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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent des finances


NUMÉRO 059 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 17 février 2011

[Enregistrement électronique]

(0845)

[Traduction]

    La séance est ouverte. C’est la 59e réunion du Comité permanent des finances. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude de l’évasion fiscale et des comptes bancaires à l’étranger.
    Nous avons le grand plaisir d’accueillir deux invités ce matin. D’abord, M. Lawrence S. Rosen, de la Accountability Research Corporation. Merci de votre présence parmi nous, monsieur Rosen. Nous accueillons également M. Arthur Cockfield, professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université Queen’s.
    Messieurs, vous aurez chacun jusqu’à 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions des membres.
    Monsieur Rosen, à vous de commencer si vous le voulez bien.
    J’ai remarqué à la faveur de mes témoignages devant divers comités permanents que j’ai tendance à m’écarter du sujet, parce que certains aspects de mon secteur d’activités recoupent naturellement d’autres domaines; j’entends constamment les gens me dire que je suis à côté du sujet. Eh bien au risque d’être à côté du sujet encore une fois, il y a deux ou trois choses dont j’aimerais vous parler.
    Premièrement, j’ai ici un document. Il est traduit. À la deuxième ou à la troisième page, j’énumère un certain nombre des motifs pour lesquels il existe des comptes bancaires extraterritoriaux. Nous avons rencontré bien des escroqueries sur titres de haut niveau — je crois que c’est une façon polie de dire les choses — et bien des failles chez les grandes entreprises canadiennes, si bien que nous tombons constamment sur des comptes bancaires extraterritoriaux.
    Je ne veux pas donner l’impression que les gens sortent simplement de l’argent du pays pour le placer dans un compte en Suisse, ou quoique ce soit, et touchent des taux d’intérêt de misère. Dans les affaires que nous avons traitées au fil des années, nous avons remarqué qu’essentiellement, quelqu’un essaie de régler un problème de valeurs mobilières. Par exemple, on vend à découvert; on pratique toutes sortes d’autres activités commerciales. Il y a des restrictions sur les valeurs mobilières, mais on n’en tient aucun compte et on vend quand même.
    L’argent est donc envoyé à un endroit donné puis, en l’espace de quelques heures, il est transféré ailleurs. Dans ces conditions, il n’est pas facile de suivre sa trace. Nous avons dû faire appel à d’autres spécialistes. Il ne s’agit pas simplement d’examiner la situation puis de conclure que quelqu’un a de l’argent dans un compte bancaire. Pour moi, le problème, c’est la provenance de cet argent.
    L’ARC, par exemple, cherche à s’en prendre à des « comptes particuliers » qui peuvent disparaître dans les jours ou même les heures qui suivent. Et ce n’est pas près de cesser parce que les causes profondes de la plupart de ces manoeuvres sont, par exemple, qu’une personne se prépare en vue d’un divorce en envoyant son argent à l’étranger. Mais ce qui me dérange profondément, ce sont les cas où les valeurs mobilières font l’objet d’activités commerciales à peine, sinon pas du tout, légales, puis se retrouvent à l’étranger et l’argent est transféré.
    En toute logique, cet argent se retrouvera en fin de compte dans des endroits où on peut s’attendre à un retour intéressant sur l’investissement. Si on voit les choses sous cet angle, la manoeuvre est planifiée longtemps d’avance. J’envoie l’argent à l’endroit A, puis à B, puis à C, puis à D pour finalement le placer ailleurs.
    Très souvent on constate que des comptes en fidéicommis d’avocats sont utilisés pour blanchir l’argent. Très souvent, on constate que ces plans ont été conçus par des professionnels, et du moment qu’ils sont exemptés, le problème restera entier.
    En ce moment, il y a au Canada un important problème auquel on ne s’attaque aucunement et qui a à voir avec la question de savoir où en seront ces comptes extraterritoriaux, etc., dans quelques années. Il s’agit de ce qu’on appelle les normes internationales d’information financière, qui ont été importées au Canada pratiquement sans débat. Elles touchent les provinces autant que le gouvernement fédéral et elles constituent une façon entièrement différente de compter son revenu, comme je n’en ai jamais vu.
    Nombre de ces comptes extraterritoriaux sont constitués par suite de combines à la Ponzi, c’est-à-dire qu’on promet à l’investisseur un retour sur son investissement alors qu’en fait, c’est son propre argent qu’on lui retournera. Si c’est bien de cela qu’il s’agit, il faut voir comment on peut faire pour contrer ces combines à la Ponzi, parce que c’est ainsi qu’on pourra tarir le flux d’argent vers l’étranger.
(0850)
    Alors, les normes internationales d’information financière... ne font l’objet d’aucun contrôle au Canada. Le milieu de la vérification préconise leur adoption. Elles reposent sur une éthique et des normes européennes. Nous diffusons auprès de nos clients de l’information concernant toutes les fraudes qui peuvent être détectées à l’aide des IFRS, comme on les appelle. Avec mon fils, nous avons bien essayé d’alerter la plupart des ministres du Cabinet et d’autres autorités au Canada quant au fait qu’il y a là un problème, mais je dois dire que j’y ai renoncé.
    Alors quel est le problème? Le problème, c’est de savoir comment les IFRS ont été importées au Canada pratiquement sans débat. Malgré tout ce qui a été dit, elles ont été faussement présentées comme étant fondées sur des principes et ainsi de suite. Nous avons donc laissé à des organisations autoréglementées le contrôle des fonds mutuels, des maisons de courtage, des vérificateurs et ainsi de suite et c’est là que se situe le problème qui fait qu’il y a des comptes bancaires extraterritoriaux.
    Il n’y a aucun doute dans mon esprit. Jetez un coup d’oeil en arrière, vous verrez que nous avons prédit l’échec de Nortel des années d’avance. Nous avons prédit l’affaire des fiducies de revenu d’entreprise des années auparavant. Dans l’affaire des papiers commerciaux adossés à des actifs, nous avons signalé que la comptabilité et l’établissement de rapports ne fonctionnaient pas. Idem pour les fonds négociés en bourse avec levier. Rappelez-vous l’affaire du Loewen Group, Cott, et tous les autres, nous avons tout prédit d’avance, alors on ne peut pas nous taxer de stupidité. Alors, il faudrait bien que quelqu’un nous écoute et nous avons tenté d’obtenir un peu d’attention en nous adressant au ministère des Finances, à plusieurs reprises, pour lui signaler qu’il y avait là un problème majeur.
    Pour tenter de récapituler ma position, ce que je dis, c’est que nombre des problèmes les plus graves commencent à se poser longtemps avant que le compte bancaire soit constitué à l’étranger. Si personne ne se penche sérieusement sur la question, vous choisissez pour ainsi dire la solution de facilité au lieu de vous attaquer aux problèmes les plus graves.
    Merci.
    Merci pour votre déclaration, monsieur Rosen.
    Nous entendrons maintenant M. Cockfield.
    Monsieur Cockfield, je veux simplement vous informer... vous m’avez remis votre déclaration, mais nous l’avons fait traduire à l’intention de tous les membres. Ils ont donc déjà en main le texte de votre déclaration en français et en anglais. Je voulais simplement vous en informer.
(0855)
    Et merci également pour cette invitation à vous faire part de mes commentaires sur cette importante question. Je serai moi aussi très bref. J’aborderai trois aspects. J’examinerai la nature de l’évasion fiscale internationale, je tenterai d’évaluer l’ampleur du problème pour les Canadiens puis j’examinerai quelques possibilités de réformes.
    Disons d’abord que c’est un domaine passablement complexe et délicat du droit fiscal. Essentiellement, l’évasion fiscale consiste à ne pas déclarer volontairement des revenus. Il ne faut pas la confondre avec l’évitement fiscal, qui consiste à chercher à faire de la planification fiscale tout en se conformant à toutes les lois fiscales canadiennes et étrangères.
    Je voudrais dire dès le départ que notre Loi de l’impôt sur le revenu encourage la planification fiscale internationale, l’utilisation de paradis fiscaux étrangers pour des systèmes tels que les mécanismes de financement qui favorisent le cumul des déductions, en plaçant une société affiliée dans votre paradis fiscal.
    Mes commentaires porteront donc exclusivement sur l’évasion fiscale, pas sur l’évitement.
     Quels sont les facteurs qui favorisent l’évasion fiscale internationale? Les experts fiscalistes en ont cerné deux qui se démarquent particulièrement: la mondialisation et les changements technologiques. La mondialisation réduit la taille du monde, nous rapproche les uns des autres et favorise une multiplication des services financiers transfrontaliers; mais les changements technologiques ont eux aussi leur importance. Nous sommes en train de vivre une révolution de la technologie de l’information. Elle facilite le transfert de fonds à l’étranger et elle en réduit le coût. Elle favorise la création de certains produits financiers tels que les cartes de crédit offshore. Ces dernières se sont répandues il y a une quinzaine d’années. Si un Canadien ou une Canadienne transfère son argent à l’étranger, il peut dorénavant faire affaire avec une succursale de la Banque de Nouvelle-Écosse implantée à la Barbade et obtenir une carte de crédit émise par cette banque. La carte de crédit est utilisée pour faire des achats ici, au Canada, mais il n’y a aucune trace documentaire de la transaction parce que toutes les factures sont envoyées directement à la Barbade.
    Pour ce qui est d’évaluer l’ampleur du problème, personne n’a vraiment idée du montant des revenus perdus. Je ne connais aucune étude empirique qui se soit proposé de mesurer l’étendue du problème. De toute façon, ce serait d’autant plus difficile que cette activité est illégale et secrète. Les paradis fiscaux se sont dotés d’un arsenal de lois sur le secret bancaire qui ont pour effet de criminaliser la communication d’information financière personnelle à des tierces parties.
     À titre de comparaison, un sous-comité permanent du Sénat des États-Unis a évalué en 2006 que les résidents des États-Unis soustraient de 40 à 70 milliards de dollars par année à l’État à cause de l’évasion fiscale. À l’époque, on s’est longuement attaché à examiner le problème tout en sachant que cette estimation était plutôt approximative.
    À combien se chiffrent vraiment les sommes transférées dans ces abris fiscaux, non pas seulement par les Canadiens mais par des gens de partout dans le monde? Là encore, nous l’ignorons. D’après les estimations, elles se situeraient entre 5 et 38 billions de dollars. Ce dernier chiffre est tiré du rapport d’une firme d’experts-conseils de Boston.
    Mais la bonne nouvelle, je crois, c’est que quand les experts fiscalistes mesurent l’observation fiscale dans le cadre de leurs études comparatives internationales, ces dernières révèlent que la grande majorité des Canadiens est honnête. Nos taux d’observation fiscale sont parmi les plus élevés du monde.
    Mais — et je crois que c’est entre autres ce qui fait toute l’importance des travaux de ce comité —, de nombreuses anecdotes circulent qui donnent à penser que l’évasion fiscale internationale est en hausse. Certaines d’entre elles figurent à la page 2. Sans entrer dans le détail, disons que notre vérificatrice générale, Sheila Fraser, faisait état, dans ses rapports de 2001 et de 2002, d’une très intense activité de planification fiscale internationale, pas d’évasion. Elle attirait néanmoins l’attention sur cette problématique et on a plus tard consacré davantage de ressources à la lutte contre ce phénomène, des ressources qui ont été accordées à l’ARC et à d’autres.
    Il y a d’autres anecdotes, dont, je crois, vous avez entendu parler de la bouche d’autres témoins, des anecdotes au sujet de la Banque du Liechtenstein, de la Banque suisse UBS et, tout récemment, de la Banque suisse HSBC, qui donnent toutes à penser que des Canadiens pratiquent l’évasion fiscale internationale illégale. On a observé une augmentation des vérifications et des sommes récupérées à la faveur de ces dernières. Un témoin rattaché à l’ARC qui est venu s’exprimer devant vous précédemment a indiqué qu’en 2009 seulement, 1 milliard de dollars liés à des activités internationales ont été recouvrés. On ne peut dire avec certitude s’il s’agissait d’évasion. Je crois en fait que les vérifications révèlent essentiellement l’existence d’une intense activité d’évitement fiscal international.
(0900)
    Donc, nous soupçonnons que le problème est en train de s'aggraver; que peut-on y faire? Eh bien, toujours à la page 2 du document, on trouve un certain nombre de réformes possibles. Je les ai énumérées dans l'ordre des options que je considère les moins chères et les plus réalistes pour aller vers les plus difficiles. Je ne m'arrêterai pas à toutes et chacune d'entre elles. Je répondrai avec plaisir à vos questions à ce sujet.
    Premièrement, il faut que le Canada ratifie la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale du Conseil de l'Europe et de l'OCDE. Le Canada l'a signée en 2004. Des gens du ministère des Finances m'ont déjà dit qu'à plusieurs reprises, des lois avaient été proposées pour ratifier cette convention, mais que, pour des raisons qui n'ont naturellement rien à voir avec cette convention particulière, ces lois n'ont jamais été adoptées. Quoi qu'il en soit, la convention n'est pas en vigueur au Canada et elle devrait être ratifiée.
