FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 28 mai 2009
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bonjour, chers collègues.
[Traduction]
Bonjour. Nous sommes réunis pour une séance spéciale, à une heure spéciale. Il s'agit d'une séance informelle se déroulant au moment qui convenait à notre témoin invité, qui pouvait seulement être ici aujourd'hui, et nous sommes ravis de sa présence.
Certains de nos membres avaient des engagements préalables au changement de jour, mais quelques-uns se joindront à nous un peu plus tard.
Notre témoin aujourd'hui est Fabienne Hara, vice-présidente de l'International Crisis Group.
Nous vous remercions de prendre le temps de nous présenter vos renseignements. Comme vous le savez, madame, notre comité examine les éléments clés de la politique étrangère du Canada, et nous tenons aussi des audiences sur la région des Grands Lacs d'Afrique; nous avons donc hâte d'entendre ce que vous avez à dire. Je crois comprendre que vous allez présenter au comité la situation au Soudan.
Nous aurons ensuite une période réservée aux questions et aux réponses, si cela vous convient.
Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire.
Bonjour, et merci beaucoup.
Je m'appelle Fabienne Hara. Je suis vice-présidente aux affaires multilatérales de l'International Crisis Group. Je suis établie à New York.
Vous connaissez sûrement l'International Crisis Group. C'est une organisation qui vise la prévention et la résolution de conflits. Nous travaillons sur plus de 62 conflits, sur les cinq continents.
Il y a maintenant six ou sept ans que nous travaillons sur la situation au Soudan. Je m'adresse aussi à vous en tant qu'ancienne directrice politique par intérim de la mission des Nations Unies au Soudan, poste que j'ai occupé en 2006 et 2007.
La situation au Soudan n'est pas très stable. En ce moment, il n'y a aucune véritable perspective de paix pour le Darfour. Vous êtes peut-être au courant des combats menés récemment à la frontière qui sépare le Tchad et le Soudan entre d'un côté, les groupes d'opposition tchadiens et l'armée tchadienne, et, de l'autre, les groupes rebelles du Darfour et le gouvernement du Soudan. Bien sûr, le fait que la CPI mette en accusation le président du Soudan, M. al-Bashir, a aussi déclenché bien des débats et causé de la polarisation.
Au cours des deux ou trois derniers mois, les incidents de sécurité liés aux tribus se sont aussi multipliés dans le sud du Soudan. De plus, de façon générale, le processus politique instauré dans le cadre de l'accord de paix global, signé par le nord et le sud en 2005, ne suscite pas vraiment d'enthousiasme. L'accord de paix global comprend un programme de réformes qui inclut des élections nationales, maintenant prévues pour février 2010, ainsi qu'un référendum sur l'autodétermination du sud du Soudan, prévu pour 2011.
Bien entendu, la mise en accusation par la CPI est appuyée par de nombreux membres de la communauté des ONG, y compris l'International Crisis Group, mais elle est aussi source d'incertitude pour les politiques du Soudan. La mise en accusation par la CPI, l'approche imminente des élections et la tenue du référendum dans deux ans sont autant de facteurs qui contribuent à l'incertitude. En vérité, toute la région ou tout le pays risque d'être gravement déstabilisé.
J'ajouterais aussi comme remarque préliminaire que la communauté internationale doit faire beaucoup d'introspection. Les trois missions de maintien de la paix au Soudan et au Tchad — UNMIS dans le sud, UNAMID au Darfour et MINURCAT au Tchad — ont été mises en place sans liens appropriés avec des processus politiques. La mission dans le sud, UNMIS, est censée aider à mettre en oeuvre l'accord de paix global, mais les deux autres, UNAMID et MINURCAT, ne comportent pas de processus politiques ou de cadre politique; elles n'offrent donc pas de stratégies de sortie en ce moment.
J'aimerais parler brièvement du Darfour, des conséquences de la mise en accusation par la CPI, de l'expulsion des 13 organisations humanitaires internationales, puis du processus Nord-Sud.
Au Darfour, l'expulsion des ONG a évidemment eu des conséquences sur les moyens d'existence de 1,1 million de personnes. Bien sûr, elle a aussi eu des conséquences sur la planification de l'opération humanitaire pour le futur proche, surtout maintenant que la saison des pluies approche. C'est évident qu'il s'agissait d'une réaction politique du gouvernement de Khartoum à la mise en accusation par la CPI. En fait, John Holmes, le coordonnateur des affaires humanitaires de l'ONU, s'est fait dire, lorsqu'il s'est rendu récemment au Soudan, qu'il s'agissait d'une réaction modérée à la mise en accusation. Autrement dit, la réaction aurait pu être bien pire. Le gouvernement aurait pu expulser les diplomates ou les missions de maintien de la paix de l'ONU, mais il a opté plutôt pour les ONG.
Bien sûr, cette mesure a créé un milieu très hostile sur le plan de la sécurité pour les organisations humanitaires. Le milieu est hostile depuis de nombreuses années. Comme vous le savez, les ONG ont été victimes de harcèlement, l'UNAMID a subi des attaques, et de nombreux incidents de sécurité sont survenus au cours des derniers mois, incidents qui visaient tant l'ONU que les ONG. La mesure a aussi créé de la tension dans les camps de personnes déplacées. Comme vous le savez, 2,7 millions de personnes déplacées vivent dans les camps du Darfour.
De plus, le gouvernement de Khartoum a réussi jusqu'à un certain point à mobiliser la communauté internationale, la région, contre la CPI, mais il a aussi quelque peu échoué dans cette tentative, en particulier parce qu'un grand nombre des alliés du Soudan, y compris la Ligue arabe et l'Union africaine, ont vu l'expulsion des ONG comme une erreur.
Maintenant, quelles sont les perspectives de paix pour le Darfour? J'ai parlé des combats menés récemment à la frontière qui sépare le Soudan et le Tchad. Il s'agit d'une guerre par procuration. En fait, la guerre par procuration entre le Soudan et le Tchad dure depuis six ans; le Tchad appuie les rebelles du Darfour, et le Soudan appuie ceux du Tchad. Il n'y a aucun signe de conciliation.
En fait, il y a aussi d'autres combats et un accroissement du potentiel militaire du côté du MJE, un des mouvements rebelles clés du Darfour, qui a attaqué récemment les forces armées soudanaises dans le Nord du Darfour. Les forces armées soudanaises se sont vengées. Il y a donc beaucoup de violence.
Hier, les pourparlers de paix entre le MJE et le gouvernement du Soudan ont repris à Doha, au Qatar. Or, dans le contexte actuel, il est difficile de prévoir où mèneront ces pourparlers.
Il est aussi important de comprendre qu'un tel processus vise essentiellement la fin des hostilités ou un cessez-le-feu, mais pas exactement un processus politique global qui permettra de résoudre la situation au Darfour. En vérité, les experts, les gens qui observent la situation au Darfour, ne croient pas vraiment que ce processus puisse mener à l'établissement d'une paix globale et durable au Darfour. Ceci est dû en partie au fait que le MJE représente une certaine capacité militaire, mais qu'il ne représente pas vraiment les Darfouriens, et certainement pas les 2,7 millions de personnes déplacées qui se trouvent dans les camps.
La question est donc de savoir ce qui apportera la paix au Darfour. Je crois que cette question est étudiée en ce moment à Washington et ailleurs. Scott Gration, le nouvel envoyé spécial au Soudan nommé par le président Obama, examine à l'heure actuelle une stratégie globale pour le Soudan qui inclurait le Darfour et le nord-sud.
J'aimerais soulever un certain nombre de questions très importantes au sujet de l'accord de paix nord-sud, c'est-à-dire l'APG. Bien sûr, une grande partie du travail politique n'a pas encore été fait. En jetant un coup d'oeil à l'échéancier, au calendrier de l'APG, qui inclut les élections prévues pour l'an prochain et le référendum sur l'autodétermination de 2011, on se rend compte que certaines des étapes importantes n'ont pas encore été franchies.
