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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 073 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 21 mars 2013

[Enregistrement électronique]

  (1300)  

[Français]

    À l'ordre, s'il vous plaît. Nous tenons aujourd'hui la 73e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 21 mars 2013, c'est-à-dire la première journée du printemps, malgré les apparences.

[Traduction]

    Nous poursuivons aujourd'hui l'étude de la situation relative à la communauté copte d'Égypte, et particulièrement des persécutions qu'elle subit.
    M. Nathan Brown, professeur de science politique à l'Université George Washington se joint à nous par voie électronique à partir de Washington D.C.
    Monsieur Brown, je vous souhaite la bienvenue à notre sous-comité. Nous sommes prêts à entendre votre témoignage.
    Je vous remercie beaucoup de me recevoir, et de me permettre de témoigner par vidéoconférence afin que je n'aie pas à délaisser mon travail de professeur.
    Mon expertise en tant qu'universitaire n'a pas trait à la communauté chrétienne d'Égypte en particulier, mais plutôt à deux enjeux qui affectent directement son bien-être. Le premier est le processus constitutionnel général de l'Égypte et le deuxième est associé aux Frères musulmans. Je voulais, dans mon exposé, parler du rôle du processus constitutionnel et de la nouvelle constitution de 2012 de même que du nouveau leadership des Frères musulmans et de la façon dont ils influenceront les chrétiens d'Égypte.
    Sans aucun doute, l'année 2011 a été synonyme de changements importants au sein de la politique égyptienne, et un vent d'idéalisme a soufflé sur une grande partie de la nation. Deux ans plus tard, je crois que l'idéalisme a fait place à la déception et au désenchantement. Quant aux chrétiens d'Égypte, leurs sentiments oscillent désormais entre de vives inquiétudes et la panique absolue.
    À mon avis, ils ont raison de s'inquiéter. Je ne sais pas s'il y a lieu de paniquer, mais les chrétiens ont des préoccupations tout à fait légitimes au sujet de la position politique du pays, et beaucoup d'entre elles émanent du fait que le processus politique n'a tout simplement pas donné lieu à un gouvernement fonctionnel.
    J'aimerais passer en revue le processus constitutionnel et vous dire ce qui a fonctionné ou non, à mon avis, puis vous parler des Frères musulmans et enfin des préoccupations propres aux chrétiens.
    L'Égypte a maintenant une constitution, qui a été approuvée par les électeurs à la fin de 2012. Elle a été rédigée par une assemblée constituante dominée par les islamistes, bien qu'il y ait eu une participation non islamiste. En lisant le document en dehors du contexte politique dans lequel il a été rédigé et en le comparant aux anciens documents constitutionnels d'Égypte, on peut y voir des protections accrues pour les groupes religieux, du moins à certains égards. Je ne sais pas, toutefois, si ces protections robustes entraîneront des changements dans l'environnement juridique opérationnel.
    Par exemple, les chrétiens ont maintenant un droit constitutionnel d'être régis par la loi chrétienne sur le statut des personnes. Ce droit est maintenant inscrit dans la constitution. Toutefois, c'était déjà la pratique égyptienne depuis des dizaines, voire des centaines d'années, c'est-à-dire que les mariages, les divorces et les questions d'héritage sont réglés selon la communauté religieuse à laquelle on appartient.
    À certains égards, le processus constitutionnel a donné lieu à un État beaucoup plus religieux, et il contient des dispositions dont le contenu est plutôt vague, mais qui pourraient renforcer le rôle de l'islam dans la vie publique et même dans le cadre juridique de l'Égypte. Nous ne savons pas encore comment tout cela va s'opérer. Depuis que la constitution est entrée en vigueur il y a à peine quelques mois, la façon d'appliquer certaines de ses dispositions en surprendrait même les rédacteurs. Nous commençons à peine à comprendre ce qui se passera au fil de la mise en oeuvre de ce document.
    Toutefois, je crois que les principales préoccupations des Égyptiens qui ne sont pas membres de la communauté sunnite majoritaire ne sont pas associées à une disposition précise, mais ont plutôt trait au fait que le processus n'a pas donné lieu à l'élaboration d'un document consensuel accepté par toutes les parties. Il a donné lieu à une situation politique instable.
    Dans cet environnement politique instable où les règles de base du gain politique ne sont pas comprises ni acceptées de tous, où les préoccupations en matière de sécurité sont importantes et où le gouvernement n'est pas certain d'avoir les outils nécessaires pour les traiter, les communautés minoritaires tendent à être les plus vulnérables. Donc, dans le cadre de l'étude du document constitutionnel, je m'intéresserais un peu moins au texte constitutionnel. Je ne veux pas dire qu'il n'est pas pertinent, mais j'étudierais plutôt l'environnement politique qui, de l'avis de la plupart des Égyptiens je crois, ne fonctionne tout simplement pas comme ils l'avaient espéré lorsqu'ils ont entrepris, en 2011, une révolution pour établir un système politique démocratique, fort et fonctionnel.

  (1305)  

    En ce qui a trait aux Frères musulmans, je crois que si on observe leur trajectoire au fil du temps, on se rend compte qu'ils ont fait des progrès significatifs pour la population non musulmane de l'Égypte. Il s'agit toutefois clairement d'une organisation islamique qui veut renforcer le rôle de l'islam dans la vie publique.
    Ils ont réalisé des progrès en acceptant une conception de la citoyenneté qui ne dépend pas uniquement de la religion, et ils ont fait beaucoup de chemin en acceptant les processus démocratiques, et donc la voix du peuple, à titre de facteur déterminant de l'environnement juridique et constitutionnel.
    En un sens, ces progrès font également partie du problème. Les Frères musulmans savent que la démocratie est forte, mais elle est également majoritaire. Ce qui veut dire que le peuple égyptien, majoritairement musulman et qui, lors des élections tenues depuis 2011, a penché lourdement du côté islamiste, devrait choisir librement son chef et ses lois. C'est une vision démocratique mais pas tout à fait libérale de la chose, et cette démocratie n'est pas associée à une protection des libertés aussi importante que le souhaiteraient certains.
    Selon mon analyse du point de vue et du comportement des Frères musulmans jusqu'à présent, ils ont probablement mieux réussi à assurer les libertés politiques, comme la liberté de la presse, la liberté d'opposition et la liberté de manifestation, quoiqu'on puisse tout de même en douter. Leur dossier est beaucoup moins étoffé lorsqu'on analyse les questions comme la liberté d'expression culturelle.
    En ce qui a trait à la situation des chrétiens en Égypte, on pourrait dire que dans le contexte actuel, ils sont « libres le dimanche ». C'est-à-dire que leur liberté de culte et leur liberté communale de gérer leurs affaires et d'organiser la loi sur le statut personnel selon les enseignements de l'église sont protégées.
    Les problèmes ont plutôt trait au christianisme de semaine, si je puis dire, et donc aux moments où les chrétiens sont des citoyens ordinaires. Ils vivent dans un environnement où la vie publique est de plus en plus axée sur l'islamisme, non pas d'une façon très oppressive, mais dont la présence peu amicale se fait sentir dans les médias et dans les organisations de l'État, qui peuvent manquer d'ouverture à leur égard.
    Je crois qu'il y a également un important problème de sécurité, qui me semble dominant. Le problème n'est peut-être pas tant associé à la loi et à la constitution égyptiennes, mais plutôt à la situation au mieux incertaine en Égypte; aucun acteur politique n'a été en mesure d'établir un plan pour rétablir la sécurité de façon convenable en démocratie.
    Par conséquent, les groupes exposés, les groupes minoritaires, sont moins bien protégés. Les services de sécurité fonctionnent à peine et ont déjà été impliqués dans des abus des droits de la personne; une grande partie de la population ne leur fait pas du tout confiance. Ainsi, au lieu d'assurer la sécurité des citoyens, ils font plutôt partie du problème. Donc, les communautés chrétiennes ne peuvent se fier à un agent de l'État pour faire appliquer leurs droits.