    On pourrait aussi faire une campagne de sensibilisation du public qui insisterait sur les sanctions d'ordre pénal. Il faudrait peut-être intensifier les vérifications et même accorder davantage de ressources à l'ARC. La vérificatrice générale a écrit quelque chose à ce sujet dans son rapport de 2007, mais, plus tard, elle a comparu devant ce comité, le comité permanent, et elle a indiqué que le dossier progressait de façon satisfaisante. On semble donc croire que les ressources sont suffisantes. Mais depuis 2007 également, on a entendu toutes ces anecdotes qui donnent à penser que le problème est peut-être plus grave qu'on l'avait pensé.
    Je suis partisan d'une réforme du programme de divulgation volontaire. Il donne plutôt de bons résultats, je crois, mais il pourrait être peaufiné. Je souligne tout de suite une recommandation, à savoir accorder une réduction temporaire des pénalités d'intérêt, ce qui pourrait être fait en retirant de la Loi de l'impôt sur le revenu le paragraphe 220(3.1), selon lequel, je crois, il ne peut y avoir d'allégement fiscal au-delà d'une période de 10 ans. Mais des avocats de Toronto et d'ailleurs m'ont dit au cours de conversations que leurs clients étaient détenteurs de ces comptes, dans certains cas, depuis au moins les années 80 et qu'ils ne bénéficient d'aucun allégement fiscal. De leur point de vue, la pénalité est donc tellement importante qu'ils évitent de prendre part au programme. La raison d'être du programme est de corriger ce genre de jeu de cache-cache fiscal et je crois que certaines mesures pourraient être prises pour le réformer.
    Les AERF, pour leur part, figurent à l'horizon stratégique du Canada depuis le budget de 2007; ce sont les accords d'échange de renseignements à des fins fiscales. Impossible de dire pour le moment s'ils fonctionneront. Nous en avons signés. L'OCDE en est actuellement à l'étape de l'examen de ces accords. Nombre d'experts fiscalistes qui ont écrit sur la question ont l'impression qu'ils ne fonctionneront pas, qu'il ne faut s'attendre à aucune coopération qui vaille de la part de pays qui sont des paradis fiscaux. Nous devrions peut-être envisager de proposer des mesures incitatives aux pays qui sont des paradis fiscaux en contrepartie d'une coopération utile.
    Au bas de la page 2: le problème pourrait être réglé, mais il faudrait peut-être un niveau de coopération mondiale qu'on ne peut réalistement envisager actuellement. Dans un article que j'ai rédigé en 2001 — il a été publié dans le Minnesota Law Review —, j'ai proposé un régime qui utiliserait Internet pour partager de l'information sur les contribuables, en instaurant un extranet sécurisé entre toutes les autorités fiscales participantes. Si on pouvait obtenir l'accord des pays raisonnablement riches, les pays de l'OCDE, pour y participer et s'ils pratiquaient ensuite un partage total de l'information, ils pourraient imposer une retenue d'impôt sur tous les paiements effectués à l'extérieur des pays participants. Encore une fois, je ne suis pas sûr que cela soit politiquement faisable.
     Finalement, j'ai pensé m'arrêter un peu à la question de la protection des renseignements sur les contribuables. Je suis chercheur en fiscalité, mais je suis également membre du Surveillance Study Centre de l'Université Queen's depuis 2001. En 2005, nous avons procédé à une étude internationale auprès de 7 000 répondants dans huit pays différents. Les répondants canadiens ont indiqué qu'ils étaient passablement inquiets au sujet de la protection de leurs renseignements personnels; ils craignaient notamment que des entreprises et des gouvernements étrangers fassent un mauvais usage de leurs renseignements personnels.
    C'est ici que les choses se compliquent: nous voulons nous attaquer vigoureusement à la fraude fiscale, mais il faut que notre action préserve malgré tout les droits des contribuables, y compris le droit à la protection de leurs renseignements personnels.
    J'ai suggéré sur une autre tribune qu'une déclaration multilatérale des droits du contribuable pourrait contribuer à encourager un accroissement du partage de l'information entre les pays, parce qu'il arrive parfois que les autorités canadiennes et d'autres autorités fiscales ailleurs soient réticentes à partager l'information parce qu'elles ne savent pas comment celle-ci sera traitée. Ils ignorent si elle sera traitée comme l'exigerait leur loi nationale. Mais si tous ensemble nous nous entendions sur l'établissement du seuil de protection juridique des droits des contribuables, il s'ensuivrait, à mon avis du moins, un plus grand échange de renseignements et cela aiderait à lutter contre l'évasion fiscale internationale.
(0905)
    Merci.
    Merci beaucoup pour votre déclaration.
    Passons maintenant aux questions des membres. Monsieur Szabo, vous avez la parole pour sept minutes.
    Merci, messieurs.
    Il ne fait aucun doute que le problème comporte de nombreux éléments et le comité comprend qu'il n'existe pas de solution simple. Mais il existe probablement une direction à privilégier pour s'y attaquer. Certains aspects sont à très long terme.
    Examinons la suggestion de M. Cockfield de mettre en place un traité multilatéral parmi les pays que le sujet préoccupe et tentons ensemble de dégager un certain nombre de stratégies. Je voudrais vous demander à tous les deux si une entente d'une telle complexité est même possible, vu la difficulté qu'il y a à conclure de simples ententes commerciales entre pays et le temps qu'il faut pour y arriver. J'ai des réserves concernant une approche qui consisterait à réunir tout le monde dans une même démarche. Ce ne serait qu'une perte de temps. Ne pourrions-nous pas plutôt définir une approche canadienne des éléments canadiens du problème?
    Je reconnais qu'il serait particulièrement difficile d'en arriver à une convention multilatérale et je pense qu'il faudrait d'abord que le Canada essaie de se doter de sa propre approche. Nous avons fait du très bon travail et il est peut-être possible de faire encore mieux. Certaines mesures unilatérales sont à notre portée. Je les ai également énumérées à la page 2.
    Vous avez raison de souligner les difficultés qu'il y a à conclure une convention multilatérale. En fait, la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle — celle que j'essaie d'amener le Canada à signer... Il n'y a actuellement que 16 signataires. Je pense que l'Allemagne et le Canada n'ont pas encore ratifié la convention. Elle n'est en vigueur que pour 14 personnes et cela fait des années qu'elle a été créée.
    Les taxes internationales constituent un domaine d'étude particulièrement intéressant du point de vue du droit public international parce qu'on a observé dans tous les autres domaines, au cours du dernier demi-siècle, une multiplication des ententes multilatérales, les accords sur l'Organisation mondiale du commerce, mais en ce moment, il n'existe que des accords bilatéraux au Canada et ailleurs pour préserver la souveraineté fiscale.
    Monsieur Rosen, qu'en pensez-vous?
    Je suis influencé par le fait que, pendant des années et des années, nous nous sommes consacrés aux écarts de conduite des directeurs-agents-vérificateurs-organisations. Nous touchons également un peu aux affaires matrimoniales, etc. Mais la grande majorité des transferts d'argent à l'étranger que j'ai personnellement observés est le résultat d'une forme quelconque d'escroquerie sur titres.
    Si le Canada veut faire cavalier seul, il doit agir sur la situation des valeurs mobilières au Canada. Ce n'est pas tant un problème de réglementation des valeurs mobilières qu'un problème de poursuites. On s'en prend au commerce et aux personnes auxquelles on conseille d'agir de telle ou telle manière en matière fiscale.
    L'une des choses qui m'agacent le plus est l'interdiction qui frappe le commerce d'actions — c'est un placement privé ou un rachat d'entreprise. Dans les situations de ce genre, il est interdit de faire le commerce de ces actions pour des périodes de six mois ou d'un an ou tout autre délai. Pourtant, ces gens sont capables de vendre à des intermédiaires et de toucher immédiatement l'argent qui se retrouve finalement à l'étranger.
     Si nous ne nous attaquons pas sérieusement à la question des poursuites et des enquêtes en matière de valeurs mobilières, nous ratons les grosses prises, à mon avis.
    Excellent point.
    En ce qui concerne l'approche, les États-Unis ont décidé d'examiner la question de près et ils ont déjà abattu beaucoup de travail. Ce n'est pas la même chose au Canada. Cela m'en dit long et ça m'inquiète.
    Parmi les façons d'aborder les problèmes au sens général, il y a celle de la carotte et du bâton — en jouant de chacun selon différentes combinaisons; l'une des formules suggérées dans le document consiste effectivement à accorder une forme d'amnistie, les gens étant encouragés à procéder à un nettoyage, à se révéler davantage que ce que requiert le programme de divulgation volontaire, mais pour un temps limité. Ensuite, il faudrait probablement mettre en place des pénalités plus sévères pour ceux qui auraient décidé de ne pas se manifester.
    Savez-vous dans quelle mesure une formule fondée sur une amnistie temporaire et une modification éventuelle des pénalités prévues par la loi aurait un taux de réussite assez intéressant pour qu'on s'arrête à l'examiner?
(0910)
    Mon impression est que cela permettrait de laver la loi de certaines de ses anciennes fautes, pour ainsi dire. Mais je ne crois pas que cela sera d'aucune aide tant qu'il sera possible de faire des combines à la Ponzi ou des choses de ce genre. Oui, l'amnistie présente des avantages. C'est la solution de facilité. Mais je n'ai jamais vraiment aimé cette idée, car elle ne règle pas le problème de fond.
    Avez-vous des observations à ajouter? Il ne me reste plus de temps.
    Je serais en faveur d'une amnistie temporaire, mais pour les pénalités d'intérêt seulement, et non pour le remboursement de l'arriéré d'impôt.
    Aux yeux de certains avocats — et je n'ai vu aucune étude à ce sujet —, la pénalité d'intérêt est censée équilibrer les choses pour que nous puissions récupérer la valeur actuelle des impôts dus. Dans le cas des personnes qui n'ont pas payé d'impôt pendant plusieurs décennies, la pénalité d'intérêt sera une compensation qui nous ramènera à la valeur actuelle. Mais, étant donné que les intérêts calculés sont des intérêts composés, les impôts à payer, ou la pénalité totale, excèdent de beaucoup les impôts qui étaient exigibles au départ, additionnés au rendement, quel qu'il soit, que la personne peut avoir tiré de ses investissements.
    On peut penser que cela contribuerait à éliminer un certain nombre de comptes secrets illicites. Je m'appuie sur des discussions que j'ai eues avec des avocats spécialisés en droit fiscal international qui exercent à Toronto, et dont les clients ne se prévalent pas du Programme des divulgations volontaires parce qu'ils se demandent d'abord: « Est-ce qu'on va m'arrêter? », puis qu'ils se demandent ensuite: « Combien est-ce que ça va me coûter? ».
    Si l'on compare notre programme à celui des Américains, le programme américain est, à certains égards, plus clément que le nôtre. Le nombre d'Américains qui ont fait une divulgation volontaire s'est peut-être accru considérablement.
    Monsieur Paillé.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je vous remercie, messieurs, de votre présence parmi nous.
     Ayant été professeur d'université à l'École des hautes études commerciales, HEC Montréal, je peux confirmer que, d'habitude, les professeurs d'universités s'égarent. Toutefois, dans le cas présent, vous avez bien cerné le dossier.
    Tout d'abord, je suis d'accord avec vous. En effet, on serait incapable de déterminer le montant pour lequel il y a un problème relatif à l'impôt parce que, si on le savait, on saurait où aller chercher l'argent. C'est une évidence. L'évasion fiscale est comme l'évasion d'un prisonnier. Quand on prisonnier s'est évadé et que vous savez où il se trouve, vous êtes capable d'aller le chercher. C'est la même chose dans le cas présent.
    Comme vous l'avez tous les deux mentionné, mais de façon différente, le problème existe lorsque il s'agit de la très grande entreprise. En effet, les PME n'essayent pas d'avoir des normes d'évasion fiscale. Elles peuvent essayer de faire un peu d'évitement fiscal pour payer le moins d'impôt possible puisque l'objectif des directeurs financiers des compagnies privées n'est pas de maximiser les profits, mais de payer le moins d'impôt possible.
    C'est donc la grande entreprise qui agit ainsi et non pas un particulier ordinaire. Ce n'est pas M. ou Mme Tout-le-Monde, comme le disent certains partis politiques. Ce n'est pas non plus le contribuable moyen, mais le très grand et très fortuné contribuable qui tente l'évasion fiscale. L'impact est donc très important.
    J'aimerais tenter de faire un lien entre vos deux exposés. Monsieur Cockfield, on peut lire à la deuxième page de votre mémoire qu'il y a eu une augmentation des vérifications, mais on sent également une augmentation de l'évasion fiscale. On en a de plus en plus l'impression.
    En même temps, monsieur Rosen, on peut lire à la page 5 de votre mémoire, qu'on recule à cause de l'application des IFRS, les Normes internationales d'information financière, et de l'application aveugle des normes comptables généralement méconnues et que personne ne comprend, même dans une entreprise qui a des normes comptables. Ces normes comptables sont des espèces de nuages à l'intérieur desquels seul le comptable de l'entreprise ou un fiscaliste s'y retrouve. On a donc, en fait, une déréglementation.
     Monsieur Cockfield ou Monsieur Rosen, ne serait-ce pas l'une des raisons pour laquelle c'est maintenant « bar ouvert » au Canada?
(0915)
    Je regrette, mais je ne peux pas vous répondre en français.

