial du Sénat:
[...] le fait de dépister du cannabis chez les conducteurs accidentés n’est pas nécessairement signe qu’il en était la cause. |
Cela m'amène à mon prochain sujet: les questions de proportionnalité et de justification. Les observations précédentes, tirées d'études commanditées par le gouvernement fédéral et même par le Sénat, soulèvent de sérieuses questions concernant l'efficacité et la proportionnalité des mesures proposées.
En ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée, l'un de mes mandats consiste à surveiller l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui régit la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels effectuées par les ministères et les organismes gouvernementaux.
[Traduction]
L'un des principes fondamentaux relatifs à l'équité dans le traitement des renseignements sous-jacent à la Loi sur la protection des renseignements personnels soutient que les renseignements personnels ne devraient pas être collectés à moins qu'ils ne puissent être utilisés en vue d'atteindre l'objectif spécifique pour lequel ils ont été recueillis. Forcer des personnes à fournir des substances corporelles porte atteinte à la vie privée. L'ingérence est aggravée lorsque les échantillons ne peuvent, avec certitude, servir à mesurer l'affaiblissement des facultés. Les substances corporelles peuvent servir à déceler un usage antérieur, mais un usage antérieur n'est pas toujours la preuve de facultés affaiblies au moment du dépistage. La collecte et l'analyse de substances corporelles pourraient tout simplement donner lieu à la collecte de renseignements personnels pouvant être préjudiciables sans même poursuivre l'objectif de déterminer la conduite avec facultés affaiblies par les drogues.
Si, en dépit des préoccupations que j'ai soulevées, le gouvernement décide d'aller de l'avant avec cette loi, les substances corporelles recueillies ainsi que les résultats provenant de l'analyse de ces échantillons devront être adéquatement protégés. Par exemple, l'information concernant la condamnation pour conduite avec facultés affaiblies par un mélange d'alcool et de drogues sera-t-elle enregistrée dans des ordinateurs de la police accessibles à d'autres forces policières au Canada ou à l'étranger?
Compte tenu de la nature délicate des renseignements personnels et de la possibilité que ceux-ci révèlent la consommation de drogues non prescrites, même si une telle consommation n'a pas eu pour effet d'affaiblir les facultés, il est absolument essentiel que l'utilisation et la communication de ces renseignements personnels fassent l'objet d'un contrôle rigoureux et que l'information ne se retrouve pas dans la base de données utilisée à des buts autres que ceux de l'application de la loi ou dans des bases de données partagées avec d'autres pays qui auraient peut-être des normes moins rigoureuses que les nôtres en matière de protection de la vie privée. Il est essentiel que les enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies ne servent pas, d'une façon détournée, à identifier les usagers de drogues illégales ou les usagers illicites de médicaments sur ordonnance.
Nous sommes satisfaits du fait que la loi limite l'utilisation et la communication de cette information aux enquêtes relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Cependant, le projet de loi ne contient aucune disposition réglementant la durée de conservation des substances corporelles recueillies en vertu des dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies. Des rectifications à cet égard s'imposent.
[Français]
Monsieur le président, je vais maintenant passer à mes observations finales.
Je tiens à ce que mes propos soient très clairs pour vous. La conduite avec facultés affaiblies par les drogues constitue déjà une infraction au Code criminel pouvant donner lieu à des peines allant jusqu'à l'emprisonnement à vie lorsqu'elle cause la mort d'une autre personne. Je ne prétends pas qu'on ne doive pas combattre avec vigueur la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. Le problème de la conduite avec des facultés affaiblies par les drogues est réel. Il est également complexe et nécessite une réaction réfléchie.
Le gouvernement devrait étudier la possibilité d'une approche sur plusieurs fronts visant la sensibilisation du grand public aux causes et aux conséquences de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues. L'approche serait soutenue par les recherches sur les effets de la consommation de drogue, la performance et l'affaiblissement des facultés.
Si le gouvernement choisissait d'aller de l'avant en dépit des préoccupations exprimées, il devrait à tout le moins inclure une clause entraînant un examen de la loi sur trois ans. Cela fournirait au public canadien l'assurance que la loi fera l'objet d'un examen, tout en donnant l'occasion de recueillir de solides éléments probants concernant l'ampleur du problème et l'efficacité des mesures mises de l'avant pour l'aborder.
Tel que je l'ai mentionné plus tôt, je recommande d'inclure une disposition réglementant la durée de conservation des substances corporelles recueillies en vertu des dispositions sur la conduite avec facultés affaiblies.
À (1020)
[Traduction]
En conclusion, j'exhorte le comité à bien prendre en considération les préoccupations en matière de protection de la vie privée et de s'assurer que toute solution qui pourrait être adoptée pour traiter le problème de la conduite avec facultés affaiblies par les drogues soit justifiée clairement afin qu'il n'y ait pas érosion constante de la protection de renseignements personnels délicats.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé aujourd'hui. Je répondrai volontiers à vos questions.
