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Bonjour à tous les membres du Comité.
Bienvenue aux témoins de cet après-midi.
Nous accueillons M. Leslie Seidle, directeur de recherche, Évolution de la communauté fédérale canadienne. À titre personnel, nous recevons M. Larry LeDuc, professeur émérite à l'Université de Toronto, ainsi que M. Hugo Cyr, doyen de la Faculté de science politique et de droit de l'Université du Québec à Montréal.
Permettez-moi de parler rapidement de certaines réalisations des témoins.
[Traduction]
M. Leslie Seidle est directeur de recherche du programme Évolution de la communauté fédérale canadienne à l'Institut de recherche en politiques publiques, ainsi qu'expert-conseil en politiques publiques. Il a également été coordonnateur principal de la recherche à la Commission royale d'enquête sur la réforme électorale et le financement des partis, et auteur de l’ouvrage Rethinking the Delivery of Public Services to Citizens et de nombreux articles sur des questions liées à l’immigration, à la réforme électorale et constitutionnelle, à la gestion publique et au financement politique.
Comme je l'ai dit, M. Larry LeDuc est professeur émérite à l'Université de Toronto. Il a notamment publié Comparing Democracies, Dynasties and Interludes, The Politics of Direct Democracy, Absent Mandate, How Voters Change et Political Choice in Canada, de même que de nombreux chapitres d'ouvrages et articles parus dans des publications telles que Electoral Studies, Party Politics, Political Science et Canadian Journal of Political Science.
Le doyen Hugo Cyr est membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie, de l’Association québécoise de droit constitutionnel, et de la Chaire UNESCO d'étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique. Il a été chercheur invité à l’Académie européenne de théorie du droit, à Bruxelles, et aide juridique auprès de l'honorable Ian Binnie, juge de la Cour suprême du Canada.
Je pense donc que la discussion de cet après-midi sera des plus intéressante, stimulante et enrichissante. Nos témoins disposent de 10 minutes chacun, je crois. Par la suite, nous procédons habituellement à deux séries de questions au cours desquelles chaque membre du Comité pourra poser une question, puis vous aurez cinq minutes pour répondre. Chaque intervenant a donc cinq minutes pour les questions et les réponses, après quoi nous faisons un deuxième tour suivant le même format.
Nous allons donc sans plus tarder commencer par M. Seidle.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier le Comité de son aimable invitation à participer à ses travaux importants. Je constate que vous ne chômez pas cet été.
Je dois d'abord dire un mot à propos de l'Institut de recherche en politiques publiques.
Fondé en 1972, l'Institut est un organisme canadien indépendant, bilingue et sans but lucratif. Bien qu'il publie des recherches qui recommandent des changements aux politiques publiques, il ne se prononce pas sur de telles questions.
À cet égard, les observations que je vais offrir aujourd'hui sont les miennes et ne constituent pas une position de l'IRPP.
[Traduction]
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je souhaite exprimer ma préoccupation sur une question générale qui ne fait pas partie du mandat du Comité: quel serait l'objectif global d'un nouveau mode de scrutin fédéral? Quel problème cherche-t-on à régler? Autrement dit, en quoi l'essence de la démocratie canadienne changerait-elle — pour le mieux, peut-on présumer — si le mode de scrutin actuel était remplacé par un autre? Je trouve que personne n'a répondu à cette question, qui est pourtant au coeur des travaux dont vous êtes saisis.
Il suffit de se pencher un peu plus sur la question pour trouver trois phrases à propos de la réforme électorale dans la plateforme de l'année dernière du Parti libéral. L'une d'entre elles énonce l'engagement du parti à ce que l'élection à venir soit la dernière à être organisée selon le mode de scrutin actuel. Un titre précède cette phrase: « Nous ferons en sorte que chaque vote compte ». Voilà qui ne nous aide pas beaucoup.
La ministre des Institutions démocratiques a qualifié le mode de scrutin actuel de « désuet ». Je présume qu'elle veut dire qu'il ne convient plus au but recherché, un peu comme un meuble qui n'a plus sa place dans un nouveau décor. Mais à quel but le mot « désuet » est-il associé? Même si les institutions politiques doivent être adaptées à l’évolution des circonstances, ce qu'a fait le Canada à bien des égards, y compris au moyen de nos ententes fédérales, je suis d'avis que ces institutions doivent être évaluées en fonction de critères autres que l'âge. Après tout, la continuité et la stabilité sont des qualités importantes des mécanismes démocratiques.
Parlons maintenant de votre mandat. On vous demande d'étudier d'autres modes de scrutins pour remplacer le système en place, et d'évaluer la portée dans laquelle les options précisées pourraient améliorer la mise en oeuvre des principes de réforme électorale qui sont énumérés dans le mandat. À la lecture de ces principes — je suis parvenue à cette conclusion assez rapidement —, il m'a semblé impossible logiquement que votre comité puisse trouver un seul autre mode de scrutin qui respecte également l'ensemble des principes.
Mais ce n'est peut-être pas votre objectif. Après tout, votre mandat parle d'options au pluriel, et non pas d'une seule option. Voilà qui m'amène au premier grand point que je souhaite aborder aujourd'hui, à savoir qu'il faut établir un ordre de priorité des principes associés aux autres modes de scrutin. Si vous présentez une autre option, vous devez savoir ce que celle-ci vise à accomplir. Si vous en présentez plus d'une, la même réflexion s'applique aux autres modes de scrutin.
Je ne vais pas dresser l'ordre de priorité de ces principes à votre place, car je n'ai pas le temps. Je vais plutôt me prêter à un exercice plus modeste aujourd'hui et commencer par sélectionner deux d'entre eux qui, à mon avis, devraient être priorisés — je vais les reformuler légèrement. Le premier principe vise à accroître la représentativité et l'inclusion de la diversité au Canada. Le deuxième a pour but de favoriser les choix et la participation des électeurs.
Le premier principe porte notamment sur la représentativité des différents groupes au sein de la société canadienne. Je ne parle pas ici de la représentativité des partis, car je sais que mon confrère abordera la question, et que vous avez entendu ou entendrez le témoignage de personnes comme Henry Milner et Dennis Pilon. Quoi qu'il en soit, la représentativité des groupes n'est pas qu'un simple exercice de calcul. Nous examinons combien de membres des minorités visibles ont été élus par rapport à la population: c'est légitime. Pourquoi procédons-nous ainsi? Nous le faisons parce que les décisions évoluent au même rythme que la composition du corps décisionnel. Si nous valorisons l'adaptabilité de la prise de décisions, nous devrions nous inquiéter que certains groupes ne soient pas représentés adéquatement au sein de nos parlements.
Commençons par la situation des femmes, et voyons où elles en sont à la Chambre et au sein d'autres législatures élues suivant différents modes de scrutin. Deux tableaux ont été distribués, et je vais souligner quelques points à propos du premier.
Le premier tableau porte sur la représentation des hommes et des femmes. Dans les quatre pays qui sont dotés d'un système basé sur le principe de la majorité — le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Australie —, nous ne constatons aucun exemple où les femmes représentent même le tiers des députés de la chambre basse. Elles ne s'en sortent donc pas très bien ici.
Dans le cas des modes de scrutin proportionnel et mixte, dont je n'ai inclus que quelques exemples ici, les femmes sont souvent mieux représentées, et parfois de façon considérable. C'est notamment le cas de la Suède, où 44 % des députés du parlement national sont des femmes. Ce n'est toutefois pas toujours ainsi.
J'ai inclus la Hongrie. C'est un pays démocratique. Celui-ci éprouve des difficultés à l'heure actuelle, mais il fait néanmoins partie de l'Union européenne. La Hongrie était une démocratie dynamique avant de faire partie du bloc communiste, et ainsi de suite. Là-bas, les femmes ne représentent que 10 % des députés, même si le pays est lui aussi doté d'un mode de scrutin à représentation proportionnelle.
Pour ce qui est du vote unique transférable, un seul grand pays utilise ce système dans sa chambre basse, et c'est l'Irlande, où les femmes représentent 22 % des députés, soit un peu moins que le Canada, et légèrement plus que les États-Unis.
J'aimerais maintenant passer au deuxième tableau que j'ai distribué, qui porte lui aussi sur le principe de la représentativité et de l'inclusion. Je vous présente ici des données sur les minorités ethniques et les populations autochtones au sein des quatre plus anciennes démocraties de type Westminster et des États-Unis. Nous ne pouvons pas examiner les modes de scrutin à représentation proportionnelle de façon aussi poussée, principalement parce que nous manquons de données, comme dans le cas de la France, parce qu'il n'y a aucun peuple autochtone, ou parce que ce peuple est pratiquement absent ou qu'il n'est pas mesuré. Voilà pourquoi j'ai surtout sélectionné des pays qui ressemblent au nôtre.
