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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 062 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 11 décembre 2012

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Français]

     En ce 11 décembre 2012, je vous souhaite la bienvenue à la 62e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

[Traduction]

    Il s’agit d’une séance télévisée. Nous revenons à une étude que nous avons menée il y a quelque temps au sujet de Sergei Magnitsky, un cadre supérieur russe qui a été assassiné, comme vous vous en souvenez peut-être. Nous accueillons de nouveau William Browder qui vient nous faire le point sur le dossier; il est directeur général de Hermitage Capital Management. Nous avons également Vladimir Kara-Murza qui est membre du Conseil de coordination de l'opposition russe.
    Messieurs, nous avons déjà parlé de vos exposés, et vous savez que l’un ou l’autre peut lancer le bal. Je vous invite donc à débuter.
    Merci.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Sous-comité des droits de la personne, merci beaucoup de votre invitation.
    Pour ceux qui ne connaissent pas les évènements, j’aimerais brièvement répéter l’histoire de Sergei Magnitsky. Ensuite, je vous raconterai ce qui s’est passé depuis mon dernier témoignage devant votre sous-comité.
    Cette histoire a débuté il y a plus de 15 ans, lorsque j’ai déménagé en Russie pour lancer un fonds d’investissement appelé Hermitage Capital Management, qui est devenu l’un des plus importants fonds d’investissement étrangers du pays. À ce titre, j’ai découvert que bien des entreprises dans lesquelles j’investissais en bourse se faisaient ni plus, ni moins voler des milliards de dollars.
    J’ai alors décidé de lutter contre la corruption en faisant des recherches et en mettant la corruption au grand jour dans les médias. Comme vous pouvez vous en douter, cela m’a valu d’avoir des ennemis et, en novembre 2005, j’ai été expulsé de la Russie et déclaré « menace pour la sécurité nationale ».
    En 2007, des policiers ont fait une descente dans mon bureau de Moscou, saisi tous les documents de la société et ensuite utilisé ces documents, au moyen d’un stratagème complexe, pour voler 230 millions de dollars en taxes que nous avions versés au gouvernement russe l’année précédente. Ce n’est pas notre argent qui a été volé, mais bien celui du Trésor russe.
    C’était une expérience juridique très complexe et très déplaisante. J’ai donc embauché divers avocats, dont Sergei Magnitsky, un avocat de 36 ans qui travaillait dans un cabinet américain. Il était, selon moi, l’un des avocats les plus intelligents et les plus dévoués de tout Moscou. Il a enquêté sur la situation et le crime. Sergei a trouvé des preuves compromettantes que de hauts fonctionnaires russes avaient participé au vol de 230 millions de dollars en taxes prélevées par l’État.
    Au lieu de fermer les yeux, comme la plupart des gens l’auraient fait à l’époque, Sergei a courageusement décidé de témoigner contre les hauts fonctionnaires en cause. Il l’a fait en juillet, puis en octobre 2008. Un mois plus tard, soit le 24 novembre 2008, deux subordonnés de l’un des policiers contre lesquels il avait témoigné se sont présentés à 8 heures à sa résidence et l’ont arrêté devant sa femme et ses deux enfants. Sergei a été mis en détention avant jugement.
     Il a alors été torturé pour qu’il retire son témoignage. Ses gardiens l’ont placé dans une cellule où se trouvaient 14 détenus et 8 lits et ont laissé les lumières allumées nuit et jour pour le priver de sommeil. Ils l’ont placé dans une cellule non chauffée et dont les fenêtres étaient dépourvues de vitre, en décembre, à Moscou; il est presque mort de froid. Ils l’ont ensuite placé dans une cellule dépourvue de toilette; il y avait simplement un trou dans le sol, où les eaux usées bouillonnaient.
    Après six mois de mauvais traitements, sa santé a commencé à décliner. Il avait perdu 40 livres, et il souffrait de graves douleurs à l’estomac, de pancréatite et de calculs biliaires. Il devait être opéré, et l’opération devait avoir lieu le 1er août 2009.
    Une semaine avant le jour prévu de l’intervention chirurgicale, Sergei a été abruptement déménagé d’un établissement qui comportait des installations de soins de santé à un pénitencier à sécurité maximale appelé Butyrka, qui est généralement considéré comme l’une des prisons les plus dures de Russie. Fait encore plus important pour Sergei, ce pénitencier ne disposait pas d’installations de soins de santé adéquats pour soigner sa condition.
    À Butyrka, sa santé s’est complètement détériorée. Sergei était constamment sous le coup d’une douleur insoutenable et incessante. Lui et ses avocats ont présenté plus de 20 demandes officielles pour qu’il reçoive des soins médicaux. En dépit de ses supplications, chacune de ses demandes écrites a été ignorée ou rejetée.
    Dans la nuit du 16 novembre, son corps a fini par lâcher, et son état est devenu critique. C’est seulement à ce moment qu’il a été placé dans une prison dotée d’installations de soins de santé. Il a été transféré dans la nuit au pénitencier Matrosskaya Tishina, mais, au lieu d’y être soigné, Sergei a été placé dans une cellule d’isolation à son arrivée, et huit gardiens antiémeutes armés de bâtons en caoutchouc l’ont battu pendant une heure et dix-huit minutes. On l’a ensuite découvert mort sur le sol de sa cellule dans la nuit du 16 novembre 2009, il y a plus de trois ans.
    Comment savons-nous tout cela? Durant ses 358 jours en détention, Sergei a rédigé 450 plaintes détaillant tous les aspects de la façon dont ses ravisseurs le torturaient: ce qu’ils faisaient, qui le faisaient, où ils le faisaient et comment ils le faisaient.
(1310)
    Grâce à ces documents, il a créé un dossier incroyablement étayé de ce qui lui était arrivé. À sa mort, nous avons aussi confronté sur le plan juridique le système d’application de la loi en Russie, ce qui nous a permis de mettre la main sur de nombreux autres documents qui corroborent tout ce que Sergei a soutenu.
    Grâce aux archives qu’il a créées, conjuguées aux documents officiels obtenus par l’entremise des tribunaux russes, je crois qu’il s’agit de l’affaire de violation des droits de la personne la mieux documentée en provenance de la Russie au cours des 25 dernières années. Grâce à tous les renseignements, on a recensé 39 000 articles dans la presse russe mentionnant le nom de Sergei Magnitsky depuis sa mort.