Le président: Merci, madame Stoddart.
Monsieur Breitkreuz, vous avez cinq minutes.
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie beaucoup d'être venue témoigner devant notre comité. Votre témoignage est à mon avis des plus importants.
Je commencerai par une question sur la dernière partie de votre exposé avant d'aborder d'autres sujets. Si, dans la rédaction d'une mesure législative, le gouvernement ne tient pas compte de vos préoccupations concernant d'éventuelles violations du droit à la vie privée, est-il possible de l'obliger à modifier son projet de loi ou peut-il tout simplement faire fi de vos conseils?
Mme Jennifer Stoddart: Je ne suis pas sûre d'avoir compris votre question, monsieur le député, mais, en droit, le Parlement est suprême. Vous, les législateurs, déterminez le contenu des projets de loi. Il se peut que ces projets de loi fassent ensuite l'objet d'une contestation judiciaire et que certaines dispositions soient annulées, mais je ne suis qu'une conseillère du Parlement et du gouvernement et vous pouvez suivre mes conseils ou non.
M. Garry Breitkreuz: Si vous avez des réserves et que l'on conteste la mesure législative devant les tribunaux, elle pourrait très bien être annulée pour cause de violation de la vie privée.
Mme Jennifer Stoddart: Oui, mais cela dépend du contenu de la version définitive du projet de loi et, plus particulièrement, de la façon dont la loi sera administrée. Notre exposé est forcément plutôt court, mais après avoir examiné les divers critères, il me semble que certaines dispositions sont plus délicates et seraient plus vulnérables à une éventuelle contestation judiciaire, en raison de leur nature subjective et de l'absence de lien entre les mesures proposées et ce que nous savons sur la causalité dans les cas de conduite avec les facultés affaiblies. Ces aspects du projet de loi pourraient, à mon avis, être contestés.
M. Garry Breitkreuz: À la fin de vos remarques, vous avez aussi dit que si après une vérification sur place, dans un lieu public, l'agent de la paix estime que le conducteur a consommé des drogues illicites, il ne peut l'en accuser si ce n'est pas pour ce motif que le conducteur a été arrêté. Est-ce cela qui, selon vous, constitue une violation du droit à la vie privée? Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il en est ainsi?
Mme Jennifer Stoddart: L'un des principes de la protection de la vie privée, y compris de notre propre loi en la matière, veut que l'on ne puisse utiliser des informations qu'aux fins pour lesquelles elles ont été recueillies. D'ailleurs, notre loi dit que tout élément de preuve recueilli lors de l'administration des épreuves en vue de déterminer l'affaiblissement des facultés ne peut servir à d'autres fins. Ce n'est pas tout à fait la même chose que d'avoir des faits à partir desquels un agent de police pourrait appliquer différents articles du Code criminel. Mais je ne suis pas experte en droit pénal et d'autres que moi seraient mieux en mesure de répondre à votre question.
M. Garry Breitkreuz: Je veux être sûr de bien comprendre: si un agent de la paix arrête un conducteur qu'il soupçonne d'avoir les facultés affaiblies par la drogue et que le test prouve que le conducteur a consommé une substance illégale, celui-ci ne pourrait pas faire l'objet d'accusations?
Mme Jennifer Stoddart: Je crois savoir que selon le projet de loi, toutes les nombreuses étapes servent à déterminer si on a suffisamment de preuves pour accuser le conducteur de conduite avec les facultés affaiblies par les drogues ou un mélange d'alcool et de drogue. Je n'ai pas de connaissances d'expert en la matière, mais je crois savoir que si un agent de police détient certains faits et en constate d'autres, il peut mettre en application d'autres dispositions du Code criminel. Mais, je le répète, je ne suis pas la mieux en mesure de vous conseiller à ce chapitre.
À (1025)
M. Garry Breitkreuz: S'ils font un contrôle normal pour l'ébriété et constatent qu'il y a dans le véhicule quelque chose qui ne devrait pas y être, il me semble que les policiers devraient pouvoir porter des accusations. Il pourrait s'agir de contrebande ou d'autre matériel illégal dans la voiture.
Le président: Il reviendrait peut-être plutôt au ministère de la Justice de répondre à cette question.
Mme Jennifer Stoddart: Je vois les choses comme l'honorable député. Si on intercepte une personne selon les dispositions de la loi, qu'on constate la présence de drogues illicites, on peut alors appliquer les dispositions de la loi portant sur la possession de drogues illégales. L'un n'exclut pas l'autre. Ce qui nous préoccupe, ce sont les données recueillies au moyen de ces tests, et leur utilisation ultérieure.
M. Garry Breitkreuz: D'après la police, ces tests sont précis à 85 p. 100. On peut dont craindre qu'une personne innocente soit injustement accusée de conduite avec facultés affaiblies par la drogue et que sa réputation soit complètement ruinée. Quelles sont vos préoccupations à cet égard? Que proposez-vous pour prévenir ce genre d'erreur?
