JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 12 avril 2005
¿ | 0910 |
Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)) |
Mme Cherry Kingsley (directrice générale, International Centre to Combat Exploitation of Children) |
¿ | 0915 |
Le président |
Mme Audrey Churgin (directrice nationale, Le Front des artistes canadiens) |
M. John Greyson (membre artiste, Le Front des artistes canadiens) |
¿ | 0920 |
Le président |
Me Nicole Dufour (avocate, Service de recherche et législation, Barreau du Québec) |
Me Lori-Renée Weitzman (avocate, Membre du comité en droit criminel, Barreau du Québec) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le président |
Mme Edith Cody-Rice (premier conseiller juridique, Coordonnnatrice de la protection des renseignements personnels, Société Radio-Canada) |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
Le président |
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC) |
Le président |
M. Myron Thompson |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
¿ | 0945 |
Le président |
Mme Edith Cody-Rice |
Le président |
M. Myron Thompson |
Le président |
M. John Greyson |
Le président |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ) |
¿ | 0950 |
Me Lori-Renée Weitzman |
M. Richard Marceau |
M. John Greyson |
Mme Audrey Churgin |
¿ | 0955 |
M. Richard Marceau |
Mme Audrey Churgin |
Le président |
Me Lori-Renée Weitzman |
À | 1000 |
Mme Audrey Churgin |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Audrey Churgin |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
Me Lori-Renée Weitzman |
M. Joe Comartin |
Me Lori-Renée Weitzman |
M. Joe Comartin |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
M. John Greyson |
À | 1005 |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. John Greyson |
Le président |
M. Joe Comartin |
Me Lori-Renée Weitzman |
Le président |
Me Lori-Renée Weitzman |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.) |
Me Lori-Renée Weitzman |
À | 1010 |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Me Lori-Renée Weitzman |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Edith Cody-Rice |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Edith Cody-Rice |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Edith Cody-Rice |
À | 1015 |
Le président |
M. Mark Warawa (Langley, PCC) |
À | 1020 |
Mme Cherry Kingsley |
M. Mark Warawa |
Mme Cherry Kingsley |
M. Mark Warawa |
Le président |
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ) |
Me Lori-Renée Weitzman |
À | 1025 |
M. Serge Ménard |
Me Lori-Renée Weitzman |
M. Serge Ménard |
Me Nicole Dufour |
M. Serge Ménard |
Le président |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
À | 1030 |
Mme Edith Cody-Rice |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Mme Edith Cody-Rice |
À | 1035 |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
M. Joe Comartin |
Mme Edith Cody-Rice |
Le président |
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.) |
M. Richard Marceau |
Mme Anita Neville |
Me Lori-Renée Weitzman |
Mme Anita Neville |
Me Lori-Renée Weitzman |
À | 1040 |
Mme Anita Neville |
Le président |
Mme Anita Neville |
M. John Greyson |
Mme Anita Neville |
M. John Greyson |
Mme Audrey Churgin |
À | 1045 |
Le président |
Mme Edith Cody-Rice |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC) |
Le président |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
M. Garry Breitkreuz |
À | 1050 |
Mme Cherry Kingsley |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
Mme Cherry Kingsley |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Cherry Kingsley |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
Me Lori-Renée Weitzman |
À | 1055 |
Le président |
Mme Edith Cody-Rice |
Le président |
L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.) |
Le président |
L'hon. Roy Cullen |
Le président |
M. John Maloney (Welland, Lib.) |
Mme Audrey Churgin |
M. John Maloney |
Mme Audrey Churgin |
M. John Maloney |
Mme Audrey Churgin |
M. John Maloney |
Mme Edith Cody-Rice |
Á | 1100 |
M. John Maloney |
Mme Cherry Kingsley |
Le président |
M. Richard Marceau |
Le président |
Mme Anita Neville |
Le président |
M. Myron Thompson |
Le président |
M. Myron Thompson |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
M. Richard Marceau |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Á | 1110 |
Le président |
M. Garry Breitkreuz |
Le président |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
|
l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 12 avril 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0910)
[Traduction]
Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile est ouverte. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.
Nous accueillons trois groupes de témoins. Je constate que notre premier groupe, le Front des artistes canadiens, n'est pas encore arrivé, mais il ne saurait tarder.
Mais sont présents, de l'International Centre to Combat Exploitation of Children, Mme Cherry Kingsley, directrice générale.
[Français]
Du Barreau du Québec, nous recevons Nicole Dufour, avocateau Service de recherche et législation, ainsi que Lori-Renée Weitzman, avocatemembre du comité en droit criminel.
[Traduction]
Et de la Société Radio-Canada, Mme Edith Cody-Rice, premier conseiller juridique et coordonnatrice de la protection des renseignements personnels.
Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins. Nous allons commencer par des déclarations liminaires d'une dizaine de minutes de la part de chaque groupe et ensuite, nous passerons aux questions des députés.
Étant donné que les représentants du Front des artistes canadiens ne sont pas ici, je vais commencer par Mme Kingsley de l'International Centre to Combat Exploitation of Children. Vous avez environ dix minutes.
Mme Cherry Kingsley (directrice générale, International Centre to Combat Exploitation of Children): Je souhaite le bonjour aux membres du comité.
Premièrement, permettez-moi de dire que je suis heureuse de vous revoir. J'ai déjà comparu ici trois fois et j'espère que la troisième fois sera la bonne car j'estime que la mesure à l'étude est très importante et qu'il est crucial de l'adopter plus tôt que plus tard.
Je représente l'International Centre to Combat Exploitation of Children et je suis moi-même une survivante d'une exploitation sexuelle à des fins commerciales, ayant grandi dans l'industrie du sexe ici au Canada entre 14 et 22 ans.
Tant au Centre que dans la collectivité, je travaille auprès d'adolescents victimes d'exploitation sexuelle sous divers aspects. Cela englobe la prostitution, la pornographie et ce qu'on appelle le sexe de survie, c'est-à-dire l'échange de faveurs sexuelles en contrepartie de nourriture, d'un toit, de drogues et d'alcool. C'est ainsi que ces jeunes négocient leur survie.
Comme nous savons que les adolescents sont très vulnérables --à cause de la pauvreté, de l'itinérance, de leur jeune âge, du manque d'information, de l'ignorance de leurs droits--, la loi a toujours eu le mandat de les protéger. Elle assume cette responsabilité par l'entremise de personnes compétentes, soit les adultes.
La mesure à l'étude revêt énormément d'importance, surtout parce qu'elle définit l'exploitation de façon différente. Elle reconnaît qu'il s'agit d' une forme de violence terrible à l'endroit des enfants. Elle responsabilise les adultes et élimine le dialogue du consentement. Ce dernier point est particulièrement significatif car à mon avis, il n'appartient pas aux enfants, dans notre société, de se protéger eux-mêmes contre des adultes qui voudraient exploiter leur pauvreté ou tout autre aspect vulnérable chez eux, comme la dépendance à la drogue ou la faim ou quoi que ce soit d'autre. Voilà pourquoi il convient de toujours supprimer la notion d'un dialogue ou l'apparence de consentement. Autrement, les jeunes doivent essayer de se défendre eux-mêmes devant les tribunaux. En outre, elle renferme d'autres dispositions avantageuses qui protègent les victimes lorsqu'elles souhaitent témoigner.
Cette mesure législative a une grande portée en ce sens qu'elle instaure un système qui protège les enfants dans la collectivité, en droit et devant les tribunaux. En outre, elle constitue une affirmation publique et ce faisant, elle force les collectivités et l'ensemble des citoyens à modifier leur attitude quant à savoir où loge la responsabilité. Pendant trop longtemps, au Canada et ailleurs dans le monde, on a criminalisé les jeunes pour leur propre exploitation et leur propre pauvreté.
Notre Centre estime que l'élimination des problèmes liés au consentement et le soutien accordé aux enfants témoins, de même que les définitions claires des divers aspects de l'exploitation, caractérisent une approche véritablement basée sur les droits des enfants dans le contexte de la lutte contre l'exploitation.
À l'évidence, la pornographie juvénile est un problème énorme partout dans le monde. Nous savons que dans la collectivité et dans les tribunaux, un certain flou règne au sujet d'illustrations et d'écrits, mais s'agissant de ces écrits et de ces illustrations—ces oeuvres d'art, comme diraient certains—, la question qu'il faut se poser c'est si des crimes haineux sont perpétrés. Selon nous, un crime haineux consiste à cibler un groupe de personnes en tant que victimes d'abus sous diverses formes, que l'on cherche à encourager ou à promouvoir ces abus. Nous considérons la pornographie juvénile comme un acte haineux envers les enfants car elle fait manifestement la promotion de l'abus et de l'exploitation d'un segment très précis de la population.
Vous avez eu le courage de définir ce phénomène et de créer des instruments grâce auxquels les tribunaux pourront évaluer les oeuvres d'imagination, et nous l'apprécions. De plus, nous nous réjouissons du fait qu'il sera désormais illégal de posséder, de distribuer ou de produire toute forme de pornographie juvénile. Il ne faut pas oublier que chaque image représente un enfant en chair et en os, et pour cette raison, nous remercions le comité de ne pas avoir fléchi.
Je sais que vous avez essuyé certaines critiques de la part du milieu artistique, mais nous apprécions votre action et nous vous remercions de continuer à protéger les enfants de ceux qui, par l'entremise de leur art, incitent à une forme d'abus à l'égard des enfants.
Nous espérons aussi que le resserrement des mesures de protection accordées en droit aux enfants contre toute forme d'exploitation encouragera les autres ministères gouvernementaux et les pouvoirs publics communautaires à créer des services et des mécanismes de soutien concrets pour les enfants. Étant donné que l'itinérance, la pauvreté et la toxicomanie sont autant de facteurs qui rendent les enfants vulnérables à l'exploitation, nous espérons que d'autres ministères du gouvernement interviendront et tenteront de combler les carences qui existent car on ne peut continuer de se servir de la criminalisation des adolescents comme d'un moyen de protection. Par conséquent, nous sommes heureux de constater que la mesure proposée effectue un véritable virage à cet égard.
Depuis toujours, le rôle du gouvernement est de faire preuve de leadership, indépendamment du débat qui fait rage dans la population, les médias ou la collectivité. Il est tout simplement du devoir du gouvernement de s'élever contre certains comportements et d'intervenir.
Nous espérons que le comité mènera ses délibérations rondement et que la mesure sera adoptée pour que son influence commence vraiment à se faire sentir dans la communauté. Je participe à des débats et je préconise l'adoption d'une mesure comme celle-là depuis des années, depuis environ cinq ans, si je ne m'abuse. Nous espérons donc que le projet de loi sera adopté en dépit des critiques dont il fait l'objet pour que la balance penche en faveur des adolescents. Je sais que certains voient dans cette mesure comme une forme de censure ou une atteinte à l'imagination créatrice, mais à mon avis, toute oeuvre de création ou d'imagination qui incite à l'exploitation des jeunes est déséquilibrée, n'est-ce pas?
Enfin, je tiens à saluer l'approche fondée sur les droits que vous avez adoptée. Dans le préambule du projet de loi, vous citez la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Je sais qu'on a tiré à boulets rouges sur le comité. Je vous ai accompagnés tout au long de votre cheminement. J'ai assisté au premier Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, et j'ai été conférencière d'honneur à la deuxième édition du même congrès en 2001, en tant que survivante. J'ai travaillé avec des milliers d'enfants partout au Canada. De bien des façons, j'ai le sentiment d'avoir vraiment cheminé avec vous.
Je suis heureuse qu'en dépit des reproches de certains acteurs du milieu artistique et des critiques entourant l'âge du consentement, vous ayez maintenu une approche fondée sur les droits. Vous n'avez pas voulu minimiser, rogner ou édulcorer les droits des enfants. Vous avez voulu créer une loi qui protège les enfants et qui fait porter la responsabilité de leurs actes aux adultes. Vous avez refusé que les enfants soient tenus légalement responsables de leur propre exploitation et abus, et vous n'avez pas permis le dialogue de l'apparence du consentement. Pour tout cela, je vous remercie, et j'espère que cette fois-ci, vous serez en mesure de faire adopter le projet de loi.
Merci.
¿ (0915)
Le président: Merci, madame Kingsley.
Je vois que les représentants du Front des artistes canadiens sont arrivés. Il s'agit de Mme Audrey Churgin, directrice nationale, et de M. John Greyson, artiste membre.
Je vous invite à faire une déclaration liminaire d'une dizaine de minutes, après quoi nous passerons aux questions.
Mme Audrey Churgin (directrice nationale, Le Front des artistes canadiens): Le Front des artistes canadiens est un organisme qui compte approximativement 4 000 membres artistes au Canada, de même que des membres institutionnels et associés. Nous représentons 15 000 artistes canadiens disséminés dans tout le pays. C'est la Loi sur le statut de l'artiste qui nous autorise à nous exprimer au nom de tous les artistes canadiens; en fait, nous sommes la seule voix reconnue par la Loi sur le statut de l'artiste.
Nous avons déjà exprimé notre opinion sur cette question lors de la dernière tournée de consultations. Cette fois-ci, nous avons demandé à John Greyson, un artiste de Toronto, de parler en notre nom et de présenter une autre perspective. Je vais donc céder la parole à John.
M. John Greyson (membre artiste, Le Front des artistes canadiens): Merci.
Je prends la parole devant vous aujourd'hui en tant que membre du Front des artistes canadiens, ou CARFAC, qui représente 15 000 artistes professionnels de partout au Canada. Avec une conviction égale à celle de l'intervenante qui m'a précédé, je m'adresse à vous en tant qu'artiste et cinéaste qui craint de devoir se livrer à la justice si le projet de loi C-2 est adopté.
En 1996, j'ai réalisé un film intitulé Lillies, adapté de la pièce Les Feluettes du dramaturge montréalais Michel Marc Bouchard. C'est un récit imaginaire qui montre comment l'homophobie a détruit la vie de trois adolescents du lac Saint-Jean. Le film a remporté plusieurs Génies ainsi que le prix du meilleur film lors de festivals internationaux. Stylisé et romantique, ce récit est aussi osé qu'un épisode de Kids of Degrassi Street. Pourtant, selon le projet de loi C-2, c'est de la porno juvénile.
Comment cela est-il possible? Premièrement, l'auteur précise hors de tout doute que les trois protagonistes sont des étudiants puisque, de propos délibéré, plusieurs scènes se déroulent dans leur école; les acteurs principaux, qui ont tous dans la vingtaine, insistent sinistrement pour jouer leurs personnages adolescents comme des adolescents; ensuite, avec perversité, les maquilleurs et les costumiers ont fait en sorte que ces personnages semblent avoir 17 ans, en conformité du scénario; et les bailleurs de fonds, Alliance Atlantis et Téléfilm Canada, nous ont incités à produire une affiche où l'on voit ces jeunes dans les bras l'un de l'autre. Toutes ces activités sont clairement illégales aux termes du projet de loi C-128 de 1993, la loi néandertalienne sur la pornographie juvénile du Canada qui vise à criminaliser toute représentation d'une activité sexuelle mettant en cause des jeunes de moins de 18 ans.
Vous ferez valoir qu'en vertu du projet de loi C-128, j'aurais pu invoquer à ma décharge le moyen de défense de la valeur artistique, ce à quoi je réponds que cette défense place l'artiste dans une position monstrueuse et insoutenable puisqu'il est coupable tant qu'il n'a pas prouvé son innocence. Et par un processus de stigmatisation, elle ne me salit à jamais dans l'esprit du public en m'associant à la pornographie juvénile. Il n'y a probablement aucune autre accusation susceptible de détruire une carrière dans notre culture que l'insinuation de la pédophilie—sur un pied d'égalité avec l'appartenance au réseau terroriste al-Qaeda.
