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Députés et invités, bonjour. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au comité.
[Traduction]
Nous en sommes à la 30e réunion du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord.
Nous allons commencer sans plus tarder. Comme vous le savez, nous avons été retardés par la tenue d'un vote. Je dois rencontrer le comité de liaison à 13 heures, au plus tard à 13 h 15. Normalement, je prolongerais la réunion, mais je dois rencontrer le comité qui, comme vous le savez, doit approuver le budget de déplacement pour notre étude sur le développement économique du Nord.
Comme le précise l'ordre du jour, nous nous penchons aujourd'hui sur l'honneur de la Couronne. C'est donc avec plaisir que nous accueillons Mark Prystupa, directeur général associé et responsable des négociations pour le centre, des traités et des questions relatives au gouvernement autochtone auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Nous recevons également Charles Pryce, avocat général du ministère de la Justice qui se spécialise en droit des Autochtones et en politiques stratégiques.
Messieurs, comme vous le savez sans doute, nous accordons habituellement dix minutes aux témoins pour qu'ils nous présentent leur exposé, après quoi, nous passons aux questions. Comme nous sommes pressés par le temps, nous allons avoir des tours de cinq minutes et non de sept minutes, ainsi que le veut la règle.
Monsieur Duncan, vous souhaitez invoquer le Règlement?
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Merci, monsieur le président. Nous sommes heureux de venir vous entretenir de ce sujet. Je vais prendre la parole, pour la simple raison que le sujet soulève des considérations d'ordre juridique. Mon résumé sera bref.
Il existe un lien entre l'honneur de la Couronne et le rapport de fiduciaire, l'obligation de fiduciaire. Il est difficile de bien faire le tour de la question en si peu de temps. Quoi qu'il en soit, je vais vous expliquer comment le droit a évolué dans ce domaine. Je vous fournirai d'autres précisions quand vous poserez vos questions.
La Couronne entretient une relation particulière avec les peuples autochtones, et ce, depuis toujours. La jurisprudence, jusqu'à tout récemment, avait tendance à considérer cette relation comme étant davantage politique que juridique. Dans la Proclamation royale de 1763, la Couronne, le roi lui-même, qualifiait les tribus indiennes de « ..nations de sauvages avec lesquelles nous avons quelques relations et qui vivent sous notre protection... ». Donc, cette relation spéciale existait déjà il y a 250 ans. Comme je l'ai mentionné, elle semblait être de nature essentiellement politique et non juridique.
C'est vers la fin du XIXe siècle que la notion de l'honneur de la Couronne a commencé à faire son apparition dans la jurisprudence, c'est-à-dire dans les décisions portant sur l'interprétation et la mise en oeuvre des traités. En effet, un des juges de la Cour suprême avait affirmé que l'interprétation des obligations issues de traités mettait en cause l'honneur de la Couronne.
Avant 1984, toutefois, la relation était surtout considérée comme étant politique et non juridique. Les choses ont changé en 1984. Cette année-là, la Cour suprême a statué pour la première fois dans l'arrêt Guérin, une cause très importante, que la Couronne avait une obligation fiduciaire légalement exécutoire envers les premières nations. Comme je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails, je dirai simplement que la notion de « fiduciaire » ou de « rapport de fiduciaire » s'applique au contexte autochtone. Bien sûr, ce principe d'équité de grande portée s'applique aussi à de nombreux autres domaines. Il s'agit d'un mécanisme, d'un concept qui permet aux tribunaux et aux juges de définir certains types de rapports marqués par un déséquilibre des forces. L'expression « rapport de fiduciaire » désigne les rapports entre les fiduciaires et leurs bénéficiaires, les parents et leurs enfants, les médecins et leurs patients, les avocats et leurs clients — ce sont tous là des exemples de rapports de fiduciaires.
Dans l'arrêt Guérin, ce principe a été appliqué au rapport existant entre la Couronne et les Autochtones. L'affaire portait sur la cession de terres de réserve et leur disposition. La cour a statué en l'espèce que la Couronne avait non seulement une obligation de fiduciaire, mais qu'elle avait également manqué à celle-ci.
