:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie d'inviter le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, que nous appelons le MAECI, à revenir témoigner devant le comité.
Aujourd'hui, nous aimerions approfondir le témoignage du ministère et formuler des commentaires sur les conséquences éventuelles de la mise en oeuvre du projet de loi , des défis liés au processus quasi judiciaire créé par le projet de loi et du type d'activités relatives à la responsabilité sociale des entreprises auxquelles le MAECI participe actuellement dans le cadre de son mandat lorsqu'il s'agit de favoriser l'expansion du commerce international du Canada et de coordonner les relations économiques internationales du pays.
[Français]
Les responsables du ministère ont suivi de près l'étude du projet de loi C-300 par le comité et ont examiné minutieusement vos commentaires et vos questions, de même que les témoignages des nombreux témoins et intervenants qui ont comparu devant le comité depuis la dernière comparution de ce ministère, au mois de juin.
Pendant cette comparution, les représentants ont parlé de la nouvelle stratégie de responsabilité sociale des entreprises déposée par le gouvernement en mars, du travail effectué par le Point de contact national et du réseau d'agents du service extérieur dans le monde entier. Lors de cette comparution, on a également mentionné que les fonctionnaires du ministère éprouvaient certaines préoccupations concernant la mise en oeuvre proposée du projet de loi. Cette comparution a été suivie d'une présentation écrite faisant état de ces préoccupations et de ces questions.
Depuis, de nombreuses questions ont été soulevées par les divers intervenants. Vous avez entendu les témoignages de l'industrie, d'organisations de la société civile, d'Exportation et développement Canada, de l'Office d'investissement du régime des pensions du Canada et de quelques-uns de nos ministères partenaires.
[Traduction]
Plutôt que de mettre l'accent sur des enjeux qui ont déjà été largement abordés par d'autres intervenants, le MAECI aimerait utiliser le temps qui lui est accordé aujourd'hui pour soulever un certain nombre de questions qui ont une incidence considérable pour le ministère et sur ses activités. Parmi ces questions, mentionnons l'utilisation et le fonctionnement de la Loi sur les mesures économiques spéciales, la question de l'application des normes internationales en matière de droits de la personne aux intervenants autres que les États, la manière dont le MAECI offre du soutien lié à la RSE aux entreprises canadiennes, y compris au secteur minier et à l'industrie pétrolière et gazière, et les conséquences du projet de loi sur la politique étrangère.
Afin de mettre en évidence quelques-unes de ces questions, il pourrait être utile d'examiner minutieusement les conséquences de l'établissement et de l'exécution du processus d'examen défini dans le projet de loi pour le ministère.
En tant que ministère responsable de la mise en oeuvre et de l'application de nombreuses dispositions de la loi, nous avons étudié soigneusement les attentes à notre égard en cas d'adoption de la loi. Ce faisant, nous avons jugé qu'il était important d'examiner minutieusement les dispositions de la loi dans sa version actuelle et d'évaluer les diverses conséquences dont je mentionnerai quelques-unes aujourd'hui.
Le projet de loi demande aux ministres du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de rédiger un ensemble de règlements apparemment obligatoires, à l'aide d'un certain nombre de lignes directrices volontaires reconnues à l'échelle internationale, et une politique interne de la Société financière internationale. Il s'agit d'une démarche difficile, car ces instruments sont actuellement rédigés à titre de lignes directrices, et non pas à titre de règlements, de manière à demeurer suffisamment souples pour englober le large éventail de circonstances et de conditions complexes dans lesquelles les entreprises du Canada et d'autres pays mènent leurs activités partout dans le monde.
Le projet de loi exige également que les ministres intègrent à leurs règlements des normes liées aux droits de la personne et « toute autre norme conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne ». À cet égard, M. John Ruggie, représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU sur la question des droits de l'homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, a souligné dans son rapport du 22 avril 2009 que « les instruments relatifs aux droits de la personne ont été rédigés par des États pour des États. Leur signification pour les entreprises n'a pas toujours été bien comprise des experts en matière de droits de la personne ». Il serait difficile de déterminer les normes internationales des droits de la personne à appliquer et la manière dont ces normes devraient être appliquées aux intervenants autres que les États avant que les travaux de M. Ruggie soient terminés.