Parmi celles-ci, mentionnons premièrement et brièvement la mise en oeuvre de nouvelles lois visant la liberté démocratique, lois qui n'ont pas été adoptées. Le contexte dans lequel les élections auront lieu ne sera donc pas nécessairement aussi libre et aussi juste que nous l'espérions.
Deuxièmement, la frontière qui sépare le Nord et le Sud doit être délimitée avant la tenue des élections, mais la délimitation n'a pas encore été faite. Le statut des trois zones de transition frontalières entre le nord et le sud — l'Abyei, le Sud du Kordofan et le Nil Bleu — n'a pas été établi.
Finalement et surtout, on n'a pas conclu d'accords de partage des richesses. Je parle ici du pétrole et de l'eau. Le pétrole se trouve dans le sud du Soudan, mais la pipeline qui l'exporte se trouve dans le Nord. Le nord et le sud dépendent fortement l'un de l'autre sur le plan économique. La situation est la même avec l'eau. Le Nil coule du sud au nord. Un accord sur le partage des eaux devra être conclu non seulement entre le nord et le sud, mais aussi avec les autres pays du Nil.
Des élections auront lieu l'an prochain, mais la tenue d'élections dans un tel contexte préoccupe beaucoup les membres de l'International Crisis Group. Permettez-moi de parler de quatre ou cinq de ces préoccupations.
Je devrais préciser d'abord que les élections font évidemment partie de l'APG. Elles constituent un jalon de l'APG. Elles devaient avoir lieu au milieu de la période intérimaire, d'une durée de six ans, et elles devaient servir d'exercice préparatoire au référendum sur l'autodétermination. Bien sûr, le fait de ne pas tenir d'élections risquerait de faire avorter l'APG, mais leur tenue est tout aussi problématique dans le contexte actuel.
Premièrement, le processus de recensement effectué récemment et ses résultats ont été fortement contestés. Les gens du sud croient notamment que le dénombrement de la population du Sud n'est pas exact et qu'ils sont sous-représentés.
L'autre question importante liée au recensement est de savoir qui votera dans le cadre de ces élections. Certaines des populations du sud, certaines des personnes du sud vivant dans le nord, certaines des personnes qui occupent les zones de transition frontalières entre le nord et le sud et, surtout, la majorité des Darfouriens n'ont pas été comptés lors du recensement. Il y a donc un risque très élevé que de grands segments de la population ne votent pas.
Bien sûr, lorsqu'on se penche sur la situation au Darfour et sur l'organisation actuelle des camps — sur le fait qu'au-delà d'un tiers de la population vit dans des camps et que deux tiers ont besoin de l'aide alimentaire de l'ONU —, on s'imagine avec extrêmement de difficulté que des élections puissent avoir lieu dans un tel contexte.
Une des questions est donc de savoir qui votera dans le cadre de ces élections.
Une autre grande question est de savoir ce que ces élections accompliront. Dans le contexte actuel, dans lequel le Parti du Congrès national possède tous les instruments du pouvoir dans le nord et le MLPS possède la plupart des instruments du pouvoir dans le Sud, il est certainement très peu probable que ces élections apportent une transformation démocratique. Elles risquent plutôt de renforcer le statu quo.
Or, si des intervenants importants, comme les Darfouriens ou peut-être même les partis de l'opposition du nord, ne sont pas d'accord avec les élections, cela veut dire qu'il ne s'agira que d'élections partielles. Ainsi, la légitimité de ces élections ne sera pas aussi...
Il y a aussi un risque de violence, surtout dans le sud. Je l'ai déjà dit, les incidents tribaux sont très fréquents ces temps-ci. Les élections pourraient semer beaucoup de discorde dans un contexte où les tensions ethniques sont fortes.
Finalement, le président al-Bashir se présentera-t-il aux élections? La question reste sans réponse pour le moment. Il est actuellement le candidat du Parti du Congrès national, mais la CPI l'a aussi mis en accusation. Il n'a pas été jugé; rien ne l'empêche donc de présenter sa candidature. Or, je pense que c'est une question que la communauté internationale doit se poser. Devrions-nous appuyer le processus qui pourrait mener à la légitimation d'une personne que la CPI a mise en accusation? Si c'est le PCN qui organise les élections, il est très peu probable que le gouvernement du Soudan les perde.
La grande question que nous devons donc nous poser maintenant est de savoir qui procédera à l'évaluation politique. Le Secrétaire général des Nations Unies se présentera-t-il au Conseil de sécurité pour lui demander si les élections se passeront dans un contexte favorable et si nous devrions appuyer le processus? Certains d'entre vous savent peut-être que l'ONU a reçu la demande d'appuyer le processus.
Voilà ce que je voulais dire au sujet du Darfour et de la situation nord-sud.
Pour conclure, je dirais simplement que la grande question sur laquelle nous devons nous pencher en ce moment — et je suis heureuse de savoir que le nouvel envoyé spécial du gouvernement des États-Unis traite la même question — est de savoir comment relier les parties. Comment relier le Darfour au programme national de réforme inclus dans l'accord de paix global? Est-ce possible de relier les deux? Vaut-il la peine pour les Darfouriens d'entreprendre un processus de paix un an avant les élections? Autrement dit, est-ce que les élections font entrave aux négociations sur le partage des pouvoirs avec les Darfouriens? Si nous insistons sur le partage des pouvoirs et sur un processus de paix global pour le Darfour, devrions-nous, en revanche, remettre les élections à plus tard?
Tout ce que j'essaie de dire, c'est que les processus auront des conséquences l'un sur l'autre, et que nous devons envisager une stratégie globale pour le Soudan, une stratégie nationale, dans tous ses détails. Sinon, les deux voies resteront séparées, il y aura une voie nord-sud, et la situation au Darfour ne sera toujours pas résolue. Il pourrait en être ainsi pendant bien longtemps.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup, madame Hara.
Nous passons à la première série de questions
Monsieur Pearson, vous disposez de sept minutes.
Madame Hara, je vous remercie beaucoup d'être venue. J'attendais avec impatience d'avoir des nouvelles de la situation là-bas.
En ce qui concerne le Soudan même, je me rends compte que le pays a connu beaucoup de tensions tribales l'année dernière. Je me rends également compte que Salva Kiir s'efforce de les cacher parce qu'il souhaite se présenter comme président, maintenant que la réputation d'al-Bashir est plus ou moins entachée par les accusations portées par la CPI.
Je suis également conscient du fait qu'on a tellement mis l'accent sur Juba, Rumbek, leur développement, etc. que, dans les régions frontalières qui ont été les plus touchées pendant la guerre civile, très peu de développement est en cours. La majeure partie de l'argent lié à l'APG ne leur est jamais parvenue. Bon nombre de gens là-bas sont à peine conscients de l'existence de Juba. Même les chefs de la société civile qui étaient censés s'y rendre ne veulent pas voyager aussi loin dans le Nord. Donc, nous nous trouvons en présence d'un certain nombre de personnes qui vivent dans la région frontalière, qui ont récemment vécu une guerre et qui disposent de très peu de moyens en matière de contrôle administratif, d'aide ou de normes.
Je voulais également vous poser des questions à un autre sujet. Je sais aussi que l'ALPS déménageait dernièrement toutes sortes de PDIP du Sud du Darfour au Nord, en particulier dans la zone rurale orientale, la région du comté de Twic, dans le cadre du recensement. Je comprends les raisons pour lesquelles elle l'a fait mais, malheureusement, les services sociaux et les choses de ce genre faisaient défaut pour loger certaines de ces personnes. Je sais que, dans une de ces zones, 130 000 personnes sont en train de s'établir et qu'elles ont épuisé toutes les ressources disponibles.