Le lien entre le rapport de fiduciaire et l'honneur de la Couronne a été exploré plus à fond dans une autre décision déterminante touchant le droit des Autochtones — l'arrêt Sparrow de 1990. Je crois que les membres du comité connaissent bien cette affaire. La cour a statué que le rapport de fiduciaire et l'honneur de la Couronne influaient sur l'interprétation et l'application de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition protège les droits des Autochtones issus de traités. La cour a statué que ces droits ne sont pas absolus, mais que si la Couronne entend restreindre l'exercice de ceux-ci, elle doit agir de manière à préserver l'honneur de sa Majesté en se conformant aux rapports uniques qui existent entre la Couronne et les peuples autochtones.
À la suite de l'arrêt Sparrow, plusieurs décisions rendues dans les années 1990 ont fait état de l'honneur de la Couronne, de la façon dont cette notion s'applique ou entre en jeu lorsque la Couronne transige avec les peuples autochtones.
Mentionnons, par exemple, l'arrêt Badger de 1996 concernant les droits issus de traités dans les Prairies, et le jugement peut-être le plus célèbre, l'arrêt Marshall, prononcé en 1999, qui portait sur les traités de paix et d'amitié dans les Maritimes. La cour a statué que les Mi'kmaq avaient le droit, confirmé par traité, de récolter des ressources et de faire le commerce de produits traditionnels afin de s'assurer une subsistance convenable. Le juge Binnie, qui a rédigé les motifs de la majorité, s'est largement appuyé sur l'honneur de la Couronne, affirmant que celui-ci dictait presque le résultat, soit la façon dont le traité devait être interprété en l'espèce.
Il y a eu un autre événement marquant en 2002 : l'arrêt Wewaykun de la Cour suprême, rédigé encore une fois par le juge Binnie, qui traite des rapports, des obligations de fiduciaire. Cet arrêt ne fait pas jouer l'article 35. Toutefois, il clarifie de manière générale la portée des obligations de fiduciaire de la Couronne. Il insiste sur l'existence d'un intérêt autochtone reconnu et le fait que la Couronne peut exercer un contrôle discrétionnaire sur cet intérêt, l'obligation de fiduciaire s'appliquant dans ce cas-là. Il précise par ailleurs que les obligations découlant du rapport de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones n'ont pas toute un caractère fiduciaire. Cet argument, bien qu'il ait été évoqué dans des décisions antérieures, a été confirmé dans l'arrêt Wewaykum.
C'est en 2004 que la décision la plus importante concernant l'honneur de la Couronne a été rendue. Encore une fois, je suis certain que les membres du comité connaissent bien cette cause: il s'agit de l'arrêt Taku River de la Cour suprême, rendu en même temps que l'arrêt Haïda. Cette affaire confirmait l'obligation légalement exécutoire qu'a la Couronne de consulter les peuples autochtones avant de prendre des décisions qui pourraient porter atteinte aux droits revendiqués, et non seulement établis. Cette obligation, tout en étant liée à l'article 35 de la Loi constitutionnelle, repose sur l'honneur de la Couronne.
La Cour suprême a été saisie d'un autre dossier en 2005 : celui de la Première nation crie Mikisew. Dans son jugement, la cour a exploré un peu plus à fond le concept de l'honneur de la Couronne et appliqué l'obligation de consulter aux droits à la fois établis et revendiqués. Il était question, dans cette affaire, du droit de chasse issu d'un traité et de la saisie, par la Couronne, de terres visées par ce droit pour construire une route. Il y a une chose très importante à signaler: on retrouve dans les premières observations une déclaration fort significative au sujet du droit moderne relatif aux droits autochtones. Encore une fois, c'est le juge Binnie qui en est l'auteur. Il a déclaré que l'objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits autochtones est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. Cette idée de conciliation n'est pas nouvelle. Elle a été évoquée dans certains jugements du juge Lamer, à l'époque où il occupait le poste de juge en chef, sauf qu'elle a été consacrée par l'arrêt Mikisew.
