:
Merci beaucoup. Je vous remercie monsieur le président de nous avoir invités. Notre présidente, Mme Lucie Joncas, prévoyait assister à cette rencontre avec moi, mais elle a dû y renoncer en raison d'autres engagements. Elle vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Compte tenu que c'est la première fois depuis un certain temps que nous comparaissons devant votre comité, j'ai pensé qu'il serait utile de vous décrire un peu notre organisation et de commenter quelques-unes des questions qui se rapportent particulièrement aux femmes autochtones qui sont incarcérées.
Certains d'entre vous savent que je fais ce travail depuis maintenant 26 ans. J'ai commencé au début avec les jeunes gens, dont plusieurs étaient des Autochtones, étant donné que j'ai commencé à travailler en Alberta, puis j'ai travaillé au niveau national avec des hommes. Au cours des 18 dernières années, j'ai travaillé avec des femmes qui sont détenues dans des prisons fédérales, mais j'ai aussi fait du travail à l'échelle internationale.
L'organisation compte 25 membres au pays. Comme plusieurs d'entre vous le savez, il s'agit d'organisations bénévoles non gouvernementales. Les 25 sociétés au pays comptent environ 582 employés, dont la moitié sont à temps partiel et la moitié à temps plein, et plus de 1 200 bénévoles. L'an dernier, il y avait 1 243 bénévoles. Nous avons donc une solide base communautaire et nous pouvons compter sur cette base pour préparer les politiques et accomplir le travail pratique que nous faisons à partir du bureau national.
C'est ainsi que nous travaillons avec des femmes autochtones depuis 25 ans, c'est-à-dire depuis les débuts de l'organisation et aussi depuis la création de la toute première société Elizabeth Fry en Colombie-Britannique, il y a 70 ans. Un des aspects les plus importants pour nous est que les femmes constituent la proportion de la carcérale qui connaît la croissance la plus rapide au pays et aussi dans d'autres parties du monde. Qui plus est, cette croissance est astronomique quand on pense aux femmes autochtones.
Il y a les rapports de l'Enquêteur correctionnel, mais aussi des rapports successifs qui été publiés au fil des ans depuis que je suis avec cette organisation, à commencer par le rapport du Groupe de travail sur les femmes purgeant une peine fédérale en 1990, celui de la Commission Louise Arbour en 1996, le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne en 2004 et plusieurs autres documents publiés par les Nations Unies. La semaine dernière, j'ai assisté à des rencontres des Nations Unies qui portaient sur le traitement des femmes incarcérées, plus particulièrement de la surreprésentation des femmes autochtone, une situation qui pose problème dans bien d'autres pays du monde. Il y a aussi les rapports que vous examinez, en particulier le rapport Mann et le rapport annuel de l'Enquêteur correctionnel. Tous ces rapports documentent très clairement les répercussions discriminatoires, la discrimination systémique de même que certaines formes de discrimination découlant de politiques, qu'il s'agisse de discrimination en fonction du sexe ou d'un handicap, surtout chez les femmes qui ont des problèmes de santé mentale, par exemple.
Je ne pense pas qu'il faille revenir sur cela. J'ai vous ai fait distribuer des documents afin que vous ayez en main certaines de nos fiches d'information. En général, nous les distribuons durant la première semaine de mai. De plus, il y toujours une Semaine nationale Elizabeth Fry au cours de la semaine qui précède la fête des Mères afin d'attirer l'attention sur le nombre de femmes qui sont incarcérées et qui sont mères.
Je suis très intéressée de tenter de répondre aux questions que vous aurez à me poser. Qu'il suffise de dire que l'une des tendances que nous observons, et dont vous avez sûrement entendu parler par l'Enquêteur correctionnel et le Service correctionnel du Canada, est que les femmes autochtones en particulier, de même que des hommes et des jeunes gens sont surreprésentés dans le système carcéral. Nous l'observons dans les pratiques d'accusation, dans les pratiques de détention, dans les pratiques en matière de déclaration de culpabilité et de prononcé de sentence. Quand ces gens sont incarcérés, on note une surclassification, un accès plus limité aux programmes, une plus grande difficulté d'accès à aux libérations conditionnelles et, dans le cas des personnes qui parviennent à obtenir une libération conditionnelle, une plus grande probabilité que cette libération soit révoqué, ce qui entraîne un retour en prison.
Ce sont donc quelques-unes des répercussions que nous observons. Nous nous intéressons plus particulièrement au protocole de gestion, qui constitue une bizarrerie pour les femmes incarcérées. Et je crois comprendre que vous avez également un intérêt pour cette question. Je le dis parce que les répercussions du protocole de gestion ont entraîné un effet discriminatoire incroyable pour les femmes qui y ont été assujetties, et je suis fort heureuse que votre comité s'intéresse à ce problème. Nous dénonçons cette situation depuis le début. La première mouture de cette politique date de 2003. Nous l'avons dénoncée dès ce moment, particulièrement certaines des questions qui ont été malheureusement oubliées; nous aurions davantage aimé nous tromper à ce sujet, mais nous observons qu'il y a de plus en plus de gens dans des conditions d'isolement pendant de longues périodes et qui ont un accès réduit aux programmes, un accès réduit aux services et qui vivent dans des conditions d'isolement qui risquent d'amplifier plutôt que d'atténuer un comportement que le protocole de gestion doit corriger au départ.