Au Canada, les minorités visibles sont désormais assez bien représentées, avec 14 % des députés comparativement à 19 % de la population. Ces chiffres sont tirés de l'Enquête nationale auprès des ménages de 2011.
C'est nettement mieux qu'au Royaume-Uni, où les membres de groupes non blancs représentent 13 % de la population, mais occupent seulement 6 % des sièges à la chambre. En Australie, le contraste est encore plus marqué, même si les calculs sont quelque peu différents. Quelque 28 % des habitants sont nés à l'extérieur du pays. À vrai dire, une grande partie des immigrants australiens ne sont pas blancs, en raison de leurs pays d'origine. À la suite de l'élection de 2013 — nous n'avons toujours pas de données sur la dernière élection —, seuls 9 % des députés étaient nés hors du pays, ce qui représente presque un ratio de 1 pour 3.
En ce qui concerne les populations autochtones, nous avons trois exemples. Il y a les Maoris, en Nouvelle-Zélande, qui représentent désormais 14 % de la population, mais occupent 18 % des sièges à la Chambre des représentants. C'est notamment attribuable au fait que le pays réserve des sièges aux Maoris. Il y en a sept actuellement.
L'Australie ne compte qu'un seul député autochtone, qui a d'ailleurs été élu en 2013. En fait, il était le tout premier Autochtone à être élu à la Chambre des représentants australienne.
Comme vous le savez assurément, le Canada s'en sort relativement bien, quoique la proportion de députés ne soit pas encore comparable à la population: les Autochtones représentent 4,3 % de la population, mais 3 % des députés de la Chambre. Des progrès ont été réalisés, tout comme dans le cas des minorités visibles. La situation a énormément évolué entre l'élection de 2011 et celle de l'année dernière.
Qu'est-ce que tout cela signifie?
Tout d'abord, les modes de scrutin ne sont pas déterministes; voilà le premier des deux autres grands points que je souhaite souligner. Ces systèmes ne sont pas des roues d'engrenage qui vont dans une direction, et un même intrant ne donnera pas toujours le même résultat, comme ce serait le cas dans une usine. À titre d'exemple, nous constatons que les femmes sont souvent mieux représentées dans un système à représentation proportionnelle, mais que ce n'est pas automatique. Je vais dire un mot là-dessus en conclusion.
En deuxième lieu — et je tiens vraiment à insister sur ce point —, les règles et les engagements des partis politiques, surtout à l'étape de la mise en candidature, ont une grande incidence sur la représentativité de la diversité, y compris des femmes. En Suède, les partis privilégient depuis longtemps la candidature de femmes. Certains d'entre eux se sont dotés de quotas volontaires, auxquels ils accordent une importance relativement grande, de sorte que les femmes ont presque atteint la parité avec les hommes au sein du parlement suédois.
Le résultat de la Suède est donc meilleur que celui d'autres pays qui n'accordent souvent pas une aussi grande importance aux femmes. Voilà pourquoi les résultats ne leur sont pas aussi favorables, toutes choses étant égales par ailleurs.
Pour ce qui est des minorités ethniques et autochtones, nous n'avons pas un échantillon aussi important dans lequel puiser, mais il ne faut pas oublier une chose à propos de notre propre mode de scrutin. Même si nous avons un système désuet, selon une personne et peut-être d'autres aussi, nous avons réussi à atteindre au Canada une représentation pratiquement proportionnelle des minorités ethniques, autochtones et visibles par rapport à la population. Notre mode de scrutin ne s'en sort donc pas trop mal. Nous n'obtenons toutefois pas d'aussi bons résultats du côté des femmes. Cette réussite est principalement attribuable au fait que les partis, et plus particulièrement le Parti libéral, et le NPD aussi, ont présenté un plus grand nombre de candidats membres de minorités visibles et d'origine autochtone.
Je vais simplement terminer par une brève remarque concernant l'autre principe que j'ai mentionné, et qui vise à favoriser les choix et la participation des électeurs. Il s'agit d'un sujet de taille, mais je vais aborder quelques points.
Le vote alternatif, qui est employé en Australie — je ne vais pas expliquer ces mécanismes, car je présume que vous les connaissez —, permet aux électeurs de classer les candidats, mais ne leur offre le choix que d'un candidat par parti. Les électeurs ont en quelque sorte un choix un peu moins restreint étant donné qu'ils classent les candidats plutôt que d'inscrire un simple « X ». Ce mode de scrutin obtient donc quelques points de plus sur le plan du choix.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les membres du Comité de m'avoir invité aujourd'hui.
J'essayais de décider par quoi commencer, surtout dans ce discours liminaire de 10 minutes. J'allais d'abord dire qu'il est selon moi fort peu probable qu'une réforme électorale voie le jour au Canada. J'ai alors pensé que c'était un mot d'ouverture trop pessimiste, étant donné le travail remarquable que vous faites sur le sujet, et aussi parce que je suis un réformiste. J'aimerais qu'une telle réforme porte ses fruits, mais je suis très pessimiste quant à ses perspectives de réussite.
Je me suis dit que j'allais être un peu plus enthousiaste en précisant simplement que c'est une entreprise très difficile pour pratiquement n'importe quel pays. Le problème n'est pas propre au Canada. Il touche quiconque tente de changer une institution comme le mode de scrutin avec lequel les gens ont grandi, et auquel ils sont habités.
Dès que j'invoque cet argument devant des étudiants ou d'autres personnes lors de différents débats au Canada, quelqu'un parle toujours de la Nouvelle-Zélande. Pourquoi ne pourrions-nous pas y arriver si ce pays l'a fait? Je suis toujours ravi qu'on en parle; les gens en savent habituellement un peu sur la Nouvelle-Zélande, mais pas beaucoup.
Il est important pour nous de savoir ce que la Nouvelle-Zélande a fait et comment elle a mené la réforme. Il s'agit d'une étude de cas sur la réforme électorale étant donné que le pays a bel et bien réussi; il lui a toutefois fallu neuf années. Tout a commencé avec l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement. Le nouveau premier ministre avait énergiquement annoncé la fin du scrutin majoritaire uninominal à un tour. Puis neuf années plus tard, après trois élections, une commission royale, un comité parlementaire et deux référendums sur le sujet, le pays a réussi. Si vous êtes prêts à mener une telle lutte de longue haleine, il se peut que vous arriviez à suivre la voie de la Nouvelle-Zélande, pour autant que vous empruntiez ses nombreux détours. Or, l'exemple de la Nouvelle-Zélande ne nous montre pas à quel point il est facile de réformer un mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour, mais plutôt combien c'est difficile.
Je reviendrai peut-être à l'exemple de la Nouvelle-Zélande lors de la période de questions, car nous pouvons en tirer deux ou trois leçons autres qu'un pessimisme absolu. Ces apprentissages portent sur la procédure. Par exemple, on me posera assurément une question sur le référendum. Nous pouvons examiner le rôle qu'ont joué les référendums dans la démarche de la Nouvelle-Zélande, de même que ce qu'ils ont permis de réaliser ou non.
Nous pouvons aussi prendre l'exemple du Japon, mais je n'ai pas le temps d'en parler longuement aujourd'hui. Le Japon est l'autre grande démocratie qui a opéré une réforme électorale. Il a fallu non pas 9, mais bien 20 années au pays pour y arriver. La discussion a été entamée en 1973, mais ce n'est qu'en 1993, soit 20 années plus tard, que la réforme a été adoptée. Le Japon a procédé fort différemment de la Nouvelle-Zélande. Les pourparlers se sont limités au parlement et ont pris la forme de négociations entre les divers partis politiques. Au début des années 1990, une élection décisive a libéré la politique japonaise de l'emprise du Parti libéral-démocrate, ou PLD. Une coalition de sept partis a succédé au gouvernement du PLD, et c'est elle qui a essentiellement permis de réaliser la réforme électorale, mais seulement après avoir obtenu l'accord des sept partis. La recherche d'un tel consensus a été longue, ardue et complexe. Le pays a donc réussi en procédant différemment.
Je pourrais également mentionner certains exemples tirés des provinces canadiennes, qui sont des échecs dans l'ensemble. Les dirigeants étaient optimistes, mais ils n'ont pas pu procéder aux réformes. Le fait de mentionner ces cas m'amène à un des principaux points que je souhaite souligner dans ma présentation et ma discussion d'aujourd'hui: il faut mettre l'accent sur la procédure plutôt que sur le fond, surtout à l'étape où en est le Comité dans ses délibérations.
