SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 10 mai 2012
[Enregistrement électronique]
[Français]
À l'ordre, s'il vous plaît. En ce 10 mai 2012, c'est la 37e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Nous continuons notre étude de la situation en Birmanie.
[Traduction]
Nous avons aujourd'hui comme témoin William Davis, directeur du projet Birmanie de Médecins pour les droits de l'homme. Nous entendrons d'abord le témoignage de M. Davis, qui disposera de 10 minutes comme à l'habitude, puis nous passerons aux questions. La durée des interventions sera déterminée par le temps que nous aurons. Je vais tout simplement diviser le temps qu'il nous reste par six, et nous pourrons commencer.
Sur ce, monsieur Davis, je vous invite à prendre la parole.
Monsieur le président Reid et distingués membres du sous-comité, bonjour. Je vous remercie d’avoir invité Médecins pour les droits de l’homme à rendre compte de la situation des droits de la personne en Birmanie. C’est un honneur pour moi de témoigner devant vous aujourd’hui.
J’aimerais vous remettre mon mémoire complet par écrit ainsi que notre rapport sur l’État de Kachin, de même qu'une mise au point préparée par la Kachin Women's Association Thailand sur les violations des droits de la personne dans l'État de Kachin. Je vous demanderais de les verser au dossier.
Médecins pour les droits de l’homme (MDH) est un organisme indépendant sans but lucratif qui fait appel à l’expertise médicale et scientifique pour faire enquête sur les violations des droits de la personne et faire valoir les principes de justice, de reddition des comptes et de santé et dignité pour tous. Nous sommes appuyés par des professionnels de la santé compétents et passionnés et par des citoyens préoccupés.
Je précise que je ne suis pas médecin moi-même. Je suis épidémiologiste et un praticien en santé publique.
Médecins pour les droits de l’homme fait enquête sur les violations des droits de civils, de dissidents, de minorités et de réfugiés birmans depuis 2004. À titre de directeur du projet Birmanie, j’ai fait enquête dans les zones rurales du pays, notamment dans les États de Kachin, de Karen et de Shan, et dans la plupart des pays qui bordent la Birmanie. J’ai rédigé un rapport intitulé Under Siege in Kachin State, Burma, qui rend compte de la situation humanitaire et de la situation des droits de la personne dans ce secteur où le conflit a repris. Je serai heureux de vous faire part de mon expérience aujourd’hui.
La Birmanie a souvent fait la une des journaux dernièrement. Les décideurs politiques comme les médias du monde entier ont largement discuté des changements qui semblent indiquer que la Birmanie passerait du statut d’État paria à celui de pays en route vers une véritable démocratie.
Il est vrai que des changements se sont produits: à Rangoon, par exemple, les gens ont désormais plus de liberté d’expression dans les médias, et les t-shirts et autres babioles représentant la très célèbre Aung San Suu Kyi ne sont plus interdits. La lauréate du prix Nobel de la paix siège même au Parlement, et plusieurs centaines de prisonniers politiques ont été libérés.
Ces changements sont importants, mais le peuple birman souffre toujours des problèmes qui l’affligent depuis des décennies: travail forcé généralisé, attaques contre des civils, utilisation de mines et impunité durable pour ceux qui ont commis d’atroces violations des droits de la personne.
L’armée birmane continue de s’attaquer aux civils dans les zones ethniques, notamment dans l’État de Kachin, où il y aurait environ 70 000 civils déplacés en raison du conflit. Le gouvernement birman a, jusqu’à très récemment, bloqué l’accès des groupes humanitaires à cette population vulnérable, de sorte que les conditions de vie précaires des personnes déplacées se sont détériorées encore plus.
L’Assistance Association for Political Prisoners-Burma — l'association d’aide aux prisonniers, Birmanie — confirme qu’il reste actuellement 471 prisonniers politiques dans les prisons birmanes. L’organisme fait enquête sur 475 autres cas, afin de déterminer s'il s'agit bel et bien d'autres prisonniers politiques.
Les prisonniers de conscience libérés au début de l’année n’ont pas été amnistiés par le gouvernement et ils pourraient donc être renvoyés en prison n’importe quand. Et les arrestations n’ont pas cessé. En mars dernier, on a compté le plus grand nombre d’arrestations en deux ans, dont 43 personnes participant à des projets de développement, qui ont été jetées en prison pour des raisons comme refuser d’exécuter les ordres de relocalisation ou distribuer des t-shirts pour protester contre l’installation d’un gazoduc.
Le gouvernement birman continue de violer les droits de la personne dans d’autres secteurs et il reste dominé par une junte militaire qui n’est assujettie à aucun mécanisme institutionnel permettant de leur demander des comptes et de sanctionner ou empêcher d’autres crimes.
Les minorités ethniques de la Birmanie composent près d’un tiers de la population du pays, et elles continuent d’être les principales cibles des militaires. Les groupes minoritaires ne sont pas vraiment convaincus que la Birmanie a changé, et ils ont de bonnes raisons pour cela. Les minorités ethniques subissent les abus et l’oppression du gouvernement birman depuis plus de 60 ans, et l’on peut comprendre qu’elles hésitent à accueillir les changements annoncés par leur gouvernement. Elles n’ont pas confiance dans le gouvernement et elles n’ont pas, jusqu’ici, bénéficié des changements actuels.
J’ai rencontré des habitants des États de Karen, de Shan, de Môn, de Kachin, de Chin et d’Arakan, ainsi que des Birmans de Birmanie et de la plupart des pays voisins. Tous m’ont dit: « Nous voulons rentrer chez nous, mais nous avons encore peur du gouvernement. »
De fait, au Kachin, je me suis entretenu avec un homme qui avait été contraint de marcher devant des soldats birmans pour libérer le chemin des mines qui s’y trouvaient dissimulées. J’ai interrogé plusieurs autres personnes qui avaient été contraintes de transporter des armes et du matériel pour l’armée birmane.
Ces sévices n’ont rien de nouveau: un grand-père m’a raconté que l’armée birmane avait essayé de noyer sa femme dans un seau d’eau dans les années 1970. L’année dernière, le cessez-le-feu au Kachin a été un échec. Sa femme et lui-même ont fui, déterminés à ne pas revivre cette expérience. Les violences passées et présentes ne présagent rien de bon en termes de réconciliation éventuelle. Un garçon de 15 ans du Kachin, contraint de guider des soldats birmans entre les villages, était effrayé et en colère: il m’a dit qu’il voulait rejoindre un groupe d’insurgés du Kachin pour pouvoir combattre les Birmans.
Dans les mois qui ont suivi mon arrivée au Kachin, j’ai été régulièrement en contact avec des groupes locaux qui surveillent la situation des droits de la personne et les besoins humanitaires. Ils m’ont dit que les violations des droits de la personne se poursuivent et que, à mesure que les cas de civils déplacés se multiplient, l’aide humanitaire internationale est de plus en plus nécessaire.