Aujourd'hui, les quatre femmes qui sont toujours assujetties au protocole de gestion sont des Autochtones. Une femme a été libérée récemment après avoir été retranchée du programme. C'est la deuxième fois qu'une personne parvient à se faire exclure du protocole de gestion. La première personne était quelqu'un qui, de l'avis de tous, y compris du personnel correctionnel, n'aurait jamais dû faire partie du programme. La deuxième était une femme qui a été enrôlée dans ce programme sur la base de renseignements obtenus alors qu'elle était détenue dans le système carcéral provincial. Par la suite, on a relevé des erreurs et il a fallu près de six mois pour que les renseignements soient corrigés et que la personne soit retirée du protocole de gestion.
La septième personne qui a été participé au protocole de gestion a été libérée de prison directement, mais on l'a enchaînée pendant le déplacement vers l'extérieur de sa cellule, on lui a mis les menottes dans le dos et on l'a revêtue d'un vêtement de sécurité, et deux ou trois — ce pouvait être jusqu'à cinq — gardes de sécurité l'ont accompagnée pour son retour dans la collectivité. Cette femme n'a pas commis les crimes haineux que tous avaient anticipés parce qu'elle avait été soumise au protocole de gestion. Je pense que c'est cela qui a poussé le Service correctionnel du Canada à entreprendre l'examen actuel, de même que le nombre de cas qui sont en préparation et le fait que l'Enquêteur correctionnel a examiné s'est intéressé à ce dossier.
Nous craignons que ce programme se soit remplacé par une mesure tout aussi condamnable. Je suis fort heureuse que votre comité examine cet aspect et que vous puissiez en arriver à formuler des recommandations très convaincantes sur la façon de remédier à la situation.
Nous continuons d'exiger une reddition de comptes externe, plus particulièrement une surveillance judiciaire du Service correctionnel. La situation des femmes autochtones, des femmes autochtones qui ont des problèmes de santé mentale, montre bien la nécessité de cette mesure. Bien qu'il y ait une sous-commissaire pour les femmes, cette personne n'a pas l'autorité hiérarchique ni la capacité de modifier les décisions. Même si nous appuyons généralement les recommandations de l'Enquêteur correctionnel et que nous soutenons la recommandation en faveur de la création d'un poste de sous-commissaire pour les questions autochtones, nous craignons que le rôle de cette personne ne soit tout aussi inutile que celui de la titulaire du portefeuille des femmes.
Je vous mets donc en garde à cet égard. De fait, nous avons besoin de mécanismes pour une plus grande reddition de comptes, de la capacité de déclencher des examens et, selon nous, des examens judiciaires, des examens qui pourraient amener les tribunaux à se pencher sur ces questions de la manière recommandée par Louise Arbour lorsqu'elle a examiné ce qui s'était passé dans les prisons pour femmes en 1994.
Ce sont mes observations préliminaires. Je serai heureuse de tenter de répondre à vos questions et si je puis vous fournir les renseignements supplémentaires, j'essaierai de le faire également. Merci.
:
Merci beaucoup d'avoir posé cette question.
J'espère avoir été claire. Assurément, nous ne dirions pas qu'il faut que le système demeure le même et que quelques mesures de reddition de comptes suffiraient pour que les choses changent. Ce n'est pas le cas. Je vous remercie donc de me fournir la possibilité de clarifier ma pensée.
Nous avons fait certaines recommandations. De fait, le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne fait suite à une plainte que nous avons déposée conjointement avec l'Association des femmes autochtones du Canada, Amnistie Internationale et 24 autres groupes nationaux et internationaux. Nous faisions allusion à la nature systémique de la discrimination à l'endroit des femmes, particulièrement celles qui font l'objet de racisme et surtout les femmes autochtones, de même que les femmes qui ont des problèmes de santé mentale et les femmes en général.
La plainte ne concernait pas seulement le Service correctionnel, mais elle portait aussi sur les coupures faites dans les services sociaux, les services de santé, en éducation et dans tous les secteurs qui s'adressent aux personnes les plus marginalisées et auxquels ces gens se raccrochent davantage. Ces services ont été dispersés, détruits dans certaines régions, et ces personnes en ont été entièrement privées. Il n'est guère surprenant que ces personnes soient les plus marginalisées, les plus victimisées et, par conséquent, celles qui comptent le plus sur ces services et que tous ces gens se retrouvent le plus souvent en prison. Je le répète, cela est perçu à l'échelle mondiale comme le facteur le plus important qui fait que les femmes constituent la population carcérale qui connaît la croissance la plus rapide. Ce n'est pas à cause de la criminalité. Ce n'est pas qu'il y ait une vague de crimes qui mettent en cause des femmes, particulièrement chez les femmes autochtones.
Comme vous l'avez souligné — et je porte l'épinglette Sisters in Spirit — plusieurs femmes qui ont disparu et qui sont présumées mortes, qui ont été portées disparues et qui ont été tuées sont des femmes qui étaient connues de la justice criminelle. Il n'est pas acceptable de compter sur les prisons pour tenter d'éponger tout cela.
Cela étant dit, j'estime que certaines choses peuvent être faites dans le contexte carcéral. Les femmes en général et plus particulièrement les femmes autochtones sont plus portées à plaider coupables de sorte que les accusations sont souvent nombreuses et lourdes. J'ai entendu diverses personnes du système correctionnel dire que les femmes obtiennent des peines plus courtes, particulièrement les femmes autochtones, et cela est vrai seulement si vous observez les accusations, les peines, mais non le contexte. Dans la plupart des autres contextes, ces accusations auraient fait l'objet d'un plaidoyer pour des peines réduites. La sentence paraît faible si vous ne regardez que les accusations. Si vous prenez acte du contexte, la peine paraît souvent très lourde.