Mme Jennifer Stoddart: C'est précisément pourquoi nous avons soulevé ces questions. Quand notre personnel a fait des recherches à ce sujet, il a constaté avec étonnement qu'il n'y a pas la certitude du lien causal qui a pu être établi dans le cas de la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool. Cela ouvre la porte à toutes sortes de craintes relatives aux renseignements personnels, à la stigmatisation, etc.
Je ne savais pas que la précision n'était que de 85 p. 100. Voilà qui nous donne encore plus de soucis au sujet de cette loi et, si elle est adoptée, au sujet de son administration. Pour obtenir une condamnation, il est clair qu'il faudrait s'adresser à un tribunal et les avocats de la défense pourront alors soulever ce genre de doute.
Nous proposons des amendements relatifs à la conservation des données résultant de ces tests de dépistage de drogue. Si nous constatons, en nous renseignant, que certains de ces tests ne sont pas fiables dans l'état actuel des connaissances scientifiques, nous voudrons aussi nous assurer que les renseignements obtenus pourront être corrigés par après. Nous voulons aussi nous assurer que ces données ne seront pas utilisées à tort et à travers. Nous recommandons aussi que le comité ajoute un amendement portant réexamen de la loi après trois ans. Il pourrait s'agir d'une clause de temporarisation et d'une clause d'examen, mais je vous y incite vivement, parce que je juge qu'il serait prudent de le faire, étant donné l'évolution des connaissances sur la consommation de drogues.
M. Garry Breitkreuz: Excellente suggestion.
Le président: Monsieur Ménard.
[Français]
M. Serge Ménard: Je tiens d'abord à vous féliciter pour vos suggestions. Il s'agit là d'une vision différente qui, à mon avis, complète celle que nous avons déjà. Je note que vous adhérez vous aussi à cet objectif essentiel qui consiste à réduire les accidents et le nombre de victimes sur les routes. Vous voulez en outre que les mesures appliquées soient le plus conformes possible au respect de certaines valeurs fondamentales ainsi qu'à nos droits, entre autres celui de ne pas être incriminé.
J'ajouterais à vos remarques, à l'intention de mes collègues, que si, dans notre système de droit, les accusés ne sont pas obligés de faire de déclaration, ils sont par contre tenus de ne pas mentir. On estime qu'ils sont mis dans une position intenable s'ils ont à choisir entre mentir et participer à leur propre condamnation. Je crois que rien dans ce que vous avez examiné ne limiterait l'utilisation des analyses sur les drogues auxquelles on aurait recours uniquement dans les cas de facultés affaiblies par l'usage des drogues.
À (1030)
Mme Jennifer Stoddart: J'avais compris que c'était dans la mesure législative elle-même.
M. Serge Ménard: Vous dites que si le gouvernement choisit d'aller de l'avant en dépit des préoccupations exprimées, les substances corporelles recueillies ainsi que les résultats provenant de l'analyse de ces échantillons devront être adéquatement protégés.
Quelle protection supplémentaire suggérez-vous?
Mme Jennifer Stoddart: Je crois que vos préoccupations se rapportent aux paragraphes 258.1(1) et (2) proposés à l'article 8 du projet de loi.
On devrait peut-être s'exprimer plus clairement, monsieur le député. Ce qu'on veut dire, c'est que la loi ne mentionne pas, dans la partie qui traite des règlements, les conditions de rétention des échantillons et de leur utilisation une fois qu'ils sont entreposés. Où sont-ils gardés? Où sont-ils stockés? Comment leur utilisation est-elle régie, etc.?
Nous suggérons que cette question soit résolue par voie de règlement.
M. Serge Ménard: Vous avez dit également:
Il est essentiel que les enquêtes sur la conduite avec facultés affaiblies ne servent pas, d'une façon détournée, à identifier les usagers de drogues illégales ou les usagers illicites de drogues prescrites. |
Pourriez-vous expliquer quelle est votre crainte?
Mme Jennifer Stoddart: Oui. Il s'agit de la question des approches traditionnelles relatives à la protection des renseignements personnels. Si vous recueillez de l'information en obligeant les gens à se soumettre à ces tests de dépistage de facultés affaiblies, il faut que cette information ne soit pas utilisée à des fins de recherche de personnes possiblement responsables d'autres infractions au Code criminel.
C'est le sens de la protection des renseignements personnels. C'est également le sens de l'article du projet de loi que j'ai mentionné plus tôt.
Que fait-on de ces échantillons, de ces résultats de tests? En dehors des procédures légales, que se passe-t-il au poste de police, dans le système policier, une fois qu'on les a obtenus? Je pense que c'est une question très importante qui devrait faire l'objet d'un règlement particulier.
M. Serge Ménard: Remarquez que je suis mal à l'aise parce que, pour une raison que j'ignore, je n'ai pas eu le texte du projet de loi ce matin. Or, j'aurais voulu le lire.