[Traduction]

    Je viens de cette ville et j'ai suivi des cours dans le programme d'immersion française, mais

[Français]

    la langue technique est trop difficile pour moi.

[Traduction]

    Je crois avoir compris l'essentiel de ce que vous avez dit. Vous voulez que je vous parle de l'importance de l'évasion fiscale. Nous ne connaissons pas l'ampleur du problème, mais les vérifications sont plus nombreuses qu'avant et les montants récupérés vont croissant. Cela ne signifie pas forcément que le problème s'est aggravé. Nous consacrons davantage de ressources à ce problème, et si nous récupérons plus d'argent, c'est peut-être simplement parce que les méthodes de l'ARC sont plus efficaces qu'avant.
    Je ne suis pas sûr d'avoir compris le reste de votre question. Je m'en excuse.
    C'est bon. Peut-être M. Rosen pourrait nous faire part de ses observations.
    Je ne suis pas certain d'avoir compris la fin de votre question moi non plus.

[Français]

    À la page 5, vous dénoncez le changement des normes en disant qu'on recule 50 ans en arrière et qu'on ouvre la voie à plusieurs machinations frauduleuses. Est-ce pour cela qu'au Canada, il y a davantage de fraude fiscale?

[Traduction]

    Non. Pour revenir là-dessus, les IFRS sont appliquées au Canada depuis le 1er janvier de cette année. Nous n'avons donc pas encore vu les résultats pour le premier trimestre.

[Français]

    Donc, ce sera pire.

[Traduction]

    Absolument. Il est certain que ce sera pire, car nous avons rétabli certaines failles que nous avions colmatées au fil des ans. J'ai dû voir une douzaine des faillites d'institutions financières les plus importantes du Canada, et une des astuces de ces institutions est de ne pas collecter l'argent mais de toujours accroître les actifs de la société de prêt et d'augmenter leurs profits.
    En effet.
    C'est ce qui s'est passé lors des faillites bancaires en Alberta, avec Castor Holdings, à Montréal, avec la Confederation Trust. J'ai vu tout cela. Donc, sous cet angle en particulier, les IFRS ont levé toutes les interdictions.

[Français]

    J'ai beaucoup de réserves par rapport au programme de divulgation volontaire qui est utilisé au Canada. Cela ressemble à l'adhésion volontaire des provinces dans d'autres dossiers. Le fait qu'il n'y ait pas de sanctions ne serait-il pas un problème de laxisme? Vous avez dit plus tôt que la valeur actuelle de l'intérêt cumulé serait tellement énorme que les gens ne veulent pas faire de divulgation.
    Y a-t-il carrément un manque de leadership de la part des autorités fiscales au Canada?
(0920)

[Traduction]

    Non, je ne suis pas de cet avis. Je crois que l'ARC fait du bon travail. Pour la dernière année, 2009, l'agence a indiqué qu'elle avait traité 3 000 divulgations. Je ne crois pas qu'on puisse parler de laxisme. Je crois qu'il y a peut-être des problèmes structuraux dans le programme des divulgations lui-même. Les contribuables se plaignent parfois que les règles sont trop floues. Ils ne veulent pas faire de divulgation parce que les règles ne sont pas assez claires pour qu'ils aient la certitude que leur dette sera réglée.
    Je crois que, d'un côté, vous avez raison en disant que nous devons nous préoccuper de la réaction des autres contribuables canadiens, qui paient scrupuleusement leurs impôts et qui pourraient se demander pourquoi on fait preuve d'une telle indulgence à l'égard de ces fraudes fiscales, mais, d'un autre côté, je pense que le Programme des divulgations volontaires doit être considéré comme un programme de réhabilitation. C'est une manière d'encourager les contribuables malhonnêtes à devenir honnêtes et de faire en sorte qu'ils paient désormais leurs impôts chaque année.
    Se montrer indulgent à l'égard de la fraude fiscale sera toujours problématique, mais j'imagine qu'on peut se dire qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Il vaut mieux collecter une partie de l'argent.
    Merci.
    Monsieur Rosen, très brièvement, s’il vous plaît.
    L’autre raison qui explique les réticences est que l’acte initial était probablement illégal. Donc, à moins que les autorités fiscales indiquent qu’elles ne feront pas enquête sur ce qui s’est passé au départ pour que l’argent qui s’est retrouvé à l’étranger...
     Merci.
    La parole est maintenant à Mme Glover.
    Merci, monsieur le président.
    Encore une fois, bienvenue aux témoins.
    On a répété maintes et maintes fois que les motifs premiers pour lesquels des gens se rendent coupables d’évasion fiscale sont typiquement des motifs criminels, ou qu’ils veulent soustraire de l’argent à la connaissance de leur conjoint parce qu’ils sont sur le point de divorcer. À ma connaissance, c’est toujours répréhensible. On a parlé de la nécessité de protéger les intérêts de ces gens pour les inciter à faire des divulgations. Cela va à l’encontre de ma philosophie, selon laquelle les criminels doivent payer pour leurs crimes. Par contre, je trouve intéressantes vos perspectives à ce sujet.
    M. Paillé a soulevé la question de l’écart fiscal et de la possibilité de déterminer combien d’argent il manque vraiment, combien d’argent se trouve dans ces comptes bancaires à l’étranger. Par contre, même s’il est souhaitable de savoir exactement combien d’argent il y a l’étranger, c’est un problème très compliqué. Il me semble que M. Cockfield a estimé que ce montant s’établissait entre 5 et 38 billions de dollars, ce qui est une très large fourchette. C’est une immense fourchette.
    Pouvez-vous m’expliquer pourquoi il est si difficile de déterminer le montant total d’argent détenu dans des comptes à l’étranger et qui correspond à de l’évasion fiscale?
    Je crois que le principal problème est qu’il y a dans tous ces paradis fiscaux, du moins à ma connaissance, des lois sur le secret bancaire. Si je me rendais en Suisse, par exemple, en tant que chercheur, si j’embarquais à bord d’un avion et que je commençais à discuter avec des agents des autorités fiscales ou avec des employés de banque, on me répondrait: « J’irai en prison si je vous révèle de l’information. Dans mon pays, divulguer des renseignements financiers personnels à une tierce partie constitue une infraction criminelle. »
    C’est pour cela que nous n’avons pas la moindre idée du montant d’argent qui se trouve dans ces paradis fiscaux partout dans le monde. Certaines études indiquent que la moitié de ce montant se trouve dans un seul pays: la Suisse. Au Canada, nous mettons parfois l’accent sur les paradis fiscaux des Antilles mais, en fait, leur importance est relativement faible comparativement à celle de certains paradis fiscaux européens.
    Bien entendu, la Suisse est un pays développé, qui possède un secteur financier très sophistiqué. Pour la première fois dans l’histoire, la Suisse a accepté de partager de l’information sur des comptes bancaires avec les autorités américaines, en raison du scandale d’UBS. D’après ce que j’ai compris, les responsables canadiens de la réglementation ont également demandé des renseignements à la Suisse, mais ils ont été éconduits. La situation a découlé en partie du fait que les États-Unis avaient mené l’enquête du Sénat qui a révélé que cette banque envoyait des gens aux États-Unis et que ceux-ci organisaient des fraudes fiscales. Eh bien! il s’est avéré que cette banque avait également un bureau au Canada et qu’elle faisait la même chose ici. La banque a néanmoins refusé de collaborer avec nous.
    Je dois également souligner le fait que, à la différence des banques canadiennes, le gouvernement suisse conservait, si je ne me trompe pas, une participation à hauteur de 25 p. 100 dans UBS à l’époque de ces scandales. Le gouvernement était donc un partenaire des banques. Il s’est par la suite départi de ses titres de participation dans UBS, et je ne sais pas s’il a conservé une participation dans d’autres banques. Mais en raison de la confidentialité, en raison de ces lois sur le secret bancaire, personne n’est vraiment en mesure d’estimer avec précision combien d’argent il y a dans ces comptes.
(0925)
    Je suis très contente que vous ayez parlé de la Suisse car, le 16 février, l'Associated Press a publié un article selon lequel le gouvernement suisse souhaiterait alléger les exigences qu'elle impose aux pays étrangers qui veulent obtenir de l'aide pour faire enquête sur des cas d'évasion fiscale. En fait, la Suisse envisage d'assouplir sa réglementation parce qu'elle a peur. Je cite l'article:
Au cours des dernières années, la Suisse a progressivement assoupli sa réglementation concernant le secret bancaire pour éviter d'être placée sur une liste noire des « paradis fiscaux peu coopératifs ».
     Je vous encourage à continuer vos pressions. On dirait qu'ils sont disposés à fournir de l'information parce qu'ils savent que nous en parlons et que nous considérons tous la Suisse comme un paradis fiscal potentiel, qui fait du tort à nos pays.
    Quoi qu'il en soit, monsieur Cockfield, vous avez accordé une entrevue, qui a fait l'objet d'un article dans le Toronto Sun. Selon cet article, vous avez dit que:
... les riches Canadiens qui échappent au fisc en dissimulant dans des comptes à l'étranger des revenus et des biens non déclarés devraient « trembler comme des feuilles »...
    Que vouliez-vous dire par là?
    Je crois que cela faisait référence à la divulgation éventuelle par WikiLeaks. C'est un autre scandale possible, qui n'a pas encore vraiment éclaté. Un commis d'une banque suisse a transmis à WikiLeaks de l'information qu'il a volée à une banque suisse; il me semble que c'était une banque aux îles Caïmans.
    J'ai peut-être dit « trembler comme des feuilles » au journaliste, mais la vérité, c'est que le nombre de divulgations de ces comptes secrets a augmenté, et que si j'étais un contribuable malhonnête qui avait utilisé les services d'une banque pour laquelle cet homme a travaillé, je me rongerais probablement les sangs.
    Comme je crois l'avoir également dit dans cet article, le problème, avec la divulgation par WikiLeaks, c'est que les activités de contribuables honnêtes pourraient être dévoilées par la même occasion. Des Canadiens qui exercent des activités commerciales à l'échelle mondiale utilisent des comptes bancaires en Suisse et ailleurs, à des fins parfaitement honnêtes. Ils déclarent tout à l'ARC. Par opposition à d'autres scandales, comme celui qui a été révélé lorsque les Allemands nous ont communiqué des renseignements provenant d'une banque du Liechtenstein, l'information sera cette fois disponible sur le Web. Ce n'est pas encore arrivé. Ça fera probablement trembler certaines personnes comme des feuilles, mais des renseignements concernant des contribuables honnêtes seront également révélés, ce qui pourrait constituer un risque pour ces personnes et occasionner des problèmes concernant le droit à la vie privée.
    Je crois que ces personnes pourraient vraiment tirer profit du Programme des divulgations volontaires. Depuis 2005, le nombre de personnes qui se sont prévalues de ce programme a doublé. Je suis convaincue que plus les médias parleront de nos efforts pour accéder à l'information, puis il y aura de contribuables enclins à se prévaloir de notre programme, pour tenter de se sortir de leur situation sans que des accusations soient portées contre eux — ce qui ne signifie pas qu'ils ne méritent pas d'être accusés.
    Allez-y, monsieur Rosen.
    Relativement à la recherche de ces comptes, il faut se demander combien de personnes vont vraiment faire quelque chose de douteux au Canada, et avoir de tels comptes à leur propre nom. Les montants que nous retraçons sont investis dans des coentreprises et dans des sociétés, ou ils sont placés dans des comptes en fiducie appartenant à des cabinets d'avocats. Il y a de nombreux intermédiaires, et il y a toutes sortes d'autres arrangements fiduciaires. Donc, retracer les comptes semble facile, mais c'est extrêmement complexe, en particulier quand ils sont déplacés d'un territoire à un autre.
    Vous avez dit que vous utilisez les services de spécialistes. De quels spécialistes s'agit-il? Vous avez dit qu'au début de votre...
    C'est la dernière question.
    Ils ne sont pas au Canada. Ce sont, pour la plupart, des Américains et des Anglais. À un certain moment, quand ils en arrivent à nous dire qu'ils ont besoin d'argent pour soudoyer quelqu'un, nous rompons nos liens avec eux.
(0930)
    La parole est maintenant à M. Allen.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, messieurs.
    Je suis d’accord avec Mme Glover. Ça n’arrive pas toujours, mais...
    Monsieur Cockfield, lorsque vous parlez d’un programme de divulgations volontaires, il me semble qu’il y a quatre ou cinq ans, l’ARC s’est dotée d’un tel programme destiné, entre autres, aux Canadiens qui n’auraient pas présenté de déclaration de revenus. Neuf fois sur dix, ces personnes ne paient que les intérêts, à moins qu’elles ne soient représentées.
    J’aurais donc deux questions, et je pense qu’elles s’adressent à vous deux.
    Il me semble que ces gens qui retournent vraiment leur argent, qui se conforment de leur propre gré... Ce doit être parce qu’en réalité, ils désirent récupérer l’argent déposé, parce que sinon, si ce qu’on souhaite, c’est laisser son argent là-bas, pourquoi s’en soucier? Si on ramène cet argent au pays, il doit y avoir une raison. Est-ce une question d’héritage? La personne est-elle âgée? Veut-elle donner son argent à sa famille? Souhaite-t-elle placer cet argent dans une autre activité qui serait légitime? Le programme de divulgations volontaires permet ces événements et nous disons à ces personnes que c’est une bonne chose: retournez l’argent au pays, nous pouvons en discuter et réduire les pénalités. Ce n’est pas grave si nous vous récompensons pour avoir commis un geste illégal.
    Dans le système de justice pénale, excepté cette situation, on ne récompense pas ceux qui ont commis un acte illégal. Si je cambriolais un dépanneur sans me faire prendre et que j’avouais mon crime plus tard, les autorités ne chercheraient pas à conclure une entente avec moi parce que j’aurais volontairement admis avoir cambriolé un dépanneur à l’âge de 14 ans. Ça ne se passe pas comme ça.
    D’un autre côté — monsieur Rosen, je vais laisser M. Cockfield commencer, puis si vous pouvez me donner un coup de main...
    Peut-être ai-je mal entendu, mais il me semble que vous proposez que l’argent qu’on tente de récupérer volontairement — tout en tentant, avec l’aide de conseillers ou autrement, de conclure une entente qui permette de réduire les pénalités — pourrait, dans certains cas, être d’origine criminelle. Je crois que vous avez dit que c’était maintenant le cas dans une majorité de dossiers.
    Si c’est le cas, nous invitons ces personnes à retourner de l’argent  — qui proviendrait, en fait, d’activités illégales — déposé à l’étranger illégalement et nous leur donnons en quelque sorte un passe-droit. Pardonnez-moi, mais j’aurais beaucoup de mal à dire aux anciens travailleurs de John Deere, qui ont perdu leur usine, qu’il n’y a rien de mal dans le fait de permettre ce genre d’ententes alors que nous n’avons pas su protéger leurs emplois.
    Je me demandais si, tous les deux, vous aviez quelque chose à dire à ce sujet. Comment rendre cet enjeu acceptable pour les Canadiens?
    L’équilibre est très difficile à trouver. Je pense que si vous examinez les contribuables canadiens qui font de l’évasion fiscale à l’étranger, vous trouverez divers profils. Il y a l’entrepreneur qui n’a aucune obligation de retenue, qui gagne un million de dollars, ne déclare que 500 000 $ et dépose le reste à l’étranger.
    J’ai déjà soupçonné qu’il existait également un type unique de contribuables au Canada et dans certains autres pays comptant de nombreux immigrants. Par exemple, disons qu’un contribuable a quitté Hong Kong pour s’établir au Canada en 1990 et qu’il avait épargné 100 millions de dollars. Il arrive au Canada, sachant qu’une fois la résidence permanente obtenue, il devra payer des impôts sur ses revenus, quelle que soit l’origine. Cette somme de 100 millions de dollars est donc maintenant visée par le fisc canadien. Alors, avant de déménager, la personne déplace cet argent dans un compte à l’étranger. Voilà une autre personne qui a fait de l’argent légalement et qui l’a déposé à l’étranger. On retrouve ensuite les trafiquants de drogues et les autres criminels. Le fait que les paradis fiscaux soient utilisés pour financer le terrorisme international suscite également des inquiétudes. Pour nous en occuper, nous avons le CANAFE ainsi que d’autres mesures.
    En conclusion, je pense que la peur, plutôt que la volonté de récupérer l’argent, est le principal motif qui pousse les personnes à faire une divulgation volontaire. Elle pourrait récupérer cet argent d’une manière ou d’une autre, à l’aide de cartes de crédit étrangères ou d’autres outils. Ces personnes craignent d’être poursuivies au criminel et, par conséquent, elles font ces divulgations. C’est comme une négociation de plaidoyer entre la Couronne et l’avocat de l’accusé. Je veux dire, certains Canadiens n’aiment pas que ce processus fasse partie du système de justice, mais il permet de dégager des ressources et de les affecter plus efficacement dans le système à d’autres fins, par exemple pour encourager la réadaptation.
    C’est ainsi que je vois le programme de divulgations volontaires. Les Canadiens ne sont pas heureux de l’existence d’un tel programme qui donne une chance à ces gens, mais nous tenons à ce que ces personnes rejoignent notre système fiscal et qu’elles redeviennent des personnes respectueuses des lois, et qu’elles paient leurs taxes, ce qui nous permettra de payer, entre autres, nos routes et nos écoles.
(0935)
    Je comprends, comme vous, que le Canadien moyen essaie d’épargner et espère qu'il lui restera de l'argent à sa retraite. En fait, nous avons écrit un livre à ce sujet il y a quelques mois.
    Je sais qu’un grand nombre d’entre vous n'aimerez pas ce que je vais dire, mais je vois les mauvais côtés toutes les semaines. On n'intente pas de poursuites. Un nombre infime de dossiers se retrouve devant les tribunaux jusqu'au prononcé de la sentence. Si cette partie du système canadien ne s'occupe pas du tout de ces situations, l’ARC décide de ne pas imposer de pénalités. Les personnes qui travaillent dans ce milieu n'ont pas besoin de s'inquiéter.
    Il n’y a pas de pression, et ce, partout au Canada. Nous avons eu tellement de dossiers qui auraient dû se trouver devant les tribunaux et ces personnes nous riaient au visage. Le mépris envers la réglementation en matière de valeurs mobilières au Canada est extrêmement élevé, et il n’est pas réaliste de prétendre le contraire.
    Il vous reste du temps pour une petite question, monsieur Allen.
    Merci.
    À ce sujet, monsieur Rosen, les « crimes à cravate », comme on appelle ce type de mouvement de capitaux, étaient par le passé considérés comme des crimes sans victimes. J’aimerais rappeler qu’au Québec, il y a des gens qui ont perdu leur retraite et leurs biens à 75 ans. Ce sont bel et bien des victimes.
    Je suis tout à fait d’accord avec vous.
    Merci.
    Nous passerons à M. Brison, pour cinq minutes.
    Je vous remercie pour vos observations. C’est très instructif. Cette séance est une des plus fructueuses que nous avons eues à ce sujet.
    Monsieur Rosen, vous avez parlé de l’inefficacité, non seulement des règlements sur les valeurs mobilières, mais aussi de notre capacité de mener à bien les poursuites. Par exemple, diriez-vous, comme de nombreuses personnes, que la CVMO ne gère pas aussi efficacement ses poursuites que la SEC?
    Ce n’est pas seulement le problème de la CVMO. J’ai témoigné devant de nombreux autres tribunaux au Canada. Honnêtement, je ne peux pas dire qu'une province fait un bon travail en la matière.
    Nous nous sommes trouvés dans des situations pathétiques. Par exemple, nous avions accepté de donner un coup de main dans le cadre d'une affaire parce que nous avions des contacts avec ces cabinets d’avocats, mais les commissions des valeurs mobilières ont abandonné la poursuite. Ils ne font pas d’efforts.
    Est-ce une question de ressources?
    Non. Le problème se situe à plus d'un niveau. Il s’agit de savoir si les Canadiens et les législateurs se soucient suffisamment de ce dossier pour qu'il devienne une priorité. En ce qui a trait au leadership — j’ai été procureur pour la CVMO il y a quelques années —, il faut trouver le courage d’aller de l’avant.
    Croyez-vous que la SEC est plus efficace?
    À ce que je sache, selon ce que nous qualifions au Canada de réussite, la SEC conclut probablement 70 p. 100 de ses dossiers. Sans en être totalement certain, je crois que pour les quelque 30 p. 100 qui restent, on peut pointer du doigt les administrations en place à l'époque.
    Aux États-Unis, le krach boursier de 1929 a mené à l’adoption de la loi sur la SEC en 1933-1934. Le Canada a continué à avoir recours aux organismes d’auto-réglementation. Ces organismes ont perdu leur efficacité il y a 20 ans. Le fait qu’on s’accroche aux succès passés de ces groupes m’exaspère. Ils nous ont menés au bourbier que constitue l’IFRS.
(0940)
    Avez-vous examiné les effets potentiels de la fusion entre les bourses de Londres et Toronto sur les poursuites visant les fraudes en matière de valeurs mobilières et l’évasion fiscale?
    J’ai dû faire une quinzaine d’entrevues à la télé et à la radio depuis l’annonce de la fusion. Oui, j’y ai longuement réfléchi. Ce qui me dérange, c’est que nous obtenons le bas du plateau dans les deux cas. Il y a l’AIM à Londres et la Bourse de croissance TSX. On y retrouve surtout des entreprises dont l’avenir est incertain; entre 10 et 15 p. 100 de ces entreprises sont peut-être correctes. C’est un autre groupe suspect, dans lequel nous ne devrions pas investir. Je suis préoccupé par le fait que tout à coup, le Canada se retrouve avec tous ces actifs de l’Angleterre; qui en sera conscient?
    Vous pensez que la fusion des bourses de Londres et de Toronto pourrait aggraver nos problèmes d’évasion fiscale?
    En partie. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que le volume de transactions des deux bourses diminue. Sur le strict plan des affaires, je ne pense pas qu’il y ait d’arguments contre la fusion. On doit choisir le moindre mal. Tant que le Canada manquera de vigueur en ce qui concerne les poursuites — et c'est un euphémisme, ici —, ce problème méritera d’être surveillé.
    Soyez bref.
    Monsieur Cockfield, vous avez parlé d’un extranet multilatéral destiné à la transmission de ce type de renseignements. Vous avez également cité WikiLeaks ainsi que d’autres problèmes. Si nous partageons plus de renseignements de manière multilatérale à l’aide d’un outil comme un extranet, ne courons-nous pas un plus grand risque en rendant ces renseignements accessibles aux pirates?
    Ça pourrait être une préoccupation. On pourrait utiliser des mécanismes technologiques tels que le cryptage pour réduire le risque de fuites. Actuellement, le seul pays avec lequel le Canada échange des renseignements de manière plutôt systématique, ce sont les États-Unis. Nous échangeons en vrac des données sur les contribuables, principalement sur des résidents du Canada ou des États-Unis dont le portefeuille d’investissements est transfrontalier. Prenons l’exemple d’une personne qui ouvre un compte bancaire à la Bank of America à New York. Ce compte génère des intérêts. La loi oblige la banque à cueillir et à envoyer l’information, qui sera examinée par l’ARC. Ce processus existe depuis au moins quelques décennies. À ce que je sache, il n’y a jamais eu de fuites. Je pense qu’il est possible de créer un extranet et de le protéger contre les tentatives d’accès de l’extérieur.
    Monsieur Carrier.

