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AANO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord


NUMÉRO 041 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 1er décembre 2009

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Français]

     Bonjour, mesdames et messieurs les députés, invités et témoins. Nous commençons la 41e rencontre du Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord. À l'ordre du jour, les constatations dans le rapport de l’enquêteur au sujet de l’incarcération de femmes autochtones.
    Ce matin, nous accueillons Mme Kim Pate, directrice exécutive de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

[Traduction]

    Mme Pate représente l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.
    Chers membres du comité, vous savez que nous disposons d'une heure pour cette séance, après quoi, nous reprendrons l'examen de l'honneur de la Couronne.
    Madame Pate, nous vous accordons 10 minutes pour vos observations préliminaires. Ensuite, nous passerons directement aux questions des membres.
    Allez-y avec votre présentation.
    Merci beaucoup. Je vous remercie monsieur le président de nous avoir invités. Notre présidente, Mme Lucie Joncas, prévoyait assister à cette rencontre avec moi, mais elle a dû y renoncer en raison d'autres engagements. Elle vous prie de bien vouloir excuser son absence.
    Compte tenu que c'est la première fois depuis un certain temps que nous comparaissons devant votre comité, j'ai pensé qu'il serait utile de vous décrire un peu notre organisation et de commenter quelques-unes des questions qui se rapportent particulièrement aux femmes autochtones qui sont incarcérées.
    Certains d'entre vous savent que je fais ce travail depuis maintenant 26 ans. J'ai commencé au début avec les jeunes gens, dont plusieurs étaient des Autochtones, étant donné que j'ai commencé à travailler en Alberta, puis j'ai travaillé au niveau national avec des hommes. Au cours des 18 dernières années, j'ai travaillé avec des femmes qui sont détenues dans des prisons fédérales, mais j'ai aussi fait du travail à l'échelle internationale.
    L'organisation compte 25 membres au pays. Comme plusieurs d'entre vous le savez, il s'agit d'organisations bénévoles non gouvernementales. Les 25 sociétés au pays comptent environ 582 employés, dont la moitié sont à temps partiel et la moitié à temps plein, et plus de 1 200 bénévoles. L'an dernier, il y avait 1 243 bénévoles. Nous avons donc une solide base communautaire et nous pouvons compter sur cette base pour préparer les politiques et accomplir le travail pratique que nous faisons à partir du bureau national.
    C'est ainsi que nous travaillons avec des femmes autochtones depuis 25 ans, c'est-à-dire depuis les débuts de l'organisation et aussi depuis la création de la toute première société Elizabeth Fry en Colombie-Britannique, il y a 70 ans. Un des aspects les plus importants pour nous est que les femmes constituent la proportion de la carcérale qui connaît la croissance la plus rapide au pays et aussi dans d'autres parties du monde. Qui plus est, cette croissance est astronomique quand on pense aux femmes autochtones.
    Il y a les rapports de l'Enquêteur correctionnel, mais aussi des rapports successifs qui été publiés au fil des ans depuis que je suis avec cette organisation, à commencer par le rapport du Groupe de travail sur les femmes purgeant une peine fédérale en 1990, celui de la Commission Louise Arbour en 1996, le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne en 2004 et plusieurs autres documents publiés par les Nations Unies. La semaine dernière, j'ai assisté à des rencontres des Nations Unies qui portaient sur le traitement des femmes incarcérées, plus particulièrement de la surreprésentation des femmes autochtone, une situation qui pose problème dans bien d'autres pays du monde. Il y a aussi les rapports que vous examinez, en particulier le rapport Mann et le rapport annuel de l'Enquêteur correctionnel. Tous ces rapports documentent très clairement les répercussions discriminatoires, la discrimination systémique de même que certaines formes de discrimination découlant de politiques, qu'il s'agisse de discrimination en fonction du sexe ou d'un handicap, surtout chez les femmes qui ont des problèmes de santé mentale, par exemple.
    Je ne pense pas qu'il faille revenir sur cela. J'ai vous ai fait distribuer des documents afin que vous ayez en main certaines de nos fiches d'information. En général, nous les distribuons durant la première semaine de mai. De plus, il y toujours une Semaine nationale Elizabeth Fry au cours de la semaine qui précède la fête des Mères afin d'attirer l'attention sur le nombre de femmes qui sont incarcérées et qui sont mères.
    Je suis très intéressée de tenter de répondre aux questions que vous aurez à me poser. Qu'il suffise de dire que l'une des tendances que nous observons, et dont vous avez sûrement entendu parler par l'Enquêteur correctionnel et le Service correctionnel du Canada, est que les femmes autochtones en particulier, de même que des hommes et des jeunes gens sont surreprésentés dans le système carcéral. Nous l'observons dans les pratiques d'accusation, dans les pratiques de détention, dans les pratiques en matière de déclaration de culpabilité et de prononcé de sentence. Quand ces gens sont incarcérés, on note une surclassification, un accès plus limité aux programmes, une plus grande difficulté d'accès à aux libérations conditionnelles et, dans le cas des personnes qui parviennent à obtenir une libération conditionnelle, une plus grande probabilité que cette libération soit révoqué, ce qui entraîne un retour en prison.
(1110)
    Ce sont donc quelques-unes des répercussions que nous observons. Nous nous intéressons plus particulièrement au protocole de gestion, qui constitue une bizarrerie pour les femmes incarcérées. Et je crois comprendre que vous avez également un intérêt pour cette question. Je le dis parce que les répercussions du protocole de gestion ont entraîné un effet discriminatoire incroyable pour les femmes qui y ont été assujetties, et je suis fort heureuse que votre comité s'intéresse à ce problème. Nous dénonçons cette situation depuis le début. La première mouture de cette politique date de 2003. Nous l'avons dénoncée dès ce moment, particulièrement certaines des questions qui ont été malheureusement oubliées; nous aurions davantage aimé nous tromper à ce sujet, mais nous observons qu'il y a de plus en plus de gens dans des conditions d'isolement pendant de longues périodes et qui ont un accès réduit aux programmes, un accès réduit aux services et qui vivent dans des conditions d'isolement qui risquent d'amplifier plutôt que d'atténuer un comportement que le protocole de gestion doit corriger au départ.
    Aujourd'hui, les quatre femmes qui sont toujours assujetties au protocole de gestion sont des Autochtones. Une femme a été libérée récemment après avoir été retranchée du programme. C'est la deuxième fois qu'une personne parvient à se faire exclure du protocole de gestion. La première personne était quelqu'un qui, de l'avis de tous, y compris du personnel correctionnel, n'aurait jamais dû faire partie du programme. La deuxième était une femme qui a été enrôlée dans ce programme sur la base de renseignements obtenus alors qu'elle était détenue dans le système carcéral provincial. Par la suite, on a relevé des erreurs et il a fallu près de six mois pour que les renseignements soient corrigés et que la personne soit retirée du protocole de gestion.
    La septième personne qui a été participé au protocole de gestion a été libérée de prison directement, mais on l'a enchaînée pendant le déplacement vers l'extérieur de sa cellule, on lui a mis les menottes dans le dos et on l'a revêtue d'un vêtement de sécurité, et deux ou trois — ce pouvait être jusqu'à cinq — gardes de sécurité l'ont accompagnée pour son retour dans la collectivité. Cette femme n'a pas commis les crimes haineux que tous avaient anticipés parce qu'elle avait été soumise au protocole de gestion. Je pense que c'est cela qui a poussé le Service correctionnel du Canada à entreprendre l'examen actuel, de même que le nombre de cas qui sont en préparation et le fait que l'Enquêteur correctionnel a examiné s'est intéressé à ce dossier.
    Nous craignons que ce programme se soit remplacé par une mesure tout aussi condamnable. Je suis fort heureuse que votre comité examine cet aspect et que vous puissiez en arriver à formuler des recommandations très convaincantes sur la façon de remédier à la situation.
    Nous continuons d'exiger une reddition de comptes externe, plus particulièrement une surveillance judiciaire du Service correctionnel. La situation des femmes autochtones, des femmes autochtones qui ont des problèmes de santé mentale, montre bien la nécessité de cette mesure. Bien qu'il y ait une sous-commissaire pour les femmes, cette personne n'a pas l'autorité hiérarchique ni la capacité de modifier les décisions. Même si nous appuyons généralement les recommandations de l'Enquêteur correctionnel et que nous soutenons la recommandation en faveur de la création d'un poste de sous-commissaire pour les questions autochtones, nous craignons que le rôle de cette personne ne soit tout aussi inutile que celui de la titulaire du portefeuille des femmes.
    Je vous mets donc en garde à cet égard. De fait, nous avons besoin de mécanismes pour une plus grande reddition de comptes, de la capacité de déclencher des examens et, selon nous, des examens judiciaires, des examens qui pourraient amener les tribunaux à se pencher sur ces questions de la manière recommandée par Louise Arbour lorsqu'elle a examiné ce qui s'était passé dans les prisons pour femmes en 1994.
    Ce sont mes observations préliminaires. Je serai heureuse de tenter de répondre à vos questions et si je puis vous fournir les renseignements supplémentaires, j'essaierai de le faire également. Merci.
    Merci, Mme Pate.
    Nous passons maintenant aux questions des députés. Il s'agit d'un tour de table de sept minutes. À titre d'information, sachez que ces sept minutes couvrent à la fois les questions et les réponses.
    Nous amorçons le premier tour de table. Je n'ai encore personne sur ma liste.
    M. Russell posera la première question.
    Vous disposez de sept minutes. Allez-y.
    Je partagerai le temps qui m'est alloué avec M. Bagnell.
    Merci d'avoir accepté de comparaître devant notre comité. Votre venue tombe à point, compte tenu que tout le monde parlera de violence faite aux femmes au cours de la semaine qui vient ou en prévision de l'anniversaire du massacre survenu à Montréal.
    J'ai posé ma question à M. Sapers et je vous la pose également. Nous connaissons les faits. Ils sont inacceptables. Il faut faire quelque chose. C'est presque de la revictimisation, si vous revenez sur le fait que plusieurs Autochtones se retrouvent en prison en raison de circonstances sociétales ou de connaissances et de faits historiques et de choses de cette nature. S'il y a discrimination systémique dans le système, ce qui peut, d'une certaine façon, être un reflet de la société, est-ce que la situation changera? Ainsi que le commissaire nous l'a dit, nous avons maintenant des directions — des ADC, je crois — qui apportent un tout nouveau contexte de reddition de comptes. S'il y a discrimination systémique, est-ce que le fait de prendre de telles mesures permettra d'apporter des changements ou s'il faut vraiment que l'architecture complète du SCC soit modifiée?
    J'espère que vous comprenez ce que je veux dire. Vous dites qu'il faut garder la même architecture, mais il existe des mécanismes externes de reddition de compte ou de surveillance judiciaire ou les deux et vous dites avoir des réserves quant à la création d'un poste de commissaire qui se chargerait des affaires autochtones. Je vous demande donc ce qu'il faut faire d'autre pour corriger la situation s'il y a vraiment discrimination systémique et si l'architecture elle-même est corrompue?
(1115)
    Merci beaucoup d'avoir posé cette question.
    J'espère avoir été claire. Assurément, nous ne dirions pas qu'il faut que le système demeure le même et que quelques mesures de reddition de comptes suffiraient pour que les choses changent. Ce n'est pas le cas. Je vous remercie donc de me fournir la possibilité de clarifier ma pensée.
    Nous avons fait certaines recommandations. De fait, le rapport de la Commission canadienne des droits de la personne fait suite à une plainte que nous avons déposée conjointement avec l'Association des femmes autochtones du Canada, Amnistie Internationale et 24 autres groupes nationaux et internationaux. Nous faisions allusion à la nature systémique de la discrimination à l'endroit des femmes, particulièrement celles qui font l'objet de racisme et surtout les femmes autochtones, de même que les femmes qui ont des problèmes de santé mentale et les femmes en général.
    La plainte ne concernait pas seulement le Service correctionnel, mais elle portait aussi sur les coupures faites dans les services sociaux, les services de santé, en éducation et dans tous les secteurs qui s'adressent aux personnes les plus marginalisées et auxquels ces gens se raccrochent davantage. Ces services ont été dispersés, détruits dans certaines régions, et ces personnes en ont été entièrement privées. Il n'est guère surprenant que ces personnes soient les plus marginalisées, les plus victimisées et, par conséquent, celles qui comptent le plus sur ces services et que tous ces gens se retrouvent le plus souvent en prison. Je le répète, cela est perçu à l'échelle mondiale comme le facteur le plus important qui fait que les femmes constituent la population carcérale qui connaît la croissance la plus rapide. Ce n'est pas à cause de la criminalité. Ce n'est pas qu'il y ait une vague de crimes qui mettent en cause des femmes, particulièrement chez les femmes autochtones.
    Comme vous l'avez souligné — et je porte l'épinglette Sisters in Spirit — plusieurs femmes qui ont disparu et qui sont présumées mortes, qui ont été portées disparues et qui ont été tuées sont des femmes qui étaient connues de la justice criminelle. Il n'est pas acceptable de compter sur les prisons pour tenter d'éponger tout cela.
    Cela étant dit, j'estime que certaines choses peuvent être faites dans le contexte carcéral. Les femmes en général et plus particulièrement les femmes autochtones sont plus portées à plaider coupables de sorte que les accusations sont souvent nombreuses et lourdes. J'ai entendu diverses personnes du système correctionnel dire que les femmes obtiennent des peines plus courtes, particulièrement les femmes autochtones, et cela est vrai seulement si vous observez les accusations, les peines, mais non le contexte. Dans la plupart des autres contextes, ces accusations auraient fait l'objet d'un plaidoyer pour des peines réduites. La sentence paraît faible si vous ne regardez que les accusations. Si vous prenez acte du contexte, la peine paraît souvent très lourde.
    Il faut laisser un peu de temps à M. Bagnell pour intervenir. Il ne reste que deux minutes environ.
    D'accord. Je dirais que nous devons envisager des solutions de rechange avant que les gens n'aboutissent en prison et que ces solutions supposent de faire appel à la collectivité. Il faut examiner de meilleures opportunités pour les libérations et nous devons également apporter des changements de base aux obstacles systémiques comme le système de classification et la manière dont les gens sont examinés et identifiés lorsqu'ils entrent dans le système. À l'heure actuelle, si vous commencez dans la pauvreté, si vous n'avez pas de logement, si des membres de votre famille ont eu des problèmes avec la justice et si en plus vous n'avez pas d'instruction, vous risquez d'avoir un classement plus élevé dans l'échelle de sécurité. Ces problèmes ne signifient pas nécessairement que vous constituez un risque pour le public.
    À vous, M. Bagnell.
    J'ai relu le témoignage rendu lors de notre dernière réunion sur le sujet. J'ai n'ai que deux questions.
    Tout d'abord, vous avez dit que l'enquêteur correctionnel avait proposé plusieurs mesures qui feraient une différence, mais que ces mesures n'ont pas été mises en oeuvre. C'était comme s'il s'était frappé la tête contre un mur.
    Deuxièmement, j'aimerais commenter sur le fait que le commissaire du Service correctionnel a décrit toute une gamme de mesures que le service était à réaliser, bien que cela n'ait pas fait varier les données statistiques; il s'agit néanmoins de mesures en cours. Croyez-vous que toutes ces initiatives sont bonnes? Est-ce qu'elles contribueront à régler le problème?
(1120)
    J'estime que certaines des initiatives qui sont prises à l'occasion sont très bonnes. La question que vous devez vous poser et celle que je me pose toujours lorsque je visite les prisons — je visite régulièrement tous les pénitenciers fédéraux où sont incarcérées des femmes et nous avons des représentants régionaux qui le font régulièrement — est celle-ci: À quelle fréquence ces programmes ou ces services sont-ils offerts, combien de femmes en bénéficient et pendant combien de temps? Malheureusement, comme vous le savez, à la lumière des données statistiques fournies par l'Enquêteur correctionnel, par nous-mêmes et par d'autres intervenants, la surreprésentation des femmes et des hommes à des niveaux de sécurité élevés n'est pas accidentelle. Elle fait partie de la discrimination systémique. Mais cela signifie qu'à ce niveau vous avez moins d'accès aux programmes et aux services.
    Je dirais qu'il y a eu certaines initiatives nouvelles. La question principale est de savoir si les détenus autochtones y ont tous accès. L'expérience nous enseigne que tel ne serait pas le cas. Nous savons que seulement 18 p. 100 des femmes qui purgent des peines de ressort fédéral ont un niveau de classement de sécurité suffisamment faible pour avoir accès à ces services. Un niveau de classement de sécurité plus élevé signifie qu'elles n'y ont pas accès. Par exemple, on a conçu et aménagé un pavillon de ressourcement pour les femmes qui, à l'époque, se trouvaient incarcérées à la Prison pour femmes de Kingston, à tous les niveaux de sécurité. Cela se voulait une institution à plusieurs niveaux. Par contre, on n'y a jamais admis les femmes incarcérées dans un établissement à sécurité maximale. Bien souvent, ce pavillon n'accepte même pas les femmes incarcérées dans un établissement à sécurité moyenne.
    Nous devons nous nous en tenir à cela.
    Merci, Mme Pate.

