:
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité de m'avoir invitée, ainsi que mes collègues, à vous entretenir du Soudan.
J'aimerais commencer par une petite introduction.
[Français]
Tout au long de son histoire récente, le Soudan a été aux prises avec des conflits. Le plus grand pays d'Afrique, partageant ses frontières avec neuf autres pays, le Soudan est richement doté de ressources naturelles. Toutefois, en dépit de son récent essor économique alimenté par le pétrole, ce pays se trouvait en 2009 parmi les 30 dernières nations selon l'indicateur du Rapport mondial sur le développement humain des Nations Unies. Le Soudan est également le site de la plus grande opération humanitaire au monde et de deux importantes missions de paix des Nations Unies qui, ensemble, constituent la plus grande présence de l'ONU pour le maintien de la paix dans le monde. On estime à 5,2 millions le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du Soudant dont 2,7 millions d'individus au Darfour et quelques 430 000 milles réfugiés soudanais dans les pays voisins, dont plus de la moitié au Tchad.
Malgré son énorme potentiel, le Soudan est emprisonné dans un cycle de conflits et de sous-développement depuis son indépendance en 1956. Depuis cette année-là, deux guerres civiles ont dévasté le Sud du Soudan. Une autre a pris fin à l'est, et le conflit existant au Darfour en est maintenant à sa septième année. Les crises au Soudan sont une source chronique d'instabilité qui a des implications régionales, alimentant le commerce des armes légères, la contrebande et les conflits transfrontaliers. Une telle instabilité perpétue des violations des droits de la personne et de la souffrance humaine dans cette région du monde.
[Traduction]
En raison de l'interconnexion des problèmes humanitaires, de sécurité et de développement du Soudan, la réponse du Canada passe par une approche pangouvernementale et pansoudanaise qui a pour objet de promouvoir la paix, le développement et la sécurité durables dans le pays.
Ce sont à la fois des impératifs humanitaires et des intérêts liés à la sécurité nationale qui motivent l'engagement du Canada au Soudan. Le Canada poursuit au Soudan une action engagée ciblée et fondée sur des principes qui repose sur les valeurs fondamentales qui sous-tendent nos priorités en matière de politique étrangère, à savoir, la démocratie, la liberté, les droits de la personne et la primauté du droit.
Aujourd'hui, toutefois, nous sommes réunis afin de traiter d'un virage crucial dans l'histoire du Soudan, soit la phase finale de l'Accord de paix global, l'APG, et ses conséquences. Le 9 janvier 2005, l'APG était signé par le plus grand groupe rebelle du Sud, le Soudan Peoples' Liberation Movement, le SPLM, et le parti politique au pouvoir dans le Nord, le National Congress Party, NCP. L'APG énonce un nombre extrêmement ambitieux de dispositions complexes sur le partage du pouvoir et de la richesse ainsi que sur la sécurité. Ces dispositions visent à transformer le Soudan et à rendre l'unité attrayante avant la date d'expiration de l'APG le 9 juillet 2011.
Même si l'objectif énoncé de l'APG est de rendre l'unité attrayante, l'accord contient des dispositions pour un référendum le 9 janvier 2011 portant sur l'autodétermination du peuple du Sud-Soudan et un autre, à la même date, dans la région d'Abyei, qui déterminera si cet État restera avec le Nord ou se joindra au Sud-Soudan. Ces référendums sont des éléments clés de l'APG.
Nous ne pouvons pas sous-estimer les défis d'organiser ces référendums de manière transparente et crédible. Des divergences politiques profondes et des soupçons semblent entraver les préparatifs des référendums. Ainsi, les préparatifs du référendum du Sud sont très en retard et ceux d'Abyei n'ont pas encore débuté. La Commission référendaire pour le Sud-Soudan n'a été mise sur pied que le mois dernier, et l'inscription des électeurs, qui devait débuter initialement en août, commencera seulement à la mi-novembre. Toutefois, étant donné l'anticipation qui se fait de plus en plus sentir chez les Soudanais du Sud à l'approche du 9 janvier 2011, beaucoup redoutent que tout retard dans la tenue du référendum mène à une violence généralisée et à l'effondrement de l'APG.
Tous les préparatifs pour le référendum d'Abyei sont actuellement suspendus parce que les deux parties de l'APG ne peuvent s'entendre sur la formation de la Commission pour le référendum d'Abyei. L'impasse est due principalement à un différend à propos d'un important groupe de nomades arabes alignés sur le Nord, les Misseriyas, à savoir s'ils peuvent être considérés comme des résidents d'Abyei et jouir du droit de vote. La question du rattachement d'Abyei au Nord ou au Sud est une question sensible au Soudan, étant donné qu'il s'agit d'un État grand producteur de pétrole et qu'il s'agit de l'État d'origine de membres fondateurs éminents du SPLM, et parce qu'un référendum semblable a été refusé à cette région lors d'un accord de paix antérieur.
