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Je ne prendrai pas 10 minutes.
J’ai remarqué à la faveur de mes témoignages devant divers comités permanents que j’ai tendance à m’écarter du sujet, parce que certains aspects de mon secteur d’activités recoupent naturellement d’autres domaines; j’entends constamment les gens me dire que je suis à côté du sujet. Eh bien au risque d’être à côté du sujet encore une fois, il y a deux ou trois choses dont j’aimerais vous parler.
Premièrement, j’ai ici un document. Il est traduit. À la deuxième ou à la troisième page, j’énumère un certain nombre des motifs pour lesquels il existe des comptes bancaires extraterritoriaux. Nous avons rencontré bien des escroqueries sur titres de haut niveau — je crois que c’est une façon polie de dire les choses — et bien des failles chez les grandes entreprises canadiennes, si bien que nous tombons constamment sur des comptes bancaires extraterritoriaux.
Je ne veux pas donner l’impression que les gens sortent simplement de l’argent du pays pour le placer dans un compte en Suisse, ou quoique ce soit, et touchent des taux d’intérêt de misère. Dans les affaires que nous avons traitées au fil des années, nous avons remarqué qu’essentiellement, quelqu’un essaie de régler un problème de valeurs mobilières. Par exemple, on vend à découvert; on pratique toutes sortes d’autres activités commerciales. Il y a des restrictions sur les valeurs mobilières, mais on n’en tient aucun compte et on vend quand même.
L’argent est donc envoyé à un endroit donné puis, en l’espace de quelques heures, il est transféré ailleurs. Dans ces conditions, il n’est pas facile de suivre sa trace. Nous avons dû faire appel à d’autres spécialistes. Il ne s’agit pas simplement d’examiner la situation puis de conclure que quelqu’un a de l’argent dans un compte bancaire. Pour moi, le problème, c’est la provenance de cet argent.
L’ARC, par exemple, cherche à s’en prendre à des « comptes particuliers » qui peuvent disparaître dans les jours ou même les heures qui suivent. Et ce n’est pas près de cesser parce que les causes profondes de la plupart de ces manoeuvres sont, par exemple, qu’une personne se prépare en vue d’un divorce en envoyant son argent à l’étranger. Mais ce qui me dérange profondément, ce sont les cas où les valeurs mobilières font l’objet d’activités commerciales à peine, sinon pas du tout, légales, puis se retrouvent à l’étranger et l’argent est transféré.
En toute logique, cet argent se retrouvera en fin de compte dans des endroits où on peut s’attendre à un retour intéressant sur l’investissement. Si on voit les choses sous cet angle, la manoeuvre est planifiée longtemps d’avance. J’envoie l’argent à l’endroit A, puis à B, puis à C, puis à D pour finalement le placer ailleurs.
Très souvent on constate que des comptes en fidéicommis d’avocats sont utilisés pour blanchir l’argent. Très souvent, on constate que ces plans ont été conçus par des professionnels, et du moment qu’ils sont exemptés, le problème restera entier.
En ce moment, il y a au Canada un important problème auquel on ne s’attaque aucunement et qui a à voir avec la question de savoir où en seront ces comptes extraterritoriaux, etc., dans quelques années. Il s’agit de ce qu’on appelle les normes internationales d’information financière, qui ont été importées au Canada pratiquement sans débat. Elles touchent les provinces autant que le gouvernement fédéral et elles constituent une façon entièrement différente de compter son revenu, comme je n’en ai jamais vu.
Nombre de ces comptes extraterritoriaux sont constitués par suite de combines à la Ponzi, c’est-à-dire qu’on promet à l’investisseur un retour sur son investissement alors qu’en fait, c’est son propre argent qu’on lui retournera. Si c’est bien de cela qu’il s’agit, il faut voir comment on peut faire pour contrer ces combines à la Ponzi, parce que c’est ainsi qu’on pourra tarir le flux d’argent vers l’étranger.
Alors, les normes internationales d’information financière... ne font l’objet d’aucun contrôle au Canada. Le milieu de la vérification préconise leur adoption. Elles reposent sur une éthique et des normes européennes. Nous diffusons auprès de nos clients de l’information concernant toutes les fraudes qui peuvent être détectées à l’aide des IFRS, comme on les appelle. Avec mon fils, nous avons bien essayé d’alerter la plupart des ministres du Cabinet et d’autres autorités au Canada quant au fait qu’il y a là un problème, mais je dois dire que j’y ai renoncé.