:
Je dirais que je n'ai pas eu à rencontrer des gens qui n'étaient pas réceptifs à la possibilité de s'engager dans des programmes ou dans des services ou dans une interaction quelconque. De fait, c'est plutôt le contraire. Habituellement, les programmes et les services ne sont pas conçus pour que les gens s'y engagent. Et cela ne vaut pas seulement pour les Autochtones, mais aussi pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
Quand il est question de personnes qui, dans plusieurs cas, ont fait l'objet d'abus par le passé, quand il est question de femmes autochtones seules dans le système carcéral fédéral, le groupe de travail constitue le tout dernier examen complet. On constate que 90 à 91 p. 100 des femmes autochtones ont un historique d'abus. Quand on ajoute ce fait à des histoires concernant les pensionnats, au fait que des membres de la famille ont vécu dans des pensionnats et à l'intervention des services sociaux, on note un degré de méfiance élevé envers le système. Par conséquent, les méthodes les plus efficaces que nous avons trouvées pour inciter les gens à participer — de fait nous menons un projet qui découle du processus des droits de la personne, recommandé par plusieurs femmes autochtones — est un processus qui leur permet d'obtenir les compétences pour parler en leur propre nom.
Les programmes les plus efficaces sont habituellement ceux qui mettent en cause les personnes elles-mêmes dans des activités et qui les mettent en contact avec des pairs. Les personnes qui sont passées par là y reviennent et offrent un certain soutien aux autres. Ce sont, à notre avis, les expériences les plus efficaces avec les Autochtones, femmes et hommes.
On peut facilement imaginer ce que ce peut-être que de ne voir personne qui vous ressemble en ce qui a trait à votre expérience de vie, à votre classe, à votre niveau d'éducation. Plusieurs personnes au Canada ne sont jamais allées sur une réserve et n'ont aucune idée de ce que les conditions de vie peuvent être à ces endroits, parce que ces conditions sont inférieures à celles que l'on trouve dans la plupart des pays développés — pas d'eau courante, pas d'eau propre, pas de services publics appropriés, et ainsi de suite. Par conséquent, quand vous arrivez dans le système, vous ne savez pas comment négocier pour faire votre chemin, et le système n'est pas très convivial à ce chapitre. Ce sont là les éléments de départ.
Ensuite, il y a un système de classement qui est basé, si vous me pardonnez l'expression, sur un modèle de classe moyenne très blanc, très masculin, de ce qu'est la société. Si vous n'avez pas de compte en banque avant d'entrer, si vous n'avez jamais eu d'emploi et si vous n'avez pas d'autres membres de la famille ou si vous êtes caractérisé par des conditions sociales que vous ne pouvez modifier et si ces conditions qui vous définissent, vous obtiendrez un classement beaucoup plus élevée dès le départ. Si vous avez un historique de violence, que vous soyez l'instigateur ou la victime, des points se rajoutent à votre dossier.
Nous avons assez bien documenté ce fait dans nos présentations à la Commission des droits de la personne entre 2001 et 2003. Je suis heureuse de vous les fournir, si vous pensez qu'elles peuvent vous être utiles, parce qu'on y trouve des moyens qui pourraient permettre de renverser la vapeur. Nous avons aussi parlé de modèles de développement des capacités. Plutôt que d'affecter des ressources qui ne servent qu'à identifier le risque, c'est-à-dire convertir des besoins en facteurs de risque, nous devrions plutôt chercher à affecter des ressources en fonction de ces besoins pour identifier et développer des appuis, afin que des personnes soient à la fois supervisées dans un milieu structuré et soutenues pour être capables de survivre.
À titre d'exemple, j'ai été éveillée jusqu'aux petites heures du matin hier pour préparer une présentation à la Commission nationale des libérations conditionnelles au nom d'une femme que je connais depuis 18 ans, une Autochtone qui se débrouille fort bien dans la collectivité. Elle peut être perçue comme une donnée statistique, comme une personne qui n'a pas très bien réussi, et pourtant, c'est le contraire. Voici ce qu'a été son existence: Abandonnée à bord d'un autobus à l'âge de six mois, trimballée dans le système, vie passée sur la rue, elle a dû apprendre à se battre pour se protéger, elle a fait face à des accusations d'assaut, elle a plaidé coupable à chacune des accusations qui s'appliquaient et elle a plaidé non coupable aux accusations pour lesquelles elle n'avait pas de responsabilité et elle a été acquittée dans la plupart des cas. Comme vous le savez, tout cela vous suit dans le système. Sur papier, elle représente un danger. Dans la réalité, chacune de ces situations représente une réaction à une attaque. Pourtant, cela ne l'excuse pas d'avoir eu recours à la violence.
:
Pour ce qui est de la consultation, je suis fort heureuse que le comité fasse le travail et que cela correspondre au fait que l'enquêteur correctionnel publie son rapport.
Le Service correctionnel mène présentement une consultation sur le protocole de gestion, consultation qui s'est amorcée il y a deux semaines. Auparavant, il y avait eu consultation sur la politique proposée, laquelle est devenue le protocole de gestion. Chose intéressante, la première fois que j'ai pris connaissance du protocole de gestion, il s'agissait d'une proposition et c'était sur du papier à en-tête du syndicat. La mesure avait été proposée par le Syndicat des agents correctionnels du Canada pour le traitement des femmes qui posaient des problèmes de gestion. Nous avions proposé des approches fort différentes et nous avions suggéré qu'il y ait davantage d'intervention auprès des aînés, un meilleur soutien de la part des collectivités autochtones d'où provenaient les femmes, un meilleur accès à leurs enfants, un plus nombre d'interventions permettant de relier les femmes là où elles étaient et de les encourager à quitter cet endroit et à revenir dans leur collectivité plutôt que de les isoler toujours davantage, avec de moins en moins de stimulation. Malheureusement, les événements ont évolué de façon contraire — cellules d'isolation, sécurité, aucun contact humain, au point où parfois je ne suis même pas autorisée à accéder au secteur d'isolement pour rendre visite à ces femmes. C'est ce qui a causé la mort d'Ashley Smith. Nous négocions toujours un accès à ces endroits.