Dans les discussions qui entourent les réformes électorales, j'ai remarqué à maintes occasions que les gens ont tendance à commencer par le système qu'ils préfèrent ou qu'ils pensent aimer. Par exemple, ils se disent: « Oh, le vote unique transférable est une bonne option »; ou « Peut-être devrions-nous opter pour la représentation proportionnelle »; ou encore « Qu'en est-il du scrutin mixte avec compensation? Ce système fonctionne bien en Allemagne. » Les gens sont attirés par un modèle parce qu'ils savent une chose ou deux sur son fonctionnement et ses qualités, après quoi ils essaient de créer une procédure qui arrivera à cette conclusion; c'est donc la préférence qui justifie la marche à suivre. Les gens affirment qu'un mode de scrutin donné pourrait fonctionner, ou qu'on peut atteindre un objectif donné en prenant telle ou telle mesure.
Je pense qu'il faut procéder à l'inverse. Vous aurez selon moi une meilleure chance de réussir si vous commencez par la procédure, sans vous piéger à trop discuter des avantages et des inconvénients des différents modèles, surtout de ceux d'autres pays.
Dans une certaine mesure, je pense que votre comité a déjà entamé ses travaux de cette façon, ce qui est tout à son honneur, en raison, d'une part, de la représentation au sein du Comité et, d'autre part, des principes sur lesquels repose la discussion. Je suppose toutefois que bien des gens ont une préférence en tête pour un système donné, et qu'ils ont tendance à être attirés par cette discussion, ou du moins à en discuter trop rapidement. Vous y arriverez bien sûr éventuellement, mais ce n'est pas ce dont nous avons besoin. Si nous pouvions établir un consensus sur la procédure, nous pourrions ensuite utiliser celle-ci pour dégager un consensus sur la réforme. Il est beaucoup plus difficile de procéder dans l'ordre inverse. Je pense que c'est une des choses que le Japon nous a apprises.
J'en arrive ainsi au point sur lequel je souhaite conclure, qui est une simple reformulation de ce que mon confrère Peter Russel a dit hier à votre comité. Comme principe fondamental, tout mode de scrutin devrait refléter la voix des électeurs au moment de l'élection. Voilà qui est à la base. Il s'agit aussi du principe fondamental de la démocratie, et j'ai trouvé que mon confrère l'a très bien expliqué.
Nous nous attendons toutefois souvent à beaucoup plus des modes de scrutin: nous essayons de deviner ce que les électeurs veulent, ce qu'ils pensent vouloir, ou ce qu'ils souhaitent que leur vote signifie. Mais si l'élection reflète le choix des électeurs ou leur pensée au moment du vote, et qu'un système peut efficacement représenter ces votes au sein du Parlement, l'élection ne se limite pas à une activité d'une journée visant à choisir un gouvernement; elle devient plutôt un processus qui reflète continuellement la voix des électeurs au moyen d'un processus représentatif.
Voilà le principe sur lequel j'insiste le plus. C'est notamment pour cette raison que je vais essayer de plaider en faveur de la représentation proportionnelle à scrutin de liste, comme je le fais dans mon mémoire — je ne vais pas parler du mémoire dans mon discours liminaire, mais je serai ravi d'en discuter tout à l'heure. Je suis d'avis que c'est le mode de scrutin qui exécute le mieux les fonctions principales d'un système électoral; il s'agit aussi du plus répandu au monde, de sorte que nous devons l'envisager. Pourquoi commencer par des modèles hybrides ou très peu utilisés?
Chaque fois que je prends part à ce genre de débat, j'entends beaucoup parler du vote unique transférable, par exemple, qui semble fasciner particulièrement certains de mes confrères du milieu universitaire, surtout ceux qui viennent de la Colombie-Britannique. Il n'y a rien de mal avec ce mode de scrutin. Il s'agit d'un modèle fort intéressant, mais qui est plutôt théorique étant donné qu'il n'est employé que par l'Irlande et Malte. Je pourrais difficilement trouver deux exemples plus diamétralement opposés au Canada. Par conséquent, ce qui me pose souvent problème avec ce modèle, c'est qu'il nous manque de données empiriques sur celui-ci et sur la façon dont il pourrait s'appliquer à une société multiculturelle au vaste territoire comme le Canada.
En revanche, nous avons suffisamment de données sur d'autres sortes de systèmes à représentation proportionnelle, étant donné que ce modèle est employé dans toutes sortes de pays, petits et grands, tant en Orient qu'en Occident. Étant donné qu'il s'agit du système le plus répandu et le plus souple, nous ne ferions pas que choisir le mode de scrutin de quelqu'un d'autre si nous options pour la représentation proportionnelle à scrutin de liste; nous choisirions un modèle qui pourrait ensuite être adapté au contexte canadien et y fonctionner afin d'atteindre bon nombre des objectifs que le mode de scrutin canadien devrait viser en 2016, selon le Comité.
Je suis persuadé que mon ami et confrère Henry Milner a déjà fait valoir la représentation proportionnelle ce matin, étant donné qu'il en parle depuis des années; je le cite souvent dans les notes de bas de page de mes écrits. Je ne vais pas répéter ses propos, mais j'appuie bel et bien ce qu'il a probablement dit. Dans le cadre des discussions canadiennes, je trouve que nous n'avons pas suffisamment porté attention aux principes de la représentation proportionnelle à scrutin de liste. Nous nous attardons trop aux modèles hybrides, qui sont intéressants en théorie, mais qui n'ont pas autant fait leurs preuves que bon nombre des modes de scrutin à représentation proportionnelle d'Europe et d'ailleurs.
Je vais m'arrêter ici. Merci, monsieur le président.
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Merci beaucoup de l'invitation. Effectivement, vous ne chômez pas en plein milieu de cet été chaud. C'est très apprécié. Vous travaillez pour l'ensemble de la population.
Le mandat de ce comité spécial est notamment d'étudier des réformes électorales qui visent à remplacer l'actuel système majoritaire uninominal à un tour par un système qui augmente la confiance des Canadiens dans le fait que leur désir démocratique, tel qu'il est exprimé par le vote, sera traduit de façon juste dans les résultats du scrutin.
Le nouveau système électoral qui résultera de cette réforme pourrait avoir pour conséquence qu'il y ait plus fréquemment des gouvernements minoritaires ou même des gouvernements de coalition. Certaines personnes ont exprimé la crainte que cela puisse créer une instabilité politique en favorisant la tenue plus fréquente d'élections générales.
Or, les récents exemples écossais et gallois nous démontrent qu'il est possible de moderniser et de rationaliser notre parlementarisme tout en conservant l'essence de ses traditions et la stabilité politique qui y est associée. Ces deux législatures emploient une forme de système de représentation proportionnelle mixte, système dit du membre additionnel, pour l'élection de leurs membres respectifs. Malgré le fait qu'elles aient connu des gouvernements minoritaires ou des gouvernements de coalition, ces deux législatures au sein du Royaume-Uni n'ont eu à tenir des élections qu'aux quatre ou cinq ans depuis leur création, soit en 1999, en 2003, en 2007, en 2011 et en 2016.
Plusieurs solutions juridiques simples et éprouvées existent pour stabiliser des gouvernements minoritaires ou de coalition dans un système parlementaire. En nous inspirant de solutions adoptées au sein du Royaume-Uni et de quelques autres pays, nous vous proposons quelques modifications tout à fait mineures à nos façons de faire pour assurer la stabilité et la légitimité politique des gouvernements qui seront formés subséquemment à la réforme électorale anticipée.
Ces modifications auront aussi pour bénéfice d'augmenter la clarté et la transparence de nos façons de faire. Elles auront des fonctions pédagogiques, parce qu'il sera important que toute modification de notre système électoral puisse entraîner une meilleure compréhension de notre système politique de la part de la population. Elles pourront incidemment augmenter le rôle et l'importance de la fonction de député.
Je vais énumérer quatre propositions de modification, qui sont toutes inspirées d'exemples concrets existant ailleurs. En annexe de mon rapport se trouve la liste des textes constitutionnels ou législatifs sur lesquels ils s'appuient.
Tout d'abord, je vous propose de modifier le Règlement de la Chambre des communes pour prévoir la désignation du premier ministre par vote d'investiture à la Chambre des communes entre l'élection du Président de la Chambre et le discours du Trône, la nomination du premier ministre demeurant la prérogative de la Couronne, évidemment.
