Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous accueillons le haut-commissaire aux réfugiés des Nations Unies, Son Excellence Antonio Guterres.
Je vous souhaite la bienvenue au comité, monsieur. C’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui.
Je comprends que vous devez nous quitter vers 11 h 45. Nous nous efforcerons donc de commencer tout de suite. Nous nous excusons du retard causé par le changement de salle.
Comme cela a été mentionné plus tôt, nous avons officiellement invité le comité de l’immigration. J’ai l’impression qu’aucun de ses membres n’est présent. Vous vous adressez donc aux seuls membres du comité des affaires étrangères...
Oh, je crois qu’un membre est présent. Je vous souhaite la bienvenue.
Après que vous aurez présenté votre exposé préliminaire, nous essaierons de faire au moins un tour de questions et réponses pour que vous ayez l’occasion d’échanger avec les membres du comité.
Monsieur, je vous souhaite encore une fois la bienvenue. La parole est à vous.
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Merci beaucoup, monsieur le président. C’est un grand plaisir pour moi d’être ici.
J’ai siégé pendant 25 ans au Parlement de mon propre pays. Vous pouvez donc imaginer que je me sens parfaitement à l’aise d’assister à cette séance de comité. Je vous suis reconnaissant d’avoir organisé cette réunion.
Je tiens à dire tout d’abord que le Canada est un partenaire exemplaire du HCR, un partenaire qui soutient nos opérations dans le monde entier grâce à un appui financier très considérable. Je dirai cependant que ce n’est pas seulement l’appui financier qui importe. Le Canada est un pays très engagé dans les débats concernant notre stratégie, nos politiques et nos réformes internes.
En même temps, le Canada a un système d’asile très solide. J’ai eu l’occasion, au cours de cette visite, de discuter longuement avec le ministre de l’Immigration et avec les organismes qui s’occupent des questions de réfugiés au Canada.
Nous en sommes, je crois, à un moment particulièrement intéressant du débat interne sur ces questions. Je vais cependant concentrer mes observations sur nos activités dans le monde.
Le nombre de réfugiés et de personnes déplacées dans leur propre pays par suite de conflits a été relativement stable dans les deux ou trois dernières années. Ce nombre s’élève à environ 60 millions, y compris les Palestiniens et les 27 millions de personnes déplacées dans leur propre pays. Toutefois, même si ce nombre s’est relativement maintenu dans les deux ou trois dernières années, nous nous rendons compte que la plupart des réfugiés gardent ce statut pendant une période prolongée.
En 2009, le nombre de personnes que nous avons pu aider à rentrer chez elles dans la sécurité et la dignité dans les trois pays les plus touchés du monde — l’Afghanistan, la République démocratique du Congo et le Sud-Soudan — a considérablement diminué par suite de l’insécurité qui règne dans ces pays d’origine. Nous nous apercevons de plus en plus que les pays dans lesquels un processus de paix a été établi à un moment donné ont tendance à se retrouver en situation de conflit ou, du moins, à retomber dans une situation de sécurité aggravée. De ce fait, la situation mondiale actuelle est très alarmante.
Dans le monde d’aujourd’hui, nos opérations se répartissent entre deux groupes. Le premier, que j’appellerai le « croissant de crise » comprend le Pakistan et l’Afghanistan et s’étend à l’Irak et au Moyen-Orient. Il en est ainsi même si le HCR ne s’occupe pas directement des réfugiés palestiniens puisqu’une autre agence des Nations Unies, l’UNRWA, s’en occupait déjà avant la création du Haut-Commissariat. Il y a également le Soudan, le Tchad, la Somalie, la Corne de l’Afrique et le Yémen.
Ces régions constituent la source des deux tiers des réfugiés du monde. Elles sont le théâtre d’une série de crises qui deviennent de plus en plus interdépendantes. Ces crises sont en outre fortement liées à des considérations de sécurité mondiale, beaucoup des pays en cause constituant un terrain fertile pour le terrorisme dans le monde d’aujourd’hui. Dans cette série de crises, les relations entre ce qu’on appelle le monde occidental et ce qu’on appelle le monde musulman sont en jeu, du moins dans une certaine mesure.
La solution à cette crise est, au moins pour une part, un élément essentiel pour éviter que le monde ne glisse vers ce que certains rappellent le risque d’un choc des civilisations. La solution constituerait un élément extrêmement important pour la paix et la stabilité du monde. Bien entendu, elle réduirait aussi les effets humanitaires tragiques des déplacements causés par ces conflits qui, comme je l’ai dit, engendrent près des deux tiers des réfugiés du monde.
Nous avons aussi toutes les autres crises. Certaines d’entre elles sont dramatiques d’un point de vue humanitaire. Il y a par exemple la République démocratique du Congo, la Colombie, le Sri Lanka et bien d’autres. Toutefois, ces crises n’ont que des effets locaux ou régionaux et peuvent être considérées indépendamment les unes des autres. De ce fait, comme elles ne représentent pas une menace pour le monde, la communauté internationale a tendance à les oublier. L’investissement des médias et l’investissement de la communauté internationale — sur les plans politique, humanitaire et du développement — est, je dirais, relativement moins pertinent que dans le cas du croissant de crise dont j’ai parlé.
Il y a un autre aspect qu’il est très important d’analyser parce qu’il sera au cœur du débat politique que nous aurons en 2011 à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Il s’agit des nouveaux schémas de déplacements forcés.
Il fut un temps où on pouvait faire une distinction très nette. Il y avait les migrants qui allaient d’un pays à un autre à la recherche d’une meilleure vie. C’est bien sûr quelque chose que nous respectons. Depuis très longtemps, Canada a accueilli des migrants par la voie de l’immigration. C’est l’une des grandes sources de la trame même de la société canadienne. Il y avait aussi les réfugiés cherchant à échapper à la persécution ou à un conflit. Les distinctions étaient claires.
Dans le monde d’aujourd’hui, les différences s’estompent. Nous assistons à une nouvelle tendance aux déplacements forcés. Dans certaines situations, extrême pauvreté, changements climatiques et conflits deviennent plus ou moins interdépendants. Il est donc difficile de connaître les vrais motifs d’une personne qui veut aller d’un pays à un autre.
Si on considère les mégatendances qui se manifestent dans le monde — croissance démographique, urbanisation, changements climatiques, manque d’eau, manque de sécurité alimentaire et mouvements de population —, on constate qu’elles sont de plus en plus liées entre elles et qu’elles se renforcent mutuellement. C’est également un facteur de déplacement.