[Français]

    Nous allons maintenant continuer avec M. Lemay.
    Je vais laisser mon collègue poser des questions, monsieur le président.
    Je connais bien la Société Elizabeth Fry et le travail remarquable qu'elle fait. Je tenais à vous le souligner et à vous remercier d'être présente parmi nous. Mon collègue a des questions très intéressantes pour vous.
    Merci d'être venue, madame. La semaine dernière, le comité a reçu le commissaire. Selon lui, le repentir est pratiquement inexistant chez les premières nations après une incarcération plus ou moins longue. Cela empêche, bien souvent, les libérations conditionnelles.
    Savez-vous pourquoi autant les hommes que les femmes ont tendance à s'isoler lorsqu'ils sont incarcérés? Cela peut-il dépendre du manque de personnel, d'appui ou d'écoute dans les pénitenciers ou dans les lieux de réclusion? Ou s'isolent-ils parce qu'ils ont le sentiment de n'être pas compris?

[Traduction]

    Je dirais que je n'ai pas eu à rencontrer des gens qui n'étaient pas réceptifs à la possibilité de s'engager dans des programmes ou dans des services ou dans une interaction quelconque. De fait, c'est plutôt le contraire. Habituellement, les programmes et les services ne sont pas conçus pour que les gens s'y engagent. Et cela ne vaut pas seulement pour les Autochtones, mais aussi pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale.
    Quand il est question de personnes qui, dans plusieurs cas, ont fait l'objet d'abus par le passé, quand il est question de femmes autochtones seules dans le système carcéral fédéral, le groupe de travail constitue le tout dernier examen complet. On constate que 90 à 91 p. 100 des femmes autochtones ont un historique d'abus. Quand on ajoute ce fait à des histoires concernant les pensionnats, au fait que des membres de la famille ont vécu dans des pensionnats et à l'intervention des services sociaux, on note un degré de méfiance élevé envers le système. Par conséquent, les méthodes les plus efficaces que nous avons trouvées pour inciter les gens à participer — de fait nous menons un projet qui découle du processus des droits de la personne, recommandé par plusieurs femmes autochtones — est un processus qui leur permet d'obtenir les compétences pour parler en leur propre nom.
    Les programmes les plus efficaces sont habituellement ceux qui mettent en cause les personnes elles-mêmes dans des activités et qui les mettent en contact avec des pairs. Les personnes qui sont passées par là y reviennent et offrent un certain soutien aux autres. Ce sont, à notre avis, les expériences les plus efficaces avec les Autochtones, femmes et hommes.
    On peut facilement imaginer ce que ce peut-être que de ne voir personne qui vous ressemble en ce qui a trait à votre expérience de vie, à votre classe, à votre niveau d'éducation. Plusieurs personnes au Canada ne sont jamais allées sur une réserve et n'ont aucune idée de ce que les conditions de vie peuvent être à ces endroits, parce que ces conditions sont inférieures à celles que l'on trouve dans la plupart des pays développés — pas d'eau courante, pas d'eau propre, pas de services publics appropriés, et ainsi de suite. Par conséquent, quand vous arrivez dans le système, vous ne savez pas comment négocier pour faire votre chemin, et le système n'est pas très convivial à ce chapitre. Ce sont là les éléments de départ.
    Ensuite, il y a un système de classement qui est basé, si vous me pardonnez l'expression, sur un modèle de classe moyenne très blanc, très masculin, de ce qu'est la société. Si vous n'avez pas de compte en banque avant d'entrer, si vous n'avez jamais eu d'emploi et si vous n'avez pas d'autres membres de la famille ou si vous êtes caractérisé par des conditions sociales que vous ne pouvez modifier et si ces conditions qui vous définissent, vous obtiendrez un classement beaucoup plus élevée dès le départ. Si vous avez un historique de violence, que vous soyez l'instigateur ou la victime, des points se rajoutent à votre dossier.
    Nous avons assez bien documenté ce fait dans nos présentations à la Commission des droits de la personne entre 2001 et 2003. Je suis heureuse de vous les fournir, si vous pensez qu'elles peuvent vous être utiles, parce qu'on y trouve des moyens qui pourraient permettre de renverser la vapeur. Nous avons aussi parlé de modèles de développement des capacités. Plutôt que d'affecter des ressources qui ne servent qu'à identifier le risque, c'est-à-dire convertir des besoins en facteurs de risque, nous devrions plutôt chercher à affecter des ressources en fonction de ces besoins pour identifier et développer des appuis, afin que des personnes soient à la fois supervisées dans un milieu structuré et soutenues pour être capables de survivre.
    À titre d'exemple, j'ai été éveillée jusqu'aux petites heures du matin hier pour préparer une présentation à la Commission nationale des libérations conditionnelles au nom d'une femme que je connais depuis 18 ans, une Autochtone qui se débrouille fort bien dans la collectivité. Elle peut être perçue comme une donnée statistique, comme une personne qui n'a pas très bien réussi, et pourtant, c'est le contraire. Voici ce qu'a été son existence: Abandonnée à bord d'un autobus à l'âge de six mois, trimballée dans le système, vie passée sur la rue, elle a dû apprendre à se battre pour se protéger, elle a fait face à des accusations d'assaut, elle a plaidé coupable à chacune des accusations qui s'appliquaient et elle a plaidé non coupable aux accusations pour lesquelles elle n'avait pas de responsabilité et elle a été acquittée dans la plupart des cas. Comme vous le savez, tout cela vous suit dans le système. Sur papier, elle représente un danger. Dans la réalité, chacune de ces situations représente une réaction à une attaque. Pourtant, cela ne l'excuse pas d'avoir eu recours à la violence.
(1125)

[Français]

    Je vais vous interrompre parce qu'une question très importante me vient à l'esprit. Avez-vous fait une évaluation de la représentation de ces clients par les procureurs? Les procureurs qui les représentent sont-ils réellement au fait ou au courant de la culture, de la façon de vivre de ces gens et de leur façon de penser principalement? Avez-vous fait une étude sur la capacité des procureurs à représenter la plupart de leurs clients?

[Traduction]

    Deux documents pourraient vous être utiles. Nous avons un plan de cours. Je suis coenseignante d'un cours à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa sur la façon de défendre les femmes battues qui sont citées à procès. Ce cours comporte une section complète sur les femmes autochtones et traite exactement de ce sujet, soit le manque de compréhension de la part des policiers, des procureurs, des avocats de la défense, des juges, du système carcéral. Nous passons en revue, par exemple, l'affaire Gladue et nous disons que cette cause ressemble à une tentative pour corriger un problème survenu plus tôt dans le système, alors que Jamie Gladue a été décrite comme ayant été prise d'une rage de jalousie et qu'elle avait tué son conjoint de fait. À la lecture des transcriptions de l'enquête préliminaire — ce que nous demandons aux étudiants en droit de faire — on constate que tel n'est pas le cas. Sa soeur venait tout juste d'être violée par cet homme et il venait tout juste de la battre et elle cherchait à s'échapper. Les événements se sont produits dans ce contexte. Pourtant, on n'a écouté que les témoins blancs, non autochtones. On a demandé à la plupart des témoins autochtones quelle marque de bière ils buvaient, de sorte que vous avez déjà une idée de l'approche biaisée. Une approche biaisée au plan systémique et aussi fortement axée sur la race de la personne. Quand vous lisez la décision du tribunal concernant la peine imposée dans l'affaire Gladue, vous constatez qu'il s'agit probablement d'une tentative pour corriger le traitement discriminatoire à ce stade du procès.
    Nous avons également cherché à intervenir avec l'Association des femmes autochtones du Canada. Ceux d'entre vous qui sont avocats savent que ce n'est pas habituel.

