JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 19 avril 2005
¿ | 0900 |
Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)) |
M. Gordon Phaneuf (directeur, Initiatives stratégiques, Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada) |
¿ | 0905 |
¿ | 0910 |
Le président |
M. Gordon Phaneuf |
¿ | 0915 |
Le président |
Mme Danielle Shaw (directrice, Relations gouvernementales, Armée du Salut au Canada) |
Mme Nancy Turley (conseiller , Maltraitance sur le territoire, Armée du Salut au Canada) |
¿ | 0920 |
Mme Danielle Shaw |
Mme Nancy Turley |
¿ | 0925 |
Le président |
Sergent-détective. Paul Gillespie (Service de police de Toronto) |
¿ | 0930 |
Le président |
M. J. R. Norman Boudreau (vice-président, Conseil d'administration bénévole, Au-delà des frontières Inc.) |
M. David Butt (membre du Conseil, Au-delà des frontières Toronto, Au-delà des frontières Inc.) |
¿ | 0935 |
Le président |
¿ | 0940 |
M. Vic Toews (Provencher, PCC) |
Le président |
M. Gordon Phaneuf |
¿ | 0945 |
M. Vic Toews |
M. Gordon Phaneuf |
Le président |
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ) |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Richard Marceau |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Richard Marceau |
M. David Butt |
¿ | 0950 |
M. Richard Marceau |
M. David Butt |
M. Richard Marceau |
M. David Butt |
M. Richard Marceau |
M. David Butt |
M. Richard Marceau |
Le président |
M. David Butt |
Le président |
M. David Butt |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
¿ | 0955 |
Mme Nancy Turley |
M. Joe Comartin |
Mme Nancy Turley |
M. Joe Comartin |
Mme Nancy Turley |
M. Joe Comartin |
Mme Nancy Turley |
M. Joe Comartin |
Mme Nancy Turley |
Le président |
M. David Butt |
Le président |
M. David Butt |
À | 1000 |
M. Joe Comartin |
M. David Butt |
M. Joe Comartin |
M. David Butt |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. J. R. Norman Boudreau |
M. Joe Comartin |
M. J. R. Norman Boudreau |
M. Joe Comartin |
M. J. R. Norman Boudreau |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.) |
M. David Butt |
Mme Danielle Shaw |
À | 1005 |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Danielle Shaw |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Danielle Shaw |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Mme Danielle Shaw |
Mme Nancy Turley |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Le président |
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC) |
À | 1010 |
Le président |
M. David Butt |
Le président |
Mme Nancy Turley |
À | 1015 |
Le président |
M. Myron Thompson |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Myron Thompson |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
Le président |
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ) |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
À | 1020 |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
M. Serge Ménard |
M. David Butt |
À | 1025 |
Le président |
M. John Maloney (Welland, Lib.) |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. John Maloney |
M. David Butt |
M. John Maloney |
M. David Butt |
M. John Maloney |
M. David Butt |
M. John Maloney |
M. David Butt |
À | 1030 |
M. John Maloney |
M. David Butt |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
Le président |
M. Joe Comartin |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
À | 1035 |
M. Joe Comartin |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Joe Comartin |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Joe Comartin |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. Joe Comartin |
M. David Butt |
M. Joe Comartin |
M. David Butt |
M. Joe Comartin |
M. David Butt |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. David Butt |
M. Joe Comartin |
Le président |
À | 1040 |
M. Mark Warawa (Langley, PCC) |
Le président |
M. David Butt |
À | 1045 |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. David Butt |
Mme Danielle Shaw |
À | 1050 |
Le président |
M. Gordon Phaneuf |
Le président |
M. Richard Marceau |
Mme Danielle Shaw |
M. David Butt |
Le président |
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC) |
À | 1055 |
Sgt-dét. Paul Gillespie |
M. David Butt |
Mme Nancy Turley |
Le président |
M. Gordon Phaneuf |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 19 avril 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0900)
[Traduction]
Le président (L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)): La séance est ouverte. Le Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile est réuni pour poursuivre l'étude du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables et la Loi sur la preuve au Canada.
Nous avons quatre groupes de témoins. Je ne suis pas sûr qu'ils soient tous ici, mais nous allons commencer par ceux qui le sont. Nous allons entendre M. Gordon Phaneuf, directeur des initiatives stratégiques, de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada. Bienvenue.
Il y a aussi Danielle Shaw, directrice des relations gouvernementales, et Nancy Turley, conseillère, qui représentent l'Armée du Salut. Nous allons également entendre le sergent-détective Paul Gillespie du Service de police de Toronto.
[Français]
Nous recevons également M. J.R. Norman Boudreau, vice-président du conseil d'administration bénévole, et M. David Butt, membre du conseil de l'organisme Au-delà des frontières Inc. de Toronto.
[Traduction]
Nous allons commencer par entendre les témoins qui vont nous présenter des exposés d'une dizaine de minutes. Cela nous laissera davantage de temps pour les questions des membres du comité.
Nous allons commencer par M. Phaneuf de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada.
M. Gordon Phaneuf (directeur, Initiatives stratégiques, Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada): Je vous remercie, monsieur le président.
Merci de nous donner la possibilité de vous rencontrer aujourd'hui et de présenter au comité notre point de vue sur le projet de loi C-2.
Je représente aujourd'hui la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada, la Child Welfare League of Canada. C'est un organisme national qui s'occupe de promouvoir le bien-être et la protection des enfants et des jeunes.
Nous nous occupons particulièrement des enfants et des jeunes vulnérables, ceux qui sont agressés, abandonnés et exploités, et ceux qui risquent d'être agressés, abandonnés et exploités. Ces enfants et ces jeunes, qui trop souvent ont connu l'exclusion, le rejet, la pauvreté et le racisme, sont rarement en mesure de profiter pleinement des possibilités et des avantages qu'offre la société canadienne.
Nous nous intéressons particulièrement aux enfants et aux jeunes qui sont pris en charge par le système d'aide à l'enfance, de protection de l'enfance, de justice pour les jeunes et de santé mentale pour les jeunes. Nous estimons en effet que ces enfants sont particulièrement vulnérables.
Permettez-moi de mentionner brièvement que notre organisme a pris l'engagement de défendre et de respecter les droits des enfants, c'est le principe fondamental qui guide notre action. Le plan stratégique de notre ligue énonce clairement que les dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant doivent être mises en oeuvre au Canada et à l'étranger pour veiller à ce que tous les enfants soient protégés et encadrés.
La ligue regroupe des organisations. Les 102 organisations qui sont membres de la ligue sont des organismes qui offrent des services aux enfants et à la famille, des associations provinciales et nationales, des universités, des ministères et organismes provinciaux, territoriaux et fédéraux qui s'occupent des enfants.
Nous sommes légitimement fiers d'avoir des membres dans les 13 provinces et territoires, et aussi du fait que nos membres offrent des services à plus d'un demi-million de familles canadiennes.
La ligue est membre du Forum international pour la protection de l'enfance et de l'Alliance pour la prévention de la violence de l'Organisation mondiale de la santé. Elle est membre fondatrice de l'Alliance nationale pour les enfants et est représentée au comité directeur de l'alliance.
La ligue est un des partenaires du Centre d'excellence pour le bien-être des enfants et, en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé, l'Organisation panaméricaine de la santé, le gouvernement du Canada et le gouvernement de l'Alberta, elle est un des commanditaires de la Conférence mondiale sur la prévention de la violence familiale qui va se tenir bientôt.
Après avoir procédé à un examen détaillé du projet de loi C-2, la ligue estime que, dans l'ensemble, ce projet de loi constitue une mesure positive parce qu'il traite de plusieurs aspects clés de la victimisation sexuelle des enfants.
Ce projet renforce notre capacité de poursuivre les initiatives clés que le gouvernement du Canada a récemment mises en place pour assurer que les enfants soient protégés contre toute exploitation sexuelle. Nous pensons que, combiné à d'autres mesures de soutien, le projet de loi peut faciliter le témoignage des victimes et des témoins qui, en raison de leur vulnérabilité, font face à des obstacles au sein du système judiciaire.
J'aimerais décrire brièvement les six domaines sur lesquels porte le projet de loi et la position qu'a adoptée notre organisme à leur égard.
Premièrement, je vais parler de la partie du projet qui restreint les exceptions en matière de pornographie juvénile et élargit la définition de pornographie juvénile. Nous estimons que cette partie du projet de loi établit un équilibre approprié entre la nécessité de protéger les enfants et le souci de ne pas entraver la liberté d'expression.
La prohibition de la publicité en matière de pornographie juvénile vient combler ce qui était jusqu'à aujourd'hui une grave lacune du droit pénal canadien. En élargissant la définition de pornographie juvénile pour qu'elle englobe les enregistrements sonores, la loi permettra de prendre des mesures appropriées pour lutter contre l'ingéniosité perverse de ceux qui voudraient agresser sexuellement les enfants ou qui le font effectivement.
Les mesures législatives visant à protéger les enfants doivent tenir compte des utilisations nuisibles que l'on peut faire de la technologie moderne, et cette disposition répond en partie à ce besoin.
La deuxième section traite de l'élargissement de la portée des infractions d'exploitation sexuelle et de l'aggravation des peines dont elles sont passibles. La ligue appuie l'introduction d'une définition plus large de l'exploitation sexuelle. Cette disposition est axée sur l'aspect exploitation de la relation et pas uniquement sur l'âge de l'enfant ou du jeune et celui du contrevenant. Cette définition élargie reflète mieux la dynamique de la maltraitance des enfants et l'aspect exploitation de ce comportement.
Le projet de loi reconnaît la nature complexe des relations sexuelles et prévoit des mesures pour incriminer les relations sexuelles dans lesquelles un adulte exerce un pouvoir abusif sur un adolescent. Il y a lieu de noter que le projet de loi contient des dispositions qui évitent que soient incriminées les relations sexuelles consensuelles entre adolescents.
¿ (0905)
L'aggravation des peines reflète l'opinion générale de la population canadienne selon laquelle l'exploitation sexuelle des enfants sous quelque forme que ce soit constitue un crime qui doit être gravement sanctionné. Nous notons que l'augmentation des peines maximales ne débouche pas toujours, toutes choses étant égales par ailleurs, sur celle des peines prononcées.
Il est impératif que les programmes de formation destinés aux juges, que l'on utilise actuellement, soient mis à jour et reflètent l'esprit et le fond de ce projet de loi.
La troisième section a pour effet d'augmenter les peines maximales dont sont passibles certaines infractions liées aux enfants. Notre organisme est tout à fait favorable à l'augmentation des peines maximales pour certaines infraction reliées aux enfants, à savoir les agressions sexuelles contre les enfants, l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence des enfants et l'abandon d'enfant.
La seule remarque que nous voulons faire à ce sujet est que ces modifications auraient dû être apportées il y a longtemps. Il est difficile de concevoir qu'on ait continué jusqu'à aujourd'hui de qualifier l'abandon d'enfant de simple acte criminel. D'une façon générale, au Canada, dans le domaine de la maltraitance des enfants, à l'exception de l'agression sexuelle des enfants pour laquelle de nombreuses réformes louables et dynamiques ont été insérées dans le Code, le droit pénal canadien ne s'est pas attaqué de façon vigoureuse aux autres principales formes de maltraitance : l'agression physique des enfants, l'agression affective et le manque de soins. Dans ce contexte, il est particulièrement approprié d'avoir relevé les peines.
Sans vouloir atténuer la gravité de la question de l'exploitation sexuelle des enfants, il convient néanmoins de rappeler, lorsqu'on parle de protection de l'enfance au Canada, que d'un bout à l'autre du pays, la forme de maltraitance qui est la plus fréquemment rapportée et la plus fréquemment établie par les responsables de l'aide à l'enfance est le manque de soins. Ce fait ne doit pas nous inciter à réduire nos efforts pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants; il devrait simplement nous rappeler qu'il existe un continuum dans la violence que subissent un trop grand nombre d'enfants et de jeunes Canadiens, et que l'exploitation sexuelle est une forme flagrante d'agression parmi plusieurs autres formes flagrantes de maltraitance des enfants.
La quatrième section porte sur les aides testimoniales destinées aux victimes et aux témoins enfants—des modifications au Code criminel. En résumé, les amendements proposés qui visent à faciliter le témoignage des victimes et des témoins enfants sont une excellente chose. Nous pensons que ces réformes peuvent avoir un effet positif sur l'expérience qu'ont les enfants au sein du système de justice pénale. L'utilisation d'écrans, de télévisions en circuit fermé et la présence d'une personne de confiance constituent des aides importantes pour les enfants victimes, et il conviendrait de généraliser le plus possible l'utilisation de ces moyens.
Formellement, ces amendements vont améliorer le cadre dans lequel les enfants et les témoins interagissent avec le système de justice pénale. Cependant, sans des mesures de mise en oeuvre, ces modifications risquent de demeurer lettre morte.
Les modifications à la Loi sur la preuve au Canada constituent un progrès important, compte tenu du fait que la recherche empirique indique que le témoignage d'un enfant est aussi valide que celui d'un adulte. Deuxièmement, le fait de demander aux témoins de moins de 14 ans de promettre de dire la vérité plutôt que de prêter serment ou de faire une déclaration solennelle est une modification appropriée, parce qu'elle reflète mieux les capacités intellectuelles des enfants.
La cinquième section traite de la protection des autres victimes et témoins vulnérables. Les amendements visant à faciliter le témoignage d'autres victimes ou témoins vulnérables sont une autre mesure opportune. Le fait de se trouver dans une salle d'audience peut être stressant pour les victimes et les témoins, et les réformes proposées fournissent à ces personnes un soutien qui pourrait atténuer en partie le stress associé au fait de se trouver dans une salle d'audience.
Pour ce qui est de l'article 6, la nouvelle infraction de voyeurisme est tout à fait appropriée et encadre le risque que les nouvelles technologies soient utilisées de façon inappropriée pour porter atteinte à notre vie privée. De la même façon, l'infraction relative à la distribution de matériel voyeuriste montre que le Code criminel s'adapte aux nouvelles menaces que pose l'usage inapproprié de l'Internet.
Je vais maintenant vous présenter nos recommandations. La ligue estime que le projet de loi C-2 est effectivement un pas dans la bonne direction, puisqu'il vise à protéger les enfants vulnérables contre toute exploitation sexuelle. Cependant, ce projet de loi ne constitue qu'une mesure parmi toutes celles qu'il faudrait prendre pour disposer d'une stratégie crédible visant à protéger les enfants vulnérables dans notre système judiciaire contre toute forme d'exploitation sexuelle ou de pornographie juvénile.
Toute modification législative, quel qu'en puisse être l'intérêt, doit s'accompagner de bonnes politiques et de ressources suffisantes pour mettre en oeuvre les modifications adoptées.
Nous avons des recommandations précises. Le projet de loi est très prometteur, mais il n'atteindra son but que si des mesures concrètes sont prises pour mettre en oeuvre les réformes qui y sont proposées.
¿ (0910)
La ligue estime qu'il conviendrait de prendre des mesures dans quatre domaines si l'on veut que le projet de loi C-2 tienne vraiment ses promesses. Les voici : premièrement, la formation et le perfectionnement professionnel des juges; deuxièmement, la mise sur pied de projets pilotes et de projets expérimentaux; troisièmement, fournir un appui à un programme d'assistance technique pour faciliter l'utilisation d'écrans et de la technologie de la télévision en circuit fermé. Et quatrièmement, assurer un suivi de la recherche et effectuer une évaluation du projet de loi et de ses conséquences.