[Français]
Cela nous pose un problème relativement sérieux. Comment la communauté internationale doit-elle répondre à ce défi des formes nouvelles de déplacement forcé? Ce peut être quelqu'un qui va de la Somalie au Yémen dans un bateau, par le golfe d'Aden. Comme vous le savez, beaucoup de gens qui font ce trajet périssent. Cette personne a-t-elle fait ce trajet à cause du conflit? Est-elle là à cause de la sécheresse dans la même région? Quelles sont les motivations et quels sont les besoins de protection dont la communauté internationale doit tenir compte pour faire face à ces problèmes?
C'est un débat très important. Nous ne voudrions pas changer la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, mais nous reconnaissons le besoin de trouver des mécanismes de coopération internationale accrus pour répondre aux besoins de protection créés par l'interdépendance de tous les facteurs qui génèrent des mouvements accrus de population. Certains de ces mouvements sont volontaires — c'est le phénomène migratoire —, mais, de plus en plus, il y a des phénomènes de déplacement forcé.
Finalement, je vous dirai que, dans le cadre de nos activités, notre préoccupation est croissante. L'espace humanitaire est en train de se rétrécir. La sécurité devient plus complexe. D'ailleurs, trois de nos collègues ont été tués au Pakistan, l'année dernière. De plus en plus d'acteurs de conflits ne respectent pas les règles et, parfois, prennent les travailleurs humanitaires pour cible.
Une guerre civile entre deux armées n'est plus très fréquente. À l'est du Congo, il y a cinq ou six armées, milices et bandits. Tout cela génère une situation extrêmement difficile du point de vue de la sécurité. L'espace humanitaire est aussi en train de se rétrécir à cause de l'invocation de la souveraineté nationale par quelques gouvernements. Ainsi, le Soudan a expulsé les ONG du Darfour et il y a eu de grandes difficultés d'accès aux victimes du cyclone Nargis, en Birmanie. De plus, il est parfois difficile d'établir la distinction entre la présence militaire de la communauté internationale et la présence civile.
Il y a de plus en plus d'opérations de maintien de la paix là où la paix n'existe même plus. Ainsi, les Casques bleus deviennent une partie du conflit, et quand cela arrive, la protection de l'espace humanitaire devient de plus en plus difficile.
Enfin, il y a un sujet qui intéresse certainement le comité, à savoir que les droits de l'homme perdent du terrain face à la souveraineté nationale. Cette évolution se constate au sein d'un certain nombre de pays. L'évolution de la relation des forces sur le plan international fait qu'à mon avis, une opération comme celle qu'on a pu organiser il y a quelques années, quand j'étais au gouvernement de mon pays, pour sauver le peuple du Timor oriental ne serait plus possible aujourd'hui. Je crois que la défense des droits de l'homme perd du terrain face à la défense de la souveraineté nationale, et cela même si l'Assemblée générale des Nations Unies a approuvé le concept de la responsabilité de protéger. La vérité est que cette responsabilité est aujourd'hui très fortement limitée par une affirmation accrue de la souveraineté nationale, même quand celle-ci est invoquée pour violer de façon absolument exécrable les droits de la personne.
Monsieur le président, je suis à votre disposition pour répondre aux questions.
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Au sujet du Soudan, tout d’abord, on peut dire en considérant la situation dans le pays il y a un espoir d’amélioration pour le Darfour. Une entente a été conclue entre le gouvernement du Soudan et le Mouvement pour la justice et l’égalité, groupe islamique dont les objectifs vont au-delà de la question du Darfour. Il y a également eu un accord entre le Tchad et le Soudan après la visite que Deby a rendue à al-Bashir. La crise est loin d’être réglée, mais il semble que le gouvernement de Khartoum a maintenant une stratégie destinée à gérer sinon à résoudre le problème du Darfour.
À mon humble avis, ces événements sont dus au fait que tout le monde concentre de plus en plus son attention sur le Sud et son avenir. Le Sud suscite pour nous des inquiétudes qui croissent très rapidement. Tout d’abord, la région est très instable. Le nombre de victimes dans le Sud a été plus élevé qu’au Darfour ces derniers mois par suite de conflits ethniques. Le rôle que joue le gouvernement de Khartoum en attisant ce genre de conflit n’est pas tout à fait clair. Nous nous posons des questions à ce sujet.
Le problème frontalier n’est pas réglé. La question du pétrole y est bien sûr liée. De plus, le niveau de la gouvernance dans le Sud est terriblement mauvais. Il est bien possible que nous assistions à la naissance d’un nouveau pays car, à mon avis, si le référendum a lieu, le vote en faveur de l’indépendance sera massif. Toutefois, le nouveau pays ne sera pas viable, et le Nord s’efforcera de le maintenir dans cet état.
Nous sommes maintenant très inquiets quant à l’avenir du Sud. Nous examinons nos opérations concernant cette région et faisons beaucoup de planification d’urgence en prévision d’une situation hypothétique dans laquelle l’indépendance serait troublée par un conflit entre le Nord et le Sud ou, ce qui est plus probable, du cas où l’indépendance serait acceptée, mais que la situation se détériore au point d’engendrer des déplacements et de grandes difficultés à l’avenir.
Par ailleurs, quand j’ai dit que nous aimerions consacrer l’année prochaine à un débat avec nos États membres, dans le cadre de la communauté internationale, sur les nouvelles tendances relatives aux déplacements forcés, je pensais naturellement aux changements climatiques et à l’environnement comme facteurs clés dans l’évolution de la situation.
Je ne pense pas que nous puissions parler de réfugiés du climat ou du changement climatique. Au sens de la Convention de 1951, les réfugiés constituent une catégorie bien définie de personnes. Il est en même temps clair que l’environnement et les changements climatiques constituent des facteurs qui aggravent de nombreux autres motifs de déplacement, comme le manque de sécurité alimentaire, le manque d’eau ou les conflits. Le manque d’eau suscite des conflits dans beaucoup de régions où les agriculteurs et d’autres sont en concurrence pour utiliser des quantités d’eau limitées.
Je crois que la communauté internationale devra affronter le problème et trouver des moyens de réagir aux besoins de protection engendrés par ce facteur, qui aggrave d’autres facteurs de déplacement d’une manière particulièrement alarmante dans le monde d’aujourd’hui, et surtout dans quelques régions du monde, l’Afrique de l’Est, par exemple, étant l’une des plus évidentes à l’heure actuelle. Dans quelque temps, si la hausse du niveau des océans devient réalité, nous pourrions connaître des problèmes très graves dans certaines îles du Pacifique, mais aussi à des endroits comme le Bangladesh. Une élévation d’un mètre du niveau de l’océan déplacerait probablement 20 à 30 millions de personnes au Bangladesh. C’est un grand défi qui nous attend à l’avenir.