Cette proposition repose sur les exemples de l'Écosse, du pays de Galles, de l'Allemagne et de l'Espagne où, lorsqu'il n'y a pas de gouvernement clairement majoritaire, on s'assure d'avoir une décision claire sur qui devrait former le gouvernement et sur qui devrait en être le chef, lequel devra se présenter devant le gouverneur général pour former le gouvernement.
Deuxièmement, je propose de prévoir, par voie législative ou par modification du Règlement de la Chambre des communes, les conditions d'exercice du vote sur des motions de censure, et de limiter ces motions à celles dites constructives, ou à tout le moins prévoir explicitement la possibilité d'un gouvernement de remplacement s'il y a un vote de non-confiance.
Commençons par l'exigence de motions de censure constructives. Ce type de motions de censure est exigé en Belgique, en Espagne et en Allemagne, par exemple. Je vous réfère particulièrement à l'exemple espagnol, où l'on a bien encadré l'usage de la motion de censure. Il y a un nombre limite de fois où des motions de censure peuvent être présentées. Il y a aussi une période où ces motions peuvent être présentées.
Qu'est-ce qu'une motion de censure constructive? Lorsqu'on vote pour indiquer que la Chambre a perdu confiance dans le gouvernement, la motion doit simultanément offrir un gouvernement de remplacement. Si la motion est adoptée, ce gouvernement de remplacement vient automatiquement de recevoir la confiance de la Chambre. Il s'agit d'un mécanisme pour éviter que les partis de l'opposition ne se liguent pour renverser un gouvernement et ne bénéficient d'une élection hâtive pour augmenter leur députation.
Pour ce qui est de la possibilité d'un gouvernement de remplacement lorsque la Chambre des communes vote une motion de non-confiance, je m'inspire des dispositions législatives du Royaume-Uni. La loi sur les élections à date fixe prévoit que, lorsque le gouvernement est défait à la suite d'un vote de confiance, il n'y aura un déclenchement d'élections que 14 jours plus tard, s'il n'y a pas une résolution qui suit pour accorder la confiance à nouveau au même gouvernement ou à un gouvernement de remplacement qui aurait été formé entretemps.
Ma troisième proposition vise à modifier l'article 56.1 de la Loi électorale du Canada pour permettre la dissolution hâtive du Parlement avec l'accord des deux tiers des députés de la Chambre des communes. Il s'agit d'augmenter le rôle des députés. Encore une fois, cette proposition est tirée d'un exemple de la loi britannique sur les élections à date fixe. Cela vise à offrir un poids supérieur aux députés.
Ma quatrième proposition se construit à partir de la troisième, c'est-à-dire que si on peut le faire pour la dissolution de la Chambre, on peut aussi le faire pour la prorogation, et on pourra transformer cette exigence en exigence obligatoire.
Donc, ma quatrième proposition est de modifier le Règlement de la Chambre des communes pour prévoir que l'acte de demander la prorogation ou la dissolution du Parlement par le premier ministre, sans avoir au préalable obtenu l'approbation de la Chambre des communes, aura pour effet automatique de faire perdre la confiance dont jouit le premier ministre. Par conséquent, le gouverneur général ne serait pas lié par l'avis d'un premier ministre qui demanderait la dissolution ou la prorogation de manière hâtive sans avoir obtenu l'approbation de la Chambre.
Je souligne que le Règlement actuel de la Chambre des communes précise que l'élection du Président de la Chambre ne constitue pas une question de confiance. Le Règlement actuel accepte déjà qu'il est capable de dire quelque chose sur la confiance.
Le Règlement de l'Assemblée nationale du Québec prévoit expressément quelles sont les questions qui peuvent faire l'objet d'un vote de confiance. Il y a un précédent dans une des provinces. Dans la loi britannique, il y a une disposition claire sur les conditions auxquelles le vote de confiance peut être exercé.
On aurait la possibilité de prévoir quelles sont les conditions selon lesquelles le gouvernement qui serait minoritaire pourrait demander la dissolution de la Chambre ou sa prorogation, de manière à stabiliser le tout.
En terminant, pour que cette réforme fonctionne bien, et tant qu'à être engagé dans une modification importante, il faudrait tenir compte d'un enjeu pédagogique important pour la population. Une étude a démontré que la majorité des Canadiens croient qu'ils votent directement pour élire leur premier ministre. Il y a donc un besoin pédagogique de clarifier les règles de notre fonctionnement.
Je vous propose, à l'instar du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande, de profiter de l'occasion de la réforme pour clarifier, dans une sorte de manuel du Cabinet rédigé de manière consensuelle, l'ensemble des attentes en matière de formation du gouvernement et de prorogation.
L'expérience britannique nous a démontré l'efficacité et l'utilité d'un tel manuel lorsqu'en 2010 aucun des partis n'a obtenu une majorité des sièges. Le soir, aucun des médias ne s'est dépêché de crier: « Si la tendance se maintient, le prochain gouvernement sera formé par... » On a laissé aux partis politiques le temps nécessaire pour négocier entre eux qui allait former le prochain gouvernement, plutôt que de laisser aux médias le soin de décider le soir même qui devait être le prochain premier ministre. Cela, pour la démocratie, c'est une avancée.
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Pour ce qui est de mon exemple négatif... J'ai rédigé cet article à l'époque du référendum britannique sur le vote alternatif. Avant toute chose, vous devez comprendre que l'objectif du gouvernement — ou du moins de la moitié conservatrice du gouvernement — dans le cadre du référendum était essentiellement de faire rejeter la proposition. Voilà ce que ces gens souhaitaient. En deuxième lieu, la campagne était presque aussi chaotique que celle sur le Brexit: c'était une véritable campagne de désinformation. Je vais vous donner un petit exemple. C'est plutôt une anecdote, mais elle illustre ce que je veux dire.
Ces gens ont gagné. Ils ont tenté d'avoir une emprise sur la campagne britannique de 2011 — contrôle des dépenses, de la publicité, et ainsi de suite. La campagne a été lancée à une date donnée, moment où les règles sont entrées en vigueur. Le premier jour de la campagne, la chef du « non » a tenu une conférence de presse, où elle a annoncé que son équipe était contre le vote alternatif parce que sa mise en oeuvre coûterait 3 milliards de livres sterling. Les gens n'avaient aucune idée de ce dont il était question. Mais le début de la campagne n'a pas servi à déterminer si le système était bon ou non, s'il était souhaitable, s'il améliorait les choses ou quoi que ce soit d'autre. La campagne a plutôt débuté par cette idée sortie de nulle part que la réforme allait coûter très cher.
Les jours suivants, les gens ont essayé de comprendre cette affirmation. En réalité, la chef disait que pour mettre en oeuvre ce mode de scrutin, il faudrait des machines à voter, dont l'achat pour l'ensemble du pays serait extrêmement onéreux. Il a donc essentiellement fallu trois semaines pour se débarrasser de cette déclaration, mais les dommages étaient déjà faits.
J'ai rédigé un article de blogue à l'époque, avant d'écrire l'article dont vous avez parlé, et il disait que c'était une campagne de désinformation. La principale tactique employée pour faire rejeter la proposition a simplement été la désinformation. Dans bien des cas, des absurdités semblables peuvent être divulguées, puis elles collent à la peau. Ces propos restent, et si la campagne est de courte durée, l'autre parti n'a pas le temps de renverser la vapeur.
Voilà le genre de risque que pose un référendum. Dans l'article que j'ai écrit, et que vous avez cité — je vous en remercie d'ailleurs —, j'ai voulu faire valoir que les référendums doivent être plus délibératifs pour être des outils démocratiques efficaces. Il faut vraiment mobiliser les citoyens et les amener à réfléchir sérieusement à enjeu, ou à en discuter. Voilà qui prend du temps, de l'information et, souvent, une campagne d'information considérable financée par l'État. Mais les référendums sont comme des concours à gagner. Lors d'une courte campagne référendaire, l'un ou l'autre des partis tente de gagner, et nous l'avons constaté une fois de plus dans le cas de Brexit.
La désinformation est le principal moyen employé. Nous avons l'habitude des campagnes négatives lors d'élections, mais il y a énormément de campagnes semblables lors de référendums aussi. C'est une tactique très, très efficace. Si un parti cherche à faire rejeter une proposition, la désinformation est un de ses meilleurs outils. J'ai donc tenté de trouver un moyen de limiter le phénomène, ou même de l'enrayer, si possible.
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À plusieurs reprises, j'ai dit devant les témoins que je trouvais les groupes de discussion très inspirants. J'ai beaucoup de questions, mais peu de temps.