    Bien que tous les aspects de son histoire appellent à la consternation — il est impossible de ne pas être consterné —, ce qui rend ce cas vraiment important à l’échelle internationale n’est pas le crime proprement dit, mais bien ce qui s’est passé par la suite, à savoir une grande dissimulation généralisée dans l’appareil gouvernemental qui implique jusqu’au président russe.
    C’est semblable au scandale du Watergate. Ce n’était pas le cambriolage proprement dit qui a rendu ce crime aussi important; c’était la tentative de dissimulation qui a mené à l’époque à la démission du président américain.
    Je vais essayer de vous donner une idée de l’ampleur de la dissimulation. Au lendemain de la mort de Sergei, le ministère de l’Intérieur russe a annoncé que Sergei ne s’était jamais plaint de son état de santé, qu’il était décédé de causes naturelles et que son corps ne présentait aucun signe de violence, même si on voit clairement sur les photos de l’autopsie que ses bras, ses poignets et ses genoux sont noirs et bleus.
    Les policiers, les juges, les gardiens de prison et les membres des services de sécurité en cause ont tous été formellement disculpés. Certains ont même reçu une promotion et reçu les honneurs de l’État. Et le comble, c’est que, plus de deux ans après la mort de Sergei, les autorités le traînent aujourd’hui devant les tribunaux et le poursuivent. Il s’agit là de la première poursuite à titre posthume de l’histoire de la Russie. Ils jugent un mort. Et si ce n’était pas déjà suffisant, les mêmes fonctionnaires qui ont tué Sergei ordonnent maintenant à sa mère et à sa femme endeuillées de témoigner au procès de son fils et de son mari décédé.
    Compte tenu des circonstances, il est clair qu’aucune justice n’est possible en Russie. C’est pourquoi j’ai décidé, avec sa famille, d’obtenir justice à l’extérieur de la Russie. En 2010, j’ai été invité à témoigner devant le Congrès américain pour raconter l’histoire de Sergei Magnitsky. À la suite de mon témoignage, le sénateur Benjamin Cardin, coprésident de la Commission Helsinki des États-Unis, et le représentant Jim McGovern, coprésident de la Commission Lantos des droits de l'homme du Congrès, ont proposé une initiative visant à retirer les visas américains des 60 fonctionnaires russes qui ont joué un rôle dans l’affaire Magnitsky. Nous ne pouvions pas nécessairement obliger le gouvernement russe à poursuivre les assassins de Sergei, mais ces derniers n’auraient certainement plus le droit d’entrer aux États-Unis.
    Le 15 novembre 2012, avec un esprit bipartisan sans précédent, la Chambre des représentants a adopté la Loi Magnitsky par 365 voix contre 43. Le Sénat américain a adopté jeudi dernier la Loi Magnitsky par 92 voix contre 4. Cette loi gèle les avoirs et dresse la liste des gens qui ont assassiné Sergei Magnitsky, en plus de les interdire de séjour. La loi va encore plus loin; elle gèle les avoirs et dresse la liste des gens qui ont perpétré d’autres violations des droits de la personne en Russie, en plus de les interdire également de séjour.
    Depuis que la Loi Magnitsky a été proposée, 11 assemblées législatives dans le monde, incluant le Canada, ont présenté des motions, des résolutions, des pétitions et des projets de loi qui demandent l’imposition de sanctions liées au visa et au gel des avoirs des personnes qui ont tué Sergei Magnitsky et d’autres gens qui ont violé de façon flagrante les droits de la personne en Russie. Des résolutions demandant l’interdiction de séjour et le gel des avoirs ont aussi été adoptées par le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et l’Assemblée parlementaire de l’OSCE.
    Un seul groupe dans le monde s’oppose à une telle loi, et c’est le gouvernement russe. Ce dernier est absolument terrifié à l’idée qu’une telle mesure entre en vigueur. Jusqu’à maintenant, ce gouvernement a vécu dans un monde où il peut violer les droits de la personne en toute impunité, étant donné que la Russie contrôle son propre système judiciaire; les gens savent très bien qu’ils peuvent torturer et tuer et que rien ne leur arrivera. À bien des égards, les autorités ne peuvent pas contrôler leur propre système si elles ne peuvent pas garantir l’impunité à ceux qui s’occupent de leur sale besogne.
    Initialement, la hiérarchie russe ne prenait pas au sérieux les menaces de sanctions, mais elle est maintenant tellement terrifiée de leurs répercussions que, trois jours après son investiture, le président Poutine a annoncé que sa troisième plus importante priorité en matière de politique étrangère était de lutter contre les sanctions Magnitsky. À cette fin, il a demandé à son ministre des Affaires étrangères de menacer publiquement tout pays qui envisageait d’adopter de telles sanctions.
(1315)
    Dans un geste sans précédent, des députés du Parlement russe ont en fait été dépêchés à Washington pour calomnier Sergei Magnitsky et essayer de convaincre le Congrès américain de ne pas adopter la Loi Magnitsky; leur tentative a été vaine.
    Je suis ici pour prier les députés de la Chambre des communes du Canada de suivre l’exemple du Congrès américain et des parlementaires de partout en Europe et d’interdire de séjour les personnes qui ont joué un rôle dans la fausse arrestation, la torture, le refus de soins médicaux et la mort de Sergei Magnitsky, ainsi que ceux qui ont pris part à la dissimulation qui s’en est suivi. Je vous prie également de geler leurs avoirs. Ces gens ne devraient pas avoir le droit de venir librement au Canada pour acheter des propriétés, prendre des vacances et jouir des fruits de leurs gains mal acquis.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Browder.
    Monsieur Kara-Murza, allez-y.
    Monsieur le président, messieurs les vice-présidents, mesdames et messieurs les membres du sous-comité, merci beaucoup de tenir une telle séance importante et opportune. Merci également de l’occasion de témoigner devant vous.