  (1310)  

    C'est pourquoi j'ai l'impression que la situation est préoccupante pour les chrétiens. Si on compare l'Égypte à certains autres pays qui vivent des changements politiques dans la région, comme la Syrie, la Libye ou le Yémen, sa situation semble relativement bonne: les institutions étatiques de base fonctionnent de manière à assurer un minimum d'ordre et de sécurité. Mais sur la base des espoirs fondés en 2011, je crois que le peuple a réalisé qu'il était beaucoup plus facile de faire tomber un système autoritaire que d'en établir un qui protège les droits de tous les citoyens.
    Merci.
    Merci, Monsieur.
    Nous avons suffisamment de temps pour que les six intervenants disposent de sept minutes chacun.
    Sans nommer personne, je remarque l'absence d'un collègue. Il a peut-être été retardé en raison de la température, étant donné que nous ne sommes pas sur la Colline aujourd'hui.
    Nous allons lui accorder du temps pour ses questions. S'il ne se présente pas, nous pourrons répartir le temps restant entre les deux partis. J'espère que cela vous convient.
    Sur ce, je donne la parole à Mme Grewal.
    Madame Grewal, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Brown, de nous avoir accordé du temps et de votre exposé. Nous vous sommes reconnaissants puisque nous savons que vous étiez occupé aujourd'hui.
    Comme vous le savez peut-être, notre gouvernement vient d'inaugurer le Bureau de la liberté de religion, dont l'objectif est de favoriser la liberté de conscience à l'échelle mondiale.
    À votre avis, quelles pressions pourraient exercer le Canada pour améliorer la situation des Coptes, que ce soit par l'entremise du bureau ou par les moyens habituels?
    Merci d'avoir posé la question.
    Je dirais que c'est une question extrêmement délicate en Égypte. Selon moi, il y a des façons de l'aborder qui hérissent les Égyptiens et sont contre-productives, mais il y a aussi moyen de la soulever de façon à ce qu'elle cadre avec les politiques égyptiennes.
    La perception qu'il existe une communauté privilégiée en Égypte et qu'il pourrait s'agir des chrétiens rend les gens nerveux, et il arrive que les chrétiens soient du nombre. Le sentiment qu'ils sont égyptiens et qu'ils doivent être reconnus comme étant des citoyens égyptiens est très fort au sein de la communauté copte égyptienne. Le statut spécial accordé aux étrangers en Égypte a été aboli il y a plus d'un demi-siècle, mais il n'a pas été oublié.
    Si la question est posée de façon à donner l'impression qu'il s'agit d'une minorité qui a besoin de protection étrangère, les gens ont tendance à s'offusquer. Cependant, les discussions politiques égyptiennes sont fortement empreintes de nationalisme en ce moment, alors s'il y a moyen de poser la question de façon à mettre l'accent sur les droits des citoyens égyptiens, elle rejoindra tant les chrétiens que les non-chrétiens.
    L'idée qu'ils sont tous égyptiens et qu'ils ont tous des droits égaux aux libertés prévues dans la constitution, à savoir la liberté de culte, la liberté de religion, etc., en est une avec laquelle peu d'Égyptiens peuvent être en désaccord.
    J'estime personnellement que la façon pour les parties internationales intéressées d'aborder la question est de beaucoup insister, de poser constamment des questions concernant les droits de citoyenneté et les normes en matière de droits de la personne internationaux qui devraient s'appliquer à tous les citoyens de la planète.
    C'est probablement la meilleure façon d'aborder la question.

  (1315)  