Entre 2005 et 2009, diverses décisions ont été rendues par des tribunaux inférieurs. La Cour suprême n'a pas vraiment eu l'occasion d'analyser plus en profondeur le concept de l'honneur de la Couronne. Les résultats obtenus jusqu'ici sont variables. Dans certains cas, les tribunaux inférieurs se sont fondés, pour rendre leur décision, sur la notion de l'honneur de la Couronne.
La Cour d'appel fédérale, dans son jugement visant les Abénakis d'Odanak, a fait état de l'honneur de la Couronne dans l'interprétation et la mise en oeuvre de la Loi sur les Indiens. Elle a laissé entendre que le ministre avait l'obligation d'agir honorablement et faire en sorte que la loi fonctionne. La première nation souhaitait, dans ce cas-là, décider de l'appartenance à ses effectifs.
Il y a une affaire portant sur l'honneur de la Couronne et l'obligation de consulter qui est présentement devant les tribunaux. La Cour suprême, en fait, va en être saisie en novembre. Elle met en cause la première nation Little Salmon Carmarcks et concerne l'obligation de consulter dans le contexte d'un traité moderne. Il se peut que la Cour suprême profite de cette occasion pour explorer plus en détail la notion de l'honneur de la Couronne.
Par ailleurs, certains tribunaux inférieurs ont indiqué que l'honneur de la Couronne, tout en étant un principe très important, ne s'applique pas dans toutes les circonstances. Des cours d'appel ont affirmé, dans certains cas, que l'honneur de la Couronne ne peut vraiment être invoqué dans le cadre de litiges, de sorte que, dans un processus accusatoire, l'État n'a pas à se conformer au principe de l'honneur de la Couronne, les règles étant plus ou moins fixées par celui-ci.
Il s'agit d'une décision disons mineure, rendue par un tribunal inférieur, mais qui va probablement être réexaminée dans d'autres circonstances. Fait révélateur: bien que l'honneur de la Couronne repose sur une obligation juridique, elle ne constitue pas une cause d'action en tant que telle. Elle n'ouvre pas automatiquement la porte à des recours en justice au motif, par exemple, que la Couronne n'a pas agit honorablement. ll faut que cette notion soit liée à d'autres formes d'obligation légale.
L'honneur de la Couronne en tant qu'obligation légale est un concept relativement nouveau. Il est vrai qu'on y a fait allusion au fil des ans et que les tribunaux ont clairement laissé entendre qu'elle découle de l'affirmation de la souveraineté, ce qui lui donne une dimension historique. Toutefois, ce n'est que tout récemment que l'on a commencé à affirmer qu'elle peut donner lieu à une obligation légale. Cet argument a été clairement énoncé dans l'arrêt Haida, en 2004.
Donc, bien que la Cour suprême ait défini de manière générale le principe de l'honneur de la Couronne, la nature et l'étendue de celui-ci n'ont pas encore été clairement établis. Jusqu'ici, les tribunaux inférieurs qui se sont penchés sur cette notion ont agi avec prudence lorsqu'est venu le temps d'élargir la portée existante de cette notion. Elle implique l'obligation de consulter. Elle peut entraîner des obligations de fiduciaire dans certaines circonstances. En tout cas, elle facilite clairement l'interprétation des lois et des traités, et la mise en oeuvre de ces derniers.
Je précise que l'honneur de la Couronne est un principe vaste et souple qui n'est pas encore bien défini. Toutefois, il peut être à l'origine d'obligations légales supplémentaires. Je suppose que nous serons mieux informés au fur et à mesure que les tribunaux se penchent là-dessus.
Voilà pour ma déclaration liminaire, monsieur le président. Je répondrai volontiers à vos questions.
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Merci de la question. Est-ce que les cinq minutes comprennent le temps alloué à ma réponse?
Il est vrai que l'on retrouve, à la base, la notion de conciliation, que cet objectif... Vient ensuite l'honneur de la Couronne, l'élément central du cadre, et, rattaché à ce principe, un impératif politique ou moral qui, sur le plan juridique, va influer, par exemple, sur l'interprétation des lois et des traités. L'honneur de la Couronne peut, lorsque les intérêts en cause ne sont pas bien définis, donner lieu à l'obligation de consulter, par exemple. La Cour suprême a indiqué clairement, dans l'arrêt Haida, qu'en l'absence d'intérêts identifiables, l'obligation de consulter découle de l'honneur de la Couronne et non pas des obligations de fiduciaire.