Pour ce qui est de la formation judiciaire et du perfectionnement professionnel, l'indépendance de la magistrature est un principe fondamental de notre système judiciaire. Nous savons que le gouvernement du Canada ne peut et ne doit pas imposer le contenu de la formation offerte aux juges. Ce principe ne doit toutefois pas nous empêcher de veiller à ce que les juges aient accès à des cours et à des documents de formation à jour concernant la victimisation des enfants.
Les autorités responsables de la formation et de l'éducation des juges doivent veiller à ce que ces derniers aient non seulement accès à une formation spécialisée, mais qu'ils utilisent effectivement les services de formation offerts. Nous notons que l'Institut national de la magistrature a élaboré, en association avec des experts, des documents de formation destinés aux juges portant sur l'agression des enfants et que le gouvernement fédéral a apporté son concours à l'élaboration de ces documents. De tels partenariats sont essentiels parce qu'ils favorisent l'élaboration de documents de formation appropriés.
En outre, il convient également de donner une formation spécialisée aux procureurs de la Couronne, au personnel chargé d'assister les victimes et aux autres professionnels qui s'occupent de préparer les enfants à témoigner. Le second domaine de recommandation concerne les projets pilotes et les projets expérimentaux.
Le projet de loi C-2 propose un certain nombre de mesures positives visant à aider les enfants victimes et les autres témoins vulnérables, mais il ne faut pas s'arrêter là. Il convient d'examiner, d'analyser et d'étudier d'autres innovations; il faut essayer d'autres types d'interventions; il convient d'évaluer et d'analyser des modèles novateurs. C'est là un rôle important que peuvent jouer les projets pilotes et les projets expérimentaux.
Le président: Monsieur Phaneuf, je vais devoir vous demander de conclure aussi rapidement que possible.
M. Gordon Phaneuf: Je pense que le comité connaît la London Family Court Clinic et le Child Witness Project de l'Université Queen's. Nous avons vraiment besoin de ce genre de recherche axée sur l'action et nous recommandons vivement que l'on prenne des mesures pour assurer la poursuite de ce projet .
Brièvement, le troisième secteur est le programme d'assistance technique. La répartition des pouvoirs en matière d'administration de la justice confie aux provinces la responsabilité de la question de la télévision en circuit fermé et des écrans. Nous rappelons au comité que des rapports ont déjà été publiés en 1989 et 1990 qui proposaient au gouvernement fédéral d'adopter la technique des écrans et de la télévision en circuit fermé. La réalité est que toutes les salles d'audience n'ont pas accès actuellement à ces technologies. C'est pourquoi nous recommandons que l'on mette sur pied un programme concret, de durée limitée et très ciblé, qui inviterait les provinces à partager avec le gouvernement fédéral, à part égale, les frais d'installation de ces technologies dans les salles d'audience.
Le dernier aspect dont nous allons parler, monsieur le président, est le suivi de la recherche et les études d'évaluation, aspect qui est parfois oublié et qui est pourtant absolument essentiel. Il ne sera possible de vraiment comprendre l'importance des dispositions actuelles relatives aux enfants victimes qu'en suivant l'application de ces dispositions et les résultats obtenus. Parallèlement, il faudra également suivre de près l'application des réformes proposées par le projet de loi C-2, s'il était adopté. Il sera important de déterminer, de façon rigoureuse, si ces réformes sont mises en oeuvre, et si c'est le cas, comment. Il faut effectuer des recherches et des études d'évaluation ciblées pour connaître l'expérience qu'ont les enfants du système de justice pénale. Il faudra procéder à des études pour évaluer dans quelle mesure les amendements proposés sont utilisés. Il faudrait que les réformes futures soient fondées sur des recherches empiriques.
Pour terminer, je répète que le projet de loi C-2 est très prometteur, mais que sa mise en oeuvre exige que l'on prenne toutes les mesures que j'ai décrites. En matière de protection des enfants, il ne suffit pas d'avoir de bonnes dispositions législatives. Pour protéger ces enfants, il faut adopter une approche globale, qui combine les réformes législatives, la formation, le renforcement des services, les programmes novateurs, l'analyse des données et la recherche.
Je vous remercie de nous avoir donné la possibilité de vous présenter ces observations.
¿ (0915)
Le président: Merci.
Maintenant, Mme Shaw de l'Armée du Salut.
Mme Danielle Shaw (directrice, Relations gouvernementales, Armée du Salut au Canada): Bonjour. Good morning. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous.
Permettez-moi de commencer notre exposé en disant que l'Armée du Salut appuie le projet de loi C-2. Nous invitons les députés à l'appuyer également. Cela dit, la formulation actuelle du projet de loi soulève certaines questions.
Nous allons présenter ce matin des commentaires portant sur certaines parties du projet de loi C-2, et non pas sur l'ensemble de ce projet. Nous allons parler des lacunes du projet de loi C-2 à l'égard de l'exploitation sexuelle des enfants, de la nécessité de concilier les peines avec l'objectif de réinsertion sociale, ainsi que de certaines dispositions concernant la pornographie juvénile.
En tant qu'organisme de services sociaux de première ligne, nous constatons en permanence les effets dévastateurs à long terme de la violence sexuelle, dans nos logements pour sans-abri, nos programmes de désintoxication, nos centres d'accueil pour jeunes, nos services à la famille et nos programmes correctionnels. Nous avons appris que, s'ils ne sont pas traités, les effets à long terme de la violence sexuelle peuvent inclure un blocage du développement psychologique, affectif et social, la toxicomanie, des problèmes de santé mentale, des problèmes d'estime de soi, le chômage, l'itinérance et même le suicide. Il est triste et troublant de constater que ceux qui sont abusés, en particulier les enfants de sexe masculin, retournent souvent cette violence contre les autres, perpétuant et augmentant ainsi les dommages causés par les abus sexuels dont ils ont été victimes.
Mme Nancy Turley (conseiller , Maltraitance sur le territoire, Armée du Salut au Canada): Vous savez certainement que le sous-comité des lois en matière de racolage étudie à l'heure actuelle les dispositions du Code criminel relatives à la prostitution en vue de formuler des recommandations pour réformer ces règles. Le débat public sur la prostitution traite principalement des adultes et certains affirment que le fait de se livrer à la prostitution est un choix, que chaque adulte est libre de faire.
Malheureusement, les études révèlent que les personnes impliquées dans la prostitution sont souvent entrées dans le milieu alors qu'elles étaient mineures et après avoir été, dans bien des cas, victimes de violence sexuelle. Les études démontrent également que les jeunes de la rue, dont certains viennent de milieux marginalisés, risquent plus que d'autres d'être recrutés dans le milieu de la prostitution.
Tout en reconnaissant que tous les enfants agressés sexuellement ne finissent pas nécessairement par se prostituer, nous constatons néanmoins que beaucoup trop de prostitués sont constamment exploités sexuellement à l'âge adulte après avoir été agressés sexuellement en tant que mineurs. Selon nous, ces personnes n'ont pas réellement fait ce choix librement. C'est pourquoi nous demandons que toutes les mesures soient prises pour protéger les personnes en danger de faire partie de la prochaine génération d'adultes exploités sexuellement.
J'aimerais faire un commentaire au sujet de l'âge du consentement. Le Code criminel protège toute personne âgée de moins de 18 ans contre l'exploitation sexuelle commerciale et contre l'exploitation sexuelle par toute personne qui est en situation d'autorité ou de confiance ou à l'égard de laquelle l'adolescent est en situation de dépendance. Le Code ne fournit toutefois pas une protection suffisante contre les activités sexuelles impliquant des mineurs, qui ne tombent pas dans ces catégories. Ainsi, un adolescent âgé de 14 à 18 ans qui consent à avoir des relations sexuelles avec un adulte en dehors de ces circonstances limitées est présumé le faire librement, même si l'adulte est sensiblement plus âgé que lui et est un ami de la famille ou un professeur du secondaire en qui il a confiance.
Les ministres provinciaux de la Justice et plusieurs ONG proposent de relever l'âge requis pour consentir à des relations sexuelles afin de réduire la prévalence de l'exploitation sexuelle des jeunes, mais le projet de loi C-2, tout comme ses prédécesseurs, n'en fait pas mention. Nous enjoignons les membres de ce comité d'envisager cette solution, car il est possible de formuler des dispositions du Code criminel de façon à criminaliser toute forme d'activité sexuelle entre un adulte et un mineur, sans pour autant criminaliser la conduite des adolescents.
¿ (0920)
Mme Danielle Shaw: Nous voulons faire des commentaires qui portent précisément sur l'augmentation des peines maximales pour les infractions sommaires d'exploitation sexuelle des enfants que propose le projet de loi C-2. La société et les législateurs ne doivent pas négliger les effets à court et à long terme de l'agression sexuelle des enfants. Les délinquants sexuels s'en prenant aux enfants doivent rendre compte de leurs crimes; cependant, il ne suffit pas, d'après nous, d'augmenter les peines d'emprisonnement pour régler le problème de l'exploitation sexuelle.
À notre avis, et selon celui d'un délinquant sexuel que j'ai rencontré pour préparer cet exposé, une stratégie efficace devrait comprendre la prévention de la violence sexuelle, un mécanisme d'intervention précoce, des programmes de traitement individuel pour les délinquants, des interventions de longue durée et une thérapie appropriée pour les victimes, ainsi qu'un soutien communautaires pour les victimes, les délinquants et leurs familles. Selon les statistiques, la plupart des délinquants sexuels sont emprisonnés dans des établissements provinciaux plutôt que fédéraux, pour des peines de courte durée. Une certaine partie de la population aimerait que vous et les agents du maintien de l'ordre enferment les délinquants sexuels à double tour avant de jeter la clé, mais les délinquants sexuels sont pour la plupart libérés après une période d'emprisonnement relativement courte. Même si le projet de loi C-2 est adopté, les délinquants ne passeront qu'un maximum de 18 mois dans les établissements provinciaux.
Des études ont permis de démontrer l'efficacité des programmes de traitement pour les délinquants sexuels, en termes de gestion des risques de récidive—non pas en termes de guérison des délinquants sexuels—redonnant ainsi l'espoir aux délinquants, à leurs victimes et aux personnes qui travaillent avec les personnes concernées. Dans certains cas, les taux de récidive des délinquants sexuels traités étaient deux fois moins élevés que ceux des délinquants non traités. D'après nous, par souci du sort des délinquants, des victimes réelles ou éventuelles et de la société en général, le gouvernement doit inclure dans ses politiques à la fois la dénonciation des comportements criminels et la réadaptation des délinquants.
C'est pourquoi nous vous encourageons à envisager d'autres solutions que le relèvement des peines d'emprisonnement, et plutôt que de rechercher des solutions miracles de courte durée, il faut plutôt assurer une allocation adéquate des ressources qui permet une intervention efficace et, si nécessaire, le soutien constant de la collectivité.
Mme Nancy Turley: Pour ce qui est de la question de la pornographie juvénile, nous estimons que le projet de loi C-2 constitue une amélioration notable par rapport aux dispositions existantes du Code criminel et aux tentatives précédentes de définir la pornographie juvénile et d'établir un moyen de défense concernant les crimes relatifs à la pornographie juvénile. Cela dit, nous remettons en question la pertinence de maintenir les moyens de défense relatifs aux arts, en particulier aux arts visuels. S'il est vrai qu'une image vaut mille mots, alors une oeuvre répondant à la définition de la pornographie juvénile peut transmettre un message réellement dommageable.
On définit comme pornographie infantile toute chose qui montre de manière explicite une personne de moins de 18 ans exerçant une activité sexuelle, qui exhibe les organes sexuels ou la région anale d'une personne de moins de 18 ans dans un but sexuel ou qui prône ou conseille des activités sexuelles avec une personne de moins de 18 ans, qui constitueraient une infraction pénale aux termes du Code criminel. Compte tenu de cette définition, nous remettons en question la légitimité artistique que pourraient avoir de telles oeuvres.
Des études indiquent que certains délinquants sexuels utilisent la pornographie juvénile pour renforcer les comportements cognitifs. L'affaire récente de Holly Jones à Toronto illustre comment la pornographie a été utilisée pour alimenter le désir qu'avait l'agresseur pour le corps d'une jeune personne, qui a finalement été tuée.
Récemment, en tant que conseillère pour la maltraitance sur le territoire de l'Armée du Salut, j'ai rencontré un pédophile qui m'expliquait que la pornographie ne faisait pas seulement qu'aiguiser l'appétit de ses utilisateurs pour des corps de jeunes enfants, mais qu'on s'en servait également pour conditionner et attirer des victimes innocentes en banalisant les comportements sexuels entre adultes et enfants. La pornographie juvénile est donc utilisée pour désensibiliser les victimes. Mal utilisées, des images apparemment innocentes peuvent avoir des effets dévastateurs.
Pour terminer, nous voulons mentionner que nous ne vous avons exposé que certaines parties de notre mémoire dans l'espoir que cela vous encouragera à faire tout ce que vous pouvez pour prévenir l'exploitation sexuelle des enfants, fournir aux victimes, aux délinquants et à la collectivité les moyens d'atténuer les effets dévastateurs de l'agression sexuelle et d'établir un équilibre approprié entre les besoins des délinquants et ceux des victimes.
Nous serons heureux de répondre à vos questions et nous vous remercions de nous avoir invités.
¿ (0925)
Le président: Je vous remercie de cet exposé.
Nous allons maintenant entendre le sergent-détective Paul Gillespie, du Service de Toronto.
Sergent-détective. Paul Gillespie (Service de police de Toronto): Mesdames et messieurs, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. J'apprécie d'avoir la possibilité de m'adresser à vous. Je vais également m'en tenir à certains aspects dont traite le projet de loi C-2 et aborder un aspect dont ce projet devrait traiter.
Comme l'a mentionné le témoin précédent, il est légal d'avoir des relations sexuelles avec un jeune de 14 ans; par contre, il n'est pas permis d'enregistrer des images de ces relations sexuelles si la personne a moins de 18 ans. Voilà qui illustre bien certains problèmes que nous constatons. Je parle au nom des policiers qui sont confrontés à la réalité de cette question. Il y a des choses qui ne me paraissent pas très logiques. Je pense que les jeunes de 14 ans, pour ce qui est de l'âge du consentement, n'ont pas la capacité ni la maturité qu'ils devraient avoir pour prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences pour le reste de leur vie. Nous voyons ce genre de cas tous les jours.
L'expression « âge du consentement » pourrait et devrait être remplacée par une expression comme « âge de protection » que l'on pourrait fixer à 16 ans. Je ne peux imaginer une situation où l'on devrait permettre à un homme de 50 ou 60 ans d'avoir légalement des relations sexuelles avec une jeune de 14 ans. Cela fait un moment que j'essaie d'imaginer une telle situation. Cela me paraît mal. Les enfants sont des enfants. Il faut le reconnaître. J'estime qu'il existe une différence énorme sur le plan de la maturité et de la connaissance de la vie entre un jeune de 14 ans et un jeune de 16 ans. Je pense que les jeunes de 14 ans sont des enfants et qu'il faut les protéger. Ils devraient être protégés jusqu'à ce qu'ils atteignent un certain âge, et cet âge devrait être, d'après moi, de 16 ans.
Lorsqu'on examine les circonstances pour déterminer s'il s'agit d'une relation d'exploitation et qu'on essaie de savoir ce que pense le délinquant potentiel, je pense qu'on entre dans un débat qui pourrait durer des années. Le policier de première ligne doit, à un moment donné, tenir compte de ces divers éléments et prendre assez rapidement une décision, tout comme le juge des faits. Il y a beaucoup d'aspects de cette question qui ne sont pas clairs.