    L'Égypte est l'un des quelques pays du Moyen-Orient qui compte une minorité religieuse aussi importante. Avec le nouveau gouvernement qui essaie toujours de trouver sa voix, quel type d'influence les coptes peuvent-ils exercer sur le gouvernement national égyptien?
    En ce moment, le gouvernement est essentiellement dirigé par les Frères musulmans... en fait, je ne devrais pas dire qu'il est dirigé par les Frères musulmans, mais que le président est issu de cette formation politique et que le plus grand parti politique du pays est le Parti de la liberté et de la justice, qui compte un très petit nombre de membres chrétiens, mais qui est, au fond, un parti politique des Frères musulmans.
    Je pense que la principale préoccupation est probablement que le parti qui gouverne est de tendance islamique. De plus, lorsqu'il y aura des élections parlementaires, il est probable que le parti des Frères musulmans s'en tire bien, et le prochain parti le plus important pourrait aussi être islamiste, à tendance salafiste. La tension entre les salafs et les chrétiens est beaucoup plus marquée que même celle entre les chrétiens et les Frères musulmans. On ne peut nier que les chrétiens sont minoritaires et que, dans un processus démocratique, les minorités ne s'en sortent pas nécessairement très bien.
    Je pense qu'il serait dans l'intérêt des chrétiens que l'on insiste pour que les institutions de l'État égyptien — pas nécessairement celles de la présidence et du Parlement, qui refléteront probablement la majorité, mais les institutions d'État égyptiennes, dont l'armée, les services de sécurité, la magistrature, etc. —, soient formées autant que possible de façon non sectaire, pour que la non-discrimination, au niveau officiel, mais surtout non officiel, soit un grand principe prévu dans l'édification de diverses bureaucraties d'État. Cela ferait en sorte que les chrétiens soient représentés dans toutes les institutions égyptiennes.
    Dans les circonstances actuelles, j'ai l'impression que la discrimination informelle est une question très grave en Égypte. La discrimination officielle, c'est-à-dire, les secteurs qui sont déjà juridiquement interdits aux non-Musulmans, est beaucoup moins problématique. Dans un sens, la question sera d'appliquer cette loi et d'arriver à faire en sorte que les institutions d'État la prenne au sérieux.
    Même si les médias montrent que le gouvernement agit au nom de tous les citoyens, les musulmans ne sont pas tous hostiles à l'égard des coptes. Quel type de coopération existe-t-il entre les groupes chrétiens et musulmans pour lutter contre la persécution?
    Je pense que, en ce moment, il n'y en a pas tant que cela; je vais être bien honnête.
    Le leadership politique exercé par les Frères musulmans répond en quelque sorte généralement à l'idée qu'ils sont maintenant responsables de tous les Égyptiens, les musulmans et les chrétiens. Formés dans un milieu autoritaire, les dirigeants des Frères musulmans semblent être encore sous l’influence de l’ancien régime et tournés sur eux-mêmes. Il ne sont simplement pas habitués à ces types de responsabilités, et je ne suis pas certain que les groupes s'ajustent tous aussi facilement.
    Je pense que certains endroits en Égypte, même au sein de la sphère religieuse, sont un peu plus ouverts à l'idée. Par exemple, l'Université Al-Azhar, qui est, en gros, la partie centrale du pouvoir religieux islamique égyptien — c'est une université, un ensemble d'écoles, un centre de recherche; bref, c'est l'essentiel du pouvoir religieux égyptien qui jouit du soutien de l'État — est actuellement dirigée par un leader, Sheikh Al-Azhar, qui selon moi est beaucoup plus ouvert à l'idée de tendre la main aux autres communautés religieuses. Il est aussi crédible au plan religieux que n'importe qui au sein des Frères musulmans.
    Désolé, madame Grewal, mais vos sept minutes sont écoulées.
    La parole est maintenant à M. Marston. Vous avez sept minutes, monsieur.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue, professeur Brown. Nous vous savons gré d'être venu aujourd'hui.
    J'ai griffonné sur un bout de papier environ neuf points différents, car votre témoignage est très intéressant pour nous.
    Lorsque nous prenons l'Égypte avant les deux dernières années, bien des étrangers ne l'auraient pas perçue comme un pays islamique fondamentaliste comme, par exemple, l'Arabie saoudite. Au sein des Frères musulmans, et des anciens dirigeants, qui sont toujours, dans une large mesure, au pouvoir là-bas, je crois qu'il y a des petites pressions politiques de part et d'autre.
    Je suis ravi de voir la constitution qui s'est développée comme elle l'a fait au plan notamment des droits. Vous avez soulevé une préoccupation importante, par contre, lorsque vous avez dit qu'il n'y avait personne vers qui se tourner pour faire respecter les droits.
    Estimez-vous qu'ils vont changer la donne et mettre en place des mécanismes pour garantir le respect de ces droits?

  (1320)  

    Le libellé de la constitution suscite beaucoup de critiques en Égypte. Il était très faible à cet égard. J'estime que la constitution fait un bien meilleur travail que ses détracteurs le disent. Comme je l'ai laissé entendre, le vrai problème se rapporte au contexte politique.
    La constitution a été produite par une assemblée à majorité islamique. À la toute fin, lorsque les membres étaient convaincus qu'ils ne pourraient dégager aucun accord avec les non-Islamistes, ils ont simplement rédigé un document à la va-vite. Les dernières phases du processus se sont mal déroulées. En réalité, les membres de l'assemblée constitutionnelle ont passé la nuit à l'étudier article par article, l'ont bâclé, et l'ont ensuite soumis à un vote dans le cadre d'un référendum éclair.
    Cela a donné un document... Il y a toujours quelques petits pépins avec un document qui est compilé aussi rapidement, mais cela a aussi donné un document avec peu de légitimité. Lorsque vous prenez l'opposition politique, par exemple, il n'est même pas clair qu'elle accepte qu'il énonce les règles du jeu fondamentales ou que les questions fondamentales de la vie politique égyptienne et du processus de reconstruction politique égyptien ont été réglées. Cela crée une situation très difficile.
    Encore une fois, l'Égypte a un appareil étatique très fort, et ces institutions d'État — la magistrature, l'armée — sont toujours intactes, au fond. Je pense que nous n'en sommes qu'au début du processus pour voir si l'on peut s'y fier pour donner un sens à ces garanties constitutionnelles.
    Parce que mon témoignage a peut-être insisté sur les parties où le verre est à moitié vide, laissez-moi vous parler d'un développement qui montre peut-être qu'il est à moitié plein. Quand la chambre haute du Parlement, qui est la seule moitié qui reste et qui jouit d'un pouvoir législatif par intérim en l'absence de la chambre basse, a adopté une loi électorale pour la chambre basse du Parlement, cette loi a été annulée par le tribunal constitutionnel, qui devait l'examiner au préalable. La chambre haute de l'assemblée a ensuite adopté une version révisée de la loi pour tenir compte de l'objection du tribunal constitutionnel et ne l'a pas soumise une autre fois à l'examen de celui-ci, alors un tribunal administratif a suspendu, en gros, l'application de la loi électorale jusqu'à ce que le tribunal constitutionnel ait eu la chance de l'examiner.
    Cela laisse entendre que ces institutions, les tribunaux administratifs et constitutionnels, ont encore de la vitalité. On ignore comment ils fonctionneront. Le tribunal constitutionnel est un organe de longue date, mais la constitution a changé sa composition. Il y a d'autres institutions dans le pays qui essaient toujours de s'ajuster au régime post-Moubarak.
    Les structures existent toujours. La question est de savoir si elles pourront jouer le rôle dont vous parlez et si l'opposition politique commencera à s'accommoder de la constitution lorsqu'elle constatera que, dans un sens, il ne s'agit pas simplement d'un outil islamiste.
    L'une des choses qui me frappent lorsque l'on parle des islamistes, des croyants musulmans en général, est que, en Amérique du Nord, ils sont devenus synonymes de fondamentalisme. Cependant, parmi les musulmans que je rencontre à Hamilton, où il y a une communauté musulmane dynamique dont les membres sont originaires de divers pays, on observe des différences très distinctes dans leurs croyances.
    Je suis encouragé d'entendre ce que vous avez dit concernant les deux tribunaux, leurs réponses et le fait qu'on les a écoutées. Je pense que c'est crucial. De notre côté, nous pourrions penser que le système égyptien est défaillant, car très souvent, nous ne faisons pas que composer avec ce que nous voyons dans les médias.
    Lorsque vous comparez la position du gouvernement actuel avec les attitudes des personnes ordinaires qui se trouvent sur le terrain... Lorsque l'on étudie la situation des chrétiens coptes qui ont été attaqués et qui ont été victimes de crimes haineux, j'ai cru comprendre que cela se fait plus à l'échelle locale, qu'il ne s'agit pas d'attaques institutionnalisées. Je suis certain qu'il est arrivé qu'un mollah les encourage, mais que dans l'ensemble, la communauté musulmane en tant que telle verrait probablement la chose avec horreur. Comment verriez-vous la chose?