Alors quel est le problème? Le problème, c’est de savoir comment les IFRS ont été importées au Canada pratiquement sans débat. Malgré tout ce qui a été dit, elles ont été faussement présentées comme étant fondées sur des principes et ainsi de suite. Nous avons donc laissé à des organisations autoréglementées le contrôle des fonds mutuels, des maisons de courtage, des vérificateurs et ainsi de suite et c’est là que se situe le problème qui fait qu’il y a des comptes bancaires extraterritoriaux.
Il n’y a aucun doute dans mon esprit. Jetez un coup d’oeil en arrière, vous verrez que nous avons prédit l’échec de Nortel des années d’avance. Nous avons prédit l’affaire des fiducies de revenu d’entreprise des années auparavant. Dans l’affaire des papiers commerciaux adossés à des actifs, nous avons signalé que la comptabilité et l’établissement de rapports ne fonctionnaient pas. Idem pour les fonds négociés en bourse avec levier. Rappelez-vous l’affaire du Loewen Group, Cott, et tous les autres, nous avons tout prédit d’avance, alors on ne peut pas nous taxer de stupidité. Alors, il faudrait bien que quelqu’un nous écoute et nous avons tenté d’obtenir un peu d’attention en nous adressant au ministère des Finances, à plusieurs reprises, pour lui signaler qu’il y avait là un problème majeur.
Pour tenter de récapituler ma position, ce que je dis, c’est que nombre des problèmes les plus graves commencent à se poser longtemps avant que le compte bancaire soit constitué à l’étranger. Si personne ne se penche sérieusement sur la question, vous choisissez pour ainsi dire la solution de facilité au lieu de vous attaquer aux problèmes les plus graves.
Merci.
Et merci également pour cette invitation à vous faire part de mes commentaires sur cette importante question. Je serai moi aussi très bref. J’aborderai trois aspects. J’examinerai la nature de l’évasion fiscale internationale, je tenterai d’évaluer l’ampleur du problème pour les Canadiens puis j’examinerai quelques possibilités de réformes.
Disons d’abord que c’est un domaine passablement complexe et délicat du droit fiscal. Essentiellement, l’évasion fiscale consiste à ne pas déclarer volontairement des revenus. Il ne faut pas la confondre avec l’évitement fiscal, qui consiste à chercher à faire de la planification fiscale tout en se conformant à toutes les lois fiscales canadiennes et étrangères.
Je voudrais dire dès le départ que notre Loi de l’impôt sur le revenu encourage la planification fiscale internationale, l’utilisation de paradis fiscaux étrangers pour des systèmes tels que les mécanismes de financement qui favorisent le cumul des déductions, en plaçant une société affiliée dans votre paradis fiscal.
Mes commentaires porteront donc exclusivement sur l’évasion fiscale, pas sur l’évitement.
Quels sont les facteurs qui favorisent l’évasion fiscale internationale? Les experts fiscalistes en ont cerné deux qui se démarquent particulièrement: la mondialisation et les changements technologiques. La mondialisation réduit la taille du monde, nous rapproche les uns des autres et favorise une multiplication des services financiers transfrontaliers; mais les changements technologiques ont eux aussi leur importance. Nous sommes en train de vivre une révolution de la technologie de l’information. Elle facilite le transfert de fonds à l’étranger et elle en réduit le coût. Elle favorise la création de certains produits financiers tels que les cartes de crédit offshore. Ces dernières se sont répandues il y a une quinzaine d’années. Si un Canadien ou une Canadienne transfère son argent à l’étranger, il peut dorénavant faire affaire avec une succursale de la Banque de Nouvelle-Écosse implantée à la Barbade et obtenir une carte de crédit émise par cette banque. La carte de crédit est utilisée pour faire des achats ici, au Canada, mais il n’y a aucune trace documentaire de la transaction parce que toutes les factures sont envoyées directement à la Barbade.