Mon but principal en m'adressant à vous aujourd'hui est d'insister sur le fait que, quelle que soit la façon dont est rédigé le projet de loi, il faut qu'il soit suffisamment clair pour que les gens qui ont pour rôle de mettre en oeuvre ces règles, qui ne peuvent pas en débattre pendant des années, puissent intervenir de bonne foi, en fonction de ce qui leur est demandé. Quelle que soit la solution qui sera retenue, je ne pense pas que la formulation du projet de loi soit suffisamment précise. Je ne pense pas que l'on pourra jamais trouver une formulation qui explique de façon satisfaisante comment un homme de 50 ans peut avoir des relations sexuelles avec un jeune de 14 ans.
L'autre aspect que j'aimerais rapidement aborder—et je vais être très bref—pose un réel dilemme, c'est celui des peines imposées par les tribunaux. Il est bon d'entendre que, dans certains cas, la peine maximale passera de cinq à dix ans. Je dois dire franchement que cela fait bonne impression, mais les tribunaux n'imposent jamais des peines se rapprochant des anciens maximums pour les délinquants.
À Toronto, nous avons arrêté, au cours des trois dernières années, 130 personnes environ qui ont été accusées de pornographie juvénile et d'infractions connexes. Près de la moitié d'entre elles ont obtenu une peine avec sursis ou une période de probation—près d'une sur deux environ. Je crois, et les statistiques le montrent, que trois délinquants sur dix qui sont en possession de pornographie juvénile sont également des agresseurs. C'est là le véritable dilemme. L'idée que l'on peut renvoyer chez eux la moitié d'entre eux et que cela aura un effet dissuasif est tout simplement inexacte. Il n'est pas dissuasif de renvoyer un délinquant chez lui, de lui demander de ne pas utiliser son ordinateur, alors que les policiers n'ont pas les moyens, même s'ils avaient le personnel, de vérifier ce qu'il fait et de constater éventuellement qu'il ne respecte pas certaines conditions de l'ordonnance. C'est un dilemme à cause de l'ampleur du phénomène de l'Internet et du nombre de délinquants qu'on y trouve.
Il devrait exister une peine minimale pour la première condamnation pour pornographie juvénile. Je pense que cette peine devrait être fixée à 60 jours. Je proposerais qu'une deuxième condamnation entraîne une peine de deux ans moins un jour. Je pense que cela aurait un effet dissuasif. Il y a une peine minimale pour la conduite avec facultés affaiblies, qui est de 14 jours pour une deuxième condamnation. Il y a également une peine minimale pour les infractions reliées aux armes à feu, poursuivies à titre d'acte criminel, qui est de quatre ans. Ce genre de peine a un effet dissuasif.
Je ne vois pas ici d'effet dissuasif. Nous surveillons les groupes de discussion et les salles de clavardage, nous avons des agents banalisés dans les moindres recoins de l'Internet. Le Canada est considéré—et on en discute ouvertement—comme un endroit où le fait d'être pris avec de la pornographie juvénile ou d'agresser des enfants n'entraîne pas de conséquences graves. On présente même parfois notre pays comme un endroit où l'on peut avoir des relations sexuelles avec un enfant, à savoir un jeune de 14 ans, parce que la majorité des autres pays estiment qu'un jeune de 14 ans est un enfant.
Je suis souvent en contact avec des services policiers étrangers ainsi qu'avec des agences gouvernementales dans mon travail, en tout cas certainement depuis deux ans. Je vais être très franc. Je suis assez embarrassé lorsque je me rends à l'étranger et que l'on apprend que l'âge du consentement est ici de 14 ans. Là encore, si nous pouvions le relever à 16 ans et parler plutôt d'un âge de protection...
¿ (0930)
J'aimerais faire savoir au comité que le principal problème que pose la pornographie juvénile et l'Internet est que ce phénomène évolue très rapidement. Je ne pense pas que nous pourrons jamais agir suffisamment rapidement s'il n'y a pas de loi qui régisse l'Internet. Je dirais que le Canada a adopté des lois qui soutiennent la comparaison avec celles de tous les autres pays et que nous devrions certainement être fiers des lois relatives à l'Internet que nous avons.
D'ici un an, il y aura des téléphones portables qui auront la même capacité informatique que les dix plus gros ordinateurs existants. La vie va changer très rapidement au cours des années qui viennent à cause de la réduction de la taille des dispositifs de stockage. Nous allons voir des cartes mémoire qui auront la taille d'un timbre-poste. L'une de ces cartes va bientôt être commercialisée et elle peut contenir environ un million d'images. Ce sera une carte de 64 gigaoctets, ce qui représente une quantité de mémoire incroyable. La conséquence est que cela va transformer les téléphones portables et les autres petits appareils portables en ordinateur. Il n'y aura plus de gros ordinateurs, de disques compacts ni de disquettes.
Il sera beaucoup plus difficile de faire la preuve de tous ces crimes horribles et de la façon dont les gens vont communiquer entre eux parce que cela sera beaucoup plus privé et donc, beaucoup plus difficile à détecter; il sera également plus difficile de faire appliquer les lois. Il me paraît important de rappeler ceci : il s'agit d'agression d'enfants dans le domaine de la pornographie juvénile. Là encore, les jeunes de 14 ans sont des enfants. Nous devons nous efforcer de protéger les enfants le mieux que nous le pouvons et de découvrir des façons, si cela est possible, en tant que policiers et gouvernements—et je ne sais pas si nous arriverons jamais à devancer l'évolution de ces techniques—d'identifier les problèmes qui se poseront à l'avenir.
C'est tout, à moins que vous n'ayez des questions.
Le président: Merci.
[Français]
C'est maintenant au tour de M. Boudreau, de l'organisme Au-delà des frontières Inc.
M. J. R. Norman Boudreau (vice-président, Conseil d'administration bénévole, Au-delà des frontières Inc.): Bonjour.
Je vous remercie de nous avoir invités à nouveau. La dernière fois, c'était pour le projet de loi C-20. À l'époque, j'étais avec mon copain, l'avocat renommé David Matas. À l'époque, David avait fait des recommandations en ce qui a trait à la pornographie infantile. Votre comité a accepté les recommandations de M. Matas, et nous vous en remercions beaucoup.
Aujourd'hui, nous allons vous faire une présentation ayant trait à l'âge du consentement.
[Traduction]
Au-delà des frontières propose de relever à 16 ans l'âge du consentement et de prévoir une exception dans le cas où les adolescents ont à peu près le même âge, de façon à ce qu'ils puissent avoir des activités sexuelles sans commettre d'actes criminels.
Nous recommandons également que les amendements que propose le projet de loi C-2 s'appliquent également aux enfants ayant entre 16 et 18 ans. Dans le cas où il existe une relation d'exploitation avec un jeune âgé de 16 à 18 ans, les modifications que propose le projet de loi C-2 devraient également être applicables. Je pense que la recommandation d'Au-delà des frontières combine le meilleur des deux mondes.
[Français]
J'aimerais maintenant passer la parole à mon ami David Butt.
[Traduction]
M. David Butt (membre du Conseil, Au-delà des frontières Toronto, Au-delà des frontières Inc.): Bonjour, je m'appelle David Butt. J'ai mené pendant 13 ans des poursuites dans des affaires d'exploitation d'enfants et de pornographie juvénile. Je suis toujours de très près cette question, et je travaille avec le Service de police de Toronto, dans l'unité de Paul Gillespie en particulier.
J'aimerais simplement formuler quelques observations fondées sur l'expérience que j'ai acquise devant les tribunaux, parce qu'il s'agit là de critères qui seront appliqués par les tribunaux puisque ce sont des dispositions pénales. L'idée fondamentale—et tout le monde est d'accord là-dessus—est que les adolescents vivent cette phase de transition critique, une phase pendant laquelle ils développent leur caractère sexuel , qu'ils sont encore des enfants et pas tout à fait des adultes, et qu'ils ont besoin d'un traitement spécial. Ce ne sont pas des enfants. Ce ne sont pas des adultes. Il leur faut un traitement spécial et dans de nombreux secteurs du droit, nous leur accordons effectivement un traitement spécial.
Lorsqu'ils sont accusés devant le système de justice pénale, ils passent devant les tribunaux pour les jeunes du système de justice pénale. Lorsqu'il s'agit de conduire, nous avons des permis progressifs qui leur permettent de conduire une voiture en compagnie d'un adulte au départ, et après quelque temps, ils peuvent faire d'autres choses, en respectant certaines conditions, notamment celle de ne pas consommer d'alcool. Nous acceptons qu'il y ait des étapes. On n'a pas le droit de boire avant 18 ans.
Nous avons que ces jeunes vont devoir vivre certaines choses pendant qu'ils passent par cette étape de transition. C'est ce que veut dire l'adolescence. Nous ne pourrons jamais modifier cette réalité, peu importe les lois en vigueur. Que faut-il faire alors? Il faut en tenir compte. Il faut en tenir compte et agir en conséquence. C'est une période de transition. Que faut-il faire dans le domaine de l'exploitation sexuelle des enfants?
Tout d'abord, tout le monde s'entend pour reconnaître que l'exploitation sexuelle des jeunes adolescents, ceux de 14, 15 et 16 ans, est condamnable. Il n'est pas nécessaire de discuter longtemps de cette question. Comment lutter contre le problème par le biais de mesures législatives? L'objectif est d'empêcher l'exploitation, mais l'exploitation en tant que norme juridique. Mon expérience de poursuivant me dit que cela n'est pas possible, et je vais vous dire pourquoi.
Avez-vous jamais été surpris que quelqu'un que vous pensiez très bien connaître allait divorcer d'un partenaire de longue date? Tout le monde a eu cette expérience. Savez-vous pourquoi? Nous ne connaissons pas vraiment la nature des relations intimes qu'ont des personnes que nous pensons très bien connaître. Nous sommes toujours surpris : « Je pensais qu'ils s'entendaient très bien » ou « Je n'aurais jamais pensé qu'il sortait avec trois autres femmes ». Nous ne savons pas de quoi sont faites les relations privées. Nous avons beaucoup de mal à qualifier les relations intimes et privées des autres.
Et pourtant, ce projet de loi, en fixant une norme en matière d'exploitation, demande à un juge de faire exactement cela. Cela ne fonctionnera pas. Nous risquons fort d'adopter une loi inefficace parce que la défense n'aura qu'à soulever un doute raisonnable sur la question de l'exploitation. Je peux vous dire qu'il y a beaucoup d'avocats de la défense qui sont aussi bons que moi, même si je me suis occupé de centaines de poursuites; ils feront ce qu'ils veulent d'une jeune victime de 14 ans, en particulier lorsque leur client est un pédophile prédateur qui a très bien traité le jeune avant d'avoir des relations sexuelles avec lui.
Imaginons pendant quelques secondes comment pourrait se dérouler ce contre-interrogatoire. Je suis l'avocat de la défense. Je contre-interroge un jeune de 14 ans qui soutient qu'il y a eu une relation d'exploitation : « Il vous emmené au cinéma, n'est-ce pas? », « Oui. » « Il vous a bien traité, n'est-ce pas? Il vous a acheté du popcorn? » « Oui. » « Il vous a acheté ce poster de Britney Spears? » « Oui. » « Il vous a aidé à faire vos devoirs? » « Oui. » « Il a toujours été gentil avec vous? » « Oui. » « Vous vouliez avoir des relations sexuelles avec lui, n'est-ce pas? » « Oui. » Le consentement n'est pas en litige.
Y a-t-il un juge au monde qui refusera de dire : « J'entretiens un doute raisonnable sur la question de l'existence d'une relation d'exploitation »? C'est exactement ce que veulent les pédophiles prédateurs. Ils adorent ce genre de critères. Il faut savoir comment ils réfléchissent et on s'aperçoit qu'avec une norme aussi imprécise qu'une relation d'exploitation... Si j'étais le poursuivant, je ne me rendrais même pas au procès. Il ne faut pas perdre son temps.
Si vous voulez avoir une loi efficace qui tienne compte de l'existence d'une transition entre l'enfance et l'âge adulte, il faut procéder de cette façon. Comme Paul l'a dit, aucune relation avec les jeunes de 14 à 16 ans, sauf—et c'est là le point essentiel—pour tenir compte de cette étape de transition. Les enfants sont en train de devenir des adultes. Ils vont commencer à avoir des expériences sexuelles. Avec qui vont-ils faire ces expériences? Il faut leur donner une zone de sécurité—faites ces expériences avec des jeunes de votre âge.
¿ (0935)
Comme un homme politique l'a dit il y a des années, l'État n'a pas sa place dans les chambres à coucher de la nation. Pour les adolescents qui font certaines choses dans la salle de jeu pendant que leurs parents sont en haut, l'État n'a pas non plus sa place dans les salles de jeu de la nation.
Il faut prévoir une exception en fonction de l'âge, de sorte que les 14, 15 et 16 ans puissent avoir des expériences avec des jeunes de leur âge. C'est une question qui dépend de la famille, des croyances religieuses et du type de relations qui existent entre les jeunes; ce n'est pas une question qui relève du droit pénal. Avec une exception autorisant un écart de cinq ans, les policiers n'auront pas à se rendre dans une école secondaire pour arrêter des adolescents parce qu'ils font certaines choses. Avec un écart supérieur à cinq ans, on peut dire que les relations sexuelles entre un adulte et un adolescent comportent par leur nature même un élément d'exploitation et cela serait illégal, en se fondant uniquement sur l'âge des partenaires.
Les policiers doivent prendre ces décisions rapidement sur le terrain et porter des accusations; ils auraient alors des chiffres clairs sur lesquels fonder leurs décisions. Les jeunes pourraient faire certaines expériences en toute sécurité, si c'est ce qu'ils souhaitent faire. Cela donnerait également un message clair aux pédophiles : vous n'avez pas le droit d'exploiter nos enfants parce que c'est, comme l'a dit Paul, ce dont ils parlent sur l'Internet.
Je vous remercie de m'avoir écouté et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Très bien.
Je remercie tous les témoins pour leurs exposés. Passons maintenant aux questions des membres du comité.
Nous allons commencer avec M. Toews.
¿ (0940)
M. Vic Toews (Provencher, PCC): Je vous remercie.
Je remercie les témoins des exposés qu'ils nous ont présentés, et qui vont certainement alimenter notre réflexion.
Je tiens toutefois à dire que je me suis posé beaucoup de questions au sujet du témoignage présenté au nom de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada. J'ai été en quelque sorte frappé par la naïveté de la description de ce qui se passe dans les salles d'audience pénales. Il est possible que la ligue pensait aux affaires de protection de la jeunesse dans lesquelles la norme est de nature civile et où l'agresseur doit témoigner, mais j'ai été frappé par une naïveté incroyable. Les témoignages de M. Gillespie, M. Butt, M. Boudreau et celui de l'Armée du Salut dans une certaine mesure, ont confirmé les questions que je me posais. Ces témoignages ont répondu aux questions que je me posais au sujet de celui de la Ligue pour le bien-être de l'enfance.
Je parle en tant qu'ancien poursuivant, mais l'idée que l'on peut demander à un enfant de 14 ans de témoigner—et M. Butt l'a dit beaucoup mieux que moi—et penser que l'on réussira ainsi à établir l'existence d'une relation d'exploitation est très naïve; cela n'arrivera pas. L'idée de perfectionner et de former les juges est très naïve. Je ne dis pas qu'il ne faut pas former les juges mais il appartient aux législateurs de traduire les politiques en mesures législatives, et aux juges d'appliquer la loi.
Le détective Gillespie nous a mentionné que les juges n'appliquent même pas aujourd'hui les peines maximales, et nous parlons ici d'augmenter les peines maximales. Il faut envoyer un message clair aux pédophiles : ne touchez pas à ces enfants. Les peines minimales obligatoires représentent le meilleur cours que l'on puisse donner à un juge : elles indiquent que le Parlement a déclaré, après avoir écouté des témoins, qu'il faut protéger les enfants et que les juges ne font pas leur travail. C'est ce qu'indiquent toutes les condamnations prononcées.