[Français]

    Merci, monsieur Lévesque.

[Traduction]

    Je suis heureuse de vous fournir ce renseignement. Il y a un document rédigé par —
    Merci beaucoup. C'est tout le temps dont nous disposons.
    Nous passons maintenant à Mme Crowder, qui dispose de sept minutes.
    Allez-y, Mme Crowder.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Si on considère les chiffres qui ont été cités, c'est-à-dire que 32 p. 100 des femmes incarcérées dans des établissements fédéraux sont des femmes autochtones, que le taux d'incarcération des femmes autochtones s'est accru de 151 p. 100 entre 1997 et 2007 et que 45 p. 100 des femmes qui sont condamnées à purger des peines dans un établissement fédéral à sécurité maximum sont autochtones, et ainsi de suite, il s'agit de chiffres assez révélateurs.
    Dans ce contexte, monsieur le président, il est important que notre comité rende compte à la Chambre des communes de cette question, afin que nous puissions montrer que le comité a pris cette question en considération.
    Il y a trois questions que j'aimerais que vous abordiez. Vous avez dit que dans le protocole de gestion il y a un processus qui est suivi. Premièrement, y a-t-il eu un processus de consultation avec des organisations comme la Société Elizabeth Fry, l'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres organisations concernant le protocole de gestion et la façon dont ce protocole peut avoir des incidences néfastes pour les femmes?
    Deuxièmement, vous avez indiqué que vous pensez qu'il serait important d'avoir un processus de reddition de comptes externe. De quoi aurait l'air ce processus? Si j'ai le temps, j'y reviendrai.
    Troisièmement, quelle est selon vous la mesure unique la plus importante que notre comité pourrait recommander?
    Je vous laisse répondre.
(1130)
    Pour ce qui est de la consultation, je suis fort heureuse que le comité fasse le travail et que cela correspondre au fait que l'enquêteur correctionnel publie son rapport.
     Le Service correctionnel mène présentement une consultation sur le protocole de gestion, consultation qui s'est amorcée il y a deux semaines. Auparavant, il y avait eu consultation sur la politique proposée, laquelle est devenue le protocole de gestion. Chose intéressante, la première fois que j'ai pris connaissance du protocole de gestion, il s'agissait d'une proposition et c'était sur du papier à en-tête du syndicat. La mesure avait été proposée par le Syndicat des agents correctionnels du Canada pour le traitement des femmes qui posaient des problèmes de gestion. Nous avions proposé des approches fort différentes et nous avions suggéré qu'il y ait davantage d'intervention auprès des aînés, un meilleur soutien de la part des collectivités autochtones d'où provenaient les femmes, un meilleur accès à leurs enfants, un plus nombre d'interventions permettant de relier les femmes là où elles étaient et de les encourager à quitter cet endroit et à revenir dans leur collectivité plutôt que de les isoler toujours davantage, avec de moins en moins de stimulation. Malheureusement, les événements ont évolué de façon contraire — cellules d'isolation, sécurité, aucun contact humain, au point où parfois je ne suis même pas autorisée à accéder au secteur d'isolement pour rendre visite à ces femmes. C'est ce qui a causé la mort d'Ashley Smith. Nous négocions toujours un accès à ces endroits.
    Vous avez raison, la consultation a commencé.
    Pour ce qui est de la reddition externe de comptes, j'estime que les meilleures recommandations que moi-même et notre organisation avons formulées jusqu'à maintenant sont celles que Louise Arbour a faites. Plutôt que de chercher à reproduire ou à reformuler ces recommandations, je me contenterai de les résumer.
    Elle a dit que s'il y a interférence correctionnelle avec l'administration d'une peine, il devrait y être possible de revenir en arrière et de revoir la sentence. Par exemple, certaines des femmes qui font partie du protocole de gestion représentent des cas particuliers. Il y a le cas d'une femme qui a commencé à purger une peine de trois ans et qui a maintenant accumulé des peines qui totalisent plus de 20 années, tout cela au sein de la prison. C'est un phénomène que nous n'avons pu percevoir au moment où j'ai commencé ce travail et au moment où le commissaire amorçait son travail, alors que l'enquêteur correctionnel commençait lui aussi son travail. Je reviens tout juste des Nations Unies où certains pays d'Europe ont exprimé leur horreur d'apprendre qu'il est possible d'accumuler des accusations et des peines d'emprisonnement de cette manière dans un contexte correctionnel qui met en cause des gens qui sont incarcérés parce qu'elles ont des défis considérables à surmonter. Plutôt que d'accumuler de plus en plus d'accusations et de peines de plus en plus longues, il faudrait plutôt aborder le problème d'un point de vue différent et tenter de percevoir ces difficultés comme des lacunes administratives. C'est bien le cas parce qu'éventuellement, ces personnes seront punies en milieu carcéral et finiront par obtenir des peines supplémentaires à purger.
    Je pense que la mise en place de ce mécanisme de reddition externe de comptes et de surveillance judiciaire dont Louise Arbour a parlé pourra faire bouger les choses. Par exemple, la modification d'ensemble du contexte que j'ai demandée il y a plusieurs années pour faire en sorte que les gens comprennent bien les questions autochtones, pour élaborer des programmes appropriés qui seraient administrés au moment approprié pour chaque personne.
    Les cadres supérieurs du Service correctionnel de même que d'autres personnes qui travaillent en première ligne au sein des établissements correctionnels, des agents, nous demandent de plus en plus, et surtout depuis les deux dernières années, d'intervenir dans certaines situations. Au moment où j'ai amorcé ce travail, je n'aurais jamais pensé qu'on nous demanderait de poursuivre le Service correctionnel ou qu'on nous demanderait de déposer davantage de plaintes concernant les droits de la personne, ou qu'on nous demanderait d'exercer davantage de pressions externes pour que les choses changent, parce que les personnes qui sont à l'intérieur des établissements se dépourvues. Selon moi, il y a un besoin essentiel de supervision externe pour amorcer le changement parce qu'à l'intérieur des établissements, il y a de plus en plus une mentalité de bunker. Les gens ne se sentent plus en sécurité, ce qui crée des conditions de travail non sécuritaires. Cela crée des conditions non sécuritaires pour les détenus également. En bout de ligne, tout cela constitue un risque plus élevé pour le public lorsque les gens sont libérés, surtout si nous n'avons pas pu traiter les problèmes qui, au départ, ont poussé les gens dans le système carcéral.
    Il vous reste une minute, Mme Crowder.
    Je sais qu'il y a des problèmes à corriger concernant la façon dont les données statistiques sont recueillies. Si je comprends bien ce que les gens du Service correctionnel ont dit, ils ne savent pas très bien quelle proportion de la population carcérale est atteinte de TCAF, par exemple. Je me demande si vous avez une idée de la proportion de délinquantes qui ont un historique de santé mentale, de toxicomanie, de TCAF. Existe-t-il une façon de connaître ces renseignements? Bien entendu, cela se rapporte directement aux répercussions sur l'existence de ces personnes.
(1135)
    Certains travaux ont été faits. Tout dépend bien souvent de ce que l'on cherche. Je sais qu'à un certain moment, à la Prison des femmes, le Service correctionnel du Canada cherchait à déterminer tous les diagnostics qui pourraient entrer sous la catégorie des DSM-IV, par exemple, ou des DSM-III. Je pense que c'est à peu près à cette époque. On a déterminé que selon la définition utilisée, de 90 à 99 p. 100 des femmes pourraient avoir eu des problèmes de santé mentale. Si vous parlez de dépression clinique, il faut se demander qui n'en serait pas affecté en entrant en prison et en laissant ses enfants et toutes sortes de choses derrière lui ou elle?
    Merci beaucoup. Voilà qui met un terme à cette partie.
    Nous passons maintenant à la question suivante, celle de M. Duncan. Par la suite, nous aurons deux périodes de cinq minutes pour des questions en commençant par M. Russell.
    Allez-y, M. Duncan, vous disposez de sept minutes.
    Bonjour et merci d'être venue.
    Je connais assez bien la Société Elizabeth Fry qui, selon moi, est un exemple de réussite en Colombie-Britannique. Vous avez mentionné qu'elle a commencé ses activités en 1939. Pendant les années de guerre, il y a eu des visites dans les prisons et cette activité s'est répandue à l'échelle du pays. Je pense qu'il est très important de noter qu'il n'y a pas d'équivalent international, du moins à ce que je sache. Il s'agit d'une institution phare canadienne.
    Au cours des 30 premières années de son existence, la Société Elizabeth Fry n'a reçu aucune aide financière du gouvernement. C'est en 1969 que les premières subventions fédérales lui ont été versées. À l'époque, la condition était que la société constitue une organisation parapluie nationale, qui est en quelque sorte la base de l'organisation que vous représentez aujourd'hui.
    J'ai grandi dans une maison pleine de personnes qui appartenaient à la Société Elizabeth Fry. Ma mère était engagée. Elle s'est jointe à l'organisation en 1959, et cette année, elle a reçu un certificat marquant ses 50 années de service, certificat qui porte votre nom. Vous étiez l'une des signataires. Elle a été très active et elle a visité des prisons dès le départ, puis elle a contribué à l'édification de la société basée à Vancouver. Elle en a été présidente à deux reprises, à 20 ans d'écart, dois-je ajouter.
    La société a connu bien des premières. Elle a été la première à recevoir du financement de la SCHL pour des logements caritatifs et elle a ouvert la première maison de groupe pour femmes. Tout cela s'est produit en 1965. Ce sont là des souvenirs que j'ai pu partager avec ma mère sachant que vous veniez nous rencontrer.
    Elle se rappelle combien sa cause était peu populaire en 1959. Elle distinguait ce qu'elle appelait les « bien pensant » de ceux qui faisaient le bien. Cette activité un peu folle à laquelle elle participait faisait l'objet de nombreuses critiques au sein de son cercle de connaissances, mais il s'agissait d'une bonne cause.
    Il existe un très bon ouvrage de référence sur les 50 ans de la Société Elizabeth Fry en Colombie-Britannique. Il s'intitule Women Volunteer to Go to Prison: A History of the Elizabeth Fry Society of British Columbia, 1939-1989, de l'auteur Lee Stewart. Dans la couverture intérieure, on peut lire « Cet ouvrage est dédié à la mémoire de femmes remarquables, les fondatrices de la Société Elizabeth Fry, qui ont épousé une cause impopulaire lorsqu'elles se sont portées volontaires pour aller dans les prisons ». Il s'agit là de renseignements qui constituent l'historique de la société.
    Quand j'ai consulté votre page Web, un des principes énoncés m'a frappé. Je n'en avais jamais pris conscience auparavant et je pense que cela devrait intéresser de nombreuses personnes. Votre troisième principe se lit comme suit: « Les femmes qui sont criminalisées ne devraient pas être incarcérées ». Qu'est-ce que cela signifie?
(1140)
    Je suis heureuse que vous ayez évoqué l'action de votre mère. Elle a accompli un travail remarquable et beaucoup d'entre nous ont puisé leur inspiration dans ce qu'elle a fait. Nous souhaitons d'ailleurs lui remettre une broche commémorative et j'aimerais bien m'entretenir avec vous après la séance pour que vous me disiez comment je peux la joindre.
    Quant au principe dont vous venez de parler, il a été formulé il y a environ 20 ans, à l'époque où l'on s'est aperçu qu'un nombre croissant de femmes étaient incarcérées. Vous posez la question alors que je reviens d'une réunion organisée dans le cadre des Nations Unies pour étudier l'élaboration de normes minimums applicables au traitement des détenues. Deux choses ont été décidées à cette réunion; la première c'est qu'il convient de rechercher des solutions autres que l'incarcération et deux, qu'il existe, à l'échelle mondiale, un projet devant aboutir à l'élimination complète des prisons pour femmes, car il est avéré que la majorité des femmes qui sont incarcérées le sont en raison de leur réaction à des situations auxquelles elles étaient confrontées.
    Cela ne veut aucunement dire qu'il n'y ait jamais lieu de maintenir certaines personnes à part pendant un temps plus ou moins long, soit pour les protéger d'elles-mêmes, soit pour protéger les autres. Il s'agit bien, cependant, de supprimer un système carcéral dont le but était de protéger la communauté contre les hommes violents. Il nous faut donc prendre pour point de départ les besoins spécifiques des femmes.
    Voici comment on en est venu à définir ce principe. Le groupe de travail avait fini par constater que, dans les divers pays où la réforme carcérale était à l'ordre du jour, aucune des mesures les plus progressistes n'avait finalement donné les résultats voulus. J'ai parlé un peu plus tôt des pavillons de ressourcement pour les détenues autochtones. Tout le monde était convenu que, dans les nouvelles prisons construites au Canada, les femmes devraient être hébergées dans des conditions de sécurité minimale dans la mesure où, là encore, tout le monde reconnaissait que la plupart des femmes ne posent aucun risque pour la collectivité. Les rapports qui se sont succédé, que ce soit le rapport Arbour, le rapport des droits de la personne, les rapports de l'ONU, les rapports de l'enquêteur correctionnel, tous ces documents vont dans le même sens. L'idée était de donner aux détenues la possibilité de sortir de temps à autre des murs et, effectivement, au départ, les programmes actuellement offerts en prison étaient censés être donnés non pas à l'intérieur de la prison, mais bien à l'extérieur. Les détenues étaient censées pouvoir se livrer à des activités non pas en milieu carcéral, mais au sein même de la communauté.