Tout d'abord, je crois qu'il est essentiel de revoir les politiques de coopération pour le développement afin de tenir compte des stratégies les plus efficaces pour éviter les déplacements forcés.
À mon avis, il y a deux questions clés. La première est celle de l'adaptation aux changements climatiques. Il faut créer des conditions pour que les sociétés puissent s'adapter à des changements déjà inévitables et éviter que la solution soit de partir.
La deuxième est qu'il faut un plus grand effort sur le plan du développement communautaire dans le monde rural. Beaucoup de politiques de coopération pour le développement ont facilité l'exode rural vers les villes, alors que l'exode rural est une première phase de déracinement. Une fois qu'on va de la campagne à la ville, on va de la ville vers d'autres villes dans le monde. À mon avis, on a négligé énormément la coopération pour la production agricole. Toutefois, ce n'est pas suffisant. Il faut considérer le développement communautaire dans le monde rural de telle sorte que les populations puissent voir l'émigration comme un choix, et non comme une fatalité.
D'autre part, tout cela est vrai, non seulement pour les mouvements migratoires, mais aussi pour la protection des réfugiés. Aujourd'hui, à mon avis, on a une vision un peu schizophrénique de ces questions à quelques endroits dans le monde. D'ailleurs, c'est le cas du continent européen. Je crois que le Canada reste un pays ouvert, considérant les aspects positifs des mouvements migratoires, et un pays d'asile très important, de par l'asile direct et la réinstallation. Cependant, on constate aujourd'hui, en Europe, une évolution de l'opinion publique fort inquiétante. Si on demande à des citoyens européens s'ils veulent plus d'enfants, ils répondent non. Le taux de fécondité dans un pays comme le mien est maintenant de 1,3 ou 1,4. Si on demande aux gens s'ils veulent travailler au restaurant d'à côté, ils répondent non. À Genève, je ne vois pas de Suisses occuper une des professions avec lesquelles je suis en contact. Les Suisses ne sont plus là, ils ont d'autres emplois. Si on leur demande s'ils veulent qu'il y ait des immigrés, ils répondent non. C'est vraiment une approche schizophrénique, parce que les trois refus correspondent à une situation qui n'a pas de solution.
Par ailleurs, le débat sur l'immigration en Europe est devenu irrationnel, ce qui est très inquiétant. C'est un débat où le populisme prend racine et cela engendre, à mon avis, des environnements psychologiques contraires, non seulement aux mouvements migratoires, mais, encore pire, à la protection des gens qui ont besoin de la protection internationale.
Par exemple, l'évolution récente d'un pays comme l'Italie, entre autres à cause de l'expulsion de gens qui venaient d'ailleurs, est très préoccupante. Ce n'est pas le cas partout, mais dans plusieurs endroits du monde développé, les questions relatives aux mouvements de population sont abordées d'une façon complètement irrationnelle. Cela préoccupe grandement notre organisation et nous participons activement au débat européen, notamment en essayant d'attirer l'attention sur le besoin d'un débat rationnel et sur la compréhension que toutes les sociétés deviennent des sociétés multiethniques, multiculturelles et multireligieuses. C'est inévitable. Ce n'est pas encore compris dans beaucoup de pays qui pensent pouvoir maintenir une identité qui ne soit pas basée sur la diversité.
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Je voudrais noter quelques éléments de vos antécédents personnels ainsi que des fonctions que vous exercez en ce moment. Je voudrais aussi vous remercier du compliment que vous avez fait à la population et au gouvernement du Canada au sujet de leur intervention à cet égard dans le monde.
J’aimerais noter certaines choses. Si vous décidez de répondre, j’en serais très heureux. Autrement, je céderai la parole à M. Lunney.
Dans le microcosme où nous évoluons, notre gouvernement a annoncé le renouvellement et l’augmentation de notre appui au Programme d’aide pour les Birmans des zones frontalières, qui est doté d'un budget de 16 millions de dollars pour les cinq prochaines années. À ma connaissance, la contribution canadienne est la plus importante du programme. Nous sommes les principaux intervenants dans cette région, dans le cadre du programme. Le Canada a donc pris l’initiative.
Grâce à un programme quinquennal de développement du capital social, le Programme d’aide pour les Birmans des zones frontalières apporte une aide humanitaire très nécessaire aux réfugiés, assure des services de santé aux personnes déplacées et soutient beaucoup d’organisations communautaires qui s’occupent de questions telles que la violence contre les femmes, la dégradation de l’environnement, les déplacements forcés, l’accès à l’information et les droits de la personne.
Les fonds canadiens ont permis de traiter près d’un million de cas de paludisme et d’autres maladies, de fournir de l’aide alimentaire à quelque 145 000 réfugiés et d’assurer des services de santé à près d’un demi-million d’autres. C’est un modèle d’aide internationale efficace et responsable.
Nous avons été en mesure de faire preuve de leadership dans le passé. Je tiens à noter aujourd’hui, pour mémoire, que nous espérons que nos amis et voisins ayant la possibilité d’aider cette région se montreront disposés à suivre l’exemple de leadership du Canada dans ce projet et dans d’autres initiatives que nous avons entreprises.
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Nous nous occupons très sérieusement du Sri Lanka. La situation s’est sensiblement améliorée, probablement à cause du processus d’élections. Les élections sont toujours un facteur positif dans les situations de ce genre.
Nous étions en butte à une opposition très ferme de la part du gouvernement en ce qui concerne un retour rapide des gens dans leur région d’origine, de la liberté de mouvement de ceux qui se trouvent encore dans le grand camp de Menik Farm et de l’accès des ONG et d’autres organisations à quelques régions touchées. Ces trois obstacles ont été extrêmement difficiles à surmonter. Nous avons eu des négociations très ardues, mais, après un certain temps et compte tenu de différents facteurs — je crois que les élections constituaient probablement l’élément le plus important —, nous avons été témoins de progrès très significatifs pour ce qui est des deux premiers.
Il y a un important retour des gens vers leurs régions d’origine. Je crois que ceux qui restent à Menik Farm sont là, non parce que le gouvernement s’oppose à leur retour, mais parce qu’il y a encore des problèmes de déminage. Par conséquent, la situation s’améliore assez sensiblement à cet égard.
La liberté de mouvement a également augmenté assez nettement à Menik Farm. Les gens peuvent maintenant quitter le camp. La situation n’est pas parfaite, mais il est certain que des progrès ont été réalisés.