  (1325)  

    Je crois qu'au fond, c'est vrai,
    L'Égypte a été une société qui n'a pas subi énormément de violence politique. Il y a eu des tensions communautaires par le passé. En règle générale, plusieurs différends s'entremêlent. Il arrive qu'il y ait un différend de quartier entre familles ou voisins qui se transforme en différend religieux si un côté est chrétien et l'autre, musulman. Il y a des cas où, par exemple, les gens se convertissent ou changent de communauté parce que le statut légal d'une personne est déterminé par sa religion. Cela crée toutes sortes de tensions familiales.
    Encore une fois, il y a parfois de la violence politique en Égypte. Certaines limites ont été dépassées au cours des deux dernières années, mais au fond, c'est une société dans laquelle la violence de ce type continue de choquer. Il s'agit aussi d'une société très conservatrice au plan social, où la famille occupe une place de choix. Votre religion n'est pas qu'une question de conviction personnelle; elle définit aussi votre famille et vos parents, et souvent même vos amis, et l'endroit où vous vivez. Elle crée parfois des enclaves. C'est là où je pense que le problème peut se situer à l'échelle locale. Ce sont les types de problèmes qui s'aggravent dans un contexte incertain au plan de la sécurité comme celui que nous voyons en ce moment.
    Merci beaucoup.
    Malheureusement, notre première ronde est terminée.
    La parole est-elle maintenant à M. Schellenberger ou à M. Sweet?
    Je peux prendre la parole à moins que M. Schellenberger préfère le faire.
    Monsieur Sweet, la parole est à vous.
    Merci beaucoup, Professeur Brown.
    Je veux simplement enchaîner sur la réponse que vous avez donnée à mon collègue, M. Marston. Vous avez dit que vous estimez qu'il y a moins de tensions religieuses sauf quand il y a un différend qui se transforme en un type de différend religieux. Pendant des générations, les membres de la communauté copte ont été réprimés par le fait de ne pas pouvoir occuper les mêmes emplois que les autres en Égypte, ne pas pouvoir posséder des propriétés à des endroits précis et ne pouvoir être propriétaires que dans certaines circonstances. Ils doivent même demander la permission de réparer ou de rénover leur église, etc.
    Est-ce que c'est que les différends prennent une tournure religieuse ou plutôt que ces différends n'éclatent pas tant que les répressions inhérentes à ce que je qualifierais de castes religieuses restent en place?
    Il est difficile de répondre à cette question. Je dirais que vous parlez de deux différents types de discrimination. L'un est informel et se rapporte aux types de professions inaccessibles, etc.
    Vous verrez que dans la loi égyptienne, il n'en est absolument pas question. Du point de vue juridique, pour la plupart des choses, les Musulmans égyptiens et les chrétiens égyptiens sont absolument égaux. Ils ont les mêmes droits à la propriété. Il n'est cité dans aucune loi égyptienne que les chrétiens n'ont pas le droit d'être propriétaires fonciers. Vous trouverez un environnement que je comparerais, moi qui suis Américain, à la situation dans les États du Nord avant l'avènement du mouvement pour la défense des droits civils. Du point de vue juridique, il n'y a aucune ségrégation, mais dans les faits, il y en a énormément. C'est accentué par le fait que la religion égyptienne est, comme je l'ai mentionné, une affaire très communautaire. En général, les gens vont embaucher des personnes qu'ils connaissent, des membres de la parenté. Alors il y a probablement des enclaves dans lesquelles les chrétiens ne se sentiraient pas les bienvenus et d'autres où ce serait le contraire. Cela crée ce type d'environnement et cela se fait de façon informelle.
    La discrimination officielle peut se manifester au plan de la religion, comme vous l'avez mentionné, pour ce qui est des travaux de rénovation et des obstacles bureaucratiques extraordinaires à surmonter pour construire des églises ou même y faire quelques réparations. Je n'entrevois pas d'amélioration prochaine sur l'un ou l'autre de ces plans.
    Je vois plutôt un nouvel esprit d'activisme parmi les chrétiens. Si vous remontez une vingtaine d'années en arrière, je pense que l'approche dominante au sein de la communauté chrétienne d'Égypte était essentiellement d'essayer de fonctionner dans le système tel qu'il était, et lorsque des demandes étaient faites, de mettre en valeur ce que j'appelle le chrétien du dimanche, les droits de l'Église, la liberté de culte, la liberté de réparer les églises, etc.
    Depuis la révolution égyptienne, un esprit d'activisme règne chez les membres de la communauté chrétienne qui affirment avoir besoin de droits non seulement comme chrétiens pour réparer les églises, mais aussi comme citoyens égyptiens. Ils sont prêts à s'attaquer à la discrimination en grande partie informelle. Ils sont prêts à la mettre à l'ordre du jour et à insister très publiquement sur une nouvelle conception de la citoyenneté égyptienne qui aille vraiment au-delà de l'affiliation religieuse.
    Je ne suis pas certain qu'ils aient encore réussi à apporter des changements à la société égyptienne, mais ils en ont parlé publiquement, et si vous allez en Égypte et demandez qui représente la communauté chrétienne, il est possible que vous trouviez un autre leadership qu'il y a 20 ans. Il n'y a plus seulement que l'Église; il y a maintenant aussi un solide leadership laïc qui fait valoir une panoplie de droits, et pas seulement des droits religieux.