Le point sert également à mettre en relief le fait que le projet de loi obligerait le MAECI à renforcer ou à acquérir les capacités nécessaires pour mener des enquêtes et pour trancher relativement à des réclamations touchant la violation des droits de la personne et la dégradation de l'environnement. De plus, les ministres devraient prendre en compte non seulement le risque juridique lié à la prise d'une décision qui pourrait faire l'objet d'un contrôle judiciaire, mais également les conséquences que cette décision pourra avoir sur les collectivités locales, sur les gouvernements hôtes, sur les entreprises canadiennes, sur les organisations de la société civile et sur d'autres intervenants.
Ainsi que nous l'avons souligné dans notre témoignage précédent, le lien entre les activités des sociétés extractives canadiennes et les violations graves des droits de la personne commises par les États n'est pas clair et ne semble pas correspondre à l'objectif lié à l'accroissement de la responsabilité sociale des entreprises à l'étranger.
Le projet de loi exige que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international établisse un processus quasi judiciaire. Ce processus devrait respecter toutes les exigences liées à la légalité, à l'équité de la procédure et aux principes de justice naturelle. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ne peut pas fonctionner comme un organe quasi judiciaire. Il n'y a pas de disposition dans la Loi sur le MAECI pour un tel mécanisme.
Pour établir un processus en vue d'accepter ou de rejeter des plaintes, de mener des examens et de prendre des décisions fondées sur ces examens, il faudrait un cadre soigneusement élaboré qui respecterait fermement les principes de justice naturelle. Ce type de cadre de réglementation est nécessaire pour veiller à ce que les droits soient protégés.
En outre, les questions énoncées ci-dessus soulèvent la question de savoir si les fonctionnaires du MAECI possèdent ou non les compétences requises, ou s'ils disposeront ou non de ressources suffisantes pour former ou recruter des personnes dotées des compétences professionnelles appropriées à cette fin.
Il serait peut-être utile d'examiner les pratiques actuelles du ministère lorsque les fonctionnaires du MAECI sont saisis d'allégations d'actes répréhensibles de la part d'une entreprise canadienne à l'étranger. Lorsque le ministère est avisé de ce type d'allégations, il prend celles-ci très au sérieux et tente de jouer un rôle constructif et utile. Nos chefs de missions et nos agents de services extérieurs au Canada et à l'étranger consultent les collectivités, les gouvernements, les peuples autochtones et les organisations de la société civile touchés, et collaborent étroitement avec ceux-ci afin de faciliter un dialogue ouvert et éclairé entre toutes les parties.
[Français]
Lorsque le territoire dans lequel une activité présumée a eu lieu n'est pas signataire des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales et ne possède pas son propre point de contact national, ou PCN, nous offrons les services du PCN du Canada aux personnes et aux collectivités touchées ou à leurs représentants.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international préside actuellement le comité interministériel qui tient lieu de point de contact national du Canada en ce qui concerne les Principes directeurs de l'OCDE. Ces principes directeurs constituent un élément clé de l'approche du Canada à l'égard de la RSE.
Le PCN fait valoir les Principes directeurs, répond aux demandes d'information et peut favoriser un dialogue constructif entre les intervenants lorsque des questions sont soulevées. Lorsque les allégations dépassent la portée des Principes directeurs de l'OCDE, le ministère peut offrir aux collectivités touchées les services de la nouvelle conseillère en RSE pour l'industrie extractive, en ce qui concerne les questions qui relèvent de son mandat.
[Traduction]
L'approche utilisée par le ministère pour collaborer avec les intervenants, en cas de telles allégations, tient compte des principes qui orientent les relations extérieures du Canada et le respect des engagements de ce dernier en vertu d'obligations et d'accords internationaux, y compris le respect de la souveraineté des États.