Les ONG ont encore de sérieuses difficultés d’accès au district de Wanni. Nous n’y sommes pas encore, mais il y a une évolution positive.
Pour moi, la plus grande inquiétude, c’est l’avenir. La guerre a été gagnée, mais il reste maintenant à gagner la paix. Autrement dit, il faut créer des conditions propices à une pleine intégration de la population tamoule dans le contexte de l’État. Les Tamouls sont quasiment absents du système politique et de l’administration. Ils sont totalement absents dans la police et l’armée. Si le gouvernement n’adopte pas maintenant une politique sérieuse de pleine intégration des Tamouls, je crains fort que le conflit ne reprenne d’ici cinq ans.
C’est là un domaine dans lequel je crois que tous les pays devraient exercer des pressions auprès du gouvernement du Sri Lanka, afin de lui faire comprendre qu’une victoire militaire n’équivaut pas nécessairement à la solution du problème. Le problème subsiste et doit être affronté, notamment en édifiant un État vraiment multiethnique.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins. J’ai quelques questions rapides à poser, mais je voudrais commencer par une observation.
Tout en appuyant le gouvernement et en le félicitant pour son investissement en faveur des réfugiés à la frontière de la Birmanie et de la Thaïlande, je m’inquiète de la réduction de son appui à l’UNRWA. Je sais que cela est extérieur à vos responsabilités, mais c’est une question qui préoccupe beaucoup d’entre nous.
Pour ce qui est des propositions évoquées par le ministre — vous en avez discuté avec lui —, je crois comprendre d’après ce que vous avez dit que, s’il y a des choses à changer, il importe de maintenir l’accès pour les réfugiés. Vous avez été parfaitement clair à ce sujet. De plus, en dépit du fait que nous voulons concevoir un système dans lequel nous désignerons des pays dits « sûrs », il faut quand même garantir l’accès aux réfugiés.
Je dis cela parce que je pense à des cas où des gens ont souffert de discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. Je pense aux homosexuels qui sont persécutés. S’ils viennent d’un pays jugé sûr, mais qu’ils soient quand même persécutés, j’estime que si le système ne permet pas d’intervenir et n’assure pas l’accès, nous aurons manqué à nos responsabilités.
J’aimerais donc que vous nous donniez quelques précisions. Quand il est question de rationalisation, j’ai eu l’impression de vous entendre dire que nous devons éviter les systèmes à deux niveaux, que nous devons veiller à assurer l’accès pour tous, sur la base de la demande présentée et non de la désignation que nous avons attribuée au pays en cause.
Je voudrais ensuite parler de la République démocratique du Congo. Le Canada a été invité à appuyer la mission de maintien de la paix en RDC. J’ai cru comprendre en vous écoutant qu’il y a évidemment les liens entre le règlement du conflit et les réfugiés et, comme la RDC est l’un des cinq plus importants pays pour ce qui est du nombre de personnes déplacées... Le Canada a été sollicité, mais il a dit non, qu’il n’était pas en mesure pour le moment d’offrir des ressources. Toutefois, en 2011, il y aura des changements relativement à nos engagements envers la mission en Afghanistan.
Vous ne pouvez pas formuler d’observations au sujet de ce que nous devrions faire, mais est-ce que cela constituerait pour vous une mesure positive pouvant améliorer la situation en RDC grâce au soutien de la mission de maintien de la paix dont les ressources demeurent insuffisantes?
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La question a été au centre de nos discussions de ce matin. Je crois que notre entretien a été très constructif.
Je ne veux pas me prononcer sur notre position future parce qu’elle se fonde sur des textes qui ne sont pas encore prêts, mais je pense que je me suis très bien entendu avec le ministre. Nous ne nous opposons pas à l’existence d’une liste de pays sûrs. C’est un instrument qui permet de rationaliser les procédures. Nous n’y sommes pas opposés pourvu que la liste ne fasse pas obstacle à l’accès à l’asile, même dans le cas de personnes venant de... Il faut en outre tenir particulièrement compte de certains groupes dans ce contexte.
Nous pouvons avoir, par exemple, une démocratie dans laquelle subsiste un grave problème de mutilation génitale. C’est le cas du Mali, qui est un pays démocratique où la mutilation génitale demeure courante. Par conséquent, il y a encore de la persécution, même dans des régimes démocratiques, quand il s’agit de sexe ou d’orientation sexuelle.
Je crois qu’il était bien entendu ce matin que, quelles que soient les mesures législatives adoptées, il est important de prévoir des garanties permettant de toujours tenir compte de situations de ce genre. Tout dépendra bien sûr de la façon dont les textes seront présentés. Nous formulerons une opinion fondée sur ces textes. Quoi qu’il en soit, nous en avons discuté très ouvertement et très franchement. J’ai l’impression que nous nous sommes entendus sur ce qu’il convient de faire pour préserver l’accès dans ces circonstances.
Au sujet de la RDC, je conviens volontiers que le soutien des opérations de maintien de la paix et de l’action humanitaire dans ce pays serait très chaudement accueilli parce que la catastrophe humanitaire y a pris des proportions monstrueuses. En RDC, nous avons constamment des gens qui meurent alors qu’ils n’auraient pas dû mourir et ce, à un rythme équivalant — vous vous souvenez du tsunami d’il y a quatre ans — à un tsunami tous les six mois. C’est donc une épouvantable tragédie... Bien sûr, les femmes sont victimes de toutes sortes de crimes affreux. Nous nous occupons de très près de la situation en RDC.
Je voudrais laisser une série de tableaux à l’intention des membres du comité. Ces tableaux montrent une chose que je crois très importante pour un pays donateur comme le Canada. Nous essayons d’utiliser votre argent, non pour les besoins de l’organisation, mais en faveur des gens dont nous nous occupons. Au cours des quatre dernières années, nous avons réduit notre effectif de 300 personnes à notre siège de Genève, ce qui représente une compression de 30 p. 100. Les frais de notre siège, qui représentaient 14 p. 100 du budget, ont été ramenés à moins de 10 p. 100. Les coûts du personnel, qui absorbaient 41 p. 100 du budget, se limitent maintenant à 27 p. 100, ce qui signifie que de plus en plus d’argent est utilisé directement par des organisations extérieures et qu’un plus grand nombre d’ONG participent à nos activités. Nous faisons de notre mieux pour utiliser à bon escient les contributions que nous recevons.
Je vous laisse donc cette série de tableaux. Il y a une quinzaine d’exemplaires. S’ils pouvaient être distribués aux membres du comité, j’en serais très reconnaissant.
Merci beaucoup.