Demandez à l'artiste visuel Eli Langer quel effet cela fait de voir les tribunaux reconnaître finalement son mérite artistique après l'avoir accusé d'être un pédopornographe. À votre avis, quelle image de lui le Canadien moyen aura-t-il retenue?
Actuellement, dans la foulée de l'affaire Robin Sharpe, le projet de loi C-2 vise à abolir la défense de la valeur artistique pour la remplacer par celle de l'intention légitime, ce qui est encore pire à nos yeux. Je suis toujours coupable tant que je n'ai pas prouvé mon innocence. Les autorités policières et les tribunaux conservent le pouvoir d'évaluer la légitimité de Lillies, alors que je suis forcé d'assumer les atteintes à ma réputation, à ma dignité et à mon portefeuille. Mais en vertu d'un principe supérieur, CARFAC estime que le droit d'exprimer sa créativité est un droit que partagent tous les citoyens, et non un privilège ou une « intention légitime » que les tribunaux peuvent accorder ou retirer à leur guise.
Pourquoi ai-je réalisé Lillies, si le film était d'une illégalité aussi flagrante? La réponse remonte à mon enfance solitaire à London, en Ontario, alors que je cherchais désespérément une représentation quelconque du mode de vie homosexuel et que je n'en trouvais pas. J'ai bien vu une dramatique sérieuse de CBC au sujet d'un clown pédé alcoolique qui n'avait que mépris pour lui-même, en 1973. Ensuite, en 1974, il y a eu une entrevue de Pierre Burton avec un homme dissimulé derrière une plante en pot. On ne va pas loin avec ça.
J'ai fait Lillies pour que les jeunes adolescents d'aujourd'hui puissent voir une image juste d'eux-mêmes, un portrait qui correspond à la réalité, bien meilleure, qui est la leur dans le Canada d'aujourd'hui: l' âge du consentement est uniformément fixé à 14 ans; la culture interdit la discrimination et préconise la diversité; et c'est un pays qui se targue de protéger les droits des citoyens à l'extériorisation créatrice et sexuelle.
Si le projet de loi C-2 est adopté, j'ai décidé que j'éviterais des dérangements à tout le monde et que je me livrerais aux autorités. Compte tenu de la vaste portée de la mesure, je crains que la file d'attente au poste de police soit très longue. Qu'arrivera-t-il si je me retrouve derrière Atom Egoyan, qui a mis en scène une effeuilleuse qui prétendait être une écolière dans son film Exotica, qui a été couronné par de nombreux prix? Ou pire encore, derrière Alice Munro, dont les nouvelles et les romans relatant le passage à l'age adulte, en violation cette mesure, sont trop nombreux pour qu'on les compte? Ou encore la danseuse étoile à la retraite Evelyn Hart qui, pendant 30 ans, a incarné des rôles d'adolescentes avec une sensualité mémorable? Ou encore l'actrice Sarah Polley, qui a joué des rôles d'adultes sexuellement actifs à l'écran avant d'avoir 18 ans? Ou encore toutes les productions de Miss Saigon et de La Bohème qui, après tout, portent toutes deux sur la prostitution juvénile?
A vrai dire, je ne crois pas vraiment que les autorités policières se serviront du projet de loi C-2 pour cibler Atom, Alice, Evelyn ou moi. Toutefois, s'il est adopté, tous les membres de la communauté artistique savent bien qu'ils devront se blinder en prévision de la prochaine et inévitable affaire Eli Langer ou -- ce qui est tout aussi important et sans doute plus vraisemblable--, de la prochaine affaire Robin Sharpe. Lorsque l'opportunisme, sous les traits d'un policier ambitieux, rencontrera l'occasion, un artiste ou un citoyen sera jugé suffisamment marginal, superflu ou impopulaire, et le projet de loi C-2 autorisera la prochaine arrestation qui fera les manchettes, la prochaine vague de manifestations coûteuses et—pis encore—provoquera la prochaine vague d'autocensure au sein d'une communauté artistique ébranlée et vulnérable partout au pays.
¿ (0920)
Aujourd'hui, alors que le Parlement est sur le point d'accorder à ses citoyens gais et lesbiennes le droit d'enregistrer leurs listes d'ensembles de porcelaine dans les magasins, il importe de noter tout le chemin que notre pays a parcouru pour en venir à adopter une approche rationnelle et moderne face à la sexualité, à son expression et à sa représentation. Pourquoi, ne serait-ce qu'un instant, devrions-nous, en tant qu'artistes, en tant que citoyens, tolérer une mesure législative, le projet de loi C-128, ou son prolongement draconien, le projet de loi C-2, qui représente sans conteste un retour à une autre ère, à une époque de répression dominée par la censure et une morale entachée par la volonté paniquée d'aller chercher des votes?
Sous sa forme actuelle, le projet de loi C-128 est une mauvaise mesure qui nous traite tous comme des enfants. Nous vous exhortons à rejeter le projet de loi C-2 et à réaffirmer les droits de tous les Canadiens, et non seulement des artistes, à la liberté d'expression et à la créativité.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Greyson.
[Français]
Me Dufour, du Barreau du Québec, va commencer.
Merci.
Me Nicole Dufour (avocate, Service de recherche et législation, Barreau du Québec): Bonjour.
Me Denis Mondor, bâtonnier du Québec, est sollicité par d'autres activités. Il vous prie d'excuser son absence.
Ma collègue, Me Lori-Renée Weitzman, fera la présentation au nom du Barreau du Québec et de l'Ordre professionnel des avocats du Québec, qui regroupe maintenant plus de 20 000 membres.
Me Weitzman est procureure de la Couronne pour le district de Montréal depuis 18 ans et elle est membre du comité en droit criminel du Barreau du Québec depuis bientôt huit ans.
Me Lori-Renée Weitzman (avocate, Membre du comité en droit criminel, Barreau du Québec): Merci.
Mes commentaires seront brefs. Il s'agit surtout de regarder les détails spécifiques de la législation et de présenter quelques suggestions de correctifs sur des points qui, selon nous, posent problème.
Comme vous le voyez dans notre document, je vais traiter de quatre difficultés.
La première concerne spécifiquement le paragraphe 163.1(6) proposé dans le paragraphe 7(7) du projet de loi C-2. C'est un détail. Vous avez, depuis C-20, modifié la façon de libeller le moyen de défense dans la loi. Vous remarquerez que vous avez repris le même genre de texte que dans le paragraphe 162(6) proposé à l'article 6 du projet de loi, à savoir que la défense s'applique lorsque « les actes qui constitueraient l’infraction [...] »
Lorsqu'il s'agissait du moyen de défense pour la question du voyeurisme, cela s'expliquait, car on pouvait comprendre que l'acte comme tel, par exemple filmer quelqu'un, pouvait avoir un but légitime lié à toutes sortes de choses. Mais ici, le libellé a changé depuis le projet de loi C-20. Dans ce dernier, on mentionnait l'expression « le matériel en cause ». Le moyen de défense était lié au matériel en cause, à savoir si la possession de la pornographie en tant que telle avait un but légitime. Je pense que le libellé devrait demeurer tel qu'il était dans le projet de loi C-20.
Dans le projet de loi C-2, on parle du moyen de défense qui existe « si les actes qui constitueraient l'infraction [...] ». Or, selon notre comité, ce ne sont pas vraiment les actes de la possession qui vont constituer l'infraction, d'où le moyen de défense recherché. C'est plutôt le matériel en cause comme tel qui va peut-être fournir un moyen de défense. C'est une question de libellé. Celui-ci était plus clair et plus approprié dans le projet de loi C-20.
Le deuxième point porte sur la modification apportée par le paragraphe 163.1(7) proposé au paragraphe 7(7) du projet de loi. Vous avez enlevé une question importante, celle de l'appréciation du jury, c'est-à-dire du juge des faits, en toute cause criminelle. Vous dites que:
la question de savoir si un écrit, une représentation ou un enregistrement sonore préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans qui constituerait une infraction à la présente loi constitue une question de droit. |
En faisant cela, on enlève carrément le droit à un procès devant juge et jury au justiciable qui est accusé d'un acte criminel. En fin de compte, la question au coeur du litige est de savoir si la représentation conseille ou non l'activité prohibée. C'est un autre commentaire que nous avions à faire.
Le troisième commentaire porte sur quelque chose de moins important, à l'article 15 du projet de loi. Le paragraphe 486.1(6) proposé indique que l'ordonnance visée par l'article 486.1 proposé « ne peut donner lieu à des conclusions défavorables ». Nous pensons que cela aurait été préférable de tout simplement mentionner qu'aucune inférence ne devrait être tirée, qu'elle soit défavorable ou favorable. Il ne devrait pas y avoir d'allusion à une incidence quelconque en faveur de l'accusé ou contre l'accusé. Cela peut se régler en mentionnant tout simplement qu'aucune inférence ne devrait être tirée, sans la qualifier.
J'en ai un peu plus à dire sur le quatrième point. En effet, la législation suggérée change grandement le paragraphe 16(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Ces changements nous posent plusieurs difficultés.
¿ (0925)
Nous remarquons, à la lecture de la loi, qu'une enquête doit se tenir lorsqu'un témoin a plus de 14 ans mais que ses capacités mentales sont remises en question. Or, avec une affirmation à l'effet que toute personne âgée de moins de 14 ans est présumée habile à témoigner, nous avons une situation un peu illogique, car il y a une présomption en faveur de tout témoin, même s'il a deux ou trois ans. Or, nous pensons qu'il n'est pas vraiment logique qu'une telle présomption s'applique à des enfants en très bas âge.
Ensuite, pour ce qui est des circonstances, nous avons ici deux régimes, puisque la présomption n'existe que pour les personnes de moins de 14 ans, alors que pour les personnes de plus de 14 ans mais dont la capacité mentale est remise en cause, la présomption n'existe pas dans la loi. Il nous semble que cela donne lieu à une situation qui n'est pas tout à fait logique.
En outre, le deuxième alinéa codifie l'absence d'obligation pour les témoins de moins de 14 ans de prêter serment ou de faire une affirmation solennelle. Le témoignage est reçu si ce témoin a la capacité de comprendre les questions et d'y répondre sur promesse de dire la vérité. Le témoignage produit aura les mêmes effets que s'il avait été reçu sous serment. Or, selon la loi, ce témoin peut avoir deux ans. Même s'il a six ans ou, plus probablement, huit ans, la logique de cette loi fait en sorte qu'on ne puisse d'aucune façon savoir si ce témoin comprend ce que signifie « promettre de dire la vérité ». Cette question ne fait l'objet d'aucun examen. On parle donc ici d'un témoin jeune qui n'a pas à prêter serment. Il s'agit simplement de savoir s'il est en mesure de comprendre les questions et d'y répondre. On ne vérifie en aucun cas si cette personne, qui promet de dire la vérité, sait ce que cela signifie. Il nous semble qu'il manque ici un élément qui permettrait de s'assurer que le témoignage est reçu en bonne et due forme. Aucune corroboration n'étant requise, il faut que ce témoignage soit crédible et digne de foi.
Le paragraphe 4 institue un renversement de fardeau qui existait déjà, j'en conviens. Il impose à celui qui soulève l'incapacité d'une partie à témoigner la charge d'en convaincre le tribunal. À notre avis, il serait peut-être approprié de ne pas attribuer le fardeau à celui ou celle qui remet en cause la capacité de cette personne à témoigner. Nous suggérons plutôt qu'une fois la capacité remise en question, ce soit à la personne qui présente le témoin d'en faire la preuve. Il peut sembler que la personne devant témoigner ait des difficultés, que ce soit à cause de son jeune âge ou de ses capacités mentales. La partie qui présente le témoin est celle qui, vraisemblablement, connaît le mieux ce dernier, en l'occurrence ses habilités, ses qualités et ses difficultés et qui peut présenter cela au tribunal.
C'étaient là nos commentaires sur certains détails du projet de loi. Merci.
¿ (0930)
Le président: Merci, madame Weitzman.
[Traduction]
Nous allons maintenant entendre Mme Edith Cody-Rice, de la Société Radio-Canada, pendant environ 10 minutes.
[Français]
Mme Edith Cody-Rice (premier conseiller juridique, Coordonnnatrice de la protection des renseignements personnels, Société Radio-Canada): Bonjour mesdames et messieurs. Je suis premier conseiller juridique de Radio-Canada.
[Traduction]
Je vous ai remis un mémoire, que vous avez en main, j'espère. Il a été envoyé au comité hier et j'en ai aussi apporté des exemplaires ce matin. Je vous ai aussi fourni cet exposé PowerPoint car c'est un résumé de nos préoccupations. Vous pouvez le parcourir si vous voulez vous en inspirer pour poser des questions.
La Société Radio-Canada a des réserves au sujet du projet de loi C-2. Ce matin, je vais m'attarder à l'aspect journalisme, même si nous avons pris connaissance de l'exposé que vous a présenté il y a quelques jours la Writers' Union, qui soulève, à notre avis, des préoccupations artistiques très sérieuses. Nous souscrivons à plusieurs arguments avancés dans le mémoire de cet organisme, particulièrement ceux qui concernent la description de matériel écrit. D'ailleurs, ils rejoignent certains points présentés ce matin.
Même si nous comprenons les objectifs du projet de loi C-2 et que nous y sommes favorables, la Société Radio-Canada a certaines inquiétudes quant à son incidence sur la liberté d'expression, y compris la liberté de la presse. Les médias mènent des enquêtes fouillées sur les enjeux sociétaux, dont certains ont trait à la moralité publique et à la pornographie juvénile. Sous sa forme actuelle, la mesure ne prévoit aucune possibilité raisonnable de défense de la liberté de la presse, et l'infraction énoncée à l'article 162 proposé est libellée de façon tellement vague qu'elle laisse planer l'incertitude et qu'elle aura pour effet de refroidir les ardeurs des journalistes travaillant dans l'intérêt public.
La défense fondée sur « l'intérêt public » ne protège pas traditionnellement le journalisme ou la presse libre; elle protège la créativité artistique, l'éducation et la recherche médicale, soit les éléments dont il est question dans les paragraphes 163.1(6) et 163.1(7) proposés.
La Société Radio-Canada s'inquiète des conséquences que pourrait avoir la présente mesure sur la liberté d'expression. Le paragraphe 163(2) de la loi actuelle offre une certaine protection car il stipule : « Commet une infraction quiconque, sciemment et sans justification ni excuse légitime... ». L'article 162.1 proposé ne renferme pas la protection de la justification légitime. Ce n'est qu'un... La mesure devrait à tout le moins renfermer une disposition permettant aux journalistes d'invoquer une justification légitime, ce qui pourrait inclure la rédaction d'un article sur la pornographie juvénile dans l'intérêt public ou sur un sujet qui pourrait être considéré comme une infraction en vertu de l'article 162.
La perspective d'être passible d'une peine d'emprisonnement de cinq ans est suffisante pour décourager les activités légitimes des journalistes, et je dirais la même chose pour les artistes. La pénalité est plutôt élevée. Ce qui nous inquiète, c'est que même s'il est possible qu'un journaliste ait gain de cause au bout du compte, dans l'intervalle, il aura été inculpé en vertu de la présente mesure; il aura été traîné devant les tribunaux pendant un an ou deux; il aura dépensé des sommes considérables en honoraires d'avocat et, finalement, il y a toujours le risque qu'il soit condamné. C'est un fardeau très lourd pour les artistes et les journalistes.