Je me rends compte que les gens veulent parler du référendum et des élections qui approchent, mais il me semble que le pays s'apprête à imploser, plus ou moins de l'intérieur, d'une région à l'autre, d'une tribu à l'autre, même entre les membres des Dinka et des Nuer. Êtes-vous d'avis que nous ne prêtons pas suffisamment d'attention à cela? Pendant que nous passons notre temps à prêter attention au Darfour et à la CPI, la chose même que nous pensions avoir accomplie grâce à l'APG est-elle en train de craquer de partout?
Je vous remercie beaucoup de votre question. Elle est très pertinente.
Je vous dirai deux choses. D'abord, l'APG, l'Accord de paix global, était un moyen de mettre un terme à la guerre entre le Nord et le Sud, mais il n'a jamais mis l'accent sur le Sud. Le Sud, comme nous le savons, possède très peu d'institutions. Il n'y a pour ainsi dire aucune structure étatique. Donc, l'APG n'est absolument pas la feuille de route pour créer un État dans le Sud du Soudan. Et pourtant, c'est exactement ce qu'il faudrait faire. Donc, la prochaine étape devrait consister — en fait, elle devrait commencer maintenant — à examiner le Sud du Soudan et à essayer de consolider ses institutions. Consolider l'armée, le service de police et la primauté du droit, et s'efforcer d'établir à Juba une autorité qui se met à l'écoute des diverses régions et qui décentralise le peu de pouvoirs qu'elle possède.
Le Sud planifie déjà de décentraliser ses pouvoirs, mais cette initiative doit aller plus loin. Ça ne fait pas de doute. Malheureusement, tout se déroule dans une ambiance extrêmement difficile et tendue. Comme vous le savez, le MLPS/ALPS a pris part une guérilla pendant 20 ans et ses membres doivent maintenant relever plusieurs défis simultanément. L'un d'eux consiste à bâtir un État dans le Sud du Soudan et l'autre à se transformer en parti politique. Leur troisième défi consiste à résister aux efforts que Karthoum déploie pour déstabiliser l'APG et le Sud. Le comité international les a chargés d'une quatrième tâche, c'est-à-dire les aider à résoudre le processus au Darfour.
C'est beaucoup de défis pour un seul gouvernement, en particulier un nouveau gouvernement. Très peu de membres du MLPS ont l'expérience du gouvernement. J'en ai été témoin moi-même. Bon nombre des officiers sont en réalité illettrés et ils ont été intégrés dans l'administration. Cela ne contribue pas à la rendre particulièrement efficace.
L'autre chose que je désirais vous dire, c'est que vous avez fait une excellente observation lorsque vous avez mentionné qu'on prêtait trop attention au Darfour et pas assez au Sud. Même lorsque je travaillais pour les Nations Unies, le message que j'essayais de communiquer à mes homologues new-yorkais, était qu'il fallait investir plus de capital politique dans la relation Nord-Sud, parce que la paix entre ces deux régions garantirait la paix dans le pays. C'est le seul accord qui tient au Soudan en ce moment. C'est ce qui maintient l'unité dans le pays. Si cet accord tombe à l'eau, la guerre reprendra, et son retour au cours des dernières années a entraîné autant de morts dans le Sud qu'au Darfour. La guerre a été extrêmement violente et le sera de nouveau.
Vous voyez le Soudan en ce moment; il demeure uni. Le cessez-le-feu est somme toute maintenu. Cela permet au Darfour de s'effacer. Si le processus Nord-Sud s'effondre, il n'y aura plus de Soudan à discuter. Comme un représentant des Nations Unies me l'a dit récemment, si le Soudan implose, la Somalie sera du gâteau comparé au Soudan.
J'ai encore du temps, monsieur le président?
Le président: Oui, monsieur.
M. Glen Pearson: Ce qui m'intéresse c'est que, lorsque l'APG a été signé, les habitants des régions frontalières, là où bon nombre des conflits avaient eu lieu, ont vraiment eu l'impression que c'était le genre de solution qui allait s'appliquer à eux. Ils entendaient dire qu'on allait leur verser des recettes pétrolières, leur fournir des professeurs, construire des écoles, etc. Et je sais que bon nombre des pays occidentaux qui ont fourni de l'aide financière dans le cadre de l'APG, ont également contribué à entretenir cette illusion.
Maintenant, les gens qui vivent dans les régions éloignées, les zones frontalières, observent ce qui se passe dans le Sud, voient tous les développements dont bénéficient Juba, Rumbek et les autres endroits dont j'ai parlé, et éprouvent un ressentiment croissant à l'égard de l'APG parce qu'il ne leur a pas apporté ce qu'ils attendaient. Mais ce n'est pas la seule chose qui les contrarie; ils sont fâchés contre leurs chefs parce qu'ils ont manqué à leurs obligations. Ils sont également irrités que Salva Kiir passe beaucoup de temps à Karthoum. Cela les dérange également.
J'essaie toujours d'obtenir une réponse à propos de cet aspect-là. Il me semble que, peu importe ce qui se produit au Darfour, la division dans le Sud du Soudan, entre le Nord-Sud du Soudan et la partie méridionale du Sud du Soudan — et je n'inclus pas les autres régions —, devient maintenant de plus en plus évidente étant donné que les gens ne reçoivent pas les services auxquels ils s'attendaient.
Je comprends ce que vous voulez dire lorsque vous affirmez que, de bien des façons, l'APG n'a jamais été conçu dans ce but, mais on leur a laissé croire que c'était le cas et c'est pourquoi les régions du Nord l'ont appuyé. Avez-vous une opinion à ce sujet?
Je pense que les gens ont appuyé l'APG pour une raison très simple, à savoir que l'accord les amènerait à l'autodétermination. Les habitants du Sud sont très attachés à l'idée de l'autodétermination et je pense que c'est la seule chose qui les a attirés dans l'APG. Après six ans, ils pourraient organiser leur référendum et se soustraire à la domination du Nord. Je pense que c'est ce que ressentent 99 p. 100 des Soudanais du Sud.
Mais, vous avez absolument raison. Il y a un problème de distribution des revenus dans le Sud du Soudan et il y a également un problème de perception quant à l'équité du gouvernement de Juba auquel s'ajoute, bien entendu, une dimension ethnique. Le MLPS/APLS est vraiment perçu comme étant dominé par les Dinka, un des principaux groupes ethniques du Sud du Soudan.
Mais il y a un grand nombre de groupes ethniques dans le Sud du Soudan. Les petits et les grands sont réellement très contrariés par la domination des Dinka, ce qui, en fait, entre également en ligne de compte dans les élections, et ce facteur joue, plus que tout, en faveur des élections. Si le MLPS annule ou reporte les élections, ou si le parti est perçu comme étant derrière le report, bon nombre de collectivités du Sud du Soudan interpréteront cette décision comme un moyen d'asseoir la domination des Dinka. Donc, ils doivent, dans une certaine mesure, avoir l'air de faire tout ce qu'il faut pour tenir des élections afin d'être essentiellement perçus comme étant prêts à être contestés.
La question que vous posez est très importante pour nous tous. Nous venons récemment d'avoir le même débat à propos du Congo. Comment peut-on créer un État dans un endroit comme le Sud du Soudan. C'est peut-être quelque chose dont il faudrait discuter avec les autorités du Sud du Soudan.
Nous dirigeons tous notre attention vers 2011. Qu'arrivera-t-il le lendemain? Même s'ils obtiennent leur indépendance, que se passera-t-il le lendemain du référendum? Jusqu'à maintenant, il y a eu très peu de débats à ce sujet-là, et peut-être est-ce une chose à laquelle nous, y compris les membres de l'International Crisis Group, devrions réfléchir.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur Pearson. Nous constatons certainement l'intérêt que vous portez à cette région. Je vous remercie de ces questions.
Madame Deschamps.
[Français]
Merci beaucoup, madame Hara, de vos informations.