  (1330)  

    Compte tenu de vos compétences en sciences politiques, j’aimerais avoir votre opinion. Il s’agit d’une question très générale. Selon ce que vous savez des Frères musulmans qui dirigent actuellement l’Égypte, diriez-vous qu’ils ont assez de profondeur? Vous avez déjà mentionné qu’ils ont de la difficulté à aborder certains enjeux. L’économie égyptienne est un désastre. Il faut réformer le système judiciaire. Il faut enrayer le grave problème de corruption. De mon point de vue, vous pourrez me corriger, mais je crois que les Frères musulmans n’ont toujours pas le contrôle de l’armée, et il y a bien entendu la question de la liberté de culte dont nous parlons également.
    À votre avis, est-ce que les Frères musulmans ont la profondeur nécessaire en vue d’engendrer de tels changements en Égypte?
    En ce qui concerne leurs ambitions politiques dans la majorité de ces domaines, je les appuierais davantage que bon nombre de leurs détracteurs. Je crois qu’ils veulent essentiellement bâtir une démocratie en Égypte dans laquelle il y a un contrôle civil des institutions. Les Frères musulmans ont une certaine idée de ce qu’ils veulent faire en matière d’économie; ils savent que l’État doit tout simplement réussir à mieux subvenir aux besoins fondamentaux des citoyens égyptiens et qu’il faut mettre beaucoup plus l’accent notamment sur la création d’emplois. Tout cela se fait essentiellement dans un cadre économique libéral.
    Je crois que leurs ambitions dans la majorité des sphères sont en fait positives. Je ne crois pas qu’ils ont actuellement la profondeur dans leurs rangs ou l’expertise requise dans la plupart de ces sphères pour le faire; ils n’en ont pas non plus le pouvoir politique. Les Frères musulmans ont la présidence. Il n’y a pas de parlement légitime en place. Ils ont un cabinet de nature technocrate. Ils ne se sentent pas prêts pour l’instant à former un cabinet partisan qui pourrait mettre en oeuvre le programme politique du Parti de la liberté et de la justice, soit le parti des Frères musulmans. Ils ne sont même pas tout à fait certains de contrôler les rênes du pouvoir au sein de l’État égyptien.
    Les problèmes fondamentaux ne sont pas vraiment liés à leurs ambitions; ils sont davantage liés à leur profondeur, à leurs capacités et à l’interminable processus de transition incertain qui rend toute prise de décisions difficile.
    J’ai une dernière question. Vous avez parlé de la constitution dès la première minute de votre exposé et vous avez dit que la tournure des évènements surprendra même certains de ces rédacteurs.
    Pourriez-vous nous expliquer un peu votre affirmation?
    Oui. Je vais vous donner un exemple, même si cela semble un peu nébuleux.
    L’article 4 de la constitution dit qu’Al-Azhar, l’institution à laquelle j’ai fait allusion plus tôt, devra être consultée au sujet de toute question portant sur la charia ou la loi islamique. Les Frères musulmans ont fait cet ajout pour diverses raisons politiques en vue de satisfaire leurs électeurs. L’article a délibérément été rédigé à la voix passive en vue d’éviter de clairement préciser qui était censé consulter Al-Azhar.
    L’article me semblait avoir été ajouté pour sa valeur symbolique, mais il ne devait pas nécessairement avoir une réelle valeur. Eh bien, Al-Azhar a sauté sur l’occasion. L’institution n’a pas attendu d’être consultée.
    Dans le cas, par exemple, du document des Nations Unies sur la prévention de la violence faite aux femmes, que les Frères musulmans ont publiquement critiqué, Al-Azhar a décidé de prendre la question en délibéré et de déterminer, de sa propre initiative, si c’est conforme ou non à la charia islamique.
    Vous avez un système dans lequel les Frères musulmans pensent qu’ils peuvent pratiquement parler au nom de l’islam et faire progresser l’islam au pays, parce qu’ils sont les Frères musulmans et qu’ils ont obtenu la majorité des voix. Cependant, les Frères musulmans sont forcés de constater qu’ils ont conféré un certain pouvoir à une institution parallèle, Al-Azhar, dont les dirigeants ne sont pas particulièrement sympathiques aux Frères musulmans, qui a sa propre interprétation.
    Au lieu de rédiger une constitution qui leur donnait le pouvoir, les Frères musulmans ont habilité un autre groupe à prendre la parole au nom de l’islam; c’est de plus une institution qui jouit d’une forte légitimité au sein de la société égyptienne.

  (1335)  

    Merci beaucoup, monsieur.
    Merci, monsieur Sweet.

[Français]

    Monsieur Jacob, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Professeur Brown, merci d'être parmi nous cet après-midi.
    À votre avis, quel serait le meilleur moyen pour le Canada de favoriser le respect de la liberté d'expression, des droits de la femme et des minorités religieuses en Égypte pendant la période de transition? Y a-t-il certains types d'action qui seraient plus efficaces? Y a-t-il des institutions au sein de l'État égyptien ou des groupes non étatiques avec lesquelles, à votre avis, le Canada devrait s'engager plus que d'autres?

[Traduction]

    Je crois que divers pays devront s’habituer à traiter avec l’Égypte en tant que société plus démocratique. C’est donc une très bonne question.
    Lorsqu’un État échange avec un régime autoritaire, les dirigeants sont habitués à traiter de manière générale avec le bureau du chef d’État. Ils n’ont pas à se soucier du reste de l’appareil ou de l’opposition politique, par exemple.
    Ce n’est pas ainsi que les démocraties ont tendance à interagir. Les nations ont tendance à interagir avec l’ensemble de l’appareil. C’est tout à fait normal pour un diplomate de rencontrer régulièrement le parti au pouvoir, mais également l’opposition politique et divers acteurs de la société civile.
    Je crois que c’est ce qu’il faudrait faire, et je pense qu’il faut le faire très soigneusement. Comme j’ai essayé de l’expliquer clairement, l’une de mes principales inquiétudes au sujet de l’Égypte est qu’il y a un processus de transition qui n’est pas considéré comme légitime par une grande partie de la société politique égyptienne.
    Je présume que ceux qui forment l’opposition politique comprennent que lorsqu’il y a des élections, ils ne les remportent pas. Le problème est que cela les a poussés à se chercher un sauveur — dans l’armée, la magistrature, la communauté internationale — au lieu de se tourner vers leurs propres gens et d’essayer de comprendre pourquoi les Frères musulmans obtiennent un bon score électoral.
    Je me demande parfois si nous ne leur envoyions pas un message trop fort en leur disant que nous les soutenons. Nous avons une affinité naturelle avec des groupes qui ont un programme politique et social de nature plus libérale. Je crois qu’un tel soutien global est nécessaire, et je crois que nous pouvons maintenant le faire plus facilement qu’à l’époque du régime autoritaire, mais nous devons être prudents de ne pas laisser entendre que nous choisissons les gagnants et les perdants ou les personnes précises que nous voulons voir au pouvoir.
    La perception actuelle en Égypte est que la communauté internationale — avec les États-Unis à sa tête, mais aussi avec d’autres pays occidentaux — en est venue à des compromis avec les Frères musulmans. Je crois que c’est en gros le cas, mais la perception en Égypte est que nous ne pouvons pas aller jusqu’à faire pencher la balance de l’autre côté, à savoir d’envoyer le message que nous nous opposons aux Frères musulmans et que nous soutenons l’opposition politique.