    L’histoire tragique de Sergei Magnitsky, dont le seul « crime » a été de s’opposer à la corruption, est malheureusement symptomatique de la situation générale dans la Russie de Vladimir Poutine, dans laquelle le vol et l’extorsion sanctionnés par l’État, les poursuites judiciaires pour des motifs politiques, les emprisonnements injustifiés, les abus d’autorité de la part de policiers, la censure dans les médias, la répression de regroupements pacifiques et la fraude électorale sont devenus la norme. Selon la Banque mondiale, la corruption touche maintenant environ 48 p. 100 de l’ensemble de l’économie russe. Pendant le règne de M. Poutine, son entourage a fait main basse sur d’importants secteurs de l’économie, dont principalement le secteur de l’énergie, et les proches du président sont devenus milliardaires.
    À la même époque, les pouvoirs judiciaire et législatif sont devenus des béni-oui-oui. Bon nombre de ceux qui ont refusé de rentrer dans les rangs ont été emprisonnés; nous n’avons qu’à penser à Mikhail Khodorkovsky. Des chaînes de télévision indépendantes ont été fermées, des rassemblements de l’opposition ont été dispersés à maintes reprises par les forces de l’ordre, et les résultats des élections ont été systématiquement falsifiés. Aucune élection russe n’a été jugée libre et juste par l’OSCE ou le Conseil de l’Europe depuis 2000.

[Français]

     L'histoire tragique de Sergei Magnitsky, dont le seul crime a été de faire face à la corruption, est malheureusement caractéristique de la situation générale de la Russie de Vladimir Poutine, où l'extorsion et le vol sont sanctionnés par l'État et où la persécution politique, les emprisonnements illégaux, les abus de pouvoir par la police, la censure des médias, l'écrasement des manifestations pacifiques et les fraudes électorales sont devenus la norme.
(1320)

[Traduction]

    Incroyable, mais vraie, la situation dans notre pays s’empire. Dans les derniers mois, M. Poutine a adopté un éventail de nouvelles mesures répressives. Les amendes pour des « violations » pendant des rassemblements sur la place publique atteignent maintenant 10 000 $; c’est 10 fois le salaire mensuel moyen en Russie. Ce sont bien entendu les autorités qui décident ce qui constitue une violation. Les organismes non gouvernementaux qui acceptent des fonds provenant de l’étranger sont forcés de se déclarer comme des « agents étrangers », et ces organismes incluent des groupes de défense des droits de la personne bien connus comme Memorial, qui a été fondé par Andrei Sakharov. Qui plus est, la définition de « haute trahison » dans le Code pénal, soit une infraction passible d’une peine maximale de 20 ans d’emprisonnement, a été élargie; elle peut maintenant inclure tout contact avec un pays étranger, un organisme étranger ou un organisme international.
    Les forces policières ont aussi procédé cette année à des rafles dans les maisons des figures de proue de l’opposition, y compris l’ancien vice-premier ministre Boris Nemtsov, qui a été l’invité de votre Parlement il y a quelques mois. Des chefs de l’opposition, notamment Alexei Navalny et Sergei Udaltsov, ont fait l’objet d’enquêtes criminelles. Voici une histoire encore plus incroyable. Un militant de l’opposition russe, Leonid Razvozzhayev, a récemment été kidnappé sur le territoire souverain de l’Ukraine, ramené de force en Russie et torturé dans le but de lui « faire avouer sa culpabilité ».
    Nul besoin de dire que les citoyens russes n’ont aucun mécanisme juridique en Russie pour se défendre contre de tels abus. Il y a heureusement des normes internationales. Le document de Moscou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, dont le Canada et la Russie sont membres, affirme explicitement que les « questions relatives aux droits de l'homme, aux libertés fondamentales, à la démocratie et à l'État de droit... sont un sujet de préoccupation directe et légitime pour tous les États participants et qu'ils ne relèvent pas exclusivement des affaires intérieures de l'État en cause. »
    C’est un secret de polichinelle qu’un grand nombre de responsables russes, même s’ils préfèrent le style de gouvernance du Zimbabwe ou du Bélarus, choisissent l’Amérique du Nord ou l’Europe de l’Ouest lorsque vient le temps de déposer leurs économies, de prendre des vacances ou d’envoyer leurs enfants à l’école. Cette situation doit prendre fin. Il faut que les gens qui continuent de violer les droits et de piller les ressources des citoyens russes répondent de leurs actes. Selon de récents sondages, l’opposition et la société civile russes, ainsi qu’une forte pluralité des citoyens russes, sont favorables aux mesures comme la Loi Magnitsky, qui a été adoptée par le Congrès américain la semaine dernière. Il s’agit de mesures ciblées qui visent à interdire de séjour les gens qui ont été impliqués dans l’affaire Sergei Magnitsky, ainsi que ceux qui ont été impliqués dans d’autres cas de violations flagrantes des droits de la personne en Russie, de même qu’à geler leurs avoirs. La nouvelle loi américaine mentionne précisément les violations en ce qui a trait au droit de liberté d’association et de réunion, et aux droits à un procès juste et équitable et à des élections démocratiques.

[Français]

    Ce n'est pas un secret que tout en optant pour le style de gouvernement du Zimbabwe ou de la Biélorussie dans leur propre pays, un grand nombre de fonctionnaires russes préfèrent les pays de l'Amérique du Nord et de l'Europe occidentale quand il s'agit de leurs comptes bancaires, de leur lieu de résidence ou de l'éducation de leurs enfants.
    Ce double standard doit être abandonné. Ceux qui continuent de violer les droits et de dépouiller les ressources des citoyens russes doivent finalement en être tenus responsables

[Traduction]

    Un projet de loi semblable, le projet de loi C-339, a été présenté en Chambre par le député de Mont-Royal, M. Colter, qui siège au sous-comité. De notre point de vue et du point de vue de l’opposition russe, il s’agit d’une mesure des plus nécessaires et attendue depuis très longtemps qui mérite toute votre attention. Le projet de loi pourrait également être renforcé davantage en incluant une disposition concernant le gel des avoirs et les autres violations des droits de la personne, en plus de celles concernant l’affaire Sergei Magnitsky.
    Monsieur le président, il y a un an cette semaine, 100 000 personnes se réunissaient sur la place Bolotnaya au centre de Moscou, littéralement de l’autre côté de la rivière en face du Kremlin, pour demander la tenue d’élections libres, la primauté du droit, la libération de prisonniers politiques et une réforme des institutions démocratiques. Cet évènement a marqué le début de la plus imposante vague de manifestations prodémocratiques en Russie depuis la chute du communisme en 1991.