La projection est assez éloignée. Vous parlez de 2011, alors qu'on a encore beaucoup de choses à faire. Vous avez dit que la tenue d'une élection en 2010 et d'un référendum en 2011 avait créé un climat d'incertitude. De plus, le mandat que la Cour pénale internationale a émis à l'égard du président du Soudan vient jeter davantage d'huile sur le feu.
On dit aussi qu'au cours de la dernière année, le climat d'insécurité et même de violence a pris de la vigueur et de l'ampleur. On a dû retirer davantage les groupes humanitaires qui travaillaient sur le terrain. La situation n'est pas très réjouissante. Vous dites aussi que sur le plan politique, il y a encore beaucoup de travail à faire. L'agenda est assez serré et il y a beaucoup d'incertitude.
Le Canada vient de replacer le Soudan sur la liste des pays prioritaires. Des sommes d'argent vont probablement être acheminées à court terme, mais de quelle façon peuvent-elles arriver dans ce pays? Comment peuvent-elles être utilisées afin de mettre en place des projets susceptibles d'avoir un impact rapidement, d'autant plus que les ONG ne sont pas sur place? Comment ramener ces gens là-bas et assurer leur sécurité?
En ce qui concerne le Darfour, un certain nombre de négociations ont été menées par l'envoyé spécial américain, par John Holmes aussi, pour rétablir un niveau d'aide humanitaire et compenser les trous laissés par le départ des 13 ONG internationales.
Également, une négociation a eu lieu avec le gouvernement soudanais pour qu'il y ait une évaluation conjointe du gouvernement et des Nations Unies. Ces deux négociations en parallèle ont produit un système de monitoring d'une part, qui, avec un comité de surveillance né de ce nouvel accord, sera de très haut niveau. Et, d'autre part, cela a produit un accord pour accueillir de nouveau un certain nombre d'organisations humanitaires. Elles ne seront pas forcément les mêmes que celles qui sont parties ou alors elles seront les mêmes, mais avec d'autres logos. Par exemple, si c'est Oxfam qui a été chassé, ce ne sera pas Oxfam GB, mais ce sera peut-être Oxfam Espagne qui sera accueillie et acceptée.
Il y a un peu de progrès sur cette question-là. On va voir maintenant ce que ça donne dans la réalité. On ne peut pas savoir exactement comment le gouvernement va réagir. Ce qui est certain, c'est que l'aide humanitaire, l'aide aux victimes de guerre, a servi d'instrument à des fins politiques. Je dirais, en particulier, que cette question a été montée en épingle parce que la nouvelle administration Obama venait d'arriver et que c'est devenu le point de départ d'une négociation plus politique, plus sérieuse qui concerne d'autres questions, y compris le mandat d'arrêt contre le président Béchir. Ce n'était pas exclusivement pour cette raison, mais c'est aussi pour cela.
En fait, c'est la première étape d'une négociation qui sera plus longue. Aujourd'hui, la grande question consiste à savoir à quoi conduira cette négociation. Aurons-nous, oui ou non, comme je le disais tout à l'heure, une stratégie nationale pour tout le Soudan, qui va réunir les aspects humanitaire, politique et de sécurité — le peacekeeping et le politique, en particulier —, et le Darfour, l'Est du pays et le Sud-Darfour, dans une même stratégie nationale?
Vous qui êtes une spécialiste en prévention et en résolution de conflits, quel serait le message ou quelle serait la priorité du gouvernement du Canada afin d'agir rapidement? Vous avez parlé d'investissement, mais cela peut revêtir plusieurs formes.
En priorité, il faut que ce soit un investissement politique, c'est-à-dire demander que la réponse internationale à la crise du Soudan soit stratégique, comme on le disait tout à l'heure, qu'on ait une stratégie politique avec des objectifs clairs, ce qui n'a absolument pas été le cas jusqu'à présent. On a beaucoup répondu à l'actualité, surtout en ce qui concerne le Darfour. On a beaucoup répondu aux questions des droits de la personne, mais on n'a pas de stratégie politique pour tout le Soudan.
Dans un premier temps, la question est de savoir ce qu'on veut de ce gouvernement. Comme on l'a dit tout à l'heure, le conflit Nord-Sud demande plus d'attention que le Darfour. Le conflit Nord-Sud, c'est vraiment la colonne vertébrale. Il faut que le Canada fasse pression auprès du Conseil de sécurité, vis-à-vis du gouvernement de Khartoum et du Sud-Soudan aussi, pour que le processus reste sur ses rails et que le travail politique soit fait avant 2010, 2011.
Dans un deuxième temps, en ce qui a trait au peacekeeping, les trois missions actuellement dans la région n'ont pas véritablement de mandat politique, de mandat actif, ni de mécanisme de coordination. Par exemple, entre la mission qui est au Tchad et celle qui est au Darfour, il n'y a presque pas de coordination, ce qui est quand même assez curieux.
Une des questions qui pourraient être abordées serait que le Conseil de sécurité, par exemple, demande un rapport conjoint de ces deux missions sur la situation à l'Est du Tchad et celle au Darfour, et un rapport conjoint sur le Soudan de manière générale.
Pour l'instant, la façon dont on aborde les problèmes est extrêmement fragmentée.
C'est quand même particulier, sachant que ces deux missions travaillent de façon parallèle, qu'on n'ait pas demandé sur le plan international des rapports pour pouvoir évaluer la coordination des deux missions. C'est particulier.
Monsieur le président, ai-je encore du temps ou puis-je continuer toute la journée?
Le président: Go ahead. In about 22 seconds.
Mme Johanne Deschamps: Merci beaucoup. Voulez-vous ajouter un mot?
Des discussions sur une stratégie sont en cours.
[Traduction]
À l’heure actuelle, les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni, la Ligue des États arabes, l’Union africaine et l’Organisation de la Conférence islamique discutent d’une stratégie. Je ne pense pas que le Canada participe officiellement aux discussions, mais c’est le bon moment d’influencer le processus. Dans quelques semaines, il sera trop tard.
Merci beaucoup.
M. Lunney et M. Abbott se partageront le temps qui leur est alloué.
Allez-y, monsieur Lunney.
Merci, monsieur le président.
J’examine les chiffres que j’ai devant moi. Nous savons que les forces de l'UNAMID — les 7 400 soldats, si j’ai bien compris — qui se trouvent là-bas n’ont pas été tellement efficaces. Je crois comprendre qu’en vertu de l’entente actuelle, elles sont censées accroître leurs effectifs jusqu’à ce qu’ils atteignent 26 000 personnes, mais qu’elles sont seulement à mi-chemin de leur objectif puisqu’elles comptent peut-être 15 000 personnes sur place. Elles ne semblent pas être beaucoup mieux organisées à ce stade.
Ma première question est la suivante: selon vous, le nombre accru de soldats a-t-il une influence positive, quelle qu’elle soit, sur la situation?
Je pose ma deuxième question au nom des personnes qui habitent dans les camps et qui sont très démunies devant les attaques lancées par les milices Janjawid, etc. Je pense que les forces de l'AMID avaient l’habitude de se retirer dans leurs bases pendant la nuit et de laisser les gens sans protection. Le font-elles toujours au Soudan?
Avant de passer la parole à mon collègue, j’ai une troisième question. En février 2009, le Mouvement pour la justice et l'égalité, un des groupes de rebelles, a signé, si j’ai bien compris, une déclaration d’intention avec le gouvernement du Soudan. Je me demandais si, selon vous, cette entente était un signe positif. Y a-t-il eu des signes encourageants qui nous permettent de croire qu'elle réduit les conflits dans la région ou qu'il y a des chances qu'elle contribue à une plus grande stabilité?.
Merci beaucoup.