L'objectif général de l'engagement pangouvernemental du Canada au Soudan est de promouvoir une paix durable. Le gouvernement croit que la mise en oeuvre de l'APG est nécessaire pour assurer cette paix. Nous croyons aussi qu'il est essentiel que les référendums soient des processus crédibles qui pourront donner des résultats incontestables et qui, en soi, ne sauraient susciter de conflit.
Par conséquent, le Canada a joué un rôle de chef de file pour aider les partis à se préparer aux référendums. En voici quelques exemples. Le Canada a fondé et copréside le groupe de travail des donateurs à Khartoum, lequel s'occupe des référendums; il a embauché un coordonnateur à temps plein afin de faciliter le travail du groupe. Le Canada finance les efforts pour améliorer les capacités du service de police du Sud-Soudan pour assurer la sécurité pendant la campagne référendaire. Le Canada a apporté une contribution de sept millions de dollars au fonds du PNUD pour les référendums; celui-ci soutient les activités nécessaires à la tenue des référendums. Le Canada sera représenté sur place afin d'observer les référendums. Nous avons créé un partenariat avec le Centre Carter à l'aide d'une contribution de deux millions de dollars afin d'observer les référendums eux-mêmes, et nous prévoyons également déployer des observateurs au sein de la mission d'observation de l'UE.
En août de cette année, le Canada a été l'hôte d'une délégation conjointe du Nord et du Sud, en visite d'étude axée sur les référendums et qui a été très productive. Nous espérons que les leçons apprises lors de ce voyage servent aux organisateurs soudanais des deux côtés lors de l'organisation des référendums. Notre solide équipe d'experts en politique étrangère et en aide au développement, tant à l'Administration centrale qu'au Nord et au Sud-Soudan, effectuent depuis longtemps des démarches diplomatiques auprès des deux partis et des membres influents à Khartoum de la collectivité internationale afin de promouvoir la tenue de référendums crédibles.
J'aborderai maintenant la paix et la stabilité à long terme au Soudan.
Que la population du Sud-Soudan choisisse l'unité ou la séparation, le principal désir du Canada est de maintenir la paix et la stabilité au Soudan et dans la région. L'Agence canadienne de développement international, le ministère de la Défense, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, fortement appuyés par la Gendarmerie royale du Canada et le ministère de la Sécurité publique, poursuivent ensemble cet objectif de paix et de stabilité à long terme, ayant engagé des fonds de plus de 800 millions de dollars au Soudan depuis 2006 axés sur trois grandes priorités.
La première priorité consiste à travailler avec les Soudanais et les partenaires internationaux à limiter la violence et à améliorer la sécurité. Nous continuons de déployer du personnel des Forces canadiennes très compétent et expérimenté ainsi que des policiers civils à des postes clés de formateurs et d'observateurs militaires au sein de la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS). Le Canada a fourni près de 430 gardiens de la paix militaires et civils à la MINUS depuis sa mise sur pied. Le financement canadien a joué un rôle déterminant dans le désarmement, la démobilisation, la réintégration d'anciens combattants, ainsi que dans le soutien de projets de sécurité communautaire et de contrôle des armes.
La deuxième priorité consiste à réduire la vulnérabilité et à sauver des vies. Depuis janvier 2006, l'Agence canadienne de développement international (ACDI) a fourni plus de 448 millions de dollars d'aide à la population du Soudan, y compris 233 millions de dollars d'assistance humanitaire dans le pays et pour les réfugiés soudanais au Tchad, ainsi que 146 millions de dollars pour le redressement rapide des activités. Par exemple, le Canada apporte des contributions importantes au Programme alimentaire mondial, qui nourrit près de 11 millions de Soudanais. En outre, plus de 20 millions de dollars ont été dépensés pour protéger les populations vulnérables du Soudan des menaces liées aux mines terrestres et aux restes d'explosifs de guerre.