Pour ce qui est d’évaluer l’ampleur du problème, personne n’a vraiment idée du montant des revenus perdus. Je ne connais aucune étude empirique qui se soit proposé de mesurer l’étendue du problème. De toute façon, ce serait d’autant plus difficile que cette activité est illégale et secrète. Les paradis fiscaux se sont dotés d’un arsenal de lois sur le secret bancaire qui ont pour effet de criminaliser la communication d’information financière personnelle à des tierces parties.
À titre de comparaison, un sous-comité permanent du Sénat des États-Unis a évalué en 2006 que les résidents des États-Unis soustraient de 40 à 70 milliards de dollars par année à l’État à cause de l’évasion fiscale. À l’époque, on s’est longuement attaché à examiner le problème tout en sachant que cette estimation était plutôt approximative.
À combien se chiffrent vraiment les sommes transférées dans ces abris fiscaux, non pas seulement par les Canadiens mais par des gens de partout dans le monde? Là encore, nous l’ignorons. D’après les estimations, elles se situeraient entre 5 et 38 billions de dollars. Ce dernier chiffre est tiré du rapport d’une firme d’experts-conseils de Boston.
Mais la bonne nouvelle, je crois, c’est que quand les experts fiscalistes mesurent l’observation fiscale dans le cadre de leurs études comparatives internationales, ces dernières révèlent que la grande majorité des Canadiens est honnête. Nos taux d’observation fiscale sont parmi les plus élevés du monde.
Mais — et je crois que c’est entre autres ce qui fait toute l’importance des travaux de ce comité —, de nombreuses anecdotes circulent qui donnent à penser que l’évasion fiscale internationale est en hausse. Certaines d’entre elles figurent à la page 2. Sans entrer dans le détail, disons que notre vérificatrice générale, Sheila Fraser, faisait état, dans ses rapports de 2001 et de 2002, d’une très intense activité de planification fiscale internationale, pas d’évasion. Elle attirait néanmoins l’attention sur cette problématique et on a plus tard consacré davantage de ressources à la lutte contre ce phénomène, des ressources qui ont été accordées à l’ARC et à d’autres.
Il y a d’autres anecdotes, dont, je crois, vous avez entendu parler de la bouche d’autres témoins, des anecdotes au sujet de la Banque du Liechtenstein, de la Banque suisse UBS et, tout récemment, de la Banque suisse HSBC, qui donnent toutes à penser que des Canadiens pratiquent l’évasion fiscale internationale illégale. On a observé une augmentation des vérifications et des sommes récupérées à la faveur de ces dernières. Un témoin rattaché à l’ARC qui est venu s’exprimer devant vous précédemment a indiqué qu’en 2009 seulement, 1 milliard de dollars liés à des activités internationales ont été recouvrés. On ne peut dire avec certitude s’il s’agissait d’évasion. Je crois en fait que les vérifications révèlent essentiellement l’existence d’une intense activité d’évitement fiscal international.
Donc, nous soupçonnons que le problème est en train de s'aggraver; que peut-on y faire? Eh bien, toujours à la page 2 du document, on trouve un certain nombre de réformes possibles. Je les ai énumérées dans l'ordre des options que je considère les moins chères et les plus réalistes pour aller vers les plus difficiles. Je ne m'arrêterai pas à toutes et chacune d'entre elles. Je répondrai avec plaisir à vos questions à ce sujet.
Premièrement, il faut que le Canada ratifie la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale du Conseil de l'Europe et de l'OCDE. Le Canada l'a signée en 2004. Des gens du ministère des Finances m'ont déjà dit qu'à plusieurs reprises, des lois avaient été proposées pour ratifier cette convention, mais que, pour des raisons qui n'ont naturellement rien à voir avec cette convention particulière, ces lois n'ont jamais été adoptées. Quoi qu'il en soit, la convention n'est pas en vigueur au Canada et elle devrait être ratifiée.
On pourrait aussi faire une campagne de sensibilisation du public qui insisterait sur les sanctions d'ordre pénal. Il faudrait peut-être intensifier les vérifications et même accorder davantage de ressources à l'ARC. La vérificatrice générale a écrit quelque chose à ce sujet dans son rapport de 2007, mais, plus tard, elle a comparu devant ce comité, le comité permanent, et elle a indiqué que le dossier progressait de façon satisfaisante. On semble donc croire que les ressources sont suffisantes. Mais depuis 2007 également, on a entendu toutes ces anecdotes qui donnent à penser que le problème est peut-être plus grave qu'on l'avait pensé.