À notre avis, la mesure devrait permettre une défense de l'exercice du journalisme dans l'intérêt public. Cela devrait s'ajouter à la défense basée sur le bien public et être inclus aux paragraphes 163.1(6) et 163.1(7), qui énoncent des moyens de défense légitimes contre une accusation de pornographie juvénile.
Hier, alors que je feuilletais encore une fois le projet de loi, j'ai remarqué un autre problème qui n'est pas abordé dans mon mémoire : un article qui rehausserait le droit d'imposer une ordonnance de non-publication. Cela ne figure pas dans la documentation qui vous a été remise, mais je voulais simplement faire quelques commentaires à ce propos. Aux termes du paragraphe 486.5(2) proposé, le juge peut rendre une ordonnance de non-publication applicable à n'importe quel participant associé au système judiciaire afin de protéger l'identité de l'accusé. Or, en droit, la tradition veut que l'identité de l'accusé ne soit pas protégée à moins que sa diffusion ne permette l'identification d'une victime ayant droit à une protection; par exemple, dans le contexte d'un procès pour agression sexuelle, on ne mentionne pas que le père, ainsi nommé, est accusé d'avoir agressé sexuellement sa fille car ce faisant, on révélerait l'identité de celle-ci. C'est pourquoi on ne révèle pas l'identité du père en pareil cas. D'un coup, le paragraphe proposé pourrait changer de fond en comble cet aspect du droit.
La Société Radio-Canada se préoccupe de plus en plus du grand nombre d'ordonnances de non-publication imposées par les juges. Dans bien des cas, à l'instar d'autres médias, elle a tenté de renverser ces décisions. Le droit des journalistes de recueillir et de publier des informations est protégé par la Constitution et, comme le juge Gomery l'a fait remarquer récemment, une ordonnance de non-publication porte atteinte à un droit protégé par la charte. Il existe une abondante jurisprudence qui affirme l'importance du principe voulant que la presse puisse rapporter pratiquement sans restriction les procédures judiciaires. Je note les commentaires de la Cour suprême du Canada au sujet d'une mesure législative de l'Alberta qui limitait la communication de certaines informations.
¿ (0935)
Voici une citation du jugement rendu par Madame la juge Wilson dans cette affaire :
L'intérêt du public dans la tenue de procès publics et dans la capacité de la presse de présenter des comptes rendus complets de ce qui se passe en salle d'audience tire son origine du besoin (1) de conserver un processus efficace de présentation de la preuve; (2) d'avoir une magistrature et des jurys qui agissent équitablement et qui soient réceptifs aux valeurs de la société; (3) de favoriser le sentiment partagé que nos tribunaux fonctionnent avec intégrité et rendent justice; et (4) de toujours permettre à la société de comprendre le fonctionnement du système judiciaire et comment l'application quotidienne du droit par les tribunaux les touche. |
Voici une autre citation, tirée du même arrêt, cette fois-ci du juge Cory :
La liberté d'expression et l'accès du public aux tribunaux par l'intermédiaire des comptes rendus de la presse sur la preuve, les arguments et la conduite des juges et des officiers de justice sont d'une telle importance prépondérante que toute atteinte doit être minimale. |
Nous avons énormément de réserves face à l'élargissement du droit d'imposer des ordonnances de non-publication de façon générale. Nous ne sommes pas contre—en fai,t nous appuyons—le fait de protéger l'identité des victimes, et en particulier des enfants victimes de crimes sexuels, mais nous nous objectons à ce que l'on protège l'identité d'un accusé alors qu'il n'y a pas d'autres raisons valables de le faire. Nous craignons que c'est à cela que servira l'amendement proposé.
Merci beaucoup.
¿ (0940)
Le président: Merci. Nous allons maintenant passer aux questions des députés.
M. Thompson va commencer. Cinq minutes.
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC): Je vous remercie tous d'être venus ce matin; nous apprécions votre présence ici.
Madame Kingsley, je suis très fier de rencontrer une personne comme vous, qui avez réussi à sortir de ce milieu et qui travaillez très fort pour protéger les enfants. Vous avez toute mon admiration.
Je veux aussi faire une déclaration qui, je l'espère, suscitera une réponse de l'un ou l'autre d'entre vous. En 1993 et 1994, lorsque je faisais mes premières armes comme député, on m'a demandé d'être le porte-parole de mon parti au sujet du système pénitentiaire. J'ai voyagé partout au pays et j'ai visité de nombreux pénitenciers, ce qui m'a permis de m'entretenir non seulement avec des employés de Corrections Canada, mais aussi avec de nombreux détenus. J'ai été scandalisé de voir à quel point les détenus incarcérés pour des infractions de nature sexuelle, particulièrement à l'endroit des enfants, étaient nombreux. Le pourcentage était extrêmement élevé.
Après avoir fait enquête, après avoir discuté avec des agents chargés de cas, des psychologues et aussi des détenus eux-mêmes, je suis rapidement arrivé à la conclusion que la pornographie juvénile était sans conteste un élément précurseur dans les agressions commises à l'endroit d'enfants. Il était très évident que c'était le cas. Cela m'a été confirmé par pratiquement tous les agents de cas et les psychologues qui travaillent dans les pénitenciers du pays.
Ce que j'ai trouvé tout aussi choquant, lorsque j'ai commencé à discuter avec des représentants des services policiers, c'est d'apprendre que des milliers d'articles avaient été confisqués dans le cadre d'enquêtes et que les profits tirés de l'exploitation des enfants étaient faramineux.
C'est à ce moment-là, en 1995, que j'ai décidé que j'allais faire tout en mon pouvoir pour amener le Parlement à adopter une loi capable de protéger les enfants dans notre pays. C'est mon objectif personnel, et je sais qu'on bon nombre de mes collègues conviennent avec moi qu'il est nécessaire de faire cela.
Personnellement, je souscris à la liberté d'expression. Cela dit, je n'hésite pas à clamer haut et fort que si jamais je fais une erreur de jugement, ce sera parce que j'aurai accordé préséance à la protection des enfants sur le droit à la liberté d'expression. La nécessité de protéger nos enfants a préséance sur les nombreux droits qui méritent d'être défendus au Canada.
J'ai présenté des projets de loi d'initiative parlementaire qui auraient pour effet d'éliminer du présent projet de loi les termes « ou aux arts ». Pour ce qui est du matériel scientifique, médical ou didactique, je n'ai pas l'intention de contester. En fait, cela est sans doute justifié—, mais l'inclusion des arts en particulier a toujours fait problème au cours des dix dernières années.
Voilà ma position personnelle, qui est appuyée par un grand nombre de mes collègues.
Le président: Allez-vous laisser du temps pour une réponse, monsieur Thompson?
M. Myron Thompson: C'est ce que je demande maintenant, une réponse.
Le président: Bien.
Je vois que Mme Kingsley souhaite répondre.
Mme Cherry Kingsley: Oui. Je vous remercie de votre intervention et je comprends ce que ce projet de loi représente pour vous.
Je travaille avec des milliers d'adolescents qui ont été exploités. C'est ce que je fais. J'ai grandi dans l'industrie du sexe et toutes les personnes avec lesquelles je travaillais dans ce milieu étaient aussi des jeunes. Mais ce qui me frustre parfois, c'est que la possibilité qu'il y ait un cas, un cas très rare, un cas isolé où un artiste serait mis sur la sellette... Il y a des milliers de jeunes gens dont les cas sont soumis aux tribunaux constamment et on ne leur rend jamais justice; on ne leur offre jamais protection. Ils sont humiliés en cour. Ils sont humiliés en public. Ils sont humiliés par les propos qui sont tenus. Ils sont humiliés dans la collectivité du fait de leur exploitation. Comprenez-vous ce que je veux dire? Il y a des milliers de cas de ce genre que les tribunaux sont appelés à juger. Mais considérant le cas isolé où un artiste pourrait ou non devoir se défendre... cela ne signifie pas que je sois dépourvue de compassion humaine envers cette personne. Je ne pense pas que ce soit juste. Comprenez-vous ce que je dis?
Je ne voudrais certainement pas que cela arrive. Je ne suis pas ici pour encourager la persécution des artistes ou quoi que ce soit du genre, mais je prends fait et cause pour ces milliers d'enfants dont les cas sont soumises aux tribunaux et qui recherchent en vain une forme de protection. Or, cette protection leur est refusée, tant dans la collectivité que dans les systèmes ou ailleurs...
Comment trouver un équilibre? Comprenez-vous ce que je veux dire? Il faut se faire les champions de ces cas aussi et ne pas exagérer la possibilité que survienne un cas isolé. Cela pourrait ne jamais se produire. Il faut qu'il y ait un équilibre.
E même temps, je ne veux pas présenter cela comme un enjeu moral car à mon avis, c'est une question de droit. Comment instaurer un équilibre tant pour les droits des enfants que des artistes? Je ne veux pas m'engager dans un grand débat sur la moralité. Je préfère insister sur le côté droits humains.
Je comprends ce que vous dites. C'est vraiment énervant pour moi car il y a les avocats de ce côté et les artistes de l'autre, mais pour ma part, je pose la question, et les enfants dans tout cela? Parfois, cela peut sembler comme un argument dérisoire, mais j'espère que ce n'est pas perçu ainsi car à mon avis, c'est aussi un argument important.
¿ (0945)
Le président: Un autre membre du panel veut-il répondre?
Oui, madame Cody-Rice.
Mme Edith Cody-Rice: J'aimerais répondre.
Nous ne souhaitons autant que vous assurer la protection des enfants, monsieur Thompson. Le problème, c'est que si l'on fait une erreur en adoptant cette mesure législative, elle pourrait être abrogée par les tribunaux et à ce moment-là, vous vous retrouverez devant rien ou avec une mesure modifiée. Même si je ne l'ai pas mentionné dans mon exposé, vous pourrez lire dans mon mémoire qu'à mon avis, le projet de loi sous sa forme actuelle pourrait être abrogé, en totalité ou en entier, s'il faisait l'objet d'une contestation en vertu de la Charte des droits. La liberté de parole, la liberté d'expression et la liberté de la presse sont des droits protégés par la charte. Les droits des enfants sont tout aussi importants, mais la liberté d'expression n'est pas négligeable non plus. L'essentiel, c'est de ne pas faire d'erreur en adoptant le projet de loi C-2. C'est une mesure très importante.
Le président: Merci.
M. Myron Thompson: Je veux présenter un rappel au Règlement. Je veux être sûr qu'on comprenne bien que je suis d'accord. Toutes les personnes présentes dans la salle veulent probablement aider les enfants. Je n'ai aucun doute là-dessus. La question est de savoir comment y arriver.
Le président: Merci.
Je m'excuse, monsieur Greyson, avez-vous un commentaire?
M. John Greyson: Merci. Je voulais signaler brièvement qu'un professeur de York, Mme Thelma McCormick, a fait une étude de la relation causale entre la pornographie juvénile et les crimes perpétrés contre des enfants au milieu des années 90. Elle a dépouillé toute la documentation disponible au Canada et elle est arrivée à une conclusion opposée à celle que vous venez d'avancer soit qu'en fait, on ne peut démontrer l'existence d'un lien de causalité Les études affirmant l'existence d'un tel lien étaient lacunaires au plan de la méthodologie et non concluantes. Cette conclusion était donc plutôt subjective que fondée sur les faits.
Pour ce qui est de trouver un équilibre, if faut faire la distinction entre la pornographie juvénile et l'exploitation des enfants. Lorsqu'on parle des milliers d'enfants dont les cas sont soumis aux tribunaux, vous évoquez avec raison les abus dont sont directement victimes les enfants. Les cas auxquels vous faites allusion... Je ne pense pas qu'il soit constructif de faire valoir la totalité des agressions et ensuite, de relever les cas spécifiques impliquant la pornographie juvénile. Plus précisément, je pense qu'il faut s'en tenir aux cas où des enfants en chair et en os ont été victimes—j'essaie de finir mon argument, monsieur—par opposition aux cas où il s'agissait d'une représentation. Comme vous l'avez dit, l'argument de la Writers' Union selon lequel on devrait se soucier des enfants réels devrait mériter toute notre attention.
Merci.
Le président: Nous allons maintenant passer à M. Marceau pour cinq minutes.
[Français]
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être venus faire leurs présentations ce matin.
D'abord, maître Weitzman, vous êtes une procureure de la Couronne chevronnée. Votre travail m'a été vanté par un de vos anciens grands patrons, qui est assis à ma gauche à l'heure actuelle. J'aimerais avoir votre avis sur une inquiétude dont vous avez entendu parler et qui a été formulée de façon un peu différente aujourd'hui par M. Greyson et Mme Churgin. Cette inquiétude porte sur le flou de la définition de la pornographie infantile contenue dans le projet de loi C-2 de même que sur le flou des défenses offertes par ce même projet de loi. Ils sont inquiets parce qu'on parle de « caractéristique dominante », de description « dans un but sexuel ». Selon eux, ces expressions sont trop floues, donc trop larges, et pourraient amener un artiste légitime à être accusé de façon un peu trop désinvolte par un procureur.
Quelle est votre opinion à ce sujet?
¿ (0950)
Me Lori-Renée Weitzman: Je pense que nous devons faire certains choix quand nous légiférons. Je crois que tout le monde est d'accord sur les objectifs que nous visons, qui sont tout à fait louables.
Je crois également que notre système est établi de façon à ce que nous devions faire confiance aux procureurs de la Couronne, qui ont une grande marge discrétionnaire. Nous donnons des exemples extrêmes, comme celui d'Alice Munro qui pourrait être poursuivie pour certaines scènes qui se trouvent dans sa littérature. Je pense qu'il faut faire confiance. Les exemples donnés ne feraient pas l'objet de poursuites, même si nous avions un policier zélé. Soit, il se peut qu'il y ait des policiers zélés, mais nous avons toutes sortes de barrières et de protections dans le système. Après le policier, le procureur de la Couronne va examiner le dossier et va certainement dire que cela n'a jamais été l'objet de la loi, que ce n'est clairement pas ce qu'on avait en tête lorsqu'on parlait de pornographie juvénile. Si jamais le policier zélé rencontre un procureur tout aussi zélé, avec des idées qui ne semblent pas correspondre aux buts visés par la loi, il y a également des juges qui examineront l'affaire.
Nous devons faire confiance au système et aux juges. Bien sûr, c'est flou, en ce sens que la matière elle-même est difficile à définir. Je ne pense pas que ce soit une faille dans la législation. Cela reflète nécessairement ce sur quoi nous essayons de légiférer. De la même façon, nous laissons aux juges le soin de décider ce qu'est un matériel obscène, ce qu'est l'obscénité et quelles sont les moeurs de la société, qui sont constamment en évolution. Comment pouvons-nous déterminer aujourd'hui que tel comportement est obscène et va contre les valeurs de la société? Nous savons très bien que cela ne ressemble pas du tout à ce qu'on aurait pu dire sur les mêmes événements il y a 20, 30 ou 40 ans.