Pour ce qui est de l'âge du consentement, la plupart des pays démocratiques occidentaux ont adopté une limite d'âge fixée à 16 ans—il ne faut pas toucher aux enfants de moins de 16 ans. L'idée que ces pédophiles reçoivent des peines avec sursis—plus de la moitié d'entre eux obtiennent des peines avec sursis. Nous n'allons pas régler ce problème en augmentant les peines maximales et en formant les juges, parce que nous savons tous que cela n'aura aucun effet; il faut simplement adopter des peines minimales obligatoires.
Il y avait d'autres aspects mais je ne m'en souviens plus très bien, et vous pourriez peut-être m'aider. J'adresse mes commentaires au représentant de la Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada. Avez-vous vraiment parlé à des policiers? Avez-vous parlé à des poursuivants? Je n'ai jamais entendu des policiers, des poursuivants ou des psychologues dire... Les psychologues nous disent que ces gens sont faits comme ça. Il ne s'agit pas ici de réinsertion sociale; il faut emprisonner ces gens pour protéger nos enfants. En fait, 100 p. 100 de ces personnes récidivent, d'après ce qu'a dit un témoin au comité.
Former les juges et laisser les pédophiles s'amuser avec leur ordinateur chez eux n'est pas la solution. Je suis frustré...
Le président: Monsieur Toews, allez-vous permettre à M. Phaneuf de répondre?
M. Gordon Phaneuf: Merci d'avoir posé cette question. Je ne pense pas que je m'oppose à tout ce que vous avez dit. Cela fait quelque temps qu'on ne m'a pas traité de naïf. J'ai pourtant une longue expérience de ces questions, parce que je pratique dans ce domaine depuis plus de 20 ans.
J'ai travaillé très étroitement avec la police de cette province, avec les psychologues, les thérapeutes et les travailleurs sociaux dans des contextes différents. Cela permet de se former une opinion. J'ai essayé de montrer d'où venait l'expérience et l'expertise de la ligue parce que nous avons des contacts dans l'ensemble du pays et avec les groupes dont vous parlez.
La seule question à laquelle j'aimerais répondre sur le fond est celle de la formation et du perfectionnement professionnel de la magistrature. Nous avons fait cette proposition avec le plus grand respect pour les juges. Je ne vois pas comment on peut parler de naïveté à ce sujet, mais je sais que l'existence de ce besoin a été démontrée et que l'on fait d'excellentes choses dans ce domaine.
Nous pensons simplement qu'il faut faire davantage. Ce projet de loi propose des réformes. Même si une loi est bonne, même si toutes les modifications proposées aujourd'hui étaient adoptées, il serait absolument essentiel que ceux qui sont chargés d'interpréter la loi, de l'appliquer—qu'il s'agisse de l'application de la loi sur le terrain, de la Couronne ou des juges—comprennent la loi. Ils doivent recevoir une formation, même si elle ne porte que sur les aspects les plus secondaires comme l'utilisation des témoignages en circuit fermé et des écrans. Il nous semble que cela comprend également la description de ce qui a déjà été fait. Vous me demandez si nous l'avons fait. Nous l'avons fait dans le passé. Il y a dans certains palais de justice des écrans dans les salles d'entreposage qui n'ont jamais été utilisés.
J'ai parlé de témoignage en circuit fermé parce qu'on commence à reconnaître au Canada que c'est un moyen intéressant pour faciliter le témoignage des enfants. Si nous voulons que les poursuites débouchent sur des condamnations, comme vous le souhaitez, il faut que nous utilisions ces nouveaux appareils. Ils ne sont pas utilisés de façon uniforme et constante dans les différentes régions. La Ligue pour le bien-être de l'enfance du Canada s'est engagée à attirer l'attention du comité et d'autres instances sur ces questions.
¿ (0945)
M. Vic Toews: Un moment. Je n'ai peut-être pas bien compris votre profession. Êtes-vous avocat?
M. Gordon Phaneuf: Je suis un travailleur social.
Le président: Merci.
Monsieur Phaneuf, à votre place, je ne me vexerais pas que M. Toews ait parlé de naïveté à votre endroit. C'est simplement sa façon habituelle et charmante de parler aux gens.
[Français]
Monsieur Marceau, vous disposez de cinq minutes.
M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ): Merci, monsieur le président.
Monsieur Gillespie, je ne suis pas certain d'avoir bien compris les chiffres que vous nous avez donnés concernant les pédophiles et les pornographes infantiles. Vous avez dit qu'à Toronto, 50 p. 100 des peines imposées à ces derniers étaient des peines avec sursis ou des probations. Ai-je bien compris?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Oui. À Toronto, en trois ans et demi, nous avons arrêté 130 personnes pour des infractions de pornographie juvénile et des infractions connexes. À peu près la moitié des accusés ayant été condamnés ont fait l'objet d'une peine avec sursis ou d'une ordonnance de probation; cela représente environ un délinquant sur deux.
[Français]
M. Richard Marceau: Vous dites que cela est connu dans les salons de clavardage et dans ce genre de trucs. Les gens disent que si vous vous trouvez au Canada et que vous êtes pris en possession de pornographie infantile, vous avez 50 p. 100 de chances qu'on ne vous donne qu'un bon coup de règle sur les doigts.
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Pas le chiffre de 50 p. 100 pour Toronto. Je ne peux dire si ce pourcentage est le même dans le reste du pays. C'est le chiffre de Toronto.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci.
Maître Butt, je ne suis pas certain d'avoir compris votre truc de cinq ans. Pourriez-vous me l'expliquer encore une fois? Je suis avocat, moi aussi, pas mathématicien. Comme je n'étais pas bon en mathématiques, je suis devenu avocat. Expliquez-moi cela comme il le faut, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. David Butt: Je suis devenu avocat pour la même raison.
Je pense que le Code criminel doit clairement indiquer qu'il faut protéger les enfants et les adolescents ayant 14, 15 et 16 ans contre les prédateurs adultes; c'est pourquoi il faut incriminer les adolescents qui ont des relations sexuelles avec des personnes ayant cinq ans de plus qu'eux.
Cela les autorise à faire des expériences sexuelles avec des jeunes de leur âge mais cela indique également clairement aux adultes prédateurs qu'ils seront arrêtés et poursuivis et très facilement condamnés, parce qu'il suffira d'examiner les certificats de naissance au lieu d'avoir à explorer la nature subjective d'une relation intime et de demander à un juge de décider s'il y a eu ou non exploitation. Il n'est pas facile de déterminer la nature d'une relation intime mais dire à la population qu'au-delà d'un certain âge, il faut laisser les enfants et les adolescents faire leurs expériences sexuelles avec des jeunes de leur âge est un message clair et facile à comprendre.
¿ (0950)
[Français]
M. Richard Marceau: Une fille de 16 ans pourrait donc avoir des relations avec un homme ou une femme de 21 ans, mais pas avec quelqu'un de 22 ans. On trace une ligne claire.
[Traduction]
M. David Butt: Oui.
[Français]
M. Richard Marceau: D'accord. Et on considère que dès que la personne atteint l'âge de 17 ans, elle peut consentir à une relation avec une autre personne de tout âge.
[Traduction]
M. David Butt: Oui, et la raison en est que ces jeunes vivent une phase de transition. Ils grandissent. Ils passent de l'enfance à l'âge adulte et il n'y a pas de chiffre parfait.
Si vous retenez un écart de cinq ans, c'est très bien. Certains proposeraient six ans, d'autres quatre ans. Mais les gens n'atteignent pas la maturité au même rythme et il faut donc choisir un chiffre qui soit applicable.
Par exemple, si, au lieu de montrer qu'on a 16 ans pour pouvoir conduire, il fallait établir qu'on « est capable de conduire en sécurité pour obtenir un permis de conduire », ce serait un critère difficile à appliquer. Nous avons choisi l'âge de 16 ans en sachant parfaitement qu'il y a des jeunes de 15 ans qui sont de très bons conducteurs parce qu'ils conduisent les tracteurs de la ferme depuis qu'ils ont huit ans et qu'il y a des jeunes de 18 ans qui sont de très mauvais conducteurs. Cela ne nous a pas empêchés de fixer un âge pour le permis de conduire.
Il faut choisir une limite raisonnable. Nous avons donc retenu un chiffre qui est pratique et facile à appliquer. Les poursuivants ont besoin de normes qui soient pratiques et faciles à appliquer. Ces normes ne seront jamais parfaites et je ne dis pas qu'il faut choisir un nombre particulier mais c'est l'objectif à rechercher.
[Français]
M. Richard Marceau: Monsieur Butt, je veux qu'en tant que procureur de la Couronne, vous me disiez ce que vous pensez de la suggestion de M. Gillespie. Étant donné le 50 p. 100 dont on parlait tout à l'heure, seriez-vous en faveur de l'imposition de la peine minimale aux gens trouvés coupables de pornographie infantile?
[Traduction]
M. David Butt: En deux mots, la réponse est oui.
[Français]
M. Richard Marceau: Merci.
Le président: Merci, monsieur Marceau.
[Traduction]
M. David Butt: Pourrais-je quand même m'expliquer pendant 30 secondes?
Le président: Bien sûr, allez-y.
M. David Butt: Mon expérience est fondée sur les contacts que j'ai eus avec les juges de Toronto et sur ce qui m'a paru être l'omission de reconnaître la gravité de l'agression des enfants. C'est la raison pour laquelle je ne sais pas si cette expérience serait la même dans les autres régions.
Le président: Merci.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
Merci à tous d'être ici.
Je veux parler de l'âge du consentement. Vous avez tous abordé cette question, je crois, sauf peut-être M. Phaneuf.
Monsieur Butt, vous connaissez certainement ce dont je vais parler, tout comme peut-être le sergent Gillespie. Vous souvenez-vous que nous faisions des blagues dans les années 1970 et 1980 au sujet du moyen de défense fondé sur les biscuits? Je vais sauter de sujet ici. Il y a eu une affaire aux États-Unis dans laquelle un avocat de la défense imaginatif a démontré en défense que son client avait trop mangé de biscuits, qu'il avait donc consommé beaucoup de sucre et avait commis, je crois que c'était un crime violent—une crime assez grave—et qui a obtenu l'acquittement de son client.
Je crois que Mme Turley a dit quelque chose que répète constamment M. Thompson, à savoir qu'un accusé qui venait d'être déclaré coupable—et je vais me servir ici de l'affaire Holly Jones—s'est s'adressé au tribunal et a déclaré : « C'est à cause de la pornographie juvénile que je l'ai fait », comme on disait auparavant : « C'est à cause des biscuits que j'ai mangés ».
Je n'ai jamais accordé une très grande crédibilité aux personnes qui font ce genre de déclarations à ce moment-là. C'est une excuse facile présentée pour échapper à sa responsabilité. C'est une attitude irresponsable. Toutes les études que j'ai lues indiquent que ce genre d'infraction est plutôt relié à la constitution chromosomique, dans certains cas, et plus fréquemment, au fait d'avoir vécu dans une famille dysfonctionnelle. J'aimerais bien avoir votre avis sur ce point et j'aurai ensuite une deuxième question.
Je reviens sur la question de l'âge du consentement et là aussi, j'aimerais avoir les réactions de chacun. Il y a un problème; il y a un problème constitutionnel dans ce pays. Nous avons des provinces qui ont fixé l'âge du mariage à 15 ans, de sorte que, monsieur Butt, si vous retenez cet âge, je pense que vous reconnaîtrez qu'il faudrait faire une autre exception pour les cas où un parent ou un tribunal ont autorisé à se marier deux personnes qui ont plus de cinq ans d'écart.
Enfin, j'adresse cette question directement au sergent Gillespie, mais monsieur Butt, vous pouvez commenter si vous le voulez; elle concerne les jeunes de 15 ans. J'ai beaucoup de mal à voir la différence qu'il peut y avoir entre un jeune de 15 ans et un jeune de 14 ou de 16 ans. Comment structurer notre projet de loi pour continuer à interdire cela et où placer la limite? Serait-ce 18 ans, 21 ans? S'il y a un écart de 10 ans ou un écart de 20 ans, faudrait-il incriminer cette activité? Et en pratique, comment ferions-nous?
Excusez-moi, monsieur le président, je crois que j'ai posé trois questions.
¿ (0955)
Mme Nancy Turley: Je vais répondre à votre question au sujet de la pornographie juvénile. Je ne pense pas que nous disions que tous ceux qui regardent de la pornographie juvénile vont commettre un meurtre. Ce n'est pas du tout ce que nous disons.
Cependant, je pense qu'il existe des éléments qui montrent que...
M. Joe Comartin: Pourriez-vous me dire quels sont ces éléments? On nous parle constamment d'études. Nous n'en avons vu aucune.
Mme Nancy Turley: Je pense que l'affaire Holly Jones est un exemple de ce genre de situation.
M. Joe Comartin: Connaissez-vous ses antécédents personnels?
Mme Nancy Turley: Il vient d'une famille gravement dysfonctionnelle.
M. Joe Comartin: Quels sont les éléments dont nous disposons? Comment juger cette personne? Faites comme si vous étiez assise à ma place pour répondre à cette question. Comment puis-je savoir si la pornographie juvénile a quoi que ce soit à voir avec ce qui s'est passé ou si c'était plutôt le fait qu'il vient d'une famille dysfonctionnelle?
Mme Nancy Turley: La dure vérité est que nous ne le savons pas. Tous ces éléments jouent un rôle. Je sais par contre, en me basant sur ma propre expérience de conseillère en matière de maltraitance pour l'Armée du Salut, qui essaie de protéger les jeunes personnes que nous prenons en charge contre les pédophiles—et nous savons que les pédophiles viennent dans les églises parce que cela leur permet d'entrer en contact avec des enfants, et nous avons besoin de travailleurs auprès des jeunes... Nous essayons d'être très alertes. Nous connaissons des cas où des pédophiles ont utilisé de la pornographie juvénile pour attirer les enfants, pour établir une relation d'exploitation dans laquelle au départ les enfants ne savaient même pas qu'ils étaient exploités.
M. Joe Comartin: Cela a autant d'effet que l'alcool sur les jeunes?
Mme Nancy Turley: Je pense à une affaire en particulier—et cela est tout récent pour moi—où je parlais avec un pédophile qui m'a déclaré avoir utilisé de la pornographie juvénile pour dire à l'enfant : « Cela est normal. D'autres le font. Il n'y a pas de problème. Ne sois pas mal à l'aise parce que tu vois comment ils font? Nous pouvons le faire aussi. » C'est ce qui a déclenché un comportement sexuel entre cet adulte et ce jeune de huit ans, une relation qui a duré pendant des années. Notre organisation doit vivre aujourd'hui avec les conséquences de ce genre de choses.
Nous ne disons absolument pas que la pornographie juvénile est la cause de tout ceci. Mais c'est un aspect du profil de la personne qui veut exploiter les enfants. C'est un autre outil qu'ils utilisent pour attirer les enfants et pour les conditionner dans le seul but de satisfaire leur désir. Je ne pense pas que l'on puisse dire que c'est uniquement à cause de la pornographie juvénile parce que nous savons également que la plupart des pédophiles ont été agressés sexuellement dans leur enfance; il y a donc ce genre de comportement.
Nous disons simplement que l'utilisation de la pornographie juvénile facilite ce genre de comportement, et l'affaire Holly Jones l'illustre fort bien. Il venait de regarder ces images, il est descendu et Holly est passée là. Le détective Gillespie peut probablement vous en dire davantage. Je me demande quand même, si Holly Jones ne serait pas encore vivante, s'il n'avait pas regardé de la pornographie ce jour-là. Mais ce jour-là, il l'a rencontrée au moment où il est descendu.
Le président: Je pense qu'il y avait des questions qui étaient adressées à M. Butt.