Je suis partisan d'une réforme du programme de divulgation volontaire. Il donne plutôt de bons résultats, je crois, mais il pourrait être peaufiné. Je souligne tout de suite une recommandation, à savoir accorder une réduction temporaire des pénalités d'intérêt, ce qui pourrait être fait en retirant de la Loi de l'impôt sur le revenu le paragraphe 220(3.1), selon lequel, je crois, il ne peut y avoir d'allégement fiscal au-delà d'une période de 10 ans. Mais des avocats de Toronto et d'ailleurs m'ont dit au cours de conversations que leurs clients étaient détenteurs de ces comptes, dans certains cas, depuis au moins les années 80 et qu'ils ne bénéficient d'aucun allégement fiscal. De leur point de vue, la pénalité est donc tellement importante qu'ils évitent de prendre part au programme. La raison d'être du programme est de corriger ce genre de jeu de cache-cache fiscal et je crois que certaines mesures pourraient être prises pour le réformer.
Les AERF, pour leur part, figurent à l'horizon stratégique du Canada depuis le budget de 2007; ce sont les accords d'échange de renseignements à des fins fiscales. Impossible de dire pour le moment s'ils fonctionneront. Nous en avons signés. L'OCDE en est actuellement à l'étape de l'examen de ces accords. Nombre d'experts fiscalistes qui ont écrit sur la question ont l'impression qu'ils ne fonctionneront pas, qu'il ne faut s'attendre à aucune coopération qui vaille de la part de pays qui sont des paradis fiscaux. Nous devrions peut-être envisager de proposer des mesures incitatives aux pays qui sont des paradis fiscaux en contrepartie d'une coopération utile.
Au bas de la page 2: le problème pourrait être réglé, mais il faudrait peut-être un niveau de coopération mondiale qu'on ne peut réalistement envisager actuellement. Dans un article que j'ai rédigé en 2001 — il a été publié dans le Minnesota Law Review —, j'ai proposé un régime qui utiliserait Internet pour partager de l'information sur les contribuables, en instaurant un extranet sécurisé entre toutes les autorités fiscales participantes. Si on pouvait obtenir l'accord des pays raisonnablement riches, les pays de l'OCDE, pour y participer et s'ils pratiquaient ensuite un partage total de l'information, ils pourraient imposer une retenue d'impôt sur tous les paiements effectués à l'extérieur des pays participants. Encore une fois, je ne suis pas sûr que cela soit politiquement faisable.
Finalement, j'ai pensé m'arrêter un peu à la question de la protection des renseignements sur les contribuables. Je suis chercheur en fiscalité, mais je suis également membre du Surveillance Study Centre de l'Université Queen's depuis 2001. En 2005, nous avons procédé à une étude internationale auprès de 7 000 répondants dans huit pays différents. Les répondants canadiens ont indiqué qu'ils étaient passablement inquiets au sujet de la protection de leurs renseignements personnels; ils craignaient notamment que des entreprises et des gouvernements étrangers fassent un mauvais usage de leurs renseignements personnels.
C'est ici que les choses se compliquent: nous voulons nous attaquer vigoureusement à la fraude fiscale, mais il faut que notre action préserve malgré tout les droits des contribuables, y compris le droit à la protection de leurs renseignements personnels.
J'ai suggéré sur une autre tribune qu'une déclaration multilatérale des droits du contribuable pourrait contribuer à encourager un accroissement du partage de l'information entre les pays, parce qu'il arrive parfois que les autorités canadiennes et d'autres autorités fiscales ailleurs soient réticentes à partager l'information parce qu'elles ne savent pas comment celle-ci sera traitée. Ils ignorent si elle sera traitée comme l'exigerait leur loi nationale. Mais si tous ensemble nous nous entendions sur l'établissement du seuil de protection juridique des droits des contribuables, il s'ensuivrait, à mon avis du moins, un plus grand échange de renseignements et cela aiderait à lutter contre l'évasion fiscale internationale.
Merci.
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Je serais en faveur d'une amnistie temporaire, mais pour les pénalités d'intérêt seulement, et non pour le remboursement de l'arriéré d'impôt.