Alors, je pense qu'il faut faire confiance au système. À votre question, je ne voudrais pas répondre que c'est clair comme de l'eau de roche. Non. C'est un concept qui doit être flou, qui doit se prêter à une interprétation cas par cas. En réponse aux considérations justifiées de mes collègues, qui préconisent la liberté d'expression, la liberté de la presse, etc., je dirai que nous devons avoir des moyens de défense. Nous devons avoir la possibilité d'accepter que certaines formes qui, techniquement, pourraient ressembler à de la pornographie juvénile n'en sont pas en raison du but artistique.
Donc, pour répondre à toutes ces considérations, je crois que la loi doit pouvoir être manipulée par les parties qui auront à l'appliquer. Pour notre part, nous n'avons pas de difficulté quant au libellé de cette loi.
M. Richard Marceau: Merci beaucoup.
Monsieur Greyson, j'aimerais bien avoir votre réponse à cet égard.
[Traduction]
M. John Greyson: Voudriez-vous répondre?
Mme Audrey Churgin: Je trouve alarmante l'idée que nous devrions avoir confiance qu'un cas comme celui d'Alice Munro ne ferait pas l'objet de poursuites. Nous ne sommes pas plus que vous des avocats. Nous sommes des gens ordinaires, des artistes ordinaires qui s'efforcent de s'exprimer par le biais de leur oeuvre. Un grand nombre d'entre nous ne sont pas des artistes réputés ou à succès. La confiance dont il est question ici suppose que le public connaît un artiste, grâce à son oeuvre, et présume qu'il a à son actif beaucoup d'expérience et que parce qu'il réussit bien, on devrait lui faire confiance.
Mais qu'en est-il de ces artistes qui sont moins connus ou qui commencent à peine à se faire un nom dans leur domaine et qui seront intimidés à l'idée qu'on ne leur fera pas confiance et qui, par conséquent, cesseront de travailler sur ces sujets et de les explorer? C'est une façon de limiter la liberté d'expression que de brandir cette menace de poursuites advenant qu'ils abordent des sujets qui pourraient être mal interprétés. Bien des gens réagissent de cette façon maintenant.
¿ (0955)
[Français]
M. Richard Marceau: Je vais vous poser une autre question. Je l'ai déjà posée à d'autres personnes de la communauté artistique qui sont venues témoigner avant vous. Elles n'ont pas la crainte d'être trouvées coupables, mais celle d'être accusées. C'est ce que vous venez de dire. Il faudrait d'abord passer par le policier, puis par le procureur de la Couronne, qui a beaucoup de latitude, comme le disait Me Weitzman. Elles ont peur de tous ces tracas juridiques. Leur crainte n'est pas d'être condamnées, mais d'être accusées.
Voici donc ma dernière question. Nous, en tant que législateurs, nous devons trouver un point d'équilibre quelque part. Dans les cas limites — puisque ce sont toujours des cas limites —, si nous devons faire le choix entre la protection des enfants et la possibilité qu'un artiste soit poursuivi, mais pas condamné, ne croyez-vous pas que la protection de l'enfant doive jouer un rôle plus important?
[Traduction]
Mme Audrey Churgin: Vous parlez à quelqu'un qui est plus que toute autre chose une mère professionnelle. Bien sûr, je souhaite vivement que les enfants soient protégés. En tant qu'artiste, je considère aussi inquiétante la possibilité d'être incarcérée pour une création artistique qui heurte les valeurs de certains que le fait de devoir passer par tout le processus législatif. Le problème, c'est que la plupart des pédophiles s'adonnent à de multiples activités. Pour le petit nombre d'entre eux qui se livrent à la création artistique, l'art n'est qu'une des multiples activités qui leur vaut d'être qualifiés de pédophiles.
Il existe au niveau pénal un filet de sécurité permettant de les attraper. Ils pourront être coincés pour bien des raisons. En permettant une défense fondée sur la valeur artistique, on laisse aux artistes légitimes une échappatoire dont ne pourraient pas profiter les pédophiles. Ainsi, nous pourrions explorer les sujets auxquels notre société est confrontée. Nous ne pouvons pas prétendre qu'ils n'existent pas.
[Français]
Le président: Vous pouvez faire un dernier commentaire, maître Weitzman.
[Traduction]
Me Lori-Renée Weitzman: Monsieur le président, si j'ai parlé de Mme Munro, c'est parce que j'ai repris l'un de vos nombreux exemples. Ce n'est certes pas là où je voulais en venir.
Ce que je voulais dire, c'est qu'il faut laisser aux divers intervenants, dans chaque cas individuel, le loisir d'examiner tout ce qui pourrait se trouver dans une oeuvre d'art potentielle, c'est-à-dire la présentation par un artiste d'une oeuvre qui semble avoir un mérite artistique quelconque. On parle d'équilibre, mais en fait la seule réponse qui semblerait apaiser toutes vos inquiétudes serait une absence totale de restrictions. Chose certaine, cela servirait tous les artistes, mais il manquerait quelque chose de l'autre côté de la balance. Si, dans la foulée de cette mesure, certains artistes devenaient réticents à s'exprimer—une conséquence que vous jugez malheureuse, s'ils estiment que cela portera atteinte à leur processus créateur, peut-être par crainte de... Ne parlons pas de la possibilité qu'il soient condamnés, mais même seulement d'être accusés... Je comprends qu'en soi, c'est énorme.
Nous essayons d'établir très soigneusement un équilibre. Dans la loi, il est précisément question de valeur artistique, de sorte que les artistes savent que ce volet est présent. Si, en outre, on met tout le monde en garde—et les artistes en particulier—, si on leur dit de faire attention, que quelqu'un pourrait considérer qu'il s'agit là d'une utilisation perverse, d'une utilisation dégradante des enfants... Si l'on inclut dans la mesure législative une disposition qui aura pour effet de sensibiliser les artistes marginaux—car, de toute évidence, on ne parle pas de l'art dans sa totalité, mais d'oeuvres d'art susceptibles de présenter les enfants d'une manière qui ressemble à la pornographie juvénile; si les artistes qui s'engagent dans cette voie qui est, disons-le, marginale, et qu'on les amène à marquer un temps d'arrêt, à réfléchir à la possibilité qu'ils soient allés trop loin, si au cours de leur démarche créatrice, ils sont allés si loin qu'ils ont utilisé des enfants d'une façon qui n'est pas acceptable dans la société canadienne, d'une façon offensante, je n'ai pas de problème à ce que la loi intervienne.
À (1000)
Mme Audrey Churgin: Moi non plus, s'il s'agit d'enfants réels.
Mme Cherry Kingsley: S'il s'agit de photographies d'enfants, ce sont des enfants.
Mme Audrey Churgin: Absolument. Mais lorsqu'on parle d'oeuvres d'imagination, que ce soit un écrit ou un dessin, autrement dit d'oeuvres qui ne portent pas préjudice à une personnelle réelle, il y a lieu de réfléchir à l'opportunité d'imposer des limites.
Le président: Merci.
Monsieur Comartin, pour cinq minutes.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Je veux reprendre le fil de cette discussion, madame Weitzman. Vendredi, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu une décision qui, à mon sens, met en cause des artistes comme Mme Munro en introduisant la dichotomie entre le matériel implicite et explicite dans le processus.
Je ne sais pas si vous avez pris connaissance de cette décision.
Me Lori-Renée Weitzman: Je suis désolée, je ne l'ai pas lu.
M. Joe Comartin: En fait, cela nous ramène à l'argument de Mme Churgin, soit qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait une victime réelle pour déclencher l'application de la loi existante. À vrai dire, la défense fondée sur la valeur artistique va disparaître; on parlera plutôt de but légitime.
Me Lori-Renée Weitzman: Juste.
M. Joe Comartin: D'après moi, cela ouvre encore davantage la porte à ce genre de résultat.
Compte tenu du matériel en question, pour dire franchement, on comprend pourquoi il fallait prévoir une défense, monsieur le président, permettant au droit et à la médecine... parce qu'il s'agit de matériel extrêmement offensant, comme le mentionne pertinemment la décision. Il ne fait aucun doute que ce matériel ne pourrait donner lieu à aucune défense. Il n'est absolument pas artistique. Cependant, maintenant, on a introduit ce type de défense et je pense que nous sommes en train de faire la même chose avec la mesure à l'étude.
Madame Weitzman, autrement dit, les tribunaux ont dit—et cela nous ramène à la décision Sharpe—, vous pouvez préconiser certaines choses implicitement, mais pas explicitement. Si vous optez pour le faire de façon explicite, vous dépassez les bornes et vous allez être inculpé de création et de possession de pornographie juvénile. C'est ce qui ressort de la décision. Je pense que la mesure législative à l'étude va dans le même sens.
À ce stade, Alice Munro est vulnérable.
Dans The Island Walkers, la description de certaines activités sexuelles impliquant des jeunes risque d'attirer des ennuis à son auteur si un juge arrive à la conclusion que d'une certaine façon, on conseille ce comportement, on avalise cette conduite en la présentant comme légitime.
Voilà le fond du problème.
Madame Kingsley, je tiens à vous dire—et d'ailleurs je l'ai mentionné avant la pause—qu'au cours de ma carrière professionnelle, avant de devenir député, j'ai travaillé énormément dans le domaine de la protection de l'enfance—, en fait, je m'adresse à vous deux, que pensez-vous d'une défense voulant que s'il ne s'agit pas d'une victime réelle, le matériel est acceptable?
Le président: Madame Kingsley.
Mme Cherry Kingsley: J'ai des réserves lorsqu'on rédige des bulletins, qu'on crée des illustrations et qu'on écrit des histoires où il est question de façon détaillée de garçons qui sont fouettés ou quoi que ce soit, comme dans l'affaire Robin Sharpe, et qu'ensuite, on fait des liens qui débouchent sur des dites de discussions. On peut affirmer que techniquement, aucun enfant réel n'a été utilisé en pareil cas, mais ils l'ont été; c'est-à-dire, au cours de leur vie.
E fait, ce pédophile a été découvert à cause de ce réseautage, de ces liens, des bulletins et des illustrations qui avaient été distribués. J'ignore quelle serait la réaction des législateurs dans un cas comme celui-là, mais ce matériel est conçu pour exploiter les enfants. Cela n'a rien à voir avec l'art. Ces bulletins et ces illustrations sont créés pour constituer des liens et voir qui est intéressé. Cela sert d'appât pour susciter des échanges d'histoires. Par conséquent, je ne sais pas...
Le président: Monsieur Greyson, vous aviez un commentaire?
M. John Greyson: Pour vous répondre à tous deux, il me semble qu'il existe une distinction fondamentale entre le fait de fouetter un garçon, ce qui est clairement illégal et peut donner lieu à des accusations d'agression, et la description qu'on peut faire de cela dans une nouvelle. Et ce n'est pas seulement Robin Sharpe qui est en cause. De nombreux auteurs récompensés pour leur oeuvre ont dépeint ce genre de scène dans leurs écrits. À mon avis, il faut conserver cette distinction entre les enfants réels et les représentations d'enfants.
À (1005)
Le président: Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin: Je voudrais que Mme Weitzman réponde, mais auparavant, j'aimerais faire une brève intervention.
Monsieur Greyson, vous avez évoqué une étude de la littérature effectuée au milieu des années 90. Je n'en ai pas entendu parler. C'était Mme McCormick qui en était...
M. John Greyson: Mme Thelma McCormick, professeure d'études féminines à l'Université York.
Le président: À ce sujet, nous entendrons sous peu le témoignage d'experts. Certains psychiatres comparaîtront pour nous expliquer les liens entre la pornographie et le passage à des actes criminels.
M. Joe Comartin: En tant que procureur...
Me Lori-Renée Weitzman: Je suis désolée mais je n'ai pas encore pris connaissance de ce jugement. D'habitude, je suis cela de près, mais comme je ne l'ai pas encore lu, il m'est difficile de le commenter.
Le président: Cela n'empêche pas bien des gens ici de le faire.
Des voix: Oh, oh!
Me Lori-Renée Weitzman: Je ne suis qu'un visiteur ici et nous allons faire en sorte que cela ne change pas!
En fait, je comprends vos préoccupations. Si la loi cible tout matériel qui préconise ou suggère clairement des activités avec les enfants qui outrepassent les imites ou qui sont manifestement dégradantes, humiliantes ou offensantes pour les enfants, je ne pense pas que le fait qu'il n'y ait pas de victime réelle ou spécifique en cause, M. A ou Mme C, porte atteinte aux principes de la charte que nous souhaitons protéger.
Je n'ai pas lu le jugement en question, et je suis désolée de ne pouvoir vous fournir une réponse claire à ce sujet.
Le président: Merci.
Merci, monsieur Comartin.
Monsieur Macklin, pour cinq minutes.
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
J'aimerais commencer par interroger les représentants du Barreau du Québec. Pour ce qui est de la capacité des enfants à témoigner, nous avons récemment entendu un témoin qui faisait partie du projet Enfants témoins de la faculté de droit de l'Université Queen's, le professeur Nicholas Bala. Il a fait dans son mémoire une déclaration que je voudrais vous entendre commenter. Il a dit :
Au cours des dernières années, la majorité de nos recherches ont porté sur des questions relatives à l'enquête sur la compétence et sur les promesses des enfants de dire la vérité. La loi actuelle exige que les enfants soient soumis à une enquête indiscrète qui les dérange, fait perdre du temps aux tribunaux et ne fait rien pour promouvoir la recherche de la vérité. |
Cependant, pour votre part, vous préconisez qu'il y ait une enquête. Pouvez-vous commenter cela?
Me Lori-Renée Weitzman: Oui, je le peux.
Premièrement, avant de présenter ce mémoire, l'une des choses dont nous avons discuté, c'est que nous ne savions pas ou n'avions pas pu trouver le motif justifiant la nécessité de modifier le libellé actuel du paragraphe 16(1). C'est sans doute une chose que vous savez. Nous n'étions pas au courant de problèmes ou de cas signalés où l'application du paragraphe 16(1) aurait créé des difficultés dans le contexte du système de justice pénale.
Bien sûr, j'ai entendu parler du professeur Bala, qui est bien connu, et j'ai énormément de respect pour lui. Cela dit, je suis en désaccord avec la brève citation que vous venez tout juste de me lire. Le but de notre intervention au sujet de cet aspect particulier est de faire comprendre qu'en établissant une présomption quant à l'habileté à témoigner de tous les enfants de moins de 14 ans et en supprimant en même temps toute possibilité de vérifier sérieusement si le témoignage ainsi reçu est digne de crédit ou de confiance, la mesure place le juge dans une position très difficile. Comme je l'ai dit, même si cela implique qu'en principe un enfant de deux ans est présumé habile à rendre un témoignage, il va sans dire que son témoignage ne serait pas reçu. Mais lorsque l'enfant est en âge de comprendre les questions et d'y répondre et semble être un témoin dont la communication peut être reçue, sans promesse de dire la vérité...
Il va de soi qu'une enquête peut parfois être longue et difficile pour les enfants. Au sein de notre cabinet, je m'occupe exclusivement d'affaires d'agressions sexuelles depuis environ dix ans, et je sais ce que c'est pour un enfant de subir pareille épreuve. Ce n'est pas facile. Je ne pense pas qu'en soi, cela soit une raison suffisante pour ne pas veiller à ce que les tribunaux s'assurent scrupuleusement que le témoignage reçu puisse faire partie d'un jugement et être digne de confiance.