  (1340)  

[Français]

    Merci.
    Comment décririez-vous le respect de la primauté du droit en Égypte en ce moment?

[Traduction]

    Je dirais que c’est fragile. Il y a une structure juridique solide. Le système de justice en Égypte a 150 ans. Il est très bien établi dans la société égyptienne. Le nombre de procès est extrêmement élevé. Les Égyptiens ont très facilement accès aux tribunaux. Les structures fondamentales sont solides. Elles grincent parfois. Elles sont parfois lentes et inefficaces, mais elles sont solides.
    Il y a par contre de véritables problèmes. Selon moi, ces problèmes sont liés à la sécurité. Si vous allez dans une salle d’audience égyptienne, vous serez surpris par le faible niveau de sécurité. Par le passé, les tribunaux égyptiens ont été en mesure de juger un grand nombre d’affaires civiles et criminelles tout simplement grâce à la majesté du droit et des tribunaux et à une très faible présence policière, comme je viens de le mentionner. Des salles d’audience ont souvent été prises d’assaut.
    Des gens ont essayé d’intimider des juges, et des audiences ont dû être suspendues. La magistrature égyptienne se sent quelque peu assaillie et a l’impression de ne pas pouvoir fonctionner très efficacement.
    Pour couronner le tout, il y a également des tensions palpables entre la présidence et le pouvoir juridique. La magistrature n’a pas l’impression d’avoir nécessairement le soutien de l’appareil de sécurité et du chef de l’État égyptien.

[Français]

    Merci.
    J'ai une dernière question.
    Estimez-vous probable que le gouvernement du président Morsi cherche à établir la vérité et les responsabilités quant aux violations passées des droits de la personne?

[Traduction]

    Non. Je ne crois pas que son gouvernement essaye de se soustraire de ses responsabilités, mais ce n’est pas sa priorité pour l’instant, à mon avis.
    Selon moi, la priorité est actuellement de mettre en place un système politique et économique solide. Je présume que le gouvernement de Morsi est prêt à remettre à plus tard l’examen des enjeux urgents en matière de droits de la personne, et cela m’inquiète. Je prends l’engagement de Morsi à... [Note de la rédaction: difficultés techniques] très sérieusement, mais je crains que plus il passe de temps au pouvoir et plus son passé dans l’opposition s’estompe, moins il considère cette question comme une priorité. Par exemple, la question de la responsabilité à l’égard de violations antérieures des droits de la personne n’a pas vraiment été soulevée. La haute direction du pays, soit le président et son entourage, a clairement convenu qu’elle ne peut pas aborder cet enjeu pour l’instant, parce qu’il y en a beaucoup d’autres sur la table.
    Par exemple, je pense que la liberté de la presse est un aspect qui suscite de vives critiques de la part des Égyptiens à l’endroit de Morsi. Selon moi, certaines critiques sont méritées, tandis que d’autres ne le sont pas, mais le problème fondamental concernant la liberté de la presse et d’autres questions juridiques est que l’héritage juridique du régime autoritaire, qui était profondément enraciné depuis des décennies dans la société égyptienne, se trouve encore dans le corpus législatif. Il faudrait pratiquement procéder à un examen exhaustif des lois en vigueur dans tous les domaines concernant les droits de la personne. Rien de tel n’est encore entamé, et je doute que ce soit une priorité.

[Français]

    Merci, professeur Brown.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Jacob.

[Traduction]

    Monsieur Schellenberger, vous avez sept minutes.
    Merci. C’est toujours plaisant d’être le dernier intervenant, parce que toutes les bonnes questions ont déjà été posées.
    Vous avez répondu à beaucoup de questions. J’ai plus de feuilles devant moi que la majorité des gens en auraient.
    J’ai une question sur l’éducation en Égypte. La ségrégation touche-t-elle le système scolaire? Y a-t-il un système public qui accueille tous les jeunes égyptiens indépendamment de leur religion?

  (1345)  

    Oui, en gros. Il y a une ségrégation informelle en ce qui a trait aux logements et aux quartiers, ce qui signifie que les chrétiens ont tendance à se regrouper dans des secteurs précis et qu’ils ne sont pas présents dans d’autres.
    Il y a aussi le système parallèle d’Al-Azhar. Il fait partie de l’État égyptien, mais il offre un programme scolaire fondé sur l’islam. Il s’agit d’un système scolaire distinct qui accueille, selon moi, environ 10 p. 100 des enfants égyptiens d’âge scolaire.
    Il y a également un grand réseau d’écoles privées confessionnelles et laïques.
    J’ajouterais que les cours de religion sont obligatoires en Égypte. Si l’école accueille des chrétiens et des musulmans, les élèves sont séparés pour les cours de religion.
    Vous avez fait allusion aux États de l’Union où la ségrégation raciale n’était pas officielle, mais c’était tout de même la pratique. Je suis probablement un peu plus vieux que vous, et je me rappelle que cette situation était très répandue à Detroit dans les années 1950. Il y avait des quartiers blancs et des quartiers noirs. Si une maison dans un quartier blanc était vendue à une famille noire, toutes les familles blanches déménageaient. Le quartier devenait alors un quartier noir.
    Est-ce ainsi en Égypte en ce qui a trait aux gens et aux religions?
    Pas d’après ce que j’en sais. Je ne crois pas que la ségrégation soit aussi grave. J’ai vécu à Chicago dans les années 1970, et la ségrégation y était extrême. C’était visible d’un secteur à l’autre. Je ne crois pas que la ségrégation informelle est aussi grave. De plus, les différences socioéconomiques qui exacerbaient la situation ne sont pas les mêmes, et ce n’est pas toujours évident de savoir si la personne que vous croisez dans la rue est musulmane ou chrétienne.
    Je dirais que c’est probablement moins grave qu’à Detroit, mais la ségrégation est tout de même assez marquée. Comme je l’ai dit, je ne crois pas qu’il y ait de secteurs exclusivement réservés aux chrétiens, mais dans certains secteurs, on retrouve une forte concentration de chrétiens, tandis qu’ailleurs il y en a que très peu.
    En comité, nous avons discuté de la situation qui prévaut au Honduras et ailleurs dans le monde, et la primauté du droit est très importante. Si les gens ne respectent pas les lois, j’ai l’impression que cela peut engendrer divers problèmes. Y a-t-il actuellement un vide judiciaire ou est-ce que la primauté du droit est rigoureusement respectée?
    À mon avis, il n’y a pas de vide judiciaire proprement dit. Des tribunaux entendent des affaires, et les gens ont confiance en la magistrature. En fait, le pouvoir judiciaire est probablement l’une des institutions les plus respectées au pays. Voici ce que je crois qui s’est passé au cours des deux dernières années en Égypte. Il y a eu une érosion du contrôle social informel. Le comportement de la population est devenu plus problématique. Je n’ai pas de données à ce chapitre et je ne suis même pas certain qu’il en existe, mais je sais que les Égyptiens rapportent que les crimes de rue sont beaucoup plus répandus, de même que les vols de voiture et les crimes violents, actes qui étaient auparavant rarissimes en Égypte. On rapporte également des cas de harcèlement et d’agressions sexuelles. Ces actes sont de plus en plus répandus en Égypte. Les gens se sentent moins en sécurité, et je pense que cela influe sur leur perception de la primauté du droit.
    Dans un sens, la structure est toujours là et elle est solide, et les citoyens font pleinement confiance au personnel en place. Par contre, lorsqu’ils sortent de leur maison, les gens ont beaucoup moins l’impression de se trouver dans un environnement où la primauté du droit prévaut de manière normale.
    Le système judiciaire a-t-il changé, ou est-il resté le même?
    Le même qu'auparavant? Oui. Il n'y a pratiquement pas eu de changements dans l'appareil judiciaire. C'est une institution très solide. La constitution rédigée en 2012 a changé la composition du tribunal constitutionnel, mais c'est à peu près tout. En fait, l'appareil judiciaire a gagné en autonomie, je crois, depuis 2011. Auparavant, le président disposait d'un important ensemble d'outils informels avec lesquels il pouvait influencer le pouvoir judiciaire. Je crois qu'ils ont disparu; le système judiciaire serait donc une institution plus puissante, ou il aurait du moins plus d'autonomie qu'auparavant par rapport au pouvoir exécutif.