[Français]

    Merci. Bonjour, messieurs.
    Monsieur Rosen, dans un document préparé par les gens de la Bibliothèque du Parlement, on dit que le Canada a signé récemment des accords d'échange de renseignements à des fins fiscales avec certains pays et territoires comme Anguilla, les Bahamas, les Bermudes, les Îles Caïmans, etc. Vous êtes certainement au courant. Je pense que pour être en mesure de connaître certains faits, cet échange de renseignements est essentiel.
     Que pensez-vous de ces accords? Est-ce une mesure efficace pour régler la question de l'évasion fiscale? Quel en a été le résultat? D'après vous, combien d'argent est-ce que cela a permis de récupérer?

[Traduction]

    Je ne peux pas vous dire quelle somme a été récupérée. Pour la Barbade, j’aurais besoin qu’on me rafraîchisse la mémoire. Mais du côté des îles Caïmans, avant de se voir autoriser l’accès, il faut tout d’abord prouver l’existence d’activités criminelles. C’est l’accord qui a été conclu entre ce pays et les États-Unis. Je doute que l’entente avec le Canada aille plus loin, mais je peux me tromper. Comme il faut se présenter devant un tribunal des îles Caïmans et attendre son tour avant qu’il n’y ait procès, j’aimerais bien voir le résultat. J’ai l’impression que nous ne connaîtrions pas un grand succès.
(0945)

[Français]

    Vous pensez que ça ne sera pas très utile. C'est ce que vous dites?

[Traduction]

    Je pense qu’ils peuvent être utiles en partie. Vous parlez encore d’une solution facile plutôt que d’un moyen de régler le problème une fois pour toutes. Ce qu’il faut savoir, c’est pourquoi cet argent s’en va à l’étranger. Il arrive souvent que ce soit en raison d’activités suspectes ou criminelles. Je ne vois pas pourquoi on n’essaie même pas de régler le problème. Peut-être est-ce parce que ça ne fait pas partie du mandat du ministère des Finances.

[Français]

    Dans votre présentation, vous mentionnez plusieurs raisons pour lesquelles certains investisseurs ont recours à des paradis fiscaux à des fins d'évasion fiscale. C'est utile, mais je pense que le monde est ainsi fait et qu'on ne peut pas changer la nature humaine. L'objectif est d'éviter les abus relatifs à notre réglementation et de s'assurer que la taxation est juste pour tout le monde.
    Monsieur Cockfield, que pensez-vous des accords d'échange de renseignements que notre pays signe avec certains pays considérés comme des paradis fiscaux? Pensez-vous, comme M. Rosen, que ce n'est pas très utile?

[Traduction]

    À ce sujet, il y a deux ans, j’ai eu la chance de présenter des conseils au gouvernement et au Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale. Il est intéressant de savoir, au sujet des accords d’échange de renseignements à des fins fiscales, qu’aucun de ces accords n’est en vigueur. Nous les avons négociés, mais à ma connaissance, aucun n’est en vigueur en ce moment. L’incertitude règne. En 2007, si notre gouvernement a décidé de négocier ces accords, ce n’était pas en vue de lutter contre l’évasion fiscale internationale, mais parce qu’à cette époque, il avait adopté une règle fiscale visant à cesser une pratique que nous appelons la double imposition. Nous devons retracer les intérêts versés aux paradis fiscaux. Il ne s’agissait pas de régler notre problème d’évasion fiscale. Néanmoins, je crois que cette réforme a été utile.
    Je suis plutôt cynique. Je ne pense pas que ça va aider énormément. Les spécialistes de la question fiscale ont de nombreuses raisons de douter que cette solution sera des plus utiles. On doit faire une distinction entre ces accords et le traité que nous avons signé avec la Barbade. Depuis les années 1970, nous avons un traité fiscal complet avec la Barbade dans lequel des dispositions sur l’échange d’information ont été incluses. Il ne s’agit pas d’un accord d’échange de renseignements à des fins fiscales.
    Auparavant, les gouvernements de pays tels que la Suisse ou les îles Caïmans ne nous divulguaient l’information que s’il y avait des allégations relatives à des actes criminels ou à la fraude. Les accords d’échange de renseignements à des fins fiscales ne renferment pas cette exigence. Il n’y a aucun moyen de défense. L’information doit être transmise, même s’il s’agit d’un simple cas d’évitement fiscal ou s’il n’y a aucune fraude alléguée.
    Ce sont des améliorations positives, mais je ne crois toujours pas que nous allons assister à un partage significatif.