Monsieur LeDuc, au sujet d'un éventuel référendum, vous avez dit craindre les arguments fallacieux. Or on perd des élections de cette façon. Lors de l'élection québécoise de 2007, Mario Dumont disait, concernant la Caisse de dépôt et placement du Québec, que 40 milliards de dollars étaient en train de « prendre le bord », ce qui est contraire au slogan libéral qui dit « L'économie d'abord ». Or il avait tout à fait raison, mais personne ne l'a cru et il s'est fait traiter de clown. Pourtant, il avait raison: 40 milliards de dollars étaient en train de brûler derrière lui. Il reste qu'il a perdu son élection.
Il serait peut-être possible de garantir un processus permettant de réaliser une campagne d'éducation indépendante des partis politiques. Ce serait certes beaucoup plus légitime. En effet, pourquoi faisons-nous cela? Nous ne le faisons ni pour les partis politiques, ni pour les initiés, ni pour les universitaires. Enfin, nous ne le faisons surtout pas pour nous-mêmes. Nous le faisons pour que le peuple, au moment de changer les règles démocratiques, puisse se sentir partie prenante de ce changement. De cette façon, il pourrait y avoir des répercussions positives quant à la suite des choses et à leur stabilité.
J'aimerais que vous nous parliez non seulement de la légitimité, mais également de la nécessité, pour vraiment arriver à quelque chose, de faire trancher le débat par la population et de prendre le temps nécessaire pour y arriver.
Où est l'urgence? Étant donné que nous fonctionnons de cette façon depuis environ 200 ans, nous pourrions consacrer le temps qu'il faut à ce processus. J'ai l'impression qu'on nous dit en ce moment de nous presser, puisqu'on parle de cela depuis 21 ans. Un instant! Je ne pourrais trouver dans la rue personne qui puisse m'expliquer la différence entre les modèles proposés, ni même personne qui s'intéresse à ce sujet. Bref, il faut prendre le temps nécessaire.
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
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Je pense qu'il faut assurément le faire.
D'après certains résultats de scrutin, comme d'autres l'ont peut-être mentionné dans leur témoignage devant le Comité — je sais qu'André Blais était ici ce matin, mais puisque je n'ai pas entendu son témoignage, j'ignore s'il a pu en parler ou non... Je pense que certaines des réserves des Canadiens au sujet des élections et de leur déroulement se rapportent aux sentiments de la population. C'est d'autant plus vrai pour un électeur qui vit dans une circonscription dont le siège est considéré comme étant gagné d'avance, et où la compétition n'est pas forte d'une élection à l'autre. On vous dit à quel point l'élection est importante, mais vous commencez à vous rendre compte que votre vote n'aura pas vraiment d'incidence, ou que les options qu'on vous présente ne sont pas celles que vous aimeriez voir.
Ces réserves ne sont peut-être pas exprimées explicitement lors du scrutin, mais elles sont là. Vous pouvez voir que les gens ont l'impression de se faire dire que l'élection est vraiment importante et qu'ils doivent aller voter, alors que leur vote n'aura pourtant pas la moindre incidence; il ne changera rien compte tenu de leur circonscription et des choix qu'on leur présente.
Il faut essayer dans une certaine mesure de contrer ce phénomène.
En outre, dans le passage de mon mémoire que vous avez cité, je rapportais moi-même ce qu'Alan Cairns a écrit en 1968; ces arguments circulent donc depuis longtemps. J'aurais pu relater autre chose, mais j'ai choisi l'article de Cairns parce qu'il est le plus souvent cité dans la Revue canadienne de science politique.
Il y a quelque temps, un étudiant a fait un décompte et a produit une liste de la fréquence à laquelle les articles sont cités, et celui qu'Alan Cairns a rédigé en 1968 sur le système électoral et le régime des partis arrivait au premier rang dans les sciences politiques canadiennes. Hier, mon collègue Peter Russell a souligné que ce débat remonte à 1921, comme M. Thériault vient également de le dire. Ces arguments circulent donc depuis longtemps.
Nous savons pourquoi le Canada utilise le scrutin majoritaire uninominal à un tour: les Britanniques nous l'ont légué. Et nous ne sommes pas les seuls: ils l'ont donné à tous les autres dominions et colonies britanniques du monde au 19e siècle. C'est un mode de scrutin qui a bien fonctionné à certains endroits, mais moins ailleurs. Par exemple, le système ne convient probablement pas à l'Inde, et seul son héritage colonial britannique explique pourquoi le pays est doté du scrutin majoritaire uninominal à un tour.
Les Britanniques n'ont fait aucune distinction; ils n'ont pas étudié leurs colonies pour en conclure que le vote unique transférable conviendrait mieux à l'une ou l'autre d'entre elles, ou peut-être la représentation proportionnelle. Ils ont simplement estimé que le système britannique était le meilleur, puis ils l'ont légué à tout le monde, peu importe le moment ou l'endroit.
Il ne faut pas oublier que les sociétés évoluent aussi, comme M. Russell l'a souligné hier. Le Canada est devenu un système multipartite en 1921, ce qui n'a pas changé depuis. Or, notre mode de scrutin ne fonctionne pas aussi bien dans un environnement semblable. D'ailleurs, le scrutin majoritaire uninominal à un tour ne fonctionne plus très bien en Grande-Bretagne non plus. Il suffit de regarder le fossé qui s'est créé dans le cas de l'Écosse.
L'idée que ce merveilleux modèle britannique du 19e siècle devrait être notre préférence... Le Canada ne l'a jamais choisi, et le modèle ne fonctionne même plus très bien dans son propre pays d'origine.
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D'accord. Lorsque j'ai fait valoir la représentation proportionnelle à scrutin de liste, j'ai essayé d'en expliquer les principes plutôt que de parler d'un pays en particulier. Étant donné qu'il s'agit désormais du système électoral le plus largement utilisé dans le monde, nous savons beaucoup de choses à son sujet. Il existe amplement de données empiriques de divers pays et diverses sociétés.
Nous ne devons pas nous limiter à examiner la situation du Danemark. Il est vrai que ce pays a un des meilleurs taux de participation électorale au monde, et si c'est le volet qui vous intéresse, on peut dire que le Danemark a assez bien réussi à ce chapitre. Quoi qu'il en soit, nul besoin de ne s'attarder qu'à la situation du Danemark, de l'Espagne ou de tout autre pays.
Ce que j'aime généralement à propos de la représentation proportionnelle à scrutin de liste, c'est non seulement la quantité énorme de preuves qui existent sur le sujet à divers endroits, mais aussi sa grande souplesse et sa facilité d'adaptation. En d'autres termes, il est possible de concevoir un modèle canadien de représentation proportionnelle à scrutin de liste qui soit tout à fait différent du modèle exact de tout autre pays, et qui soit adapté à la réalité canadienne. Je ne cherche pas à l'expliquer dans un mémoire de 2 500 mots, mais je pourrais le faire.
Il y a quelques années, j'ai donné un cours sur les systèmes électoraux à l'Université de Toronto. C'était un cours d'enseignement supérieur, et j'avais trois étudiants très brillants. J'ai demandé à chacun de concevoir un système électoral pour l'Ontario. Il s'agissait de la représentation proportionnelle à scrutin de liste, du vote unique transférable et du scrutin mixte avec compensation. Les étudiants ont travaillé au projet pendant tout le semestre, puis ont rédigé un bel article. Je serai d'ailleurs ravi de vous le faire parvenir, si vous êtes intéressé. Il s'intitule « Three Options for Electoral Reform in Ontario ».
L'idée n'était pas d'adopter le système suédois ou espagnol. Le fait est que nous pouvons reprendre des principes reposant sur les preuves tirées de plusieurs nations, plutôt que d'une seule, puis les appliquer à un environnement canadien. Nous obtenons ainsi le genre de représentativité que le Canada devrait offrir, selon nous, et nous refléterons la volonté des électeurs comme un système parlementaire devrait le faire continuellement, selon nous, et pas seulement le jour du scrutin.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Messieurs, soyez les bienvenus dans votre Parlement canadien.
Monsieur Seidle, on peut comprendre qu'il serait peut-être plus intéressant pour tout le monde que nous ayons des échanges directs, mais que voulez-vous, nous sommes plusieurs et nous avons des dizaines et des dizaines d'experts à rencontrer, et il faut que cela se fasse de façon ordonnée.
D'ailleurs, je tiens à saluer votre présidence, monsieur le président, car vous faites très bien votre travail dans une situation qui n'est pas facile.
Soyez assuré, monsieur Seidle, que vous aurez tout le temps voulu pour exprimer votre point de vue avec la chef du Parti vert.