    La Russie évolue, et la tâche de provoquer un tel changement démocratique dans notre pays revient bien entendu à l’opposition russe et non aux pays étrangers. Par contre, si les démocraties et nos amis et nos alliés du Parlement du Canada veulent démontrer leur solidarité au peuple russe et défendre les valeurs universelles des droits de la personne, de la dignité humaine et de la démocratie, je crois que la meilleure façon d’y parvenir est de dire aux bandits, aux meurtriers et à ceux qui violent de tels droits qu’ils ne sont pas les bienvenues dans votre pays.
    Merci beaucoup.
(1325)
    Merci, monsieur Kara-Murza.
    Chers collègues, nous avons exactement 36 minutes. Nous avons six intervenants. Donc, si nous sommes rigoureux, chacun aura droit à une période de questions de six minutes. Je devrai par contre être très strict à cet égard si nous voulons y arriver.
    Cela étant dit, madame Grewal, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Mes questions s’adressent à M. Browder.
    Monsieur Browder, merci beaucoup de votre présence devant notre comité en vue de discuter de la mort tragique de Sergei Magnitsky.
    Je crois comprendre que les autorités russes vous ont interdit l’entrée en Russie en novembre 2005, parce que vous étiez considéré comme une menace à la sécurité nationale. Pourquoi le gouvernement russe vous a-t-il interdit de séjour en Russie?
    Lorsque j’ai lancé mon fonds d’investissement en 1996, j’étais conscient que la Russie était un endroit chaotique, mais je n’avais pas réalisé à quel point la Russie était corrompue. J’ai découvert que les entreprises dans lesquelles j’investissais se faisaient voler tous leurs fonds. De grandes sociétés comme Gazprom, dont vous avez probablement déjà entendu parler, perdaient des milliards de dollars, voire plusieurs milliards, par le biais de stratagèmes frauduleux. J’avais l’impression que c’était incorrect sur le plan moral et financier pour tous ceux qui investissaient dans Gazprom. Nous avons donc mené notre enquête sur le procédé utilisé pour voler l’argent.
    Nous avons passé de trois à six mois, selon le cas, à faire des recherches judiciaires. Nous avons transmis nos recherches au Wall Street Journal, au Financial Times, au New York Times, au Businessweek, etc., et les journaux ont publié toutes les histoires. Il y en avait bien d’autres. À la suite de cet évènement, le PDG de Gazprom a été congédié en raison de la mauvaise presse.
    Nous avons agi de la sorte dans un certain nombre de cas. Nous avons fini par enrager certaines personnes qui entretenaient des rapports étroits avec des membres hauts placés du gouvernement russe. Par conséquent, les autorités ont pris la décision de m’expulser du pays, et elles se sont servies des dispositions dans la loi concernant la sécurité nationale comme prétexte pour arriver à leurs fins.
    Faites-vous actuellement l’objet d’une enquête en Russie? Le cas échéant, quelles sont les accusations qui pèsent sur vous?
    Après mon expulsion de la Russie, notre bureau a fait l’objet d’une descente. Par la suite, nos entreprises se sont fait voler. Nous avons donc porté plainte contre les policiers impliqués dans le vol des entreprises. Les mêmes policiers ont ensuite lancé en février 2008 une enquête criminelle à mon sujet pour fraude fiscale concernant l’année 2001; c’était uniquement par mesure de représailles en raison de notre plainte à leur sujet. En se fondant sur ces éléments, les autorités ont déposé des accusations criminelles contre moi. C’était le même dossier dont les personnes se sont servies pour arrêter Sergei Magnitsky, même s’il n’avait rien à voir avec les entreprises qui auraient prétendument fait de l’évasion fiscale; il est mort en prison pour cette raison.
    Je serai également jugé à l’occasion du procès à titre posthume contre Sergei Magnitsky. Il sera jugé à titre posthume, et je le serai in absentia dans un mois ou deux en Russie.
    À quel point Hermitage Capital Management était-elle une société rentable en Russie?
    Hermitage Capital Management l’était extrêmement. Si vous aviez investi dans l’entreprise tout au début, selon le moment, vos profits auraient atteint plusieurs centaines de pour cent, voire des milliers.
    Je vois.
    M. Magnitsky serait officiellement mort d’une insuffisance cardiaque. Quelles preuves avez-vous pour avancer que ce n’est pas vrai et qu’il aurait plutôt été tué?
    La Commission de l'ordre public de Moscou, soit un organisme indépendant responsable de la surveillance des prisons, et le Conseil des droits de la personne du président, soit le conseil sur les droits de la personne qui fait directement rapport au président, ont procédé à une enquête indépendante. Les deux ont conclu que Sergei avait été torturé en prison, que son droit à la vie avait été bafoué, qu’il avait été battu avant sa mort, qu’il en était probablement décédé, qu’il n’avait pas été soigné pour divers problèmes de santé très graves et que les autorités ne lui fournissaient pas les soins appropriés de manière intentionnelle. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont divers organismes indépendants qui l’affirment.
(1330)
    L’homme d’affaires russe Dmitry Klyuev, que vous impliquez dans la mort de M. Magnitsky, dit qu'il n’a absolument rien à voir avec le regretté avocat et que toute cette histoire est une grande campagne de relations publiques de votre part en vue de blanchir votre réputation. Que répondez-vous à cette accusation?
    Le rôle de Dmitry Klyuev dans le crime est relativement bien documenté. Il possédait la banque qui a reçu l’argent volé. Il a aussi travaillé avec le même avocat qui a déposé toutes les poursuites frauduleuses. Il avait été impliqué dans une fraude semblable et reconnu coupable de fraude, tout en travaillant par le passé avec le même avocat. Un vaste éventail de preuves démontre son lien et son implication dans l’histoire. Nous n’avons évidemment pas le temps ici de prouver sa participation, mais nos éléments de preuve nous laissent croire qu’il a joué un rôle important dans le crime.
    On prétend que des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de la Russie ont participé à une grande controverse au sujet de Hermitage. Pourriez-vous nous en dire davantage?
    Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur sont ceux-là mêmes qui ont perpétré la rafle à notre bureau. Ils y ont saisi des documents; ces derniers ont été utilisés pour commettre la fraude en enregistrant de nouveau notre société sous le nom d’un homme qui avait été reconnu coupable de meurtre et qui avait été libéré plus tôt. C’est le ministère de l’Intérieur qui était en possession des documents au moment de la fraude. Les documents ont également servi à faire de faux contrats antidatés d’une valeur d’un milliard de dollars que les personnes ont utilisé pour commettre la fraude. Les documents uniques qui ont été saisis et qui se trouvaient entre les mains du ministère de l’Intérieur ont servi pour les deux parties de la fraude. De manière objective, le ministère de l’Intérieur a joué un rôle important dans toute cette histoire, ce qui a été confirmé plus tard par d’autres organismes indépendants.
    J’ai une question très brève.
    Je crains que vous ayez considérablement dépassé votre temps.
    Ce sera très succinct.
    Cela ne change rien au fait que votre temps soit écoulé. Vous pouvez la transmettre à M. Sweet.
    Nous devons passer au prochain intervenant. Monsieur Marston.
    Nous avions une petite discussion, parce que lorsqu’il est question de sanctions et d’interdiction de séjour c’est normalement dans le cas d’une situation importante au sein d’un pays. Vous êtes en train de nous dire que c’est le cas, que les violations des droits de la personne sont généralisées dans le pays. Nous avons normalement plus d’éléments probants devant nous.
    Nous avons déjà examiné la situation. Nous avons déjà convenu dans notre motion devant...
    Ce qui me frappe... Lorsque Poutine a repris le pouvoir, cela a-t-il eu pour effet d’accélérer les choses? Est-ce que les problèmes se sont empirés?
    À qui posez-vous la question?
    À vous deux.
    La plus grande peur de M. Poutine depuis 2004 et la révolution orange en Ukraine était que l’histoire se répète en Russie. Voilà pourquoi il a créé le Nashi, qui veut dire « les nôtres ». Il s’agissait d’un mouvement de jeunes pro-Kremlin qui visait à contrôler les rues, à empêcher l’opposition de prendre la rue et à harceler les défenseurs des droits de la personne et les partisans de l’opposition. Cependant, les efforts ont évidemment été vains, parce qu’au cours de la dernière année nous avons vu des dizaines de milliers de citoyens russes envahir les rues des grandes villes, en particulier Moscou et Saint-Pétersbourg, pour protester contre la corruption et le régime autoritaire de M. Poutine et demander, en gros, des droits démocratiques et une dignité civile. C’est exactement le scénario que les autorités craignaient qui s’est concrétisé il y a un an. En fait, ce sera le premier anniversaire demain de la première grande manifestation.
    La réaction initiale des autorités a été de faire des concessions. Vous vous rappellerez que le gouvernement a réinstauré l’élection des gouverneurs, qui avait été abolie. Le Kremlin a réduit les exigences pour les candidats à la présidence et l’enregistrement de nouveaux partis politiques. C’était sa réaction initiale, parce que les autorités avaient réellement peur en décembre 2011. Elles ont été prises de court. Elles s’étaient habituées à l’apathie ou à l’indifférence de la population au cours de la dernière décennie, mais tout régime autocratique finit par franchir la ligne qui sépare l’indifférence de l’indignation; Poutine l’a franchie il y a un an, et les gens ont pris d’assaut les rues.
    Au cours des derniers mois, comme je l’ai brièvement mentionné dans mon exposé, les autorités ont essayé d’augmenter la répression dans l’espoir d’attiser la peur et d’étouffer l’opposition par le biais de nouvelles lois ou de tabassages massifs de manifestants, par exemple, lors de la manifestation contre l’investiture de Poutine en mai, alors que plus de 1 000 personnes ont été détenues en deux jours et que 50 personnes ont été battues.
(1335)
    Est-ce que le Conseil pour le développement des institutions de la société civile et le respect des droits humains auprès du président russe est un organisme crédible? Cela se veut-il davantage un écran de fumée qui va dans le sens de ce que le gouvernement faisait en accordant un accès un peu plus grand aux partis politiques et aux partis de l’opposition?
    C’est une parure; c’est un écran de fumée, particulièrement au cours des derniers mois, parce qu’environ le tiers des membres ont quitté le conseil à la suite du « retour » officiel de M. Poutine. Je le mets entre guillemets, parce qu’il n’a jamais véritablement quitté le Kremlin.
    Le Conseil pour le développement des institutions de la société civile et le respect des droits humains auprès du président se compose en fait de défenseurs des droits de la personne objectifs et de grande renommée; cependant, le conseil n’a aucun pouvoir réel. Il est arrivé à des conclusions accablantes au sujet de la façon dont Sergei Magnitsky a été traité, et les membres les ont présentées au président. Le conseil a dit en gros que son droit à la vie avait été violé par l’État, qu’il avait été torturé en détention et que les gens qui l’ont tué sont en gros les mêmes personnes contre lesquelles Sergei avait témoigné. Le conseil a présenté ses conclusions au président russe le 5 juillet 2011, et le président Medvedev a reconnu, à l’époque, que des crimes avaient été commis. À ce jour, à l’exception d’un docteur de faible importance, personne n’a fait l’objet de poursuites criminelles. Cela vient confirmer que même si de tels organismes existent, dont certains excellents organismes, comme celui-là... Voilà pourquoi certains membres ont démissionné. Ils ont dit: « Quel est le but de siéger à un conseil, qui permet au gouvernement de se servir de nos noms pour dire qu’il y a une certaine crédibilité... »
    Pour valider les choses, oui.
    Parmi les éléments qui m’ont frappé dans votre témoignage, il y a les archives détaillées qu’il a rédigées avant sa mort. Comment a-t-il réussi à les faire sortir de la prison?
    C’est une très bonne question.
    Il y a quelque chose d’inhabituel au sujet de la Russie, et beaucoup de gens se posent la même question. La Russie est un pays qui ne respecte pas les règles, mais c’est également un pays qui est complètement ancré dans la procédure. On permet au détenu de déposer autant de plaintes qu’il veut, mais les autorités peuvent les rejeter sans raison.
    Il s’agit d’un système à vase clos, et personne n’a pensé que les documents seraient un jour publiés sur la place publique et qu’ils seraient soumis au regard objectif des autres. Je crois que les autorités comprennent maintenant qu’ils ont commis une grave erreur en le laissant faire.