Il s'agit d'une approche conforme à la manière dont les États collaborent, en général, lorsque ce type de questions est soulevé. Cette approche démontre également un engagement non seulement à aider les entreprises à améliorer leur rendement et à agir d'une manière socialement responsable, mais aussi à collaborer avec les gouvernements hôtes et les collectivités locales afin d'accroître leur capacité de gestion des ressources naturelles et de tirer profit des possibilités de développement que leur offre ce type de richesses.
Lorsque l'on modifiera la Loi sur le MAECI pour imposer des contraintes touchant les types de soutien que les responsables peuvent offrir aux entreprises canadiennes dans certaines circonstances, il pourra être utile de définir certaines de ces activités. Il sera difficile d'établir une distinction entre les activités des fonctionnaires du MAECI qui mettent en valeur et appuient les entreprises canadiennes, et qui devraient être retirées en cas de décisions négatives de la part des ministres, et les activités dont on juge qu'elles améliorent le rendement global en matière de RSE.
Ces activités consistent notamment à tenir des conférences, des colloques et des ateliers portant sur le développement durable et sur la RSE; à aider les délégations canadiennes de peuples autochtones à rencontrer les groupes autochtones d'autres pays pour discuter de la RSE et de l'exploitation des ressources naturelles; à visiter des sites miniers et discuter avec les intervenants; à fournir des renseignements touchant les politiques et les programmes canadiens aux gouvernements étrangers; à contribuer à faire venir des délégations étrangères à des salons professionnels, notamment les salons GLOBE et de l'ACPE, pour leur permettre de rencontrer des représentants d'entreprises canadiennes et de découvrir les nouvelles technologies et approches en matière d'exploitation des ressources naturelles; à aviser les entreprises en ce qui concerne le milieu culturel, politique et social local, et les inciter à élaborer des pratiques exemplaires en matière de RSE; à participer à un dialogue avec des organisations de la société civile et d'autres intervenants, afin de mieux comprendre les diverses questions et préoccupations et d'adapter nos politiques et nos pratiques en conséquence; à échanger des avis et des renseignements avec nos partenaires de l'ensemble du gouvernement et collaborer avec ceux-ci afin d'élaborer une approche pangouvernementale à l'égard de la promotion de la RSE; à appuyer activement la création du Centre d'excellence de la RSE; et à intervenir à l'égard de la RSE aux niveaux bilatéral et multilatéral au sein d'un large éventail de groupes et au moyen d'une vaste gamme d'instruments.
En résumé, l'expérience du ministère a démontré la valeur de la recherche d'un dialogue en vue de définir des objectifs partagés entre de nombreux intervenants et d'atteindre un consensus concernant la manière la plus efficace de réaliser ces objectifs. Ces démarches exigent de la souplesse, de la créativité, un équilibre et une disposition à adapter les approches aux circonstances particulières, surtout dans une situation politique et économique hautement complexe, comme il en existe dans de nombreux pays en développement. Cela est d'autant plus vrai lorsque l'objectif consiste non seulement à promouvoir le respect des droits de la personne, mais aussi à remédier au problème en cas de comportements susceptibles de ne pas être conformes aux lignes directrices proposées.
L'analyse des conséquences éventuelles du projet de loi sur le MAECI révèle, à ce jour, que la loi proposée pourrait restreindre notre capacité de favoriser un résultat positif, dans le secteur où notre engagement est le plus nécessaire, et finalement limiter la capacité du ministère de contribuer d'une manière positive au domaine de la responsabilité sociale des entreprises.
:
Nous prenons cela très au sérieux. Nous examinons toute plainte portée à notre attention, que ce soit directement ou par l'entremise d'un reportage publié dans la presse. Évidemment, cela a des répercussions sur la relation que nous entretenons avec le pays où la compagnie en question conduit ses activités.
Si vous le permettez, je vais continuer en anglais.