[Français]

    Certains clients de nos banques à charte canadiennes investissent dans des filiales de ces dernières qui sont établies dans des paradis fiscaux reconnus. Que pensez-vous du rôle de ces banques?

[Traduction]

    Pourriez-vous donner votre réponse très rapidement, s'il vous plaît?
    Selon mon expérience, les filiales des banques canadiennes sont très prudentes. On se souvient de l'affaire de la Banque de Nouvelle-Écosse qui a eu lieu il y a de nombreuses années. Elle avait subi une enquête approfondie. Je connais des gens qui se tiennent loin des banques canadiennes lorsqu'ils veulent déposer leur argent. Aux îles Caïmans, il y a 500 autres banques. Iriez-vous vers l'une des trois ou quatre banques qui sont de propriété canadienne?
    Sur ce plan, ça a été efficace.
    La parole est à Mme Block, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous souhaite également la bienvenue et comme mes collègues, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
    Mes questions et mes observations s'adressent à M. Cockfield.
    Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que le Canada participe à un certain nombre d'organismes internationaux afin de lutter contre l'évitement fiscal et l'évasion fiscale. Vous avez mentionné l'OCDE, le Centre d'information conjoint sur les abris fiscaux internationaux, le Groupe des sept pays sur les paradis fiscaux et la Pacific Association of Tax Administrators.
    Vous avez ensuite déclaré que toute réforme d'envergure exigerait une plus forte coopération à l'échelle internationale. Je me demandais si vous estimez qu'il est important que le Canada participe à ces partenariats internationaux. Le cas échéant, pourriez-vous expliquer pourquoi?
(0950)
    Je suis convaincu qu'il est important que nous poursuivions notre participation. En fait, le Canada joue un rôle important au sein de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, qui est le principal organisme international en matière de réforme fiscale à l'échelle internationale. C'est cet organisme qui, en 1996, a commencé à s'attaquer à l'évitement fiscal agressif des multinationales grâce à son initiative concernant les pratiques fiscales dommageables. Il a également attiré l'attention sur l'évasion fiscale à l'échelle internationale.
    Nous devons poursuivre notre participation, mais l'OCDE ne compte que 30 pays membres. On la définit parfois comme un club de pays riches. Les Bahamas, la Barbade ainsi que d'autres pays sont très critiques envers l'OCDE parce qu'elle ignore leurs intérêts. Bien entendu, tous les pays non membres de l'OCDE n'y jouent pas un rôle officiel. De plus en plus, l'OCDE leur confère un statut d'observateur afin qu'ils puissent au moins surveiller quelques-uns de ces efforts de réforme internationale et en discuter.
    Oui, nous devons continuer à être actifs sur la scène internationale, mais étant donné leur économie politique, certains pays ont toujours hésité à unir leurs systèmes fiscaux. Nous voulons tous conserver le droit de lever les taxes que nous souhaitons, contrairement aux lois commerciales et à d'autres domaines que j'ai mentionnés. C'est l'obstacle principal. D'un côté, nous réalisons que nous avons besoin d'une plus grande coopération internationale, mais de l'autre, les États-Unis, ainsi que d'autres pays préfèrent parfois une approche en solo qui limite notre capacité de régler ce problème d'une manière multilatérale.
    Le Canada est un des 95 pays qui se sont entendus sur des normes internationales relatives à l'échange de renseignements, ce qui comprend l'accès aux renseignements bancaires. Nous disposons également d'un réseau complet de traités fiscaux. Je pense qu'il s'agit d'un des réseaux les plus importants avec 87 traités en vigueur.
    Lorsque vous avez répondu à la question de mon collègue, qui voulait en savoir plus sur l'efficacité des accords d'échange de renseignements à des fins fiscales, vous avez parlé du traité fiscal avec la Barbade. Pourriez-vous nous dire quelle est la différence entre un traité fiscal et un accord d'échange de renseignements à des fins fiscales?
    Une convention fiscale est une véritable entente bilatérale qui régit tous les versements interfrontaliers effectués au titre de l’impôt sur le revenu. Elle ne touche généralement pas les taxes à la consommation, comme la TPS. Elle procure un allégement fiscal pour certaines choses. Normalement, si vous dirigez une multinationale canadienne et que vous ouvrez une société à la Barbade, grâce à la convention fiscale, vous pourriez rapporter au Canada tous les profits générés par l’entité barbadienne sans devoir payer d’impôt. La convention fiscale prévoit donc des avantages réciproques, toute une gamme d’avantages fiscaux.
    Les AERF sont des accords de durée beaucoup plus courte qui mettent l’accent sur un seul élément, c’est-à-dire l’échange de renseignements sur les contribuables. Comme je l’ai mentionné, nous avons conclu 87 conventions fiscales bilatérales. Ces conventions existent, je suppose, depuis la Première Guerre mondiale. Mais les AERF sont nouveaux. À l’heure actuelle, aucun n’est en vigueur. Et je le répète, ils ne portent que sur l’échange de renseignements sur les contribuables.
    C’est l’une des raisons pour lesquelles certains observateurs sont sceptiques à l’égard de leur ultime valeur pratique, parce que, si vous n’offrez aucun avantage, aucun allégement fiscal, pourquoi les autres pays devraient-ils coopérer? Ils peuvent signer l’accord. Nous les y obligeons — l’OCDE, le G-20. Nous les mettons sur une liste noire s’ils ne signent pas. Alors, ils ont tous accepté de signer l’accord, mais nous ne savons pas s’ils vont le respecter. Ils n’ont vraiment aucun intérêt à le mettre en oeuvre. Nous ne leur donnons rien, contrairement aux allégements fiscaux et aux droits que nous donnons aux Barbadiens dans le cadre de la convention fiscale. De façon générale, la convention fiscale favorise l’investissement réel par l’entremise de sociétés multinationales. Le champ d’application des AERF est donc très étroit.
(0955)
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Pacetti.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à tous les témoins. Notre groupe d’experts est intéressant.
    Monsieur Cockfield, si je me rappelle bien, vous avez dit dans votre déclaration préliminaire être favorable à ce que le Canada signe des accords avec les pays membres de l’OCDE.
    Eh bien, nous avons déjà des accords avec tous les pays de l’OCDE.
    Et vous pensez que c’est une bonne chose. N’est-ce pas?
    Tout à fait.
    Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, mais je dis simplement que ce n’est d’aucune aide pour attraper les fraudeurs fiscaux parce que, si j’essaie de cacher de l’argent à l’étranger, je n’irai pas dans un pays membre de l’OCDE. Je n’irai pas placer mon argent en Allemagne ni aux États-Unis.
    D’accord. Ce que j’ai voulu dire c’est que, si ces pays — c’est là où se trouvent tous les fraudeurs fiscaux — acceptaient de conclure une convention multilatérale, ils pourraient mettre en place un système. Reuven Avi-Yonah, un universitaire américain, a écrit beaucoup de choses à ce sujet: vous imposeriez une retenue d’impôt sur tout paiement effectué à l’extérieur de ce groupe, et cela pourrait y mettre fin.
    Tout l’argent vient des pays membres de l’OCDE et, vous avez tout à fait raison, ces pays développés...
    Alors comment feriez-vous pour imposer l’argent qui quitte le pays? Pourquoi ne pourriez-vous pas le faire maintenant, même si tous les pays de l’OCDE n’étaient pas de la partie? Pourquoi ne pourriez-vous pas le faire unilatéralement?
    Nous essayons de le faire. Nos lois autorisent l’imposition de ces fonds. Le problème, c’est que personne ne les déclare.
    Même si vous aviez un accord, que ce soit avec cinq autres pays ou avec 37 autres pays légitimes qui assurent en fait une imposition adéquate des transactions, je ne sais pas comment vous feriez pour surveiller tout cela.
    Je comprends ce que vous dites, je ne suis tout simplement pas certain de la façon dont cela pourrait...
    Je suis d’accord. En gros, ce que vous cherchez à dire, c’est qu’il y aura toujours des gens qui échapperont au système. Je dis qu’il pourrait y avoir une plus grande coopération multilatérale, mais il y aura toujours des pertes fiscales.
    Dans d’autres situations semblables, nous sévissons contre les paradis fiscaux, et certains d’entre eux acceptent de coopérer alors que d’autres refusent. À la suite d’un examen, l’OCDE a constaté que certains pays ne respectaient pas adéquatement les AERF. Tant que tous les pays ne coopéreront pas — c’est ce que vous cherchez à dire, je crois —, des gens continueront d’échapper au système.
    Il existe peut-être des moyens d’atténuer le problème, mais je ne pense pas qu’on puisse un jour le résoudre complètement.
    Nous avons un peu de temps. Vous pourriez peut-être nous en dire plus sur l’amnistie. J’aimerais bien savoir ce que vous en pensez tous les deux, monsieur Cockfield et monsieur Rosen.
    Il y a deux problèmes: un problème à court terme, qui touche l’argent qui se trouve là-bas en ce moment, et un problème à long terme, qui touche les mesures à prendre pour éviter que cela ne se reproduise.
    La question de l’amnistie constitue le problème à court terme. Vous nous avez tous les deux fourni des commentaires contradictoires. Vous n’y êtes pas favorables, mais vous dites que c’est peut-être la meilleure chose à faire parce que nos autorités ne s’attaquent pas nécessairement aux fraudeurs fiscaux. Vous dites qu’elles n’ont ni l’énergie, ni l’argent, ni les ressources pour le faire.
    À court terme, l’amnistie serait-elle la solution à privilégier? Personne, à mon avis, ne remet en cause le fait que ces gens devraient s’en sortir en toute impunité, mais dans d’autres domaines de compétence, cela a fonctionné.
    Les sanctions sont peut-être un peu trop extrêmes, et elles n’encouragent pas les gens à revenir mais, à court terme, ne voudriez-vous pas revoir un peu de cet argent?
    Vous devriez peut-être essayer de mettre vos sentiments de côté quand vous dites que nous ne nous attaquons pas à ces fraudeurs ou qu’il n’est pas nécessaire de leur donner un laissez-passer. Nous devons trouver un moyen de récupérer une partie de cet argent à court terme et puis mettre en place un autre mécanisme qui permettrait d’empêcher que cela ne se reproduise.
    Oui, mais c’est une question de coûts et d’avantages. C’est un problème à long terme, comme vous l’avez mentionné.
    Je le répète, je vois l’amnistie comme la solution de la facilité, une solution dont on est fatigué d’entendre parler dans le milieu politique canadien parce qu’elle ne permet pas de régler le problème.
    Si nous prenons l’argent dont nous disposons, quel qu’en soit le montant, et que nous le plaçons, par exemple, dans...
    Il n’y a pas de « si ». Ce que je veux savoir, c’est si nous voulons le faire. C’est vous le spécialiste.
    Je dis que nous devons absolument le faire. Il faut aller vers ce qui incite les gens, en fait, à récupérer cet argent — surtout au-delà du Code criminel —; je préférerais que nous allions dans cette direction, plutôt que d’opter pour une mesure de recouvrement temporaire.
    Comme tout le monde le sait ici, l’argent n’est pas facile à obtenir. Investissons-le dans ce qui permettra le mieux à décourager les gens relativement à ces scandales boursiers.
(1000)
    Vous dites qu’il n’est pas facile d’obtenir de l’argent pour appliquer la loi.
    Tout à fait.
    Alors ne seriez-vous pas favorable à ce qu’on ait recours à l’amnistie immédiatement, et puis finalement...
    Financer vos mesures à long terme au moyen de la solution de la facilité? Ce n’est pas une mauvaise idée, mais combien allez-vous réussir à récupérer?
    C’est ce que je vous demande.
    Écoutez, presque tous les jours, je vois des escroqueries bancaires qui ne font l’objet d’aucune enquête. Quel est donc notre problème pour que nous...
    En tant que contribuable, cela ne vous dérange pas? En tant que comptable, je vois aussi ce genre de choses, et cela me dérange. Mais j’ai l’impression que, pour certains de ces fraudeurs, un peu d’encouragement les ramènerait sur le droit chemin. C’est ce que je vois.
    Veuillez conclure, monsieur Rosen.
    J’ai participé à des poursuites qui ont donné de bons résultats. Je sais qu’il faut déployer beaucoup d’efforts pour y arriver. Je sais que dans d’autres cas un peu partout, il n’y a pas eu de condamnation. On n’a qu’à regarder l’Équipe intégrée de la police des marchés financiers et tout l’argent qui y a été consacré. Je préférerais que nous nous concentrions sur quelques affaires très médiatisées pour montrer clairement au reste du monde que le Canada prend les choses au sérieux.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Hiebert.
    Il y a beaucoup de questions aujourd’hui. Je vous demanderais de répondre le plus brièvement possible.
    Monsieur Rosen, dans le document que vous nous avez fourni, vous dites que, après les événements du 11 septembre, les États-Unis ont limité les versements de fonds aux terroristes et resserré certaines opérations. Puis, vous dites: « Toutefois, si le soi-disant " nettoyage " devient trop rigoureux, il peut y avoir des conséquences multiples. Certaines îles qui ont de nombreux mérites pourraient être acculées à la faillite et à la pauvreté. La mesure dans laquelle la réforme devrait ou peut être logiquement poursuivie est une question fondamentale. »
    Pourriez-vous nous expliquer cela? Vous dites que, si les mesures prises par le Canada, les États-Unis ou un autre pays pour resserrer ces opérations vont trop loin, certaines îles qui sont des paradis fiscaux vont perdre une partie tellement grande de leurs revenus qu’elles vont faire faillite?