Aux yeux de certains avocats — et je n'ai vu aucune étude à ce sujet —, la pénalité d'intérêt est censée équilibrer les choses pour que nous puissions récupérer la valeur actuelle des impôts dus. Dans le cas des personnes qui n'ont pas payé d'impôt pendant plusieurs décennies, la pénalité d'intérêt sera une compensation qui nous ramènera à la valeur actuelle. Mais, étant donné que les intérêts calculés sont des intérêts composés, les impôts à payer, ou la pénalité totale, excèdent de beaucoup les impôts qui étaient exigibles au départ, additionnés au rendement, quel qu'il soit, que la personne peut avoir tiré de ses investissements.
On peut penser que cela contribuerait à éliminer un certain nombre de comptes secrets illicites. Je m'appuie sur des discussions que j'ai eues avec des avocats spécialisés en droit fiscal international qui exercent à Toronto, et dont les clients ne se prévalent pas du Programme des divulgations volontaires parce qu'ils se demandent d'abord: « Est-ce qu'on va m'arrêter? », puis qu'ils se demandent ensuite: « Combien est-ce que ça va me coûter? ».
Si l'on compare notre programme à celui des Américains, le programme américain est, à certains égards, plus clément que le nôtre. Le nombre d'Américains qui ont fait une divulgation volontaire s'est peut-être accru considérablement.
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Merci, monsieur le président. Je vous remercie, messieurs, de votre présence parmi nous.
Ayant été professeur d'université à l'École des hautes études commerciales, HEC Montréal, je peux confirmer que, d'habitude, les professeurs d'universités s'égarent. Toutefois, dans le cas présent, vous avez bien cerné le dossier.
Tout d'abord, je suis d'accord avec vous. En effet, on serait incapable de déterminer le montant pour lequel il y a un problème relatif à l'impôt parce que, si on le savait, on saurait où aller chercher l'argent. C'est une évidence. L'évasion fiscale est comme l'évasion d'un prisonnier. Quand on prisonnier s'est évadé et que vous savez où il se trouve, vous êtes capable d'aller le chercher. C'est la même chose dans le cas présent.
Comme vous l'avez tous les deux mentionné, mais de façon différente, le problème existe lorsque il s'agit de la très grande entreprise. En effet, les PME n'essayent pas d'avoir des normes d'évasion fiscale. Elles peuvent essayer de faire un peu d'évitement fiscal pour payer le moins d'impôt possible puisque l'objectif des directeurs financiers des compagnies privées n'est pas de maximiser les profits, mais de payer le moins d'impôt possible.
C'est donc la grande entreprise qui agit ainsi et non pas un particulier ordinaire. Ce n'est pas M. ou Mme Tout-le-Monde, comme le disent certains partis politiques. Ce n'est pas non plus le contribuable moyen, mais le très grand et très fortuné contribuable qui tente l'évasion fiscale. L'impact est donc très important.
J'aimerais tenter de faire un lien entre vos deux exposés. Monsieur Cockfield, on peut lire à la deuxième page de votre mémoire qu'il y a eu une augmentation des vérifications, mais on sent également une augmentation de l'évasion fiscale. On en a de plus en plus l'impression.
En même temps, monsieur Rosen, on peut lire à la page 5 de votre mémoire, qu'on recule à cause de l'application des IFRS, les Normes internationales d'information financière, et de l'application aveugle des normes comptables généralement méconnues et que personne ne comprend, même dans une entreprise qui a des normes comptables. Ces normes comptables sont des espèces de nuages à l'intérieur desquels seul le comptable de l'entreprise ou un fiscaliste s'y retrouve. On a donc, en fait, une déréglementation.
Monsieur Cockfield ou Monsieur Rosen, ne serait-ce pas l'une des raisons pour laquelle c'est maintenant « bar ouvert » au Canada?
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Je crois que le principal problème est qu’il y a dans tous ces paradis fiscaux, du moins à ma connaissance, des lois sur le secret bancaire. Si je me rendais en Suisse, par exemple, en tant que chercheur, si j’embarquais à bord d’un avion et que je commençais à discuter avec des agents des autorités fiscales ou avec des employés de banque, on me répondrait: « J’irai en prison si je vous révèle de l’information. Dans mon pays, divulguer des renseignements financiers personnels à une tierce partie constitue une infraction criminelle. »
C’est pour cela que nous n’avons pas la moindre idée du montant d’argent qui se trouve dans ces paradis fiscaux partout dans le monde. Certaines études indiquent que la moitié de ce montant se trouve dans un seul pays: la Suisse. Au Canada, nous mettons parfois l’accent sur les paradis fiscaux des Antilles mais, en fait, leur importance est relativement faible comparativement à celle de certains paradis fiscaux européens.