    La semaine dernière, lorsque je me suis entretenue avec des représentants de divers pays européens, c'est justement de ce modèle-là qu'ils ont parlé. Dans certains pays, on a construit des centres d'accueil en milieu libre. Les femmes détenues peuvent s'y rendre pour s'occuper de leurs enfants, elles peuvent entamer des études et même se trouver un travail, ne retournant en prison que le soir venu. Voilà le régime qui était envisagé. On prenait comme modèle la prison Shakopee, dans l'État du Minnesota. Cette prison continue à n'avoir ni murs d'enceinte ni grillages. Les autorités carcérales avaient récemment décidé de l'entourer d'une clôture, mais les citoyens ont protesté, rappelant que la prison existait depuis 100 ans et que la communauté s'était développée autour d'elle. Nous n'avons toujours pas poussé suffisamment loin notre réflexion pour trouver des moyens plus constructifs d'administrer les peines.
    Nous allons devoir, madame Pate, en rester là.
    Merci, monsieur Duncan.
    Monsieur Russell.
    Merci. C'est un plaisir de vous retrouver.
    Je voudrais en revenir à ce qu'un de mes collègues disait au sujet des personnes atteintes de troubles mentaux. Pouvez-vous nous donner une idée de ce qui se passe dans l'esprit d'une femme contre qui est portée une accusation? A-t-on prévu des mesures d'accompagnement par des spécialistes de la santé mentale? Que se passe-t-il, au juste? Selon certaines indications, on constaterait au sein des communautés autochtones une forte proportion de personnes atteintes de certains troubles mentaux, et notamment de ce qu'on appelle maintenant l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation foetale (ETCAF). Je crois savoir qu'il y a très peu de mesures de dépistage, très peu de mesures de soutien et très peu de mesures de diagnostic. Que pouvez-vous nous dire à cet égard?
    Dans son rapport, l'Enquêteur correctionnel dit ceci:
On s'attend également à ce que le nombre de délinquants autochtones incarcérés augmente à la suite des modifications apportées au Code criminel relativement aux armes à feu, aux infractions concernant l'affiliation à un gang, à la déclaration de délinquant dangereux, à la conduite avec facultés affaiblies et aux peines minimales obligatoires.
    Est-ce à dire que le système actuel est non seulement imparfait, mais mauvais, et en quelque sorte dysfonctionnel. Qu'en est-il? Qu'attend-on de ces amendements au Code criminel? N'auraient-ils pas plutôt tendance à aggraver la situation?
(1145)
    Merci.
    Je dois dire que notre système correctionnel est celui qui emploie le plus grand nombre de psychologues et de psychiatres. Ce détail se trouve, je crois, dans le rapport Kirby. Le sénateur Kirby avait en effet constaté cela lorsque lui et ses collaborateurs s'étaient, il y a quelques années, penchés sur la situation. Malheureusement, la plupart de ces spécialistes de la santé mentale sont confinés dans des tâches d'évaluation. Il s'agit, pour eux, d'évaluer les risques au moyen des notions et des outils dont nous avons déjà eu l'occasion de parler et dont les insuffisances ont été relevées par des personnes beaucoup plus expérimentées et beaucoup plus expertes que moi en ce domaine.
    J'ajoute immédiatement qu'on a tort de se focaliser, chez les populations autochtones, sur le syndrome d'intoxication foetale à l'alcool et qu'il y a même en cela quelque chose de tout à fait discriminatoire. Mary Ellen Turpel-Lafond a pris à cet égard de très bonnes décisions. Elle est actuellement, en Colombie-Britannique, défenseure des enfants. Alors qu'elle était juge en Saskatchewan, elle a conclu, au vu des arguments avancés par le système correctionnel, la protection de l'enfance et divers autres organismes, qu'à partir du moment où l'on diagnostique ce trouble chez quelqu'un, on donne à penser qu'il n'y a pas de traitement possible, et que c'est pour cela qu'on a prévu pour les individus ainsi diagnostiqués, aucun programme spécial et qu'il faudrait prévoir à l'intention des ces personnes des programmes en milieu libre au lieu de les envoyer en prison. À quoi bon, en effet, les envoyer en prison, si c'est pour les voir inévitablement finir dans une unité d'isolement.
    Je sais que le temps nous est compté. Cela répond-il à votre question?
    Il vous reste deux minutes, mais j'aimerais avoir votre avis au sujet des amendements au Code criminel, ce qui faisait l'objet de ma deuxième question.
    On en voit déjà les résultats. Plusieurs comités ont demandé des précisions concernant les coûts. Or, d'après moi, ce n'est pas seulement aux coûts financiers qu'il faut s'intéresser, mais au coût social et au coût humain de ces nouvelles mesures, étant donné que le nombre de personnes incarcérées va manifestement augmenter. Plus la population carcérale augmente, même si on consacre davantage d'argent aux programmes instaurés dans les prisons, que ce soit à l'intention des détenus autochtones ou à l'intention des personnes atteintes de troubles mentaux, les programmes seront offerts non pas à ceux dont les besoins sont les plus difficiles à satisfaire, mais, au contraire, aux détenues les moins difficiles. Les détenues autochtones auront davantage de difficulté à participer à ces programmes, que ce soit en raison de troubles mentaux ou d'un passé difficile, ou des abus subis en enfance. Ce phénomène va, je pense, entraîner non seulement une augmentation du nombre de détenues, mais un accroissement de la durée des séjours carcéraux.
    J'ai évoqué tout à l'heure une affaire sur laquelle j'ai travaillé hier soir, celle d'une femme dont le dossier doit être examiné aujourd'hui par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Si personne n'intervient pour défendre sa cause, si on ne lui donne pas l'occasion d'entrer en contact avec des personnes capables de dialoguer avec elle et de décider des mesures qui lui conviendraient le mieux, il est probable qu'elle sera fichée de telle sorte qu'elle n'aura accès ni aux programmes qui pourraient lui être utiles, ni à la libération conditionnelle et, dans l'hypothèse où elle bénéficierait effectivement d'une libération conditionnelle elle aura davantage de chances d'enfreindre les conditions, car elle risque de manquer l'heure de rentrée, soit qu'elle a mal compris ou qu'elle ne sait pas lire, les indications concernant le réseau des autobus.
    Merci, monsieur Russell.
    Nous passons maintenant la parole, pour cinq minutes, à M. Clarke, avant de terminer.
    Allez-y, monsieur Clarke.
    Je tiens à remercier notre témoin de s'être rendu à notre invitation.
    Vous disiez tout à l'heure que le système correctionnel est discriminatoire, mais vous avez également évoqué vos visites ou séjours dans des réserves. Appartenez-vous aux premières nations?
    Non.
    Ah bon, je vous demandais cela car j'y appartiens moi-même.
    Êtes-vous autochtone? Non? Bon. Je vous demandais cela parce que je vois avec quelle passion vous prenez fait et cause pour les Autochtones incarcérés.
    Avant d'entrer en politique, j'ai passé 18 ans à la GRC. J'ai vécu et travaillé dans une réserve. Je crois qu'il n'y a, autour de cette table, pas beaucoup de personnes qui comprendraient les difficultés qu'il y avait à y maintenir la paix.
    Avez-vous des statistiques sur la population des réserves, le nombre de personnes qui y vivent?
    Non, désolée.
    Bon.
    Nous avons constaté une augmentation du taux de criminalité tant dans les réserves des premières nations, que dans les communautés autochtones. Ainsi, en 1995, nous avons enregistré, au poste de la GRC de Onion Lake, 743 plaintes. Or, lorsque le téléphone a été installé et que des travaux d'infrastructure ont été effectués dans les communautés des premières nations, le taux de criminalité a triplé.
    Les habitants souhaitent être protégés. Ils exigent des services, et la police en est un service essentiel. Les communautés des premières nations voulaient être protégées.
    J'aurais maintenant deux ou trois questions à vous poser.
    D'abord, en ce qui concerne les délinquants violents sous régime fédéral... car je ne crois pas que vous vous occupiez des personnes détenues dans des établissements provinciaux, si?
(1150)
    Oui, nous sommes actuellement en train de rédiger, à l'intention des autorités provinciales, un certain nombre de recommandations en matière de droits de la personne. Et puis nos sociétés locales interviennent aussi au sein des établissements provinciaux.
    Du nombre de délinquants dangereux incarcérés, quelle serait la proportion qui s'en serait pris à des victimes autochtones? Le sauriez-vous?
    Non, je n'ai pas ce chiffre. Ce que je peux vous dire, c'est que d'après les travaux effectués l'année dernière par Statistique Canada, les victimes sont le plus souvent des proches de l'agresseur.
    Quel serait le nombre de détenus ayant commis un crime de violence?
    Au sein des établissements fédéraux, au moins la moitié des femmes condamnées à une peine de prison le sont pour ce qu'on appelle des crimes de violence contre la personne. Ce que la statistique ne permet pas de savoir, cependant, c'est dans quelle mesure les intéressés ont réagi à une violence qui leur a été faite. Même si leur réaction violente a été excessive, il est possible qu'elle ait été une réaction de défense.
    Ce que j'ai pu constater, dans le cadre de mes fonctions, c'est le désarroi des victimes. Or, je lisais un des documents que vous avez distribué et je vois que vous ne croyez guère aux déclarations de la victime.
    Est-ce que vous n'avez pas grande foi en la déclaration de la victime et du récit qu'elle fait de ce qui s'est passé?
    Non, au contraire. Si ma fille est privée d'un grand-père, c'est parce qu'il a été assassiné et, moi-même, plus jeune, j'ai travaillé pour la GRC.
    D'après moi, il nous faudrait un système qui n'attend pas qu'il y ait une victime avant d'intervenir.
    Dans le Nord, la dernière fois que je me suis rendue à Iqaluit, j'ai vu des femmes et des enfants qui se trouvaient en prison, mais dans leur propre intérêt, car il fallait les protéger et il n'y avait pas d'autre endroit pour les loger. Il ne faudrait pas que la police soit le premier palier d'intervention à l'égard de personnes atteintes de troubles mentaux. Nous avons réduit les budgets des divers services sociaux, et c'est pour cela que nous sommes contraints de demander à la police d'assurer des tâches qui ne sont pas vraiment de son ressort.
     Les déclarations de la victime servent à donner aux gens l'impression qu'on va les écouter, mais, en fait, le système actuellement en place ne s'en occupe guère.
     Vous venez de dire qu'il y avait des familles entières et des femmes qui se trouvaient en prison simplement afin d'obtenir une certaine protection. Que pensez-vous des nouvelles dispositions concernant les biens immobiliers matrimoniaux?
    Nous ne nous sommes pas penchés sur la question. Je sais que l'Association des femmes autochtones a beaucoup travaillé sur ce dossier et je pense qu'elle est beaucoup plus à même que nous d'en parler. Nous nous alignerons probablement sur sa position étant donné que les gens de cette association connaissent ce domaine beaucoup mieux que nous.
    Cela dit, nous sommes d'accord qu'il faut davantage s'occuper des besoins de la victime. La plupart des femmes auprès desquelles nous intervenons ont elles-mêmes été victimes avant d'être accusées. Le fait qu'on ne s'occupe pas d'elles explique très souvent qu'elles se retrouvent en prison. Si nous ne sommes guère favorables aux déclarations de la victime, c'est parce que cela sert uniquement à entendre la victime après coup, lui donnant l'impression qu'on va non seulement l'écouter, mais l'entendre et prendre les mesures nécessaires pour améliorer sa situation. Ce n'est donc pas du tout parce que nous nous opposons aux mesures en faveur de la victime, mais bien le contraire.
    Je me demande, monsieur le président, si Mme Pate ne pourrait pas nous faire parvenir des données statistiques concernant à la fois les contrevenants et les victimes, et le rapport numérique entre les deux.
    Vous pourriez peut-être lui demander lors de la suspension de séance.
    Merci, monsieur Clarke et madame Pate.
    Nous arrivons au terme de notre première heure.
    Madame Crowder, est-ce pour invoquer le Règlement?
    Oui. J'avais demandé que le comité... mais j'imagine qu'il me faut procéder de manière plus formelle.
    Je propose que le comité indique dans son rapport qu'il a considéré le rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel intitulé De bonnes intentions... des résultats décevants, et que rapport en soit fait à la Chambre.
    Vous proposez cela dans le cadre d'une motion. Peut-être pourrons-nous l'examiner au titre des travaux du comité dans l'heure qui suit, si nous en avons le temps. La motion est recevable, étant donné qu'elle concerne une question inscrite à notre ordre du jour. Peut-être pourrons-nous l'examiner vers l'heure qui suit, si nous avons un peu de temps.
    Il nous faut maintenant changer de sujet. Nous n'avons pas jusqu'ici eu le temps de nous pencher sur les questions relatives aux travaux du comité, mais il s'agit d'une question qu'il pourra effectivement examiner.
    La séance est suspendue et, à midi, nous accueillerons notre prochain témoin.