[Traduction]
Normalement, les fonctionnaires — qu'ils soient en poste à l'administration centrale, dans le pays où la société pourrait mener ses activités, ainsi que dans nos bureaux régionaux, au besoin — consulteront les principales parties qui pourraient nous fournir de l'information supplémentaire. De toute évidence, nous devons mettre en oeuvre un processus de vérification pour mieux comprendre pourquoi la plainte a été formulée. Nous cherchons à obtenir de l'information du plus grand nombre de parties impliquées possible, notamment la société, les organisations de la société civile, le gouvernement local et les communautés autochtones si elles sont touchées, afin de nous aider à comprendre ce qui a suscité la plainte.
Pour ce qui est de ce que nous cherchons à faire dans ces situations, nous sommes très conscients des restrictions diplomatiques et juridiques avec lesquelles nous devons composer à l'étranger. Nous devons évaluer les répercussions de ces restrictions sur notre capacité d'intervention. Cela dit, notre approche consiste à offrir nos bons services afin d'entamer un dialogue entre les parties concernées afin de trouver une solution constructive et porteuse de résultats s'il apparaît que les inquiétudes concernant le comportement de la société sont fondées.
S'il s'avère que la plainte est futile ou formulée de mauvaise foi, il est évidemment crucial de l'établir le plus tôt possible, compte tenu des conséquences très négatives que la plainte pourrait avoir sur la réputation non seulement du Canada, mais également de la compagnie concernée.
Je vous remercie de comparaître aujourd'hui.
Ma question porte sur le même sujet, même s'il n'est pas nécessairement question des coûts. J'ai l'impression, en écoutant vos observations, que vous êtes d'accord avec ce que nous ont dit l'industrie, EDC, et, à dire vrai, un témoin que nous avons entendu précédemment. Cet Argentin a laissé entendre que son pays souhaitait que ce projet de loi ait pour effet de codifier, d'institutionnaliser la responsabilité des entreprises canadiennes de combler les lacunes laissées par les lois de l'Argentine ou d'instituer des lois canadiennes qui seraient plus exhaustives. À dire vrai, cela nous mènerait à nous ingérer dans les aspirations nationales et la souveraineté d'un pays étranger, avec toutes les complications que cela suppose.
Il me semble que c'est également ce que vous nous indiquez dans votre mémoire. Est-ce une des principales raisons pour laquelle vous ne pouvez déterminer avec exactitude ce que cette responsabilité juridique serait au bout du compte. Est-ce également un point qui vous préoccupe?
On peut extrapoler ce qu'il en serait dans d'autres régions du monde où nous aurions des activités minières. Si nous voulons que nos sociétés minières adhèrent aux diverses lois et systèmes juridiques des pays autour du monde, il faudrait que votre direction juridique possède des sommes colossales de connaissance et de capacité. Nous allons même dans des régions du monde où s'applique la charia. Faudrait-il que les sociétés minières adhèrent à la charia parce que c'est la coutume locale dans la région?
Est-ce que ce sont des complications importantes? Pourrions-nous, en quelque sorte, évaluer la situation afin de déterminer plus précisément le niveau de compétences juridiques dont aurait besoin le ministère?
Je suis très heureux d'avoir l'occasion de répondre à la question.
Je supervise actuellement 26 ambassades et haut commissariats canadiens dans les Amériques. Nos activités économiques dans la région concernent principalement l'investissement et les industries de l'exploitation des ressources naturelles, des domaines où les questions de RSE occupent l'avant-scène. Mes collègues vous ont parlé de la capacité du personnel de nos missions à nouer des relations constructives.
J'aimerais souligner un point préoccupant à ce sujet. Il se trouve dans la dernière partie du projet de loi qui porte sur la Loi sur les mesures économiques spéciales. Il me semble qu'il y ait un lien très flou entre le discours sur la responsabilité sociale des entreprises et l'intention plus vaste du libellé, qui vise à modifier la loi pour en fait réagir à des régimes entiers de violation des droits de la personne.
Tout d'abord, au chapitre de la procédure, il n'est pas clair comment nous pourrions, dans une situation impliquant une société canadienne en sol étranger, élargir notre champ d'action pour englober les questions plus vastes de violation actuelle et antérieure des droits de la personne, comme l'indique actuellement le projet de loi.
Ensuite, il faut se demander s'il s'agit d'un mécanisme qui convient pour classer les régimes de cette région ou d'autres parties du monde.