La personne qui donnerait un échantillon de son sang dans lequel on trouverait de la marijuana ou même de la cocaïne, bien qu'il semble que la cocaïne ait plutôt tendance à augmenter les facultés qu'à les diminuer — c'est du moins la perception qu'on en a —, devrait être avertie auparavant qu'on ne pourra pas utiliser cet échantillon contre elle, sauf dans une cause de conduite avec facultés affaiblies.
Mme Jennifer Stoddart: L'article 258.1 proposé à l'article 8 du projet de loi dit bien:
(2) Il est interdit d'utiliser les résultats des épreuves de coordination [...] ou de l'analyse de substances corporelles prélevées sur une personne en vertu de [...] ou prélevées avec son consentement, sauf: |
a) dans le cadre de l'enquête relative à une infraction prévue à l'article [...] |
Nous voyons donc que le législateur a pris soin de cloisonner l'utilisation de la preuve pour une infraction précise, afin de prévenir une possible utilisation de la preuve dans le cadre d'une opération policière plus large reliée à d'autres infractions relatives aux substances prohibées.
Nous appuyons...
À (1035)
M. Serge Ménard: Merci.
[Traduction]
Le président: Merci.
Monsieur Comartin, c'est à vous.
M. Joe Comartin: Madame la commissaire, au sujet de votre suggestion relative à un examen après trois ans, j'ai certaines réserves. Je ne sais pas si nous aurons suffisamment de données sur ce projet au bout des trois ans, ni sur son incidence dans l'ensemble du pays. Un examen après cinq ans serait peut-être préférable.
Avez-vous étudié la question, et pourquoi proposez-vous trois ans, plutôt que cinq?
Mme Jennifer Stoddart: Non, nous ne l'avons pas fait. Ce qui nous a frappés, et moi particulièrement, dans notre examen de la situation, c'est que malgré nos préoccupations, malgré la grande corrélation entre la présence de drogues dans l'organisme et les accidents mortels, il n'y avait pas de liens clairs, pas de corrélation claire, et nous ne savons pas grand-chose au sujet des diverses substances, qu'il s'agisse de drogues illégales ou de médicaments prescrits. Je n'ai pas de faits qui puissent vous permettre de déterminer si trois ans sont préférables à cinq ans, mais d'autres témoins pourront peut-être vous aider.
Dans bien des domaines scientifiques, les connaissances évoluent très rapidement, et on peut espérer que si cette loi est adoptée malgré ses lacunes, elle pourrait avoir pour effet de susciter davantage de données dont le comité pourrait être ultérieurement saisi.
M. Joe Comartin: Dans votre analyse de ces dispositions législatives, avez-vous trouvé des administrations qui avaient essayé de fixer des normes objectives, par exemple une quantité de THC dans le sang, ou une quantité d'héroïne? Est-ce que des administrations ont essayé de le faire, comme nous l'avons fait pour l'alcool?
Mme Jennifer Stoddart: Nous avons examiné ce que faisaient d'autres administrations, mais je n'ai pas vu de normes claires. Divers pays ont essayé de définir le problème de diverses façons, mais je n'ai pas vu de pays où une substance faisait l'objet d'une interdiction quantitative, comme pour l'alcool. Si nous en trouvons, nous vous en informerons.
M. Joe Comartin: Oui, faites-le savoir au comité. Merci.
Au sujet de l'autre amendement que vous proposez, d'un point de vue général, au sujet de la destruction des échantillons, je pense qu'il faudrait appliquer d'autres critères : Est-ce que des accusations sont portées à cause de l'échantillon? Est-ce que cela donne lieu à un acquittement ou à une condamnation? Avez-vous fait une analyse de ces critères, pour l'une ou l'autre des étapes?
Mme Jennifer Stoddart: Non, nous ne l'avons pas fait, mais je pense comme vous : c'est une suggestion générale que nous faisions, mais elle devrait faire l'objet d'une réflexion approfondie. Voilà pourquoi nous proposons que vous intégriez cela à...
Il y a un article qui porte sur les règlements et si cela fait l'objet d'un pouvoir réglementaire supplémentaire, des experts pourraient rédiger les règlements en les adaptant aux données scientifiques. On nous consulte parfois au sujet des règlements et nous pouvons donc peut-être faire une autre contribution, si c'est possible.
M. Joe Comartin: À mon avis, c'est une façon inhabituelle de procéder. Normalement, du moins dans le genre de mesures législatives que j'ai vues, dans le domaine pénal, ces dispositions sont intégrées au code, plutôt que dans un règlement séparé.
Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Madame Neville, vous avez cinq minutes pour les questions et les réponses.
Mme Anita Neville: Merci beaucoup.
Merci d'être venue et merci pour vos suggestions.
Lorsque vous parlez de la protection des renseignements personnels et des droits conférés par la Charte, ainsi que de la proportionnalité exprimée dans le projet de loi, quelles sont vos plus grandes préoccupations? Se rapportent-elles aux tests de dépistage des drogues, à la communication des renseignements ou à la conservation de l'échantillon? Quelles sont vos principales réserves?