(1200)
    Mesdames et messieurs, les membres du comité, je vous remercie.
    Nous revenons à notre ordre du jour et reprenons notre examen — je devrais peut-être dire notre séance d'information sur cet important sujet qu'est l'honneur de la Couronne.
    Les membres du comité n'ont pas oublié que lorsque nous avons initialement envisagé de traiter ce sujet, nous avons invité à comparaître devant le comité M. Timothy McCabe. À l'époque, c'est-à-dire vers le milieu ou la fin du mois d'octobre, M. McCabe avait été dans l'impossibilité de répondre à notre invitation. Nous avons finalement pu harmoniser nos calendriers de travail respectifs et nous avons donc le plaisir de l'accueillir aujourd'hui.
    Monsieur McCabe, comme vous le savez sans doute, conformément à l'usage, nous allons vous demander de présenter en début de séance un exposé de 10 minutes. Après cela, les membres du comité souhaiteront vous poser des questions. C'est ainsi, donc que nous allons procéder. Vous avez 10 minutes.
    Monsieur McCabe, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    J'espère pouvoir vous fournir quelques éléments utiles même si je sais que d'autres en auront beaucoup plus à dire que moi quant à l'application pratique de cette théorie de l'honneur de la Couronne et au sujet de la manière dont ils espèrent voir cette doctrine évoluer.
    J'ai lu le compte rendu de vos délibérations du 8 octobre et j'ai pu voir que M. Pryce, du ministère fédéral de la Justice, vous a présenté une brève, mais très bonne, introduction à ce sujet.
    J'ai pensé qu'en l'occurrence, la meilleure chose à faire serait de vous donner un bref résumé de la manière dont la Cour suprême du Canada a précisé tant le contenu que le rôle de la doctrine de l'honneur de la Couronne.
    Il convient de préciser que cette doctrine, telle qu'elle s'applique aux peuples autochtones, a pour l'essentiel été élaborée par la Cour suprême du Canada, au cours des 10 dernières années. La petite note que j'ai remise au greffier, et qui a dû vous être distribuée, retrace l'évaluation jurisprudentielle de cette doctrine, la Cour suprême finissant par y voir une doctrine essentielle et précisant à l'occasion des affaires dont elle a été saisie, les effets qu'entraîne son application.
    J'aimerais d'abord, en quelques minutes, parcourir avec vous ce document. On voit, au début, ce que la cour dit de la situation d'avant 1982. Comme vous pouvez le voir, le document comporte trois brefs extraits de jurisprudence.
    Selon l'arrêt Sparrow, il n'y a pas de doute qu'au fil des ans, les droits des Indiens ont souvent été reconnus par suite d'une violation [...]. Ce n'est pas avec beaucoup de fierté que nous pouvons rappeler le traitement réservé aux Autochtones de notre pays, etc.
    Il y a, ensuite, en 1999, l'arrêt Marshall. L'affaire avait été portée devant la Cour suprême en appel d'une décision des tribunaux de la Nouvelle-Écosse. M. Marshall, et plusieurs de ses collègues, se voyaient reprocher une pêche aux anguilles. Le juge Binnie, s'exprimant au nom d'une majorité de la cour, relève que jusqu'à l'édiction de la Loi constitutionnelle de 1982, les droits des peuples autochtones pouvaient être écartés par des dispositions législatives valides aussi facilement que pouvaient l'être les droits et libertés des autres habitants.
    Et puis, il y a, en 2001, l'affaire Mitchell qui va essentiellement dans le même sens: les droits ancestraux étaient, jusqu'en 1982, vulnérables aux règles pouvant être édictées par le Parlement dans le cadre d'un règlement d'application.
    Et puis, en 1982, il y a l'article 35 de la Loi constitutionnelle qui, en matière de droits autochtones, de droits ancestraux et de droits issus de traités, est vraiment le tournant décisif. En 1982, en effet, dans le cadre du rapatriement de la Constitution, le Canada se dote de la Loi constitutionnelle de 1982, dont le paragraphe 35(1) prévoit que:
    
Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
    La cour a bien sûr dû préciser ce que cela signifie en pratique. N'oublions pas, qu'à l'époque, de nombreuses personnes se disaient « Je veux bien. La cour va constater que la Constitution déclare que les droits des peuples autochtones sont reconnus et confirmés, mais cela ne changera pas grand-chose. » Certains d'entre vous se souviennent que c'est en fait ce qui s'était produit il y a de cela de nombreuses années avec la Déclaration canadienne des droits.
    Mais ce n'est pas l'approche que la Cour suprême a retenue. À partir de l'arrêt Sparrow, qui date de 1990, la cour considère que l'article 35 doit être interprété en fonction de l'objet même de la disposition. Cela veut dire que cette disposition a effectivement un objet et qu'on ne peut pas simplement s'en tenir à cette formule relativement banale, selon laquelle les droits des peuples autochtones sont reconnus et confirmés. D'après la cour, cette disposition tend en effet vers un but. C'est ce qu'affirme la cour dans l'arrêt Sparrow.
(1205)
    On voit, à la page suivante, que petit à petit la Cour suprême précise quel est ce but au juste. Ainsi qu'on peut le voir d'après cet extrait de l'arrêt Van der Peet, la cour affirme que la loi a un objet et que cet objet est de concilier les droits préexistants des Autochtones avant l'arrivée des Européens, c'est-à-dire en fait leur présence, et l'existence de sociétés et de lois autochtones, avec la souveraineté de la Couronne, et avec les droits et aspirations de l'ensemble de la société canadienne dont les Autochtones font partie.
    Puis, en 2005, dans l'arrêt Mikisew, le juge Binnie, dans la première phrase des motifs rédigés au nom de la cour s'exprime en ces termes:
L’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs. La gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension.
    Peu après 1982, avec l'arrêt Nowegijick, qui date de 1983, la Cour suprême commence à se doter, et à doter les tribunaux canadiens, d'une série de doctrines permettant à terme d'aboutir à cette réconciliation qui est l'objet même de la disposition constitutionnelle en cause. Selon la cour, les traités et les lois visant les Indiens, et la Constitution même doivent recevoir une interprétation libérale.
    Deuxièmement, certains prétendaient que les droits ancestraux et les droits issus de traités avaient été éteints avant 1982. Mais, la simple lecture de la disposition constitutionnelle porte à se demander qu'elle avait été la situation avant cela. Mais, selon la cour, les droits ancestraux et les droits issus de traités ne pouvaient avoir été éteints que si la Couronne avait exprimé, dans le cadre de sa législation, l'intention claire et expresse de les éteindre. On voit un exemple de cela en matière de pêche et de chasse. Au fil des ans, les droits de pêche et de chasse des peuples autochtones ont, bien sûr, été réglementés de nombreuses fois, que ce soit au niveau du nombre de prises autorisées, ou de la réglementation des saisons ou des moyens de pêche et de chasse. On a fait en outre valoir devant la cour que les droits ancestraux que la Constitution reconnaît et confirme ne peuvent être que les droits existant au 17 avril 1982, avec toutes les limites que pouvaient leur avoir imposées les divers textes législatifs ou réglementaires.
    Or, la cour a estimé que ce n'était pas le cas, car selon elle, les droits des peuples autochtones sont restés en l'état et ne sont, à cet égard, guère affectés par les divers textes portant leur réglementation. Pour que ces droits aient été éteints, il aurait fallu que la Couronne manifeste clairement et expressément la volonté de les éteindre.
    Selon d'autres doctrines, les Autochtones conservent une importante part d'autonomie et la Loi sur les Indiens tente de parvenir à un équilibre entre protection et autonomie. Cela étant, il y a lieu de tenir compte à la fois du point de vue des Autochtones à l'égard de leurs droits, et de la common law. Encore une fois, il s'agit là de doctrines élaborées par la cour.
    Je précise que la Couronne a des obligations de fiduciaire dont le respect peut être obtenu par des recours de droit privé, tels que l'indemnisation et l'injonction, dans l'hypothèse, et cela est à retenir, où l'activité de la Couronne vise des droits légaux identifiables et spécifiques d'un peuple autochtone, concernant, par exemple des intérêts financiers ou de l'argent. La Couronne est assimilée en quelque sorte à un fiduciaire. Ce simple fait constitue un droit légal identifiable et, cela étant, les obligations fiduciaires de la Couronne sont susceptibles d'exécution par des recours de droit privé.
    Le juge Binnie ajoute, et je crois que c'est dans l'arrêt Wewaykum, qu'un quasi-intérêt propriétal concernant, par exemple, des terres faisant partie d'une réserve, est considéré comme un droit identifiable et spécifique, susceptible de donner naissance à une obligation fiduciaire, ce qui n'est pas vrai d'un programme gouvernemental de prestations. Selon la cour, en effet, un tel programme ne crée pas pour le gouvernement une obligation de fiduciaire envers les peuples autochtones.
(1210)
    Deux derniers points sont particulièrement importants. D'abord, les droits ancestraux et les droits issus de traités sont des droits sui generis, c'est-à-dire, qu'ils forment une catégorie à part, ce qui veut dire que la cour est à même de les modeler, d'en expliquer la signification, de les examiner dans toutes leurs permutations et leurs combinaisons et, chemin faisant, d'élaborer un nouveau droit. Je me défends de tout cynisme, car il s'agit en l'occurrence d'une noble cause, mais un droit sui generis est un droit dont le contenu est évidemment évolutif. Or, c'est la cour elle-même qui en a fait des droits sui generis.
    Et puis, il y a la doctrine qui, en l'occurrence, retient plus précisément l'attention du comité, c'est-à-dire la doctrine de l'honneur de la Couronne. La cour considère que l'honneur de la Couronne est toujours en jeu dans les relations entre le gouvernement et les peuples autochtones et les tribunaux exigent donc que la Couronne se comporte, dans telle ou telle situation, conformément à la manière dont les tribunaux interprètent ce que cet honneur exige.
    Ces deux dernières doctrines, c'est-à-dire celle de la nature sui generis des droits ancestraux et issus de traités et celle de l'honneur de la Couronne, se prêtent au modelage et à l'élargissement.
    Pour ce qui est de l'honneur de la Couronne, j'ai tenté, à la dernière page du document, de cerner les cinq moyens importants dégagés par la Cour suprême pour parvenir à la nécessaire conciliation.
(1215)
    Monsieur McCabe, puis-je vous interrompre un instant?
    Nous en sommes à 12 minutes et je vois qu'il vous reste une ou deux pages.
    Le comité souhaite-t-il que nous continuions? Étant donné que nous n'avons qu'un seul témoin, voulez-vous que nous allions jusqu'à 15 minutes, voire —

[Français]

    On pourrait réduire la durée de la période de questions, parce que je pense qu'il est important que le professeur McCabe termine sa présentation.