Vous avez raison, la consultation a commencé.
Pour ce qui est de la reddition externe de comptes, j'estime que les meilleures recommandations que moi-même et notre organisation avons formulées jusqu'à maintenant sont celles que Louise Arbour a faites. Plutôt que de chercher à reproduire ou à reformuler ces recommandations, je me contenterai de les résumer.
Elle a dit que s'il y a interférence correctionnelle avec l'administration d'une peine, il devrait y être possible de revenir en arrière et de revoir la sentence. Par exemple, certaines des femmes qui font partie du protocole de gestion représentent des cas particuliers. Il y a le cas d'une femme qui a commencé à purger une peine de trois ans et qui a maintenant accumulé des peines qui totalisent plus de 20 années, tout cela au sein de la prison. C'est un phénomène que nous n'avons pu percevoir au moment où j'ai commencé ce travail et au moment où le commissaire amorçait son travail, alors que l'enquêteur correctionnel commençait lui aussi son travail. Je reviens tout juste des Nations Unies où certains pays d'Europe ont exprimé leur horreur d'apprendre qu'il est possible d'accumuler des accusations et des peines d'emprisonnement de cette manière dans un contexte correctionnel qui met en cause des gens qui sont incarcérés parce qu'elles ont des défis considérables à surmonter. Plutôt que d'accumuler de plus en plus d'accusations et de peines de plus en plus longues, il faudrait plutôt aborder le problème d'un point de vue différent et tenter de percevoir ces difficultés comme des lacunes administratives. C'est bien le cas parce qu'éventuellement, ces personnes seront punies en milieu carcéral et finiront par obtenir des peines supplémentaires à purger.
Je pense que la mise en place de ce mécanisme de reddition externe de comptes et de surveillance judiciaire dont Louise Arbour a parlé pourra faire bouger les choses. Par exemple, la modification d'ensemble du contexte que j'ai demandée il y a plusieurs années pour faire en sorte que les gens comprennent bien les questions autochtones, pour élaborer des programmes appropriés qui seraient administrés au moment approprié pour chaque personne.
Les cadres supérieurs du Service correctionnel de même que d'autres personnes qui travaillent en première ligne au sein des établissements correctionnels, des agents, nous demandent de plus en plus, et surtout depuis les deux dernières années, d'intervenir dans certaines situations. Au moment où j'ai amorcé ce travail, je n'aurais jamais pensé qu'on nous demanderait de poursuivre le Service correctionnel ou qu'on nous demanderait de déposer davantage de plaintes concernant les droits de la personne, ou qu'on nous demanderait d'exercer davantage de pressions externes pour que les choses changent, parce que les personnes qui sont à l'intérieur des établissements se dépourvues. Selon moi, il y a un besoin essentiel de supervision externe pour amorcer le changement parce qu'à l'intérieur des établissements, il y a de plus en plus une mentalité de bunker. Les gens ne se sentent plus en sécurité, ce qui crée des conditions de travail non sécuritaires. Cela crée des conditions non sécuritaires pour les détenus également. En bout de ligne, tout cela constitue un risque plus élevé pour le public lorsque les gens sont libérés, surtout si nous n'avons pas pu traiter les problèmes qui, au départ, ont poussé les gens dans le système carcéral.
:
Bonjour et merci d'être venue.
Je connais assez bien la Société Elizabeth Fry qui, selon moi, est un exemple de réussite en Colombie-Britannique. Vous avez mentionné qu'elle a commencé ses activités en 1939. Pendant les années de guerre, il y a eu des visites dans les prisons et cette activité s'est répandue à l'échelle du pays. Je pense qu'il est très important de noter qu'il n'y a pas d'équivalent international, du moins à ce que je sache. Il s'agit d'une institution phare canadienne.
Au cours des 30 premières années de son existence, la Société Elizabeth Fry n'a reçu aucune aide financière du gouvernement. C'est en 1969 que les premières subventions fédérales lui ont été versées. À l'époque, la condition était que la société constitue une organisation parapluie nationale, qui est en quelque sorte la base de l'organisation que vous représentez aujourd'hui.
J'ai grandi dans une maison pleine de personnes qui appartenaient à la Société Elizabeth Fry. Ma mère était engagée. Elle s'est jointe à l'organisation en 1959, et cette année, elle a reçu un certificat marquant ses 50 années de service, certificat qui porte votre nom. Vous étiez l'une des signataires. Elle a été très active et elle a visité des prisons dès le départ, puis elle a contribué à l'édification de la société basée à Vancouver. Elle en a été présidente à deux reprises, à 20 ans d'écart, dois-je ajouter.
La société a connu bien des premières. Elle a été la première à recevoir du financement de la SCHL pour des logements caritatifs et elle a ouvert la première maison de groupe pour femmes. Tout cela s'est produit en 1965. Ce sont là des souvenirs que j'ai pu partager avec ma mère sachant que vous veniez nous rencontrer.
Elle se rappelle combien sa cause était peu populaire en 1959. Elle distinguait ce qu'elle appelait les « bien pensant » de ceux qui faisaient le bien. Cette activité un peu folle à laquelle elle participait faisait l'objet de nombreuses critiques au sein de son cercle de connaissances, mais il s'agissait d'une bonne cause.