M. David Butt: Je vais parler du lien entre l'usage de la pornographie et le passage à l'acte. Mon collègue, M. Boudreau, parlera de la question du mariage.
Pour ce qui est du lien entre l'utilisation de la pornographie juvénile et le fait d'agresser un enfant, j'ai souvent eu l'occasion d'en parler à des psychiatres médico-légaux et ils m'ont dit qu'il n'y avait pas dans ce domaine de recherche définitive. Il y a des travaux en cours mais nous n'avons pas de résultats fondés sur des études.
Le président: Je rappelle aux membres du comité que dans deux semaines, nous allons entendre des spécialistes de cette question.
M. David Butt: Je vous invite à tenir compte de ce qu'ils vous diront.
Ce que nous savons, comme nous l'a dit le sergent-détective Gillespie, est que sur dix personnes arrêtées pour pornographie juvénile, trois ont déjà agressé des enfants—trois sur dix. Les universitaires peuvent bien se demander s'il existe un lien de cause à effet—je suis sûr que la chose est complexe et qu'il faudrait étudier cela de façon approfondie—mais trois sur dix constitue une coïncidence troublante et nous devons faire quelque chose.
À (1000)
M. Joe Comartin: Il est plus facile de porter des accusations de voies de fait et d'obtenir ainsi des peines de longue durée que d'essayer de convaincre les juges qu'il faut punir sévèrement ces personnes parce qu'elles ont utilisé de la pornographie juvénile. Vous les poursuivez parce qu'elles ont commis une agression sexuelle contre un enfant.
M. David Butt: Nous portons les deux accusations.
M. Joe Comartin: Mais la peine la plus forte, l'élément dissuasif le plus efficace, même s'il est limité, découlera de l'accusation de voies de fait.
M. David Butt: Oui et non. Je ne peux pas être catégorique sur ce point. Il pourrait s'agir d'un gros distributeur de pornographie qui a commis une infraction sexuelle mineure. Le poursuivant est parfois obligé d'examiner la situation en tenant compte de toutes les circonstances. Si le principal aspect du comportement antisocial de l'accusé est la pornographie juvénile, il faut donc agir sur ce plan. Si le principal aspect est l'agression d'enfants, avec une utilisation accessoire de la pornographie juvénile, il faut pouvoir intervenir dans ce genre de cas.
M. Joe Comartin: Je souris, monsieur Butt, parce que la différence qu'il y a entre Windsor et Toronto, c'est qu'ici nous n'avons pas ces gros distributeurs.
Le président: M. Boudreau sur la question du mariage, et nous passerons ensuite à un autre intervenant.
M. J. R. Norman Boudreau: Au sujet du mariage, vous avez mentionné que dans certaines provinces, on pouvait se marier à 15 ans. Cela est vrai, mais uniquement avec le consentement des parents.
M. Joe Comartin: Dans les trois territoires, il est possible de se marier à 15 ans sans le consentement des parents.
M. J. R. Norman Boudreau: En Colombie-Britannique, les enfants de moins de 19 ans ont besoin du consentement de leurs parents pour se marier. Au Québec, on ne peut pas se marier si on a moins de 16 ans, même avec le consentement des parents. Au Manitoba, on ne peut pas se marier avant l'âge de 17 ans sans le consentement des parents. En Ontario, les jeunes de 16 et 17 ans peuvent se marier avec le consentement de leurs parents, mais pas s'ils ont moins de 16 ans.
M. Joe Comartin: Il y a un problème dans les territoires.
M. J. R. Norman Boudreau: Oui.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Monsieur Macklin, allez-y.
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Je vous remercie.
Je vais poursuivre sur le sujet qu'a abordé M. Comartin. Vous avez comparé le traitement qu'accorde le droit pénal à l'âge du consentement à celui qu'accordent les règlements à la conduite et à la consommation d'alcool. Il existe une grande différence entre le recours au droit pénal pour contrôler la sexualité et le recours à des dispositions réglementaires pour contrôler la conduite des véhicule. Quelqu'un vient de faire une comparaison plus appropriée—l'âge à partir duquel les provinces et territoires autorisent le mariage. Dans la plupart des provinces et territoires, les jeunes de moins de 16 ans peuvent légalement se marier, bien souvent avec l'autorisation d'un tribunal.
Comment conciliez-vous la différence de traitement que vous proposez au sujet du relèvement de l'âge du consentement aux termes du Code criminel?
Il conviendrait de préciser ces comparaisons. Il ne s'agit pas d'un aspect réglementaire mais d'une question de droit pénal.
M. David Butt: Pour ce qui est du droit pénal, c'est tout à fait ce que je dis. Nos adolescents risquent d'être victimisés par la perpétration d'un acte criminel qui aura sur eux de graves conséquences pour le reste de leur vie. La norme que nous adoptons pour les protéger, la notion de relation d'exploitation, est, d'après mon humble expérience, impossible à appliquer. Il nous faut trouver d'autres mesures législatives pour atteindre le but recherché, qui est un but louable, comme nous le reconnaissons tous.
Nous voulons protéger les jeunes contre toute exploitation. Mais cette idée et une norme juridique sont deux choses différentes si nous voulons réellement réaliser notre objectif. Je dis qu'il faut tenir compte de cette étape de transition. Au cours de leur adolescence, les jeunes sont libres d'avoir des relations sexuelles avec d'autres jeunes du même âge mais ils doivent être protégés contre les adultes prédateurs. Cela doit viser les jeunes qui ont de 14 à 15 ans.
Mme Danielle Shaw: Vous n'avez pas adressé votre question à l'Armée du Salut mais j'aimerais quand même formuler un commentaire sur ce point et, dans une certaine mesure, le renforcer.
Avant de préparer mon exposé, je n'aurais jamais préconisé de relever de l'âge du consentement. Je pense qu'une telle mesure aurait entraîné toutes sortes de problèmes.
Cependant, je suis avocate et mathématicienne.
À (1005)
L'hon. Paul Harold Macklin: Il faut bien que quelqu'un suive toutes ces factures illégales.
Mme Danielle Shaw: Bien sûr.
J'ai fait une recherche de jurisprudence dans Quicklaw. Je voulais examiner les dispositions du Code criminel par rapport à la notion de confiance ou de dépendance et voir quelles accusations avaient été portées, quelles analyses avaient été faites.
J'ai trouvé de nombreuses affaires. Une jeune fille de 16 ans est allée vivre avec un ami de la famille pendant un été et cet homme de 37 ans a eu des relations sexuelles avec cette jeune fille de 16 ans. Bien sûr, il s'agissait de savoir si elle avait consenti ou non...? Je veux dire, elle avait consenti, cette question-là n'était pas en litige. Il s'agissait plutôt de savoir s'il existait une relation de confiance, d'autorité ou de dépendance. L'analyse du cas était très complexe. En fin de compte, l'homme a transmis à la jeune fille une MTS. Cela a eu un effet dévastateur sur la famille, et le reste.
Il n'est peut-être pas bon d'incriminer les activités qui suscitent des sentiments divers mais j'ai trouvé un certain nombre d'affaires dans lesquelles des adultes plus âgés, des amis de la famille, avaient eu des relations sexuelles avec des adolescents, et il m'a semblé qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. L'analyse effectuée par les juges est très complexe.
L'hon. Paul Harold Macklin: Un des témoins qui a comparu devant le comité nous a clairement expliqué que ce genre de mesure a tendance à exiger davantage de l'enfant dans ce genre de situation, en augmentant l'âge du consentement et en incriminant, en réalité, l'enfant dans ce genre de situation. Que répondez-vous à cela?
Mme Danielle Shaw: Je ne pense pas que ce soit le cas. C'est ce que je craignais au départ, mais lorsque j'ai vu l'issue de ces affaires, dans lesquelles des gens poursuivaient des adultes qui avaient eu des relations sexuelles avec des enfants, j'estime que la poursuite visait principalement l'adulte. Mais c'est un critère très difficile à appliquer, lorsqu'il s'agit de démontrer qu'il y a eu exploitation.
L'hon. Paul Harold Macklin: Sur ce même sujet, je crois qu'il y a au moins deux d'entre vous qui ont déclaré qu'il serait bon de préserver l'infraction d'exploitation sexuelle, telle qu'elle est décrite dans le projet de loi. Vous devez donc attribuer une certaine valeur à cette infraction d'exploitation sexuelle.
Les facteurs à prendre en considération sont l'âge de l'adolescent, la différence d'âge entre les deux personnes concernées, l'évolution de la relation et le degré de contrôle ou d'influence exercé sur l'adolescent. J'ai l'impression que vous dites que cette disposition est intéressante.
Mme Danielle Shaw: Oui. Du point de vue de l'Armée du Salut, il est tout à fait souhaitable d'essayer de protéger les jeunes contre toute exploitation sexuelle. Je reconnais cependant que le critère est très difficile à appliquer, et même avec la disposition actuelle du Code criminel qui concerne les relations de confiance ou d'autorité ou de dépendance, cette application est quand même très difficile.
Mme Nancy Turley: J'aimerais faire un commentaire sur ce point. J'ai rencontré récemment un pédophile. Il a victimisé un certain nombre de personnes sur plusieurs années. Nous avons passé en revue cette liste. Il a commencé à établir ces relations dans les collectivités où il s'installait—il gagnait l'amitié des parents, ce genre de choses. Je lui reprochais ce qu'il avait fait et il m'a dit : « Mais c'est elle qui est venue me chercher » et je lui ai répondu : « Mais elle avait 15 ans ». Dans son esprit, c'était une excuse.
Si nous voulons réprimer ce genre de comportement, c'est à nous de dire à ces personnes : « Non, c'était à vous de réfléchir. Vous étiez l'adulte. Vous êtes responsable de ce qui s'est passé ».
Ce sont des enfants de 14 ou 15 ans. Ils ne sont pas capables d'établir ce genre de relation mais c'est eux qui subissent les dommages après-coup et c'est ce que les organismes de services sociaux constatent tous les jours.
L'hon. Paul Harold Macklin: J'ai tendance à être d'accord avec vous. Je pense qu'il faut obliger l'exploiteur à rendre des comptes, et cela nous donne l'occasion de le faire.
Le président: Stop.
L'hon. Paul Harold Macklin: Voulez-vous dire que j'ai épuisé mon temps de parole?
Le président: Effectivement, et il est agréable de terminer sur un point sur lequel on s'entend.
Monsieur Thompson, vous avez cinq minutes.
M. Myron Thompson (Wild Rose, PCC): Bienvenue à tous.
Tout d'abord, je tiens à féliciter M. Gillespie et son équipe de Toronto pour le travail qu'ils font et qu'ils ont fait. Ils ont réussi à sortir des enfants de positions très précaires. Il y a un cas bien connu qui vient d'une des Caroline. Je tiens à vous féliciter pour votre excellent travail. C'était vraiment bien fait.
Je ne suis pas avocat. Je ne suis pas poursuivant. Je ne suis pas juge. Je suis grand-père de sept petits-enfants. J'ai enseigné à des enfants au secondaire pendant près de 30 ans. Pendant toute cette période, j'ai connu toute une série de jeunes de 14 et 15 ans qui vivaient des relations d'exploitation. Je ne pouvais absolument rien faire pour les aider. La police ne pouvait rien faire non plus. Les parents ne pouvaient rien faire. Je veux que le comité adopte un projet de loi qui puisse aider les jeunes de 14 et 15 ans qui se retrouvent dans des situations de ce genre.
Je peux vous parler d'un cas qui est survenu pendant que j'étais directeur d'une école. Une élève s'est retrouvée dans une pièce avec trois personnes de plus de 20 ans pendant cinq jours et personne ne pouvait entrer. Les policiers et les parents n'avaient pas le droit d'entrer dans cette pièce, parce qu'elle y était entrée de son plein gré. J'ai pénétré dans cette pièce. J'ai dû arracher la porte et j'ai sorti la fille. Je l'ai ramenée à l'école, je lui ai donné un coup de pied dans les fesses et je l'ai ramenée chez elle. Les policiers m'ont informé qu'on aurait pu porter 15 accusations dans cette affaire, et que toutes ces accusations auraient été portées contre moi. Il faut que cela change.
Pensez-vous que ce projet de loi nous donne le moyen d'exercer un contrôle sur ce genre de situation, selon sa forme actuelle, ou faudrait-il le modifier profondément?
Sur le plan de la pornographie juvénile, grâce à vous, M. Gillespie, et à vos collègues des différentes régions du pays et des différents services de police, j'ai examiné des millions d'images choquantes qui sont affichées sur Internet. Je pense qu'il n'y a même pas lieu de se demander si ces images peuvent être à l'origine de la molestation d'enfants. C'est manifestement le cas. Je veux simplement que ces images disparaissent. Je ne veux pas que mes petits-enfants les voient. Je ne veux pas qu'ils soient exploités. Est-ce que ce projet de loi le garantit ou est-ce que le fait de laisser les expressions « ou les arts » ou « dans un but légitime » supprime toute possibilité d'y parvenir?
Est-ce que les grands-pères comme moi, les autres parents du Canada vont pouvoir dire : « Je suis satisfait aujourd'hui de ce qu'a fait le gouvernement fédéral en proposant ce projet de loi »? Que devons-nous faire, d'après vous?
À (1010)
Le président: Pourrions-nous avoir une réaction au moyen de la défense fondée sur le but public? Je pense que nous n'avons pas entendu beaucoup de commentaires à ce sujet.
M. David Butt: Je serais heureux d'en parler.
Pour vous donner une idée de mon expérience professionnelle, je vous dirai que c'est moi qui ai poursuivi Eli Langer et ses tableaux. C'était moi le poursuivant. C'était la première affaire où il s'agissait de déterminer si l'oeuvre était de nature artistique ou constituait de la pornographie juvénile. Il faut que je vous dise que l'équilibre que reflète ce projet de loi est d'après moi excellent. J'aimerais bien que le projet de loi supprime le moyen de défense fondé sur la valeur artistique, mais cela ne marchera pas pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, les affaires qu'a prononcées la Cour suprême du Canada ont interprété la Charte. Si vous n'êtes pas prêt à utiliser la clause nonobstant, j'estime qu'il ne vaut même pas la peine d'essayer.
Deuxièmement, il y a des descriptions visuelles d'agression d'enfants qui doivent être protégées. Je parle en tant que poursuivant qui s'est efforcé pendant des années de mettre les pornographes juvéniles derrière les barreaux. Il y en a. Quelles sont ces descriptions? La thérapie par l'art pour les enfants agressés, par exemple. Je parle souvent, évidemment, avec des psychiatres médico-légaux qui utilisent ces documents, à des fins de recherche, pour mieux comprendre le phénomène et mieux protéger la société contre ces personnes. Ils doivent faire leur travail. En tant que poursuivant, il faut que j'examine ces images, que j'en parle avec des policiers, que je les remette aux avocats de la défense pour qu'ils puissent défendre leurs clients.
Il est tragique qu'il s'agisse d'une chose aussi horrible, mais notre société doit permettre que ce matériel soit utilisé de certaines façons. Il est impossible d'en arriver à un équilibre parfait mais à mon humble avis, il me semble que le projet de loi introduit un bon équilibre lorsqu'il précise qu'en cas de conflit entre la liberté de l'artiste et le préjudice causé aux enfants, ce sont les enfants qu'il faut protéger. C'est ce que dit, d'après moi, ce projet de loi et je suis en faveur d'un tel moyen de défense.
Le président: Y a-t-il d'autres commentaires?