[Traduction]

    Si vous le voulez bien, procédons ainsi.
    Je vous en prie, monsieur McCabe, poursuivez.
    Merci, monsieur le président.
    Permettez-moi de passer très vite sur ces cinq moyens. Le premier est le cadre justificatif. Il découle de l'arrêt Sparrow de 1990. Il s'applique en cas d'atteinte, par la Loi sur les pêcheries, par exemple, à un droit ancestral ou un droit issu de traités. C'est la cour qui a exigé ce cadre justificatif. Selon la cour, le Parlement, qui est à l'origine de toute législation déléguée, n'est aucunement impuissant et peut agir sur les droits des peuples autochtones, mais il faut que toute atteinte à des droits ancestraux puisse se justifier. Pour vérifier qu'il en est bien ainsi, la cour a recours au concept d'honneur de la Couronne.
    Deuxièmement, la cour s'est dit prête à suppléer les lacunes des traités. Beaucoup de traités avaient été conclus de manière très informelle. Ce n'est manifestement pas le cas des traités ultérieurs, c'est-à-dire des traités modernes, à commencer par ceux conclus par le Québec ainsi que les traités conclus jusque dans les années1990 et même au-delà. Ces traités ne sont ni simples ni informels, mais les traités plus anciens l'étaient. La cour estime devoir, afin de dégager des traités un résultat sensé et protéger l'honneur et la dignité de la Couronne, suppléer les lacunes des traités. C'est ce qu'a décidé, en 1999, le premier arrêt Marshall, concernant les droits de pêche en Nouvelle-Écosse.
    Et puis, lorsqu'il n'y a pas de traité, la Couronne a le devoir de mener des négociations pour en conclure un. Il ne s'agit pas simplement d'une politique avisée, mais bien d'une obligation juridique. Cela ressort d'un arrêt de 2004, la Nation Haida c. Colombie-Britannique. Comme vous le savez sans doute, dans de nombreuses régions du Canada, il n'y a pas eu de traités. Cela devient de moins en moins vrai étant donné les traités récemment conclus dans le Nord, mais c'était jusqu'à récemment, le cas dans la partie continentale de la Colombie-Britannique et dans d'autres régions du Canada.
    On dit souvent que le territoire sur lequel nous nous trouvons actuellement fait l'objet d'une revendication territoriale. Aucun traité n'a, en effet, négocié l'aliénation, à l'est de Mattawa, des territoires situés sur les deux rives de la rivière des Outaouais. Les Algonquins du Québec et de l'Ontario estiment avoir sur ces territoires des droits ancestraux fondant une revendication territoriale. Aucun traité n'a été conclu avec ces peuples. Cela étant, la Couronne a une obligation légale, même une obligation constitutionnelle, de négocier des traités.
    Les deux derniers moyens que je tiens à évoquer sont liés, et concernent une obligation de consultation. L'honneur de la Couronne exige que lorsqu'elle envisage quelque chose ou autorise quelque chose — une concession octroyée à un particulier par exemple — susceptible de porter atteinte à l'exercice d'un droit ancestral, d'un droit issu de traités ou d'un titre aborigène, la Couronne est tenue de consulter le peuple autochtone concerné. Cela vaut à la fois lorsque le droit en question est bien établi, comme c'était le cas dans l'affaire Mikisew qui portait, en effet, sur un droit issu de traités — ou lorsque, comme dans l'affaire Haida et diverses autres affaires survenues en Colombie-Britannique ou dans le Nord, les droits en question ne sont pas encore établis. Il s'agit, dans cette hypothèse, de droits dont l'existence n'a pas été démontrée et qui n'ont fait l'objet d'aucun traité. Si un projet minier ou forestier risque de porter atteinte à ces droits, la Couronne est tenue, tant que la revendication n'a pas été réglée, de consulter le peuple autochtone concerné.
    Cette consultation doit tendre aux adaptations requises par le droit revendiqué.
    Et je pourrais continuer encore longtemps.
(1220)
    Vous aurez lors des questions l'occasion de développer plus avant les idées que vous venez de nous exposer.
    Nous passons maintenant à la première série de questions. La parole est à M. Bélanger pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur le professeur, je suis, en vous écoutant, tenté de reprendre mes études.
    Je ne prétends aucunement être professeur.
    Vous devriez peut-être envisager de le devenir.
    Votre exposé nous permet de mieux comprendre le concept, et aussi son évolution. Je m'interroge un peu cependant quant à son origine. Vous avez dit d'emblée... Je ne reprends pas textuellement ce que vous avez dit, mais vous avez, me semble-t-il, laissé entendre que ce concept avait été élaboré par les tribunaux, notamment au cours des 10 dernières années. Pourtant, dans d'autres documents qui nous ont été distribués je trouve ceci — et là je cite un document que vous n'avez pas, mais que nos recherchistes connaissent — « la notion ne devrait pas être considérée comme une création judiciaire ».
    J'aurais d'autres précisions à vous demander, mais j'aimerais, si vous le voulez bien, commencer par celle-ci. Ce que nous a dit M. Pryce, qui a comparu devant le comité le 8 octobre, me porte à penser qu'il estime, lui aussi, que ce concept est une création judiciaire.
    Seriez-vous disposé à admettre une autre interprétation, selon laquelle cette idée a toujours existé et ce qui est nouveau, c'est l'interprétation que les tribunaux en ont donnée et selon laquelle le concept aurait son origine non pas dans les tribunaux, mais dans les traités, les accords et les lois antérieures?
    Il y a d'abord la Proclamation royale de 1763, puis toute une série de traités. Le problème provient du fait que tout au long de notre histoire, et cela jusqu'en 1982, les droits des Indiens garantis par ces instruments n'ont souvent, comme la cour l'a rappelé dans l'arrêt Sparrow, été reconnus que par suite d'une violation. Ces droits pouvaient être amoindris par la décision du législateur et c'est un fait qu'ils ont, à maintes reprises, été, disons, écornés. Sinon éteints, ces droits ont régulièrement été affectés par des dispositions réglementaires ou législatives.
    Je comprends cela, et je suis d'accord que le grand tournant c'est l'adoption, en 1982, de la Charte des droits et liberté, et son article 35. Or, cette disposition n'est pas une créature des tribunaux, mais bien du Parlement du Canada.
    La Constitution, en effet.
    Cela étant, je vous demande, encore une fois, si ce que les tribunaux ont fait ces dernières années, ce ne serait pas simplement d'interpréter cette disposition, ne pensez-vous pas?
    En 1982, la cour se retrouve face à une formule de caractère très générale et, en 1982, tout le monde se demandait en fait ce que cet énoncé voulait bien signifier. Nombreux furent les cyniques qui pensaient que cet article n'aurait pas grand effet. Il a fallu que la cour étoffe cette formule un peu floue et c'est effectivement ce qu'elle a fait.
    Il me semble exact de dire, cependant, que les diverses doctrines élaborées par la cour depuis 1982, et en particulier la doctrine de l'honneur de la Couronne est bien une création de la Cour. La notion d'honneur de la Couronne est, bien sûr, beaucoup plus ancienne puisqu'il en est déjà question en droit anglais. Or, la cour estime devoir se pencher sur une concession de la Couronne afin de s'assurer que l'honneur de la Couronne est maintenu, veiller pour cela à ce que la concession soit exploitée conformément à ce que la Couronne aurait voulu.
    Dans l'histoire de notre droit, on trouve déjà des traces de cette doctrine, mais la cour en a réuni tous les fils épars afin de faire face aux nécessités de la cause.
(1225)
    Bon. Vous nous avez dit qu'il y a cinq moyens de mettre en oeuvre ces doctrines. Le quatrième est l'obligation incombant à la Couronne entre le moment où un droit est revendiqué et celui où cette revendication est réglée. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris quelles peuvent être les conséquences pratiques de cette obligation.
     Récemment, par exemple, le gouvernement souhaitait mettre en vente un certain nombre de terres, neuf pour être précis, et les reprendre en location. Deux de ces terres étaient situées en Colombie-Britannique, à Vancouver, je pense. Suite à l'intervention d'une communauté autochtone, ces deux terrains ont été retirés du projet de vente, même si une convention de vente avait déjà été conclue. Êtes-vous au courant de cette affaire.
    Non, j'en ignore les détails.
    Ce que j'aimerais savoir, mais vous n'allez peut-être pas être en mesure de répondre sur ce point, c'est si cette affaire représente, justement, l'application de cette doctrine à un cas concret?
    Bien que je ne sois pas au courant de cette affaire, j'imagine que la Couronne, savait qu'elle était tenue d'engager des consultations et, si nécessaire, de prendre en compte les intérêts des populations autochtones. Il est probable que, dans certaines situations, la Couronne décidera que le jeu n'en vaut pas la chandelle et reportera les opérations qu'elle envisage en attendant le règlement des revendications, ou bien décidera simplement de renoncer à tel ou tel projet. C'est sans doute comme cela que les choses se passeront au fur et à mesure que les tribunaux précisent les contours des doctrines en question.
    Un instant, je vous prie.
    Ma question suivante est une question ouverte, et mes collègues souhaiteront peut-être la reprendre à leur compte, ou peut-être aurais-je moi-même l'occasion de demander des précisions supplémentaires. D'après vous, comment cette doctrine va-t-elle évoluer?
    Il s'agit d'une question ouverte, en effet. En ce qui concerne l'évolution de la doctrine, je crois d'abord que chacun est conscient du fait qu'il s'agit d'une situation qui nous a été léguée par l'histoire et qu'il nous faut corriger cette absence de traité entre la Couronne et les peuples autochtones. Nous voyons un exemple de cela dans les territoires. Un certain nombre d'accords ont été conclus au Labrador et de gros efforts ont été faits afin de parvenir à un résultat analogue en Colombie-Britannique. Et puis, il y a aussi cette question non résolue des revendications en souffrance, car, comme vous le savez, cela peut durer très longtemps. Au moins avons-nous maintenant un régime qui porte à prendre en compte les aspirations légitimes et les revendications des peuples autochtones.
    Qui font l'objet de négociations.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Bélanger.
    Nous poursuivons maintenant avec M. Lemay.
    Monsieur Lemay, vous avez sept minutes.
    Maître McCabe, j'ai écouté avec une grande attention l'exposé que vous nous avez soumis. J'ai lu les documents. On se chicane à propos de l'obligation de consultation de la Couronne, et on en discute vraiment beaucoup.
    Je crois savoir que les décisions de la Cour suprême, qu'il s'agisse des arrêts Sparrow, Badger, Marshall ou autres, ont probablement fait le tour de la question. En tout cas, on a de bonnes balises.
     Jusqu'où va l'obligation de consultation de la part de la Couronne? En vertu de quoi la Couronne est-elle obligée de consulter les peuples autochtones? Quelles sont les limites de cette obligation de consultation?
(1230)

[Traduction]

    On peut dire que la Couronne est tenue d'engager des consultations à chaque fois qu'est en cause un droit relevant de l'article 35. Autrement dit, il faut pour cela pouvoir invoquer un droit ancestral existant ou un droit issu de traités. On trouve en outre dans la jurisprudence l'idée que des obligations réciproques incombent aux peuples autochtones. Selon la jurisprudence, il existe une obligation légale de consulter à chaque fois que des négociations sérieuses sont engagées. Autrement dit, la Cour suprême et les tribunaux d'instance inférieure se sont, je pense, attachés à préciser que l'article 35 ne donne pas aux peuples autochtones un droit de veto automatique à l'égard des projets de développement car, ils sont, eux aussi, obligés de négocier de bonne foi. Ils ne peuvent pas simplement faire traîner les choses en longueur. Je pense que cet aspect-là constitue un élément de réponse concernant les limites des doctrines en question. Pour que cette obligation s'impose, il faut qu'il y ait des négociations sérieuses au sujet d'un droit relevant de l'article 35.