Je suis directeur du Rapport mondial de suivi sur l’Éducation pour tous à l’UNESCO. Nous avons collaboré très étroitement avec la Campagne mondiale pour l’éducation d'une façon générale et, en particulier ici, au Canada. En fait, c'est la Campagne qui a produit quelques-uns des mémoires que vous avez devant vous.
Je vais peut-être passer très brièvement en revue un certain nombre de points.
Je n’ai vraiment pas à convaincre les membres du comité de l’importance de l’éducation. Je crois que vous avez pu constater, au Canada, plus que dans tout autre pays de l’OCDE, à quel point l’éducation peut transformer la vie d’un peuple et changer l’orientation de tout un pays. Vous avez porté une attention particulière à des questions telles que le manque d’équité, l’inégalité en éducation et la réalisation de moyennes d’éducation élevées.
Je suis souvent frappé, lorsque je visite des pays en développement, par l’enthousiasme, l’engagement et l’ambition que manifestent des gens vivant dans des conditions vraiment désespérées — dans des quartiers misérables et des régions rurales soumises à la sécheresse — lorsqu’ils cherchent à donner à leurs enfants une bonne éducation. Je crois vraiment que c’est un domaine dans lequel le Canada a des réalisations dont il peut être fier. N’étant pas moi-même canadien, je dois vous dire que vous avez peut-être tendance à sous-estimer vos réalisations. Si vous considérez votre programme d’aide, vous constaterez que le Canada consacre actuellement près de 210 millions de dollars à l’éducation de base. Vous avez doublé votre engagement dans ce domaine depuis 2002. Cette aide vise des pays qui ont connu des progrès assez extraordinaires. En Afghanistan, qui est l’un des principaux pays bénéficiaires de l’aide canadienne, nous avons constaté que le nombre de filles qui vont à l’école a quintuplé dans les sept dernières années. En Tanzanie, autre grand bénéficiaire de l’aide du Canada, le nombre d’enfants d’âge scolaire qui ne vont pas à l’école a diminué d’environ 3 millions. Au Sénégal, autre grand bénéficiaire, le nombre des filles qui vont à l’école augmente très rapidement.
Je sais que votre comité et d’autres ont reçu dans le passé des témoins qui vous ont dit que l’aide est inefficace. Dans tous les exemples que je vous ai mentionnés, si vous alliez parler à des enfants ou à leurs parents, vous entendriez des points de vue très différents, à savoir que l’aide canadienne a eu une très grande influence. Je crois en outre que vous aurez une excellente occasion, au prochain sommet du G8, de profiter de votre propre leadership pour montrer la voie aux gouvernements d’autres pays riches et les convaincre d’agir davantage pour exercer plus d’influence dans le domaine de l’éducation.
Dans notre rapport, nous faisons notamment un suivi des progrès réalisés en éducation en fonction de six grands objectifs. Je ne vais pas aborder chacun d’eux, mais ce qui ressort essentiellement de notre travail, c’est qu’il y a partout beaucoup d’éléments positifs. À l’échelle mondiale, le nombre des enfants qui ne vont pas à l’école a baissé d’un tiers dans la dernière décennie, y compris dans des pays qui ont connu une expansion rapide de la population d’âge scolaire. C’est là une réalisation très concrète et très favorable. Le fossé qui sépare les deux sexes a rétréci en Afrique et dans l’Asie du Sud, d’une façon assez remarquable dans certains cas. Les taux de décrochage ont baissé, plus d’enfants allant à l’école et terminant leurs études. Ce sont des développements très positifs qui démentent le mythe selon lequel il serait impossible de faire des progrès rapides dans la réalisation des objectifs fixés par la communauté internationale.
Il y a aussi des développements moins positifs. Les promesses faites aux enfants du monde en 2000, y compris l’engagement à permettre à tous les enfants d’aller à l’école d’ici 2015, ne seront pas tenues. En fonction des tendances actuelles, nous manquerons l’objectif par un minimum de 56 millions d’enfants en âge d’aller à l’école primaire. Ce nombre est très important, mais il ne représente que la pointe de l’iceberg, car il y a bien entendu de nombreux enfants qui vont à l’école mais qui décrochent. Et beaucoup d’autres millions iront à l’école et finiront le primaire sans pour autant apprendre les éléments de l’écriture, de la lecture et du calcul, par suite du manque de qualité de l’éducation.
Ce fait est important, je crois, parce que l’éducation est un droit fondamental. En même temps, elle se répercute sur d’autres domaines auxquels le Canada s’intéresse beaucoup. Par exemple, le Canada considère comme une priorité la santé de la mère et de l’enfant à l’occasion du sommet du G8. Il y a de très bonnes raisons de le faire. Toutefois, si on veut réduire la mortalité infantile, l’une des façons les plus efficaces de le faire est d’éduquer les jeunes filles. Une fille qui a fait des études secondaires et qui devient mère aura trois fois plus de chances de garder ses enfants au-delà de l’âge de cinq ans qu’une mère sans éducation. Si on veut sauver des vies, l’un des moyens de le faire consiste à investir dans l’éducation.
De même, si on veut une démocratie qui marche et un gouvernement transparent, comment y parvenir sans éducation? Si on vise une prospérité commune dans une économie de plus en plus mondialisée, comment peut-on y aspirer sans accélérer les progrès relatifs aux objectifs d’éducation? L’un des messages de notre rapport, c’est qu’il faut songer à l’éducation non seulement comme un droit en soi, mais aussi comme l’un des grands moteurs et des grands multiplicateurs du progrès dans d’autres domaines.
Que devons-nous faire pour changer le tableau que j’ai brossé et s’assurer que tous les enfants vont à l’école d’ici 2015 et reçoivent une éducation de qualité? D’abord et avant tout, nous avons souligné que les gouvernements des pays en développement doivent en faire beaucoup, beaucoup plus pour toucher leurs populations les plus marginalisés, pour augmenter les investissements dans les ressources et pour former les enseignants nécessaires à la réalisation des objectifs.
Toutefois, même avec les plus grands efforts de la part des gouvernements des pays en développement, nous estimons qu’il y aura à l’échelle mondiale un déficit de financement d’environ 16 milliards de dollars par an. Nous avons trouvé inquiétant le fait que l’aide à l’éducation de base a stagné ces dernières années. L’année dernière, pour la première fois, elle a en fait diminué de plus de 10 p. 100 dans le monde. Il est également inquiétant dans ce contexte de constater que les engagements canadiens envers l’aide à l’éducation de base ont également décliné. Les perspectives d’avenir semblent assez alarmantes.