Avant les élections de 2010 en Birmanie, les programmes de développement et de secours humanitaire dans les zones ethniques étaient principalement financés par des groupes fonctionnant en dehors de l’influence du gouvernement birman. La raison en est que le gouvernement central bloquait l’aide destinée aux zones de conflit et avait clairement fait savoir qu’il n’avait aucun désir d’aider les groupes ethniques.
Depuis les élections de 2010, le gouvernement birman a manifesté son intention de lancer des programmes de développement dans les secteurs ethniques, et certains pays donateurs ont commencé à verser des fonds à des organismes du pays plutôt qu’aux groupes communautaires des zones ethniques.
Il n’y a pas de contrepartie, et ce changement est prématuré. On parle de développement à Naypyidaw, mais jusqu’ici, ce ne sont que des paroles, et le seul effet qu’elles ont dans les zones ethnique est une réduction de l’aide.
On ne sait pas encore avec certitude si le gouvernement birman a vraiment l’intention de répondre aux besoins des groupes ethniques. Si c’est le cas, le lancement effectif de programmes de développement prendra du temps, et les organismes communautaires qui s’occupent déjà de programmes semblables devraient continuer à être financés jusqu’au moment où sera instauré un système leur permettant de travailler en partenariat avec Naypyidaw. Les dirigeants ethniques que j’ai rencontrés, notamment ceux de Karen, sont disposés à collaborer avec le gouvernement pour promouvoir le bien-être de leurs peuples.
Les groupes communautaires travaillent dans le pays même et ne reçoivent de fonds et de vivres que de l’extérieur des frontières. Ils sont au service de leurs peuples depuis des décennies et ils disposent déjà des ressources humaines, de l’expertise et du savoir local nécessaires pour mettre en oeuvre des programmes de développement. Si on leur retire du financement, on prive ces collectivités de leur pouvoir d’agir et on les contraint à compter sur le gouvernement central pour obtenir de l’aide.
Voilà qui est dangereux. Lorsque le gouvernement central a réorganisé les gouvernements d’État en 2008, il n’a pas créé de ministères de la santé et de l’éducation dans le Chin.
Le gouvernement central n’a pas convaincu les groupes ethniques qu’on peut lui faire confiance et qu’il fournira de l’aide. J’ai eu connaissance de plusieurs cas de ce genre lorsque j’ai interrogé des réfugiés du Chin en Inde. Je leur ai demandé s’ils songeaient à rentrer en Birmanie maintenant que le gouvernement a changé, et ils m’ont répondu par la négative. Ils ne sont pas convaincus que le gouvernement ne leur fera pas de tort, et ils préfèrent rester en exil.
La plupart des ressortissants du Chin avec lesquels je me suis entretenu m’ont dit qu’ils avaient quitté la Birmanie parce qu’ils craignaient les militaires. Un homme originaire du Chin m’a raconté que le gouvernement birman l’avait trompé toute sa vie et qu’il ne croyait pas que la Birmanie était désormais une démocratie comme le prétendaient les autorités. Il ne rentrera que lorsque les généraux ne seront plus au pouvoir. Un autre homme m’a dit: « La démocratie en Birmanie, ce n’est pas pour les gens du Chin, ce n’est pas pour les minorités ethniques. » D’autres m’ont dit: « Il n’y a toujours pas de liberté dans le Chin. »
J'ai parlé avec des réfugiés du Kachin en Inde, et les seuls à être retournés en Birmanie ou prévoyant y retourner le faisaient pour joindre les rangs des groupes d'insurgés et combattre les Birmans.
J’aimerais, pour terminer, parler de la situation des Rohingya. Il s’agit d’une minorité musulmane de l’ouest de la Birmanie, et c’est l’un des groupes les plus persécutés du pays. Ils n’ont pas la citoyenneté birmane, ils sont assujettis au travail forcé et à la migration forcée, leur liberté de circulation est limitée, et ils sont victimes de plusieurs autres violations des droits de la personne.
Il semble maintenant que ce groupe sera exclu du recensement prévu pour 2014. Cela ne fera que le marginaliser davantage. Si la transformation actuelle en Birmanie est lente à toucher d’autres groupes ethniques, les Rohingya seront les derniers à en bénéficier. Ce groupe devrait être le critère de mesure du programme des droits de la personne en Birmanie.
Le gouvernement birman a fait beaucoup pour convaincre la collectivité internationale qu’il a changé, mais il doit encore convaincre son propre peuple. Des décennies de violations des droits de la personne ne peuvent s’effacer au bout de seulement deux élections en Birmanie. Même si les intentions du gouvernement sont honorables, il faudra beaucoup de temps pour développer des relations de confiance avec les groupes ethniques.
La promotion du développement dans les zones ethniques et l’acheminement de l’aide humanitaire sont un début. On irait beaucoup plus loin en faisant cesser les sévices, en poursuivant les responsables et en reconnaissant qu’il y a eu des abus. Le gouvernement birman doit continuer ses réformes, et la collectivité internationale doit l’y encourager et l’y aider.
Monsieur le président, distingués membres du comité, j’aimerais maintenant vous faire part de certaines recommandations formulées par mon organisme.
La collectivité internationale doit prendre un certain nombre de décisions importantes à l’égard de la Birmanie. Certains pays saluent déjà les changements récents en Birmanie, mais je vous invite instamment à rester circonspects et à tenir compte des effets de ces changements sur les habitants des zones rurales. Étant donné que les violations des droits de la personne se poursuivent, que leurs responsables restent impunis et que la hiérarchie militaire influence toujours les politiques internes, la collectivité internationale devrait faire de son mieux pour obtenir des améliorations plus concrètes qui auront un effet positif durable sur toute la population birmane.
Pour garantir que l’avenir de la Birmanie sera décidé par son propre peuple, y compris ses minorités ethniques, je recommande au gouvernement du Canada d’user de son influence pour obtenir que la Birmanie procède aux réformes suivantes: mettre fin aux graves violations des droits de la personne selon le droit international et le droit humanitaire et faire notamment cesser les attaques contre des civils; entamer des négociations collectives valables pour obtenir un règlement politique avec les groupes ethniques; permettre aux populations des zones de conflit d’avoir accès sans entrave à l’aide humanitaire; relâcher tous les prisonniers politiques; et entamer une réforme constitutionnelle qui permettra à un gouvernement civil de responsabiliser les militaires.
Je recommande aussi que le gouvernement du Canada s’engage à ce qui suit: veiller à ce que la liste des personnes et des entités sanctionnées en vertu de la réglementation birmane soit mise à jour et élargie pour inclure ceux qui ont profité des violations des droits de la personne, par exemple du travail forcé et du déplacement de populations; et continuer de fournir de l’aide aux personnes déplacées, aux réfugiés et aux migrants originaires de la Birmanie aux frontières du pays. Certains membres de la collectivité internationale se sont mis à limiter l’aide aux régions frontalières, mais les besoins sont importants, et je vous demande instamment d’accroître l’aide aux collectivités dans le besoin dans ces régions.