    J’ai l’impression qu’il y a une contradiction. Sergei a archivé toutes les preuves, et les autorités l’ont laissé faire.
    Les responsables n’ont jamais pensé que les preuves seraient un jour utilisées, parce qu’ils ont toujours vécu en toute impunité dans leur petit monde. Jusqu’à maintenant, ils continuent de vivre en toute impunité. Ils se sont donc dit que Sergei pouvait bien écrire ce qu’il voulait, parce que ces preuves ne serviraient jamais. Ils n’avaient pas envisagé dans leurs pires cauchemars que je témoignerais aujourd'hui devant le Parlement du Canada pour raconter le récit tiré de cette preuve. Ce ne leur est jamais traversé l’esprit.
    Il n’y a aucune procédure en Russie pour examiner la preuve.
    Monsieur Marston, j’ai bien peur que votre temps soit écoulé.
    Merci.
    Par contre, avant de poursuivre, j’aimerais poser une question.
    En ce qui a trait aux nombreuses plaintes de M. Magnitsky et au rapport du Conseil pour le développement des institutions de la société civile et le respect des droits humains auprès du président, ces documents sont-ils disponibles dans des formats que nous pourrions utiliser? Je viens de demander à notre analyste si elle avait été en mesure de les dénicher, mais elle ne les avait pas encore trouvés. Je me demandais donc si vous étiez en mesure de nous aider à cet égard.
    Il y a le site Web www.russian-untouchables.com; il s’agit d’un site Web lancé par des journalistes et des amis de Sergei Magnitsky pour faire campagne. Le site archive les documents. On y trouve le rapport du conseil sur le respect des droits humains, la Commission de l'ordre public de Moscou, de nombreuses traductions des plaintes de Sergei et encore plus de plaintes dans leur version originale qui n’ont pas été traduites. Nous sommes bien entendu ravis de collaborer avec vous et de vous aider dans vos analyses portant sur des éléments qui ne se trouvent pas sur le site Web.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Sweet, allez-y.
    Merci, monsieur le président. Merci, messieurs, de nous sensibiliser encore plus au dossier de Sergei Magnitsky. Nous avons déjà fait une déclaration concernant le traitement subi par M. Magnitsky.
    Monsieur Browder, votre sécurité est-elle actuellement menacée? Vous n’avez pas affaire à un fier-à-bras de cour d’école. Il s’agit de puissants personnages. Avez-vous reçu des menaces de mort? Dans quelle situation vous trouvez-vous?
(1340)
    Je dois malheureusement vous dire que mes collègues et moi-même avons reçu 10 menaces de mort à Londres depuis que nous travaillons à cette campagne. Certaines de ces menaces venaient de toute évidence de Russie. Lutter pour la justice n'est pas une occupation de tout repos. Nous avons ici affaire à des individus extrêmement dangereux, à des meurtriers qui ont déjà montré qu'ils pouvaient tuer et qui pourraient encore le faire. Nous vivons tous dans la crainte de nous faire assassiner.
    Nous avons dû récemment déplorer le décès inexpliqué d'un dénonciateur qui s'est manifesté à nous à l'été 2011. Il était auparavant membre du groupe criminalisé responsable de ces méfaits. Il nous a remis à Londres des documents prouvant l'implication de certains fonctionnaires fiscaux, avec relevés bancaires à l'appui. Nous avons transmis ces documents à la police suisse et au procureur responsable du dossier là-bas où l'on a pu lancer une vaste enquête sur le blanchiment d'argent et geler des millions de dollars en actifs.
    Il y a environ un mois, le dénonciateur en question, Alexander Perepilichnyy, un homme de 44 ans en parfaite santé, est mort subitement à l'extérieur de sa résidence de Surrey. Nous ne connaissons pas encore la cause du décès, car l'enquête policière n'est pas terminée, mais nous avons manifestement tout lieu de nous inquiéter.
    Désolé, je n'ai pas bien entendu. C'est arrivé à l'extérieur de sa résidence, mais pas en Russie.
    C'était à Surrey, un quartier de Londres.
    Monsieur Kara-Murza, selon le témoignage de M. Browder, on recense pas moins de 39 000 articles portant principalement sur la collusion de fonctionnaires russes avec ce que l'on pourrait assimiler à une mafia. Bien que la société russe ne soit pas aussi libre que le monde occidental, ce n'est tout de même pas l'Iran. Tout n'est pas complètement fermé. Je m'étonne donc que les gens ne marchent pas dans les rues pour dénoncer ce genre d'agissements du gouvernement de mèche avec le crime organisé.
    En fait, les gens le font. Ainsi, les principales demandes des manifestants au cours des dernières années ne se limitaient pas à la tenue d'élections libres et à une réforme politique, mais visaient aussi la primauté du droit. En effet, les Russes se rendent bien compte que ce climat d'anarchie, de désordre, de violence et de corruption est devenu leur lot quotidien et les laisse complètement à la merci des dirigeants du pays. De fait, ce sont des situations comme celles dont nous discutons aujourd'hui qui incitent surtout les gens à se rallier en grand nombre comme jamais auparavant. Il y a aussi le fait que les gens souhaitent être traités comme des citoyens de leur propre pays, jouissant de l'ensemble de leurs droits et libertés, plutôt que considérés comme du bétail à l'intérieur d'une majorité silencieuse à laquelle on peut dire n'importe quoi, car elle doit se taire et tout accepter.
    Vous avez soulevé un point très important concernant la liberté des médias. En Russie, le gouvernement contrôle toutes les chaînes de télévision nationales. Vous n'y entendrez donc pas un traître mot au sujet de cette affaire. Vlademir Posner, un animateur reconnu parmi les plus libéraux, a essayé de mentionner le nom de Sergei Magnitsky dans son émission. Celle-ci est enregistrée, car il n'y a plus d'émissions politiques diffusées en direct à la télé russe. L'extrait en question a été coupé au montage, ce qui fait que personne ne l'a jamais entendu.
    En Russie, l'Internet est libre et certains journaux à faible circulation ne sont pas censurés. C'est donc dans ces médias que l'on a recensé tous ces articles.