Donc, oui, les rapports de fiduciaire, les obligations de fiduciaire reposent sur l'honneur de la Couronne. Celui-ci entre davantage en jeu lorsque les intérêts sont bien précisés. Il y a deux choses qu'il faut retenir. La première concerne l'article 35 de la Loi constitutionnelle. L'obligation de fiduciaire laisse entendre qu'on ne peut porter atteinte aux droits existants, sauf si cette atteinte peut être justifiée. Il n'est pas uniquement question ici d'argent, mais de droits de chasse et de pêche, du droit à l'autonomie gouvernementale des premières nations que le gouvernement chercherait à modifier. Le rapport de fiduciaire est important dans ce cas-ci et l'État doit se conformer au principe de l'honneur de la Couronne. C'est son honneur qui est en jeu.
L'obligation de fiduciaire, telle qu'elle est perçue en dehors du cadre du droit des Autochtones — et elle s'applique incontestablement au droit des Autochtones — vise plutôt, comme vous l'avez mentionné, les éléments d'actifs. Les affaires qui ont été entendues jusqu'ici portent principalement sur les terres de réserve et les sommes d'argent versées aux Autochtones lors de l'aliénation de ces terres. Dans les cas concernant les bandes Apsassin ou de la rivière Blueberry, par exemple, la Couronne agit presque comme un fiduciaire, même si elle affirme qu'il n'est pas question ici de fiducie. Il n'y a pas d'intérêts divergents, mais la Couronne doit se conformer à des règles rigoureuses pour ce qui est de l'utilisation de ces terres.
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Ma question est à la fois précise et d'ordre général.
J'ai toujours senti la même chose quand j'ai lu les décisions de la Cour suprême, et c'était pareil quand je faisais mon cours de droit. J'ai toujours senti que les Autochtones, même si le gouvernement fédéral en était le fiduciaire, étaient mal défendus par ce même gouvernement. La priorité de ce gouvernement était de se protéger lui-même, pour les terres de la Couronne. C'était toujours en fonction de lui-même. Je ne sais pas si vous me suivez.
Il y a un conflit d'intérêts flagrant quand vient le temps de défendre les intérêts des Autochtones. J'ai rarement vu des décisions où le gouvernement fédéral était du côté des Autochtones. On parle d'honneur de la Couronne. On peut sortir toutes les causes, du jugement Sparrow au jugement Haida. Quand je lis ces causes, je me demande toujours qui a la priorité, car c'est toujours contre les Indiens.
Le plus bel exemple est ce qui s'en vient et qui va être étudié par la Cour suprême, l'arrêt McIvor. Le gouvernement fédéral est contre l'appel. Alors qu'il y a un problème important de droit à trancher, on se serait attendu... Vous me direz qu'on est loin, mais pour moi, l'honneur de la Couronne est beaucoup plus large que ça.
Ne trouvez-vous pas que vous êtes assis entre deux chaises? Vous êtes du ministère de la Justice. Votre collègue, M. Prystupa, est du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. N'êtes-vous pas assis entre deux chaises en devant défendre le gouvernement fédéral et, en même temps, l'honneur de la Couronne?
Vous pouvez prendre le reste du temps à essayer de me convaincre.
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Merci de votre venue. Je pense que vous êtes sans doute fort conscients qu'il s'agit d'une question très complexe.
J'aimerais revenir sur quelques points, et je tiens à remercier nos attachés de recherche pour l'excellent document qu'ils ont produit.
D'après ce que j'en comprends — et je ne suis pas avocate —, l'honneur de la Couronne et ses obligations fiduciaires sont, dans les faits, des principes énoncés dans la Proclamation royale de 1763. C'est en quelque sorte le document source qui établit, selon ce que je comprends, la reconnaissance des territoires non cédés. Je n'ai pas tout le document sous les yeux.
Il est certain que du point de vue des Premières nations, on a, si je ne m'abuse, considéré cette proclamation royale comme le document reconnaissant le statut de nation à nation. Ainsi, l'honneur de la Couronne, si je saisis bien le point de vue des Premières nations, est enraciné dans la Proclamation royale de 1763.