  (1350)  

    Le chômage en Égypte est-il actuellement assez élevé, ou la situation est-elle assez bonne? Cela va encore créer des problèmes dans les différents voisinages. Que prévoyez-vous en ce qui concerne l'emploi dans l'avenir?
    Je pense que c'est un enjeu tout à fait critique. En revenant sur la façon dont les Égyptiens ont compris et ce qu'ils ont fait en 2011, on dit souvent qu'il s'agissait d'une révolution des jeunes, et des jeunes qui étaient... Il y a eu en quelque sorte un changement générationnel en Égypte. Cette génération de jeunes serait beaucoup moins respectueuse, mais on était aussi convaincu que la société avait laissé tomber ses jeunes. Elle leur donnait une mauvaise éducation. Elle ne leur fournissait pas de logements. Elle ne créait pas d'emplois au même rythme que la conception des enfants.
    En conséquence, ce n'était pas un simple problème de chômage, mais un problème particulièrement grave de chômage chez les jeunes Égyptiens et les gens qui voulaient intégrer le marché du travail, et à tous les niveaux, y compris ceux qui étaient bien qualifiés et qui détenaient un diplôme de niveau collégial. En 2011, les jeunes — je le répète, ce sont principalement eux qui ont mené la révolution — avaient le sentiment que le système politique avait trahi leur confiance et qu'ils devaient bâtir un nouveau système, qui répondrait aux besoins non pas d'une poignée de dirigeants, du président ou du groupe restreint qui l'entoure, mais aux besoins de la société dans son ensemble.
    Je pense que ce qui a créé beaucoup de désillusions en Égypte par rapport à l'état actuel du processus politique, c'est que les choses ne sont tout simplement pas allées dans cette direction. On a réussi à supprimer l'ancienne règle, mais le système politique n'est pas en mesure, du moins actuellement, de créer des possibilités d'emploi pour cette génération de jeunes Égyptiens qui a mené la révolution.
    Permettez-moi de vous poser une dernière question. L'autre jour, nous avons entendu quelques personnes au sujet du Honduras. Dans ce pays, 54 p. 100 de la population est âgée de moins de 15 ans. Le salaire journalier moyen y est de deux dollars. Je crois que dans cinq ans, au Honduras, l'âge moyen de 60 ou peut-être 65 p. 100 de la population sera de moins de 20 ans.
    Y a-t-il une grande proportion de jeunes en Égypte, ce qui complique la tâche du gouvernement pour créer des emplois pour ces gens?
    Oui. Je ne connais pas les chiffres exacts pour l'Égypte, mais je crois que la situation est très similaire.
    Je vous remercie, monsieur.
    Merci.
    Il nous reste assez de temps pour une dernière série de questions. M. Jacob m'a dit qu'il avait une question; je propose donc de lui donner d'abord la parole. Ensuite, ce sera au tour de M. Sweet.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Ma prochaine question s'adresse au professeur Brown.
    Dans une allocution prononcée en septembre 2012 au siège des Nations Unies, à New York, le président Morsi a déclaré ce qui suit:
L'Égypte tient à souligner que le système international ne saurait être redressé tant qu'on continuera à appliquer un système de deux poids deux mesures. À l'instar de ce que l'on attend de nous, nous nous attendons à ce que les autres respectent nos particularités culturelles et nos points de référence religieux et qu'on ne cherche pas à nous imposer des concepts qui nous sont inacceptables ou à politiser certains enjeux et à les utiliser comme prétexte pour intervenir dans les affaires d'autrui.
    En regard de la promotion des droits de la personne et de la transition de l'Égypte vers la démocratie, comment doit-on interpréter cette déclaration du président Morsi?

[Traduction]

    Comme une position extrêmement circonspecte à l'égard des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne qui traitent d'enjeux très précis, je crois, et surtout en ce qui concerne le sexe. Le parti politique le plus important, le Parti de la liberté et de la justice, par exemple, a nommément désigné, dans sa plateforme électorale, la convention sur la discrimination économique à l'égard des femmes comme un document avec lequel il n'était pas à l'aise.
    Je ne crois pas que l'on tente de mettre en question les normes internationales en matière de droits de la personne en général. Comme je l'ai dit, surtout dans la sphère politique, les Frères musulmans s'en accommodent, mais lorsqu'il s'agit de la question des rapports hommes-femmes, ils deviennent très méfiants et pointilleux.
    Le fait est que la loi islamique sur le statut personnel est une loi qui prévoit des droits différents selon que l'on est un homme ou une femme. C'est quelque chose qu'il est très difficile pour eux de contourner et qu'ils considèrent fondé sur l'instruction divine; ce n'est pas le genre de choses, selon eux, que les Nations Unies devraient leur dire de ne pas faire.