Nous avons la possibilité de redresser la barre au sommet du G8, mais nous devons reconnaître, je crois, que ce créneau est en train de se refermer. L’année 2015 peut sembler lointaine, mais elle n’est qu’à une génération primaire de distance. Nous ne pouvons pas attendre 2013 ou 2014 pour faire des investissements. Nous devons agir tout de suite. Voilà pourquoi nous aimerions que le gouvernement du Canada place l’éducation au centre du programme du G8, non pour déplacer la santé de la mère et de l’enfant, mais pour jeter un pont entre les deux et pour reconnaître que les progrès dans les deux domaines doivent aller de front. Il faudrait pour cela que vos propres dirigeants invitent le reste du G8 à prendre les engagements concrets nécessaires pour produire des résultats.
Je crois que nous avons devant nous un énorme défi à relever, mais nous avons aussi l’occasion de résoudre le problème. Si je peux me permettre, je dirais qu’il incombe dans une certaine mesure au Canada de faire preuve d’un vrai leadership au sein du G8 afin de nous ramener sur la voie que nous devons suivre.
Je vous remercie.
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Vous avez soulevé deux excellentes questions. Pour l’Afrique subsaharienne, nous estimons la pénurie totale d’enseignants, en fonction de ces objectifs, à environ 1,2 million.
Bien sûr, pour un gouvernement, embaucher un enseignant n’est pas un engagement ponctuel à faire pour un an. Il s'agit d'un élément central d’un budget courant. C’est la raison pour laquelle les gouvernements doivent pouvoir planifier leurs recettes à long terme afin de financer ces investissements. C’est également la raison pour laquelle les pays donateurs eux-mêmes doivent en faire beaucoup plus. Pour qu’un pays puisse recruter des enseignants et les déployer, il doit être sûr de l’aide future qu’il recevra.
Nous attirons l’attention sur le fait que l’aide provenant de certains pays tend à être hautement instable et imprévisible, de sorte que les gouvernements bénéficiaires ont beaucoup de difficulté à planifier. Il y a aussi un écart de financement dont il faut s’occuper. Bien sûr, les gouvernements doivent veiller — comme le Canada a essayé de le faire, je crois — à ce que de bons enseignants soient affectés aux écoles qui donnent les résultats les moins bons ainsi qu’aux régions défavorisées. Nous citons dans notre rapport un certain nombre d’exemples de pays qui ont tenté d’agir à cet égard avec plus ou moins de succès.
Le fossé rural-urbain que vous avez mentionné est très réel en éducation dans les pays du tiers monde, qu’on considère l’alphabétisation des adultes, l’assiduité à l’école, les taux d’inscription ou d’autres éléments. À ce fossé s’ajoute un écart fondé sur le sexe. Ce sont en particulier les filles pauvres des régions rurales qui sont les plus défavorisées à cet égard.
Il y a par ailleurs des interventions éprouvées et très concrètes qui ont donné des résultats dans ce domaine. Il y a 15 ans, le Bangladesh avait l’un des plus importants écarts du monde sur le plan de la répartition de l’éducation selon le sexe. Aujourd’hui, cet écart a disparu. Pourquoi? En partie parce que le gouvernement a mis en place un programme qui encourage les parents à envoyer leurs filles à l’école. Autrement dit, il y a un avantage financier pour les familles qui le font.
Le Sénégal a essayé de réaliser un programme du même genre. Nous avons constaté une diminution considérable du nombre de filles qui ne vont pas à l’école en Éthiopie. C’est parce que le gouvernement a beaucoup investi — avec l’aide du Canada — dans la construction de salles de classe dans les régions rurales les plus défavorisés, ce qui réduit la distance entre les collectivités et l’école. Une distance moindre constitue un facteur très important pour les filles en particulier.
Je crois qu’il y a des résultats concluants dans tous ces domaines. L’aide canadienne favorise déjà des améliorations à cet égard. Il conviendrait peut-être de faire des recherches sur les initiatives qui ont bien marché afin de les étendre et de les reproduire dans le cadre d’autres programmes d’aide.
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Je crois que vos observations et les points que vous avez soulevés sont très justes.
Depuis l’accord de Gleneagles, qui a permis de doubler l’aide à l’Afrique subsaharienne, je crois que le Canada a eu des réalisations dont il peut être très fier. Le budget de l’aide a considérablement augmenté, ce qui a eu une influence marquée.
L’environnement actuel est très différent sous deux aspects très importants. Tout d’abord, à cause des répercussions de la crise financière et de son interaction avec la crise alimentaire qui avait précédé, nous serons témoins d’une augmentation générale du nombre des pauvres dans le monde en développement, une augmentation qui sera probablement de l’ordre de 150 millions de personnes. Ensuite, nous avons noté un accroissement sensible des niveaux de malnutrition chez les enfants du tiers monde. L’environnement est donc assez inquiétant.
À cause de l’effet combiné d’une croissance moindre et d'une baisse des recettes, particulièrement en Afrique subsaharienne, les gouvernements seront moins en mesure de financer des services de base tels que l’éducation. Dans notre rapport, nous estimons que la crise financière aura pour effet de réduire les dépenses par étudiant du niveau primaire de 13 p. 100 en Afrique subsaharienne. Autrement dit, ces dépenses seraient de 13 p. 100 supérieurs si cette crise n’était pas survenue.
Le fait de geler l’aide dans un contexte de pauvreté croissante et de capacité décroissante de financer l’éducation ne peut qu’aboutir à des résultats négatifs. Nous ne pouvons pas dire à la communauté internationale, d’une part, que nous voulons accélérer le progrès et, de l’autre, que nous ne fournirons pas les ressources nécessaires pour atteindre cet objectif. Si nous voulons des résultats, nous devons fournir les moyens. Je crois qu’en ce moment, le problème réside dans l’écart qu’il y a entre les ambitions et les engagements.
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Je ne suis pas un expert des questions afghanes, mais l’aide canadienne à l’éducation en Afghanistan constitue l’un des cas que nous examinons dans le rapport de cette année. Bien sûr, c’est un environnement qui compte parmi les plus difficiles du monde pour faire du développement à long terme. Je dirais même qu’en ce moment, c’est probablement l’environnement le plus difficile du monde à cet égard.
On entend souvent dire qu’il ne vaut même pas la peine de songer au développement à long terme dans ce contexte et qu’il suffit de concentrer les efforts sur les secours d’urgence et l’aide humanitaire. Je crois que les chiffres concernant le Canada, particulièrement dans les principaux domaines d’activité de son programme d’aide, sont vraiment éloquents. Nous avons constaté une très forte hausse des inscriptions dans les écoles primaires. Nous avons noté une augmentation dans le recrutement et le déploiement d’enseignants. Et nous avons en particulier été témoins d’un accroissement vraiment remarquable du nombre de filles dans les écoles primaires.