    Permettez-moi de me rendre très impopulaire. Ce que je vois à l’occasion, c’est que les gouvernements veulent que de l’argent soit versé à d’autres pays, et c’est la raison pour laquelle ils ont des causes, des programmes, et j’en passe. Je pense que, si vous allez jusqu’à empêcher un gouvernement d’avoir une caisse noire dont les fonds, de l’avis de la plupart d’entre nous, devraient être dépensés, alors vous êtes allés trop loin.
    Pourquoi prétendons-nous que les pays étrangers sont utilisés par tout le monde sauf par les gouvernements, les organisations caritatives et les mécènes? Ils sont bel et bien utilisés à ces fins, et si c’est pour protéger la démocratie, cela me convient. La ligne de démarcation est mince, mais, à mon avis, il serait très naïf de notre part d’essayer de prétendre que ce phénomène n’existe pas dans le monde.
    Cela fait donc partie de votre liste de motifs, légitimes ou non, qui sont invoqués pour recourir aux paradis fiscaux à l’étranger?
    Oui.
    Elle comprend l’appui de la démocratie à l’aide de fonds spéciaux, par exemple. Est-ce bien ce dont vous parlez?
    C’est malheureusement la façon dont le monde fonctionne, et je ne sais pas comment il pourrait faire autrement. Si je le savais, je proposerais une solution, mais nous ne pouvons pas prétendre que cela n’existe pas.
    Alors, essentiellement, vous dites qu’il y a une limite à l’ampleur que cette surveillance devrait prendre; sinon, nous compromettons des fins légitimes mais des méthodes illégitimes.
    C’est aux parlementaires d’essayer de retrouver les fonds qui sortent du pays. C’est à eux de décider jusqu’où ils iront; c’est un choix personnel et un choix de parti.
(1005)
    Vous avez fait quelques commentaires très catégoriques dans votre déclaration préliminaire ainsi que dans le document que vous nous avez fourni à propos des Normes internationales d’information financière, les IFRS. Vous avez dit que leurs fondements vont ouvrir la voie à plusieurs « machinations frauduleuses ayant été précédemment bloquées et qui sont pires que l’évasion fiscale ».
    Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
    Je ne vois pas l’utilité que nous parlions de la protection des aînés partout au Canada — et je ne parle pas seulement du gouvernement fédéral. Il y a ce rapport publié récemment qui recommande, entre autres, qu’on informe mieux la population.
    Si nous voulons sérieusement protéger les pensions, et tout le monde s’entend pour dire que c’est important, pourquoi ne pas nous y mettre et prendre les mesures nécessaires pour empêcher cette déréglementation?
    Les IFRS constituent une importante forme de déréglementation. Elles mettent tout le pouvoir entre les mains des dirigeants d’entreprise. J’ai essayé d’organiser des cours à l’intention des directeurs notamment, mais je n’ai pas obtenu beaucoup de succès. Les vérificateurs sont protégés par une décision de la Cour suprême du Canada. Personne ne surveille les IFRS ni le contrôle exercé par les dirigeants.
    Nous produisons des listes pour nos clients pour leur dire: « Voici comment il est possible de manipuler les écritures au titre des IFRS, alors qu’il n’était pas possible de le faire avant selon les principes comptables généralement reconnus au Canada. » J’ai envoyé des lettres partout au pays.
    Alors vous dites que vous êtes davantage préoccupés par les retraités et les détenteurs de placements et de fonds mutuels, etc., parce que les dirigeants d’entreprise vont utiliser cette nouvelle liberté pour escroquer leurs actionnaires, et cela serait bien pire que les paradis fiscaux dont nous discutons?
    Oui, parce que les sommes sont monstrueuses. Je ne joue pas aux devinettes. Nous avions prédit des années d’avance ce qui allait se passer du côté de Nortel. Il s’agissait de milliards de dollars. Même chose pour les fiducies de revenu d’entreprise. La liste des problèmes que nous avons soulevés est longue. J’ai remis des dossiers à l’EIPMF et à d’autres personnes en disant: « Ces données sont ridicules, il faut faire enquête là-dessus. » Nous manquons de gens compétents, d’argent, etc.
    À mon avis, le problème s’intensifie. C’est insensé de dire aux gens que nous allons protéger leurs pensions alors qu’essentiellement, nous ne faisons rien pour voir à ce que cette protection existe.
    Merci.
    Nous passons à M. Szabo.
    L’économie souterraine cause également des ennuis. D’après ce qu’on en sait, le problème est beaucoup plus circonscrit. N’empêche, nous ne semblons même pas avoir de stratégie qui vaille pour enrayer l’économie souterraine. Le problème est peut-être un peu moins complexe simplement parce qu'il sévit à l’intérieur des frontières et parce que l’inventivité ou l’intrigue internationale ne figurent pas au centre des préoccupations.
    Savez-vous s’il existe une stratégie en vue d’enrayer l’économie souterraine à proprement parler? Serait-il raisonnable pour nous d’étudier les principes qui sous-tendent cette stratégie?
    Vous posez là une question très épineuse. Je pense que la TPS est une des mesures qui a facilité les choses au cours des dernières décennies. Les spécialistes des impôts sont en faveur des TVA, de la TPS et des taxes de consommation internationales notamment parce qu’elles favorisent la conformité. Les gens doivent soumettre leur déclaration pour obtenir leur remboursement. Certaines données empiriques indiquent que ces mesures ont contribué à réduire la taille de l’économie souterraine. C’est cependant très difficile.
    Si je ne m’abuse, l’économie souterraine du Canada se compare favorablement à celles qui existent ailleurs, certainement dans les pays qui ne font pas partie de l’OCDE, par exemple. Notre gouvernement n’est pas corrompu. Les sondages indiquent que le moral des contribuables est bon, en partie parce que la majorité des contribuables font confiance au système. La plupart d’entre nous payons et avons confiance. C’est une des raisons pour lesquelles cette audience est si importante; vous encouragez les gens à faire davantage confiance au système, pour éviter qu’ils ne se tournent vers l’économie souterraine.
    Monsieur Rosen, souhaitez-vous ajouter quelque chose? Vous n’êtes pas obligé.
    Il y a de nombreux moyens assez faciles de le faire. Vous pouvez simplement vous asseoir dans un restaurant, observer la caisse et constater combien d’argent est empoché plutôt qu’encaissé. Il y a des dizaines et des dizaines de façons.
    Tout se fait clandestinement.
(1010)
    L’Agence du revenu du Canada a recours à ces méthodes de temps à autre, mais je ne sais pas dans quelle mesure. Ce que j’essaie de dire, c’est que nous négligeons de sévir dans bien des situations.
    C’est bien beau de dire que nous sommes de bons petits scouts mais, par rapport à la taille de la population, les pourcentages observés du côté des flux financiers ne sont pas beaucoup plus élevés. À mon avis, ces données sont trompeuses. Je pense que la situation n’est pas plus rose ici qu’ailleurs, parce qu’il y a des avocats, des comptables et des consultants — de vrais batailleurs — à l’oeuvre. Ils connaissent des moyens. Ils trouveront tous des moyens. Ils auront tôt fait de damer le pion à quiconque. Peu importe le contexte, ils auront toujours une longueur d’avance.
    En réalité, il faut se demander s’il ne conviendrait pas d’adopter une approche pluridimensionnelle. Que fait la profession comptable? Quelles sont ses responsabilités? Et qu’en est-il des avocats, des fiscalistes et des consultants? Il y a tant de personnes en cause. Un particulier n’est pas à même d’engendrer un paradis fiscal. Ces choses ne se font pas par une seule personne. Il doit y avoir un effet d’entraînement. Des liens doivent se créer.
    Je pense qu’il faut être naïf pour croire que ces personnes sont intouchables. Les questions de confidentialité et de protection des renseignements personnels nous compliquent la tâche, mais il faut commencer quelque part, et l’effet d’entraînement et l’effet domino doivent s’ensuivre. Personne ne semble avoir la motivation nécessaire pour réellement s’attaquer à ce problème.
    Je suis entièrement d'accord avec vous. On peut s'attaquer à ces questions de différentes façons. Souvent, au tribunal, je me dis: « Ça alors! Je n'ai jamais vu pareil truc. Je me demande bien qui a pu les orienter dans leurs démarches. » L'idée ne vient certainement pas des clients. Il faut s'intéresser à ces questions.
    Votre réputation n'est plus à faire dans le domaine de l'analyse judiciaire et de la comptabilité; j'ai d'ailleurs été un de vos étudiants.
    On m'accuse maintenant d'avoir produit un manuel pour les escrocs.
    Et voilà.
    Mais vous savez quoi? Plus il y aura de gens au courant... Tout à coup, les gens vont s'essayer, mais ils n'auront jamais le doigté nécessaire pour parvenir à leurs fins et se feront prendre.
    Il vous reste 30 secondes.
    Revenons-en aux approches génériques. Quel équilibre faut-il créer entre la dissuasion et l'amnistie, ou l'idée voulant qu'il soit préférable de réintégrer ces personnes au système? Jusqu'où faut-il aller en matière de dissuasion? Où se situe l'équilibre?
    À ma connaissance, personne n'a jamais été reconnu coupable d'une infraction criminelle au Canada pour s'être livré à de l'évasion fiscale internationale, du moins au cours des 10 dernières années. À l'inverse, même si les cas sont peu nombreux, les Américains ont condamné certaines personnes. Ces cas ont été publicisés, montrés en exemple. Le Sénat des États-Unis nomme toutes les personnes dans le rapport. Ces mesures parviennent à dissuader les gens.
    Lorsqu'on s'entretient avec des procureurs de la Couronne au Canada ou avec des gens qui travaillent pour le ministère de la Justice et qui envisagent de telles poursuites, ceux-ci disent ne jamais mettre ces plans à exécution. C'est si difficile de faire reconnaître ces personnes coupables, à cause de l'élément d'intention coupable. Il faut prouver hors de tout doute raisonnable que le contribuable avait une intention coupable. Même si elles ne s'acharnaient pas à éviter de payer des impôts en profitant de la zone grise des lois fiscales, ces personnes essaient malgré tout de soutirer des impôts au gouvernement.
    Le ministère public aurait tout avantage à identifier une cause particulière où la personne se livre manifestement à de l'évasion fiscale. Il y aurait alors des preuves de cette intention coupable et on ferait un bouc émissaire de cette personne. Ce genre de mesure, assortie d'une amnistie temporaire, ferait un beau mélange.
    Merci.
    Monsieur Rosen, je crois que vous étiez en train de rédiger une note.
    Non. Je suis essentiellement d'accord avec ce qu'il vient de dire.
    Merci.
    Une voix: C'était pour lui rappeler d'acheter du lait en rentrant.
    Non. C'est pour faire comprendre aux membres partout au Canada qu'ils doivent faire quelque chose à propos des normes internationales d'information financière.
    Merci.
    Madame McLeod, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Une chose est sûre: cette discussion est fascinante. Nous sommes sortis des sentiers battus aujourd'hui.
    D'abord et avant tout, je dois formuler quelques observations. Je sais que M. Rosen vit dans ce monde obscur sur lequel règne la fraude, mais 95 p. 100 de nos contribuables sont honnêtes. Or, en dépit de...
    Vous dites 95 p. 100. Êtes-vous en mesure de le prouver?
    L'autre chose qui m'a réellement fascinée est la suivante. M. Allen dit que certaines personnes sont la proie de criminels en cravate. On nous a dit que les gens trouvaient notre système et nos conséquences risibles. Hier, nous étions appelés à voter et, grâce au Bloc, nos démarches et nos objectifs ont bénéficié d'un certain appui, pour ce qui est des conséquences que doivent subir les criminels en cravate. J'ose espérer que certains membres de l'opposition ont écouté ce que vous avez dit aujourd'hui; il y a des victimes et il doit y avoir des conséquences. C'est un principe très important qu'il faut retirer des délibérations d'aujourd'hui.
    Je me dirige vers une question. Nous nous sommes essentiellement concentrés sur les problèmes flagrants. Des témoins entendus précédemment nous ont dit que certaines choses avaient été accomplies. Nous sommes maintenant en position de nous attaquer avec beaucoup plus de vigueur à ces problèmes flagrants. La structure est en voie de s'installer, ce qui nous permettra de passer à l'action.
    Monsieur Rosen, j'apprécie beaucoup vos commentaires sur l'importance de regarder en amont, comme quoi nous devons aussi nous attarder à la source.
    Avez-vous bien dit qu'on trouve partout au pays des avocats qui aident les gens à ourdir des machinations en vue de perpétrer des fraudes fiscales? Ai-je bien compris?
(1015)
    Il y a des avocats qui sont en effet très utiles. Est-ce qu'ils affichent carrément ce genre de service? Dans une certaine mesure, oui. Je n'ai pas vraiment fait une étude de la question, mais il ne s'agit pas seulement des avocats, il y a aussi les comptables.
    Que devrions-nous faire sur ce plan-là?
    Je l'ai déjà dit deux ou trois fois: avoir des organismes d'autoréglementation. Ça ne fonctionne pas au Canada. Et pourtant, c'est la meilleure solution, et on a des preuves à l'appui… Si l'organisation exerce suffisamment de discipline sur ses comptables, par exemple, ou sur le fonctionnement de ses fonds mutuels, ça donne des résultats. Ils sont publiés, et on peut voir que les amendes, par exemple, sont phénoménales. Il faut donc prendre le taureau par les cornes et se doter de groupes qui exercent une vraie surveillance.
    Les groupes de surveillance qui existent actuellement au Canada ont été mis sur pied par les organismes d'autoréglementation. Combien de fois leur ai-je dit: « Je ne suis pas stupide, je sais parfaitement pourquoi vous avez choisi untel et untel pour siéger au comité de surveillance. » Par conséquent, sur ce plan-là, même si les gens rechignent à l'idée d'avoir plus de gouvernement, il en faut davantage dans certains cas, notamment dans le domaine des valeurs mobilières et surtout… On n'avait pas besoin des IFRS au Canada, et la seule raison pour laquelle on les a aujourd'hui, c'est que personne n'a rien dit, et qu'on a laissé l'organisme d'autoréglementation faire ce qu'il voulait. C'est complètement absurde. Je ne sais pas ce que je peux vous dire d'autre.