S'en sont suivies des centaines d'années d'une approche coloniale qui, dans les faits, a empêché les Premières nations de porter leurs causes devant les tribunaux. Ce n'est qu'au cours des dernières décennies que les Premières nations ont véritablement été capables de plaider au nom de leurs peuples relativement à l'honneur de la Couronne, aux responsabilités fiduciaires, aux terres visées par les traités et tout le reste.
Maintenant que les Premières nations sont véritablement en mesure d'aller devant les tribunaux, nous commençons à constater que la Cour suprême rend généralement des décisions en lien avec l'honneur de la Couronne. Je pense que dans votre exposé, vous avez indiqué qu'en fait, cela a commencé en 1984. On a peut-être entièrement clarifié cette notion en 2004, avec la décision Haïda, mais cela avait en réalité commencé en 1984.
Je n'ai pas le temps de les passer entièrement en revue, mais nous avons divers rapports du vérificateur général qui traitent de la mise en oeuvre des traités, et du fait que le gouvernement n'honore pas l'esprit et l'intention de ces traités. Nous avons maintenant la Land Claims Agreements Coalition, qui regroupe des représentants du Yukon, entre autres, car le gouvernement ne semble pas honorer l'esprit et l'intention de ces traités.
Pourriez-vous me dire, en principe, quelles mesures prend le gouvernement pour s'assurer de tenir compte de l'honneur de la Couronne lorsqu'il transige avec les Premières nations?
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Je me permets de commencer, mais mon collègue aura peut-être des remarques à faire également.
Pour vous répondre en partie, je vous dirais que toute évidence, les choses ne sont pas parfaites. Il est intéressant que vous ayez soulevé la question de la mise en oeuvre des traités, car c'en est un exemple, selon moi.
La Cour suprême a effectivement déclaré dans Haida, et certainement dans l'arrêt Première nation crie Mikisew, que la négociation de traités est un moyen partiel de parvenir à une conciliation, et que l'honneur de la Couronne joue un rôle tant pour l'interprétation que pour la mise en oeuvre de ces droits. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a certainement une reconnaissance de la nécessité de mettre en oeuvre les traités comme il se doit. Je pense qu'il pourrait y avoir une divergence de points de vue. Vous avez dit qu'on n'était pas fidèle à l'esprit et à l'intention des traités. C'est une bonne et une mauvaise chose.
Il est regrettable que je sois un avocat, car j'ai tendance à examiner les choses en tâchant de déterminer quelles sont les obligations légales, puis à penser que c'est ce dont on avait convenu dans le traité. Des objectifs plus larges pourraient ensuite être poursuivis par le gouvernement ou les parties, mais il ne s'agit pas nécessairement d'une obligation légale. Cependant, comme je l'ai dit, il pourrait selon moi y avoir des divergences d'opinion.
Je me souviens de certaines discussions à propos de la mise en oeuvre des traités, et c'est Jim Aldridge, je crois, qui avait imaginé cette expression selon laquelle le gouvernement considère un traité comme une procédure de divorce où l'on assumerait strictement ses obligations légales. Les Autochtones, eux, le verraient plutôt comme un contrat de mariage où l'on entretient une relation continue. Je ne suis pas certain du degré d'exactitude de cette métaphore, mais elle rend bien une certaine dynamique.
Le gouvernement est certainement à la recherche de meilleures façons de mettre en application les traités. Je sais qu'aux Affaires indiennes, il y a un certain travail en cours, qu'on tente de concerter. Ce qu'on reconnaît, je crois, c'est que ces obligations sont des obligations du gouvernement, et pas seulement celles du MAINC; il est donc nécessaire d'assurer une meilleure uniformité.
Peut-être monsieur...
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C'est une question difficile, mais je ferai de mon mieux.