La qualité des échanges que nous avons aujourd'hui le démontre bien. Encore une fois, nous accueillons des gens de qualité, à savoir trois professeurs d'université. Je rappelle que le Comité gagnerait beaucoup à entendre un grand universitaire
[Traduction]
... qui a beaucoup de choses à dire sur une nouvelle façon de mener la réforme électorale, à savoir l'honorable . Tout le monde y gagnerait si M. Dion témoignait devant notre comité, et j'espère que l'ensemble des députés le comprendront.
[Français]
Tout à l'heure, mon collègue du Bloc québécois, M. Thériault, faisait état d'un événement survenu sur la scène politique provinciale il y a une dizaine d'années. J'approuve en partie ce qu'il a dit. En effet, il arrive que les gens votent pour un programme présenté en campagne électorale, mais que, finalement, le parti élu ne l'applique pas. Il y a des exemples tout à fait récents qui me viennent à l'esprit, mais je n'embarquerai pas dans ce débat aujourd'hui, car ce n'est pas la place. J'aurai l'occasion de le faire à un autre moment.
J'aimerais cependant rappeler un détail. L'événement dont M. Thériault parlait tout à l'heure n'est pas survenu en 2007, mais en 2008. Je m'en souviens très bien, car j'étais candidat à ce moment-là.
Allons maintenant au fond des choses.
Monsieur Cyr, vous avez fait mention tout à l'heure de quatre changements qui pourraient être appliqués, dont la nomination du premier ministre par le Parlement, le vote sur des motions de censure constructives et l'exigence selon laquelle on doit avoir l'accord de deux tiers des députés pour dissoudre la Chambre. De ce que j'en comprends, cela ne concerne pas directement le mode électoral.
Les changements que vous proposez pour donner encore plus d'autorité aux députés, peut-on les apporter dans l'actuel système uninominal à un tour?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence et de leurs présentations.
[Traduction]
J'aimerais brièvement parler de la remarque qui a été formulée, voulant que nous ne sachions pas quel est le problème. Je vais simplement lancer la discussion.
Notre comité a été formé pour une raison: les Canadiens estiment que leur vote ne compte pas. Permettez-moi de clarifier mes propos, car un témoin m'a assuré hier que les votes étaient bel et bien comptés. Ce n'est pas ce que je dis, mais plutôt que la voix des électeurs ne compte pas. Les gens qui les représentent véritablement ne reflètent pas leur intention au moment du scrutin. Voilà ce qui pose problème.
Ce n'est pas tout. Nous avons aussi un problème de faible participation électorale. Il y a eu une augmentation aux dernières élections, et nous en sommes ravis, mais nous devons tout de même nous pencher sur la question. En fait, la réforme électorale ne se limite pas qu'au mode de scrutin, mais elle englobe d'autres questions aussi, comme vous l'avez souligné. Vous avez dit que nous avons d'autres enjeux à aborder, et c'est ce qui nous intéresse. Le vote obligatoire est-il un enjeu? Qu'en est-il du vote en ligne? Et ainsi de suite.
Ma question concerne les propos de M. Seidle. Dans votre document, vous dites que, quel que soit le mode de scrutin, le système choisi ne semble pas corriger le problème de sous-représentation des femmes, des minorités visibles et des populations autochtones au pouvoir. Je vous remercie de nous l'indiquer, car un autre témoignage établissait une corrélation entre le système électoral choisi et le nombre de membres de ces groupes sous-représentés qui siègent véritablement au Parlement. Je tiens donc à vous en remercier.
Il a été question de la représentation proportionnelle à scrutin de liste, et aussi du scrutin majoritaire uninominal à un tour, qui est actuellement en place. Voici donc ce que je veux savoir: à votre avis, quel mode de scrutin réglerait le problème que je viens de mentionner, à savoir que les Canadiens n'ont pas l'impression que leur vote compte?
J'invite les trois témoins à me donner leur avis et à me dire quel système remédierait à ce problème particulier.
Merci.
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Oui. Je vais mentionner deux mesures possibles qui me viennent à l'esprit. Elles risquent de ne pas être réalistes, mais nous pourrions tout au moins en parler.
La première rejoint ce que j'ai dit tout à l'heure à propos du Japon. Si le Comité pouvait servir de moyen pour élaborer une proposition par consensus sur un projet de réforme que vous pourriez tous signer et présenter comme une recommandation multipartite aux Canadiens, je pense que vous pourriez alors la soumettre à un référendum et avoir une chance raisonnable de la faire adopter.
Cela dit, la campagne devrait également être structurée de telle sorte que les gens puissent la comprendre, obtenir suffisamment d'information et en débattre dans les tribunes appropriées. Quoi qu'il en soit, une telle démarche me paraît viable.
Je n'en sais pas assez sur votre comité pour déterminer si cette option est même concevable, mais si vous pouviez produire un rapport assorti d'une recommandation, tout en indiquant les mesures qui, à votre avis, devraient être prises et sur lesquelles vous vous entendez tous, je pense que ce serait un message très puissant.
Le deuxième modèle qui me plaît bien repose sur l'expérience vécue en Ontario. J'avais trouvé que l'assemblée des citoyens était une idée brillante — laquelle est d'ailleurs inspirée du modèle de la Colombie-Britannique, je dois le reconnaître. L'assemblée des citoyens était une idée relativement nouvelle à l'époque, lorsque la Colombie-Britannique et l'Ontario l'ont adoptée. À mon avis, elle a fonctionné à merveille, mais on n'est pas allé jusqu'au bout.
En fait, la Colombie-Britannique y est presque arrivée. En Ontario, le gouvernement s'est essentiellement ravisé et il a sapé le travail de l'assemblée à la dernière étape. En plus de pas financer adéquatement la campagne de sensibilisation et de ne pas conclure un accord sur les dépenses, le gouvernement ontarien a permis que l'assemblée soit diabolisée dans la presse.
Quoi qu'il en soit, je peux imaginer une procédure semblable à celle de l'Ontario, mais à plus grande échelle, ou peut-être une version améliorée de celle de la Colombie-Britannique. Si vous pouviez recommander une approche semblable, puis donner à l'organisme assez de temps pour effectuer ses travaux et élaborer sa proposition, laquelle serait ensuite présentée aux citoyens, je crois qu'un tel modèle aurait une chance raisonnable de donner de bons résultats.
Combien de temps cela prendrait-il? Je n'en suis pas sûr, mais je doute que nous puissions le faire d'ici décembre.
Il y a deux principes fondamentaux, qui sont très différents. Le premier porte sur le consensus entre les partis, et quel meilleur endroit que le Parlement ou une tribune comme celle-ci pour y parvenir?
Le deuxième est l'argument selon lequel on ne devrait pas compter sur les politiciens pour remanier les institutions et qu'il faut, par voie de conséquence, établir une sorte d'organisme extraordinaire, comme une assemblée des citoyens ou une convention sans lien de dépendance avec le processus politique habituel.
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Nous devons nous entendre sur la définition du mot « locale », et c'est là une tâche très délicate. Je crois que, dans tous les systèmes de représentation proportionnelle à scrutin de liste, le territoire est divisé en plusieurs circonscriptions, à l'exception d'une poignée de pays — pour la plupart, de petite taille — où l'on trouve une circonscription nationale unique. C'est le cas, par exemple, des Pays-Bas, dont le territoire forme une seule circonscription nationale.
Dans certains pays, on trouve des circonscriptions plus grandes que d'autres ou des circonscriptions de tailles variées. Voilà pourquoi j'ai dit que si je devais concevoir un système de représentation proportionnelle à liste de parti pour le Canada, la taille des circonscriptions serait, selon moi, un des principaux facteurs à examiner. Je voudrais également confier cette tâche à des commissions de délimitation des circonscriptions, comme c'est déjà le cas, au lieu d'essayer de l'intégrer à la conception même du système. Les caractéristiques géographiques du Canada soulèvent beaucoup de questions techniques épineuses auxquelles il faudra faire attention.
Je crois qu'en tant que Canadiens, nous voulons un système qui assure une représentation locale efficace. Pour atteindre cet objectif, nous devons déterminer la taille optimale des circonscriptions, mais il s'agit là d'une question technique qu'il faudra régler. En Espagne — et j'en parle dans mon mémoire seulement à titre d'exemple, car je ne prétends pas que nous devrions reproduire le modèle espagnol —, la taille des circonscriptions varie: la plus petite d'entre elles compte deux députés, alors que certaines circonscriptions urbaines en comptent jusqu'à 12 ou 13. Je crois que M. Russell a fait valoir hier — même s'il parlait du mode de scrutin à vote unique transférable — qu'à Toronto, on pourrait avoir des circonscriptions représentées par un plus grand nombre de députés, mais qu'il ne serait pas souhaitable d'avoir de si grandes circonscriptions dans d'autres régions du Canada.