[Français]

    Pardonnez-moi, je ne veux pas interrompre votre réponse, que je trouve bien fondée. Néanmoins, si je veux invoquer l'obligation de consultation de la Couronne, je dois tout d'abord démontrer que j'ai un droit ancestral ou issu des traités. Je vois que vous n'êtes pas d'accord avec moi.

[Traduction]

    Non. Là il s'agit de l'affaire de la nation Haida. Dans cette affaire, le gouvernement de la Colombie-Britannique affirmait que l'existence du droit revendiqué n'avait pas été établie. La cour a répondu que la revendication de ce droit était suffisamment fondée pour que l'obligation de consulter s'applique. D'après moi, c'est un des points essentiels de l'arrêt Haida de 2004. L'affaire porte essentiellement sur la période entre le moment où un droit est revendiqué et celui où il est prouvé ou un traité est négocié. Selon la Cour, il y a obligation de consulter lorsqu'un projet est susceptible de porter atteinte au droit revendiqué.

[Français]

    Je reprends ce que vous venez de me dire. Je ne conteste pas vos propos, bien évidemment. Je voudrais simplement comprendre.
    Prenons cette hypothèse: les peuples algonquins ont reçu la Déclaration de 1763 et ils en font partie. Donc, tout ce qui est au nord de la rivière des Outaouais leur appartient. Or, lorsqu'il serait question de faire des travaux dans ce secteur, pas nécessairement des travaux hydroélectriques, mais des travaux comme de l'exploration minière, de l'exploitation forestière, des règlements sur la chasse et la pêche, iriez-vous jusqu'à dire que l'arrêt Haïda s'applique et que, par conséquent, les peuples autochtones algonquins devraient être consultés?

[Traduction]

    C'est effectivement l'enseignement qu'il convient de tirer de l'arrêt Haida. Dans l'hypothèse d'un projet qui, par exemple, doit entraîner une modification du paysage, cette obligation incombe non pas à l'auteur du projet, mais à la Couronne même si l'auteur du projet va inévitablement être impliqué. Il y a donc obligation de consulter, mais cette obligation a quelque chose de réciproque. Dans l'hypothèse où le projet en question doit affecter sensiblement le droit revendiqué, des accommodements seront proposés et feront l'objet de négociations.
(1235)

[Français]

    Il vous reste 30 secondes.
    En vertu de quoi la Couronne ne serait-elle pas obligée de consulter les peuples autochtones?

[Traduction]