Bien entendu, la Suisse est un pays développé, qui possède un secteur financier très sophistiqué. Pour la première fois dans l’histoire, la Suisse a accepté de partager de l’information sur des comptes bancaires avec les autorités américaines, en raison du scandale d’UBS. D’après ce que j’ai compris, les responsables canadiens de la réglementation ont également demandé des renseignements à la Suisse, mais ils ont été éconduits. La situation a découlé en partie du fait que les États-Unis avaient mené l’enquête du Sénat qui a révélé que cette banque envoyait des gens aux États-Unis et que ceux-ci organisaient des fraudes fiscales. Eh bien! il s’est avéré que cette banque avait également un bureau au Canada et qu’elle faisait la même chose ici. La banque a néanmoins refusé de collaborer avec nous.
Je dois également souligner le fait que, à la différence des banques canadiennes, le gouvernement suisse conservait, si je ne me trompe pas, une participation à hauteur de 25 p. 100 dans UBS à l’époque de ces scandales. Le gouvernement était donc un partenaire des banques. Il s’est par la suite départi de ses titres de participation dans UBS, et je ne sais pas s’il a conservé une participation dans d’autres banques. Mais en raison de la confidentialité, en raison de ces lois sur le secret bancaire, personne n’est vraiment en mesure d’estimer avec précision combien d’argent il y a dans ces comptes.
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Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs.
Je suis d’accord avec Mme Glover. Ça n’arrive pas toujours, mais...
Monsieur Cockfield, lorsque vous parlez d’un programme de divulgations volontaires, il me semble qu’il y a quatre ou cinq ans, l’ARC s’est dotée d’un tel programme destiné, entre autres, aux Canadiens qui n’auraient pas présenté de déclaration de revenus. Neuf fois sur dix, ces personnes ne paient que les intérêts, à moins qu’elles ne soient représentées.
J’aurais donc deux questions, et je pense qu’elles s’adressent à vous deux.
Il me semble que ces gens qui retournent vraiment leur argent, qui se conforment de leur propre gré... Ce doit être parce qu’en réalité, ils désirent récupérer l’argent déposé, parce que sinon, si ce qu’on souhaite, c’est laisser son argent là-bas, pourquoi s’en soucier? Si on ramène cet argent au pays, il doit y avoir une raison. Est-ce une question d’héritage? La personne est-elle âgée? Veut-elle donner son argent à sa famille? Souhaite-t-elle placer cet argent dans une autre activité qui serait légitime? Le programme de divulgations volontaires permet ces événements et nous disons à ces personnes que c’est une bonne chose: retournez l’argent au pays, nous pouvons en discuter et réduire les pénalités. Ce n’est pas grave si nous vous récompensons pour avoir commis un geste illégal.
Dans le système de justice pénale, excepté cette situation, on ne récompense pas ceux qui ont commis un acte illégal. Si je cambriolais un dépanneur sans me faire prendre et que j’avouais mon crime plus tard, les autorités ne chercheraient pas à conclure une entente avec moi parce que j’aurais volontairement admis avoir cambriolé un dépanneur à l’âge de 14 ans. Ça ne se passe pas comme ça.
D’un autre côté — monsieur Rosen, je vais laisser M. Cockfield commencer, puis si vous pouvez me donner un coup de main...
Peut-être ai-je mal entendu, mais il me semble que vous proposez que l’argent qu’on tente de récupérer volontairement — tout en tentant, avec l’aide de conseillers ou autrement, de conclure une entente qui permette de réduire les pénalités — pourrait, dans certains cas, être d’origine criminelle. Je crois que vous avez dit que c’était maintenant le cas dans une majorité de dossiers.
Si c’est le cas, nous invitons ces personnes à retourner de l’argent — qui proviendrait, en fait, d’activités illégales — déposé à l’étranger illégalement et nous leur donnons en quelque sorte un passe-droit. Pardonnez-moi, mais j’aurais beaucoup de mal à dire aux anciens travailleurs de John Deere, qui ont perdu leur usine, qu’il n’y a rien de mal dans le fait de permettre ce genre d’ententes alors que nous n’avons pas su protéger leurs emplois.