Pour obtenir ces résultats, je crois que le Canada, travaillant de concert avec d’autres donateurs, a élaboré des approches très novatrices qui ont permis de mettre des ressources en commun, de les gérer sur une base collective et de fonctionner à une échelle pangouvernementale, tout en reconnaissant que ses activités relèvent non seulement du développement, mais aussi de facteurs de sécurité et de vastes questions humanitaires dont il faut tenir compte.
Je crois en fait que le modèle afghan pourrait être appliqué sur une échelle beaucoup plus grande. Il conviendrait sûrement dans le Sud-Soudan, en République démocratique du Congo et ailleurs.
Je ne peux vraiment rien dire de très précis au sujet des liens entre l’enseignement primaire et secondaire en Afghanistan car ce n’est pas vraiment mon domaine. Je dirai cependant qu’on ne peut évidemment pas réaliser des progrès au secondaire à moins d’avoir les bases nécessaires. Il est clair que ces bases ont été mises en place à des endroits comme Kandahar où le programme d’aide a été activement mis en œuvre.
Je dois vous dire que j’ai trouvé étonnant le deuxième paragraphe du document, selon lequel « de récentes données de l’OCDE montrent que les engagements du Canada envers l’aide à l’éducation de base ont chuté abruptement au cours des trois dernières années ».
Je trouve cette affirmation surprenante parce qu’en fait, les contributions canadiennes ont assez considérablement augmenté. C’est tout à fait l’opposé de ce que vous affirmez. Je suis donc un peu surpris. Peut-être pouvez-vous nous donner une explication.
Tout d’abord, dans le domaine de l’éducation de base, je vois ce qui suit dans un autre document de votre organisation: « Il y a actuellement 72 millions d’enfants et 759 millions d’adultes qui n’ont pas droit à une éducation de qualité. » Je dois signaler que vous avez utilisé pour l’éducation de base un chiffre désuet. En fait, en 2007-2008, l’éducation de base a reçu 270 millions et non 150 millions. Je suis désolé, mais je dois contester les affirmations que vous présentez ici.
Quand vous parlez de 72 millions d’enfants et de 559 millions d’adultes — il ne s’agit ici que de l’éducation de base —, vous ne tenez pas compte du financement total de l’éducation provenant du Canada, qui s’élève à 301 millions de dollars. Vous parlez d’environ 150 millions. Je dois contester ce chiffre.
Ensuite, en 2008-2009 — mais vous ne le saviez peut-être pas —, l’ACDI a consacré 401 millions de dollars à l’éducation, dont 329 millions sont allés à l’éducation de base.
Je suppose que les gens qui ont fait des recherches pour M. Rae ne connaissaient pas non plus ces chiffres. Je soupçonne que...
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins pour leurs exposés.
Je comprends la différence, et je ne pense pas que ce soit une question de sémantique. Il me semble parfaitement clair qu’un engagement et un déboursé sont deux choses différentes. Je sais aussi que, sur le plan des résultats, l’éducation est probablement le domaine d’investissement le plus important si on veut que les filles et les femmes réussissent.
Je dis cela parce qu’en considérant le tableau global en éducation, d’une part, et dans le domaine de la santé de la mère, de l’autre, il est clair qu’il est parfaitement justifié d’établir un lien entre les deux, comme vous l’avez fait. Je ne crois pas qu’on puisse s’y opposer. Même mes amis d’en face en conviendront probablement. Si on veut vraiment influencer les résultats des filles et des femmes, il faut investir dans l’éducation au départ. Toutefois, nous constatons — vous avez eu bien raison de parler du succès du Bangladesh et d’autres pays — qu’il y a une certaine baisse au chapitre des engagements. Je ne parle pas seulement du Canada. Il s’agit d’une tendance mondiale.
Pour revenir au rôle du Canada, vous signalez que si nous souhaitons nous attaquer sérieusement au problème, nous en aurons l’occasion lors des réunions du G8 et du G20. Les moyens étant présents, croyez-vous qu’il y ait une volonté suffisante de la part des autres partenaires du G8 et, si vous disposez de renseignements suffisants à ce sujet, de la part des partenaires du G20? Croyez-vous, premièrement, que ces partenaires comprennent le lien entre l’éducation, l’engagement... Je m’intéresse surtout à l’éducation des femmes. Ce n’est pas que je fasse peu de cas des hommes, mais les efforts sont clairement concentrés sur leurs résultats. Si les partenaires comprennent, croyez-vous, en second lieu, qu’ils sont conscients de l’importance d’agir tout de suite parce que nous ne sommes qu’à cinq ans de l’échéance des objectifs du millénaire?
Pouvez-vous, dans le cadre de vos fonctions, constater cela auprès des autres pays du G8? Croyez-vous qu’ils comprennent et qu’ils aient la volonté d’aller de l’avant, particulièrement au sommet du G8?
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Ce n’est pas très uniforme. Je ne vais pas m’amuser à dresser un tableau de leadership du G8 pour montrer qui s’est classé premier, second et ainsi de suite. Toutefois, il y a clairement des chefs de file au chapitre de l’éducation au sein du G8. Je placerais le Canada et le Royaume-Uni dans ce peloton de tête qui a constamment cherché à maintenir cette question au centre du programme de l’organisation ou à mobiliser des ressources en fonction des objectifs.
Il y a d’autres pays qui font beaucoup d’efforts dans le domaine de l’éducation en fonction des fonds totaux qui y sont consacrés, mais qui ciblent non l’éducation de base, mais l’enseignement supérieur, et offrent souvent leur aide sous une forme qui finit par revenir au pays donateur lui-même. Autrement dit, ils financent des bourses pour permettre à des étudiants de s’inscrire à des universités bien connues à Paris ou en Allemagne.
Il est évident que cette forme d’aide a sa place dans le domaine du développement. Qu’il s’agisse du Canada ou de n’importe quel autre pays, le fait d’accueillir des étudiants des pays en développement constitue une très importante contribution au développement. Toutefois, quand l’écart de financement de l’éducation de base est aussi énorme que nous l’avons mentionné dans notre rapport, quand la majorité des enfants de beaucoup de pays n’ont même pas la possibilité de finir l’école primaire, surtout s’ils sont de sexe féminin, il n’est pas tout à fait indiqué de consacrer une grande partie du budget de l’aide à des études supérieures dans le pays hôte. Curieusement, beaucoup des pays qui s’adonnent à cette pratique reconnaissent, du moins dans les déclarations publiques de leurs dirigeants, l’importance suprême de ce dont vous avez parlé, c’est-à-dire l’égalité pour les filles en éducation, la nécessité d’atteindre les marginalisés, etc. Malheureusement, ces déclarations ne se reflètent pas toujours dans les priorités de l’aide.