    Comme je l'ai dit il y a un instant, on peut affirmer que si le droit revendiqué ou le droit dont l'existence a été établie n'est pas un droit relevant de l'article 35, c'est-à-dire un droit ou titre ancestral, ou un droit issu de traités, mais simplement une autre sorte de droit ou d'aspiration de la partie autochtone, la Couronne n'est pas, en pareille hypothèse, tenue de consulter.
    Monsieur McCabe, nous allons devoir nous en tenir là. Je vous remercie.
    Merci, monsieur Lemay.
    La parole passe maintenant à Mme Crowder. Vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président, et merci monsieur McCabe.
    Je vais reprendre la question que M. Lemay vous a posée au sujet des droits. Je tiens à préciser, à l'intention des non-juristes, que l'article 35 parle de droits ancestraux des peuples autochtones. Il s'agit donc, en l'occurrence, de savoir en quoi consistent au juste ces droits ancestraux. Un des arguments assez souvent avancés devant ce comité veut que, dans l'optique des premières nations, les droits ancestraux ne se limitent aucunement aux traités, aux revendications territoriales ou aux projets de développement. La question s'est d'ailleurs posée lorsqu'il s'agissait de savoir qui décide de l'appartenance à une nation. La question s'est posée à nouveau au sujet de l'obligation de consultation dans le contexte de l'affaire McIvor, qui sera sans doute évoquée devant le comité, mais il est clair que la question s'est déjà posée au sujet des biens immobiliers matrimoniaux. Les nations invoquent l'obligation de consultation de la Couronne — et le fait que l'honneur de la Couronne est en jeu — dans le contexte des droits de la personne, qu'il s'agisse de biens immobiliers matrimoniaux ou de la question de savoir qui décide de l'appartenance à une nation.
    Pourriez-vous nous dire quelque chose de cette obligation de consultation dans le contexte de droits n'ayant rien à voir avec des revendications territoriales ou des traités?
    Je ne pense pas pouvoir vous être très utile sur ce point. Je pense que la Cour suprême du Canada va s'attacher encore longtemps à exploiter le contenu du concept de droits ancestraux. Ainsi qu'on peut le voir dans les affaires émanant de Colombie-Britannique — les trois arrêts rendus en 1996, Van der Peet, Gladstone, et Smokehouse, la définition de droit ancestral est liée aux pratiques des peuples autochtones faisant partie intégrante de leur culture distinctive. Or, vous voyez bien le caractère ouvert de cette définition. On ne saurait prévoir dans quel sens la Cour se prononcera en définitive. Sa tâche ne sera pas facile, car il est clair que de gros efforts seront faits pour élargir le champ de la définition.
    Vous avez compris que nous cherchons nous-mêmes à préciser les circonstances qui donnent naissance à cette obligation de consultation.
    J'aimerais revenir maintenant à ce que vous avez dit au sujet de l'évolution de cette doctrine. Vous avez parlé de l'absence de traité. Je suis de Colombie-Britannique, c'est-à-dire d'une province où les traités sont rares et où l'on voit un certain nombre de nations se retirer du processus conventionnel qu'elles jugent trop coûteux et trop lourd. Une soixantaine de nations ont élaboré, à l'intention du gouvernement, un protocole de négociation. Je ne dis pas cela dans un esprit partisan étant donné que tout cela remonte à 1993. Les nations en question jugent que les progrès accomplis sont hors de toute proportion avec les frais qu'elles ont dû engager. Elles reprochent au gouvernement de ne pas avoir donné aux négociateurs les pouvoirs nécessaires. Pensez-vous que ce fait leur permettra d'invoquer l'honneur de la Couronne?
(1240)
    Je ne pense pas pouvoir parler utilement du processus conventionnel mis en place par la Colombie-Britannique, ou de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique sont naturellement au courant de cette jurisprudence; ils savent que lorsqu'il n'y a pas de traité, la Couronne est tenue d'en négocier une. Je ne suis pas vraiment à même de vous dire ce que cela donne en pratique ou à qui l'on doit reprocher les lenteurs de cette procédure.
    Je ne songeais pas à attribuer les torts ou à adresser des reproches. Je constate simplement que le processus qui a été mis en place ne donne pas les résultats voulus. Or, on pourrait croire, compte tenu de la manière dont les tribunaux se sont prononcés jusqu'ici que l'honneur de la Couronne porterait à accélérer la négociation de traités. J'aurais aimé savoir si vous n'auriez pas trouvé, dans la jurisprudence, des arguments que les nations autochtones pourraient faire valoir pour aiguillonner en quelque sorte les gouvernements fédéral et provinciaux.
    L'honneur de la Couronne se situe au coeur même de l'affaire. C'est bien pour cela que la Couronne est tenue de négocier.
    Mais rien ne précise comment la Couronne doit se comporter à la table des négociations. En Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral a envoyé des négociateurs subalternes. J'ajoute que la chose n'est pas uniquement le seul fait de l'actuel gouvernement, car il en est ainsi depuis longtemps. Cela permet de négocier pour la forme sans vraiment faire avancer le dossier.
    J'imagine que le comité y pourrait quelque chose en faisant pression sur les responsables.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet du concept de droit sui generis? Vous nous avez dit que la notion reste à définir. Cela veut-il dire que les tribunaux vont devoir se prononcer sur la question?
    Par sui generis, on entend quelque chose d'unique. La cour estime donc que ce genre de droit, ces droits ancestraux ou issus de traités, n'ont rien à voir avec la common law, ou avec les droits de propriété définis par le droit civil, ou les droits contractuels ou la responsabilité civile délictuelle, et qu'il s'agit d'une tout autre catégorie. Nous avons fait la découverte de ces nouveaux droits et il nous appartient maintenant d'en cerner les contours. Cela me paraît être l'élément essentiel de cette notion de droits sui generis. C'est d'ailleurs pour cela que la cour s'est attachée à en faire des droits sui generis, car cela lui offre la possibilité de les modeler.
    Il y a quelques instants, vous m'avez posé une question concernant les droits de la personne, ou les biens matrimoniaux. Ces droits peuvent-ils être considérés comme des droits ancestraux? La cour s'est donné les moyens de résoudre ce genre de question en expliquant qu'il s'agit de droits sui generis qui vont devoir être délimités.
    Nous allons devoir nous en tenir là.
    Merci, madame Crowder.
    La parole passe maintenant à M. Rickford pour sept minutes. Monsieur Rickford, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens, monsieur McCabe, à vous remercier de votre présence ici.
    J'ai pris soin de parcourir votre livre et de prendre connaissance de la note d'information que vous nous avez fait remettre et je dois dire que même pour moi qui, en tant qu'avocat, aie eu à étudier bon nombre de ces questions, la lecture n'en est pas facile.
    La jurisprudence dont vous faites état dans votre note d'information et diverses autres affaires foisonnent de renseignements concernant les pratiques traditionnelles ou l'emploi des ressources terrestres et aquatiques. Tout cela pose bien sûr la question de la manière de répondre aux besoins des communautés des premières nations et de la nécessité de les faire participer aux grands projets de développement économique. Il nous est donc très utile de recueillir l'avis d'un spécialiste de ces questions.
     J'aimerais aborder avec vous certains aspects économiques de la situation sur laquelle nous nous penchons actuellement, et reprendre la question importante que Mme Crowder vous a posée au sujet du développement économique. Nous ne pouvons pas, en effet, avant d'entreprendre, toujours attendre que la Cour suprême se prononce.
    Je ne parle pas en cela des divers droits qui peuvent être revendiqués par les peuples autochtones mais, plutôt, de développement économique. Cela étant, je vous demanderais de tirer de l'excellente analyse juridique à laquelle vous vous êtes livré, certains enseignements pratiques.
    Nous avons évoqué le rapport fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones, et les obligations qui en découlent. La Commission royale sur les peuples autochtones a reconnu qu'il s'agissait dans tout cela de parvenir à un équilibre entre les droits et les obligations. L'arrêt Wewaykum, dont vous faites état à la page 4 de votre note d'information, dans une optique légèrement différente de celle qui est la mienne en l'occurrence, précise que la Couronne n'est pas un fiduciaire comme les autres. Ses obligations doivent prendre en compte les intérêts de toutes les parties concernées, ce qui englobe des droits autres que ceux qui sont garantis à l'article 35.
    Cette précision me paraît importante en vue de la question circonstancielle que j'entends vous poser. Certaines des revendications territoriales sont en cours de ratification. Ces ententes règlent diverses questions, y compris, notamment, celle des droits concernant les biens matrimoniaux, l'utilisation des ressources, et la participation aux avantages économiques.
    Cela étant, quelles sont les questions sur lesquelles la cour va devoir se pencher, compte tenu des cadres réglementaires qui, petit à petit, sont mis en place, et les ententes qui sont intervenues pour régler les revendications territoriales? De nombreuses premières nations ont manifesté leur enthousiasme pour divers projets de développement économique, car cela va leur permettre de participer pleinement aux stratégies économiques régionales, voire nationales.
(1245)
    Il faudrait que j'élargisse mes horizons, car je ne vois pas très bien au juste quels sont les propositions et les documents auxquels vous faites allusion.
    Il est clair que la notion d'honneur de la Couronne et l'obligation de consultation et d'adaptation qui en découlent, fournissent de bons arguments aux peuples autochtones dans le cadre de négociations concernant des projets prévus à proximité des territoires traditionnels des peuples autochtones. La mise en oeuvre de politiques gouvernementales est une conséquence inévitable... Je rappelle cela parce que ce sujet a été évoqué lors de votre dernière séance. Ces politiques apportent des changements, notamment au niveau des manières de procéder, et entraînent également l'adaptation des pratiques et des attitudes chez les auteurs de ces divers projets de développement.
     C'est dire que, dorénavant, les auteurs de projets vont devoir bien mieux qu'avant tenir compte des intérêts des peuples autochtones, et donc négocier avec eux et, souvent, conclure un partenariat. Cela est dorénavant entré dans les moeurs. C'est comme cela que les choses vont dorénavant se passer.
    Vous avez très bien exposé, dans votre note d'information, la question de la conciliation, mais, d'après moi, cela veut dire qu'aucune des parties ne doit tenter de s'opposer au progrès.
     La jurisprudence de la Cour suprême nous permet de retracer l'évolution de la manière dont les tribunaux ont abordé la question des droits ancestraux. Nous avons également dit que les obligations des uns ne confèrent pas aux autres un droit automatique de veto ou de tergiversation. Nous avons évoqué aussi l'aspect pratique de certaines des grandes ententes conclues avec les premières nations dans divers domaines, les ressources forestières, par exemple. Cela soulève souvent cette importante question des deux Couronnes, si vous voulez, c'est-à-dire, en ce qui concerne certaines ressources, la répartition constitutionnelle des compétences entre la province et le gouvernement fédéral, question qui va continuer à occuper les juristes pendant encore longtemps. Je voudrais en outre éviter que se constitue une nouvelle catégorie d'avocats spécialisés dans ces sous-ensembles de droits... Il est d'après moi important donc que le cadre justificatif dont vous faites état dans votre note d'information et qui découle notamment de l'arrêt Sparrow —
(1250)
    Vous avez à peu près épuisé votre temps de parole.
    Excusez-moi.
    Compte tenu des cinq moyens importants de parvenir à la conciliation, il nous faut je pense comprendre l'ampleur des projets de développement économique qui sont prévus ainsi que le rôle que la cour est appelée à jour pour en faciliter le déroulement.
    Il ne nous reste que très peu de temps pour une réponse. Nous allons devoir passer à autre chose.
    Monsieur McCabe, allez-y.
    La cour va régler les questions au fur et à mesure qu'elle en est saisie et il est clair que beaucoup des affaires qu'elle va être appelée à trancher auront trait au développement économique. Cela est vrai notamment des arrêts Haida et Taku River.
    Nous allons devoir passer à autre chose.
    Nous avons tout juste le temps pour deux autres questions. La parole passe à M. Bélanger pour quatre minutes, puis à M. Duncan.
    Monsieur Bélanger, vous avez la parole.
    J'aurais quelques précisions à vous demander.
    Je voudrais revenir sur la question des origines de ce concept. Vous avez cité l'arrêt Mikisew. Les notes d'information qui nous ont été remises par la bibliothèque font état de cette affaire, et notamment de ce qu'a dit le juge Gwynne, selon qui le concept d'honneur de la Couronne remonte à 1895. Étiez-vous au courant?
    Oui.
    Êtes-vous d'accord?
    Ce n'est que dans le cadre d'opinions dissidentes qu'il est fait état, avant 1982, de la notion d'honneur de la Couronne dans la jurisprudence canadienne concernant les peuples autochtones. En fait, en 1982, l'affaire Tayler et Williams, tranchée par la Cour d'appel de l'Ontario —
    Oui, mais la majorité de la cour n'a pas contesté cette opinion dissidente concernant les origines de la notion d'honneur de la Couronne.
    Vous constaterez, en analysant cet arrêt, que la majorité de la cour a rejeté la démarche du juge Gwynne. Il a d'ailleurs lui-même précisé que l'honneur de la Couronne est en jeu dans les divers traités. Il s'agissait, en effet, d'une affaire de traités opposant le Canada et l'Ontario.
    Je vais le lire attentivement.
    Pour qu'il soit donné pleinement effet à ce concept, pour qu'on parvienne justement à ce tournant décisif, il va, je crois, falloir attendre des décennies et l'action de plusieurs générations. Cela va prendre longtemps, mais j'espère tout de même, pas trop longtemps.
    D'après vous, cela va-t-il exiger de nouvelles lignes directrices, de nouvelles politiques et peut-être même de nouvelles règles de droit permettant d'étoffer ce concept?
    L'élaboration de politiques par —
    Il y a des lois, des règlements et des politiques et des lignes directrices. Je pense qu'en ce domaine, nous allons peut-être devoir procéder en sens inverse, et commencer par les lignes directrices. Je me demande si l'on parviendra à une politique, voire à des règlements et même peut-être, un jour, à une loi.
    Le gouvernement fédéral, et les autres paliers de gouvernement vont devoir s'aligner sur les décisions de la Cour suprême du Canada. Dans le courant de ses activités ordinaires, il me paraît presque inévitable que le gouvernement fédéral — et j'en reviens à la discussion que vous avez eue le 8 octobre — les divers ministères, et notamment celui des Affaires indiennes et du Nord canadien, vont devoir élaborer des politiques et définir, de manière plus détaillée, les pratiques applicables.
    Je vous remercie. Je pense avoir épuisé mon temps de parole.
    Il vous reste une minute.
    Monsieur le président, je pense que cela sera un peu juste.
    Je tiens simplement à rappeler une suggestion que j'avais faite, mais je ne sais pas si on lui a donné suite. En ce qui concerne l'origine et l'évolution du concept de l'honneur de la Couronne, il serait peut-être bon de recueillir l'avis des parties directement intéressées et notamment des communautés autochtones. Lorsque j'ai avancé cette idée, j'ai pu voir autour de cette table de nombreuses personnes approuvant de la tête. Je ne fais ici que le rappeler, à l'intention des membres du comité et du greffier, au cas où on pourrait donner suite à cette idée.
(1255)
    Bon. C'est une question qui pourrait être examinée par le sous-comité lorsqu'il s'agira de fixer notre plan de travail.
    Nous passons maintenant la parole à M. Duncan, pour quatre minutes.
    Je vous remercie.
    C'est un vaste sujet. Beaucoup a été fait depuis 1982. À peu de chose près, je participe à ce comité depuis 1993. C'est dire que j'ai pris part à de nombreuses discussions, et que je me suis intéressé de près aux travaux de la Commission royale sur les peuples autochtones. J'ai donc été en mesure de suivre l'évolution de ce concept. En réponse à une question que Mauril a posée, vous alliez dire qu'un processus a été instauré, mais vous n'avez pas eu le temps de terminer. Étiez-vous sur le point d'évoquer la mise en place de tribunaux administratifs chargés de se prononcer sur des revendications particulières. J'imagine qu'il s'agit selon vous d'une bonne chose.
    En effet. J'étais sur le point de dire que de nouvelles politiques sont en effet inévitables. Je relève que dans les deux affaires dont elle a été saisie en 2004, concernant la situation en Colombie-Britannique — l'affaire Haida et l'affaire Taku River, la cour a estimé que les actuels arrangements institutionnels, les tribunaux administratifs d'évaluation environnementale, par exemple, sont des cadres de consultation parfaitement légitimes.
    Autrement dit, aux termes des règles définies par la Cour, il n'est pas du tout nécessaire pour progresser que de nouvelles institutions soient mises en place. Quant à cela, je ne suis pas à même de vous dire si c'est effectivement la meilleure manière de procéder.
    Un des documents d'information qui nous ont été distribués mentionne un guide de la politique fédérale sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones. Selon ce document « Les responsabilités de la Couronne vont diminuer à mesure que les institutions autochtones exerceront des compétences gouvernementales ». Cela est-il conforme à ce que vous retenez de la jurisprudence et des dispositions applicables?
    Cette phrase ne me semble pas ajouter grand-chose. L'obligation qui incombe à la Couronne de se comporter de manière honorable à l'égard des peuples autochtones demeure. Ce que vous venez de dire est peut-être vrai au niveau opérationnel. Il est clair que dans la mesure où le gouvernement autochtone assume de plus en plus de responsabilités, on peut s'attendre à ce que le ministère soit, lui, soulagé d'un certain nombre de tâches.
    Nous n'avons pas beaucoup parlé de responsabilité fiduciaire ou d'obligations du fiduciaire. Je crois, en effet, que l'arrêt Wewaykum opère une distinction à cet égard. Wewaykum, soit dit en passant, est située dans ma circonscription. Je ne crois pas me tromper en disant que selon l'arrêt en question, certaines activités de la Couronne affectant les peuples autochtones et relevant de la relation fiduciaire ne donnent pas nécessairement lieu à une obligation de fiduciaire ayant force obligatoire.
    D'après vous, cela provient-il du fait que la Couronne a, envers la population canadienne en général, des obligations vont au-delà de l'obligation de fiduciaire qui lui incombe envers les Autochtones? Est-ce bien cela?
    Puis-je vous demander de répondre brièvement. Nous sommes à court de temps. Allez-y, monsieur McCabe.
    Je ne pense pas que cet extrait de l'arrêt Wewaykum ait pour objet de la double casquette de la Couronne.
    Allez-y.
(1300)
    La citation en question répond à l'idée qu'il existe, certes, entre la Couronne et les peuples autochtones, une relation fiduciaire, mais que certains aspects seulement de cette relation entraînent la création d'obligations fiduciaires, notamment tout ce qui touche aux réserves ou au produit de la vente de terres de réserve ou autres sommes appartenant à une bande. Il est clair qu'il existe en cela une obligation fiduciaire ayant force exécutoire.
    Je vous remercie.
    Merci, monsieur Duncan.
    Je vous remercie, monsieur McCabe, d'avoir pris le temps de nous entretenir d'un sujet complexe, mais qui revêt un très grand intérêt dans le contexte des questions sur lequel le comité a à se pencher.
    Mesdames et messieurs les membres du comité, avant de lever la séance, il va nous falloir régler très brièvement quelques questions. La première concerne ce que Mme Crowder a dit plus tôt. Elle vient de déposer une motion. Je vais en donner lecture aux fins du compte rendu. Nous n'aurons pas à nous prononcer sur cette motion aujourd'hui, mais nous l'inscrirons à l'ordre du jour de la séance de jeudi. Je vais tout de même vous en donner lecture maintenant afin que vous puissiez y réfléchir avant que nous en discutions jeudi. En voici le texte:
Que le comité a considéré le rapport 2008-2009 du Bureau de l'enquêteur correctionnel et son supplément intitulé « Des bonnes intentions... des résultants décevants » et recommande la mise en oeuvre des recommandations de l'enquêteur correctionnel, et que le rapport de l'adoption de cette motion soit fait à la Chambre.
    La motion est jugée recevable et nous en discuterons jeudi.
    Il reste deux points à régler.
    En ce qui concerne jeudi, la ministre n'a pas pu, étant donné la brièveté du préavis, se libérer pour comparaître devant le comité dans le cadre de l'examen du Budget des dépenses supplémentaires (B), et nous allons donc, comme le comité l'avait demandé, accueillir certains de ses collaborateurs ministériels. Nous souhaitions nous pencher sur ce budget, ce que nous allons faire jeudi. Nous allons donc devoir reporter la comparution du témoin que nous avions prévu d'entendre jeudi. Je ne suis pas encore en mesure de préciser dans quelle salle aura lieu notre séance.
    Et puis, enfin, le sous-comité s'est réuni ce matin et a recommandé que la séance du 10 décembre soit annulée pour que les membres du comité puissent, jeudi, assister à une partie de l'assemblée spéciale des chefs qui doit avoir lieu ici à Ottawa. L'Assemblée des Premières nations aura lieu ici à Ottawa la semaine prochaine, et la dernière réunion se tiendra jeudi matin, jusqu'à midi. Cela donnera aux membres du comité la possibilité d'y assister le 10 décembre, c'est-à-dire jeudi prochain.
    Voilà qui conclut l'ordre du jour d'aujourd'hui.
    Encore une fois, monsieur McCabe, merci.
    La séance est levée.
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