Monsieur le président et distingués membres du comité, je vous remercie de votre attention. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci beaucoup.
Je crois que nous avons assez de temps pour des tours de six minutes. Je serai plus indulgent qu'à l'habitude si les réponses prennent un peu plus de temps que prévu, mais, fidèle à moi-même, je serai impitoyable pour ce qui est des questions qui n'en finissent plus.
Monsieur Hiebert.
Merci, monsieur Davis, d'être ici.
Le rapport qu'a produit votre organisation sur l'État du Chin est vraiment alarmant. J'en ai un exemplaire, et mon personnel l'a examiné. On en comprend essentiellement que chacune des personnes auxquelles vous avez parlé a été victime de sévices sous ce régime. Elles ont été contraintes au travail forcé, victimes de viol ou déplacées de leur foyer.
Selon vous, quel est le but ultime du régime à l'égard des minorités ethniques dans l'État du Chin?
C'est une bonne question.
C'est dans l'État du Chin, de même que dans la plupart des zones ethniques de la Birmanie, que l'on trouve la majeure partie des ressources extractives, comme le bois d'oeuvre. On trouve du jade au Kachin, ainsi que d'autres produits miniers.
Dans le passé — pas sous le régime de Thein Sein, le président actuel, mais sous l'égide de Than Shwe et de Ne Win, qui l'ont précédé —, il y avait une politique de « birmanisation », qui avait pour but d'imposer une nationalité unique au pays. L'intention était d'assimiler les minorités ethniques pour en faire des Birmans.
C'était il y a des dizaines d'années. C'était sans doute la politique appliquée par le gouvernement dans les zones ethniques. Cette politique n'existe plus, mais d'après ce qui s'est passé dans ces secteurs, je crois que les commandants militaires plus âgés ont gardé cette mentalité. La population birmane et les minorités ethniques ne se comprennent pas, et il y a probablement une part de racisme dans tout cela, ce qui mène également aux résultats que l'on connaît.
Pour ce qui est des sévices que vous avez mentionnés, l'armée birmane préconise des politiques d'autosuffisance. La plupart des unités ne peuvent pas compter sur l'administration centrale pour les fournir en nourriture et en logement, alors elles doivent les obtenir de la population locale. Donc, le travail forcé se fait souvent pour les militaires. On voit aussi des militaires voler des denrées aux civils pour nourrir leurs troupes.
En ce qui concerne les crimes plus violents, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait les justifier, mais il se peut que ce soit des tactiques de contrôle et d'intimidation. Nous avons recensé beaucoup de cas semblables dans l'État de Karen. On pense que le niveau de contrôle qu'exerce l'armée birmane sur une région pourrait être un indicateur de la gravité des violations commises contre les droits de la personne. Si l'armée est en plein contrôle, les violations sont moins graves. Sinon, elle a tendance à user davantage de tactiques d'intimidation. Alors la gravité des violations varie d'une région à l'autre dans l'État du Chin, selon ce qui s'y passe.
Votre rapport indique également que les chrétiens sont aussi persécutés dans l'État du Chin, où on brûle des églises et où on force les gens à se convertir au bouddhisme.
Pouvez-vous me dire en quoi consistent ces pratiques de conversion forcée?
Oui. J'en ai discuté avec mes collègues du Chin. On recourt constamment à des manoeuvres de coercition. Il y a une école publique, mais seuls les élèves de foi bouddhiste y sont admis. Donc, si les élèves chrétiens veulent être acceptés, ils doivent se convertir au bouddhisme. Comme il n'y a pas d'autres écoles dans la région, ils n'ont pas vraiment le choix.
Je pense aussi qu'on refuse de faire des affaires avec des entrepreneurs chrétiens, et on les encourage à se convertir au bouddhisme pour avoir des partenaires d'affaires. C'est de la coercition, mais les gens sont dans une situation de vulnérabilité, alors ils n'ont pas beaucoup de recours.
Dans votre rapport sur l'État du Chin, vous formulez des recommandations dans lesquelles vous demandez à différentes nations et organisations de presser le gouvernement birman à respecter les droits individuels. Pensez-vous que les sanctions ont été ou peuvent s'avérer un bon moyen de pression? Si oui, quelles sortes de sanctions seraient les plus efficaces selon vous?
Je crois que les sanctions ont été, et peuvent encore l'être, un bon moyen pour presser le gouvernement birman à faire cesser les violations des droits de la personne. On peut effectivement faire pression pour encourager la justice et stopper l'impunité, et tenir responsables de leurs actes les auteurs de ces sévices. Les sanctions importantes selon moi étaient celles restreignant les déplacements des agents du gouvernement birman qui ont été impliqués dans des cas de violation des droits de la personne. Je crois que les sanctions imposées aux entreprises birmanes sont aussi efficaces.
On se questionne beaucoup à savoir si les sanctions ont mené aux quelques changements qui se sont produits en Birmanie. Je crois personnellement qu'elles y ont grandement contribué. Il est important de maintenir certaines sanctions. Elles ont d'abord été mises en place pour mettre fin aux violations des droits de la personne. On envisage maintenant de lever et de suspendre les sanctions pour permettre aux entreprises d'aller faire des affaires en Birmanie, mais les violations des droits de la personne se poursuivent. Il faut vraiment maintenir les sanctions de façon à pouvoir inciter le gouvernement birman à mettre fin à ces sévices et à punir les agresseurs.
Vous dites dans votre mémoire qu'un des buts à atteindre serait d'entamer une réforme constitutionnelle qui permettra à un gouvernement civil de responsabiliser les militaires. D'après ce que j'ai compris de la nature de la constitution birmane, il est assez évident qu'aucune réforme ne sera possible sans le consentement du régime militaire. Comment pensez-vous pouvoir y arriver?
Ils ont reformulé la constitution en 2008. Ils se sont certainement assurés que le régime militaire allait conserver le pouvoir, en concédant de nombreux sièges parlementaires aux membres du régime militaire, garantissant ainsi que la majorité ne votera jamais en faveur d'une nouvelle constitution au Parlement.
Pour que ce soit bien clair, je crois qu'il faudrait 75 p. 100 des voix au Parlement pour changer la constitution. Alors tant et aussi longtemps que le régime militaire occupera 25 p. 100 des sièges, cela ne pourra pas se produire.
Exactement. C'est un autre changement qui ne se produira pas du jour au lendemain en Birmanie. En fait, étant donné la manière dont la constitution est rédigée actuellement, il faudra que des militaires votent pour le changement constitutionnel. Je crois qu'il leur faudra du temps pour comprendre pourquoi c'est important.