Je me demandais si, tous les deux, vous aviez quelque chose à dire à ce sujet. Comment rendre cet enjeu acceptable pour les Canadiens?
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L’équilibre est très difficile à trouver. Je pense que si vous examinez les contribuables canadiens qui font de l’évasion fiscale à l’étranger, vous trouverez divers profils. Il y a l’entrepreneur qui n’a aucune obligation de retenue, qui gagne un million de dollars, ne déclare que 500 000 $ et dépose le reste à l’étranger.
J’ai déjà soupçonné qu’il existait également un type unique de contribuables au Canada et dans certains autres pays comptant de nombreux immigrants. Par exemple, disons qu’un contribuable a quitté Hong Kong pour s’établir au Canada en 1990 et qu’il avait épargné 100 millions de dollars. Il arrive au Canada, sachant qu’une fois la résidence permanente obtenue, il devra payer des impôts sur ses revenus, quelle que soit l’origine. Cette somme de 100 millions de dollars est donc maintenant visée par le fisc canadien. Alors, avant de déménager, la personne déplace cet argent dans un compte à l’étranger. Voilà une autre personne qui a fait de l’argent légalement et qui l’a déposé à l’étranger. On retrouve ensuite les trafiquants de drogues et les autres criminels. Le fait que les paradis fiscaux soient utilisés pour financer le terrorisme international suscite également des inquiétudes. Pour nous en occuper, nous avons le CANAFE ainsi que d’autres mesures.
En conclusion, je pense que la peur, plutôt que la volonté de récupérer l’argent, est le principal motif qui pousse les personnes à faire une divulgation volontaire. Elle pourrait récupérer cet argent d’une manière ou d’une autre, à l’aide de cartes de crédit étrangères ou d’autres outils. Ces personnes craignent d’être poursuivies au criminel et, par conséquent, elles font ces divulgations. C’est comme une négociation de plaidoyer entre la Couronne et l’avocat de l’accusé. Je veux dire, certains Canadiens n’aiment pas que ce processus fasse partie du système de justice, mais il permet de dégager des ressources et de les affecter plus efficacement dans le système à d’autres fins, par exemple pour encourager la réadaptation.
C’est ainsi que je vois le programme de divulgations volontaires. Les Canadiens ne sont pas heureux de l’existence d’un tel programme qui donne une chance à ces gens, mais nous tenons à ce que ces personnes rejoignent notre système fiscal et qu’elles redeviennent des personnes respectueuses des lois, et qu’elles paient leurs taxes, ce qui nous permettra de payer, entre autres, nos routes et nos écoles.
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Nous avons un peu de temps. Vous pourriez peut-être nous en dire plus sur l’amnistie. J’aimerais bien savoir ce que vous en pensez tous les deux, monsieur Cockfield et monsieur Rosen.
Il y a deux problèmes: un problème à court terme, qui touche l’argent qui se trouve là-bas en ce moment, et un problème à long terme, qui touche les mesures à prendre pour éviter que cela ne se reproduise.
La question de l’amnistie constitue le problème à court terme. Vous nous avez tous les deux fourni des commentaires contradictoires. Vous n’y êtes pas favorables, mais vous dites que c’est peut-être la meilleure chose à faire parce que nos autorités ne s’attaquent pas nécessairement aux fraudeurs fiscaux. Vous dites qu’elles n’ont ni l’énergie, ni l’argent, ni les ressources pour le faire.
À court terme, l’amnistie serait-elle la solution à privilégier? Personne, à mon avis, ne remet en cause le fait que ces gens devraient s’en sortir en toute impunité, mais dans d’autres domaines de compétence, cela a fonctionné.
Les sanctions sont peut-être un peu trop extrêmes, et elles n’encouragent pas les gens à revenir mais, à court terme, ne voudriez-vous pas revoir un peu de cet argent?
Vous devriez peut-être essayer de mettre vos sentiments de côté quand vous dites que nous ne nous attaquons pas à ces fraudeurs ou qu’il n’est pas nécessaire de leur donner un laissez-passer. Nous devons trouver un moyen de récupérer une partie de cet argent à court terme et puis mettre en place un autre mécanisme qui permettrait d’empêcher que cela ne se reproduise.