À mon avis, il y a lieu de régler ces questions grâce à un système canadien de représentation proportionnelle à liste de parti. Un des atouts d'un tel système réside dans sa très grande souplesse quant au nombre de sièges, de circonscriptions, etc.
D'après ce que l'assemblée des citoyens nous a fait découvrir en Ontario, un des problèmes liés au système mixte avec compensation proportionnelle tenait à la taille de l'Assemblée législative. D'ailleurs, cette question a donné du fil à retordre aux membres de l'assemblée des citoyens, et ils n'ont jamais su comment la résoudre. C'était au lendemain de la décision du gouvernement Harris de réduire la taille de l'Assemblée législative après avoir persuadé les gens qu'ils n'avaient pas besoin de plus de politiciens. Or, pour concevoir un système mixte avec compensation proportionnelle, il faut un plus grand nombre de députés. En général, les Canadiens qui préconisent ce mode de scrutin affirment qu'on pourrait garder les circonscriptions actuelles et ajouter seulement quelques sièges. Eh bien, combien de sièges faut-il pour rendre le système véritablement proportionnel? Il en faut beaucoup. Ce n'est pas par hasard que le Parlement allemand est composé de 600 députés, car la moitié des sièges sont remportés au scrutin de circonscription et l'autre moitié, au scrutin de liste.
La représentation proportionnelle à liste de parti nous permet de maintenir la taille actuelle du Parlement, puis de modifier au besoin la magnitude des circonscriptions dans l'ensemble du pays, selon la province ou la région géographique. Il y aurait quand même quelques grandes circonscriptions, ce qui risque de déplaire à certains, mais je pense que ce modèle permet beaucoup de souplesse à l'étape de la conception. La marge de manoeuvre est beaucoup plus étroite dans certains des autres modèles.
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Pour enchaîner là-dessus, monsieur le président, je crois que Mme Sahota oublie un point: une assemblée des citoyens est un processus délibératif. Cela n'a rien à voir avec un groupe de parlementaires qui débarquent dans une ville et qui restent à l'hôtel pendant un jour pour écouter des exposés de 10 minutes et poser quelques questions de manière passive. Il s'agit d'un processus délibératif qui va bien au-delà de ce qu'accomplissent les politiciens, car ces derniers sont, à mon avis, en situation de conflit d'intérêts quand vient le temps de choisir le système par lequel ils sont élus. Nous semblons avoir adopté un échéancier artificiel, ce qui est malheureux.
Monsieur LeDuc, vous avez souligné qu'en Nouvelle-Zélande, le processus s'est échelonné sur environ 12 ans: il y a eu une commission royale, un comité parlementaire, deux référendums, une mesure législative, un débat parlementaire, un processus d'adoption, puis au bout de 10 ans, un troisième référendum. Vous avez dit qu'au Japon, il a fallu, je crois, 23 ans; la question a fini par être réglée au moyen d'un marchandage parlementaire classique à la japonaise. Je trouve déplorable que nous n'adoptions pas la démarche normale suivie dans d'autres démocraties pour traiter d'une question si délicate, qui met en cause la légitimité démocratique, parce que nous avons décidé de fixer une date d'échéance artificielle, sans inviter...
Je viens de faire la connaissance d'un homme qui était à la tribune pour regarder nos délibérations. Il avait participé à l'assemblée des citoyens de l'Ontario et il se demandait pourquoi nous n'avions pas entrepris une procédure semblable ici.
J'espère que tous mes collègues entendent votre exhortation, monsieur LeDuc: il faut éviter que la préférence justifie la marche à suivre, mais on doit permettre que la procédure suive son cours en vue d'établir un système par consensus.
Cela dit, maintenant que j'ai fait valoir mes arguments au sujet de la démarche, j'ai une question de fond à vous poser. Les députés ministériels ont exprimé une préférence pour le vote alternatif, aussi appelé le vote préférentiel uninominal ou le vote unique transférable. Vous savez de quoi je parle. Ce mode de scrutin est, me semble-t-il, très discutable, car il exacerbe le problème en donnant lieu à des gouvernements faussement majoritaires. Pensez-vous qu'il s'agit d'une préoccupation raisonnable?
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Oui, pour en venir à ce que disait M. Kenney, nous avons en fait proposé une sorte d'assemblée des citoyens dans le cadre des discussions sur la procédure, en février dernier. En effet, je crois que la question de la légitimité a été soulevée par tous nos témoins et par d'autres personnes. Il ne s'agit pas seulement de déterminer quel système nous présenterons ou que notre comité finira par recommander, mais aussi d'évaluer si le système est légitime et s'il est considéré comme tel aux yeux des électeurs — faute de quoi, la résistance sera élevée.
Un petit point sur lequel j'aimerais revenir, c'est l'observation que vous avez faite, monsieur LeDuc, sur les sondages. Ce qui compte, c'est le libellé de la question. Je suppose que cela vaut pour tout processus qui fait appel à un référendum. Le soin avec lequel nous formulons la question à poser aux électeurs, sachant que les référendums ont tendance à déformer la vérité, et c'est ce que font les détracteurs... En Angleterre, au lendemain du Brexit, la question la plus populaire sur Google était celle-ci: qu'est-ce que l'UE? Lorsqu'on parle de référendum, on présume que les électeurs sont pleinement informés, ce qui est dangereux lorsqu'il existe des intérêts particuliers à l'égard d'une question politique.
J'aimerais m'attarder sur la productivité et la stabilité parce que j'essaie d'en venir aux résultats. Je m'efforce d'adopter la position des électeurs dans ce dossier. Si nous proposons un système, il doit satisfaire aux attentes des électeurs; il ne suffit pas que le Parlement reflète les suffrages exprimés et que les gens exercent leur droit de vote, comme c'est le cas. Il faut aussi que le Parlement et les autres assemblées délibérantes soient en mesure de bien fonctionner.
C'est ici que je me suis fait couper la parole la dernière fois, alors je vais d'emblée poser ma question. Nous avons connu, au Canada, des gouvernements minoritaires qui ont réussi à produire des politiques nationales viables: le bilinguisme, le filet de sécurité sociale, l'assurance-maladie, le drapeau. La liste est longue.
Est-il juste de dire que, même si nous n'avons certainement pas une tradition de gouvernements de coalition — nous n'en avons eu qu'une seule —, notre culture du partage du pouvoir entre des gouvernements minoritaires, culture qui est axée strictement sur les résultats plutôt que la partisanerie, a donné de bons résultats pour les Canadiens? Est-ce là une exagération des faits, compte tenu de notre histoire? Permettez-moi de mentionner aussi, dans le même ordre d'idées, la Loi fédérale sur la responsabilité, que l'on doit également à un gouvernement conservateur minoritaire.
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Je vais aller à l'essentiel, en tenant compte du rapport, mais aussi de l'expérience d'autres pays en matière de réforme électorale.
De façon générale, les partis proposent une réforme électorale lorsqu'ils sont dans l'opposition, mais ils ne peuvent y donner suite que s'ils sont au pouvoir. Vous ne serez sans doute pas surpris d'apprendre que la façon de voir le monde change un peu selon que l'on forme l'opposition ou le gouvernement. En Ontario, les libéraux étaient dans l'opposition lorsqu'ils ont fait la proposition. Ensuite, ils sont arrivés au pouvoir. Il leur a fallu trois ans pour décider s'ils allaient, oui ou non, entreprendre les démarches nécessaires. Au lendemain de l'annonce sur la création de l'assemblée des citoyens, j'avais téléphoné à un de mes étudiants qui travaillait à Queen's Park pour lui demander pourquoi les libéraux faisaient cela maintenant, trois ans après le début de leur mandat, c'est-à-dire seulement un an avant les prochaines élections. Il m'a expliqué que c'était une promesse électorale. Les libéraux voulaient cocher une case. Ils avaient promis d'agir dans ce dossier. Ils allaient donc créer une assemblée des citoyens. Or, cette entité n'était pas nécessairement conçue pour procéder à une réforme électorale. Elle était plutôt chargée de débattre du sujet.
Puis, en cours de route, lorsque le gouvernement a vu comment les choses évoluaient, il a changé d'avis. La raison de ce revirement n'est pas un mystère. Le caucus libéral était divisé sur cette question. Je n'ai pas de chiffres, mais probablement la majorité s'y opposait. Quelques libéraux du Cabinet de McGuinty étaient en faveur. Le premier ministre lui-même a changé d'avis plusieurs fois, mais il a fini par s'y opposer, même s'il demeurait neutre sur la place publique. C'était donc toute une volte-face: le parti n'appuyait plus la réforme.