Votre première question concernait l'UNAMID. Environ 13 000 des 20 000 casques bleus ont été déployés. Ils sont toujours privés de matériel très essentiel. Par exemple, la nécessité de fournir des hélicoptères à l'UNAMID afin qu'elle puisse jouer efficacement son rôle de force de protection, fait toujours l'objet de discussions. Ils ont besoin d'être mobiles, très mobiles, et pour ce faire, ils ont besoin d'hélicoptères. Et pourtant, ils en demandent depuis plusieurs années et aucun pays ne s'est porté volontaire pour leur en fournir. Récemment, l'Éthiopie leur a offert quelques hélicoptères, mais leur nombre est loin d'être suffisant. Donc, voilà où en sont les choses du point de vue de la protection.
Ont-ils une influence positive? Selon le dernier rapport du secrétaire général de l'UNAMID, ils font ce qu'ils peuvent pour protéger les PDIP. Ils ont un solide mandat, mais ils font également l'objet d'attaques. Les groupes armés se multiplient au Darfour. Des patrouilles de l'UNAMID ont été attaquées à de nombreuses reprises. Le nombre d'incidents au cours des derniers mois est incroyable. Des enclos d'ONG et de l'ONU ont été pillés et brûlés. Des travailleurs humanitaires ont été kidnappés.
Donc, c'est un milieu très peu sécuritaire tant pour les employés de l'ONU que pour les travailleurs humanitaires. Malheureusement, ces problèmes sont le fruit de la fragmentation du Darfour, de la multiplication des groupes armés et, évidemment, des divers programmes politiques. Mais cela ne découle pas uniquement des programmes politiques du gouvernement du Soudan; il y a également beaucoup de banditisme et d'activités criminelles. Comme je l'ai dit plus tôt, sans processus politique, ces forces n'auront aucun espoir de quitter le Soudan et l'influence qu'elles pourront avoir sur le terrain sera uniquement marginale.
En ce qui concerne l'entente conclue avec le MJE en février 2009, oui, on l'a appelée une entente de bonne volonté. Elle avait essentiellement pour but d'échanger des prisonniers de guerre. Mais après le 4 mars, date à laquelle le président al-Bashir a été formellement accusé par la CPI, le gouvernement du Soudan a expulsé 13 organisations et le MJE a suspendu les négociations. Elles ont seulement repris, officiellement, hier mais, comme je l'ai mentionné au tout début de la réunion, il y a eu beaucoup de combats dans le Nord du Darfour. Le MJE a attaqué et pris possession — bien que cette affirmation soit contestée par les porte-parole du gouvernement — d'une des villes du Nord du Darfour.
Dans cette ambiance, il est improbable que les pourparlers de paix donnent bientôt des résultats. Il se peut qu'ils en donnent finalement, mais pas immédiatement.
Merci, monsieur le président.
Merci de nous faire profiter de votre expertise.
J'aimerais qu'on aborde brièvement la question du pétrole. Premièrement, j'aimerais savoir ce que vous pensez du fait que l'argent du pétrole alimente, pardonnez-moi le jeu de mots, la capacité des différents intervenants d'entretenir toute cette violence.
J'aimerais deuxièmement que l'on parle du départ de la société Talisman. De toute évidence, on a continué d'extraire du pétrole, mais je suis curieux de savoir si les choses ont changé, en bien ou en mal, après le départ de Talisman.
Merci.
La question du pétrole est sur toutes lèvres au Soudan. C'est un sujet on ne peut plus difficile, car très peu d'informations sont communiquées. Ce n'est pas une entreprise très transparente.
À l'heure actuelle, l'économie est régie par l'entente de partage des richesses, un volet de l'accord de paix global. Cette entente prévoit essentiellement que les revenus tirés de l'exploitation du pétrole au Soudan doivent être distribués à parts égales entre le Nord et le Sud. La majeure partie des stocks de pétrole se trouvent dans le Sud du pays, mais sont exportés par le Nord.
Récemment, les prix du pétrole ont chuté, ce qui a entraîné une crise économique dans le Nord et le Sud du pays. La situation est grave, car cela signifie que le gouvernement pourra encore plus difficilement desservir la population.
Au cours des dernières années, particulièrement après la fin de l'année 2000, beaucoup de nouveaux investisseurs sont venus au Sud-Soudan, notamment la Chine, l'Inde et la Malaisie. Ce ne sont pas les seuls intervenants de l'entreprise ou de l'économie pétrolière, mais ce sont les principaux. La Chine, surtout, subit d'énormes pressions en raison du soutien qu'elle témoigne au gouvernement soudanais, un soutien en grande partie attribuable à l'accord pétrolier que les deux pays ont conclu. Il est vrai que la Chine a protégé et défendu pendant un certain temps le gouvernement du Soudan contre la plus robuste des résolutions établies par le Conseil de sécurité. On peut cependant dire qu'elle a quelque peu changé son fusil d'épaule depuis. Elle a réagi aux pressions qui étaient exercées sur elle et a encouragé le gouvernement soudanais à stabiliser le Darfour. C'est en fait la Chine qui a réussi à convaincre le Soudan à consentir au déploiement de la mission des Nations Unies et de l'Union africaine. Si la Chine ne s'en était pas mêlée, l'entente n'aurait jamais eu lieu. Elle commence donc à s'impliquer davantage. Je crois que la Chine a également compris que le Sud-Soudan pourrait faire sécession en 2011, et si c'était le cas, elle devrait établir des liens avec le gouvernement sud-soudanais.
Clairement, les intervenants de l'industrie pétrolière ne sont pas occidentaux. C'est un autre facteur dont nous devons évidemment tenir compte.
Merci, et merci à notre invitée d'être venue faire le point sur la situation.
Il est intéressant de savoir que le peuple canadien partage une longue partie de son histoire avec le peuple soudanais. Le premier contact remonte en fait à 1884, alors qu'on avait photographié sur la Colline du Parlement un groupe mandaté par Garnet Wolseley d'aller secourir le général Charles Gordon, qui avait été laissé au Soudan. L'équipée, composée notamment de bûcherons et de Mohawks, s'était ainsi rendue au Soudan. J'ai l'impression que ces hommes ne savaient pas tous exactement dans quelle aventure ils s'embarquaient, un peu comme nos troupes qui partent aujourd'hui.
Je crois que nous devons maintenant établir quels sont les objectifs de notre pays. L'un d'eux est évident à mon avis, et vous l'avez déjà mentionné, c'est-à-dire la fourniture d'hélicoptères. La question a certainement donné lieu à des discussions à la Chambre des communes; nous nous sommes en effet demandé si nous étions en mesure de le faire. Nous avons eu un débat intéressant à savoir si nous disposions physiquement des appareils en ce moment. Quoi qu'il en soit, il existe des moyens pour s'en procurer. Il serait donc tout à fait sensé de fournir les hélicoptères.
Je sais qu'on a demandé au Canada d'assurer la coordination entre les missions déployées par les Nations Unies dans la République démocratique du Congo et au Soudan. C'est parce que nous avons une certaine expertise dans ce domaine. Il ne s'agit donc pas de déployer des milliers et des milliers de troupes, mais d'assurer la coordination entre les missions.
Croyez-vous que cela pourrait être utile?
J'ai aussi trouvé très intéressante l'idée de consolider les efforts d'édification de l'État. J'espère que c'est ce qui se passe en ce moment à Doha, alors qu'on tente de déterminer comment appuyer les mesures prises à la suite du conflit. Voici la question que je veux vous poser: Comment le Canada peut-il contribuer aux efforts de consolidation?
J'aimerais donc que vous me donniez vos impressions à propos de ces trois questions: l'équipement; la capacité du Canada d'assurer la coordination entre les missions militaires; et la contribution potentielle du Canada à la consolidation des efforts d'édification de l'État et de la gouvernance.
Merci beaucoup.