Ce n'est pas facile, après avoir été 60 ans au pouvoir, de céder sa place. Cela n'arrivera pas. Ils doivent comprendre pourquoi c'est important et quels en seront les effets positifs. C'est la raison pour laquelle il nous faut continuer d'exercer des pressions et de sensibiliser le gouvernement birman afin qu'il rende cela possible. Je suis praticien en santé publique, pas politicien; c'est tout un défi pour les politiciens.
Cela met fin à votre temps de parole, et je vous ai laissé une minute de plus.
C'est maintenant au tour de Mme Péclet.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous féliciter du travail que vous accomplissez. C'est vraiment formidable. Il nous faut davantage de gens comme vous dans le monde. Je vous remercie beaucoup du temps que vous nous accordez aujourd'hui.
J'aimerais revenir à ce que disait mon collègue au sujet du processus de reddition de comptes. Dans le rapport du rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme au Myanmar, on a souligné la nécessité de mettre en place un processus national de reddition de comptes efficace et indépendant en ce qui concerne les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme. Selon vous, à quoi ressemblerait ce processus national de reddition de comptes en Birmanie?
C'est une bonne question. On a mis sur pied une commission nationale des droits de l'homme; le rapporteur spécial l'a fortement critiquée, et j'approuve son analyse. Je crois que bon nombre de ses critiques portaient sur le fait que cet organisme n'est pas indépendant du gouvernement. Il y a d'anciens commandants militaires ayant commis, d'après certains groupes, des crimes de guerre dans le passé qui en font partie. Ce sont les deux principaux problèmes. La commission doit être indépendante. Elle a refusé de faire enquête sur certains abus commis dans l'État de Kachin; cela signifie qu'elle ne s'acquitte pas correctement de son mandat. Un homme du Kachin s'est adressé à la commission parce que sa femme était détenue par l'armée, mais la commission a également refusé d'entendre cette affaire. C'est donc aussi un problème.
Il doit s'agir de personnes n'étant pas liées et n'ayant jamais été liées au régime, qui peuvent travailler sans entraves. Je crois que ce sont là les deux éléments les plus importants.
Je pense, comme mon collègue, que cela doit venir de l'intérieur. On ne peut l'imposer de l'extérieur. Comment la communauté internationale pourrait-elle aider à établir un tel processus?
Depuis longtemps, des groupes à l'intérieur du pays tentent de promouvoir la démocratie et les droits de la personne, mais beaucoup de personnes sont jetées en prison pour cette raison. Il y a aussi bien des groupes exilés qui le font. Je vis en Thaïlande, à la frontière birmane, je ne suis ici que pour une courte période et je travaille avec bon nombre de ces groupes. Les Birmans qui travaillent dans ces groupes ont les compétences et la formation nécessaires pour faire ce genre de choses. Je pense que c'est un début, surtout pour les groupes qui travaillent à l'intérieur du pays, car cela apporte plus de légitimité à ce genre d'organisme.
La communauté internationale peut faire certaines choses. La formation liée au renforcement des capacités est toujours importante. La communauté internationale peut également donner son appui aux gens de ce comité, afin qu'ils ne soient pas jetés en prison ou harcelés de quelque façon que ce soit, et faire pression auprès du gouvernement birman et des militaires, si possible, pour qu'ils laissent ce groupe faire son travail.
Dans son rapport, le rapporteur spécial propose l'échéance de mars 2012. Il indique que si aucun processus national de reddition de comptes n'est établi, « il recommande à la communauté internationale d'envisager la création d'une commission internationale d'enquête sur les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme qui pourraient constituer des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre ».
Que pensez-vous de cette recommandation?
Je l'approuve. Il y a longtemps que l'on exerce des pressions pour la création d'une commission d'enquête. Ces derniers temps, une bonne partie de la pression internationale exercée à ce chapitre est tombée en raison des quelques changements qui ont eu lieu en Birmanie et de la libération de prisonniers politiques. C'est très important, et je dois préciser qu'une commission d'enquête ne signifie pas un tribunal des crimes de guerre ou la participation de la Cour pénale internationale. Il s'agit essentiellement d'une enquête sur des événements passés. Elle serait extrêmement utile pour aider la Birmanie à modifier son comportement dans l'avenir.
J'ai mentionné qu'il y avait beaucoup de problèmes et de méfiance entre les groupes ethniques et les Birmans. Les groupes ethniques représentent 15 p. 100 de la population. C'est dans les zones ethniques que l'on trouve la majeure partie des ressources du pays. Ces groupes participent donc à ce processus et ils ont subi beaucoup d'abus au cours des 60 dernières années. J'estime qu'une commission d'enquête, quelle que soit sa forme, serait une étape extrêmement importante qui permettrait d'avancer dans ce processus.
[Français]
[Traduction]
Je vais poursuivre en français.
[Français]
Dans votre témoignage, la question des minorités est vraiment très importante. Vous avez souvent mentionné cela dans les réponses que vous m'avez données. Le rapporteur spécial de l'ONU mentionne que les violations qui ont été commises par les militaires et par des groupes non gouvernementaux armés ont souvent visé les minorités ethniques, les groupes ethniques.
Compte tenu de ce que vous m'avez dit, quelle volonté le gouvernement a-t-il démontrée dans les derniers mois ou dans les dernières années pour contrer ce genre de discrimination ou de violence envers les minorités ethniques? Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour essayer de redresser la situation?
[Traduction]
Merci. C'est une bonne question.
Avant d'y répondre, je dois dire qu'une grande partie des abus commis dans les zones ethniques l'ont été par l'armée birmane. Des groupes d'insurgés en commettent aussi, mais concentrons-nous sur l'armée birmane pour le moment.
Il devient de plus en plus évident que le gouvernement de la Birmanie a peu d'emprise sur l'armée birmane. Par exemple, au cours de la dernière année, le président Thein Sein a ordonné à deux reprises à l'armée de cesser toutes ses activités de combat dans l'État de Kachin. L'armée a poursuivi les combats. Cela pose un gros problème. Il semble que la communauté internationale ait maintenant un bon dialogue avec le gouvernement, mais pas avec les militaires. Bien des gens ne savent même pas avec qui ils devraient nouer le dialogue — avec quel commandant, quel général.
Qu'a fait le gouvernement pour lutter contre la violence commise à l'égard des minorités ethniques? Eh bien, Thein Sein a demandé deux fois à l'armée birmane d'arrêter. Cela n'a rien donné. On est en train de négocier un cessez-le-feu; ce pourrait être prometteur dans bien des zones, mais pas au Kachin. Les choses progressent dans l'État de Karen, et il y a des négociations au Shan, au Mon et avec les groupes de Chin. Les négociateurs sont du gouvernement et non de l'armée. Il est à espérer que les militaires observeront les accords de cessez-le-feu qui seront négociés.