Mme Jennifer Stoddart: Nos inquiétudes primaires portent sur l'infraction, sur le fait qu'ils s'agit de mesures obligatoires. Les incidences sont énormes pour un casier judiciaire, et peuvent donner lieu à des amandes, à l'emprisonnement, etc. On oblige les gens à fournir des substances corporelles, ce qui représente une atteinte à la vie privée, en fonction d'une preuve scientifique qui demeure toujours incertaine. Reste à savoir si cette législation est prématurée.
Étant donné que, face à cette préoccupation, le Parlement va sans doute aller de l'avant avec le projet de loi, nous essayons de vous apporter des suggestions pratiques. Nous constatons, en examinant la preuve qui vient de toute part, que ce soit de l'Association médicale canadienne, le rapport du Sénat ou le rapport du ministère de la Justice, force est de constater qu'il s'agit d'un domaine passablement nébuleux.
Comme nous a dit un député, les services de police nous ont affirmé que ces tests ne donnent les résultats attendus que seulement 85 p. 100 du temps—ce qui soulève une autre question. Il s'agit donc d'une zone grise. En tant que commissaire à la protection de la vie privée, je crains que cette approche ne soit trop rigide, étant donné l'incertitude qui plane sur la question.
Il y a ensuite, bien entendu, les préoccupations qui seront soulevées une fois que la loi sera appliquée. Afin de protéger les renseignements personnels, il est essentiel que les policiers reçoivent une formation appropriée, que les tests soient administrés avec une précision scientifique, que les témoins experts comprennent bien ce sur quoi ils peuvent témoigner, etc. À la lumière de la jurisprudence que nous avons consultée, je ne suis pas convaincue qu'il existe au Canada un nombre suffisant de témoins qui connaissent bien ce domaine. Notre société ne semble pas avoir accumulé énormément d'expertise sur le lien entre la consommation de drogues et la conduite avec facultés affaiblies.
À (1040)
Mme Anita Neville: Ce qui pourrait éventuellement donner lieu à des contestations fondées sur la Charte.
Mme Jennifer Stoddart: Je pense que oui. Je crois que l'Association du Barreau canadien, qui a soumis un mémoire à ce comité, avait soulevé ces questions.
Mme Anita Neville: Avez-vous d'autres suggestions à nous faire au sujet de ce que vous venez de dire, outre ce que vous avez dans votre mémoire?
Mme Jennifer Stoddart: Je crois qu'il faut se demander si le moment est opportun pour adopter un projet de loi qui servirait à pallier au problème de la conduite avec facultés affaiblies.
Je suggère d'autres mesures, y compris des campagnes de sensibilisation du public, etc. Je ne sais pas comment on peut faire le lien entre un comité de la Chambre des communes et la recherche qui a été effectuée, etc. Il est surprenant de constater que nous ne comprenons pas très bien comment la consommation de drogues peut influencer notre façon de conduire, surtout lorsque la plupart des adultes se trouvent au volant tous les jours.
Mme Anita Neville: Merci beaucoup.
Le président: Merci, madame Neville.
Monsieur Thompson.
M. Myron Thompson: Je vais partager mon temps.
Je vous demande de m'aider rapidement à comprendre. On peut nous obliger à souffler dans un ivressomètre. Si on n'accepte pas, on est inculpé. N'est-il pas vrai, dans ce projet de loi, que si on refuse de fournir une substance corporelle, on sera aussi inculpé?
Mme Jennifer Stoddart: Oui.
M. Myron Thompson: Est-ce là votre préoccupation, ce à quoi vous vous opposez?
Mme Jennifer Stoddart: Nous estimons qu'il est moins intrusif de souffler dans un ivressomètre que de fournir un échantillon de sang, d'urine, ou de fluide buccal.
M. Myron Thompson: C'est votre opinion.
Mme Jennifer Stoddart: C'est ce que nous pensons. C'est une constatation bien reconnue. Si quelqu'un me demandait de faire cela, j'estimerais que c'est plus intrusif que de souffler dans un ballon.
M. Myron Thompson: Pour ce qui est de votre autre préoccupation, pour que ce soit bien clair dans mon esprit, disons que je suis agent de police et que j'ai arrêté ce type dans la rue. Je l'ai obligé à fournir un échantillon d'urine. Au fait, c'est un individu qui a l'air assez louche. Je me demande si je ne devrais pas vérifier auprès de la banque d'ADN pour voir s'ils ont quelque chose à son sujet—pour faire des comparaisons. Est-ce ce à quoi vous pensez lorsque vous dites qu'on risque de perdre le contrôle?
Je tente de comprendre ce qui pourrait vraiment être inquiétant. Pour moi, si une personne est soupçonnée de conduite avec facultés affaiblies, elle doit fournir un échantillon. C'est la loi, un point c'est tout. Alors qu'est-ce qui rend autant de gens si nerveux?