    Pour ce qui est de la perspective médiatique sur cette affaire... J'ai travaillé pour une chaîne de télé russe jusqu'à l'été 2012. J'ai été congédié et inscrit sur la liste noire de tous les autres médias russes par les officiels du Kremlin qui ont ouvertement attribué ces représailles à mon soutien à la loi Magnitsky et aux mesures de la sorte à l'encontre des escrocs, des fraudeurs et de ceux qui violent les droits de la personne.
    C'est un sujet très brûlant pour le régime russe. Depuis l'adoption de la loi américaine, c'est même devenu la préoccupation principale. Comme M. Browder l'indiquait, l'une des premières choses que Poutine a faite après son inauguration en mai a été de signer une directive à son ministère des Affaires étrangères pour que les diplomates russes luttent contre l'adoption de lois du même type dans les pays occidentaux. Les Russes craignent les mesures semblables, car ils savent très bien que cela pourrait mettre sérieusement en péril leurs intérêts et l'argent mal acquis qu'ils ont éparpillé dans les banques occidentales.
(1345)
    Alors, votre témoignage d'aujourd'hui vous fait courir un risque additionnel.
    Je vous ai parlé de cette nouvelle loi s'appuyant sur une définition de la haute trahison qui englobe les consultations avec des représentants d'un autre pays, d'un groupe étranger ou d'une organisation internationale. N'importe quel individu entrant en contact avec des parlementaires, voire des représentants de la société civile, pourrait tomber sous le coup de cette loi que l'on n'a pas encore utilisée. Cette nouvelle loi sur la haute trahison n'a été ratifiée qu'il y a trois ou quatre semaines. Nous verrons où cela va nous mener.
    C'est un dossier extrêmement important pour nous tous. Les leaders de l'opposition en Russie ont tous adhéré à cette initiative, car nous y voyons vraiment une nouvelle norme qui pourrait porter un dur coup au système mafieux qui a régné sur notre pays au cours des 12 dernières années. C'est donc très important pour nous et nous n'allons pas abandonner.
    Monsieur Browder, qui est...
    Désolée, monsieur Sweet, mais votre temps est écoulé.
    M. David Sweet: Merci beaucoup, monsieur le président.
    Le président: Monsieur Cotler, c'est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Vous avez parlé de la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act que le Congrès américain vient tout juste d'adopter. En vertu de cette loi, le secrétaire d'État imposera une interdiction de visa et un gel des actifs aux personnes impliquées dans la torture, la mort et la détention de Sergei Magnitsky ainsi que dans la fraude fiscale qu'il a mise au jour.
    Croyez-vous que les coupables risquent davantage d'être traduits en justice en Russie en raison de cette loi? Quel pourrait être son impact là-bas?
    Vous avez omis un élément dans votre résumé de la loi américaine. En plus de viser toutes les personnes coupables de ces actes répréhensibles envers Sergei, elle s'applique à tous ceux qui commettent des violations flagrantes des droits de la personne.
    Je ne crois pas que le gouvernement russe, tout au moins sous le régime actuel, en viendra à instaurer le processus d'enquête voulu pour traduire en justice les gens qui ont tué Sergei Magnitsky. Cependant, si l'on craint une conséquence pour ce crime et d'autres semblables, cela pourrait dissuader les gens de répéter les mêmes agissements. Dans l'état actuel des choses, si une personne immorale sait qu'elle peut commettre un crime en toute impunité et en tirer tous les avantages possibles, elle va passer à l'action. Si vous risquez tout à coup de voir vos actifs être gelés et de ne plus pouvoir voyager, vous allez peut-être y penser à deux fois avant de commettre un crime.
    Dans ma quête de justice, et aussi pour que la mort de Sergei ait servi à quelque chose, j'espère que la loi portant son nom permettra de sauver des vies en amenant d'éventuels coupables à réfléchir aux conséquences possibles.
    Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire M. Browder. À notre avis, c'est la raison principale pour laquelle il faut étendre la portée du projet de loi pour viser toute violation flagrante des droits de la personne. Il ne s'agit pas seulement de mettre fin à l'impunité dont jouissent les coupables dans ce cas particulier, mais aussi d'établir un élément dissuasif pour bien faire réfléchir ceux qui risqueront de perdre l'accès à leur compte bancaire occidental s'ils mettent à exécution les ordres d'une organisation criminelle. C'est un autre aspect primordial.
    Quelles mesures pourrions-nous prendre au Canada pour appuyer la lutte contre la corruption et défendre la primauté du droit en Russie?
    Ce serait les points un, deux et trois, ces sanctions personnelles ciblées.
    Je répète qu'il n'y a aucune sanction contre la Russie, malgré ce que la propagande du Kremlin tente de laisser croire. Les sondages montrent toutefois que cette propagande n'a pas réussi: une majorité de Russes sont favorables à ces mesures. Mais c'est ce qui compte d'abord et avant tout.
    C'est bien évidemment à l'opposition et à la société russe dans son ensemble qu'il revient de changer la donne politique dans ce pays. Mais on ne saurait offrir une aide plus sentie qu'en s'attaquant ainsi directement aux fraudeurs, aux fonctionnaires corrompus et aux escrocs. On leur bloque l'accès à cet argent qu'ils ont volé aux contribuables russes et qu'ils gardent ici — c'est-à-dire dans les pays occidentaux — où ils investissent dans des actifs et envoient leurs enfants à l'école. Il faut que ces avenues se ferment devant eux.
    Il se peut que, pour l'instant, ils n'aient pas à subir les conséquences de leurs actes et à encourir quelque punition que ce soit en Russie, mais ce jour viendra; cela ne fait aucun doute. Ils n'ont peut-être pas encore à répondre de leurs agissements, mais rien ne justifie qu'on leur permette d'en retirer les bénéfices dans les pays d'Amérique du Nord et d'Europe occidentale.
    La meilleure façon d'aider le peuple russe dans sa lutte pour la primauté du droit et la démocratie est de dire à ces fraudeurs et ces voleurs qu'ils ne sont pas les bienvenus ici comme nulle part ailleurs dans le monde occidental.
(1350)
    Permettez-moi d'ajouter quelque chose.