Pour ce qui est de l'équipement, les médias ont fait des choux gras du fait que la mission au Darfour avait besoin d'hélicoptères. Donc, si le Canada pouvait lui fournir ces appareils, il deviendrait instantanément un héros aux yeux de la société civile internationale, à tout le moins, et certainement aux yeux de la population du Darfour. Mais la vraie question que l'on doit se poser, c'est de savoir ce que pourra accomplir la mission, même aidée par des hélicoptères. Son mandat est encore limité. Le contexte de sécurité est aussi encore très difficile. Les hélicoptères ne suffiraient donc pas pour faire une réelle différence sur le terrain.
Comme je l'ai dit, et je reviens à mon message principal, tant qu'il n'y aura aucun signe d'accalmie, qu'est-ce que pourra faire la mission de maintien de la paix des Nations Unies? Nous avons vu dans plusieurs régions de la Corne de l'Afrique que les missions de maintien de la paix envoyées là-bas avaient été établies sans trop d'égard au contexte. Que pourra faire la mission des Nations Unies en vase clos? Aucune stratégie régionale n'a été mise en place; nous savons pourtant, et j'arrive à votre deuxième point, que les problèmes du Darfour sont largement attribuables au conflit Soudan-Tchad, ou à des difficultés localisées. On ne peut compter sur aucune stratégie pour composer avec les conflits locaux. Il n'existe même pas de vraie stratégie pour s'attaquer aux conflits nationaux de façon très cohérente.
La capacité de la mission est donc importante. Les mandats sont aussi très importants. La clé de la réussite réside dans les buts et les objectifs que le conseil conférera à cette mission.
Pour ce qui est de la coordination de la mission des Nations Unies, comme je l'ai indiqué plus tôt, les choses sont en ce moment plutôt désorganisées. Et ce désordre transparaît dans l'ordre du jour des rencontres du Conseil de sécurité. On a un premier point, le Nord-Sud; un autre, le Darfour; et encore un autre, Soudan-Tchad. C'est vraiment incroyable. Il faut absolument qu'un changement s'opère. J'ai recommandé, par exemple, que l'on produise des rapports communs sur les trois missions (au moins sur les deux missions au Soudan), ou encore des rapports communs sur la mission au Tchad et la mission au Darfour à la lumière du conflit Soudan-Tchad. Pourquoi est-ce que le conflit Soudan-Tchad n'est pas vraiment vu comme une menace pour la paix et la sécurité internationales par le Conseil de sécurité? C'est à n'y rien comprendre; il faut faire quelque chose.
Autrement dit, c'est une excellente idée. Il faudrait assurer une coordination militaire et politique entre les missions. Il faudrait aussi réclamer une stratégie transfrontalière.
Pour ce qui est de la consolidation des efforts d'édification de l'État, comme je l'ai mentionné à votre collègue plus tôt, aucune discussion n'a été entamée à ce sujet pour le moment. On parle beaucoup du renforcement des institutions, de l'aide au gouvernement à Juba et de la distribution des dividendes de la paix, mais il n'y a aucun processus formel pour discuter de l'aide internationale. Nous devrions peut-être envisager la possibilité d'adopter un cadre stratégique pour le Sud-Soudan. En passant, c'est ce que la Commission de consolidation de la paix des Nations Unies est censée faire. Un processus semblable devra être élaboré pour le Sud-Soudan, mais rien de tel n'existe en ce moment. Je crains cependant que les Sud-Soudanais n'aient pas vraiment leur mot à dire dans ce processus. Leur voix devrait toutefois être entendue, et on devrait les encourager à s'impliquer.
Vous avez parlé de la Commission de consolidation de la paix. Et, vu son histoire, le Canada appuie certainement cette initiative. Ce nouvel organe gouvernemental sera perçu, souhaitons-le, comme une institution viable pour gérer la période post-conflit.
Vous espérez donc que nous consacrions certaines de nos ressources, par l'entremise de la commission, au maintien de la paix qui semble vouloir s'installer dans le Sud du pays. Est-ce bien ce que vous nous dites, ou espérez-vous simplement que les choses vont reprendre leur cours normal d'elles-mêmes? Comment le Sud cadre-t-il dans le portrait?
Si le Sud-Soudan devient indépendant, et c'est encore très hypothétique, il pourrait devenir un client de la Commission de consolidation de la paix. Mais on discute actuellement d'autres solutions. Je ne sais pas si vous connaissez l'initiative de redressement rapide et de stabilisation, mais c'est une autre des possibilités envisagées. La Commission de consolidation de la paix n'est qu'une option parmi d'autres. Il faudrait discuter sérieusement pour déterminer ce qui est le plus approprié pour le Sud-Soudan, et il faudrait aussi s'asseoir avec les autorités sud-soudanaises. Si le Sud-Soudan devient un client de la commission, cela signifie qu'il obtiendrait de l'argent pour des activités que je qualifierais de « politiquement incorrectes »; par exemple, des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration, ou des programmes de réforme du secteur de la sécurité. Par contre, la plupart des pays en période de post-conflit n'aiment pas se trouver sous le microscope du monde politique, et la Commission de consolidation de la paix est un instrument qui sert à garder l'oeil sur les gouvernements.
J'ai une dernière question à vous poser. C'est à propos des élections. Je ne sais pas trop quelle est votre position à ce sujet. Croyez-vous qu'il faudrait encourager la tenue d'élections? Des pays comme le Canada peuvent évidemment faire leur part pour faire en sorte que les élections soient les plus équitables possible et que le processus de préparation soit assuré de manière juste.
Je ne peux pas vous répondre à ce stade-ci, mais je recommanderais probablement qu'une évaluation politique très sérieuse soit menée à l'égard des élections elles-mêmes, des attentes faces à celles-ci, des conditions du suffrage et de l'équité du processus. Si on déterminait que les élections auraient pour effet de marginaliser davantage les Darfouriens, il faudrait sans doute reconsidérer cette possibilité. De la même façon, si on déterminait qu'elles engendreraient davantage de violence dans le Sud, il faudrait peut-être reporter les élections en attendant la tenue d'une consultation sur le processus de paix dans le Sud du pays.
Reste maintenant à savoir qui fera cette évaluation politique. Qui héritera de cette responsabilité? Je crois que c'est une question primordiale, mais nous ne pourrons y répondre avant d'avoir établi une stratégie globale pour le Soudan, en fonction de l'APG, mais aussi des suites de l'APG. Quels sont les scénarios possibles: sécession; sécession violente; sécession pacifique? Où en sommes-nous aujourd'hui? Que voulons-nous vraiment voir au cours des prochaines années?
Merci, monsieur Dewar.
J'ai quelques questions à poser avant de céder la parole à M. Abbott.
On peut utiliser bien des qualificatifs pour décrire la situation au Darfour, mais c'est certainement une des pires crises humanitaires jamais vues. On a reproché à la communauté internationale d'avoir autant tardé à réagir. Les mesures qui ont été prises n'ont rien donné. Je sais que l'opposition aime bien pointer le gouvernement du doigt en lui disant qu'il n'en fait pas assez. Le gouvernement en place, lui, aime dire qu'il a pris telle ou telle mesure bilatérale ou multilatérale et qu'il travaille en collaboration avec les Nations Unies.
Des étudiants se sont présentés à mon bureau il y a environ un an, des jeunes qui m'ont beaucoup impressionné. Il s'agissait d'un groupe d'étudiants universitaires d'Ottawa qui étaient débarqués en Alberta, et l'événement m'est revenu à l'esprit. Le groupe s'appelait STAND (Students Taking Action Now: Darfur). À ce moment-là, c'est la question des hélicoptères qui retenait l'attention. Mais où sont rendus ces hélicoptères aujourd'hui? À l'époque, il y avait un important contingent d'ONG sur place. Vous nous dites qu'elles ont été, pour la plupart, chassées du pays. Mêmes certains groupes des Nations Unies ont été expulsés. La sécurité est totalement défaillante là-bas. Les étudiants maintenaient avec ardeur qu'il suffisait d'envoyer des hélicoptères. Mais même si on dépêchait des hélicoptères sur le terrain, il n'y a ni stratégie ni plan établi, n'est-ce pas? C'est un premier facteur à considérer.