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C'était l'argument principal de ceux qui ont mis en place le système, mais nous voyons maintenant qu'il y a des problèmes.
Le gouvernement pourrait faire davantage. Dans son budget de l'an dernier, il a mis en place un système de déclaration plus rigoureux pour ceux qui font la promotion de services en droit fiscal international, et je pense que c'était une mesure importante.
A la fin des années 1990, il y a eu toutes sortes de scandales. La société KPMG s'est vu imposer une lourde amende parce qu'elle proposait, par exemple, au directeur financier d'une multinationale de profiter de son abri fiscal à l'étranger afin d'économiser 500 millions de dollars d'impôt l'année suivante, moyennant 30 p. 100 de commission. On a alors assisté à une prolifération de ce genre de stratagème, qui est de l'évitement fiscal et pas de l'évasion fiscale, étant donné que les gens essayent de réduire leurs impôts tout en respectant les règles.
Aujourd'hui, on oblige ceux qui proposent de tels services à le déclarer. Je pense sincèrement que la profession de comptable devrait être mieux réglementée, mais pour ce qui est des avocats, c'est une autre question. Je suis membre de la Law Society of Upper Canada, et je peux vous dire que nous n'aimons pas que le gouvernement s'immisce dans nos affaires. Nous ne voulons pas que le gouvernement nous oblige, par exemple, à divulguer des renseignements confidentiels sur nos clients. Par contre, pour les comptables, je pense qu'il faut exiger davantage de divulgation.
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Merci, monsieur le président.
Ça me fascine toujours lorsque j'entends les avocats refuser de divulguer des renseignements qu'ils possèdent. C'est peut-être légal, sous le couvert du secret professionnel, mais c'est un tout autre débat.
Monsieur Cockfield, je m'intéresse à la question de l'harmonisation des règlements avec les États-Unis, pour faciliter… Vous en avez donné un exemple. Je reconnais que le gouvernement a eu raison de vanter l'efficacité de notre dispositif réglementaire dans le secteur bancaire, car cela nous a mis à l'abri de la crise qui s'est produite aux États-Unis. D'un autre côté, s'il faut harmoniser nos règlements avec les États-Unis, je crois qu'il vaudrait mieux que ce soit les États-Unis qui s'alignent sur les nôtres.
J'en arrive à ma question. Depuis trois ans, nous vendions — pas vous ni moi, monsieur Cockfield —, mais tous ces gens-là vendaient de la poudre de perlimpinpin. Qu'on appelle ça des produits dérivés ou du papier commercial adossé à des actifs, peu importe, c'est fascinant de voir toutes ces sommes d'argent qui ont été placées dans des comptes à l'étranger. Je suppose qu'il y en a eu pas mal.
Si nous renonçons à notre pouvoir de surveillance, en ce sens que nous le déléguons à quelqu'un d'autre qui n'a pas — c'est le moins que l'on puisse dire — vraiment fait ses preuves… Je n'étais pas là dans les années 1930, et je ne sais donc pas vraiment ce qui s'est passé — sauf ce que je peux lire là-dessus —, mais j'ai vu ce qui s'est passé pendant les 10 dernières années et les effets catastrophiques que cela a eus non seulement sur le marché américain, les consommateurs américains et les travailleurs américains, mais dans le monde entier. Certes, nous nous en sommes un peu mieux tirés que d'autres. Tout ce que je sais, et je ne suis pas expert en la matière — je ne suis ni comptable ni avocat fiscal —, c'est que dans tous ces pays, y compris en Grande-Bretagne, car j'ai grandi à Glasgow, en Écosse, ils ont déréglementé ou autoréglementé les marchés en nous disant « faites-nous confiance ».
Ma grand-mère disait toujours, si tu as 5 cents — ou plutôt 5 pence, dans son cas —, et que tu ne connais pas celui qui te les réclame, est-ce que tu lui fais confiance ou est-ce que tu gardes tes 5 pence dans ta poche? Étant donné ce qui s'est passé récemment, cette catastrophe qui a failli provoquer un effondrement complet du système financier de la planète et qui a été provoquée par des gens qui s'autoréglementaient, je me demande vraiment pourquoi on devrait leur faire confiance.