Où voyons-nous des enfants? Nous les voyons lorsqu'ils sont victimes des crimes les plus répréhensibles et horribles figurant dans le Code criminel, les agressions sexuelles. C'est en pareil cas que des enfants sont appelés à témoigner. En l'occurrence, nous voulons nous assurer—comme pour toutes les infractions, mais particulièrement dans le cas de celles-là—que nous n'ouvrons pas la porte à la possibilité d'erreurs judiciaires causées par un témoignage qui a été reçu mais qui n'aurait pas dû l'être.
Si nous permettons qu'un enfant de six ans dise : « Je promets de dire la vérité » et que nous n'autorisons pas l'avocat de la défense à vérifier à tout le moins si cette affirmation est fondée... Comprends-tu ce que signifie promettre? Comprends-tu ce que signifie dire la vérité? Comprends-tu l'importance de ce qui se passe? Nous n'exigeons pas une affirmation solennelle ou un serment. De quelle façon pouvons-nous nous assurer qu'un aussi jeune témoin comprend la solennité de l'occasion? Le témoin n'a aucune idée de ce qu'est le système judiciaire. Avec des adultes, on peut supposer certaines choses; avec des enfants, on ne le peut pas.
Il faut prévoir des mesures de contrôle, et je ne dis pas cela dans une optique de procureur. Il est important pour moi de m'assurer que les vrais coupables sont condamnés en bonne et due forme; il est important pour moi de protéger les enfants—c'est tout ce que j'ai toujours fait. D'autre part, je ne veux pas être partie prenante d'un système qui permet trop facilement à un enfant de six ans de dire : « Ouais, ouais, je promets de dire la vérité », si personne ne peut vérifier qu'il a bien compris le sens de ces paroles. Voilà ce qui nous inquiète.
À (1010)
L'hon. Paul Harold Macklin: Je pense que le professeur voulait en partie illustrer à quel point il est extraordinairement difficile pour un grand nombre d'entre nous d'expliquer ce que nous voulons dire lorsque nous promettons de dire la vérité. En bout de ligne, la question qui se pose est la suivante : avons-nous fait beaucoup de progrès en adoptant ce processus si, en fait, il s'agit là d'un concept extrêmement difficile à transmettre? En somme, le tribunal bénéficie-t-il au bout du compte du fait qu'un enfant est soumis à ce processus?
Me Lori-Renée Weitzman: C'est certainement discutable. Lorsque j'ai dit tout à l'heure que je n'étais pas d'accord, ce n'est pas comme si je rejetais cet argument du revers de la main. C'est une question très difficile, et c'est pourquoi nous avons cessé de demander aux enfants d'expliquer ce que cela signifie de prêter serment sur la Bible. À un moment donné, dans les années 80, on avait des échanges pour savoir qui était Dieu, ce que cela signifie de croire en Dieu et sur ce qui arriverait si l'on mentait après avoir prêté serment sur la Bible. Je ne demanderais certainement pas à un adulte de subir pareil interrogatoire, et il était ridicule de demander aux enfants de s'y soumettre. Par conséquent, je suis consciente du problème.
Par ailleurs, je ne pense pas qu'exiger une enquête soit trop demander. L'enfant peut s'exprimer en ses propres mots—et il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un enfant qui, en raison de son âge, est habilité à rendre un témoignage. À tout le moins, il peut montrer qu'il comprend qu'il s'agit d'une occasion importante, que prendre la parole devant un tribunal, ce n'est pas comme parler à des copains dans la cour de l'école; ce n'est pas comme échanger avec ses parents, avec son professeur, que c'est beaucoup plus sérieux—non pas nécessairement à cause des conséquences que cela peut avoir pour l'accusé, mais il doit comprendre qu'il se passe quelque chose de très sérieux... Si nous ne pouvons à tout le moins vérifier l'intégrité ou la sincérité d'un témoin qui promet de dire la vérité, à ce moment-là je me demande... Je comprends tout à fait les préoccupations. Cela dit, je pense qu'il y a une façon de le faire et j'estime qu'en écartant complètement cette possibilité, on facilitera peut-être l'enquête, mais je ne suis pas sûre que nous obtiendrons ce que nous recherchons, c'est-à-dire la conviction, la certitude que nous fermons la porte aux irrégularités et aux erreurs car, ne l'oublions pas, nous avons affaire à de très jeunes enfants.
J'aimerais avoir la réponse. Je n'ai pas de solution géniale. Je comprends les réserves du professeur, mais je pense qu'il y a une manière de faire enquête correctement.
Le président: Vous avez le temps de poser une brève question.
L'hon. Paul Harold Macklin: Très bien. Je serai bref.
Pourquoi devrions-nous accorder aux journalistes un moyen de défense spécial?
Mme Edith Cody-Rice: Il ne s'agit pas d'accorder aux journalistes...
L'hon. Paul Harold Macklin: Vous préconisez une défense spéciale pour le « journalisme fondé sur l'intérêt public ».
Mme Edith Cody-Rice: Je parle de « journalisme dans l'intérêt public ». Je suppose que quiconque... Dans l'exercice de leur profession, les journalistes font des enquêtes. Dans l'exercice de leur profession, les policiers font aussi des enquêtes, mais ils sont dotés de pouvoirs différents. Toute la profession journalistique est fondée sur la liberté de parole, la liberté d'expression et la liberté de la presse. Et les journalistes attirent l'attention du public sur des enjeux importants grâce à leurs reportages. N'importe qui pourrait les porter à l'attention de la population, je suppose, mais les journalistes le font dans le cadre de leur profession.
On ne parle peut-être pas spécifiquement de journalisme, mais je pense qu'on devrait réfléchir au fait que le projet de loi C-2, tel que présentement libellé, interdirait à toute personne, et non seulement aux journalistes, d'invoquer comme moyen de défense le fait d'avoir porté une enquête ou une question d'intérêt public à l'attention des citoyens. Cela ne pourrait être un moyen de défense car le bien public n'englobe pas traditionnellement le journalisme ou la liberté de parole. Pourtant, cela inclut la valeur artistique. Or, on ne peut pas toujours dire que le journalisme—et je suis sûre que vous en conviendrez—a toujours une valeur artistique.
L'hon. Paul Harold Macklin: Je suis d'accord.
Mme Edith Cody-Rice: Toutefois, le journalisme couvre un spectre très large. Il y a, au sein de la profession journalistique, des gens qui ne sont pas fiables et d'autres qui le sont. Pourtant, ils n'auraient aucun moyen de défense aux termes de la présente loi, alors que celle-ci prend en compte le matériel médical, scientifique et artistique. Je pense que les gens dont le travail consiste à attirer l'attention du public sur diverses questions devraient aussi pouvoir compter sur un moyen de défense, même s'ils sont inculpés.
À (1015)
Le président: Merci.
Merci, monsieur Macklin.
Monsieur Warawa, pour cinq minutes, je vous prie.
M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, monsieur le président.
Je remercie chacun des témoins d'être venu ici. J'ai trouvé vos commentaires instructifs, particulièrement les vôtres, madame Weitzman; ils étaient très inspirants.
Je veux poser une question à Mme Kingsley au sujet de l'âge du consentement. Mais avant de le faire, on a dit ici que la mesure pourrait décourager l'expression créatrice... J'espère que chaque membre du comité est motivé par la volonté de créer une loi capable de protéger nos enfants. Ma femme et moi avons cinq enfants qui ont maintenant quitté le nid et j'ai un petit-enfant. Par conséquent, les enfants sont très importants à mes yeux. J'adore les enfants. J'estime qu'en tant que société démocratique, il nous incombe d'assurer la protection de nos membres les plus vulnérables, soit les enfants. Tant qu'à pécher, je préfère pécher par excès de prudence pour protéger nos enfants.
Si la mesure a pour effet de refroidir les ardeurs créatrices—pour reprendre la nouvelle expression à la mode—, je pense qu'il faut tout de même qu'il y ait un équilibre. Je ne pense pas qu'une photo de l'un de mes enfants dans la baignoire soit de la pornographie juvénile. Un pédophile pourrait-il s'en servir? Cette photo constitue-t-elle de la pornographie juvénile? Absolument pas. Je pense que la société et les tribunaux sont en mesure de déterminer sans l'ombre d'un doute ce qu'est la pornographie juvénile. On ne parle pas d'une photo d'un enfant dans une baignoire.
En outre, certains ont dit que s'il ne s'agissait pas d'une victime réelle..., qu'il fallait qu'une victime réelle soit impliquée pour que l'on conclue qu'il s'agit de pornographie juvénile. Certaines lignes de démarcation sont vagues. Je viens de recevoir par courriel une pétition qui circule au sujet de l'histoire de Paul Bernardo et des atrocités qu'il a commises. Devrait-on faire un film au sujet des victimes réelles? Les acteurs joueraient des victimes réelles. Ce ne sont pas seulement les membres du comité, mais l'ensemble des Canadiens qui ont du mal à faire ces distinctions. Devrait-on tourne un film comme celui-là? Il existe au Canada de sérieuses préoccupations à cet égard,et j'estime qu'il faut s'y attacher.
L'objectif du projet de loi C-2 est de faire en sorte de protéger nos enfants. Je suis déçu qu'on n'y aborde pas la question de l'âge du consentement, mais j'ai une question à ce sujet pour Mme Kingsley. D'ailleurs, j'ai trouvé votre exposé très instructif et professionnel.
À (1020)
Mme Cherry Kingsley: Merci.
M. Mark Warawa: Avant d'être élu, j'ai fait partie d'un gouvernement local, ce qui m'a amené à m'intéresser de très près à la prostitution et à la pornographie juvénile. J'ai constaté que souvent, des jeunes d'environ 14 ans étaient incités à se prostituer par quelqu'un de plus âgé et de plus expérimenté, qui savait s'y prendre, et qui leur disait ce qu'ils voulaient entendre.
Vous avez dit que vous aviez commencé à vous prostituer à l'âge de 14 ans jusqu'à l'âge de 22 ans. Lorsque je parle de l'âge du consentement, je ne parle pas de jeunes de 16 ou 17 ans qui ont des relations sexuelles. Je parle de jeunes de 14 ans qui sont manipulés et victimisés par quelqu'un de 28 ans, par exemple.
Je m'inquiète parce que dans ma circonscription de Langley, un jeune homme reconnu coupable d'agression sexuelle a été condamné avec sursis. On l'a autorisé à purger sa peine à domicile. Or, ses victimes sont ses voisines. Je m'inquiète au sujet des condamnations avec sursis imposées par les tribunaux.
À propos de l'âge du consentement, une jeune fille de 14 ans entraînée dans une relation avec un jeune homme de 28 ans a-t-elle suffisamment de maturité et d'aptitudes cognitives pour faire un choix éclairé, pour donner son consentement?
Le Canada est l'un des pays où l'âge de consentement est très bas... La semaine dernière, nous avons accueilli un témoin qui nous a montré un graphique. Dans la plupart des pays du monde, l'âge de consentement est fixé à 16 ans. Je voudrais que l'on relève l'âge du consentement à 16 ans.
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Mme Cherry Kingsley: La loi permet qu'on se penche sur la nature de la relation, pour voir si elle est fondée sur l'exploitation, pour vérifier si la personne en question fournit de la nourriture, un logement, de la drogue, de l'alcool ou de l'argent à l'adolescent, ou si quelqu'un d'autre en profite ou le contrôle. La législation actuelle assure la protection des enfants jusqu'à l'âge de 18 ans. Il n'est donc pas nécessaire de créer de nouvelles lois. En fait, elle responsabilise les adultes et évacue tout débat au sujet de l'âge du consentement, deux initiatives que j'accueille favorablement car depuis très longtemps le débat que dure autour de l'exploitation des adolescents et de leurs relations, un grand nombre d'entre eux ont été exploités.
J'apprécie que l'on ait totalement évacué la question du consentement du débat tout en continuant d'accorder aux jeunes des droits sur leur propre corps. À mes yeux, l'exploitation des enfants est une atteinte à leurs droits—et dans les pires cas, on parle d'exploitation de leur corps—, et je ne pense pas qu'on puisse régler le problème en continuant de rogner leurs droits. La solution, selon moi, consiste à exiger des comptes de la part des adultes responsables et à protéger le droit des enfants au respect de leur corps.
M. Mark Warawa: Merci.
Le président: Merci, monsieur Warawa.
[Français]
Monsieur Ménard, vous avez cinq minutes.
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Monsieur le président, comme vous le savez, je viens de me joindre à vous. Je n'avais pas été averti du sujet qui serait traité ce matin. Je ne m'attendais pas à tomber dans un sujet aussi délicat. Avant de l'aborder, il faut une certaine réflexion. Il s'agit vraiment d'établir un équilibre entre deux objectifs profondément importants. Pour la première et peut-être pour la dernière fois, je n'aurai pas à utiliser les cinq minutes que vous m'accordez. Je me contenterai de poser une question à Mme Weitzman.
Je comprends que vous êtes procureure de la Couronne depuis maintenant 18 ans et que vous n'avez fait à peu près que des causes en poursuite. Cependant, vous venez ici pour donner le résultat de travaux qui ont été menés par un comité. Pour nous permettre d'apprécier les réflexions que vous nous avez communiquées et qui semblent impressionner beaucoup de membres de ce comité par l'équilibre qu'elles démontrent, j'aimerais que vous nous expliquiez l'expérience des gens qui étaient dans votre comité. J'aimerais aussi que vous nous confirmiez si vous êtes effectivement ici pour exprimer les points de vue de ce comité.
Me Lori-Renée Weitzman: Tout à fait. Je suis bien heureuse que vous me posiez la question. Comme c'est la première fois que je témoigne devant ce comité, je voulais m'assurer que l'on comprenne que je suis ici comme membre du comité, et non comme procureure de la Couronne. Ce que j'exprime ici est le résultat de discussions du comité. Notre comité est bien équilibré entre avocats de la Couronne et avocats de la défense. Tous les points de vue sont représentés. Nous avons des discussions fort animées et nous procédons par consensus. Chaque sujet est discuté à fond jusqu'à ce que nous trouvions une réponse commune qui satisfasse tous nos membres. De temps en temps, nous avons des dissidences et nous en prenons note.
Je peux vous assurer que le document que nous vous avons fait parvenir, comme chaque fois, représente le consensus du comité, donc les idées exprimées tant par les avocats de la poursuite que par ceux de la défense. Vous pouvez aussi vous imaginer que notre comité regroupe des membres qui sont équilibrés, de par la nature de leur profession et sur le plan personnel. Nous sommes tout à fait capables d'être en poursuite, comme moi par exemple, mais de comprendre les difficultés et les considérations importantes pour l'autre partie. Les idées que je viens vous transmettre ici sont donc celles adoptées par consensus par l'ensemble du comité.
À (1025)
M. Serge Ménard: Plus particulièrement, je voudrais savoir qui était dans votre comité. Je comprends qu'il y avait des avocats qui avaient défendu des causes et d'autres qui en avaient poursuivi. Aviez-vous, parmi vos membres, des avocats dont la pratique était orientée vers la défense des médias ou qui avaient l'expérience du milieu artistique ou du milieu journalistique?
Me Lori-Renée Weitzman: Je vais céder la parole à ma collègue Me Dufour. Elle est responsable de notre comité et connaît tous les membres. Elle risque de mieux pouvoir vous répondre.
M. Serge Ménard: Vous pourriez aussi nous dire combien vous êtes.
Me Nicole Dufour: Monsieur Ménard, sauf erreur, le comité en droit criminel compte 18 membres. En temps normal, nous sommes 12 ou 14 à siéger. Lors de nos réunions, nous essayons de maintenir une représentation totalement équivalente de la défense et de la Couronne, par exemple sept, six ou cinq représentants de part et d'autre.