Il existe un très bon ouvrage de référence sur les 50 ans de la Société Elizabeth Fry en Colombie-Britannique. Il s'intitule Women Volunteer to Go to Prison: A History of the Elizabeth Fry Society of British Columbia, 1939-1989, de l'auteur Lee Stewart. Dans la couverture intérieure, on peut lire « Cet ouvrage est dédié à la mémoire de femmes remarquables, les fondatrices de la Société Elizabeth Fry, qui ont épousé une cause impopulaire lorsqu'elles se sont portées volontaires pour aller dans les prisons ». Il s'agit là de renseignements qui constituent l'historique de la société.
Quand j'ai consulté votre page Web, un des principes énoncés m'a frappé. Je n'en avais jamais pris conscience auparavant et je pense que cela devrait intéresser de nombreuses personnes. Votre troisième principe se lit comme suit: « Les femmes qui sont criminalisées ne devraient pas être incarcérées ». Qu'est-ce que cela signifie?
:
Je suis heureuse que vous ayez évoqué l'action de votre mère. Elle a accompli un travail remarquable et beaucoup d'entre nous ont puisé leur inspiration dans ce qu'elle a fait. Nous souhaitons d'ailleurs lui remettre une broche commémorative et j'aimerais bien m'entretenir avec vous après la séance pour que vous me disiez comment je peux la joindre.
Quant au principe dont vous venez de parler, il a été formulé il y a environ 20 ans, à l'époque où l'on s'est aperçu qu'un nombre croissant de femmes étaient incarcérées. Vous posez la question alors que je reviens d'une réunion organisée dans le cadre des Nations Unies pour étudier l'élaboration de normes minimums applicables au traitement des détenues. Deux choses ont été décidées à cette réunion; la première c'est qu'il convient de rechercher des solutions autres que l'incarcération et deux, qu'il existe, à l'échelle mondiale, un projet devant aboutir à l'élimination complète des prisons pour femmes, car il est avéré que la majorité des femmes qui sont incarcérées le sont en raison de leur réaction à des situations auxquelles elles étaient confrontées.
Cela ne veut aucunement dire qu'il n'y ait jamais lieu de maintenir certaines personnes à part pendant un temps plus ou moins long, soit pour les protéger d'elles-mêmes, soit pour protéger les autres. Il s'agit bien, cependant, de supprimer un système carcéral dont le but était de protéger la communauté contre les hommes violents. Il nous faut donc prendre pour point de départ les besoins spécifiques des femmes.
Voici comment on en est venu à définir ce principe. Le groupe de travail avait fini par constater que, dans les divers pays où la réforme carcérale était à l'ordre du jour, aucune des mesures les plus progressistes n'avait finalement donné les résultats voulus. J'ai parlé un peu plus tôt des pavillons de ressourcement pour les détenues autochtones. Tout le monde était convenu que, dans les nouvelles prisons construites au Canada, les femmes devraient être hébergées dans des conditions de sécurité minimale dans la mesure où, là encore, tout le monde reconnaissait que la plupart des femmes ne posent aucun risque pour la collectivité. Les rapports qui se sont succédé, que ce soit le rapport Arbour, le rapport des droits de la personne, les rapports de l'ONU, les rapports de l'enquêteur correctionnel, tous ces documents vont dans le même sens. L'idée était de donner aux détenues la possibilité de sortir de temps à autre des murs et, effectivement, au départ, les programmes actuellement offerts en prison étaient censés être donnés non pas à l'intérieur de la prison, mais bien à l'extérieur. Les détenues étaient censées pouvoir se livrer à des activités non pas en milieu carcéral, mais au sein même de la communauté.
La semaine dernière, lorsque je me suis entretenue avec des représentants de divers pays européens, c'est justement de ce modèle-là qu'ils ont parlé. Dans certains pays, on a construit des centres d'accueil en milieu libre. Les femmes détenues peuvent s'y rendre pour s'occuper de leurs enfants, elles peuvent entamer des études et même se trouver un travail, ne retournant en prison que le soir venu. Voilà le régime qui était envisagé. On prenait comme modèle la prison Shakopee, dans l'État du Minnesota. Cette prison continue à n'avoir ni murs d'enceinte ni grillages. Les autorités carcérales avaient récemment décidé de l'entourer d'une clôture, mais les citoyens ont protesté, rappelant que la prison existait depuis 100 ans et que la communauté s'était développée autour d'elle. Nous n'avons toujours pas poussé suffisamment loin notre réflexion pour trouver des moyens plus constructifs d'administrer les peines.
:
Merci, monsieur le président.
J'espère pouvoir vous fournir quelques éléments utiles même si je sais que d'autres en auront beaucoup plus à dire que moi quant à l'application pratique de cette théorie de l'honneur de la Couronne et au sujet de la manière dont ils espèrent voir cette doctrine évoluer.
J'ai lu le compte rendu de vos délibérations du 8 octobre et j'ai pu voir que M. Pryce, du ministère fédéral de la Justice, vous a présenté une brève, mais très bonne, introduction à ce sujet.
J'ai pensé qu'en l'occurrence, la meilleure chose à faire serait de vous donner un bref résumé de la manière dont la Cour suprême du Canada a précisé tant le contenu que le rôle de la doctrine de l'honneur de la Couronne.
Il convient de préciser que cette doctrine, telle qu'elle s'applique aux peuples autochtones, a pour l'essentiel été élaborée par la Cour suprême du Canada, au cours des 10 dernières années. La petite note que j'ai remise au greffier, et qui a dû vous être distribuée, retrace l'évaluation jurisprudentielle de cette doctrine, la Cour suprême finissant par y voir une doctrine essentielle et précisant à l'occasion des affaires dont elle a été saisie, les effets qu'entraîne son application.