On discerne assurément la notion d'honneur de la Couronne dans la Proclamation royale de 1763. Dans l'affaire Mitchell, la juge en chef McLaughlin a dit que l'affirmation de la souveraineté entraînait l'obligation de traiter les peuples autochtones équitablement. Dans cette affaire, elle a fait une déclaration. D'une certaine manière, sa proclamation confirme cette démarche. Je pense que, dans la période de colonisation postérieure à 1763, on pensait généralement qu'il était difficile pour les peuples autochtones d'établir et de faire valoir leurs droits.
Beaucoup de changements sont survenus en 1982 — dans le sillage de la canadianisation de la Constitution et de l'adoption de l'article 35. Ils ont donné une portée juridique réelle à ces droits. Avant 1982 — et, assurément, avant 1973 et le jugement Calder — ces droits étaient juridiquement peu reconnus. La position du gouvernement, jusqu'au jugement Calder, était que les droits des Autochtones étaient trop vagues pour être légalement applicables. Le jugement Calder a tout modifié. Puis, un nouveau changement est arrivé en 1982: ces droits étaient non seulement reconnus par la loi, mais, désormais, ils étaient également protégés par la Constitution.
Le paysage juridique a donc changé. D'une certaine manière, les tribunaux surveillent le respect de ces droits par le gouvernement fédéral ou les provinces, grâce aux affaires se rapportant à l'article 35. Comme l'a dit la Cour suprême, la meilleure façon de répondre aux revendications des Autochtones passe par la négociation. Et comme l'a renchéri le juge Lamer dans l'affaire Delgamuukw, c'est par des négociations tenant compte des jugements. Il y a donc une interaction entre la jurisprudence et les négociations entre les parties.
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Merci, monsieur le président. Je remercie aussi les témoins d'être ici aujourd'hui.
Ceci peut être terriblement compliqué. En ma qualité d'avocat qui a passé beaucoup de temps à tenter de maîtriser ces notions, soit pendant ses études, soit dans l'exercice de sa profession, je ne suis pas certain d'être si avantagé, compte tenu de toutes les nuits blanches que j'ai passées pendant mes études en droit ou l'étude de certains dossiers.
Jusqu'ici, mon travail dans le Nord-Ouest de l'Ontario, dans la magnifique circonscription de Kenora, a porté sur certaines conséquences pratiques de ces jugements, développés, visiblement, à partir de la distinction de l'obligation fiduciaire à l'égard des intérêts des groupes autochtones et du pouvoir discrétionnaire sur les terres de réserve. Cette obligation découle de Guerin et, dans le jugement Sparrow, de l'obligation de respecter les droits conférés par traité ou la personne des Autochtones protégée par la Constitution ainsi que du critère du motif justifiable pour ces droits.
À mon avis, le jugement Sparrow a lancé une discussion sérieuse, du moins chez les juristes, sur les améliorations de la participation à des activités, notamment les activités traditionnelles. Voilà une vue d'ensemble très brève de ces décisions, qui sont guidées par les faits.
Le jugement Haïda a disserté ensuite sur les occasions économiques, et c'est ce à quoi je veux vraiment consacrer les trois minutes et demie qui me restent peut-être.
Le comité a étudié un certain nombre de questions importantes entourant la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, et nous allons entreprendre une étude sérieuse du développement économique. Si nous examinons certaines considérations extrajudiciaires, nous trouvons, dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, une distinction entre rapports et obligations fiduciaires, selon laquelle ils ne créent pas nécessairement des droits fiduciaires ayant force de loi, mais, uniquement, qu'il pourrait y avoir obligation fiduciaire et que la relation ne donnerait pas nécessairement naissance aux droits.
Il est en quelque sorte important et même obligatoire de comprendre, sur le plan stratégique et législatif, comment, tout compte fait et compte tenu du contexte, le développement économique peut avoir lieu et comment les premières nations peuvent y participer sensiblement et de manière totalement intégrée, dans le sens économique du terme.
L'exemple, bien sûr, provient de ma circonscription: le projet dans lequel sont unies les deux entreprises Whitefeather Forest et Two Feathers Forest Products et qui concerne uniquement les obligations de la province en aménagement forestier et la relation des nations avec ces obligations, puis le rôle fédéral, soit indirect, soit accessoire ou complémentaire.