Pour ce qui est de votre question, je ne peux pas vous répondre de mémoire: il y a déjà un certain temps que nous avons participé à ce projet. Je ne crois pas qu'un membre de mon comité ait représenté la défense ou la poursuite dans un cas de liberté d'expression. En outre, aucune discussion ne m'a donné raison de croire que c'était le cas.
Cependant, je peux vous dire que des discussions ayant eu lieu au sein du comité portaient sur cet aspect des choses. Comme Me Weitzman vous l'a très bien expliqué, nous sommes ici pour représenter le Barreau du Québec et, plus précisément, ce groupe de travail. Tous les sujets traités dans notre document ont fait consensus au sein de notre groupe.
M. Serge Ménard: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Il ne reste que quinze secondes de vos cinq minutes!
Monsieur Comartin.
[Traduction]
M. Joe Comartin: Madame Cody-Rice, la défense prévue dans l'article sur le voyeurisme me cause de réels problèmes, et c'est pourquoi j'ai trouvé votre position intéressante. En effet, vous êtes l'une des rares personnes qui a essayé de défendre ce moyen de défense.
Selon le libellé de la mesure, lorsqu'on recueille subrepticement, qu'on enregistre, en fait...
Mme Edith Cody-Rice: La simple observation est une infraction, rappelez-vous.
M. Joe Comartin: Il faut faire attention à cet égard. Je ne suis pas sûr de souscrire à cette interprétation. J'ai lu le...
Mme Edith Cody-Rice: On peut en discuter, mais dans le projet de loi, l'observation est une infraction. On dit « observer... ou produire un enregistrement visuel ».
M. Joe Comartin: Sauf que c'est l'utilisation de cet enregistrement qui constitue une infraction.
Mme Edith Cody-Rice: Non, l'observation est en soi une infraction. Si vous lisez l'article... D'ailleurs, dans mon mémoire, je précise que l'observation en soi est une infraction. C'est là un sujet de préoccupation.
On se pose la question : que signifie tous ces termes? Pour vous donner une idée à quel point la mesure a une portée étendue... Je sais qu'il est très difficile de déterminer quelles sont les activités de nature sexuelle. Un baiser est-il une activité sexuelle? Pour moi, un baiser est une activité sexuelle, mais peut-être est-ce là une interprétation que je partage avec les gens de ma génération. Peut-être que les jeunes ne considèrent pas que c'est une activité sexuelle.
Qu'entend-on par « subrepticement »? Nous avons eu un débat à ce sujet lorsque le projet de loi C-20 a été présenté. Ce n'est peut-être pas une notion aussi difficile à cerner. On dit aussi « dans un but sexuel ». Normalement, le journalisme n'est pas pratiqué dans un but sexuel, mais qu'entend-on par là? D'une certaine façon, je ne crains pas vraiment que nos journalistes soient inculpés, mais chose certaine, je m'inquiète...
M. Joe Comartin: Puis-je vous interrompre? On parle d'abus sexuel,et c'est là où j'estime que vous avez tort lorsque vous parlez d'observer et d'observation. Il faut qu'il y ait eu une action posée, et ce de manière cumulative. Il faut que les trois comportements soient présents. Autrement dit, il faut qu'il y ait eu atteinte à la vie privée, et ensuite que l'observation soit faite dans un but sexuel. Si vous agissez dans le cadre d'une enquête, comme vous l'avez mentionné dans votre exposé PowerPoint, votre action n'a pas de but sexuel. Par conséquent, les médias ne s'exposent pas à quelque accusation que ce soit.
Mme Edith Cody-Rice: Je n'ai pas la même confiance que Mme Weitzman dans le système.
M. Joe Comartin: Moi non plus, mais je ne vois pas comment un policier ou un procureur pourrait accuser un journaliste qui mène une enquête d'être motivé par un but sexuel.
Cet article pose un autre problème, et j'y reviendrai dans un instant, mais je vous demanderais de répondre à cette question : comment quelqu'un pourrait-il affirmer que le travail d'enquête d'un journaliste a un but sexuel?
À (1030)
Mme Edith Cody-Rice: La question peut se poser lorsqu'un journaliste fait enquête car les gens ne savent pas qui il est, ni pour qui il travaille. Dans le cas d'un reportage publié dans The Globe and Mail, il y a fort à parier qu'on ne supposera pas que l'enquête avait un but sexuel. Mais un article peut être publié dans un petit journal... Encore une fois, on revient au même argument : s'il s'agit d'Alice Munro, elle ne sera pas poursuivie parce qu'elle est bien connue et qu'elle jouit d'une bonne réputation. Mais tout le monde se souvient de cas où des gens qui en étaient à leurs débuts ont été poursuivis parce qu'on ne savait pas qu'ils étaient dignes de confiance.
Premièrement, il y a l'identité du journaliste qui fait enquête et ensuite, le médium de publication. Et que veux dire l'expression « dans un but sexuel »? En bout de ligne, le juge peut dire : « Vous n'avez pas agi dans un but sexuel », mais à ce moment-là, le processus est déjà bien entamé.
S'agissant de ce que nous proposons, soit prévoir une défense pour le journalisme ou une activité apparentée au journalisme, permettez-moi d'ajouter quelques commentaires. Les journalistes sont considérés comme des acteurs essentiels dans une société libre et les tribunaux l'ont reconnu à maintes reprises. Si une personne peut dire d'entrée de jeu : « Mais je suis un journaliste qui mène une enquête », cela fera sans doute réfléchir la personne qui engage les poursuites. À l'heure actuelle, il n'y a aucune défense prévue, mais on pourrait envisager celle-là.
Prenons l'exemple de la valeur artistique. Un policier se dira qu'il doit être prudent parce qu'il est en présence d'un artiste. Cela peut l'influencer ou non, mais à tout le moins, il y aurait une sonnette d'alarme. Mais la mesure ne prévoit rien pour ce qui est de l'exercice de la profession de journaliste. Des tiers ne pourraient pas mettre en garde la personne qui porte des accusations ou engage des poursuites. Finalement, il faut bien admettre qu'il n'y a pas l'ombre d'un moyen de défense car l'interprétation traditionnelle du bien public n'englobe pas le journalisme, ou le journalisme dans l'intérêt public.
Voilà pourquoi nous réclamons cet ajout.
Pour ce qui est de l'expression « dans un but sexuel », c'est une bonne question. L'inculpé se défendra en disant : « Mais je n'agissais pas dans un but sexuel ». On rétorquera : Oui c'était le cas, ou non, ce n'était pas le cas... C'est ouvert; cette expression est plutôt large.
Le président: Monsieur Comartin, à ce sujet, le paragraphe 162(1) proposé stipule après l'alinéa b) à l'alinéa c) l'observation ou l'enregistrement est fait dans un but sexuel. Ce n'est pas cumulatif. La Société Radio-Canada ou des journalistes pourraient être mis en cause aux termes des alinéas a) et b). Il n'est pas nécessaire qu'ils aient agi « dans un but sexuel ».
Mme Kingsley veut aussi faire un commentaire.
Mme Cherry Kingsley: Il y a une chose ou deux qui ne font pas mon affaire. Premièrement, cette insistance sur le fait que s'il ne s'agit pas d'un enfant réel, cela n'a pas d'importance. J'ai du mal à accepter cela car à mon avis cela importe lorsqu'on crée un lieu ou un environnement qui appuie, préconise ou conseille le viol ou la torture d'enfants. Cela me dérange; tout simplement. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce une question de morale, je l'ignore. Il fallait que je le dise : cela me dérange que l'on dise que cela n'a pas d'importance à moins qu'un enfant en chair et en os soit en cause.
À mon sens, il faudrait qu'en quelque part, cela ait son importance, peu importe que ce soit en droit, devant les tribunaux ou dans les services de police. Quelqu'un, quelque part, devrait pouvoir dire : « Vous savez quoi? Cela a son importance. » Si du matériel pornographique est distribué dans mon milieu ou placé dans un lieu accessible aux enfants, quelqu'un devrait pouvoir dire que ce n'est pas une mince affaire. Je suis désolée, mais c'est ce que je pense; je ne sais pas si j'ai le droit d'exprimer cette opinion.
Le président: Certainement.
Mme Cherry Kingsley: J'ai une autre question : y a-t-il vraiment un grand nombre de causes concernant la liberté de parole? Cela donne-t-il lieu à de multiples poursuites au Canada?
Vraiment? D'accord, je l'ignorais. Je posais simplement la question...
Mme Edith Cody-Rice: Puis-je faire une intervention supplémentaire en réponse à votre question, monsieur Comartin? Nos discussions de l'expression « dans un but sexuel ». Encore une fois, comme l'a fait remarquer M. DeVillers, pour qu'une infraction soit commise, il n'est pas nécessaire que l'on ait fait quoi que ce soit dans un but sexuel. Observer en soi est une infraction, et rendre public un enregistrement...
À (1035)
M. Joe Comartin: Vous devez ajouter l'adverbe « subrepticement ». On parle de quelqu'un qui installe délibérément une caméra vidéo dans les toilettes...
Mme Edith Cody-Rice: Vous n'avez même pas besoin d'installer une caméra vidéo dans les toilettes. Le simple fait d'observer est une infraction.
M. Joe Comartin: Je suis désolé.
Mme Edith Cody-Rice: Je songe à ce que la loi peut vouloir couvrir. Je pense que ce sont plutôt les téléphones cellulaires qui prennent des photos. D'ailleurs, on a déjà vu des gens aller dans les toilettes et prendre des photos avec de tels appareils. Je crois, ou plutôt nous croyons, que c'est par inadvertance que le journalisme légitime se trouve visé. Sans doute n'est-ce pas là votre intention. J'espère que ce n'est pas votre intention.
M. Joe Comartin: Mais si vous êtes là, si vous accompagnez les policiers qui se livrent à une surveillance dans le cadre d'une enquête sur la pornographie juvénile ou sur des mauvais traitements infligés aux enfants, sous une forme ou sous une autre, un réseau de prostitution juvénile... J'ai du mal à comprendre—et les gens ont le droit de s'attendre au respect de leur vie privée—pourquoi les médias seraient autorisés à invoquer... Quel bien public cela sert-il?
Mme Edith Cody-Rice: Je vais vous donner un exemple. Supposons que nous fassions enquête sur certains agissements policiers. Mettons de côté pour l'instant la pornographie juvénile car le voyeurisme n'implique pas nécessairement la pornographie juvénile. Supposons que nous fassions une enquête sur les comportements abusifs de la police envers les prostituées, par exemple. Nous ne participerions pas à une surveillance policière. Nos employés, tout comme ceux de CBC, se présentent dans la plupart des cas comme des journalistes et les gens savent à qui ils ont affaire. Ils ne se présentent jamais sous une fausse identité; ils ne disent jamais qu'ils sont quelqu'un d'autre.
Dans certains cas, il est déjà arrivé, comme je l'ai dit, qu'un journaliste s'infiltre dans un milieu pendant un certain temps pour mener à bien une enquête. Certains d'entre vous se souviennent peut-être d'une émission, il y a quelques années, au cours de laquelle nous avions fait enquête sur la mafia...
M. Joe Comartin: Le crime organisé.
Mme Edith Cody-Rice: ...excusez-moi, le crime organisé—à Toronto. C'était très dangereux pour ces reporters banalisés, qui portaient des micros-émetteurs, et tout et tout. Il est difficile d'imaginer toutes les situations possibles, mais je pense qu'il pourrait arriver que les journalistes se retrouvent dans l'eau chaude s'ils ne bénéficient pas d'un moyen de défense quelconque. Il est possible d'invoquer le bien public, mais il n'existe pas de moyen de défense lié à l'interprétation de l'intérêt public ou de protection pour le journalisme servant l'intérêt public.
Le président: Merci.
Nous devons poursuivre.
Madame Neville.
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.
Madame Weitzman, ma question s'adresse à vous. Je ne suis pas avocate...
M. Richard Marceau: Cela se soigne.
Mme Anita Neville: Je ne veux pas me faire soigner, merci.
Des voix: Oh, oh!
Mme Anita Neville: Dans votre mémoire, que j'ai en main, vous mentionnez que ce qui est le plus intéressant dans le préambule, c'est l'intention plutôt que la véritable valeur interprétative. C'est à la page 4 de votre mémoire. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long et nous expliquer comment on pourrait modifier le préambule ou le projet de loi pour que l'intention sous-jacente à la mesure soit interprétée correctement et de façon optimale.
Me Lori-Renée Weitzman: Faites-vous référence à notre mémoire précédent sur le projet de loi C-20?
Mme Anita Neville: Oui, le projet de loi C-20; c'est ce que j'ai. Je suis désolée.
Avant que vous répondiez, je veux poser aux représentants de la Société Radio-Canada, ainsi qu'à Mme Churgin et à M. Greyson, la même question que j'ai posée aux autres témoins. Quels sont, d'après vous, les répercussions prévisibles de ce projet de loi? Aura-t-il vraiment pour effet de refroidir les ardeurs des journalistes ou des artistes? Cela me préoccupe énormément.
Me Lori-Renée Weitzman: Je vous répondrai en reprenant un commentaire que nous avons déjà fait au sujet de plusieurs projets de loi. Pour nous, le recours à un préambule fait problème. Le préambule est très utile au départ, lorsque c'est la première fois qu'une loi est présentée; il est évident que celle-ci doit être interprétée conformément aux principes énoncés dans le préambule. Mais à mesure que le code, en l'occurrence, se consolide et que les lois sont remplacées, le préambule disparaît lentement mais sûrement et il ne nous reste que la loi, sans référence aux principes qui étaient énoncés dans le préambule. Par conséquent, notre position est simple : si les principes figurant dans le préambule revêtent une telle importance, alors on devrait les inclure dans le texte de loi proprement dit car autrement, nous ne serons pas en mesure de les perpétuer, comme le souhaitait le législateur à l'origine.
À (1040)
Mme Anita Neville: Merci. Et ma question concernant...
Le président: La question sur le refroidissement.
Mme Anita Neville: Oui. Je voulais...
M. John Greyson: Je vais sauter dans la mêlée. Je pense que les artistes, toutes disciplines confondues, s'inspirent souvent de leurs propres expériences lorsqu'ils abordent des thèmes comme la sexualité et la jeunesse. Nous créons tous un art inspiré de nos propres vies, et nous essayons tant bien que mal de décrire comment nous avons accédé à la maturité sexuelle, indépendamment de l'âge auquel cela s'est produit, que ce soit au cours de notre adolescence ou plus tard. Si une sorte de silence s'instaurait à cet égard, ce serait les premières oeuvres qui en feraient les frais, et quelle serait l'ampleur de cette perte pour la culture? Il s'agirait d'une perte incommensurable lorsque l'on pense, encore une fois, à l'oeuvre d'Alice Munro. Pourquoi Alice se tourne-t-elle constamment vers son enfance, ses souvenirs, ses observations, ses expériences très vives? Ce n'est pas seulement parce qu'ils l'ont marquée profondément, mais parce qu'elle sait qu'ils influencent aussi une nouvelle génération de jeunes femmes qui lisent ces histoires.
À mon avis, le silence se traduirait par une grande perte, notamment pour ce qui est de la signification de cette oeuvre pour les adolescents d'aujourd'hui.
Mme Anita Neville: Ce que je voulais vraiment savoir, c'est de quelle façon la présentation de ce projet de loi a déjà influencé les artistes. Comment ont-ils réagi en prévision du projet de loi.