À (1045)
Mme Jennifer Stoddart: Je pense que notre principale préoccupation est la question de causalité, le fait que ces procédures soient obligatoires. Et sans doute les procédures dont vous parlez et que vous avez vous-même administrées étaient celles pour l'alcool où, je crois, des preuves scientifiques claires montrent que la limite intolérable est de 0,08.
L'alcool—je comprends que vous en sachiez peut-être davantage à ce sujet étant donné votre expérience de première main—que l'on boive de la bière, du gin ou du cointreau, l'effet est le même. Par conséquent, nous avons une norme universelle qui tient compte des différents métabolismes, etc. Nous pouvons donc utiliser cette norme pour dire si une personne constitue un danger sur la route lorsqu'elle a cette quantité d'alcool dans le sang.
Le problème que nous entrevoyons avec ce projet de loi à ce moment-ci, c'est que, malheureusement, les choses sont beaucoup plus compliquées lorsqu'on parle de médicament, notamment la corrélation entre les médicaments d'ordonnance, par exemple ceux qui m'auraient été prescrits par mon médecin pour un problème lié au taux d'insuline dans le sang qui pourrait fluctuer. Donc si des mesures qui porteraient disons encore plus gravement atteinte à la vie privée étaient prises dans un contexte moins clair, c'est là où il y aurait un problème et c'est ce que nous aimerions porter à votre attention.
M. Randy White: Madame Stoddart, à la page 13 de votre mémoire vous dites: « Par exemple, l'information concernant une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies par le cannabis causées par le mélange d'alcool et de drogue sera-t-elle cataloguée dans les ordinateurs de la police accessible à d'autres forces policières au Canada ou à l'étranger? »
Je dis que la réponse à cette question est oui, et j'aimerais savoir ce qui vous préoccupe.
Mme Jennifer Stoddart: Ce qui nous préoccupe, c'est qu'en général les services policiers sont en train d'adopter des normes d'interopérabilité, qu'en redéfinissant leurs systèmes de gestion de l'information, leurs systèmes informatiques, ils adoptent des normes qui peuvent être partagées non seulement entre les provinces canadiennes mais aussi à l'extérieur, au-delà de nos frontières, dans certaines circonstances.
À titre de commissaire à la protection de la vie privée, je pense que les Canadiens devraient garder un certain contrôle sur la dissémination des renseignements personnels de nature délicate. C'est une chose que ces renseignements se retrouvent dans les ordinateurs de la force policière qui a effectué le test, mais nous devons garder le contrôle sur qui d'autre pourrait lire cette information. Si je suis à l'extérieur du Canada et que tous mes dossiers peuvent être lus dans un autre pays...
M. Randy White: Vous dites ici que le CIPC, par exemple, ne devrait pas avoir cette information: « accessibles à d'autres forces policières au Canada ou à l'étranger ».
Mme Jennifer Stoddart: Je soulève la question. Je ne fais pas une observation spécifique au sujet du CIPC. Je soulève une question au sujet de la diffusion des renseignements personnels, notamment au-delà des frontières canadiennes, et de l'atteinte à la vie privée qui pourrait en résulter si nous n'établissons pas des normes claires à ce sujet.
M. Randy White: Vous dites par ailleurs à la page 7, je pense : « l'épreuve à l'ivressomètre est une méthode beaucoup plus précise d'évaluation de l'affaiblissement des facultés ». La police, avant vous, a dit tout à fait le contraire, en fait. Ils ont dit que les échantillons de liquide corporel sont en fait beaucoup plus précis que les épreuves à l'ivressomètre.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous n'êtes pas d'accord avec la police à cet égard?
Mme Jennifer Stoddart: Et bien, je me trompe peut-être, je ne le sais pas. Les études que nous avions laissent entendre que les épreuves à l'ivressomètre étaient plus précises, mais je n'ai pas personnellement d'information à ce sujet. Je serais prête à accepter les meilleures preuves scientifiques à ce sujet. La recherche qui a été effectuée par les membres de mon personnel laissait entendre que les épreuves à l'ivressomètre étaient plus précises, mais...
Le président: Monsieur Ménard.
[Français]
M. Serge Ménard: Je passe mon tour.
[Traduction]
Le président: Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin: Ça va, merci.
Le président: Monsieur Cullen.
L'hon. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.
Merci, madame Stoddart, d'être revenue devant notre comité.
Lorsqu'il est question qu'une infraction au dossier se retrouve dans le CIPC, je crois comprendre que si quelqu'un a été trouvé coupable de conduite en état d'ébriété, c'est ce qui serait inscrit au dossier. On ne préciserait pas « affaibli par la drogue » ou « affaibli par l'alcool ». Si c'est le cas, est-ce que cela allégerait certaines de vos préoccupations?
Mme Jennifer Stoddart: Oui, cela allégerait nos préoccupations. Je ne suis pas certaine—je ne connais pas personnellement et je ne crois pas que nous connaissions les renseignements qui se trouvent dans le CIPC.