Il me semble que nous voyons grand. Lorsque nous avons discuté des ressources nécessaires, je crois que M. Manuge parlait principalement de la mise en oeuvre des éléments relatifs à la responsabilité sociale des entreprises. Si nous élargissons cet aspect pour englober l'évaluation des régimes relatifs aux droits de la personne dans les Amériques ou ailleurs dans le monde, nous nous retrouvons avec une tâche énorme sur les bras.
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Je vous remercie, monsieur le président.
C'est un de ces sujets qui, j'en suis certain, soulèvent beaucoup d'émotions chez bien des membres du comité: la valeur que les Canadiens attribuent aux droits de la personne.
Si l'on se fie à ce que M. Ruggie a dit lorsqu'il a parlé du devoir de respecter les droits de la personne, je crois qu'un projet de loi comme celui-ci entre en jeu lorsque l'on commence à se demander si certaines sociétés canadiennes ont peut-être fait preuve de laxisme dans certains pays. D'un autre côté, si nous réglementons les sociétés canadiennes, nous leur offrons également une certaine protection contre les accusations frivoles qui pourraient être portées contre elles.
Je suis toutefois d'accord avec M. Rae — cela arrive à l'occasion — lorsqu'il évoque la responsabilité ministérielle et indique qu'une fois le projet de loi adopté, le règlement est mis en place et c'est au ministre d'agir.
J'ai entendu plusieurs personnes des Philippines et d'autres pays qui m'ont parlé des sociétés canadiennes. Je pourrais dresser un parallèle avec le roi Henri qui souhaitait ardemment se débarrasser du moine Thomas Becket. Tout à coup, des syndicalistes se font assassiner.
Je ne laisse pas entendre que des sociétés canadiennes agissent délibérément, mais dans certains pays, une simple conversation peut mener à des gestes semblables. Je crois que c'est la raison pour laquelle on propose des projets de loi comme celui-ci.
D'après ce que je comprends des témoignages précédents — je veux simplement vérifier le nom du groupe, car je ne suis pas un membre régulier de ce comité —, le groupe de Droits et Démocratie a parlé des outils d'évaluation des répercussions en matière de droits de la personne dont nous disposons actuellement.
Si nous en revenons aux outils et aux coûts, dont vous parliez il y a quelques instants, ne pouvez-vous pas nous donner une idée, même approximative, de ce qu'il pourrait nous en coûter?
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Merci, monsieur le président.
Chers membres du comité, je suis avocate. J'ai plus de 16 ans d'expérience en coopération internationale, en renforcement institutionnel et en développement démocratique en Amérique latine et en Afrique. J'ai séjourné dans des pays qui accueillent des projets miniers canadiens et j'ai enquêté sur plusieurs cas de violation des droits de la personne avec l'ONU, l'OEA et collaboré avec l'Unité des crimes de guerre du Canada. Je travaille présentement à la Clinique internationale de défense des droits humains de l'UQAM. Je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui.
Ma présentation portera sur trois éléments: premièrement, le statu quo n'est pas une solution viable; deuxièmement, le projet de loi C-300 est une option qui permet de renforcer la responsabilité sociale des entreprises; troisièmement, c'est une loi sur la responsabilité civile pour violation des droits humains commis à l'étranger par des compagnies qu'il nous faut au Canada.
[Traduction]
On ne peut avoir une économie mondiale fonctionnelle si le système juridique mondial est dysfonctionnel: il faut qu'il existe quelque part, d'une manière ou d'une autre, un moyen qui permette aux gens estimant que leurs droits ont été bafoués de faire valoir... et si les plaintes s'avèrent sans fondement, tant pis... les gens dont les allégations d'abus sont fondées n'ont aucun recours, et les entreprises faussement vilipendées pour des allégations de complicité dans les cas d'atteinte aux droits de la personne ne peuvent restaurer de manière efficace leur réputation... cela démontre l'importance d'avoir un forum dans lequel ce genre de plainte peut être exposée et réglée, et pas simplement [être] considérée comme celle d'une population locale insatisfaite qui affronte une entreprise étrangère et qui n'a aucun moyen de mettre en place une structure juridique pour gérer les répercussions.