M. John Greyson: Depuis 1993, il y a effectivement eu une certaine auto-censure. Nous avons composé, dans les arts visuels en particulier, avec les retombées de l'affaire Eli Langer. Au plan de la représentation, je pense qu'on a vu des artistes réagir exactement comme je l'ai décrit : c'est-à-dire qu'ils se sont éloignés de certains thèmes qu'ils traitaient ou exploraient auparavant. Cette réaction transcende toutes les disciplines, mais elle est particulièrement présente en photographie car la photographie et la vidéo sont probablement les médiums où ces thèmes sont les plus dynamiques, les plus volatils—les plus difficiles aussi, car bien sûr, en photographie... Je songe à des cas célèbres aux États-Unis—et il y en a eu aussi au Canada, des cas de photographes—en particulier des femmes, qui ont pris leurs enfants comme un modèle, l'affaire Sally Mann étant la plus connue.
J'ai rencontré récemment une femme—une photographe américaine—qui a perdu son enfant, à qui on a retiré la garde de son enfant parce que ses photographies, notamment des photographies prises dans une baignoire, ont été jugées pornographiques par les autorités américaines, et ce, même si l'on a monté en sa faveur une défense extraordinaire démontrant que c'était là tout l'opposé d'un abus. Il s'agissait d'une tradition photographique au sein d'une famille aimante. Pourtant, on lui a retiré son enfant. C'est à cela qu'a abouti une mesure législative analogue aux États-Unis et un grand froid s'est abattu sur tout le pays.
C'est ce vers quoi nous nous dirigeons, et c'est ce qui nous inquiète.
Mme Audrey Churgin: Cela a aussi eu des conséquences sur le financement public, sur la possibilité pour les artistes de recevoir des subventions pour leur travail et de pouvoir gagner leur vie grâce à leurs oeuvres. Encore là, l'exemple américain, avec l'effondrement du NEA et l'affaire Mapplethorpe, est parlant. Il y a eu aux États-Unis de nombreux précédents dont l'effet s'est fait sentir ici aussi.
En outre, ce refroidissement transcende même les limites du sujet. Lorsqu'on s'avance sur un terrain qui peut être assimilé à une activité criminelle, lorsqu'on dépeint une chose en dehors des normes jugées respectables...
Je vais vous donner un exemple. Un jour, un artiste a téléphoné à mon bureau pour me dire qu'un avocat lui avait recommandé de ne pas montrer son travail. Le réseau CTV voulait diffuser une vidéo qu'il avait faite sur les activités de gang. Il s'agissait là, pour la totalité, d'activités criminelles et il y avait participé pour produire cette vidéo qui offrait un portrait très intéressant du phénomène au public. Cependant, son avocat lui a conseillé de ne pas la montrer en faisant valoir qu'il pourrait être accusé de complicité s'il le faisait.
Il m'a appelé pour me demander mon avis. Je lui ai dit que je ne lui conseillerais pas de faire quoi que ce soit qui risquerait de lui causer des ennuis, voire de l'amener en prison, mais j'ai dû lui poser une question : pourquoi avait-il conçu cette oeuvre s'il ne voulait pas la montrer?
C'est là le fond de la question. Parfois, il faut transgresser les limites de l'acceptabilité pour contester la légitimité de la perception universelle des choses, pour amener le public à se demander s'il s'agit toujours d'une vision pertinente, si c'est là une chose que l'on voit toujours du même oeil. Voulons-nous affirmer une vision ou l'infirmer? C'est le rôle de l'artiste de réfléchir sur la société, et si vous provoquez ce refroidissement, nous n'allons pas soulever ces questions. Mais cela ne veut pas dire que de telles choses ne se produisent pas.
À (1045)
Le président: Mme Cody-Rice, suivie de Mme Kingsley.
Mme Edith Cody-Rice: Pour ce qui est de la Société Radio-Canada, je dirais que nous respectons la loi sous sa forme actuelle en ce moment. Le projet de loi à l'étude n'est pas sans nous inquiéter, mais il n'a pas encore... Compte tenu du caractère immédiat du journalisme, nous travaillons aujourd'hui sur le sujet du jour et le lendemain, nous passons à autre chose. Mais ce qui va se passer, si le projet de loi est adopté, c'est que nous allons nous abstenir de faire certains reportages. Nous observons la loi. A moins que nous décidions délibérément de la contester pour des motifs valables liés à la charte, certains reportages ne se feront pas. Et c'est là que réside le véritable danger : il nous faudrait arrêter de faire des reportages sur certains sujets parce que nous serions dans l'impossibilité d'obtenir le matériel nécessaire.
Je voudrais revenir un instant sur l'emploi du terme « subrepticement ». Parlons de ce qui se fait subrepticement. Si, par exemple, nous faisions—et nous l'avons fait, soit dit en passant—une enquête sur les rapports de la police avec les prostituées, plus précisément le fait que des policiers exigent des faveurs de prostituées, si une prostituée nous invite dans sa chambre pour observer ce qu'y fait un policier et filmer, nous agirons avec son consentement, mais aura-t-on agi subrepticement parce que le policier en question n'est pas au courant? Le policier ignore qu'on est là. Si vous lisez la définition que donne le Oxford English Dictionary du terme « subrepticement », vous verrez qu'elle peut s'appliquer à cette situation.
Par conséquent, même le terme « subrepticement » en soi peut susciter un problème d'interprétation. Mais pour ce qui est de l'effet du projet de loi, c'est bien simple, nous ne réaliserons pas certains reportages. Nous n'allons pas enfreindre la loi. Si nous pensons qu'il s'agit d'un sujet important et que son traitement serait contraire à la loi, si nous croyons pouvoir la contester au nom de la charte, nous le ferons.
Le président: D'accord.
Mme Kingsley, et ensuite, nous devrons passer à M. Breitkreuz.
Mme Cherry Kingsley: Je veux simplement appuyer les propos qu'a tenus tout à l'heure Mme Weitzman sur les mesures de contrôle que doit prévoir un système. Je comprends vos préoccupations, mais je demeure convaincue que les jeunes seront sans doute plus en sécurité si le système comporte certaines mesures de contrôle que si l'on élimine entièrement toutes les mesures de contrôle systémique.
Le président: Merci.
Monsieur Breitkreuz.
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC): Merci, monsieur le président.
Le président: L'avez-vous mise par écrit, Garry? L'avez-vous?
M. Garry Breitkreuz: Nous n'avons pas suffisamment de temps d'ici la fin de la séance.
Je veux simplement signaler une chose avant d'entrer dans le vif de ma question. M. Greyson a mentionné qu'une professeure d'université avait déclaré qu'aucune étude n'établit de lien entre la pornographie juvénile et la perpétration d'une activité criminelle. Je trouve que c'est sérieusement fausser la réalité. En fait, de nombreux témoins précédents nous ont dit qu'il n'y avait pas eu d'études fouillées sur le lien de causalité entre le fait de consommer de la pornographie juvénile et de passer aux actes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n'y a pas eu d'études sérieuses sur le sujet. Par conséquent, en un sens vous avez raison, il n'y a pas d'études qui établissent le lien entre la pornographie juvénile et les infractions criminelles. Mais il n'y en a pas non plus qui démontrent le contraire. Monsieur le président, vous nous avez annoncé que des témoins comparaîtraient devant le comité à ce sujet, et je suis impatient de les entendre.
Je rappelle aussi au comité que nous avons accueilli il y a un certain déjà des représentants de l'Association des policiers de Toronto. Certains d'entre nous n'ont pu rester dans la salle car le matériel qu'ils nous montraient leur soulevait le coeur. Ils nous ont dit que jusqu'à 40 p. 100 des consommateurs de pornographie juvénile sur l'Internet pouvaient être amenés à passer aux actes. C'est simplement...
Le président: Ils vont revenir.
M. Garry Breitkreuz: Ils vont revenir, oui. Comme leur visite remonte à un certain temps déjà, je suis heureux qu'ils reviennent.
Quoi qu'il en soit, pour en arriver à mon argument principal, il y a des drogues d'introduction et de la pornographie d'introduction. Peu importe si elle implique un enfant virtuel ou réel, parce qu'on ne peut faire la différence, d'après ce qu'on nous a dit il y a quelques jours.
Madame Kingsley, j'ai trouvé votre témoignage très rafraîchissant car quelqu'un comme vous peut nous fournir une perspective et des observations inspirées d'une expérience vécue. J'apprécie cela énormément. Je pense que nous avons besoin de nous familiariser davantage avec votre perspective afin de mieux comprendre ce qui se passe vraiment dans notre société.
À (1050)
Mme Cherry Kingsley: Merci.
M. Garry Breitkreuz: Voici ma question: tout comme il existe une pornographie juvénile qui pourrait se défendre sur la base de la valeur artistique... Elle suscite un appétit pour une pornographie plus sérieuse. En tant que législateurs, n'est-il pas de notre devoir d'essayer d'éradiquer toute pornographie juvénile de la société, si tant est que ce soit possible?
Souvent, les artistes disent que c'est leur travail de sensibiliser les gens à diverses choses et, par l'entremise des médias, leur produit est diffusé. Mais les gens se plaignent de cela. Ils reprochent aux médias de s'attacher aux aspects négatifs ou dégradants du comportement humain. En s'y attachant et en en faisant la publicité, on attire l'attention du grand public là-dessus. Cela a pour effet d'inciter les gens à s'appesantir sur ces choses. Par conséquent, on accueille la pornographie d'introduction, tout comme les drogues d'introduction, et on ouvre la porte à du matériel beaucoup plus cru.
J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet car c'est là-dessus que le comité est appelé à se prononcer. Mme Kingsley a fait remarquer qu'il arrive parfois que l'on soit porté à adhérer à un volet de l'opinion dans ces discussions alors qu'en réalité, il y a un autre volet, composé de personnes qui ne voient pas les choses de cette façon.
Le président: Madame Kingsley.
Mme Cherry Kingsley: Je voudrais faire quelques observations. Pour moi, en tant que mère, aujourd'hui, mais aussi en tant que personne qui a grandi dans le commerce du sexe—et des milliers de jeunes gens dans notre pays sont impliqués dans ce commerce du sexe—, il est important que le gouvernement prenne position et que les politiciens prennent position publiquement sur la sexualisation des enfants en général et non pas seulement sur le plan particulier, qu'il y ait une définition plus large établissant que l'on ne permettra pas que les enfants soient utilisés de cette façon.
Pour moi, c'est une déclaration importante et une distinction importante : que dans notre pays, on ne permettra pas que les enfants soient utilisés de cette manière, et que dans toute la mesure du possible, on ne permettra pas qu'on fasse la promotion de cette utilisation des enfants à quelque tribune que ce soit; que les tribunaux aient une certaine latitude afin que les Alice Munro et les autres artistes moins connus du même genre ne soient pas poursuivis, parce qu'ils ne tentent pas de préconiser ou de faire la promotion de l'abus ou de l'utilisation des enfants dans le contexte de leur art. Vous savez, il n'y a jamais eu aucune déclaration en ce sens et je trouve qu'il est crucial que l'on commence à déclarer publiquement que l'utilisation, l'abus et l'exploitation, et aussi le viol—que nous fassions une déclaration publique permettant cela et permettant cette intervention.
Donc, oui, je trouve que c'est important. A mon avis, il faut que le gouvernement prenne l'initiative et que les politiciens fassent cette déclaration publique.
M. Garry Breitkreuz: Cela fait-il une différence qu'il s'agisse d'une image virtuelle ou d'une image vraie? Cela fait-il une différence si c'est un adolescent de 17 ans qui joue le rôle d'un enfant de 13 ans? Quand les gens regardent ces images, cela ouvre la porte et les amène à s'attarder à cela et cela peut influer sur leur réflexion.
Mme Cherry Kingsley: Ce que je dis, c'est que l'on peut cibler un enfant en particulier et le présenter comme une victime de l'exploitation, ou bien on peut parler des enfants en général. Comprenez-vous ce que je veux dire? Cela peut être virtuel, ce peut être des actes imaginaires, ce peut être... Comprenez-vous ce que je dis?
Il faut déclarer catégoriquement que l'on ne permettra pas que les enfants dans nos collectivités et dans notre société soient victimes d'abus ou de viol, que l'on ne va pas en faire la promotion ni préconiser cela, mais que nous n'en permettrons pas moins à nos talents artistiques de s'exprimer et que nos artistes jouiront évidemment de la liberté d'expression. Mais je parle des écrits, des illustrations et des images numériques qui font en fait la promotion de l'abus, du viol, de la torture et de l'exploitation des enfants.
Je pense que c'est très différent des potentialités dont vous parlez. Il doit y avoir un frein systémique quelque part. Il faut qu'il y ait possibilité pour quelqu'un, que ce soit la police ou quelqu'un d'autre dans la collectivité, ou quelque politicien, de dire que c'est admissible, qu'il y a un frein systémique quelque part.
M. Garry Breitkreuz: Merci.
Le président: Merci.
Maître Weitzman.
Me Lori-Renée Weitzman: Merci.
Je vais faire une brève observation, en partie en réponse à la question de M. Ménard sur la manière dont notre comité a travaillé et dont nous avons dégagé un consensus et pris ces décisions.
Les discussions que nous avons aujourd'hui s'inscrivent tout à fait dans la ligne de nos délibérations et de notre quête d'un équilibre. Durant nos échanges, nous n'avons pas parlé d'Alice Munro, mais nous avons discuté de Lolita de Nabokov et nous nous sommes demandés si cette oeuvre d'art, cette oeuvre littéraire serait... si le filet n'était pas trop large.
Bien sûr, nous avons eu ces discussions. Je pense qu'en tant que comité d'avocats travaillant à l'intérieur du système, nous avions confiance et espoir que la défense telle qu'elle est énoncée dans le paragraphe proposé 162(6) serait et est suffisante pour s'assurer que la législation permette d'enrayer les activités les plus dégoûtantes, dégradantes, humiliantes que d'aucuns voudraient préconiser.
Pendant que nous faisions autre chose, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance de l'affaire Beattie dont M. Comartin a parlé. Comme il l'a mentionné, certains membres du comité n'ont pu visionner l'intégrale des cassettes vidéo parce qu'elles étaient trop dégoûtantes. C'est la même chose pour les faits décrits dans les arrêts rendus par les juges qui ont dû se prononcer sur des activités sexuelles enregistrées sur vidéo impliquant de très jeunes enfants et qui sont plutôt horribles.
Il est clair qu'aucun d'entre nous ne mettait en doute le besoin de légiférer. La question, bien sûr, était de savoir si le filet que nous lançons est trop étendu. Nous avions confiance que l'exception pour « un but légitime » et l'exception « ne posent pas de risque indu » serait suffisante.
Nous n'en avons pas discuté dans notre comité, et j'en parle simplement parce que nous sommes dans le vif du sujet, mais pour répondre à la préoccupation de Mme Cody-Rice et à la position des médias, je me demande si, en l'absence d'une exception explicite pour les journalistes, nous ne sommes pas couverts par « un but légitime lié à l'administration de la justice » en considération du lien que nous avons, du rôle que jouent les médias dans tout notre système d'administration de la justice.
Prenez, par exemple, les décisions de la Cour suprême dans les affaires Dagenais et Mentuck qui garantissent les droits de la presse établis par le paragraphe 2b) et l'importance, la raison d'être de la presse pour ce qui est de rapporter fidèlement au public ce qui se passe dans notre système judiciaire. Je pense que cette défense couvrirait les reportages relatifs à ce type d'activité.