Nous revenons à un thème, honorables députés, que nous avons exploré, et que nous explorons dans d'autres situations, c'est-à-dire il faut bien réfléchir aux détails des renseignements personnels qui sont accessibles en ligne à de plus en plus de groupes d'agents, disons, et aux conséquences particulières pour les Canadiens qui pourraient voyager à l'étranger.
À (1050)
L'hon. Roy Cullen: Merci.
Vous et votre bureau avez pour seule mission de protéger les renseignements personnels des Canadiens. Il n'y a rien dans la loi qui vous régit qui exige que vous examiniez le juste équilibre entre le respect de la vie privée et, disons, la paix, l'ordre et le bon gouvernement, ou tout simplement la sécurité publique. J'imagine que cela relève plutôt des parlementaires, à votre avis, étant donné votre mandat. Vous n'êtes pas tenus de balancer les risques et les avantages du respect de la vie privée par rapport à la sécurité publique, par exemple, dans ce cas-ci. Est-ce exact?
Mme Jennifer Stoddart: Ce n'est pas spécifié dans notre loi, qui est antérieure à la Charte et à la Loi sur la protection des renseignements personnel. Mon devoir est cependant d'interpréter la Loi sur la protection des renseignements personnels de façon à tenir compte des autres droits des Canadiens, comme le font les tribunaux.
L'hon. Roy Cullen: Il faut donc un certain niveau de pragmatisme, plutôt que de rester en surface... Chaque fois que l'État intervient dans la vie des citoyens, invariablement il y a une question entourant les renseignements personnels. Cependant, vous dites qu'étant donné la façon dont vous comprenez votre mandat, vous êtes tenus de trouver un juste équilibre entre les intérêts privés et les autres objectifs du gouvernement, n'est-ce pas?
Mme Jennifer Stoddart: À mon avis, je dois tenir compte des autres droits lorsque je tente de défendre le plus possible les droits des Canadiens à la vie privée. Au bout du compte, c'est le Parlement ou les tribunaux qui doivent trouver le juste équilibre, selon le cas. Je suis là pour défendre la vie privée, mais je pense que je dois être réaliste et tenir compte des autres droits que les citoyens souhaitent continuer d'avoir.
L'hon. Roy Cullen: La raison pour laquelle je soulève cette question dans ce contexte c'est que si des gens conduisent avec les facultés affaiblies et sont ainsi un risque pour la sécurité publique, que ces gens prennent de l'alcool ou des drogues, il me semble que nous devons nous assurer d'avoir les régimes en place qui nous permettent d'effectuer des tests.
Vous dites que les tests ne sont pas suffisamment fiables ou que différentes drogues peuvent représenter des faits différents pour ce qui est de déterminer si elles constituent un risque pour la sécurité publique. Cependant, les policiers que nous avons entendu précédemment ont dit que le taux de fiabilité était de 95 p. 100 en ce qui a trait au cannabis. Je pense que le taux de 85 p. 100 que vous avez cité était une moyenne aux États-Unis, selon le niveau, etc. C'est ce que j'avais cru comprendre.
Le problème à mon avis, si on retarde quelque chose comme ceci, c'est que... Vous avez entendu ce qu'a dit notre témoin précédent, M. Palk, qui était une victime d'un conducteur aux facultés affaiblies. Nous mettons de plus en plus de Canadiens en danger. Vous ou moi pourrions être frappé par un conducteur qui a pris de la marijuana ou de la cocaïne ou autre chose, et je pense que les Canadiens s'attendent à ce que nous agissions.
Je dois dire qu'en ayant un ré-examen... Uniquement pour les divers projets de loi que notre comité examine, nous faisons de nombreux ré-examens au bout de trois ou cinq ans. Cela me semble être un peu provisoire, franchement. Je pense que nous devrions avoir le courage de nos convictions et faire ce qui doit être fait selon nous. Le Parlement a la possibilité de tout ré-examiner à n'importe quel moment. Je crains tout simplement que nous soyons inondé de ré-examens de la loi, alors que nous devrions tout simplement agir comme parlementaires et dire que ce sera la loi—et que cela peut être contesté ou ré-examiner à n'importe quel moment donné.
Le président: Merci, monsieur Cullen.
L'hon. Roy Cullen: Avez-vous des observations à ajouter à ce sujet?
Mme Jennifer Stoddart: Oui, en fait, je suppose que vous devrez prendre une décision sur ces options. Je veux seulement souligner que dans mon mémoire, j'affirme très clairement être préoccupée par les données sur la conduite avec facultés affaiblies, notamment par le fait qu'une bonne partie des victimes heurtées par des chauffeurs avec facultés affaiblies meurent des suites de l'accident. Bien entendu, c'est inquiétant. Je suis moi-même préoccupée par ces questions.