C’est l’une des raisons pour lesquelles nous essayons tous, à l’UNESCO, dans le cadre de la campagne 1BUT et d’autres initiatives, d’amener les dirigeants à s’intéresser à cet objectif avant le sommet du G8 et à y consacrer les ressources susceptibles d’accélérer les progrès.
J’aimerais ajouter une chose dans le cadre de la discussion que nous venons d'avoir. Je veux simplement confirmer ce que Karen Mundy a dit: le Canada a été un chef de file dans ce domaine et nous soulignons, aussi bien dans notre rapport que dans le document de travail, je crois, qu’il y a eu des augmentations de l’ordre que vous avez mentionné sur le plan des montants effectivement déboursés. Vous avez avancé un chiffre de 2009 dont nous ne disposions pas au moment de la rédaction du rapport. Toutefois, les chiffres relatifs aux engagements sont importants parce que nous sommes témoins, à l’échelle mondiale, d’une baisse ou d’une stagnation des engagements depuis trois ans, qui s’est traduite par une baisse des montants déboursés dans la quatrième année. Cela ne s’est pas produit au Canada. Personne n’a prétendu le contraire. Je pense cependant que toute baisse des engagements laisse planer cette menace. Voilà ce que nous voulions dire.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de votre présence.
Je crois que M. Goldring a évoqué un aspect intéressant. Si on comparait, par exemple, le Canada et les États-Unis au chapitre des dons privés, le Canada se classerait bien au-dessous de son voisin du Sud, même si on faisait un calcul relatif par habitant. À mon avis, nous ne devrions pas mélanger toutes ces choses. Nous devrions nous en tenir à certaines normes dans nos discussions.
Madame Mundy, j’ai bien apprécié ce que vous avez dit au sujet de la différence entre les engagements et les décaissements. Toute ONG travaillant sur le terrain comprendrait cette distinction. Sur le plan des engagements, il semble qu’ils soient actuellement pris pour cinq ans ou même trois ans au lieu de dix ans. Par conséquent, même si les dépenses réelles de programmes augmentent cette année, les gens sur le terrain ont besoin de savoir à combien d’argent ils peuvent s’attendre à l’avenir. Ils examineront les engagements et se rendront compte qu’ils ont baissé. Cela a des répercussions directes sur la capacité ou la solidité d’une ONG qui travaille sur le terrain, car elle est alors dans l’incertitude. Elle sait seulement qu’elle recevra moins de fonds qu’auparavant.
Je crois que ce que vous dites est très utile. Je ne poursuis aucune fin politique car je sais que d’autres pays ont les mêmes difficultés que le Canada à cet égard.
J’aimerais vous demander de nous préciser ce qui, à votre avis, constitue la principale raison de la baisse des engagements.
Monsieur Watkins, j’ai trouvé très intéressant ce que vous avez dit au sujet de l’approche pangouvernementale de l’éducation adoptée en Afghanistan et de la possibilité de la mettre en application ailleurs. Vous avez mentionné le Congo dans ce contexte. Pour la gouverne de mon ami, M. Dewar, qui s’intéresse beaucoup à cette région, pouvez-vous nous dire brièvement comment il conviendrait de procéder? Que faudrait-il faire?
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J’ajouterai que ce ne sont pas seulement les ONG qui ont besoin de certitude et de stabilité. Si un gouvernement recrute des enseignants, il doit pouvoir les payer dans trois, quatre ou cinq ans. C’est la raison pour laquelle nous suivons de très près l’évolution des engagements.
De plus, la question des transferts de fonds est vraiment importante parce qu’elle attire notre attention sur d’autres sources possibles de financement. Nous savons que le prochain sommet du G8 ne pourra pas combler l’écart de 16 milliards de dollars. Nous savons aussi que le G20 examine déjà toute une série d’options novatrices de financement en vue de mobiliser des ressources supplémentaires.
Encore une fois, je crois que c’est un domaine dans lequel nous aurions besoin d’un dialogue beaucoup plus actif entre le G8 et le G20 pour examiner les possibilités, pour s’assurer d’explorer les idées relatives aux transactions financières, aux taxes, etc. dans le but d’utiliser toutes ces approches pour augmenter le financement de l’éducation.
La raison pour laquelle j’ai mentionné l’exemple de l’Afghanistan, c’est que les donateurs qui sont invités à fournir des fonds à des pays touchés par un conflit disent essentiellement qu’il est trop risqué pour eux d’intervenir parce que la faiblesse des structures hiérarchiques les empêchera de savoir à quoi l’argent a servi, d’en faire rapport à leur parlement, etc. Ils ne veulent donc pas se mouiller.
L’Afghanistan a démontré que si les donateurs mettent leurs ressources en commun, ils peuvent réduire le risque dans une certaine mesure grâce à la mise en commun. C’est essentiellement ce qu’ils font. Ils regroupent les risques dans un environnement où ils cherchent à déterminer en même temps comment assurer la sécurité du programme, comment créer un environnement sûr pour le développement, comment partager les risques et comment reconnaître que les gouvernements en cause ne pourront pas présenter des rapports aussi détaillés que si les mêmes initiatives étaient réalisées dans un pays plus développé, plus sûr et plus stable.
Dans un contexte comme celui de la République démocratique du Congo, on a affaire à cette combinaison d’insécurité sur le terrain, de grands camps de personnes déplacées dans leur propre pays, de conditions abominables pour la prestation de services d’éducation et de niveaux très variables de financement de ces services. La réponse collective des donateurs, c’est habituellement qu’ils ne veulent pas avoir affaire au gouvernement à cause de toutes les faiblesses que j’ai mentionnées. C’est un exemple classique de cas où les donateurs pourraient mettre leurs ressources en commun d’une façon beaucoup plus active. Ils pourraient envisager le genre d’arrangement mis en place en Sierra Leone ou au Libéria, dans lequel de multiples donateurs mettent leurs fonds en commun. Ils sont alors plus disposés à prendre un peu plus de risques. Ce sont en effet des environnements à risque élevé. On reconnaît que les initiatives ne donneront peut-être pas les mêmes résultats à court terme, mais qu’à long terme, elles pourraient constituer de précieux investissements dans la paix et la sécurité.