    Il faut donc que le gouvernement intervienne, dans certains cas. Je ne dis pas qu'il doit se créer un vaste empire, mais il faut que nous ayons, surtout en raison de notre proximité des États-Unis, un certain degré de réglementation, plutôt que d'avoir un système complètement déréglementé.
     Puis-je répondre moi aussi?
    J'aimerais en quelques mots me porter à la défense des IFRS. J'ai été avocat en valeurs mobilières à Toronto, et, que je sache, l'objectif principal était d'accroître l'efficacité du marché financier. Quand je préparais un prospectus ou une notice d'offre, je devais, en tant qu'avocat en valeurs mobilières, me conformer aux PGA canadiens — j'ai aussi une formation de comptable —, mais il fallait aussi que je prépare un autre document ou que je demande à un conseiller à New York de le faire, afin de me conformer aux PGA américains. L'idée c'est que, si nous appliquons tous les mêmes règles, il sera plus facile aux Canadiens d'investir aux États-Unis. Mais…
    C'est absurde.
    À l'ordre, s'il vous plaît.
    C'était l'argument principal de ceux qui ont mis en place le système, mais nous voyons maintenant qu'il y a des problèmes.
    Le gouvernement pourrait faire davantage. Dans son budget de l'an dernier, il a mis en place un système de déclaration plus rigoureux pour ceux qui font la promotion de services en droit fiscal international, et je pense que c'était une mesure importante.
    A la fin des années 1990, il y a eu toutes sortes de scandales. La société KPMG s'est vu imposer une lourde amende parce qu'elle proposait, par exemple, au directeur financier d'une multinationale de profiter de son abri fiscal à l'étranger afin d'économiser 500 millions de dollars d'impôt l'année suivante, moyennant 30 p. 100 de commission. On a alors assisté à une prolifération de ce genre de stratagème, qui est de l'évitement fiscal et pas de l'évasion fiscale, étant donné que les gens essayent de réduire leurs impôts tout en respectant les règles.
    Aujourd'hui, on oblige ceux qui proposent de tels services à le déclarer. Je pense sincèrement que la profession de comptable devrait être mieux réglementée, mais pour ce qui est des avocats, c'est une autre question. Je suis membre de la Law Society of Upper Canada, et je peux vous dire que nous n'aimons pas que le gouvernement s'immisce dans nos affaires. Nous ne voulons pas que le gouvernement nous oblige, par exemple, à divulguer des renseignements confidentiels sur nos clients. Par contre, pour les comptables, je pense qu'il faut exiger davantage de divulgation.
    Merci.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Allen.
    Merci, monsieur le président.
    Ça me fascine toujours lorsque j'entends les avocats refuser de divulguer des renseignements qu'ils possèdent. C'est peut-être légal, sous le couvert du secret professionnel, mais c'est un tout autre débat.
    Monsieur Cockfield, je m'intéresse à la question de l'harmonisation des règlements avec les États-Unis, pour faciliter… Vous en avez donné un exemple. Je reconnais que le gouvernement a eu raison de vanter l'efficacité de notre dispositif réglementaire dans le secteur bancaire, car cela nous a mis à l'abri de la crise qui s'est produite aux États-Unis. D'un autre côté, s'il faut harmoniser nos règlements avec les États-Unis, je crois qu'il vaudrait mieux que ce soit les États-Unis qui s'alignent sur les nôtres.
    J'en arrive à ma question. Depuis trois ans, nous vendions — pas vous ni moi, monsieur Cockfield —, mais tous ces gens-là vendaient de la poudre de perlimpinpin. Qu'on appelle ça des produits dérivés ou du papier commercial adossé à des actifs, peu importe, c'est fascinant de voir toutes ces sommes d'argent qui ont été placées dans des comptes à l'étranger. Je suppose qu'il y en a eu pas mal.
    Si nous renonçons à notre pouvoir de surveillance, en ce sens que nous le déléguons à quelqu'un d'autre qui n'a pas — c'est le moins que l'on puisse dire — vraiment fait ses preuves… Je n'étais pas là dans les années 1930, et je ne sais donc pas vraiment ce qui s'est passé — sauf ce que je peux lire là-dessus —, mais j'ai vu ce qui s'est passé pendant les 10 dernières années et les effets catastrophiques que cela a eus non seulement sur le marché américain, les consommateurs américains et les travailleurs américains, mais dans le monde entier. Certes, nous nous en sommes un peu mieux tirés que d'autres. Tout ce que je sais, et je ne suis pas expert en la matière — je ne suis ni comptable ni avocat fiscal —, c'est que dans tous ces pays, y compris en Grande-Bretagne, car j'ai grandi à Glasgow, en Écosse, ils ont déréglementé ou autoréglementé les marchés en nous disant « faites-nous confiance ».
    Ma grand-mère disait toujours, si tu as 5 cents — ou plutôt 5 pence, dans son cas —, et que tu ne connais pas celui qui te les réclame, est-ce que tu lui fais confiance ou est-ce que tu gardes tes 5 pence dans ta poche? Étant donné ce qui s'est passé récemment, cette catastrophe qui a failli provoquer un effondrement complet du système financier de la planète et qui a été provoquée par des gens qui s'autoréglementaient, je me demande vraiment pourquoi on devrait leur faire confiance.
(1020)
    Tous vos arguments sont pleins de bon sens. S'agissant du secteur bancaire, vous avez raison de dire que nous ne devrions pas nous aligner sur les réformes américaines. C'est parce qu'ils se sont débarrassé du Glass-Steagall Act qu'ils ont des problèmes. Ils avaient jadis un secteur réglementé, ils l'ont déréglementé, et c'est ce qui nous cause tous ces problèmes.
    Cela dit, en ce qui concerne la comptabilité, l'évasion fiscale, la divulgation des états financiers, etc., les Américains ont vraiment pris le taureau par les cornes. Après les scandales Enron et WorldCom, et toutes sortes d'autres affaires impliquant des comptables et des revenus dissimulés, ils ont déposé la loi fédérale Sarbanes-Oxley, sur laquelle, par la suite, nous nous sommes alignés. On lui donne d'ailleurs parfois le surnom de SOX aux États-Unis et de SOX Can chez nous. Nous réglementons donc davantage nos comptables, depuis les initiatives américaines.
    Il peut donc y avoir des cas où nous devrions leur emboîter le pas, mais dans d'autres, je suis tout à fait d'accord avec vous. En l'occurrence, en ce qui concerne le secteur bancaire, nous ne devrions pas nous aligner sur les réformes américaines.
    Monsieur Rosen, avez-vous quelque chose à dire?
    Le système bancaire américain est complètement différent. J'ai fait mes études universitaires aux États-Unis et j'ai eu l'occasion de rédiger des rapports là-dessus. Vous ne pouvez pas comparer la demi-douzaine de grandes banques qui existent au Canada aux milliers, et je dis bien milliers, de banques américaines qui sont réglementées par les États. Il était donc plus facile de réglementer les banques au Canada.
    Par ailleurs, j'occupe un bureau au même étage que le BSIF, à Toronto, et je ne voudrais pas me faire d'autres ennemis dans l'ascenseur…
    Des voix: Oh, oh!
    M. Lawrence S. Rosen:… mais je le maintiens.
    Il est vrai, et c'est à cela que vous voulez en venir, qu'on ne peut guère déréglementer la profession de comptable quand le reste du monde — fort malheureusement — prend la direction inverse. Je suis membre de toutes les grandes associations de comptables, et je les agace toutes avec ça en ce moment. Elles ont accepté ces conventions internationales et la déréglementation sans en comprendre toutes les échappatoires. C'est absolument incroyable. Il est parfaitement utopique de s'imaginer qu'on peut avoir un système unique dans le monde entier. On ne peut même pas le faire pour trois entreprises au Canada.
    Si vous voulez poser une question, soyez très bref.
    À mon avis, nous sommes à la croisée des chemins: soit nous estimons qu'il faut réglementer ces marchés, soit nous pensons qu'ils sont capables de le faire eux-mêmes.
    Pensez-vous vous aussi que nous soyons à la croisée des chemins?
(1025)
    Il est on ne peut plus évident que les scandales de Nortel et des fiducies de revenus d'entreprises ont été une véritable pagaille. Mais nous n'avons pas les preuves pour le démontrer, car ces preuves n'existent pas.
    Monsieur Pacetti.
    Monsieur Rosen, pourriez-vous m'expliquer ce que le fiasco de Nortel a à voir avec les abris fiscaux? Vous en avez parlé à plusieurs reprises, et je me demande quel est le lien avec les abris fiscaux et les comptes bancaires à l'étranger?
    Où pensez-vous que ces gens-là ont placé l'argent qu'ils ont empoché? L'action a grimpé jusqu'à 124 dollars, et ils ont fait toutes sortes de choses — notamment jouer l'action à la baisse. Et c'étaient les dirigeants eux-mêmes, mais je n'en dirai pas plus étant donné qu'il va y avoir un procès. Il y avait donc tous ces stratagèmes. Ils plaçaient leur argent partout. Il y avait aussi les fiducies de revenus d'entreprises. Ils rachetaient des entreprises au bord de la faillite, ou même qui avaient déjà fait faillite, et ils vendaient les actions en disant qu'elles allaient rapporter des revenus futurs, alors qu'elles ne rapportaient aucun revenu. Nortel n'enregistrait aucun profit, en tout cas pas selon un système de comptabilité réglo.
    Ils enregistraient des ventes même avant que cela se produise, à partir...
    Et où est l'argent? Je crois savoir où il y en a une bonne partie, mais ça me prendrait des preuves solides.
    Vous estimez que, si on surveille ces entreprises, il ne faudra pas nécessairement surveiller ou interdire les activités de ceux qui utilisent des abris fiscaux à l'étranger.
    Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'on pouvait probablement réduire de 70 ou 75 p. 100 le nombre d'escroqueries de ce genre au Canada en adoptant simplement quelques mesures législatives qui permettront d'avoir les ressources nécessaires pour faire des enquêtes et intenter des poursuites.
    Suffirait-il que quelqu'un aille voir Nortel pour leur dire qu'ils n'ont pas le droit d'utiliser des comptes bancaires à l'étranger ou de transférer de l'argent d'un compte à l'autre? On nous a dit que les entreprises avaient besoin d'abris fiscaux à l'étranger, et que cela était légitime. Ce sont surtout les entreprises qui nous ont dit ça.
    Je parle de ceux qui jouent sur les actions, touchent des primes, etc. Tout ça c'est public. C'est publié dans le National Post et dans Canadian Business. Nous avons dit: « Regardez ce qu'ils font. Vous ne devriez pas investir dans cette action, car tous les chiffres qu'ils fournissent sont artificiels. » Ça s'adresse aux courtiers, aux conseillers et aux services des valeurs mobilières des banques. On ne s'attaque pas à l'entreprise en tant que telle. Ce sont les administrateurs, les dirigeants et les vérificateurs qui sont visés.
    Monsieur Cockfield, on nous a dit que les abris fiscaux à l'étranger étaient un besoin légitime des entreprises.
    Cela nous ramène à la distinction que je faisais, dans ma déclaration liminaire, entre l'évasion fiscale et l'évitement fiscal. L'évasion est illégale, mais l'évitement est acceptable. Nous sommes dans un pays libre. Nous pouvons placer notre argent où bon nous semble sur la planète, à condition de respecter les lois sur les douanes et de le déclarer à l'ARC.
    Certains pays le font: la France et, tout récemment, les États-Unis ont pris des mesures pour réduire les niches fiscales. Dans son budget de 2007, notre gouvernement a essayé de s'attaquer au fond du problème, à savoir le cumul des déductions, car c'est ce qui représente le manque à gagner le plus important. Quand vous créez une société affiliée, vous faites un emprunt et vous obtenez une déduction ici au Canada, et l'argent revient libre d'impôt. Mais le gouvernement a fait machine arrière, en partie à cause de la recommandation du groupe consultatif.
    L'une des raisons pour lesquelles nous avons entrepris cette étude est que les banques ont des raisons légitimes d'utiliser des abris fiscaux à l'étranger. Je n'en suis pas convaincu, mais supposons que les entreprises aient besoin de ces paradis fiscaux pour faire des affaires. Pourquoi un particulier, lui, en aurait-il besoin?
(1030)
    Les citoyens canadiens et d'autres peuvent avoir légitimement besoin de comptes à l'étranger. Par exemple, si vous avez des activités commerciales dans un grand nombre de pays, ou même des résidences dans plusieurs pays, vous pouvez avoir besoin de comptes bancaires à l'étranger. Mais ce sont sans doute des cas isolés, et vous avez raison de dire que ces comptes servent principalement à éviter de payer des impôts.
    Ces comptes servent aussi parfois à protéger des actifs — pour en revenir à la société d'assurance captive —, mais la protection des actifs est tout à fait légale aussi. Vous ouvrez un compte en fiducie dans un compte à l'étranger, parfois parce que vous voulez dissimuler de l'argent à un conjoint, comme quelqu'un l'a dit tout à l'heure, ou plus souvent pour le dissimuler à des créanciers commerciaux. Je ne pense pas que nous devrions interdire ces comptes. Mais pour ce qui est des stratagèmes d'évitement de l'impôt utilisés par les multinationales, le gouvernement a déjà pris beaucoup d'initiatives au sujet des comptables. Une plus grande divulgation serait certainement souhaitable. On aurait pu éviter le type de fiasco à la Nortel si les entreprises et leurs comptables avaient été obligés de divulguer ce qu'ils faisaient. A ce moment-là, les Canadiens auraient certainement revendu leurs actions de Nortel plus tôt. Pour ce qui est de l'évasion fiscale, je ne pense pas que vous puissiez empêcher les gens de le faire, car nous vivons dans un pays libre, où les gens peuvent investir leur argent où bon leur semble, du moment qu'ils respectent toutes les lois.
    Merci.
    Merci, monsieur Pacetti.
    Monsieur Carrier, s'il vous plaît.