En outre, lorsque j'ai prononcé mon exposé devant vous aujourd'hui, j'ai affirmé que vous alliez faire avancer ce projet de loi parce que la conduite avec facultés affaiblies préoccupent les Canadiens. Par conséquent, je tente de m'en tenir à des propos réalistes et d'établir un équilibre entre la protection de la vie privée et d'autres valeurs protégées par la Charte, c'est-à-dire l'intégrité et la sécurité de la personne, et ce, en vue de vous montrer qu'il est possible que ces dispositions soient utilisées à mauvais escient ou que leur interprétation outrepasse l'objectif visé au départ. Cela pourrait avoir des conséquences très graves sur la vie privée des Canadiens dans certaines circonstances. Je vous fais part de ces observations, car je n'ai aucun doute que ce projet de loi ira de l'avant.
À (1055)
Le président: Merci, madame la commissaire.
Monsieur Warawa, vous avez le dernier mot, et je vais devoir m'en tenir rigoureusement au temps qui vous est imparti.
M. Mark Warawa: Très bien, je serai bref.
Je voudrais brièvement soulever un élément. À la page 5, il est question d'expert en évaluation de drogues. En fait, il s'agit d'expert en reconnaissance de drogues, ou ERD.
Commissaire, lors de tels incidents, un policier constate qu'un chauffeur conduit de façon désordonnée, ce qui laisse supposer qu'il y a conduite avec facultés affaiblies. Il se peut que le conducteur en question éprouve des problèmes de santé qui affaiblissent ses facultés. Il est possible que ce conducteur manque de sommeil et s'endorme, ce qui est une autre cause d'affaiblissement des facultés. Il est également possible que la conduite désordonnée résulte de la consommation de drogues, que ce soit des médicaments ou des stupéfiants. Quoi qu'il en soit, le policier constate une activité dangereuse sur la route. C'est pourquoi il intercepte le conducteur et lui fait subir un test de sobriété. Si le conducteur échoue ce test, alors il n'est plus sécuritaire de lui permettre de circuler sur les routes.
Il s'agit ensuite de déterminer si l'affaiblissement de ses facultés résulte de la consommation d'alcool ou de drogues. Ainsi, le policier amène le conducteur au poste pour demander à un expert en reconnaissance de drogues, ou ERD, si la personne interceptée a les facultés affaiblies à cause des drogues. Ces experts peuvent conclure qu'une personne a les facultés affaiblies ou non et déterminer quelle drogue en est la cause. S'il s'agit de méthamphétamine en cristaux et que le conducteur intercepté plane depuis un certain nombre de jours et redescend tranquillement, et que la drogue est camouflée par une petite quantité d'alcool, seuls les experts sont en mesure de le découvrir. Quoi qu'il en soit, il n'est pas sécuritaire de permettre à de tels conducteurs de circuler sur nos routes. C'est la conclusion inévitable de ces constatations.
Je vous remercie de défendre le droit à la vie privée, mais il doit y avoir un équilibre. Les Canadiens n'ont pas le mandat de servir la loi, c'est plutôt la loi qui doit répondre aux besoins des Canadiens et les protéger. Il faut garder cela à l'esprit.
Ainsi, je comprends tout à fait vos observations, mais j'estime que le projet de loi C-16 constitue un outil que les services policiers vont utiliser sans en abuser. Le prélèvement d'un échantillon corporel n'est pas une atteinte à la vie privée, selon moi. Vous avez dit que l'ADN équivalait à une atteinte à la vie privée. Je souscris à cette opinion, dans une certaine mesure, et nous en avons discuté. Mais, dans le cas qui nous occupe, il ne s'agit pas d'échantillons qui seraient entreposés dans une banque de données à Ottawa. Ces échantillons ont pour objet de déterminer si un conducteur à les facultés affaiblies, et nous voulons ainsi protéger les Canadiens.
Le président: Merci, monsieur Warawa.
Avez-vous un commentaire à faire, madame la commissaire?
Mme Jennifer Stoddart: J'ai tenté de limiter mes remarques aux préoccupations du Parlement et de la société canadienne face à la question de la conduite avec facultés affaiblies. Vous avez donné des exemples intéressants, puisqu'ils se rapportent à la recherche et à l'expérience que nous devons accumuler afin de bien comprendre la relation entre les diverses substances et leur présence dans le corps, et la conduite avec facultés affaiblies, afin de mettre le doigt sur ce que représente un comportement inacceptable.
Pour ce qui est de l'entreposage de ces échantillons dans une banque à Ottawa, c'est en partie ce que nous essayons de vous signaler. Le projet de loi ne tient pas compte de ce que l'on fait de ces échantillons, etc., et c'est peut-être quelque chose sur laquelle il faudrait se pencher, c'est-à-dire établir des paramètres pour l'utilisation et l'entreposage de ces échantillons. Ce n'est pas sans intérêt.
Le président: Je vous remercie, madame la commissaire, pour votre présence ici aujourd'hui.
Je remercie les députés pour leurs questions.
Au plaisir de vous revoir jeudi.