J'aimerais d'abord, en quelques minutes, parcourir avec vous ce document. On voit, au début, ce que la cour dit de la situation d'avant 1982. Comme vous pouvez le voir, le document comporte trois brefs extraits de jurisprudence.
Selon l'arrêt Sparrow, il n'y a pas de doute qu'au fil des ans, les droits des Indiens ont souvent été reconnus par suite d'une violation [...]. Ce n'est pas avec beaucoup de fierté que nous pouvons rappeler le traitement réservé aux Autochtones de notre pays, etc.
Il y a, ensuite, en 1999, l'arrêt Marshall. L'affaire avait été portée devant la Cour suprême en appel d'une décision des tribunaux de la Nouvelle-Écosse. M. Marshall, et plusieurs de ses collègues, se voyaient reprocher une pêche aux anguilles. Le juge Binnie, s'exprimant au nom d'une majorité de la cour, relève que jusqu'à l'édiction de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits des peuples autochtones pouvaient être écartés par des dispositions législatives valides aussi facilement que pouvaient l'être les droits et libertés des autres habitants.
Et puis, il y a, en 2001, l'affaire Mitchell qui va essentiellement dans le même sens: les droits ancestraux étaient, jusqu'en 1982, vulnérables aux règles pouvant être édictées par le Parlement dans le cadre d'un règlement d'application.
Et puis, en 1982, il y a l'article 35 de la Loi constitutionnelle qui, en matière de droits autochtones, de droits ancestraux et de droits issus de traités, est vraiment le tournant décisif. En 1982, en effet, dans le cadre du rapatriement de la Constitution, le Canada se dote de la Loi constitutionnelle de 1982, dont le paragraphe 35(1) prévoit que:
Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
La cour a bien sûr dû préciser ce que cela signifie en pratique. N'oublions pas, qu'à l'époque, de nombreuses personnes se disaient « Je veux bien. La cour va constater que la Constitution déclare que les droits des peuples autochtones sont reconnus et confirmés, mais cela ne changera pas grand-chose. » Certains d'entre vous se souviennent que c'est en fait ce qui s'était produit il y a de cela de nombreuses années avec la Déclaration canadienne des droits.
Mais ce n'est pas l'approche que la Cour suprême a retenue. À partir de l'arrêt Sparrow, qui date de 1990, la cour considère que l'article 35 doit être interprété en fonction de l'objet même de la disposition. Cela veut dire que cette disposition a effectivement un objet et qu'on ne peut pas simplement s'en tenir à cette formule relativement banale, selon laquelle les droits des peuples autochtones sont reconnus et confirmés. D'après la cour, cette disposition tend en effet vers un but. C'est ce qu'affirme la cour dans l'arrêt Sparrow.
On voit, à la page suivante, que petit à petit la Cour suprême précise quel est ce but au juste. Ainsi qu'on peut le voir d'après cet extrait de l'arrêt Van der Peet, la cour affirme que la loi a un objet et que cet objet est de concilier les droits préexistants des Autochtones avant l'arrivée des Européens, c'est-à-dire en fait leur présence, et l'existence de sociétés et de lois autochtones, avec la souveraineté de la Couronne, et avec les droits et aspirations de l'ensemble de la société canadienne dont les Autochtones font partie.
Puis, en 2005, dans l'arrêt Mikisew, le juge Binnie, dans la première phrase des motifs rédigés au nom de la cour s'exprime en ces termes:
L’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension.
Peu après 1982, avec l'arrêt Nowegijick, qui date de 1983, la Cour suprême commence à se doter, et à doter les tribunaux canadiens, d'une série de doctrines permettant à terme d'aboutir à cette réconciliation qui est l'objet même de la disposition constitutionnelle en cause. Selon la cour, les traités et les lois visant les Indiens, et la Constitution même doivent recevoir une interprétation libérale.
Deuxièmement, certains prétendaient que les droits ancestraux et les droits issus de traités avaient été éteints avant 1982. Mais, la simple lecture de la disposition constitutionnelle porte à se demander qu'elle avait été la situation avant cela. Mais, selon la cour, les droits ancestraux et les droits issus de traités ne pouvaient avoir été éteints que si la Couronne avait exprimé, dans le cadre de sa législation, l'intention claire et expresse de les éteindre. On voit un exemple de cela en matière de pêche et de chasse. Au fil des ans, les droits de pêche et de chasse des peuples autochtones ont, bien sûr, été réglementés de nombreuses fois, que ce soit au niveau du nombre de prises autorisées, ou de la réglementation des saisons ou des moyens de pêche et de chasse. On a fait en outre valoir devant la cour que les droits ancestraux que la Constitution reconnaît et confirme ne peuvent être que les droits existant au 17 avril 1982, avec toutes les limites que pouvaient leur avoir imposées les divers textes législatifs ou réglementaires.
Or, la cour a estimé que ce n'était pas le cas, car selon elle, les droits des peuples autochtones sont restés en l'état et ne sont, à cet égard, guère affectés par les divers textes portant leur réglementation. Pour que ces droits aient été éteints, il aurait fallu que la Couronne manifeste clairement et expressément la volonté de les éteindre.
Selon d'autres doctrines, les Autochtones conservent une importante part d'autonomie et la Loi sur les Indiens tente de parvenir à un équilibre entre protection et autonomie. Cela étant, il y a lieu de tenir compte à la fois du point de vue des Autochtones à l'égard de leurs droits, et de la common law. Encore une fois, il s'agit là de doctrines élaborées par la cour.