[Français]

    Merci.
    Je partage l'opinion de Mme McLeod, qui parlait plus tôt des victimes. Si nous étudions ce sujet aujourd'hui, c'est parce que nous nous préoccupons de la situation des gens qui doivent assumer un fardeau fiscal supplémentaire du fait que d'autres évitent de payer leurs impôts.
    Monsieur Rosen, vous dites dans votre conclusion qu'il est beaucoup plus censé, en termes de poursuites, de viser les comptes bancaires clairement utilisés en vue de frauder le fisc et de s'empresser ensuite d'intenter des poursuites au criminel. C'est une belle affirmation, mais croyez-vous que le personnel de l'Agence du revenu du Canada soit suffisamment outillé pour le faire? Comment est-il possible d'identifier ces comptes à la source?

[Traduction]

    Nous disons la même chose. J'ai essayé de vous expliquer que dans le cas de certaines transactions, comme dans l'affaire Nortel dont on a parlé tout à l'heure, il faut vraiment se demander où est passé l'argent, car beaucoup de Canadiens ont subi des pertes considérables, dans les milliards de dollars. Si vous examinez attentivement ces transactions, vous vous rendez compte que ces gens-là sont très habiles et qu'ils font transiter l'argent par cinq ou six pays différents avant de le déposer là où les lois ne vous aideront pas à le récupérer.
    Mais il y a d'autres transactions que vous pouvez mettre au jour; nous l'avons déjà fait, et dans certains cas, nous avons transmis les dossiers à la police. Donc c'est possible, à condition de bien cibler ses enquêtes, d'avoir de l'énergie et, surtout, un client qui paie vos services.

[Français]

    Vous me semblez capable d'identifier ces cas directement, mais l'Agence du revenu du Canada a-t-elle les compétences nécessaires pour identifier ces problèmes à la source? Si on pouvait identifier les comptes bancaires qui sont exportés vers l'étranger et analyser cela dès le départ, ce serait idéal.
    Croyez-vous que l'Agence du revenu soit suffisamment outillée pour le faire?

[Traduction]

    Comme je le dis dans le document que je vous ai remis, le cloisonnement me rend fou, avec tous ces paliers de gouvernement au Canada, car on est toujours entre deux chaises. Il faut donc que les différents ministères concernés collaborent entre eux, et cela est tout à fait possible. Je ne vois pas pourquoi, par exemple, pour bon nombre de dossiers dont j'ai eu à traiter, le BSIF ou ses prédécesseurs n'auraient pas pu dire, en ce qui concerne la Banque Northland ou la Banque commerciale canadienne: « C'est un dossier qui sent mauvais, il faut nous en occuper. »
    Si l'ARC définit son rôle de façon trop étroite, on a un problème; mais je pense qu'il faut beaucoup plus de collaboration entre les nombreux comités en place, y compris les comités permanents, pour que les choses se fassent.
(1035)

[Français]

    J'aimerais maintenant parler du rôle de l'OCDE.
    Monsieur Cockfield, la première réforme que vous recommandez consiste notamment à ratifier la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale du Conseil de l'Europe et de l'OCDE. Si je comprends bien, elle a été signée par le Canada en 2004, mais elle n'a pas encore été ratifiée. Vous concluez que cette convention serait importante dans le but d'éviter l'évasion fiscale.

[Traduction]

    Exactement. C'est la seule convention fiscale internationale à laquelle le Canada a adhéré. Pour les gouvernements, c'est seulement en échangeant des informations, de façon efficace, qu'ils pourront régler ce problème.
    Je pense qu'on atténuerait le problème de l'évasion fiscale internationale si on la signait.

[Français]

    De façon générale...
    Il vous reste trente secondes.
    ... l'OCDE établit une liste grise des pays qui ne participent pas à l'échange de renseignements fiscaux.
     Trouvez-vous que ces renseignements compilés par l'OCDE sont importants? Sont-ils considérés par le Canada?

[Traduction]

    Ils sont pris en compte. L'OCDE, en collaboration avec les pays du G20, a récemment mis la liste à jour et a indiqué que tous les pays qui y figurent respectent ces accords, c'est-à-dire qu'ils ont signé les 12 AERF. Reste à voir s'ils vont s'échanger ces renseignements car, comme je l'ai dit, nos AERF ne sont pas encore en vigueur. On espère bien sûr qu'à la suite de ce processus OCDE/G20, les pays signataires s'échangeront davantage de renseignements, mais j'en doute.

[Français]

    Merci.

[Traduction]

    Merci.
    Je vais maintenant donner la parole à M. Wallace.
    Merci, monsieur le président.
    Nous avons une conversation très intéressante ce matin, un peu différente de celles que nous avons eues jusqu'à présent. Tous les témoins qui ont comparu devant notre comité ont bien fait la différence entre l'évasion et l'évitement. J'aimerais prendre un exemple bien simple. Quand on achète un REER, on participe à un système de planification de l'impôt qui représente de l'évitement fiscal. Quand on se prévaut des crédits d'impôt disponibles, que ce soit pour les activités sportives de ses enfants ou autre, on fait de l'évitement fiscal, et je crois que tout le monde comprend ça.
    Mais quand on parle d'évasion fiscale, les gens pensent à autre chose, et à en juger par la conversation que nous avons eue aujourd'hui, j'ai l'impression qu'au lieu d'être plus claire, la question est de plus en plus obscure.
    Monsieur Cockfield, vous enseignez le droit fiscal à l'Université Queen's, n'est-ce pas?
    Oui.
    Donne-t-on des cours d'éthique aux avocats, dans votre faculté?
    Il en existe. Par exemple, cette année, j'enseigne le droit contractuel, et le cours accorde une large place à l'éthique juridique et à la déontologie de la profession. Dans deux ans, le Barreau canadien va exiger que, dès la première année du programme de doctorat en jurisprudence, les étudiants suivent un cours exclusif en éthique juridique.
    Vous avez bien dit que vous aviez été comptable avant de devenir avocat?
    J'ai une formation de comptable, mais je n'ai jamais obtenu la licence. Je n'ai donc jamais fait de stage en entreprise.
    Bien.
    Y avait-il des cours d'éthique pour les comptables?
    Non, j'ai fait mes études à la Richard Ivey School of Business, et à cette époque tout au moins, il n'y en avait pas.
    Il existe un cours, mais je dis simplement que je ne l'ai pas suivi.
    Je vous pose la question parce que nous discutons de la façon dont nous pourrions attraper ceux qui ne respectent pas les règles… Je suis peut-être très naïf, mais il me semble que ce n'est pas à la portée de tout le monde de comprendre comment le système fonctionne et comment on peut faire de l'évasion fiscale. Il faut donc bien que quelqu'un vous montre comment vous y prendre.
    Nous avons parlé de divulgation volontaire, sans paiement d'intérêts, ce qui nous permettrait de récupérer cet argent. Mais nos lois sont-elles suffisamment musclées pour nous permettre de poursuivre ceux qui expliquent aux gens comment enfreindre la loi?
    Je peux vous affirmer qu'en Ontario et dans les autres provinces, il serait contraire aux règles de déontologie de la profession d'encourager les gens à se livrer à ce genre d'activité illégale, de s'en faire complice en quelque sorte. Mais des professionnels véreux, il y en a sûrement.
    Il ne faut pas oublier qu'il y a de plus en plus de sites Web qui vous expliquent exactement comment faire de l'évasion fiscale avec des comptes à l'étranger. Un article indiquait qu'il existe plusieurs milliers de sites Web maintenant sur Internet, du genre « Appelez-moi aux Caymans. Envoyez-moi 150 dollars pour ouvrir un compte, et je vous expliquerai exactement comment faire. »
    Je ne suis pas convaincu que ce soit des Canadiens qui donnent ce genre de conseil. Bien sûr, il y a des professionnels véreux chez nous, mais même si nous arrivons à nous en débarrasser, je ne pense pas que le problème en sera réglé pour autant.
(1040)
    Monsieur Rosen, j'aimerais vous poser une question, et ce sera ma dernière.
    Ce matin, j'ai assisté à une réunion avec des représentants de l'Association canadienne du commerce des valeurs mobilières. Le conférencier qui avait été invité milite ardemment en faveur de la création d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières, car il estime que ça facilitera les poursuites contre les escrocs. Étant donné que nous avons 10 organismes différents de réglementation des valeurs mobilières, il est beaucoup plus difficile d'attraper les contrevenants et de les traîner devant un tribunal. Il disait que la création d'un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières permettrait à notre pays de mieux protéger les investisseurs contre les escrocs.
    D'après votre curriculum vitae et ce que vous avez dit aujourd'hui, je vois que vous avez l'expérience de ce genre de poursuites et que vous avez connu ce genre de difficultés. Pensez-vous que les lois provinciales ne soient pas assez musclées? Si nous optons pour un organisme unique, quels conseils nous donneriez-vous?
    L'OCRCVM a lui aussi des bureaux dans notre immeuble, et nous empruntons les mêmes ascenseurs.
    Je ne suis pas du tout opposé à la création d'un organisme unique. Ce qui me préoccupe, par contre, c'est que ce genre d'organisme s'intéresse très peu aux enquêtes, aux poursuites, etc. C'est pour cela que je veux une séparation entre les deux fonctions. Je ne pense pas que ce que vous décrivez puisse fonctionner.
    En plus, je vous dirai très franchement que les gens qui s'en occupent sont mal choisis.
    Donc, vous voulez deux fonctions séparées.
    Il le faut, parce que lorsque des escrocs se livrent à une arnaque en Colombie-Britannique, ils essaient d'en tirer tout le magot possible, puis ils s'en vont en Alberta pour essayer de faire la même chose, et ainsi de suite.
    Que je sache, il n'existe pas de bases de données au Canada. On n'a même pas de listes des gens qui se livrent à ce genre d'activité. Ce n'est pas un organisme unique qui va pouvoir le faire. On remet toujours ça à plus tard.
    Il faut qu'il y en ait un deuxième, une organisation gouvernementale qui parraine… au moins pour éviter d'avoir encore un autre organisme d'autoréglementation. C'est ça qu'il faut faire.
    Merci.
    Je tiens à remercier les témoins d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.
    Monsieur Rosen, j'ai une question à vous poser. Si vous préférez, vous pourrez nous faire parvenir votre réponse plus tard.
    Vous avez dit que le problème était à la fois l'origine des fonds et leur destination. Quand on parle d'évitement ou d'évasion fiscale, on parle de particuliers, de sociétés ou d'ennemis comme le crime organisé. Je comprends pourquoi ils se livrent à ce genre d'activité, mais je crois que vous avez ajouté que des gouvernements font eux aussi de l'évitement et de l'évasion fiscale, et qu'il serait naïf de ne pas le croire.
    Au risque de vous paraître naïf, je dois vous avouer que je ne comprends pas comment des gouvernements peuvent se livrer à ce genre de choses.
    Ces gouvernements ont des comptes bancaires à l'étranger. J'ai travaillé pendant 15 ans avec trois vérificateurs généraux ici, à Ottawa, et je peux vous dire que, quand on essaie de trouver des renseignements dans le budget, il est pratiquement impossible de savoir où va l'argent. Il est donc très facile pour un gouvernement de détourner une partie de ces fonds dans un compte à l'étranger.
    Ce n'est pas tant l'évasion fiscale que je dénonçais dans ce cas, mais plutôt un problème d'allocation des ressources, qui permet la création de comptes à l'étranger qui peuvent être acceptables selon les normes d'éthique canadiennes.
    C'est donc davantage une question de politique gouvernementale, plutôt qu'une décision d'un gouvernement de se livrer vraiment…
    Oui, et c'est un choix. Reste à savoir si les partis d'opposition sont au courant de la chose. Les choses ont changé.
    Ce que je veux dire, c'est qu'un gouvernement ne peut pas interdire les comptes à l'étranger s'il en possède lui-même.
(1045)
    Bien. Si vous avez d'autres informations à nous faire parvenir, à titre de président, je vous en remercie d'avance.
    Je tiens à vous remercier tous les deux d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Nous avons eu une discussion très intéressante ce matin. Si vous avez d'autres informations à nous communiquer par la suite, n'hésitez pas à les faire parvenir à notre comité, et je m'assurerai qu'elles seront distribuées à tous les membres du comité.
    Merci.
    Monsieur le président, allons-nous en discuter?
    C'est plutôt une demande d'information.
    D'accord. Dans ce cas, puis-je demander aux membres du comité s'ils aimeraient entendre ce que la vérificatrice générale a à dire au sujet de l'évasion fiscale, puisqu'elle en a parlé dans un rapport en 2007?
    Oui, vous pouvez proposer le nom d'un témoin quand vous voulez.
    Une demande verbale suffit-elle?
    Absolument.
    La séance est levée.
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