Il y a cela. Le gouvernement parle de créer des programmes de développement et de fournir de l'aide humanitaire dans ces zones. Il ne l'a pas encore fait, mais un programme de développement ne se crée pas du jour au lendemain. Il faudra du temps.
On parle donc beaucoup, mais on agit peu. Je pense que nous devrons attendre pour voir ce qui sera fait à ce chapitre.
Voilà qui complète cette série de questions et de réponses.
Monsieur Sweet, vous êtes le prochain à prendre la parole.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Davis, je vous remercie beaucoup du bon travail que vous accomplissez et de votre témoignage d'aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants de nous donner votre point de vue sur cette situation, pas seulement sur ce qui s'est passé ces dernières années, mais sur ce qui se passe actuellement. Je suis heureux que vous ayez des informations très récentes au sujet de la Birmanie.
J'ai posé une question semblable à tous les témoins. Vous avez déclaré ici: « Le gouvernement birman a fait beaucoup pour convaincre la collectivité internationale qu’il a changé, mais il doit encore convaincre son propre peuple. » Nous avions des représentants du Parlement sur le terrain lorsque les élections ont eu lieu; ils ont parlé directement aux gens. Ils m'ont dit que les gens étaient positifs et pleins d'espoir. Même Aung San Suu Kyi a bien accueilli l'assouplissement des sanctions.
Pourriez-vous m'expliquer pourquoi le message des gens sur le terrain — on ne parle pas de la propagande du gouvernement — et le vôtre, dans vos observations, sont contradictoires?
Je reconnais ce que vos députés ont constaté sur le terrain durant les élections, sûrement dans la région centrale de la Birmanie, où les personnes d'origine birmane, à Rangoon, à Mandalay et aux environs, s'aperçoivent des changements. C'est là où l'on peut maintenant se procurer des tee-shirts de Suu Kyi et acheter des journaux internationaux. On avait déjà accès à l'Internet avant que les changements aient lieu, mais il semble qu'il soit désormais beaucoup plus rapide et moins censuré. On peut maintenant regarder la BBC, par exemple. Des changements ont donc eu lieu dans les zones centrales.
Quand je dis qu'il reste à convaincre le peuple birman des changements, je parle des 15 p. 100 de minorités ethniques, et peut-être aussi des gens qui ne vivent pas dans les zones urbaines, mais encore dans les villages. Pour eux, la vie continue; ils cultivent encore le riz et ne voient pas tellement de différence.
Ils sont également à l'écart des médias grand public.
M. William Davis: Oui.
M. David Sweet: La communication d'informations est donc moins efficace.
Bien des visiteurs étrangers sont... Les députés sont des gens occupés. Quand vous allez en Birmanie, vous ne pouvez pas visiter tout le pays durant des semaines. De même, les journalistes des grands journaux se rendent habituellement dans deux ou trois grandes villes et à Naypyidaw, puis s'en vont. Ils ne visitent pas les zones ethniques.
Les Birmans ne les encourageraient sans doute pas à s'y rendre. J'ignore à quel point on a essayé, mais si quelqu'un demandait à visiter l'État de Kachin ou de Karen, il serait intéressant de savoir ce qu'on lui répondrait.
D'après votre expérience sur le terrain ou les sources que vous avez là-bas et qui semblent sûres, savez-vous si la Croix-Rouge internationale peut s'entretenir avec les prisonniers politiques, qu'ils soient dans des institutions reconnues ou ailleurs? Peut-elle le faire sans restrictions?
À ma connaissance, la Croix-Rouge internationale s'est retirée de la Birmanie il y a plusieurs années, car l'accès y était très difficile. J'ai entendu dire que dans la dernière année, elle a envoyé une équipe effectuer une évaluation de l'eau et des services sanitaires d'une prison. L'équipe a aussi visité une autre prison. Ce sont de petits pas vers une accessibilité accrue.
Je ne connais pas tout sur cette question, mais voilà ce que je sais.
Je dirais qu'elle ne le peut probablement pas.
Merci, monsieur Davis.
Monsieur le président, je vais laisser le reste de mon temps de parole à mon collègue.
Monsieur Davis, vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire avoir rédigé un rapport intitulé Under Siege in Kachin State, Burma et l'avoir soumis à notre examen. Pourriez-vous nous parler plus en détail de ce que vous avez constaté dans vos recherches sur l'État de Kachin?
Certainement.
Le projet principal auquel j'ai travaillé dans la dernière année est une enquête sur la population de l'État de Karen, semblable à celle que nous avons faite dans l'État de Chin. J'analyse actuellement les données recueillies.
Les combats dans l'État de Kachin ont éclaté il y a un an, en juin dernier. Des groupes locaux sur le terrain nous parlaient de viols, de villages incendiés, de nombreuses violations des droits de la personne et de quantité de civils déplacés. Nous exercions des pressions auprès d'organismes d'aide afin qu'ils entrent au pays pour fournir de l'aide, mais soit ils n'insistaient pas suffisamment auprès du gouvernement birman, soit le gouvernement refusait. Cela reste à éclaircir.
J'ai donc décidé de me rendre au Kachin afin d'effectuer un rapport d'urgence. Je me suis rendu en Chine, où j'ai rencontré des gens de l'Organisation Kachin pour l'indépendance (KIO). Nous avons franchi la frontière de l'État de Kachin, où se trouve le territoire de la KIO. Nous ne traversons pas là où se trouve le gouvernement birman.
Je m'étais fixé deux objectifs pour ce rapport. L'un était de faire une évaluation rapide de la situation humanitaire des personnes déplacées. Je me suis rendu à Laiza, la capitale de la KIO; j'y ai vu environ 10 000 personnes déplacées qui vivaient dans des entrepôts et dans un marché abandonné. On commençait à construire des camps de réfugiés, mais on n'avait pas vraiment les ressources nécessaires pour faire tout le travail.
Nous avons effectué une évaluation nutritionnelle rapide chez les enfants de moins de cinq ans. En mesurant leur périmètre brachial, et à partir de recherches antérieures, on peut déterminer si les enfants souffrent de malnutrition. Nous avons constaté, je crois, que 11 p. 100 des enfants en souffraient. Étant donné la prévalence élevée des cas de diarrhée et d'infections des voies respiratoires supérieures dans les camps, l'OMS considérerait cette situation comme grave. Cela justifierait une surveillance et une intervention.
J'ai également interrogé des personnes déplacées au sujet des violations des droits de la personne. J'en ai parlé dans mon exposé. Je me suis entretenu avec le vieil homme qui a été contraint de marcher devant un peloton de soldats birmans afin de libérer le chemin des mines qui s'y trouvaient dissimulées. D'autres personnes ont été contraintes de transporter des choses. On m'a parlé des villages incendiés. Tous ces gens m'ont dit que l'armée birmane volait leur nourriture.