Le même phénomène s'est produit en Colombie-Britannique entre les deux référendums. Le gouvernement était plutôt enthousiaste à propos du travail de l'assemblée des citoyens à l'époque du premier référendum; c'est d'ailleurs ce qui explique pourquoi les résultats étaient meilleurs. Toutefois, au deuxième référendum, le gouvernement s'est ravisé. Ce n'est pas tant une opposition qu'un simple désintérêt.
J'ai mentionné que la démarche en Nouvelle-Zélande avait été très longue, mais c'était dans le contexte de deux gouvernements de deux partis différents, chacun ayant changé sa position sur la réforme électorale au cours de son mandat. C'est le Parti travailliste siégeant dans l'opposition qui a proposé une réforme et qui a nommé la commission royale, mais il a ensuite essayé de contrecarrer le projet. Lorsque le Parti national est arrivé au pouvoir, il a décidé d'agir après avoir critiqué le gouvernement travailliste de son inaction. Or, lorsque le Parti national s'est lui-même ravisé, il a essentiellement tenté de défaire le projet au deuxième référendum, sans toutefois y parvenir.
Ce n'est pas une situation exceptionnelle en politique. J'étudie la politique ainsi que les systèmes électoraux. Quand on voit les choses sous cet angle, pourquoi en serait-on étonné?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Cyr, il y a quelques minutes à peine, vous avez évoqué l'élection du gouvernement minoritaire du Parti québécois le 4 septembre 2012, à laquelle j'étais candidat. Vous avez parlé des médias. J'ai été journaliste pendant 20 ans et vous me permettrez de mettre un peu en contexte ce que vous avez dit.
Théoriquement, vous avez raison. Au lendemain de l'élection, les médias parlaient de l'élection de la première femme première ministre, alors qu'il s'agissait d'un gouvernement minoritaire et qu'il n'y avait strictement rien d'officiel. Or la veille, le premier ministre sortant, M. Charest, avait dit publiquement qu'il reconnaissait la victoire de son adversaire. À partir de ce moment, on pouvait comprendre que l'affaire était entendue.
J'aimerais aussi souligner que nous avons de belles traditions électorales canadiennes. Cela se passe au Québec, mais je suis persuadé que cela se fait aussi depuis des années au fédéral. Le perdant appelle toujours le gagnant, et c'est une très belle chose que l'on doit préserver. Cela peut parfois causer un peu de surprise, mais cela commande quand même le respect. Cela a été magnifiquement illustré dans le film À hauteur d'homme, où l'on voit M. Landry, en 2003, prendre la peine d'appeler, après sa défaite, le premier ministre élu.
J'ai des amis américains et français qui ont vu ce film. Ils ont été très surpris de voir que nos politiciens et nos chefs de parti se parlaient le soir de l'élection. Je ne donnerai pas son nom, mais un de mes amis a dit qu'il était impensable d'imaginer cela dans sa démocratie. Tant mieux si, par bonheur, notre démocratie fait en sorte que nos chefs se parlent de façon civilisée et respectent le fondement même de notre démocratie, c'est-à-dire le choix du peuple.
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Effectivement, il y a de tels échanges. Habituellement, le chef téléphone. Je vais cependant vous donner l'exemple contraire.
En 2010, au Royaume-Uni, le gouvernement sortant n'avait pas la pluralité des sièges. Les conservateurs avaient la pluralité des sièges, mais pas la majorité. Il y a eu des tractations avec le Parti libéral-démocrate pour savoir qui allait former le gouvernement.
Compte tenu de l'adoption du manuel et des discussions qui avaient eu lieu, les médias se sont retenus. Aucun des médias britanniques, le soir même, n'a annoncé qui allait former le prochain gouvernement, même si on avait de bonnes raisons de croire que ce serait les conservateurs, puisqu'ils avaient obtenu non pas la majorité, mais le plus grand nombre de sièges. Les médias ont laissé aux partis le temps de discuter entre eux. Il y a donc eu des négociations entre le Parti travailliste et le Parti libéral-démocrate, d'une part, et entre le Parti libéral-démocrate et le Parti conservateur, d'autre part.
Il faut se rappeler que les conservateurs et les libéraux-démocrates, pendant les élections, avaient dit qu'ils ne formeraient pas de coalition. Cependant, compte tenu des résultats de cette soirée, tout le monde a conclu qu'il serait dans le meilleur intérêt de tous de former une coalition formelle, plutôt que d'avoir un gouvernement minoritaire conservateur.
Cela a été possible entre autres parce que, jusqu'à un certain point, les médias ont laissé la partie politique se jouer et que les acteurs politiques ont pu se parler. Si, le soir, on annonce immédiatement que, si la tendance se maintient, c'est le parti x qui formera le prochain gouvernement, toute autre formation qui tenterait de former le gouvernement serait automatiquement accusée de fraude ou de tentative de détournement de pouvoir.
C'est pour cela qu'il serait utile d'avoir de tels mécanismes dans un contexte où il y a plus de gouvernements minoritaires, afin de laisser les politiciens élus déterminer entre eux qui formera le prochain gouvernement.
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Je vais faire un commentaire et parler de trois événements historiques qui sont tout à fait pertinents par rapport à ce que vous venez de dire.
Sur le plan légal, tout reste en place. Il n'est pas nécessaire d'avoir de mécanismes supplémentaires. Légalement, M. Charest était premier ministre jusqu'au jour de l'assermentation de Mme Marois. Donc, cela ne changeait strictement rien.
J'aimerais rappeler trois événements historiques par rapport à cela.
D'abord, en 1979, lors de l'élection fédérale, le Parti libéral a obtenu plus de votes que le Parti conservateur, mais M. Trudeau père a annoncé que, même s'il avait eu plus de votes, il cédait les rênes du pouvoir au Parti conservateur, parce que ce dernier avait fait élire plus de députés à la Chambre des communes à ce moment-là.
Je vois que mon temps de parole est presque écoulé, mais cela vaut la peine.
Deuxièmement, en 1966, au provincial, le Parti libéral de Jean Lesage avait obtenu 46 % des votes, le parti de l'Union nationale de Daniel Johnson père en avait obtenu 40 %, mais plus de députés de l'Union nationale avaient été élus. Là, M. Lesage n'a strictement rien voulu savoir. Dans une entrevue en direct menée par Pierre Nadeau, Daniel Johnson père a fait une déclaration savoureuse. Il a dit ce qui suit: « Si M. Lesage n’est pas certain d’avoir perdu, nous, nous sommes certains d’avoir gagné. »
Finalement, c'est non pas la pluralité des votes, mais le nombre total de députés qui détermine qui forme le gouvernement.
C'est très intéressant. Je suis vraiment contente d'être ici aujourd'hui. Pour moi, la démocratie est un sujet très important. En 2006, j'ai eu la chance d'agir en tant qu'observatrice des élections en Haïti. Quand on voit notre démocratie, on trouve qu'on est vraiment très bien.
Vous avez parlé de consensus. Pour moi, ce n'est pas seulement une question de consensus. Ce qui compte, c'est ce que me dit la population. Je suis députée d'une circonscription et je parle à mes concitoyens. Les gens de Charlevoix, de Beauport ou de l'île d'Orléans ne pensent pas tous de la même façon. En démocratie, il faut qu'il y ait des choix. Il faut pouvoir entendre oui ou non. D'abord et avant tout, il faut pouvoir expliquer aux gens ce qu'on veut. C'est mon point de vue.
Vous avez dit plus tôt qu'au départ, les gens ne comprennent pas trop ce qu'il en est. Au Canada, on se bat pour ne pas aller voter, alors que dans des pays comme Haïti, les gens se battent pour aller voter, parce qu'ils veulent une démocratie. Notre démocratie n'est pas parfaite, mais nous en avons une et nous pouvons nous parler. Quand nous quittons la Chambre, nous pouvons marcher ensemble et nous parler sans nous taper dessus.
Je veux comprendre. Vous avez parlé de consensus. Comment pourrait-on faire pour que les Canadiens, M. et Mme Tout-le-Monde, ceux qu'on rencontre au Tim Hortons et partout, comprennent bien la question? Il ne s'agit pas seulement de les éduquer, mais aussi de savoir ce qu'ils veulent, eux. Je crois que cela ne passera pas seulement par un petit comité d'élus ou de professeurs. Vous avez fait du très bon travail, mais quand on veut changer une démocratie, il faut connaître l'opinion de la population.
Qu'en pensez-vous?