Je me demande si vous pouvez formuler des observations sur certaines des considérations extrajudiciaires et sur les conséquences qu'elles sont susceptibles d'avoir, non seulement sur l'évolution du droit mais aussi sur le développement économique, plus particulièrement en conformité avec le jugement Sparrow et l'idée d'augmenter l'exploitation économique des terres traditionnelles, parce qu'intervient une autre décision importante pour l'équilibre. Une collectivité veut mettre en valeur une ressource se trouvant sur les terres traditionnelles, tandis que les autres veulent la protéger en vertu de principes écologiques très solides.
Il faut tenir compte d'une foule de facteurs dynamiques dans ce contexte. La question est vaste, et je suis désolé de rendre si peu justice, en trois minutes, à la richesse de cette jurisprudence. Auriez-vous un commentaire à ce sujet?
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Super! Merci. Ces cinq minutes posent tout un défi à relever.
Ma question porte sur l'obligation ou non des premières nations à agir de façon honorable. Je vous renvoie au volume V, livraisons 4 et 5 du bulletin First Nations Strategic Bulletin, dont vous n'avez pas copie sous les yeux. Je vais en résumer la teneur.
On y tient une discussion assez longue sur l'obligation de consulter. On se demande si les premières nations ont l'obligation d'agir de façon honorable. Dans la discussion, on mentionne que la Couronne, en raison de la notion d'honneur de la Couronne, est tenue d'agir de façon honorable à l'égard des droits des Autochtones, même à l'égard de leurs droits à l'affirmation. Le but est la réconciliation avec les peuples autochtones. L'obligation d'agir de façon honorable est une obligation juridique, qui découle du pouvoir que la Couronne détient sur les peuples autochtones. L'auteur conclut que les premières nations n'ont pas l'obligation juridique d'agir de façon honorable, mais qu'elles ont celle de rendre la pareille dans les consultations menées de bonne foi, une fois que la Couronne s'est engagée à les consulter de bonne foi.
Je voulais que ce résumé figure dans le compte rendu, parce que je crois qu'il constitue une interprétation légèrement différente de celle à laquelle vous avez fait allusion. Ce passage m'a été communiqué par un membre de l'Association du Barreau Autochtone du Canada. Cependant, ma question ne porte pas sur ça.
Je veux revenir à la confusion qui existe autour des notions d'esprit et d'objet. Je crois que c'est un problème important. En 2003, la vérificatrice générale a constaté que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien semblait se concentrer sur le respect de la lettre des plans de mise en oeuvre des revendications territoriales, mais sans en respecter l'esprit. Les fonctionnaires ont fait croire qu'ils avaient rempli leurs obligations, mais, en fait, ils n'avaient pas travaillé dans le sens de l'objet intégral des ententes sur les revendications territoriales. Le 12 mai 2009, la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales a produit un document dans lequel elle affirme que les preuves selon lesquelles le gouvernement du Canada n'a pas respecté entièrement et significativement l'esprit et l'objet des ententes étaient nombreuses.
Beaucoup de premières nations estiment que lorsque le gouvernement manque à ses obligations, dans le contexte de l'honneur de la Couronne, elles sont forcées d'intenter des poursuites coûteuses, qui sont au-dessus de leurs moyens. Elles ne gagnent pas toujours, mais elles gagnent souvent, parce que le gouvernement ne s'acquitte pas de ses obligations relativement à l'esprit et à l'objet des ententes.
Je me demande si vous pouvez dire au comité quelles mesures le gouvernement a prises pour réunir les deux parties afin de dissiper les malentendus qui existent au sujet des obligations. Cela me semble au coeur du problème. Nous parlons de développement économique et de conditions sociales, mais rien ne bougera tant que nous n'exécuterons pas certains des traités dont nous parlons.
Je vais continuer dans la même veine que tout à l'heure et je vais faire mon possible pour faire valoir mon argument, même si je ne suis pas certain d'en avoir le temps. J'ai parlé de la CRPA et de la différence entre les relations fiduciaires et les obligations fiduciaires, parce que les relations fiduciaires ne donnent pas nécessairement lieu à des obligations fiduciaires contraignantes selon la loi, comme l'a démontré en profondeur le jugement de la Bande indienne Wewaykum c. Canada.