À (1055)
Le président: Bien. Merci.
Mme Edith Cody-Rice: Je pense que ce serait une utilisation très novatrice de l'exception prévue par le libellé « ont un but légitime lié à l'administration de la justice ». Je ne pense pas que nous fassions notre travail dans le but de faciliter l'administration de la justice; ce n'est pas notre principal objectif. Ce serait vraiment une nouveauté si nous pouvions invoquer cette disposition pour nous défendre.
Le président: Merci.
Je vais maintenant donner la parole à M. Maloney qui sera le dernier intervenant.
[Français]
Ensuite, M. Marceau veut proposer la motion qu'il a présentée jeudi dernier. Par conséquent, je demande aux membres du comité de demeurer en place après que nous aurons fini d'écouter nos témoins.
[Traduction]
Monsieur Cullen.
L'hon. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci.
Est-il possible de traiter de la motion une autre fois?
Le président: Il a demandé que ce soit fait, et si nous pouvions...
L'hon. Roy Cullen: Nous avons tous des réunions à 11 heures—d'autres réunions de comité.
Le président: Nous avons entendu des témoins... Je crois que ce ne serait pas long.
La parole est à M. Maloney, après quoi nous devrons suspendre et régler cette affaire très rapidement.
M. John Maloney (Welland, Lib.): Ma question s'adresse à Mme Churgin et à M. Greyson. Vous représentez 15 000 artistes de diverses disciplines. Combien d'entre eux se rapprochent de la limite que nous avons tracée en cette matière? Préconisez- vous une latitude absolue, ou bien préconisez-vous plutôt d'imposer une limite différente? Qu'est-ce qui vous satisferait?
Mme Audrey Churgin: Ce que je préconise, et qui est, je crois, très semblable à ce que préconise Mme Cody-Rice, c'est que nous puissions invoquer légitimement une défense inscrite dans la loi. Il est certain que nous ne voulons pas non plus faire courir le moindre risque à nos enfants, mais nous voulons que les artistes aient le droit à la libre expression et que nous puissions invoquer une disposition pour nous défendre au cas où nous serions accusés aux termes de la loi actuelle.
M. John Maloney: Mais vous ne faites aucune proposition précise?
Mme Audrey Churgin: Je ne suis pas sûre de comprendre votre question.
M. John Maloney: Il s'agit de savoir où tracer la ligne; je voudrais une indication à ce sujet. Vous dites que oui, il doit y avoir une limite, mais vous ne me donnez aucune instruction...
Mme Audrey Churgin: Eh bien, si l'on peut invoquer une défense et si l'on est jugé par un jury de nos pairs qui peuvent déterminer si l'oeuvre a un mérite artistique, pour moi, il incombe alors à la communauté artistique de décider si les normes de la collectivité, qui sont alors les normes de la communauté artistique, sont respectées. Et si elles ne le sont pas, alors cela deviendrait effectivement ce que j'appellerais de la pornographie juvénile.
M. John Maloney: Madame Cody-Rice, je vous demande également de me guider. Vous avez laissé entendre qu'il faudrait une exception pour protéger aussi les journalistes. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce qu'a proposé Mme Weitzman?
Mme Edith Cody-Rice: Il y a eu des protections pour la valeur artistique, les sciences et la médecine. Je pense que le journalisme est une fonction très importante dans la société et qu'il doit y avoir une protection quelconque pour les journalistes qui font des reportages. Ce qui nous inquiète davantage, et vous verrez que mon mémoire d'aujourd'hui porte en fait là-dessus, c'est l'infraction de voyeurisme, bien que nous soyons également préoccupés par la disposition sur la pornographie infantile. Nous voulons seulement être en mesure de faire des reportages dans l'intérêt public—et je suis tout à fait disposée à ajouter « dans l'intérêt public ».
Je sais que cela peut sembler un énoncé de portée générale, mais cela veut dire que l'on pourrait rendre une décision. Si un juge décide que ce n'est pas dans l'intérêt public, les journalistes n'ont pas carte blanche et ne peuvent pas faire tout ce qu'ils veulent. Mais si on le fait dans l'intérêt public, alors cela devient une défense légitime. Et nous croyons qu'il n'y a rien dans la mesure proposée. Vous verrez que dans les paragraphes proposés 163.1(6) et (7), on a énoncé des défenses qui incluent les sciences, la médecine, la valeur artistique; c'est l'interprétation qu'on donne dans la loi du « bien public ». De manière générale, le « bien public », c'est donc la science, la médecine, la valeur artistique.
Vous devez reconnaître par ailleurs que nous publions sans nul doute des articles qui ne sont pas populaires, et non seulement cela doit être dans l'intérêt public—et nous ne passerions peut-être pas toujours le test, parce que ce n'est pas généralement inclus—mais cela ne doit pas non plus aller au-delà de ce qui est le bien public, et ce sera à un jury d'en décider. Ce sera donc un jury qui décidera si un reportage journalistique—à supposer qu'il passe la première épreuve, ce qui est douteux—se limite précisément à ce qui est dans l'intérêt public. Maintenant, comment déterminer cela? Et ce n'est même pas un juge qui va en décider; ce sera un jury qui devra juger des faits. Ce peut être une affaire qui n'est pas populaire. Nous pourrions avoir porté à l'attention du public des faits que les gens préféreraient ne pas connaître. C'est très inquiétant.
Á (1100)
M. John Maloney: Très bien.
Ma dernière question s'adresse à Mme Kingsley et porte sur un domaine connexe, à la lumière des commentaires de M. Breitkreuz sur le point de vue tout à fait captivant de quelqu'un qui est en première ligne. Vous êtes une ancienne travailleuse du sexe, vous avez été une adolescente travailleuse du sexe, mais vous avez quitté ce métier. Vous avez pris la parole à des conférences internationales. Comme vous le savez, il y a un sous-comité de notre comité qui examine actuellement la législation sur la prostitution. J'aimerais que vous nous disiez si, à votre avis, ce serait avantageux que ce comité fasse un voyage à l'étranger pour se renseigner sur place.
Mme Cherry Kingsley: Je pense que si vous êtes déterminés à faire de vrais changements et une véritable réforme, ce serait avantageux. Nous devons changer la situation; c'est la réalité. Nous devons lutter efficacement contre la victimisation des enfants et des adolescents par l'exploitation sexuelle et nous devons faire quelque chose pour améliorer les conditions de vie et de travail de milliers et de milliers de femmes.
Cela ne peut plus continuer. Les femmes sont littéralement vulnérables et exposées non seulement à la violence, au viol et au meurtre, mais aussi à la torture, comme nous l'avons vu dans l'affaire Baker. Je reviens constamment sur la torture parce que les femmes sont littéralement torturées et les tribunaux à Vancouver discutent actuellement de la question du consentement—on se demande si les femmes y ont consenti. Je ne cesse de revenir à la charge là-dessus. On ne parle pas d'une ou deux femmes; il y en a environ 55 et, à Vancouver, 68 femmes sont portées disparues, dont beaucoup ont été retrouvées assassinées dans une ferme d'élevage du porc. Il y en a des milliers d'autres qui survivent.
J'ai récemment formé une coalition nationale de femmes de différents milieux de l'industrie du sexe et 18 des 21 femmes, qui représentaient alors des centaines et des centaines de femmes, avaient de l'expérience quand elles étaient mineures—18 sur 21. Je parle d'une femme qui représente les danseuses, une femme qui a de l'expérience dans le tournage de films pour adultes, des femmes qui ont de l'expérience dans les salons de massage, dans les agences d'escorte et dans la prostitution de rue. Collectivement, nous représentons des milliers et des milliers de femmes et 18 des 21 participantes avaient acquis de l'expérience à l'âge mineur.
Quelque chose doit changer. Il nous faut des lois fermes pour protéger les enfants et nous devons changer les conditions de vie et de travail de tellement de femmes qui ne vivent pas très bien et qui en meurent.
Je vous félicite, messieurs, pour les efforts que vous faites pour progresser sur ces deux questions—et je les considère comme des questions séparées, soit dit en passant.
Alors je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Maloney.
Je remercie nos témoins pour leur comparution et je vais vous demander de bien vouloir quitter la salle le plus rapidement possible. Je demanderais aux députés de ne pas s'engager dans des conversations avec les témoins, pour ne pas nous retarder.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes.
Merci.
Á (1103)
Á (1105)
[Français]
M. Richard Marceau: Cela peut être très court, monsieur le président. On peut passer au vote tout de suite, si vous voulez.
[Traduction]
Le président: Madame Neville, vous vouliez intervenir.
Mme Anita Neville: Monsieur le président, je n'ai pas d'objection à discuter de la motion, mais l'ordre du jour de la réunion indiquait que nous nous réunirions de 9 heures à 11 heures. Vous venez de nous demander de ne pas engager de conversation avec les témoins afin d'accélérer les choses. Nous sommes restés ici, assis bien sagement, à attendre. Certains d'entre nous ont d'autres engagements qui sont tout aussi importants et urgents. Je suis tout à fait disposée à traiter de cette motion, mais il faut lui accorder le temps voulu, et cela me pose des difficultés.
Le président: M. Marceau a demandé que cela se fasse aujourd'hui. Par égard pour les témoins que nous avons entendus, j'ai pensé que nous devions leur donner tout le temps voulu. Nous avons commencé en retard parce que les députés n'étaient pas tous ici et, si nous finissons avant l'heure, je crois que ce n'est pas respectueux pour les témoins. Nous essayons de faire preuve de collaboration pour régler tout cela.
M. Myron Thompson: J'invoque le Règlement.
Le président: Oui.
M. Myron Thompson: J'étais le premier ici et la réunion a commencé à peu près à 9 h 11. Il nous reste donc deux minutes... et nous y avons consacré une heure. Je pense que vous avez fait du très bon travail pour finir en une heure, en dépit du fait que beaucoup de députés sont arrivés en retard.
M. Garry Breitkreuz: J'invoque le Règlement...
Le président: Si nous consacrons tout notre temps à des rappels au Règlement, nous n'irons nulle part.
M. Garry Breitkreuz: Mon rappel au Règlement nous ferait économiser du temps. Pourquoi ne pas passer directement à cette motion? Nous l'avons tous en notre possession depuis pas mal de temps. Nous avons eu la chance d'y réfléchir et nous pouvons voter.
Une voix: Que l'on mette la motion aux voix.
[Français]
Le président: Monsieur Marceau.
M. Richard Marceau: Monsieur le président, j'ai présenté cette motion pour les raisons expliquées lorsque M. le ministre est venu, et je demanderais le vote.
[Traduction]
Le président: Y a-t-il d'autres interventions?
Monsieur Macklin.
L'hon. Paul Harold Macklin: Monsieur le président, puisque nous examinons cette motion, je trouve qu'il est très important qu'on en étudie les composantes pour voir ce qu'elle dit vraiment et ce qu'elle représente. Premièrement, voyons ce que dit précisément la motion.
Tout d'abord, elle dit que nous exprimons notre vive déception à l'égard du processus de nomination proposé. Bon, je suppose que c'est acceptable. Le comité peut exprimer ses émotions au sujet des dossiers dont il est saisi et je ne vois rien de particulièrement mauvais là-dedans. Cependant, dénoncer « la trop grande latitude discrétionnaire laissée au ministre de la Justice et au premier ministre dans le processus suggéré », à mes yeux, cela ne tient pas vraiment compte de la dimension constitutionnelle de l'affaire dont nous sommes saisis. Essentiellement, aux termes de la Constitution, ce domaine est réservé au gouverneur en conseil, et c'est en fait sur cette base que nous pouvons procéder.
Deuxièmement, ce que le comité a fait savoir lors d'une séance antérieure, c'est que les membres du comité réclamaient une plus grande participation du public et l'on voulait que les parlementaires participent au processus. Je vous fais observer que la manière dont le processus a été structuré engage vraiment le Parlement et le public et tous les intervenants, y compris la magistrature et les procureurs généraux dans l'ensemble du pays, dans ce processus.
Vous dénoncez cette « trop grande latitude discrétionnaire », à mes yeux, ce n'est pas du tout le cas. En fait, ce que nous faisons vraiment, c'est d'essayer de limiter l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire en mettant en place un processus qui, en un sens, permet de juger tous les candidats qui sont proposés et si le comité consultatif qui examine les mérites des candidats individuels proposés décide que ces candidats ne sont pas suffisamment nombreux, ou s'il estime que certaines personnes ont été écartées de la liste, ce comité sera autorisé à ajouter des noms à la liste. Par conséquent, en théorie, il pourrait en fait recommander au ministre de la Justice et au premier ministre d'ajouter les noms de trois personnes qui ne figuraient même pas sur la liste originale. Par conséquent, non seulement cela permet une participation étendue, y compris de la part du public initialement, mais cela établit un processus permettant la participation et la discussion, ainsi que l'examen de chacun de ces candidats qui seront jugés au mérite.
Je pense qu'au bout du processus, on se retrouvera à avoir fait ce que le comité réclamait—autrement dit, d'avoir son mot à dire dans le processus, d'établir une courte liste de candidats. En bout de ligne, la décision ultime est confiée au gouverneur en conseil. Je ne pense pas que quiconque ait suggéré de changer cela. En fait, il faudrait modifier la Constitution pour ce faire.
Alors, donne-t-on une trop grande latitude discrétionnaire? Je pose la question : comment cette latitude pourrait-elle être trop grande? Je pense que nous la limitons en fait par ce processus; selon moi, c'est un processus qui inclut tous les intervenants et qui permettra de faire juger les candidats au mérite par des personnes autres que le premier ministre et le ministre de la Justice.
Dans la dernière partie de cette motion, on réclame un rôle beaucoup plus important pour les parlementaires et les provinces. Qu'est-ce qui pourrait être plus important que de créer la courte liste, de formuler vos suggestions et, en bout de ligne, d'avoir la chance de faire approuver les candidatures par le comité consultatif, le tout débouchant sur deux ou trois candidats qui seront présentés au premier ministre et au ministre de la Justice? Comment peut-on imaginer un rôle plus important que cela, dans le contexte constitutionnel?
Je soutiens que les intervenants vont en fait jouer un rôle de premier plan qui débouchera sur la présentation d'un bon éventail de candidats. En définitive, je soutiens qu'on ne saurait imaginer un rôle plus important pour les parlementaires et les provinces dans le processus de la création d'une courte liste, puisque l'on aura effectivement la capacité d'ajouter ou de retrancher de la liste que le ministre de la Justice a établie au départ.
En conséquence, je soutiens que, même si le comité peut toujours exprimer sa déception, la réalité est que le ministre a franchi un grand pas pour proposer un processus tout à fait ouvert, inclusif, qui aidera à déterminer les candidats qui seront ensuite présentés au premier ministre et au ministre de la Justice pour le choix des juges à la cour Suprême.
Á (1110)
J'estime que le comité ne devrait pas accepter cette motion.
Le président: Merci.
Monsieur Breitkreuz.
M. Garry Breitkreuz: Pour sauver du temps, je renvoie le comité aux commentaires que nous avons formulés quand M. Cotler a comparu. Nous avons tous expliqué à ce moment-là pourquoi nous allons appuyer cette motion. Nous avons exprimé clairement nos préoccupations à ce moment-là.
Le président: Y a-t-il d'autres interventions?
(La motion est adoptée [Voir le procès-verbal].)
Le président: Merci.
La séance est levée.