Enfin, à titre de troisième priorité dans le cadre de l'objectif global visant à favoriser une paix durable au Soudan, le Canada continue de contribuer à la stabilité et à la résilience à plus long terme dans le pays. Par exemple, l'ACDI soutient l'accroissement de la production agricole de subsistance et l'accès à des services de base tels que l'éducation et les soins de santé pour les enfants et la jeunesse. Le Groupe de travail du Canada sur la stabilisation et la reconstruction a oeuvré en vue de renforcer les capacités dans les domaines de la primauté du droit, de la police, des systèmes de justice pénale dans le Sud-Soudan et il aidé dans les questions de gestion du territoire et des propriétés. Le Canada a également fourni au Soudan de l'aide technique en prévision des périodes qui suivront les référendums de janvier et la fin de l'APG en 2011.
Le Sud-Soudan est déjà très autonome et, si sa population choisit l'indépendance, très peu de pouvoirs additionnels iront à Djouba, capitale régionale du Sud. En dépit de cette autonomie, le gouvernement du Sud-Soudan souffre d'un manque profond des capacités de base nécessaires pour répondre efficacement aux besoins de la population du Sud. Ainsi, peu importe que l'unité ou l'indépendance soit choisie, il est important de renforcer la capacité du Sud à assumer ses responsabilités envers ses citoyens.
Abordons maintenant quelques enjeux post-référendaires.
[Français]
Ni l'APG ni la Constitution nationale intérimaire du Soudan ne donne d'orientations claires quant aux conséquences des référendums. Quel que soit le résultat des votes le 9 janvier, il est urgent que les parties parviennent à des accords sur des enjeux tels que la gestion ainsi que le partage du pétrole et d'autres richesses naturelles, la frontière, la dette, le statut des gens du Sud dans le Nord et celui des gens du Nord dans le Sud. Ce sont tous des problèmes très délicats qui pourraient rallumer la violence s'ils restent sans solution.
Pour la communauté internationale, des nouveaux défis et problèmes apparaîtront après 2011, y compris la révision du mandat de la MINUS.
Le Canada travaille à favoriser la paix et la stabilité pendant la période postérieure aux référendums. Par exemple, le Canada a jusqu'ici fourni de l'aide technique au groupe de travail du gouvernement du Sud du Soudan sur le référendum. Cet organisme cherche à renforcer la capacité du gouvernement du Sud du Soudan à se préparer aux évènements ultérieurs.
À la demande des parties, le Canada a contribué aux études sur la gestion de la frontière et de la citoyenneté. Le Canada fournit aussi aux deux parties une bibliothèque étendue contenant des exemples d'autres groupes qui ont traité des enjeux semblables de façon constructive.
Le Canada fournit du personnel à la commission d'évaluation de l'APG qui fait office de secrétariat pour les négociations de l'après-2011. Le Canada continue de déployer des efforts diplomatiques afin de maintenir une aide internationale coordonnée et concertée pour favoriser la progression des pourparlers.
[Traduction]
J'aimerais maintenant parler brièvement de la situation au Darfour, si vous le permettez.
Même si la mise en oeuvre de l'APG est une préoccupation centrale, nous ne pouvons pas négliger le Darfour. Le Canada continue de soutenir activement — diplomatiquement comme financièrement — le chef conjoint ONU-Union africaine pour le Darfour. Le Canada a également demandé systématiquement au gouvernement du Soudan et aux groupes armés au Darfour de participer au processus de paix, de s'abstenir de cibler les civils, d'assurer la sécurité des travailleurs humanitaires, de veiller à ce que les auteurs d'abus aux droits de la personne rendent des comptes et de permettre l'accès complet, sécuritaire et sans entrave aux populations qui sont dans le besoin.
Les militaires et les gardiens de la paix civils canadiens continuent d'être actifs au Darfour. Le Canada a financé de la formation et fourni des véhicules blindés de pointe pour le transport des troupes aux unités policières africaines qui servent à la MINUAD, la Mission hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour.
En guise de conclusion, les Canadiens et le gouvernement du Canada ont tous deux un fervent désir de voir l'instauration d'une paix durable dans toutes les régions du Soudan, dont le Darfour. L'intégrité et la mise en oeuvre en temps opportun de l'APG est une étape cruciale pour favoriser cette stabilité à long terme. Ainsi, le Canada travaille sur diverses avenues importantes pour assurer que les prochains référendums définis dans l'APG se déroulent de façon crédible et pacifique, tout en aidant les deux parties à trouver des arrangements mutuellement bénéfiques à long terme. Face à un pays possédant autant de potentiel et qui a connu tant de souffrance, nous devons demeurer déterminés à l'aider à trouver les solutions à long terme complexes qui leur procureront un brillant avenir.
[Français]
Merci beaucoup. Mes collègues et moi sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Nous serons maintenant heureux de répondre aux questions des membres du comité.