Je pense qu'il y avait là quatre principes de base. Premièrement, et c'est important, il s'en dégage que nous sommes rendus bien au-delà des droits garantis par l'article 35 aux réserves existantes. La magistrature aborde la question de l'indemnité générale et précise qu'elle doit varier en fonction de la nature et de l'importance de l'intérêt des parties.
Par ailleurs, j'ai déjà mentionné qu'il n'y avait pas d'obligation fiduciaire ordinaire. Dans la dernière partie de l'arrêt Wewaykum, nous pouvons voir que la Couronne n'a pas d'obligation fiduciaire ordinaire et qu'elle doit porter une attention particulière aux intérêts des diverses parties, dont les autres administrations du Canada.
Je trouve cela intéressant parce qu'on commence à parler de la déclaration des Nations Unies et qu'elle nous porte à réfléchir à des éléments importants, évidemment. Toutefois, dans le contexte de l'obligation de consulter, le fait est que les premières nations ont déjà fait inscrire leurs droits découlant de l'article 35 dans les textes constitutionnels et que la jurisprudence fait état de possibilités assez positives, à mon avis, sur le plan juridique, pour que les premières nations participent à des activités économiques ou environnementales, à des fins de protection et de préservation, et qu'elles établissent des partenariats avec des entités privées ou privées-publiques. Un bon exemple en est le partenariat entre la première nation du lac Seul et Ontario Power Generation, puisque la première nation est dorénavant un partenaire à part entière pour l'exploitation du barrage hydroélectrique de Ear Falls.
Je crains que cela ne compte pas beaucoup parmi tout ce qui se fait de bien sur le plan économique. Que pouvez-vous ajouter à cela pour alimenter la discussion sur l'activité économique? Je sais que dans ma circonscription, à tout le moins, je répète souvent que le futur économique du Nord-Ouest de l'Ontario passe nécessairement par la pleine participation des premières nations aux activités dans les domaines de la santé, du transport, de l'exploitation des ressources et du reste.
Pouvez-vous réagir à ce que je viens de dire au sujet de l'arrêt Wewaykum et nous dire ce que vous pensez en général de l'incidence de la Déclaration universelle sur les droits des peuples autochtones, dans une perspective d'adaptation et de consultation?
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Vous pouvez certainement partir si vous le désirez. Merci beaucoup.
Pour en revenir à la liste des témoins, je vous demanderais, chers collègues, d'y jeter un coup d'oeil et d'acheminer vos commentaires au greffier. Si vous pouviez le faire d'ici mercredi prochain, cela nous aiderait beaucoup. C'est pour les deux. J'aimerais juste dire qu'il sera très difficile de réduire le nombre de témoins pour cette étude. Nous devrons faire des choix, mais pour le faire, nous avons besoin de vos commentaires.
Le dernier point concerne le Comité de liaison. Nous avons réussi à adopter le budget à notre dernière réunion, mardi, et je tiens à remercier les membres. Nous le soumettrons au Comité de liaison. Pour l'instant, et c'est encore à l'état de projet, notre première destination serait Whitehorse et Yellowknife au cours de la première semaine de séance en novembre, soit du 2 au 6. Ce n'est malheureusement pas possible plus tôt. Nous avons tenté de devancer le voyage d'une semaine, mais il semble que cette semaine soit celle qui convienne.
Le voyage à Iqaluit, rappelons-le, sera du lundi au mercredi, soit quelques jours seulement, contrairement à l'autre qui durera une semaine entière. Ce voyage aura lieu la semaine qui suit celle de la relâche du jour du Souvenir, soit du 16 au 18 novembre. Ces dates sont encore provisoires. Nous n'avons pas encore fait de réservations. La personne responsable de la logistique au bureau du greffier pense que ce sont les dates les plus probables.
Si les membres n'ont rien d'autre à ajouter, je crois que nous pouvons lever la séance. Nous nous reverrons mardi après le congé. Rappelons que la séance portera sur le plan d'action pour les services aux familles et à l'enfance et débutera à 11 h. Cela vous convient?
Merci beaucoup et bonne fin de journée. La séance est levée.