Mme Nancy Turley: Nous avons adopté notre position en fonction de la définition du projet de loi selon laquelle la pornographie juvénile est un support qui représente une personne de moins de 18 ans exerçant une activité sexuelle explicite ou qui montre les organes sexuels ou la région anale d'une personne de moins de 18 ans dans un but sexuel ou qui préconise et conseille des activités sexuelles avec une telle personne. C'est la définition dont il s'agit ici. Nous demandons ce que peut bien être un but artistique légitime. Ce dont a parlé M. Butt n'est pas un but artistique mais un but relié aux poursuites. Ces personnes ont besoin d'avoir accès à ces images pour une raison précise.
Lorsque le coeur est trop plein, la bouche parle, mais je pense également que lorsque le coeur est trop plein, c'est aussi la main qui dessine. Le cas des artistes qui représentent ces enfants pour faire une oeuvre d'art est, d'après moi, très différent de l'utilisation de ces images dans le cadre d'une poursuite ou pour faire de l'art thérapie pour un enfant qui essaie de vivre avec ce qui lui est arrivé.
S'il faut définir ce qu'est un but artistique, comment savoir ce qui est artistique et ce qui ne l'est pas?
À (1015)
Le président: Merci.
Monsieur Thompson.
M. Myron Thompson: J'aimerais demander à M. Gillespie si les services de police sont toujours tenus d'examiner tout ce matériel pour essayer de décider si une partie de ce matériel a une valeur artistique.
Sgt-dét. Paul Gillespie: En deux mots, la réponse est oui. Cela pose un problème lorsque nous saisissons des centaines de milliers d'images d'agression sexuelle. Nous demandons souvent au juge l'autorisation de les répartir en catégories, de les classer en fonction de leur caractère choquant ou du genre d'activité auquel participe la victime. En fin de compte, nous sommes habituellement obligés de passer des jours, si ce n'est pas des semaines, à compter les images et à essayer de les examiner.
M. Myron Thompson: C'est une honte, si vous voulez avoir mon avis.
Sgt-dét. Paul Gillespie: Permettez-moi de dire que je suis très près d'avoir la même opinion que vous au sujet du moyen de défense fondé sur la valeur artistique. J'ai eu cependant de nombreuses discussions avec M. Butt et il faut tenir compte du fait que la Cour suprême du Canada a examiné une question très semblable et l'a tranchée; je suis donc obligé d'adopter l'avis de David sur ce point.
Cela dit, je travaille dans ce domaine depuis à peu près cinq ans et je n'ai jamais connu d'affaire dans laquelle les preuves contre l'accusé ne montraient pas clairement qu'il y avait infraction—du matériel qui ressemblait à celui dont il s'agissait dans l'affaire Sharpe. Il est regrettable qu'en réalité, lorsqu'une personne possède des images qu'elle a créées elle-même et pour son propre usage, ce n'est pas là la question en litige, parce que cette même personne a 200, 200 000 ou 2 millions d'images vraiment horribles. C'est la réalité et je crois que c'est à cause de l'Internet.
Le président: Merci.
Merci, monsieur Thompson.
Monsieur Ménard, cinq minutes.
[Français]
M. Serge Ménard (Marc-Aurèle-Fortin, BQ): Monsieur Gillespie, vous nous avez dit qu'à Toronto, la moitié des gens reconnus coupables de possession de pornographie infantile recevaient des sentences suspendues ou même des libérations conditionnelles. Seriez-vous en mesure de nous dire combien de ces personnes ont récidivé?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Je dirais que nous avons porté des accusations de récidive contre à peu près cinq ou six d'entre eux. C'est une question de ressources. J'estime que si nous avions une équipe en mesure de vérifier le respect des conditions et de décider si les gens faisaient ce qu'ils devaient faire... je pense que le taux de récidive serait beaucoup plus élevé. Je n'ai pas le personnel qui me permettrait d'examiner les cas de récidive à moins qu'ils me soient transmis de façon indirecte, parce que nous avons trop d'affaires en train.
[Français]
M. Serge Ménard: Cinq ou six sur combien?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Nous avons porté des accusations contre environ 130 personnes et à peu près les deux tiers de ces dossiers ont donné lieu à une décision. Je dirai donc que 40 personnes sur ces 80 ont fait l'objet d'une peine avec sursis ou d'une peine suspendue. À Toronto uniquement—et je ne sais pas si ces personnes ont fait l'objet d'accusations ailleurs—nous avons porté d'autres accusations contre cinq ou six personnes qui ont récidivé. Là encore, je n'ai pas le personnel—et c'est là le problème—pour faire enquête sur les personnes qui doivent normalement rester chez elle, qui ne doivent pas utiliser l'Internet, ni faire ce genre de choses. C'est un type d'enquête très longue et très intrusive. En fait, je ne peux simplement pas entrer chez elles pour être sûr que ces personnes font ce qu'elles doivent faire.
[Français]
M. Serge Ménard: Si j'ai bien compris, vous aimeriez qu'il y ait un minimum de 15 jours d'emprisonnement?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: À mon avis, cette peine devrait être de 60 jours, deux mois...
[Français]
M. Serge Ménard: Pour la première infraction?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: ... pour une première condamnation de pornographie juvénile. Oui.
[Français]
M. Serge Ménard: Pour possession simple?
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Oui, absolument. Là encore, le mot « pornographie » ne décrit pas très bien ce dont il s'agit. Ce sont des images d'agression d'enfants et pour être franc avec vous, je mentionnerais qu'au Royaume-Uni, le mot « pornographie » ne se trouve pas dans leurs lois. On parle plutôt d'images d'agression. Ce sont d'horribles photos de scène de crime et de torture. Peu importe que l'accusé ait 1, 2, 10, 50, 1 000, 100 000 ou un million d'images de ce genre, ce sont toutes des victimes. Je ne considère pas cela comme de la possession simple. Il s'agit d'une personne qui a choisi de participer à l'exploitation et à la poursuite de l'exploitation de ces enfants.
[Français]
M. Serge Ménard: Je ne vous demande pas pourquoi c'est ainsi, je vous demande si c'est exact: vous souhaitez 60 jours d'emprisonnement au minimum pour toute personne qui aurait en sa possession...
À (1020)
[Traduction]
Sgt-dét. Paul Gillespie: Oui, monsieur.
[Français]
M. Serge Ménard: Monsieur Butt, si la loi était ainsi, accuseriez-vous toutes ces personnes d'une infraction punissable de 60 jours de prison? Ne chercheriez-vous pas plutôt — comme vous le cherchiez à l'époque pour l'importation de marijuana — une autre infraction qui ne comporterait pas une peine minimum?
[Traduction]
M. David Butt: Je pense que le sergent-détective Gillespie a tout à fait raison de parler d'images d'agression d'enfants. Il ne vous a par contre pas dit que son service a adopté un règlement qui oblige les policiers à recourir à des services de counseling en stress psychologique, pour la simple raison que leur travail les oblige à regarder ces images. Il est difficile d'imaginer...
[Français]
M. Serge Ménard: Encore une fois, monsieur Butt, je ne vous demande pas pourquoi. Je vous demande si vous accuseriez toujours des gens qui risquent un minimum de 60 jours de prison. Vous les accuseriez toujours? Vous ne chercheriez pas les moyens d'éviter la peine minimum à certains moments?
[Traduction]
M. David Butt: Certainement, comme je l'expliquais, à cause du caractère destructeur de ces images.
[Français]
M. Serge Ménard: D'accord.
Vous savez que le fait d'avoir, à son dossier judiciaire, une simple condamnation pour pornographie infantile serait une honte considérable pour n'importe qui ici, ou pour 95 p. 100 des gens. Quand quelqu'un fait 60 jours de prison, quel que soit son nom, il est sorti définitivement de son milieu de travail, il perd son emploi. Ensuite, vous comptez sur des outils psychologiques pour l'aider à changer. C'est ce que vous voulez faire dans tous les cas?
[Traduction]
M. David Butt: Oui. Permettez-moi de m'expliquer; je m'occupe de l'autre côté de la médaille en tant que poursuivant. Ce sont là des images de torture sexuelle et que si nous n'admettons pas que c'est bien cela que les gens regardent, alors nous n'accordons pas à nos enfants la valeur qu'ils méritent. Je crois que les gens ne comprennent pas cela suffisamment et il faudrait changer cette attitude.
Je vais faire une comparaison. Il y a 30 ans, les gens ne se préoccupaient pas trop de la conduite en état d'ébriété, ils faisaient même des blagues et disaient : « On va en prendre un pour la route ». Il a fallu longtemps pour que la population comprenne que ce qui était un acte socialement acceptable semait en fait la mort et la destruction sur la route. Il n'est plus possible de minimiser l'horreur que montrent ces images.
[Français]
M. Serge Ménard: Mais les mêmes peines minimums étaient prévues dans la loi à cette époque, n'est-ce pas? Elles étaient de 15 jours pour une deuxième infraction, et de trois mois pour une infraction subséquente. Les mêmes peines minimums étaient prévues dans la loi.
[Traduction]
M. David Butt: Nous avons dû passer par un processus social...
[Français]
M. Serge Ménard: C'est l'éducation qui nous a permis de changer l'attitude des gens, pas les peines minimums.
[Traduction]
M. David Butt: Je pense que les tribunaux ontariens reconnaîtraient que le Parlement a tout à fait raison de dire qu'en matière d'agression d'enfants, une peine d'emprisonnement...
[Français]
M. Serge Ménard: Je comprends bien, monsieur Butt. Vous voulez un peine minimum de 60 jours pour possession de matériel pornographique impliquant des enfants. Demandez-vous le même minimum pour un assaut sexuel?
[Traduction]
M. David Butt: Permettez-moi de parler d'abord de ce chiffre de 60 jours. Il est bien sûr possible de discuter de ce chiffre. On pourrait parler de 30 jours, de 20 jours, d'absence de peine avec sursis, on pourrait parler de trois mois—ce n'est pas une science précise. Il me paraît toutefois important que le Parlement fasse clairement savoir—et je suis d'accord avec vous sur ce point—que tous les auteurs d'infractions associées à l'exploitation sexuelle d'un enfant au Canada seront envoyés en prison. Je pense qu'il n'y a pas de signal plus clair qui pourrait mieux protéger nos enfants : toute personne qui exploite sexuellement un enfant doit aller en prison. Nous pouvons discuter des chiffres—et on pourrait en débattre longtemps, d'autant plus que je n'ai pas une position rigide à ce sujet—mais ce message est un message important parce qu'il proclame que nous accordons une grande valeur à la sécurité sexuelle de nos enfants.
À (1025)
[Français]
Le président: Merci, monsieur Ménard.
[Traduction]
Monsieur Maloney, pour cinq minutes.
M. John Maloney (Welland, Lib.): Sergent-détective Gillespie, vous avez mentionné que 50 p. 100 des condamnations de pornographie juvénile donnent lieu à des absolutions sous condition. Quelles sont les peines imposées à l'autre moitié des condamnés?
Sgt-dét. Paul Gillespie: Il arrive souvent que les délinquants soient emprisonnés pendant quelque temps avant leur procès, quelques jours, une semaine. Le tribunal leur accorde souvent un crédit pour cette raison. La peine la plus forte que j'ai vue à Toronto pour les cas de possession de pornographie juvénile, disons de 2 000 à 3 000 images, s'établit entre six et neuf mois pour une première infraction. Il y a un récidiviste qui a reçu une peine de plus de trois ans et cette personne avait en sa possession près d'un million d'images.
La réalité est que les tribunaux imposent des peines très courtes et bien souvent, dans ces cas où il y a d'autres circonstances atténuantes. Il y a eu des gens à Toronto qui ont été trouvés coupables de distribution de pornographie juvénile et qui ont reçu une peine avec sursis. Ils utilisaient un programme qui leur permettait d'échanger ces images avec le monde entier et ils ont eu, eux aussi, une peine avec sursis.
Il n'y a pas beaucoup d'affaires où les délinquants ont reçu une peine privative de liberté s'ils n'avaient pas été placés sous garde en attendant leur plaidoyer de culpabilité ou le procès pour une raison ou pour une autre—parfois pour des raisons personnelles, des antécédents judiciaires ou l'absence de domicile fixe.
M. John Maloney: Monsieur Butt, vous avez parlé du caractère destructeur de ces accusations et vous travaillez dans le même système que le sergent-détective Gillespie. Pourquoi n'y a-t-il pas davantage d'appels sur les peines?
M. David Butt: Le système juridique évolue très lentement. Les juges des cours d'appel s'appuient sur les précédents. Chaque fois qu'ils sont amenés à examiner le caractère approprié d'une peine, quelle est la première chose que font les juges de la cour d'appel? Ils examinent les précédents. Autrement dit, par leur fonction, les juges avancent en regardant dans un rétroviseur.
Je demande au Parlement de faire quelque chose de très différent, de regarder l'avenir et de dire que jusqu'ici, nous n'avons pas fait suffisamment et que les tribunaux, à cause du principe tout à fait légitime qui les oblige à tenir compte des précédents, qui sont des choses du passé, ne peuvent pas y arriver seuls. C'est pourquoi il faut regarder en avant et reconnaître qu'il faut déplacer un peu les limites. Les tribunaux ont une influence lente et progressive sur l'évolution de la société—et il existe d'excellentes raisons qui l'explique. Je dis simplement qu'il faut faire davantage et plus rapidement pour les enfants et que c'est là le rôle du Parlement.
M. John Maloney: Et c'est à nous qu'incombe la responsabilité de fixer des peines minimales.
M. David Butt: Oui.
M. John Maloney: Êtes-vous d'accord avec ces chiffres? Vous avez cité différents chiffres mais quelle serait votre suggestion en tant que poursuivant?
M. David Butt: Vous donner un chiffre? Vous savez que les gens trouvent que je suis un peu trop laxiste dans ce domaine. Je suggérerais, pour une première infraction, une peine ferme. Autrement dit, la peine minimale serait d'un jour de prison. De cette façon, le Parlement indique clairement que tous les délinquants doivent aller en prison, tout en donnant au juge la possibilité de tenir compte de la situation personnelle de l'accusé.
Savez-vous ce que veut dire un jour de prison? Dans mon tribunal, cela veut dire que l'accusé doit aller au sous-sol, signer des papiers et qu'il remonte ensuite. Voilà la peine de prison. Et s'il s'agit d'une infraction mineure, c'est peut-être la peine qu'il convient d'imposer, surtout si elle est assortie d'une ordonnance de probation. C'est quand même une peine d'emprisonnement. Je proposerais une peine minimale d'un jour et pas de sursis.
Par contre, pour une seconde infraction, un an. Cela me semble concilier les intérêts de l'accusé et la protection des enfants. Il faut indiquer pour la première infraction que la peine est automatiquement une peine de prison et que le juge peut bien sûr la moduler. Mais par contre, s'il y a récidive, l'accusé ne mérite aucune sympathie. Voilà comment je procéderais. Mais comme je l'ai dit, les chiffres peuvent varier et les gens peuvent avoir des opinions différentes qui soient également raisonnables.
M. John Maloney: On m'a parlé du nombre d'images qu'il faut examiner pour cette affaire, et c'est un nombre phénoménal. Y a-t-il des outils législatifs que nous pourrions vous donner qui permettraient d'obtenir des condamnations, mais éviteraient de consacrer du temps et des ressources à examiner ces images, à les cataloguer et à les présenter ensuite?
Combien faut-il de pornographie pour obtenir une condamnation?
M. David Butt: Je n'ai pas réfléchi à la façon dont cela devrait être formulé, mais il me paraîtrait souhaitable que le juge puisse tirer des déductions à partir d'un échantillon d'images. De sorte que si l'accusé a enregistré huit millions d'images sur son disque dur, et que la police peut démontrer qu'elle a choisi un échantillon raisonnablement représentatif de ce qui se trouve sur ce disque dur, le juge pourrait conclure que le reste des images constitue également de la pornographie juvénile—sous réserve bien sûr du droit de la défense de démontrer le contraire, et même de soulever un doute sur cette conclusion.