J'ai des imprimés de ce rapport quelque part ici. Nous l'avons publié en décembre.
Du côté de la Chine, j'ai vu environ 500 réfugiés du Kachin; ils avaient franchi la frontière et vivaient dans de vieux moulins à bois. Depuis, le nombre de personnes déplacées a grimpé à environ 70 000.
On a empêché l'ONU de fournir de l'aide. Puis, en décembre, on lui a permis d'entrer une fois. Deux camions remplis de couvertures ont été envoyés et sont restés là-bas pendant deux jours, puis sont repartis. Les rapports prêtent à confusion. C'est comme si on disait qu'ils sont restés plus longtemps. C'est l'une des choses que nous défendons.
Le mois dernier, le gouvernement birman a dit avoir donné libre accès à l'ONU, mais j'ignore quel genre d'aide elle fournit. Je sais qu'on a envoyé de la nourriture, mais les réfugiés ont aussi besoin de médicaments et de matériel pour construire des abris, entre autres. La saison des pluies va bientôt commencer, et les maladies se propageront beaucoup plus rapidement durant cette période.
Habituellement, ce serait au tour de la députée du Parti libéral, mais puisqu'elle n'est pas ici, il est logique de poursuivre avec Mme Grewal.
Madame Grewal, vous êtes la suivante sur la liste. Ensuite, ce sera au tour de M. Jacob et si nous en avons le temps, j'aimerais revenir à M. Hiebert, parce que j'ai l'impression qu'il a deux ou trois autres questions.
Allez-y, madame Grewal, je vous prie.
Merci, monsieur le président.
Merci de votre exposé, monsieur Davis.
Dans votre rapport, vous avez décrit en détail certaines des violations des droits de la personne commises par l'armée birmane. On parle de violations comme le viol de civils, le recours aux boucliers humains pour ouvrir la voie pour les unités de combat et au travail forcé pour transporter le matériel des troupes, le pillage de biens civils, les fusillades aveugles dans les villages et le déplacement forcé, notamment. Vous avez dit que tant que l'armée birmane continuera de commettre des violations des droits de la personne à l'endroit de civils, on ne peut avoir la certitude que le gouvernement de la Birmanie s'acquittera de ses obligations en matière de protection des droits de la personne. Le Canada veut appuyer les changements positifs survenus en Birmanie, mais il est évident qu'une enquête est nécessaire pour comprendre ces graves violations et y mettre un terme.
Monsieur Davis, pouvez-vous présenter au gouvernement du Canada une recommandation où l'on préconise une réforme constitutionnelle qui permettra à un gouvernement civil de responsabiliser les militaires? Selon vous, de quelle façon le Canada devrait-il user de son influence sur la scène internationale pour atteindre cet objectif, alors qu'il est évident que le gouvernement birman n'a pas une emprise ferme sur son armée?
C'est une très bonne question.
Il y a une autre solution qui prendra du temps et qui ne se fera pas du jour au lendemain. Beaucoup de reportages diffusés sur la scène internationale laissent entendre que soudainement, tout va pour le mieux en Birmanie, mais les violations ont cours dans ce pays depuis si longtemps qu'il faudra beaucoup de temps pour régler le problème.
Cela nous ramène à la question précédente sur la façon dont on peut changer les choses si la constitution accorde aux militaires autant de pouvoir et que son libellé, essentiellement, ne permettra jamais sa modification; je n'ai pas de réponse facile à cette question.
Je pense qu'il y a deux ou trois choses. Je pense que si la Birmanie est vraiment sur la voie de la réforme, les gens, les dirigeants et la classe moyenne de Rangoon et de Mandalay en verront les avantages et cela constituera un appui qui favorisera l'adoption de plus de réformes. Donc, il y a eu la politique de la carotte et du bâton sous forme de sanctions, et elles seront maintenues jusqu'à ce que les diverses exigences soient satisfaites. À mon avis, cela devrait inclure l'arrêt des violations des droits de la personne.
Je pense que l'engagement et la formation sont aussi des éléments importants. Encore une fois, dans l'armée, les soldats reçoivent une formation; ils sont formés pour exécuter les ordres d'une certaine manière et faire les choses comme on le leur a montré. Je pense qu'il faut les rééduquer, et qu'il s'agit là aussi d'un rôle pour la communauté internationale.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de vos analyses.
Vous semblez dire que l'armée birmane a la mainmise sur le gouvernement civil. Vous attendez-vous à ce que cette situation évolue ou change dans un avenir rapproché? Quel est le moyen pour tenter de parvenir à un renforcement du contrôle civil sur l'armée?
[Traduction]
Merci. C'est une excellente question.
De toute évidence, l'armée a la mainmise sur le gouvernement civil. Cela changera-t-il? En réponse à cette question, je ne peux que dire que je l'espère, mais je ne peux en être certain.
C'est lié à la structure du pouvoir et la question de savoir si l'armée ou les commandants eux-mêmes ont le sentiment qu'ils peuvent garder le pouvoir ou assurer leur sécurité en cas de changement. Je ne suis pas politicologue; je ne peux donc faire une bonne recommandation sur la façon de procéder.
L'autre problème, c'est que bon nombre de ces commandants ont commis des violations des droits de la personne. Si la Birmanie veut assumer son passé, il y a beaucoup de façons d'y arriver, mais le moins qu'on puisse dire, c'est que ces commandants n'en sortiront pas sans tache. Ils ne voudront pas que cela se fasse; c'est donc une situation très complexe.
Continuer à réclamer un changement, commencer à habiliter les groupes de la société civile et les organismes communautaires... Dans l'histoire de la Birmanie, beaucoup de lois ont été proposées pour réprimer la société civile. Après le cyclone Nargis, aucune aide ne parvenait au pays. Les villageois se sont organisés pour venir en aide aux gens, comme des pompiers volontaires, et on les a emprisonnés pour l'avoir fait. C'est ce qui s'est produit dans le passé.
À l'avenir, si la société civile est plus forte, cela devrait permettre d'augmenter le pouvoir des civils et réduire celui des militaires.
Que pouvons-nous faire pour exercer des pressions en ce sens? Nous pouvons continuer d'apporter notre soutien aux organismes communautaires. On compte plus d'organismes naissants à l'intérieur du pays, et ils méritent notre soutien. Par contre, dans les zones ethniques et près des frontières, la société civile est extrêmement forte parce qu'elle a été obligée de prendre les choses en main depuis si longtemps.
Puisque j'habite près de la frontière l'État de Karen, je connais bien la région et je travaille en étroite collaboration avec le ministère de la Santé en exil de cet État, avec le Back Pack Health Worker Team et la Mae Tao Clinic. Dans l'État de Karen, ces groupes desservent plus de 300 000 personnes au sein de leurs circonscriptions hospitalières. Ils ont reçu de la formation de l'étranger et ont un autre point de vue sur la situation. Il est vraiment important de continuer à les soutenir.