[Français]
Le statut quo actuel, c'est-à-dire l'absence d'instance pour entendre les parties, n'est pas une solution viable. C'est ce que vient de nous dire le juge de la Cour suprême du Canada Ian Binnie. Ce n'est pas viable économiquement, socialement, politiquement et juridiquement, et ce, pour toutes les parties prenantes.
Le projet de loi C-300 propose une instance accessible, prévisible et transparente, où les deux parties seront entendues. C'est un processus administratif domestique qui a des répercussions extraterritoriales, mais ce n'est pas l'exercice de la juridiction extraterritoriale du Canada. Dans le cas du projet de loi C-300, il est question de décisions prises par des agents du Canada, qui doivent être conformes aux lois canadiennes et aux obligations internationales du Canada. Ce sont des décisions prises sur le territoire canadien, qui donnent donc compétence au fédéral pour exercer sa juridiction.
Dans le cas de la juridiction extraterritoriale du Canada, elle est exercée directement sur une personne physique ou morale ayant commis des actes à l'étranger, lorsqu'il y a un lien de rattachement avec le Canada. Le Canada exerce déjà sa juridiction extraterritoriale en diverses circonstances, incluant en matière criminelle, sur des compagnies canadiennes opérant à l'étranger, en vertu de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le Canada mène déjà des enquêtes sur le terrain, en vertu de cette loi et d'autres lois.
Le Canada n'est pas le seul pays à encadrer les activités de ses compagnies minières. En fait, certains États vont beaucoup plus loin. Ils encadrent les activités de compagnies minières étrangères. C'est le cas de la Norvège, des États-Unis et de la France, pour ne nommer que ceux-là.
Si l'on compare ce que propose le projet de loi C-300 à ce que la Norvège a mis en place depuis 2004, c'est le ministre des Finances de la Norvège qui autorise des enquêtes extraterritoriales sur des agissements de compagnies minières étrangères. Le Council on Ethics du ministre utilise des sources d'information publiques et mène une enquête sur le terrain.
Au Canada, ni la stratégie 2009 ni le processus C-300 ne permettent d'aller enquêter sur le terrain, pour l'instant. On verra ce que le protocole et le budget qui sera voté permettront de faire. Même avec un budget, l'enquête que mènera la conseillère en RSE présentera les mêmes défis et limites que ceux soulevés par le projet de loi C-300, c'est-à-dire la disponibilité des effectifs canadiens pour enquêter, l'autorisation de procéder à l'enquête dans le pays d'accueil, etc. Par ailleurs, cela ne semble pas poser problème pour la Norvège.
En ce qui a trait au traitement des plaintes, les règles d'équité procédurale et de justice naturelle s'appliquent à toutes les entités administratives prévues par une loi au Canada. Le projet de loi C-300 est présumé conforme à la Constitution et au principe d'équité procédurale. La recommandation de la conseillère selon laquelle une compagnie doit se conformer aux normes en matière d'environnement et de droits humains aura le même impact sur les agences du gouvernement que la décision du ministre sous C-300, puisque les agents de l'État, en qualité de mandataires de Sa Majesté, demeurent liés par les lois canadiennes. Donc, leurs décisions doivent être conformes.
Un agent de l'État ne pourrait pas continuer de soutenir et d'encourager une compagnie qui doit se conformer volontairement. Si la compagnie est accusée de complicité de torture, de viols ou de crimes de guerre, par exemple, perpétrés dans le pays hôte, cet agent pourrait se voir également accusé de complicité et jugé au Canada.
Pendant que nous sommes en train de discuter à savoir si l'on doit rendre des normes volontaires obligatoires à l'encontre d'agences gouvernementales, les États-Unis étudieront The Conflict Minerals Trade Act, un projet de loi privé qui prévoit non seulement identifier les compagnies minières opérant dans les zones de conflit en RDC, mais de faire une carte disponible au public, d'exiger des compagnies de technologie de communication et autres qui importent ces minéraux de certifier que les minéraux contenus dans leurs biens de consommation ne proviennent pas de zones de conflit.