Je précise que la Couronne a des obligations de fiduciaire dont le respect peut être obtenu par des recours de droit privé, tels que l'indemnisation et l'injonction, dans l'hypothèse, et cela est à retenir, où l'activité de la Couronne vise des droits légaux identifiables et spécifiques d'un peuple autochtone, concernant, par exemple des intérêts financiers ou de l'argent. La Couronne est assimilée en quelque sorte à un fiduciaire. Ce simple fait constitue un droit légal identifiable et, cela étant, les obligations fiduciaires de la Couronne sont susceptibles d'exécution par des recours de droit privé.
Le juge Binnie ajoute, et je crois que c'est dans l'arrêt Wewaykum, qu'un quasi-intérêt propriétal concernant, par exemple, des terres faisant partie d'une réserve, est considéré comme un droit identifiable et spécifique, susceptible de donner naissance à une obligation fiduciaire, ce qui n'est pas vrai d'un programme gouvernemental de prestations. Selon la cour, en effet, un tel programme ne crée pas pour le gouvernement une obligation de fiduciaire envers les peuples autochtones.
Deux derniers points sont particulièrement importants. D'abord, les droits ancestraux et les droits issus de traités sont des droits sui generis, c'est-à-dire, qu'ils forment une catégorie à part, ce qui veut dire que la cour est à même de les modeler, d'en expliquer la signification, de les examiner dans toutes leurs permutations et leurs combinaisons et, chemin faisant, d'élaborer un nouveau droit. Je me défends de tout cynisme, car il s'agit en l'occurrence d'une noble cause, mais un droit sui generis est un droit dont le contenu est évidemment évolutif. Or, c'est la cour elle-même qui en a fait des droits sui generis.
Et puis, il y a la doctrine qui, en l'occurrence, retient plus précisément l'attention du comité, c'est-à-dire la doctrine de l'honneur de la Couronne. La cour considère que l'honneur de la Couronne est toujours en jeu dans les relations entre le gouvernement et les peuples autochtones et les tribunaux exigent donc que la Couronne se comporte, dans telle ou telle situation, conformément à la manière dont les tribunaux interprètent ce que cet honneur exige.
Ces deux dernières doctrines, c'est-à-dire celle de la nature sui generis des droits ancestraux et issus de traités et celle de l'honneur de la Couronne, se prêtent au modelage et à l'élargissement.
Pour ce qui est de l'honneur de la Couronne, j'ai tenté, à la dernière page du document, de cerner les cinq moyens importants dégagés par la Cour suprême pour parvenir à la nécessaire conciliation.
:
Merci, monsieur le président.
Permettez-moi de passer très vite sur ces cinq moyens. Le premier est le cadre justificatif. Il découle de l'arrêt Sparrow de 1990. Il s'applique en cas d'atteinte, par la Loi sur les pêcheries, par exemple, à un droit ancestral ou un droit issu de traités. C'est la cour qui a exigé ce cadre justificatif. Selon la cour, le Parlement, qui est à l'origine de toute législation déléguée, n'est aucunement impuissant et peut agir sur les droits des peuples autochtones, mais il faut que toute atteinte à des droits ancestraux puisse se justifier. Pour vérifier qu'il en est bien ainsi, la cour a recours au concept d'honneur de la Couronne.
Deuxièmement, la cour s'est dit prête à suppléer les lacunes des traités. Beaucoup de traités avaient été conclus de manière très informelle. Ce n'est manifestement pas le cas des traités ultérieurs, c'est-à-dire des traités modernes, à commencer par ceux conclus par le Québec ainsi que les traités conclus jusque dans les années1990 et même au-delà. Ces traités ne sont ni simples ni informels, mais les traités plus anciens l'étaient. La cour estime devoir, afin de dégager des traités un résultat sensé et protéger l'honneur et la dignité de la Couronne, suppléer les lacunes des traités. C'est ce qu'a décidé, en 1999, le premier arrêt Marshall, concernant les droits de pêche en Nouvelle-Écosse.
Et puis, lorsqu'il n'y a pas de traité, la Couronne a le devoir de mener des négociations pour en conclure un. Il ne s'agit pas simplement d'une politique avisée, mais bien d'une obligation juridique. Cela ressort d'un arrêt de 2004, la Nation Haida c. Colombie-Britannique. Comme vous le savez sans doute, dans de nombreuses régions du Canada, il n'y a pas eu de traités. Cela devient de moins en moins vrai étant donné les traités récemment conclus dans le Nord, mais c'était jusqu'à récemment, le cas dans la partie continentale de la Colombie-Britannique et dans d'autres régions du Canada.
On dit souvent que le territoire sur lequel nous nous trouvons actuellement fait l'objet d'une revendication territoriale. Aucun traité n'a, en effet, négocié l'aliénation, à l'est de Mattawa, des territoires situés sur les deux rives de la rivière des Outaouais. Les Algonquins du Québec et de l'Ontario estiment avoir sur ces territoires des droits ancestraux fondant une revendication territoriale. Aucun traité n'a été conclu avec ces peuples. Cela étant, la Couronne a une obligation légale, même une obligation constitutionnelle, de négocier des traités.
Les deux derniers moyens que je tiens à évoquer sont liés, et concernent une obligation de consultation. L'honneur de la Couronne exige que lorsqu'elle envisage quelque chose ou autorise quelque chose — une concession octroyée à un particulier par exemple — susceptible de porter atteinte à l'exercice d'un droit ancestral, d'un droit issu de traités ou d'un titre aborigène, la Couronne est tenue de consulter le peuple autochtone concerné. Cela vaut à la fois lorsque le droit en question est bien établi, comme c'était le cas dans l'affaire Mikisew qui portait, en effet, sur un droit issu de traités — ou lorsque, comme dans l'affaire Haida et diverses autres affaires survenues en Colombie-Britannique ou dans le Nord, les droits en question ne sont pas encore établis. Il s'agit, dans cette hypothèse, de droits dont l'existence n'a pas été démontrée et qui n'ont fait l'objet d'aucun traité. Si un projet minier ou forestier risque de porter atteinte à ces droits, la Couronne est tenue, tant que la revendication n'a pas été réglée, de consulter le peuple autochtone concerné.