Je n'imposerais pas à l'accusé le fardeau de la preuve, dans un sens juridique. Il faudrait qu'il soulève un doute. Et je vais vous dire quelque chose, il le pourrait. C'est sa collection d'images. Il ne serait pas difficile pour lui de montrer que dans son disque dur, il a un répertoire qui contient les photos de ses vacances, un autre répertoire qui contient les photos d'un pique-nique de l'entreprise où il travaille. L'accusé n'aurait pas de mal à le faire. Les policiers devraient autrement examiner des millions d'images.
L'idée serait de constituer un échantillon représentatif... pourvu que la police ait choisi un échantillon suffisamment représentatif.
À (1030)
M. John Maloney: Nous n'avons pas beaucoup parlé des fournisseurs de service Internet et du rôle qu'ils pourraient éventuellement jouer dans la lutte contre la pornographie, en particulier la pornographie juvénile. Leur position est qu'ils ne savent pas vraiment ce qui passe par le réseau.
Compte tenu des progrès de la technologie, dont on nous a parlé aujourd'hui, qui vont permettre à un petit appareil de la taille d'un téléphone d'avoir la capacité de quatre ordinateurs, ne devrions-nous pas également examiner le secteur des FSI?
M. David Butt: En deux mots, oui. La question est toutefois de savoir comment le faire.
D'un côté, il y a les gens d'affaires qui disent : « Je n'ai aucune idée de ce qui se trouve dans mon serveur. Je fournis un service, ne vous en prenez pas à moi. » Cela me paraît être une attitude irresponsable.
D'un autre côté, ils feraient face à des défis technologiques considérables si on les obligeait à rendre des comptes pour tout le matériel qui passe dans leur serveur.
Je couperais la poire en deux. Je dirais que l'industrie a l'obligation de participer à la recherche de solutions. Nous devrions discuter avec ce secteur. J'essaierais plutôt de les amadouer que de les menacer de poursuites, parce que ces questions technologiques sont fort complexes. Je pense qu'il ne suffira pas de dire à ces chefs d'entreprise qu'ils seront poursuivis parce qu'ils ont aidé à distribuer de la pornographie. Mais il me paraît important de les motiver à négocier avec les services de police pour essayer de régler ces questions.
Sgt-dét. Paul Gillespie: Permettez-moi d'ajouter rapidement une observation; cela fait plus d'un an que je suis en pourparlers avec plusieurs FSI. À mon avis, ils ne font rien pour empêcher les gens de se rendre dans ces salles de clavardage et ces groupes de discussion. J'en ai parlé aux principaux fournisseurs de service au Canada. En fin de compte, ils m'ont affirmé qu'ils ne pouvaient faire davantage parce que c'était une question de ressources—ils ont deux employés qui travaillent dans ce domaine, ou ils n'ont que trois ou quatre. Et ce sont pourtant de grandes sociétés prospères. Elles disent toujours qu'elles n'ont pas suffisamment de personnel. Je leur répondrais qu'elles n'ont qu'à embaucher du personnel. Elles ne devraient pas jouer le rôle d'intermédiaire et de permettre à certaines personnes d'avoir accès à ce matériel, parce qu'il existe plusieurs façons de limiter ou de supprimer cet accès.
Je serai franc. Je ne pense pas que ces entreprises soient suffisamment motivées pour le moment et je ne sais pas très bien pourquoi. Il serait dans l'intérêt général qu'elles s'occupent de cet aspect. Je suis d'accord avec David lorsqu'il dit qu'il faudrait commencer par essayer de les convaincre, mais cela fait quelque temps que nous essayons de le faire et nous n'avons pas obtenu grand-chose jusqu'ici.
Le président: Merci, monsieur Maloney.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin: J'aimerais poursuivre sur ce sujet, sergent Gillespie, mais je dois dire que j'ai un préjugé sur ce point. Dans une certaine mesure, et cela ne vise pas tant le travail que nous faisons pour protéger les enfants appelés à témoigner que les autres travaux du comité, je pense que nous ne parlons pas de ce qu'il faudrait. Vous travaillez par contre dans la bonne direction.
Je me demandais si votre service ou si un des services de police canadiens avait formulé des recommandations précises que notre comité, ou peut-être plus probablement un autre comité parlementaire, pourrait adopter de façon à présenter des mesures législatives qui obligeraient cette industrie à revoir son fonctionnement.
Sgt-dét. Paul Gillespie: Je pense que cela a été fait.
Je vais peut-être commencer et David pourra ensuite terminer.
Il y a tellement de possibilités. Les gens pensent qu'il existe des sites Web que les fournisseurs de service pourraient supprimer d'un seul coup en appuyant sur un bouton. C'est un peu la réalité mais le processus est beaucoup plus complexe.
Avec un ordinateur, il est possible d'avoir accès à des groupes de discussion ou à certains sites. On peut aller sur des sites comme alt.sex.babies. Ils sont très faciles d'accès. Leur contenu est très clair. Ils ne montrent que des agressions d'enfants tout à fait horribles et des discussions à ce sujet. Ce serait les plus faciles à supprimer et ce sont ces sites qui nous posent le plus de problèmes.
La comparaison que j'aimerais faire est celle du propriétaire d'un grand magasin à qui l'on dit que derrière l'allée 15I on vend des alt.sex.babies... Je me suis adressé à des fournisseurs de service et leur ai dit de bloquer l'accès à ce site. Ils m'ont affirmé qu'ils ne savaient pas qu'ils avaient ça dans leur magasin. C'est inacceptable.
Je pense que si nous avions des directives précises, nous pourrions faire certaines choses très rapidement. Ce sont eux qui vendent et fournissent l'accès à ces sites. Je ne pense pas que ces entreprises pourront longtemps soutenir qu'elles ne savent pas ce qui se passe sur leur réseau.
À (1035)
M. Joe Comartin: Savez-vous si d'autres pays ont fait quelque chose dans ce domaine? Je sais qu'on a fait un certain nombre de choses en Angleterre. Vous suivez certainement la situation, pour ce qui est de demander à d'autres personnes d'identifier certains sites, mais y a-t-il des pays qui ont réussi à supprimer, en adoptant des mesures réglementaires, ce genre de pornographie juvénile?
Sgt-dét. Paul Gillespie: Il y a l'Internet Watch Foundation, un organisme du Royaume-Uni, qui s'occupe de cet aspect. Cet organisme recueille l'information, et lorsqu'il découvre un site de pornographie juvénile fréquenté dans la région, il en avise British Telecom, qui est une des plus grandes, sinon la plus grande...
M. Joe Comartin: Mais cela revient à agir après-coup. Je pensais à des mesures préventives qui obligeraient le fournisseur de service à éviter que cela se produise.
Sgt-dét. Paul Gillespie: Pour qu'il le fasse lui-même. En fait, je pense qu'il y a eu des poursuites dans un des pays scandinaves, fondées sur de nouvelles mesures législatives qui incriminent les fournisseurs de service. Ils ont récemment inculpé leur premier fournisseur de service Internet parce qu'il n'avait pas bloqué des images qui auraient dû l'être. L'affaire a été soumise aux juridictions pénales. Je pourrais vous dire exactement où et quand cela s'est passé.
M. Joe Comartin: Si vous pouviez transmettre cela au greffier du comité...
Sgt-dét. Paul Gillespie: Tout à fait, je le ferai.
M. Joe Comartin: Je poursuis l'idée selon laquelle à mon avis, les travaux du comité ne concernent pas directement ce projet de loi ou ne sont pas vraiment utiles. Je m'appuie en partie sur le fait que les affaires Langer, Sharpe et aujourd'hui Beattie sont les trois seules où la valeur artistique ou les nouveaux articles qui vont être adoptés bientôt, ont été appliqués par les tribunaux. Le ministère de la Justice m'a dit qu'il y en avait peut-être deux ou trois autres. Connaissez-vous d'autres affaires que celles que je viens de mentionner?
M. David Butt: Non. De mon point de vue de poursuivant, cela me paraît un point important. Il faut établir un équilibre raisonnable entre l'art et la protection des enfants. Oui. Est-ce que cela veut dire que ces dispositions seront utilisées tous les jours? Non. Est-ce que le débat sur la valeur artistique est important sur le plan théorique? Oui. Est-ce que ce débat est important sur le plan pratique, pour le fonctionnement quotidien des tribunaux? Absolument pas.
M. Joe Comartin: Par conséquent, pour ce qui est de vos besoins, il faudrait préciser et peut-être simplifier la question de l'âge du consentement pour qu'elle soit plus facile à appliquer—et que c'est bien dans ce sens qu'il faut agir pour faciliter concrètement le travail des poursuivants.
M. David Butt: Oui, vous avez tout à fait raison.
Je pense également que l'aspect prévention est un aspect essentiel. En tant que poursuivant, je m'occupe de nettoyer les choses une fois qu'elles se sont produites. Il serait bien préférable de pouvoir empêcher dès le départ que ce genre d'images soient diffusées.
C'est une question complexe, parce que les fournisseurs de service Internet diront au gouvernement que d'un côté, celui-ci leur demande de nettoyer leur réseau et que, de l'autre, ils sont obligés de respecter les lois sur le respect de la vie privée, et qu'ils n'ont donc pas le droit de le faire. Nous sommes pris entre deux feux. Que pouvons-nous faire?
J'avoue que je suis sensible à cet argument mais il faudrait bien sûr l'examiner davantage.
M. Joe Comartin: Mais en utilisant le même critère, lorsqu'il s'agit de protéger les enfants, ne pourrions-nous pas renverser le fardeau de la preuve et est-ce que la Cour suprême l'accepterait? Pouvons-nous renverser le fardeau de la preuve et dire à l'accusé qu'il doit démontrer qu'il ne savait pas ce qu'il y avait sur son...?
M. David Butt: C'est une excellente idée et l'idée de protéger les enfants suscite bien sûr un large consensus, mais avant d'approuver votre suggestion et de dire qu'il est possible de la mettre en oeuvre et de renverser le fardeau de la preuve, il faudrait que je sache comment cela se traduira sur le plan technologique. Est-ce que chaque entreprise sera obligée de demander à son personnel de suivre ce qu'il y a dans les courriels de ses clients? Cela susciterait des réactions assez vives, ce qui est fort compréhensible. À quel genre de technologie faut-il faire appel pour y parvenir?
L'objectif? Absolument d'accord. Comment l'atteindre? Je crois qu'il faut y réfléchir davantage parce que la vie privée est un élément qui est également important.
Sgt-dét. Paul Gillespie: Si je peux ajouter une chose, au cours des réunions que nous avons eues avec tous ces fournisseurs de service depuis plus d'un an... nous leur demandons d'assister à des réunions pour élaborer des solutions. Nous leur demandons d'inviter leurs techniciens, de nous dire quels sont les défis auxquels ils font face et nous les invitons à collaborer avec nous. Leurs techniciens ne viennent jamais. Ce sont leurs avocats qui viennent.
Cela est très frustrant et ils parlent constamment du respect de la vie privée et qu'ils ne peuvent rien faire parce qu'ils n'ont pas le droit de... il serait utile d'amener les techniciens à discuter de ces questions.
M. David Butt: Ce serait une excellente chose qu'un organisme gouvernemental comme votre comité, par exemple, déclare qu'il va prendre des décisions dans ce domaine et qu'elles seront mises en oeuvre, même si ces personnes décident de ne pas participer à des négociations à ce sujet. Comme l'a dit Paul, on peut discuter pendant très longtemps, mais tant que quelqu'un n'annoncera pas qu'il va prendre une décision à ce sujet après avoir donné aux intéressés la possibilité d'influencer la décision, il est possible que rien ne se fasse.
M. Joe Comartin: Monsieur le président, pour finir là-dessus, nous pourrions peut-être placer sur notre ordre du jour le fait que le comité devrait prendre une position claire sur ce sujet. C'est important.
Le président: Je vous remercie, monsieur Comartin.
Monsieur Warawa.
À (1040)
M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins d'être venus. Encore une fois, je trouve cette discussion très utile.
Je reconnais que les jeunes de 14 à 16 ans sont bien trop jeunes. J'ai bien aimé les comparaisons que vous avez faites au sujet de l'âge. Je pense que le permis de conduire est une bonne comparaison parce qu'il faut démontrer une certaine maturité.
Le jeune passe de l'enfance à l'âge adulte et il y a une période de transition. Cette personne a-t-elle la maturité et les aptitudes cognitives pour savoir ce qui est dans son intérêt? Est-il sage d'avoir une relation sexuelle avec cette personne? Une mauvaise décision peut avoir des conséquences à long terme.
Je suis assez d'accord avec vous. Cela fait plusieurs années que la majorité des Canadiens demandent que soit relevé l'âge du consentement à des relations sexuelles. Je trouve très frustrante et incompréhensible la résistance que l'on oppose au relèvement de cet âge. J'espère que le fait que vous soyez venus aujourd'hui nous aidera à nous engager dans cette direction.
Nous avons entendu le Dr Langevin jeudi dernier. C'est un psychologue médico-légal de l'Université de Toronto qui a effectué une étude portant sur 2 000 délinquants sexuels. Il nous a livré un témoignage explosif. Il nous a dit essentiellement que 100 p. 100 des délinquants sexuels récidivent. Il nous a mentionné que le cercle de soutien est le seul mécanisme qui permette de contrôler ces personnes, mais à part ce mécanisme, ils vont récidiver. Ils représentent un très grand danger pour la collectivité. Ceux qui prennent des photos sont les plus dangereux et il a énuméré un certain nombre de critères. C'était très intéressant.
Je vais vous poser des questions sur la récidive et sur les recommandations que vous pourriez faire sur la façon de contrôler ces personnes. Devrions-nous les emprisonner jusqu'à la fin de leurs jours? Devons-nous les libérer dans la collectivité? Faut-il avoir recours aux peines avec sursis? Voilà des questions que je pose.
J'aimerais également avoir votre avis sur les effets psychologiques qu'a sur les policiers, les détectives et les enquêteurs le fait d'avoir à examiner toutes ces photos. Vous aviez commencé à en parler et on vous a coupé la parole. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Ma troisième question porte sur la facilité avec laquelle on peut avoir accès à ces images sur Internet.
Détective Gillespie, vous dites que c'est un problème qui s'aggrave rapidement parce qu'il est de plus en plus facile d'avoir accès à ces images et de les diffuser. Le problème s'aggrave-t-il à cause de la facilité avec laquelle on peut avoir accès à ces images? Est-ce que le nombre des délinquants sexuels ou des délinquants sexuels potentiels augmente à cause de tout cela?
Ma dernière question porte sur la catégorie des délinquants dangereux. Est-ce que les délinquants sexuels sont déclarés être des délinquants dangereux suffisamment rapidement?
Merci.
Le président: Si vous avez réussi à retenir toutes les questions et l'ordre dans lequel elles ont été posées, allez-y.
M. David Butt: Je peux répondre à ces questions.
Pour ce qui est de l'emprisonnement des délinquants, je crois qu'il faut savoir qu'il y a là un important volet de santé publique. Dans l'ensemble, c'est la pédophilie, une maladie psychiatrique, qui est à l'origine de l'agression des enfants et des images d'enfants agressés. Il y a des délinquants situationnels qui n'ont pas cette orientation sexuelle mais tant que nous ne reconnaîtrons pas que ce problème comporte un volet psychiatrique, psychologique et, par conséquent, de santé publique, il faudra imposer des peines plus sévères. Il faut également que les collectivités aient des ressources permettant d'aborder le volet santé publique de ce problème.