Il faut donc constater que non seulement le projet de loi C-300 est un très petit pas pour le Canada et dans le contexte international, mais surtout que ce mécanisme est loin de la conformité recommandée par les Nations Unies au Canada et aux compagnies minières. En effet, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU a déjà recommandé au Canada d'agir pour empêcher les entreprises en matière de ressources naturelles relevant de sa juridiction de commettre des violations des droits des Autochtones à l'étranger et de les rendre responsables de leurs actes.
Le projet de loi C-300 n'empêche pas les sociétés canadiennes de violer les normes à l'extérieur du Canada, ne met pas en cause la responsabilité de celles-ci et n'offre aucun recours ni réparation aux victimes. Une loi canadienne devrait-elle prévoir tout cela? Oui, une telle loi existe aux États-Unis et permet aux plaignants d'obtenir réparation, si tel est le cas, et aux compagnies de rétablir leur réputation. C'est exactement ce qui s'est passé pour Talisman Energy.
Comme il n'existe pas de pendant au Canada de cette loi américaine, Alien Tort Claims Act , c'est le régime provincial de la responsabilité civile qui s'applique ou la Tort en common law. Il y a un obstacle juridique important: le juge a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si le tribunal le plus approprié pour entendre le litige est ici, au Canada, ou dans l'État d'accueil. Il peut donc envoyer la cause dans un autre pays. C'est la doctrine du forum non conveniens.
Le renvoi des causes au sein de l'État d'accueil engendre parfois un déni de justice pour des victimes et l'absence de réparation. C'est exactement ce qui s'est passé dans l'affaire Cambior concernant le déversement de 2,3 milliards de litres de liquide contenant du cyanure, des métaux lourds et d'autres agents polluants dans deux rivières, dont une était la principale source d'eau pour les habitants de la Guyane, en 1995. Le juge canadien a, en 1998, renvoyé la cause devant les tribunaux guyaniens, qui ont rejeté toutes les poursuites subséquentes, laissant ainsi les victimes sans recours et sans dédommagement.
L'affaire Copper Mesa Mining, qui est devant les tribunaux canadiens en ce moment, tente de contourner cet obstacle juridique en soulignant que ce sont les décisions prises sous la juridiction du Canada, donc au siège social de l'entreprise minière canadienne, qui sont à l'origine de violations des droits de la personne en Équateur.
Certains États aussi essayent de contourner cette doctrine. Des pays d'Amérique centrale ont adopté des lois de blocage qu'on appelle des blocking statutes, à la fin des années 1990, pour dissuader les juges de renvoyer les causes dans leur pays. En Europe, l'application du forum non conveniens est maintenant restreinte. Les tribunaux nationaux des États membres de l'Union européenne ne peuvent rejeter des plaintes contre les entreprises domiciliées dans ces États sur la base de cette doctrine.
Aujourd'hui, on constate que les compagnies canadiennes continueront d'être poursuivies aux États-Unis, en Australie, sanctionnées par la Banque mondiale, la Norvège, la France, examinées par l'Angleterre et peut-être bientôt, avec le projet de loi américain aux États-Unis, surveillées par les différents comités onusiens ou encore elles feront l'objet d'enquêtes de l'ONU ou de restrictions et d'interdictions dans les pays d'accueil. Les entreprises minières canadiennes se voient donc de plus en plus surveillées, contrôlées, jugées par des États tiers ou des organisations internationales remplissant ainsi le vide juridique et administratif laissé par le Canada.
En conclusion, à l'ère de l'Équitable, de l'ÉCO, du Bio, des immeubles verts, de la consommation responsable, de la responsabilité sociable et du développement durable, de la certification, des industries telles que celles du textile et de l'agroalimentaire ont participé au virage vers plus de transparence et une meilleure conformité aux droits humains, au Nord comme au Sud, ce qui leur est très profitable financièrement.
Va-t-on, au Canada, participer à ce virage et le définir ou allons-nous continuer à se le faire imposer?