Merci, monsieur le président.
:
Je vous remercie de cet exposé, surtout de ce que vous avez dit en ce qui concerne la situation à long terme, après le référendum. Je pense que ces renseignements nous seront très utiles.
J'ai deux questions brèves. J'ai passé pas mal de temps au téléphone cette fin de semaine avec des gens de Washington, qui viennent de revenir de cette région, dans le cadre d'une délégation du Congrès. Leurs perspectives étaient assez intéressantes. Ils croient que le référendum passera et que le Nord ne s'y opposera pas outre mesure. Il y aura d'autres questions au sujet d'Abyei et d'autres choses, mais c'était leur opinion sur le référendum.
Ils s'inquiètent du fait qu'on ait trop mis l'accent sur Djouba par opposition aux autres régions. Ils disent qu'eux-mêmes ont fait cette erreur et qu'il faut la corriger. Le gouvernement Obama est maintenant saisi de la question et cherche à intervenir davantage dans les régions frontalières également.
Ce qui les inquiète, c'est la migration: que se passe-t-il une fois le référendum signé, lorsque les gens quitteront le Darfour ainsi que d'autres régions — comme les gens qui sont coincés au Nord?
Ils s'interrogent... L'ACDI s'est engagée dans le dossier de la migration des habitants du Darfour vers le Sud du Soudan il y a quelques années. Le Canada dispose-t-il d'une stratégie pour aider l'OIM à gérer toutes les personnes qui reviennent? Les gens à qui j'ai parlé craignaient qu'il y ait en bout de ligne deux millions de personnes et que les services ne suffisent pas.
J'aimerais revenir quelques mois en arrière, lorsque des représentants de l'International Crisis Group sont venus au comité. Ils nous ont dit que le plus inquiétant, ce n'est pas la migration Nord-Sud, mais la migration Sud-Sud. Ils s'inquiètent également de tous ceux qui rentreront chez eux, y compris les exilés, et ils ont dit que les services ne suffiront pas et que la situation, qui est déjà difficile, sera exacerbée.
Je me demandais si vous aviez une opinion relativement à ce dont vous avez discuté là-bas et si vous aviez des plans, comme les Américains l'espéraient peut-être, au sujet des exilés et des personnes qui rentreront chez elles.
Merci d'être ici aujourd'hui.
Chaque année, je crois, on a parlé de ce dossier au comité des affaires étrangères: une motion est déposée, ou il y a une étude, ou on espère voyager; différentes choses nous ont amenés à examiner la situation.
Il y a beaucoup d'optimisme à Juba. Il y a beaucoup d'optimisme dans le Sud. Il y a toutes ces attentes énormes. Mais il y a aussi... L'an dernier, il y a eu la pire sécheresse jamais connue. La récolte a été l'une des plus pauvres de l'histoire.
Je crois que ma question traite de ce dont M. Rae et M. Dewar ont parlé. Premièrement, il y a la capacité de gouvernance. Pour moi, c'est quelque chose qui... Je pense que le référendum, même s'il est en retard, aura lieu. Le Nord fera probablement tout ce qu'il peut pour le perturber. Il remettra en question sa validité. Il remettra en question les participants. Présentement, il nie probablement qu'il y ait une possibilité qu'il parte. J'imagine qu'il croit que tout va bien pour eux. Je ne sais pas ce que le Nord pense, mais ils vont perturber le déroulement du processus.
Dans le Sud — je ne sais pas si c'était dans ce que vous avez lu ou lors d'une autre séance d'information — il y a un taux d'analphabétisme de 85 p. 100. Dans votre exposé, madame Stirk, vous avez dit que le Soudan du Sud est déjà très autonome et que si les Soudanais du Sud choisissent l'indépendance, Juba recevra très peu de pouvoirs additionnels. Pourriez-vous élaborer à ce sujet? S'ils se séparaient, on espérerait que de nombreux pouvoirs et ressources supplémentaires seraient transférés au Sud.
Quel serait le rôle du Canada au sujet de la gouvernance, et quel rôle le Canada pourrait-il continuer de jouer, s'il en a un à jouer, dans le Nord? Je parle de la gouvernance au Sud; comment aider un pays avec un taux d'analphabétisme de 85 p. 100 à développer la capacité de gouverner un autre pays qui essuiera le gros des attaques, pas nécessairement militaires, de nombreux pays qui l'entourent, peut-être même en ciblant ceux qui retournent dans le Sud? Le retour des gens vers Juba, qui sera débordé, constitue un facteur très important, mais Juba ne recevra pas de pouvoirs supplémentaires.