  (1355)  

[Français]

    Merci, professeur Brown.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Jacob.

[Traduction]

    M. Sweet m'informe qu'il n'a pas d'autres questions; je me demande donc si le comité me permettrait d'en poser une. Je tiens à revenir sur la question des rapports hommes-femmes.
    L'une des choses sur lesquelles s'est penché le comité, pas uniquement en ce qui a trait à l'Égypte, mais à de nombreux autres États d'Afrique et d'Asie, c'est la question du traitement réservé aux femmes.
    Avez-vous mentionné, si j'ai bien compris, que les salafistes et le Parti de la justice et de la liberté avaient les mêmes réserves au sujet de l'application des normes internationales?
    Oui, celles des salafistes sont plus importantes et formulées avec moins de diplomatie.
    D'accord.
    Ce ne sont pas les deux seuls partis présents en Égypte. S'agit-il d'une position universelle, d'un consensus parmi les grands partis, ou leur point de vue diffère-t-il de façon importante sur cette question?
    En ce qui concerne les rapports hommes-femmes en particulier, je dirais que les points de vue sont variés. Il s'agit essentiellement d'une société socialement conservatrice selon la compréhension que nous en avons. On comprend que la plupart des gens considèrent que les hommes et les femmes jouent des rôles fondamentalement différents dans la société.
    Cependant, les points de vue sont très variés. Je dirais que ce sont les salafistes qui insistent le plus sur l'interprétation et l'application littérales de leur compréhension des enseignements religieux. Les Frères musulmans ont tendance à être un peu plus souples. Ils veulent orienter la société selon ces enseignements, mais ils les interprètent un peu plus librement et ils font preuve d'un peu plus de patience pour ce qui est de leur application.
    Parallèlement, il y a encore des secteurs de la société égyptienne dans lesquels, par exemple, les femmes jouent un rôle public extrêmement important. Dans le domaine de la télédiffusion, par exemple, il y a beaucoup de femmes. Le corps diplomatique égyptien est aussi reconnu depuis longtemps pour son ouverture à l'égard des femmes. Le mouvement féministe égyptien ne date pas d'hier. Ce sont les pressions intérieures exercées par les Égyptiennes qui ont permis aux femmes d'obtenir le droit de vote dans les années 1950.
    Je crois que le spectre est très large. Certains groupes égyptiens, plutôt que de se méfier des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, surtout en ce qui concerne les rapports hommes-femmes, les acceptent et disent essentiellement qu'ils doivent se joindre au reste du monde. Il y a des normes internationales qui peuvent très bien s'appliquer à la société égyptienne.
    J'ai l'impression que la déclaration faite par le président Morsi à la réunion de l'Assemblée générale des Nations Unies a sans doute été bien accueillie par la majorité des Égyptiens, mais qu'elle a mis une minorité solide, puissante et intellectuellement active sur le qui-vive.

  (1400)  

    Très bien. Ces observations sont très utiles.
    Vous avez aussi parlé de l'existence d'une différence sur le plan générationnel. Vous ne pourrez peut-être pas nous le dire, mais savez-vous s'il y a une préférence marquée parmi les générations en ce qui concerne les partis, ou est-ce que les divisions au sein de la société ne sont pas définies en fonction des générations, pour ce qui est de l'analyse partisane?
    J'aimerais savoir également s'il existe un fossé entre les générations sur le plan des attitudes à l'égard des rôles des hommes et des femmes ou si, encore une fois, il n'y a pas de division à ce chapitre.
    En effet, il m'est très difficile de vous le dire, car mes contacts se trouvent dans une partie restreinte de la société égyptienne, soit celle de la classe moyenne ou des intellectuels, et en général au Caire. Je crois qu'il y a un changement générationnel dans la société égyptienne, mais il est moins lié à l'idéologie politique et même aux rapports hommes-femmes qu'au comportement social.
    La génération actuelle est tout simplement moins respectueuse. C'est une société dans laquelle il y a un très grand sens de la hiérarchie en regard de l'âge. Cela commence à disparaître, et les Égyptiens plus âgés se sentent un peu déstabilisés. Le principe selon lequel la place qu'on occupe dans la pyramide sociale égyptienne dépend en partie de son âge bat tout simplement de l'aile, et c'est un remarquable pas en avant.
    À certains égards, cela ressemble aux progrès qui ont été réalisés dans d'autres pays au fil des décennies, y compris dans le nôtre.
    Merci beaucoup, professeur. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons. J'aurais bien d'autres questions à vous poser, mais puisque nous devons partir de l'édifice où nous nous réunissons et nous rendre à l'édifice principal du Parlement, nous allons devoir conclure. Je vous remercie beaucoup du temps que vous nous avez consacré. Votre témoignage a été très instructif.
    Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité.
    Ce fut un plaisir.
    Monsieur Sweet.
    Je voulais seulement poser une question à propos de jeudi prochain. Siégerons-nous ce jour-là? Jeudi prochain est considéré comme un vendredi à la Chambre, selon le calendrier.
    Il n'y a pas de réunion jeudi.
    Est-ce un vote pour qu'il n'y ait pas de réunion jeudi?
    Il n'y a pas de réunion jeudi.
    Puis-je vous demander de proposer sous forme de motion que nous ne siégions pas jeudi?
    J'en fais la proposition.
    Très bien. Voyons rapidement si vous avez l'appui des autres députés.
    Je pense que beaucoup de députés ne seront pas ici, et c'est pourquoi j'ai posé la question. Si c'est là le sentiment, alors il y a probablement consensus.
    Cela vous convient-il, monsieur Jacob?
    Je pense que nous avons un consensus; il n'y aura pas de réunion. Je voulais simplement le confirmer.
    (La motion est adoptée.)
    Avons-nous d'autres témoins ou avons-nous terminé d'entendre les témoignages sur la question des chrétiens coptes?
    À moins que les membres du comité estiment qu'il nous faut entendre d'autres témoins, c'est terminé.
    Aurons-nous bientôt une réunion où nous verrons une nouvelle version du rapport sur les chrétiens coptes qui comprendra aussi la motion que j'avais présentée concernant le libellé relatif à la dissolution du Parlement?
    Désolé, monsieur Sweet. Nous allons poursuivre à huis clos.
    D'accord.
     [La séance se poursuit à huis clos.]
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