Je me souviens aussi qu'ils avaient parlé de désinvestissement. Nous avons en fait mené une petite étude à ce sujet l'an dernier, avant les élections, je crois. Nous avons constaté que très peu d'argent était investi au Soudan, et encore moins dans la région du Darfour. Pourtant, les étudiants et les politiciens de l'opposition et du gouvernement élu voulaient tous intervenir de façon significative.
Vous avez parlé des élections. Selon vous, il faut se demander ce qui ramènera la paix au Soudan. Obama a quelques idées là-dessus.
Ma question est donc la suivante: Quelles mesures bilatérales le gouvernement pourrait-il prendre, s'il ne veut pas se contenter d'envoyer de l'argent aux Nations Unies? Pensez-vous qu'une initiative bilatérale Canada-Soudan pourrait fonctionner? Avez-vous des suggestions précises à nous faire à cet égard?
Pour ce qui est de la situation de l'aide humanitaire au Darfour, 85 ONG et 13 organismes des Nations Unies sont sur place, et seulement 13 ont été chassés. La plupart vont probablement revenir d'une façon ou d'une autre. Une importante opération d'aide humanitaire est en cours au Darfour. Même si quelques ONG ont été expulsés, d'autres y sont toujours et ne sont pas près de s'en aller. Je ne crois pas qu'il y a lieu de s'inquiéter outre mesure à cet égard. C'est dans un contexte extrêmement difficile que les ONG et les organismes des Nations Unies doivent assurer l'aide humanitaire. Il s'agit de la pire crise jamais vue, et c'est aussi la plus vaste opération d'aide humanitaire au monde en ce moment. Notons, entre autres, que quatre millions de personnes reçoivent de l'aide alimentaire, et que 2,7 millions de personnes sont réfugiées dans des camps desservis par des ONG.
En ce qui a trait aux hélicoptères, je crois que le dilemme va bien au-delà de la présente mission. Les missions de maintien de la paix ont des mandats plus larges qu'auparavant, c'est-à-dire qu'elles doivent en plus assurer la protection des civils et adhérer au principe de la responsabilité de protéger. Ce ne sont pas des mandats faciles à remplir. Les délégations sont envoyées dans des situations de conflit, parfois de conflit actif, qui frôlent vraiment le combat de guerre. Leur mandat ne se limite plus au simple maintien de la paix, ce sont des opérations très robustes de maintien de la paix. C'est un peu comme les envoyer au combat. C'est ce qui se passe au Soudan et dans d'autres pays, par exemple dans l'Est du Congo. La même chose aurait pu se produire en Somalie. Il a même été question d'envoyer une mission en Somalie.
Il faut par contre se demander ce que veut vraiment la communauté internationale. Si elle réclame une mission de maintien de la paix armée, il faut que les forces de combat de la mission soient en mesure de protéger les civils, il faut envoyer des hélicoptères et soutenir les missions, ou...
Je suis désolé de vous interrompre, mais les autres membres du comité attendent de poser leurs questions.
Cependant, à ce sujet, les différents partis politiques en avaient discuté en 2004 ou en 2005. Je crois que cette discussion avait eu lieu entre deux membres du Parti libéral, qui avaient les meilleures intentions du monde. David Kilgour avait fait d'excellentes suggestions, mais son propre parti, au pouvoir à ce moment-là, lui avait répondu qu'il ne s'agissait peut-être pas des meilleures... Ces deux personnes voulaient probablement faire changer les choses. On a ensuite envisagé la possibilité de déployer des troupes, mais l'Union africaine avait demandé de ne pas envoyer de troupes à moins qu'il ne s'agisse exclusivement de militaires de race noire, car ils seraient autrement perçus comme des étrangers. Tous ces groupes sont ici, mais j'aimerais revenir à ce qui pourrait être fait de manière bilatérale.
Je vais me faire l'avocat du diable. D'un côté, le gouvernement peut décider de doubler l'aide fournie, mais par l'entremise des Nations Unies ou d'une initiative multilatérale. De l'autre, on a les nations africaines qui nous reprochent de ne plus nous occuper de l'Afrique. Pourtant, nous envoyons encore beaucoup d'argent par l'intermédiaire des Nations Unies. Mais les pays africains ne voient pas cela comme de l'aide ciblée. Quelles mesures bilatérales un pays comme le Canada peut-il prendre?
Merci.
Le gouvernement du Soudan a imposé certaines conditions relativement à la composition de la force de maintien de la paix, et non pas l'Union africaine. C'est le gouvernement qui a demandé que les troupes soient africaines. C'est une situation particulière.
Je pense qu'il y a beaucoup de choses qu'on peut accomplir dans un cadre bilatéral, par exemple, sur les plans de la justice et de la primauté du droit, dans le Nord et le Sud du Soudan. Le discours sur la justice a été monopolisé par la question de la Cour pénale internationale et n'a porté que sur la justice pénale internationale, alors qu'il y a beaucoup d'autres formes de justice. Il y a bien des façons d'intervenir contre les violations des droits de la personne au Soudan, particulièrement dans le contexte de la transformation démocratique résultant de la signature de l'accord de paix global, sur lequel on pourrait se pencher — par exemple, en ce qui a trait à la réforme du système juridique et au soutien à la société civile dans le Nord du Soudan.
Nous parlons de tenir des élections justes et démocratiques, mais encore faut-il que les partis de l'opposition soient formés et appuyés. De plus, la société civile internationale est extrêmement faible et souvent manipulée par le gouvernement. Un programme à l'appui de la transformation démocratique serait d'ailleurs très bien accueilli, à mon avis, d'un point de vue bilatéral. C'est la même chose dans le Sud du Soudan. Nous venons tout juste de dire à quel point il y a du travail à faire au plan du renforcement institutionnel.
Ce qui est intéressant, politiquement parlant, c'est que le Canada sera perçu par les habitants du Nord comme un allié des États-Unis. Ce que le gouvernement du Soudan, soit le Parti du Congrès national, veut par dessus-tout, c'est la normalisation des relations avec les États-Unis, notamment des relations économiques. Par conséquent, une discussion constructive avec le Canada à propos de la transformation démocratique, y compris de la justice et de la primauté du droit, serait considérée comme un pas dans la bonne direction. On souhaite la normalisation des relations avec l'Ouest, mais pas à n'importe quelles conditions, et je pense qu'il y a ici une possibilité.
Merci.
Monsieur Abbott, je vous ai pris un peu de votre temps, mais il vous reste encore deux minutes et demie.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre avec vos impressions. Vous avez indiqué que ce n'était pas tant l'absence de Talisman qui a une incidence que le fait qu'il n'y ait pas d'entreprises de l'Ouest. Depuis que Talisman s'est retirée, j'aimerais savoir ce qui a changé — soit positivement ou négativement — sur deux aspects.
Tout d'abord, j'aimerais connaître les effets sur le terrain — autrement dit, le nombre d'activités dissimulées dont pourraient bénéficier les gouvernements. Ensuite, vous avez parlé de quelque chose qui, honnêtement, ne m'avait pas traversé l'esprit, et c'est l'influence de la Chine sur le Soudan.
Étant donné qu'il y avait des compagnies occidentales et qu'il n'y en a plus au moment où on se parle, j'ai deux questions à vous poser. Premièrement, a-t-on observé des changements sur le terrain, et si oui, lesquels? Deuxièmement, y a-t-il eu des changements au niveau de la perspective internationale?
Merci. J'aurais deux choses à dire.
Tout d'abord, j'aimerais parler de l'incidence sur les droits de la personne. Je pense que l'attitude, si je puis m'exprimer ainsi, des pétrolières multinationales a changé quelque peu. Par le passé, lorsqu'on ouvrait un champ de pétrole, c'était toute une population qui était délocalisée de force. Par conséquent, beaucoup de gens dans le Sud du Soudan ont été contraints de s'établir dans les marécages qui, comme vous le savez, est un environnement très inhospitalier, et ce, sans même recevoir de compensation ou autre chose du genre. L'exploration minière a donné lieu à de nombreuses violations des droits de la personne.