Je devrais mentionner qu'il y a un organisme canadien qui donne beaucoup d'argent. Inter Pares finance beaucoup d'activités liées à la santé dans les zones frontalières, et j'aimerais les en remercier.
[Français]
Merci.
Les institutions gouvernementales et la magistrature birmanes sont-elles en mesure de réglementer l'activité commerciale dans l'intérêt de la population birmane et d'appliquer les lois de l'État de façon juste et indépendante? Ça semble plutôt négatif. Si c'est négatif, quelles sont les principales lacunes relativement aux priorités? Je sais que vous avez fait des recommandations, et votre rapport est plutôt négatif. Beaucoup de choses restent à changer dans le pays. Comment la situation pourrait-elle être améliorée? Autrement dit, par quoi commencer?
[Traduction]
C'est une autre bonne question.
En réponse à votre première question sur leur capacité de réglementer l'activité commerciale, je pense que la réponse est non.
La magistrature n'est pas indépendante du reste du gouvernement. Il y a de la corruption et on fonctionne ainsi depuis si longtemps qu'il est difficile de changer les choses rapidement.
Pour changer les choses, il faut du soutien et de l'éducation. Je sais qu'on a beaucoup parlé de la mise en oeuvre de programmes d'échanges, où des professionnels de l'éducation se rendent dans d'autres pays pour voir comment on fait les choses autrement. C'est une autre façon d'y arriver.
Quelles sont les priorités? Il ne fait aucun doute que l'établissement d'une magistrature indépendante serait un énorme pas en avant.
Un autre problème en ce qui a trait à l'activité commerciale, c'est que son étroite interrelation avec les amis du régime précédent et les militaires rendra le processus difficile. Comme je l'ai indiqué plus tôt, on compte beaucoup d'industries d'extraction dans les zones ethniques. Les sociétés minières y ont travaillé en collaboration avec les militaires, qui leur accordent l'accès et assurent leur sécurité. En Birmanie, une des façons de payer les commandants militaires est de leur permettre de tirer profit de l'extraction des ressources.
Il sera difficile de changer ce système, mais c'est nécessaire. Dans ces régions, l'armée birmane a recours au travail forcé et chasse les gens de leurs terres en toute impunité. Tant que les entreprises seront des partenaires des militaires, j'ai bien peur que ce genre de choses se poursuive, que les entreprises le veuillent ou non.
Ce serait un endroit où commencer, et je pense que la magistrature en serait un autre.
[Français]
[Traduction]
Nous avons un peu plus de temps, donc commençons par vous, puis nous verrons si quelqu'un d'autre voudra poser une question.
Ce n'est probablement pas officiel, et je ne suis pas un spécialiste de cette question. EarthRights International a beaucoup étudié le fonctionnement de ces partenariats et ce qui se passe. Actuellement, ce sont surtout des entreprises chinoises. Unocal et Total ont aussi des activités dans la région.
Vous avez mentionné que vous aviez eu des contacts avec des habitants des États de Karen, de Shan, de Môn, de Kachin, de Chin et d’Arakan, notamment. Il me semble pour le moins étrange que tandis que certains groupes ethniques sont en mesure de négocier des accords de cessez-le-feu dans les circonstances actuelles, d'autres se retrouvent dans des conflits après des années de cessez-le-feu. Comment expliquer cela? Pourquoi cette incohérence?
Ensuite, j'aurai des questions complémentaires à ce sujet.
Je suppose que les Kachin sont l'exception, parce qu'ils sont actuellement engagés dans d'importants combats. Les troupes birmanes pourraient l'emporter à tout moment, et tous les autres signent des accords.
Il y a deux ou trois ans, tous les groupes ethniques ont tenté de former un conseil unifié des ethnies pour pouvoir négocier en bloc avec le gouvernement birman. Cependant, ils avaient leurs divergences et n'ont pas vraiment été en mesure de s'entendre et former un organisme unifié. Le gouvernement de la Birmanie a commencé à proposer de bonnes ententes et à inciter les groupes à briser cette unité.
Je pense que les événements du Kachin se sont produits pour plusieurs raisons. D'abord, il y a le fait que le peuple du Kachin n'a jamais été heureux de l'accord de cessez-le-feu. La constitution de 2008 — à laquelle on revient constamment — n'accordait pas au peuple une représentation jugée adéquate au Parlement. Lors de l'élection de 2010, on a interdit à la plupart de leurs partis politiques de présenter des candidats et même lors de l'élection du mois d'avril, les deux partis politiques du Kachin n'avaient pas le droit de participer. On exige une modification de fond de la constitution de 2008 afin d'avoir une meilleure représentation et les Birmans s'y opposent entièrement en ce moment.
C'est le gouvernement birman et non l'armée qui négocie les accords de cessez-le-feu; il y a plusieurs négociateurs. L'homme qui négocie avec les groupes du Karen, du Shan, et plusieurs autres, est le ministre des Chemins de fer, que l'on considère davantage comme l'un des réformateurs. Dans le cas du Kachin, le négociateur est un partisan de la ligne dure; il y a donc moins de compromis.
Pour les groupes du Kachin, le tournant fut une série de projets de barrages hydroélectriques dans l’État de Kachin. Il y en a sept ou huit, et l'Organisation Kachin pour l'indépendance (KIO) en a approuvé plusieurs. La plupart sont exploités par les Chinois. Cependant, il y en avait un qui nécessitait l'inondation d'une vallée, ce qui aurait séparé la 3e brigade de l'Armée pour l'indépendance Kachin du reste des troupes, et les Birmans construisaient une route destinée au transport qui aurait aussi pu être utilisée pour déployer des troupes afin de diviser et vaincre les Kachin. Donc, ils s'y sont opposés pour des raisons de sécurité.
Tandis que l'on construisait le barrage, l'armée birmane a déployé beaucoup de troupes dans la région et il y avait beaucoup de troupes du Kachin. Lorsqu'il y a beaucoup de personnes armées dans une région, les combats éclatent puis se poursuivent.
Je crois aux demandes de la KIO. Ses dirigeants ne revendiquent pas seulement une représentation pour eux-mêmes, mais pour tous les groupes ethniques. C'est beaucoup demander. Il y a eu trois rondes de pourparlers de cessez-le-feu et on discute maintenant du lieu de la prochaine ronde. Donc, cela se poursuit.
Je crois que dans le cas des trois autres minorités ethniques, les négociateurs étaient plus progressistes; c'est un élément de réponse.
Y a-t-il une volonté de collaboration chez ces minorités ethniques? Est-ce simplement voué à l'échec ou envisage-t-on de s'unir de nouveau? Manifestement, ils seraient beaucoup mieux placés pour négocier s'ils étaient unis.
Je pense que les diverses nationalités ethniques discutent toujours de la façon de s'unir en vue de négociations.