Cette consultation doit tendre aux adaptations requises par le droit revendiqué.
Et je pourrais continuer encore longtemps.
:
Merci, monsieur le président.
Je tiens, monsieur McCabe, à vous remercier de votre présence ici.
J'ai pris soin de parcourir votre livre et de prendre connaissance de la note d'information que vous nous avez fait remettre et je dois dire que même pour moi qui, en tant qu'avocat, aie eu à étudier bon nombre de ces questions, la lecture n'en est pas facile.
La jurisprudence dont vous faites état dans votre note d'information et diverses autres affaires foisonnent de renseignements concernant les pratiques traditionnelles ou l'emploi des ressources terrestres et aquatiques. Tout cela pose bien sûr la question de la manière de répondre aux besoins des communautés des premières nations et de la nécessité de les faire participer aux grands projets de développement économique. Il nous est donc très utile de recueillir l'avis d'un spécialiste de ces questions.
J'aimerais aborder avec vous certains aspects économiques de la situation sur laquelle nous nous penchons actuellement, et reprendre la question importante que Mme Crowder vous a posée au sujet du développement économique. Nous ne pouvons pas, en effet, avant d'entreprendre, toujours attendre que la Cour suprême se prononce.
Je ne parle pas en cela des divers droits qui peuvent être revendiqués par les peuples autochtones mais, plutôt, de développement économique. Cela étant, je vous demanderais de tirer de l'excellente analyse juridique à laquelle vous vous êtes livré, certains enseignements pratiques.
Nous avons évoqué le rapport fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones, et les obligations qui en découlent. La Commission royale sur les peuples autochtones a reconnu qu'il s'agissait dans tout cela de parvenir à un équilibre entre les droits et les obligations. L'arrêt Wewaykum, dont vous faites état à la page 4 de votre note d'information, dans une optique légèrement différente de celle qui est la mienne en l'occurrence, précise que la Couronne n'est pas un fiduciaire comme les autres. Ses obligations doivent prendre en compte les intérêts de toutes les parties concernées, ce qui englobe des droits autres que ceux qui sont garantis à l'article 35.
Cette précision me paraît importante en vue de la question circonstancielle que j'entends vous poser. Certaines des revendications territoriales sont en cours de ratification. Ces ententes règlent diverses questions, y compris, notamment, celle des droits concernant les biens matrimoniaux, l'utilisation des ressources, et la participation aux avantages économiques.
Cela étant, quelles sont les questions sur lesquelles la cour va devoir se pencher, compte tenu des cadres réglementaires qui, petit à petit, sont mis en place, et les ententes qui sont intervenues pour régler les revendications territoriales? De nombreuses premières nations ont manifesté leur enthousiasme pour divers projets de développement économique, car cela va leur permettre de participer pleinement aux stratégies économiques régionales, voire nationales.
:
Merci, monsieur Duncan.
Je vous remercie, monsieur McCabe, d'avoir pris le temps de nous entretenir d'un sujet complexe, mais qui revêt un très grand intérêt dans le contexte des questions sur lequel le comité a à se pencher.
Mesdames et messieurs les membres du comité, avant de lever la séance, il va nous falloir régler très brièvement quelques questions. La première concerne ce que Mme Crowder a dit plus tôt. Elle vient de déposer une motion. Je vais en donner lecture aux fins du compte rendu. Nous n'aurons pas à nous prononcer sur cette motion aujourd'hui, mais nous l'inscrirons à l'ordre du jour de la séance de jeudi. Je vais tout de même vous en donner lecture maintenant afin que vous puissiez y réfléchir avant que nous en discutions jeudi. En voici le texte:
Que le comité a considéré le rapport 2008-2009 du Bureau de l'enquêteur correctionnel et son supplément intitulé « Des bonnes intentions... des résultants décevants » et recommande la mise en oeuvre des recommandations de l'enquêteur correctionnel, et que le rapport de l'adoption de cette motion soit fait à la Chambre.
La motion est jugée recevable et nous en discuterons jeudi.
Il reste deux points à régler.
En ce qui concerne jeudi, la ministre n'a pas pu, étant donné la brièveté du préavis, se libérer pour comparaître devant le comité dans le cadre de l'examen du Budget des dépenses supplémentaires (B), et nous allons donc, comme le comité l'avait demandé, accueillir certains de ses collaborateurs ministériels. Nous souhaitions nous pencher sur ce budget, ce que nous allons faire jeudi. Nous allons donc devoir reporter la comparution du témoin que nous avions prévu d'entendre jeudi. Je ne suis pas encore en mesure de préciser dans quelle salle aura lieu notre séance.
Et puis, enfin, le sous-comité s'est réuni ce matin et a recommandé que la séance du 10 décembre soit annulée pour que les membres du comité puissent, jeudi, assister à une partie de l'assemblée spéciale des chefs qui doit avoir lieu ici à Ottawa. L'Assemblée des Premières nations aura lieu ici à Ottawa la semaine prochaine, et la dernière réunion se tiendra jeudi matin, jusqu'à midi. Cela donnera aux membres du comité la possibilité d'y assister le 10 décembre, c'est-à-dire jeudi prochain.
Voilà qui conclut l'ordre du jour d'aujourd'hui.
Encore une fois, monsieur McCabe, merci.
La séance est levée.