C'est devenu un peu plus visible aujourd'hui, et la plupart des compagnies — y compris les compagnies chinoises, indiennes et malaisiennes — essaient maintenant d'indemniser la population délogée. On bâtit des infrastructures, on aménage des routes et on construit des écoles pour les communautés. On consulte davantage la population. La situation n'est pas parfaite — loin de là, car il y a encore beaucoup de progrès à réaliser —, mais je pense que les gros joueurs sont conscients qu'ils doivent se faire accepter par la population locale. Il ne suffit pas de conclure une entente avec Khartoum, et les Chinois l'ont réalisé assez rapidement, ou même avec Djouba. Le fait d'avoir une entente avec les dirigeants n'est pas suffisant; ils doivent également être acceptés par la population locale.
Récemment, l'un des groupes rebelles au Darfour, le MJE, s'en est pris à certaines installations dans le Sud du Kordofan, une des régions de transition. S'il a agi ainsi, c'est parce qu'il considère que les installations chinoises appuient le budget du gouvernement auquel il s'oppose. Autrement dit, il s'attaque au point sensible. C'est un problème, et c'est pourquoi, pour répondre à la question de monsieur, il est important que les recettes pétrolières soient partagées et que le gouvernement du Sud du Soudan répartisse les revenus équitablement au sein de la population et des diverses régions. Ce n'est pas le cas en ce moment.
La Chine en particulier, à mon avis, a changé son attitude envers la population et le gouvernement du Sud du Soudan. Elle a d'ailleurs invité le chef du gouvernement à Beijing pour discuter de la situation postréférendaire. En outre, elle a fourni des casques bleus, dans le cadre de la mission des Nations Unies au Soudan, dans certaines régions du Sud. En fait, elle veut se mettre en valeur et prouver qu'elle rend un grand service à la population locale. Il y a quelques entreprises de l'Ouest, y compris une compagnie suédoise, établies dans le Sud du Soudan et, évidemment, les balbutiements d'un programme de compensation pour la population locale.
Toujours sur la question des recettes pétrolières, je sais que lorsque la société Talisman menait des activités là-bas — j'étais à Bentiu à ce moment-là —, la population locale avait une opinion très négative du Canada. Je pense que les gens ont exercé beaucoup de pression pour que Talisman s'adresse davantage au gouvernement. La société a refusé car elle jugeait que ce n'était pas à elle de le faire. Il faut également savoir que la guerre faisait rage et que la situation était beaucoup plus compliquée.
Toutefois, j'ai rencontré l'ambassadeur de la Chine, l'ancien et le nouveau, ainsi que les ambassadeurs précédents, et à mon avis, il est très important qu'un pays comme la Chine, qui siège également au Conseil de sécurité, intervienne là-bas. Ce n'est pas le cas du Canada. Il n'y a rien que Talisman pouvait faire à ce chapitre.
Par ailleurs, nous ne voulons pas participer à des opérations qui feraient en sorte que les gens du Soudan croient que notre pays ne se soucie pas des droits de la personne. Je pense que c'est la réputation que nous a donné Talisman. J'ai rencontré le conseil de cette société, et je sais que la situation était difficile.
Cependant, cette période est révolue, et maintenant que nous en avons terminé avec l'accord de paix global, pensez-vous que le Canada pourrait faire intervenir le gouvernement chinois dans les dossiers du Soudan et du Darfour? Pourrait-on l'amener à se servir de sa position au Conseil de sécurité pour continuer à améliorer la situation au Soudan, comme il l'a fait auparavant? Il a été plus responsable à cet égard — et à bien d'autres égards — que nous. Je sais que ce ne n'est pas bien vu de dire cela, mais je pense que c'est simplement la réalité. Savez-vous comment le Canada pourrait être mieux en mesure d'influencer la Chine?
L'une des raisons pour lesquelles le gouvernement du Soudan a choisi d'établir un partenariat avec la Chine, c'est parce qu'elle achète du pétrole sans imposer de conditions. Évidemment, aujourd'hui, on doit se soustraire à certaines conditions, particulièrement ces dernières années, en raison de la pression exercée par le Darfour. Mais au départ, il n'y avait aucune condition de sa part.
Je pense que les Chinois font également une bonne affaire. Le pétrole leur revient moins cher au Soudan que n'importe où ailleurs, ce qui explique en partie le mécontentement du MLPS. On a conclu une entente moitié-moitié, mais on fait moins d'argent, bien entendu, que si le pétrole était vendu à des entreprises américaines ou d'autres multinationales.
Chose certaine, le Canada doit absolument faire intervenir le gouvernement chinois. Je pense qu'il est très réceptif. Selon moi, il est prêt à jouer un rôle relativement constructif. Si vous examinez la politique étrangère de la Chine des dernières années, vous constaterez qu'elle a évolué considérablement. La Chine serait disposée à intervenir au Soudan, pourvu qu'il n'y ait pas de chapitre 7 ni de mission d'imposition de la paix au Soudan et qu'elle obtienne le consentement du gouvernement. Elle a d'ailleurs insisté là-dessus.
Si on regarde la situation au Soudan sur le plan des droits de la personne, on peut la trouver inacceptable, mais si on l'examine d'un point de vue politique pragmatique, on constate que c'était inévitable. De toute façon, je pense que la position de la Chine était assez raisonnable et reflétait une certaine réalité.
[Français]
J'aimerais faire un commentaire sur ce que vous vous apprêtiez à dire un peu plus tôt. Vous avez lancé une question en demandant ce que souhaite la communauté internationale. Vous avez fait état d'un maintien de la paix plus robuste. La question étant posée, qui fait partie de la communauté internationale?
Pour faire un lien avec ce que vient d'exprimer M. Pearson, quelqu'un doit prendre le leadership au sein de cette communauté, et il doit y avoir une véritable volonté politique de définir un cadre politique qui n'existe pas actuellement. Même si on mène encore à la pièce des missions de paix plus « robustes », si les décisions de la communauté internationale ne sont pas prises dans un véritable cadre politique, c'est un coup d'épée dans l'eau.
Les Nations Unies ne sont que la réflexion de ses membres. Si les membres veulent une stratégie politique, il y en aura une. D'après la tendance que nous avons observée ces derniers temps, le Conseil de sécurité, au nom de tous les membres des Nations Unies, a tendance à cocher la case « peacekeeping » quand il n'y a rien d'autre, quand il n'y a pas de stratégie politique. C'est une stratégie par défaut, d'une certaine manière.
Ensuite, doit-on s'étonner que des missions comme l'UNAMID ou la MINURCA se retrouvent dans des endroits extrêmement hostiles, sans qu'elles puissent avoir un impact sur le terrain? S'il n'y a pas de soutien réel des grands pays, y compris le Canada, à une stratégie politique claire et déterminée, aucune des parties en conflit ne va respecter la mission des Nations Unies. Il faut que le soutien à une stratégie politique soit visible.
[Traduction]
Merci beaucoup.
Je ne sais pas s'il y a d'autres questions. Aujourd'hui, il s'agit davantage d'une séance informelle.
Madame Hara, nous tenons à vous remercier d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.
J'espère qu'un jour, nous nous reverrons, puis nous nous dirons que le plan a fonctionné. Je pense que tout le monde ici espère et prie pour que la situation s'améliore au Soudan et dans les pays avoisinants. Ceux-ci doivent aussi faire partie de la solution en quelque sorte, compte tenu du déplacement de la population vers ces pays et de leur démocratie et modèle de gouvernance plus solides. Le succès d'un voisin peut parfois déteindre sur nous.
Merci de votre présence.
La séance est levée.
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