J'ai utilisé l'expression « santé publique » à dessein. Par exemple, lorsque des gens sont atteints de maladies infectieuses, nous n'hésitons pas à leur dire qu'ils ne peuvent pas travailler dans un restaurant et que, s'ils ont des relations sexuelles non protégées, nous allons les accuser d'avoir commis une infraction. Nous n'hésitons pas non plus à priver de liberté les gens qui constituent un danger pour la santé publique. Je pense que nous devrions commencer à concevoir les pédophiles comme un problème de santé mentale. Il faut aller au-delà du système de justice pénale. Il ne faut pas l'ignorer mais aller au-delà pour examiner également ces questions.
Pour ce qui est de l'effet psychologique, lorsque j'ai poursuivi les tableaux d'Eli Langer, les gens disaient qu'ils n'étaient pas si mauvais que ça. Vous avez entendu des témoignages à ce sujet. Je les revois encore. Je vois encore très clairement ces tableaux. Cette poursuite a été intentée en 1993. Il y a un phénomène psychiatrique que l'on appelle l'intrusion qui est associé au stress post-traumatique; cela vous amène à revivre involontairement certains événements. Je me revois devant ces tableaux, je les vois en ce moment.
À (1045)
Sgt-dét. Paul Gillespie: Ce que les policiers saisissent habituellement à l'heure actuelle, ce ne sont pas des films représentant des jeunes de 10 à 12 ans qui se promènent sur la plage. L'immense majorité des images d'agression que nous saisissons aujourd'hui concernent des enfants de moins de six ans, souvent en couche, dans des situations extrêmement violentes, ce sont des dizaines et des centaines de milliers d'images, des films complets. Nous ne saisissons pratiquement plus de nouvelles images. Nous explorons les entrailles d'Internet de façon clandestine et nous tombons souvent sur des longs métrages. De ces films, on tire des images. Elles sont souvent accompagnées d'une musique de fond romantique. On voit un bébé de six mois se faire violemment sodomiser et violer sur une musique de fond très douce. On veut ainsi banaliser le comportement du délinquant pour lui donner l'impression qu'il n'est pas si méchant que cela. Je tenais simplement à préciser tout cela parce qu'il faut que nous parlions de la même chose. Je voulais être sûr que nous parlions vraiment de la même chose.
M. David Butt: Pour ce qui est du rapport entre l'augmentation de la diffusion des images sur Internet et celle du nombre des délinquants, il n'y a pas d'étude qui montre qu'il y a une corrélation. Nous ne savons pas s'il y en a. L'Internet est apparu au milieu des années 1990. J'ai mené la plus grande poursuite qui ait été entamée au Canada dans le domaine de la pornographie juvénile en 1993. Il s'agissait de 13 vidéocassettes. Maintenant, on parle couramment de millions. C'est donc une chose toute nouvelle et il n'y a pas encore d'études.
Les dispositions relatives aux délinquants dangereux? Grande question, réponse simple : il faut trouver des réponses beaucoup plus efficaces et les adapter à la situation du délinquant sexuel. Nous apprenons beaucoup de choses—l'étude de M. Langevin en est un excellent exemple—au sujet des taux de récidive. Il faut revoir cela. Il n'est peut-être pas toujours souhaitable de faire porter à tous les pornographes juvéniles récidivistes le stigmate qu'entraîne la qualification de délinquant dangereux, mais il faut reconnaître qu'ils constituent un danger permanent, tant sur le plan de la santé publique que du droit pénal, et disposer de mesures législatives bien adaptées à ce que nous savons de ces personnes.
Je dirais au sujet de l'étude du Dr Langevin que celui-ci était le psychiatre de la défense dans l'affaire Langer. Il est connu comme étant un psychiatre favorable à la défense. Vous savez qu'en politique on pose toujours la question : « Mais qui a dit ça? » En tant que poursuivant, j'examine cela et je dis : « Si le Dr Langevin dit cela, il doit certainement avoir raison ». En effet, il est habituellement plutôt favorable à l'autre aspect de la question.
Mme Danielle Shaw: Je ne connais pas moi-même le Dr Langevin. Je ne connais pas sa recherche. J'ai cependant fait de la recherche pour préparer cet exposé. Je travaille depuis 13 mois avec un délinquant sexuel qui est emprisonné à l'heure actuelle, non pas pour sa dernière infraction sexuelle mais parce qu'il a violé les conditions de sa libération. Il a consommé de l'alcool.
Nous avons voulu signaler dans notre mémoire qu'il y avait là un danger. Nous ne voulons pas sous-estimer le risque que les délinquants sexuels récidivent. Je ne parle pas des infractions reliées à la pornographie juvénile mais plutôt d'attouchements sexuels et d'intrusion sexuelle. C'est le genre d'infraction qu'avait commis la personne dont je parle. Il y a le risque que ces personnes récidivent. Elles ont besoin d'être traitées. Elles ont besoin d'intervention. Elles ont besoin d'être rééduquées.
Le gars dont je vous parle savait que je venais ici aujourd'hui. Nous avons longuement parlé. Nous avons parlé pendant deux heures et demie du projet de loi C-2. Il m'a dit qu'il fallait informer les enfants. Il faut qu'ils soient capables de faire la différence entre un contact innocent et un contact ambigu. Il faut les aguerrir à ce qui se passe dans la rue. Il faut éduquer les délinquants. Il faut rééduquer les délinquants. Il faut leur faire comprendre les conséquences qu'entraînent leurs infractions. Ils ont besoin de soins à long terme. Les victimes ont également besoin de soutien. Voilà ce que dit quelqu'un qui se trouve actuellement en prison et qui a des antécédents judiciaires dans ce domaine.
C'est la personne qui m'a dit : « Je ne comprends pas comment tout cela est arrivé ». Il a des antécédents en matière d'infractions sexuelles, commises sur une période de 10 ans, de façon intermittente. Il a fait l'objet de quatre ou cinq séries d'accusations reliées à des infractions sexuelles commises contre des enfants. Il a déclaré que la première fois qu'on lui avait proposé un traitement, c'était il y a 11 mois.
Nous lui avons fait une drôle de chose. Il a purgé sa peine, il a été libéré—sans aucune planification, en particulier parce qu'il est dans le système provincial, ni aucune possibilité de traitement. Et il fait face aujourd'hui à une déclaration de délinquant dangereux. Pourquoi? À cause de ses antécédents judiciaires. Il reçoit un traitement. Je pense qu'il fait des progrès grâce à ce traitement. Je ne suis pas une psychologue ou une psychiatre médico-légale. Il veut poursuivre le traitement et avoir le soutien de la collectivité. Il sait que s'il retourne dans la collectivité, il sera en danger. Il m'a dit l'autre jour : « Je me demande si je vais récidiver ». C'est pourquoi il est tellement important de fournir un soutien communautaire, parce qu'en prison, il bénéficie d'un tel soutien. Il aura également ce soutien lorsqu'il sera libéré.
Il ne faut pas croire que les gens que nous emprisonnons sont guéris lorsque nous les libérons.
À (1050)
Le président: Intervenez brièvement, monsieur Phaneuf, après quoi nous passerons à un autre intervenant.
M. Gordon Phaneuf: Je veux simplement lancer un avertissement. Il ne faut pas oublier la typologie des délinquants sexuels. Je pense que dans sa recherche, le Dr Langevin parlait de délinquants pédophiles. J'attire l'attention du comité sur les données provenant des États-Unis qu'a publiées le Dr Finkelhor de l'Université du New Hampshire. C'est un chercheur de grande réputation dans le domaine de l'agression sexuelle des enfants. D'après les données provenant d'une étude nationale portant sur ce phénomène et basée sur un système de déclaration des services de santé—ce sont des données provenant de sources directes et indirectes, et ce système de collecte de données est considéré comme étant très solide sur le plan clinique—il semble qu'aux États-Unis, le nombre des agressions sexuelles d'enfants rapportées et établies soit en baisse.
Il convient d'être prudent en interprétant ces données parce qu'il y a de nombreux facteurs qui touchent la notion de déclaration d'infraction et qui ont une influence sur la fréquence; néanmoins, c'est une tendance qu'il convient d'étudier et les responsables de l'élaboration de politiques doivent certainement en tenir compte.
Le président: Merci.
[Français]
Monsieur Marceau, vous disposez de cinq minutes.
[Traduction]
Nous allons terminer avec M. Breitkreuz.
[Français]
M. Richard Marceau: Je serai très bref, monsieur le président.
Je voudrais savoir une chose de la part de Me Butt et de Me Shaw. Je sais maintenant que Mme Shaw est à la fois mathématicienne et avocate.
Si le projet de loi C-2 avait été en vigueur à l'époque de l'affaire Sharpe, est-ce que la décision aurait été différente, selon vous?
[Traduction]
Mme Danielle Shaw: Je pense que cela aurait pu être le cas parce qu'aujourd'hui le projet de loi C-2 prévoit un critère à deux volets : y a-t-il un but légitime lié aux arts et quel est l'effet probable de ce matériel sur les enfants? Je ne sais pas—je ne faisais pas partie de l'équipe de poursuivants, je n'ai pas lu les comptes rendus, ni le reste—mais en me basant simplement sur la loi, je pense que le résultat aurait été différent.
M. David Butt: À mon avis, absolument, oui. Rappelez-vous ce qu'a dit un expert qui témoignait dans l'affaire Sharpe. Il s'est levé et a déclaré : « La chose la moins intéressante de cette oeuvre écrite est le sujet. J'examine des choses comme la structure de la phrase et la suite des mots; cette oeuvre a une valeur artistique de ce point de vue ». Un témoin que j'avais convoqué dans l'affaire Langer a déclaré : « Je dis souvent à mes étudiants qui veulent évaluer un tableau de commencer par le renverser. Oubliez le sujet. Examinez plutôt la façon dont le peintre a utilisé la couleur et la lumière. »
De ce point de vue, l'oeuvre a une valeur artistique et ces artistes avaient raison et M. Sharpe méritait d'être acquitté, en fonction des règles en vigueur. C'est à nous qu'il appartient de dire : « Un moment. Le sujet de l'oeuvre est important et si l'oeuvre préconise l'agression des enfants, peu importe qu'elle ait une valeur artistique, elle constitue une infraction. »
C'est ce que fait cette loi. C'est pourquoi je dirais que oui, le résultat aurait été différent et le projet constitue un ajout important à cette loi.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Marceau.
[Traduction]
Pour conclure, monsieur Breitkreuz.
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC): Merci, et merci aussi aux témoins.
La réinsertion sociale est un objectif très noble et nos tribunaux visent cet objectif. Malheureusement, les tribunaux ont traité les crimes sexuels à peu près de la même façon que les autres crimes, avec des peines avec sursis, etc. Je pense que c'est un très mauvais service qu'ils ont rendu à la population.
Un d'entre vous a déclaré—je crois que c'était le Service de police de Toronto—que sur dix personnes qui regardent la pornographie juvénile ou des images d'agression, trois reproduisent ce qu'elles voient. J'ai eu du mal à dormir après que M. Gillespie nous ait montré certaines photos il y a quelques années. J'ai trouvé ça vraiment très choquant.
On détruit la vie de nos enfants. En fait, il y a des morts vivants aujourd'hui, qui sont dans cet état à cause de ce qui se passe dans notre société.
L'un d'entre vous a déclaré qu'en raison de leur rôle, les juges examinaient la réalité en regardant dans un rétroviseur. Je pense que la protection de la société devrait être la première valeur. N'est-il pas quelque peu choquant de penser que les délinquants légers commettent des infractions et reçoivent une peine minime ou avec sursis? Ne devrait-on pas leur imposer une peine suffisamment sévère pour justifier tout le travail qu'accomplissent les policiers et les tribunaux pour obtenir une condamnation?
J'aimerais vous poser la question, et c'est peut-être une bonne question pour terminer la séance. Compte tenu de l'importance de protéger la société, et des remarques que je viens de faire, n'est-il pas important que la loi que nous adoptons—c'est-à-dire le projet de loi C-2—signale clairement qu'il y a eu un changement pour bien indiquer aux juges que la loi concernant l'agression sexuelle des enfants est aujourd'hui plus sévère et qu'ils doivent maintenant appliquer cette loi de façon tout à fait différente dans notre société? Ne devrait-on pas bien marquer qu'il y a eu une rupture avec le passé et montrer que nous reconnaissons mieux maintenant la gravité de ces infractions?
À (1055)
Sgt-dét. Paul Gillespie: Puis-je commencer? Ma réponse sera certainement la plus brève. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
Nous en sommes arrivés à un point où telle affaire renvoie à telle condamnation et cette condamnation renvoie à telle peine, et je crois que nous avons perdu de vue l'essentiel. Il faut revenir à l'essentiel et je crois que c'est un excellent message.
M. David Butt: Je souscris à tout cela. Il est effectivement nécessaire d'envoyer un nouveau message et ce message devrait être qu'au Canada, la personne qui exploite un enfant d'une façon ou d'une autre est envoyée en prison. C'est un message très clair et très convaincant.
Je pense que ce message sera efficace parce qu'il a un effet dissuasif. Il faut que les peines dissuadent les gens de commettre des infractions. Il est impossible de dissuader les gens de commettre des crimes passionnels, mais les pédophiles sont des personnes particulièrement sensibles à la logique de la dissuasion. Ils sont sensibles à la dissuasion parce qu'ils planifient leurs crimes. Ils ne décident pas d'un seul coup d'agresser un enfant. Il leur faut se rapprocher petit à petit de l'enfant. Ce sont des gens qui réfléchissent et qui planifient la perpétration de leurs infractions.
Si les tribunaux imposent des peines sévères, ils vont se dire : « Un instant. Je risque maintenant de recevoir une autre peine. Je devrais peut-être contrôler mon comportement sexuel. » Nous contrôlons tous notre comportement sexuel jusqu'à un certain point. Il faut qu'ils le fassent aussi et ce genre de message les aidera à le faire.
Mme Nancy Turley: J'aimerais également faire un commentaire. Évidemment, les enfants viennent au premier plan mais il faut également tenir compte de la réalité que même avec des peines sévères, ces personnes seront libérées. Et si rien n'est changé, elles ne changeront pas.
Si elles sont incarcérées, font leurs deux ans moins un jour, ou une durée de ce genre, et sont libérées sans avoir reçu aucun traitement destiné à les aider à contrôler leurs pulsions, à rendre des comptes, elles récidiveront. Nous ne pourrons pas emprisonner toutes ces personnes pendant toute leur vie.
Il faut donc que notre société soit prête à investir dans ces personnes parce que cela revient à investir dans la protection de la société, et si nous ne changeons pas ces personnes, nous serons obligés de regarder encore ces images et tous ces malheurs. Nous nous occupons de toutes ces retombées et cela brise le coeur.
Le président: Monsieur Phaneuf, allez-y.
M. Gordon Phaneuf: Un très bref commentaire seulement.
Nous reconnaissons tout à fait qu'il faut imposer des peines sévères mais je pense que c'est un sujet tellement horrible que nous recherchons souvent une solution facile. Il ne faut pas oublier que le projet de loi C-2 est un pas dans la bonne direction mais qu'il ne faut pas le dissocier de sa mise en oeuvre. Les questions qui ont été soulevées et analysées aujourd'hui montrent clairement qu'il faut procéder à des études permanentes dans ce domaine.
Il ne faut pas oublier que les premières personnes qui interviennent auprès des enfants—les policiers, les travailleurs sociaux, les éducateurs spécialisés—ont besoin d'outils et de formation pour bien faire leur travail et que les mesures législatives sont un élément essentiel mais qui doit s'inscrire dans un ensemble de mesures.
Le président: Merci.
Merci, monsieur Breitkreuz.
Et merci à tous les témoins. Voilà une séance qui a été très utile. Nous allons maintenant suspendre la séance pendant cinq minutes et nous siégerons ensuite à huis clos pour parler de nos travaux futurs.
Merci.
[La séance se poursuit à huis clos.]