Je pense qu'il y a autant de différences entre elles qu'elles en ont avec les Birmans, sauf que beaucoup d'entre elles sont de confession chrétienne. Mais il y a beaucoup de bouddhistes. Les Shan et les Môn sont bouddhistes.
Selon ce qu'on trouve dans leur région et leur source de revenus... Dans l'État de Shan, il y avait beaucoup d'opium et il y a maintenant beaucoup de méthamphétamines. Certains commandants militaires ne veulent pas que cessent ces activités parce que cela leur permet de faire de l'argent. D'autres veulent empêcher les Birmans d'avoir accès à leurs ressources naturelles pour pouvoir les vendre.
Je ne suis pas au courant de leurs autres différends, mais c'est probablement de nature politique. Il y a peut-être même des litiges de frontières entre les États ethniques parce que les populations sont réparties le long des frontières.
Voici ma dernière question. D'ici 2015, année de la prochaine élection, que devra-t-il se passer pour qu'on augmente la probabilité qu'il s'agisse d'élections libres et équitables?
C'est une bonne question.
Lors de l'élection d'avril, le gouvernement birman a autorisé la présence d'observateurs internationaux, mais seulement peu de temps avant la tenue de l'élection. Je pense que la surveillance internationale, menée de façon adéquate, est importante. Il faudrait que je vérifie le nombre de sièges qui seront en jeu. Lors de l'élection d'avril, il y a eu des plaintes, mais elles n'étaient pas très nombreuses. Cependant, seulement 6 p. 100 des sièges du Parlement étaient en jeu. Donc, même si la LND a remporté tous les sièges, les résultats ne sont pas si formidables. En 2015, ce sera intéressant si plus de sièges sont en jeu. La LND est très populaire et le régime est... Nous verrons comment il réagira.
Comme je l'ai indiqué auparavant, je pense que je maintiendrais mon appui aux groupes de la société civile et je m'assurerais que les nationalités ethniques sont incluses. Que la LND puisse s'enregistrer comme parti était formidable, mais comme je l'ai mentionné, certains partis Kachin n'ont pu le faire. Je pense donc que ce serait important aussi, simplement pour s'assurer que les choses sont équitables dans l'ensemble du pays, pas seulement dans le centre du pays.
Si vous le permettez, j'aurais deux ou trois questions avant que vous partiez.
De toute évidence, en général, il y a plusieurs problèmes concernant les minorités en Birmanie. C'est le moins qu'on puisse dire. Cependant, les Rohingya semblent avoir un statut particulier. Vous avez mentionné, par exemple, qu'ils n'ont pas la citoyenneté, ce qui me porte à conclure que malgré les autres problèmes qui existent, les Kachin et les Karen, notamment, sont considérés comme des citoyens birmans. Quelle est la logique derrière cette distinction?
Je vais vous dire ce que disent les adversaires des Rohingya. Ils disent que les Rohingya sont Bangladais. Ils sont arrivés il y a plus de 20 ans et ce sont des nouveaux arrivants qui ne sont que de passage. Les Rohingya affirment qu'ils habitent l'État d'Arakan depuis des centaines et des centaines d'années. Ils ont eu des ministres dans le royaume d'Arakan avant même que la Birmanie n'existe, et ils font partie de la société.
Ils vivent dans une région limitrophe du Bangladesh; il y a donc des similitudes. Or, ils parlent un autre dialecte que les Bangladais. Donc, quand ils se rendent au Bangladesh, la différence est évidente.
En effet, et lorsqu'il est question des Rohingya, il y a beaucoup de racisme, beaucoup de réactions impulsives. La première chose que bon nombre de personnes disent, c'est que ce sont des envahisseurs.
Donc, il y a eu beaucoup de propagande contre les Rohingya. Je sais que dans le journal de l'État — le New Light of Myanmar —, on avait l'habitude de publier, sur la page en regard de l'éditorial, des articles disant que les Rohingya sont des envahisseurs et ne sont pas des citoyens. Lorsque vous êtes à Rangoon et que vous lisez cela, sans jamais avoir vu ces gens, sans avoir interagi avec eux et sans connaître leur histoire... Cela a convaincu beaucoup de citoyens.
Serait-il alors juste de dire — même s'il est difficile de définir l'origine d'un groupe ethnique ou linguistique — qu'ils forment, dans les faits, un groupe ethnolinguistique distinct de la majorité bengali du Bangladesh? Est-ce un groupe ethnique dont une partie de la population est aussi établie de l'autre côté de la frontière? Est-ce en partie l'origine du...
Je ne suis pas certain, parce que des centaines de milliers d'entre eux ont fui au Bangladesh et y vivent dans des camps. Ce sont des apatrides. Le commerce transfrontalier est florissant. Beaucoup de Rohingya se livrent au commerce et versent d'importants pots-de-vin aux gardes-frontières pour pouvoir passer.
Je ne suis pas vraiment certain, mais je pense que la plupart d'entre eux sont originaires du nord de l'État d'Arakan, en Birmanie.
D'accord.
Je voulais aussi vous poser une question sur les conversions forcées au bouddhisme. Je dois dire que c'est une idée qui me paraît bien étrange.
La plupart des régimes socialistes ne le sont que de nom, d'après mon expérience. Un régime socialiste n'est pas vraiment un régime marxiste. Néanmoins, il semble y avoir un lien entre le socialisme et l'athéisme officiel. Historiquement, n'est-ce pas le cas de la Birmanie? Ou est-ce les militaires qui agissent encore une fois de leur propre chef? Qu'en est-il de toute cette affaire? Est-ce une forme d'humiliation rituelle? Est-ce sa véritable raison d'être?
Cela pourrait être une partie de l'explication. Cela fait aussi partie du concept plus ancien de « birmanisation », où l'on veut que tous soient pareils, y compris sur le plan de la religion. Il s'agit aussi probablement d'une façon de montrer qui détient le pouvoir. Donc, on les oblige à le faire.
Très bien. J'ai trouvé cela très utile.
Je voulais vous poser une dernière question au sujet des enfants-soldats. Pouvez-vous nous mettre à jour sur la situation en ce qui a trait au recours aux enfants-soldats dans ces régions?
Je n'ai pas mené d'enquête à cet égard. Mais à ma connaissance, des enfants-soldats ont fait défection de l'armée birmane pour rejoindre les rangs de l'Armée pour l'indépendance Kachin. Il y a eu un rapport à ce sujet récemment. Cela se produit toujours. Les armées des groupes ethniques y ont toujours recours, mais je pense que c'est une pratique en déclin. C'était dans le rapport du rapporteur spécial qui a été publié en mars. Donc, cela demeure probablement un problème.
D'accord; merci beaucoup.
Au nom du comité, merci d'être venu et de nous avoir offert un excellent témoignage. Nous vous en sommes très reconnaissants.
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