    Voilà maintenant trois ans que je m'efforce d'obtenir justice. Lorsque j'ai amorcé ma campagne, les représentants gouvernementaux ou les parlementaires que je visitais m'offraient toujours d'entrée de jeu de soulever la question auprès des autorités russes. Nous avons appris très rapidement que cette façon habituelle de faire les choses n'a absolument aucun impact. Il ne sert à rien de discuter de ces choses-là. Ce ne sont pas les mots qui les interpellent; ce sont les conséquences.
    Quelles sont les options possibles en matière de conséquences à établir? Il n'y en a pas beaucoup. Les crimes commis dans ces pays ne sont pas de notre ressort. Mais il est tout à fait du ressort des pays occidentaux, sans même que cela ne leur coûte un sou, de bloquer l'accès à ces individus et de les empêcher d'utiliser nos systèmes financiers. C'est une possibilité qui s'offre à nous. Cet accès leur est précieux et nous pouvons y mettre fin sans rien débourser.
    C'est la seule et unique chose que nous pouvons faire. Nous avons déjà épuisé toutes les autres options.
    Monsieur le président...
    Il vous reste encore une minute.
    Je dois quitter, car j'ai une déclaration à faire en Chambre.
    J'ai fait circuler une motion qui réitère essentiellement celle que nous avons déjà adoptée en y ajoutant les éléments suivants...
    Notre greffière va la distribuer pendant que vous la présentez.
    D'accord.
    Après avoir réitéré les éléments de la motion déjà adoptée dans les « attendu que », l'essentiel de la motion prévoit ce qui suit
Qu'il soit résolu que:
Le sous-comité condamne le procès posthume de Sergei Magnitsky, le premier tel procès de l'histoire russe;
Le sous-comité déplore les efforts pour falsifier la preuve et les menaces faites aux témoins et à la famille de Sergei Magnitsky;
Le sous-comité prenne note de la législation récemment adoptée aux États-Unis et au Royaume-Uni dans ce dossier, et que, par conséquent
nous réaffirmions notre demande au gouvernement du Canada quant aux mesures à prendre à cet égard.
    Je ne vais pas vous lire toute la motion, car vous l'avez devant les yeux, et nous l'avons déjà adoptée en grande partie lors de notre dernière séance.
    Monsieur Cutler, nous avons une réunion jeudi. Si nous en restions là pour l'instant, les membres du comité auraient le temps d'examiner votre motion pour que nous puissions en discuter.
    Est-ce que cela vous semble raisonnable?
    D'accord, c'est ce que nous allons faire.
    Très bien. Nous mettons cette motion de côté et nous y reviendrons à notre séance de jeudi.
    Monsieur Schellenberger, vous avez offert de partager vos six minutes avec vos collègues. Vous voulez commencer? M. Sweet et Mme Grewal suivront.
    Je vais laisser d'abord la parole à M. Sweet, car je crois qu'il a une question très importante.
    Merci, monsieur Schellenberger.
    Il y a une autre chose dont je viens de me rendre compte dans ce dossier. J'ai vu bien des avocats défendre des gens dans des affaires touchant les droits de la personne, mais j'aurais certes aimé être l'avocat assez privilégié pour voir mon client prendre ma défense après coup, comme vous le faites actuellement. Je vous en félicite donc, monsieur Browder. C'est tout à fait particulier, et cela montre bien la personne extraordinaire que vous êtes.
    Monsieur Browder, pourriez-vous me dire qui sont les victimes dans ce dossier? Est-ce Hermitage? Qui sont les clients qui ont perdu de l'argent? Comme cet argent a été volé, il doit bien y avoir quelqu'un... Nous avons beaucoup parlé de Sergei Magnitsky, ce qui est tout à fait normal, mais il est bien évident que certaines personnes ont dû encaisser de lourdes pertes en raison de cette fraude.
    C'est justement ce qui est intéressant. Nous n'avons rien perdu. Il n'y a eu aucune perte tant pour Hermitage que pour nos clients. Aucun argent ne nous a été volé. Les fonds subtilisés sont exclusivement ceux versés par les contribuables russes à leur gouvernement dans le cadre du régime fiscal.
    Je ne suis donc pas ici pour réclamer mon dû. Je suis ici parce que mon avocat est mort en luttant pour récupérer les fonds volés à son propre pays. C'est l'argent du peuple russe, et c'est ce qui rend la chose incroyable. Le gouvernement russe a refusé catégoriquement d'intenter des poursuites contre ceux qui ont volé l'argent de ses citoyens, et voilà qu'il menace les autres pays qui veulent imposer des sanctions aux fonctionnaires qui ont volé cet argent avant de tuer l'avocat qui a mis leur fraude au jour.
    C'est ce qui fait que cette histoire est aussi incroyablement étrange. Ce n'est pas comme si on avait volé l'argent à un étranger comme moi et que j'essayais de le récupérer. Ils ont dépossédé leurs propres concitoyens de ces fonds.
    Oui, c'est effectivement étrange et bizarre.
     Merci, monsieur Browder.
    Il semble y avoir des versions divergentes quant à l'emploi de M. Magnitsky. La plupart des médias le présentent comme un avocat, mais on dit aussi que c'est un comptable qui travaillait comme vérificateur chez Firestone Duncan.
    Quel était son véritable emploi?
(1355)
    Sergei Magnitsky était avocat. Il m'a représenté devant les tribunaux. Certains fonctionnaires russes font valoir à tort et à travers qu'il n'était pas avocat, ce qui était sans doute une bonne raison pour le tuer.
    Je peux vous assurer qu'il était mon avocat et qu'il m'a représenté en cour comme il l'a fait pour bien d'autres personnes. Ces gens-là font sans doute référence au fait qu'il était davantage un conseiller juridique qu'un avocat plaidant, une distinction qui existe en Russie.
    Merci.
    Monsieur Schellenberger.
    Merci.
    Les témoignages que nous entendons aujourd'hui sont tout à fait fascinants. Si je n'ai pas posé beaucoup de questions, c'est que j'en suis à mes premiers pas au sein de ce comité. Je peux vous dire que c'est pour moi tout un apprentissage et que j'en crois difficilement mes oreilles.
    À votre avis, comment le Canada pourrait-il le mieux aider et consolider la société civile russe et le travail des militants pour la défense des droits de la personne et celui des journalistes indépendants? Comment pourrions-nous nous y prendre?
    Il faudrait que vous obteniez de votre gouvernement... Le régime canadien est différent de celui des États-Unis où il y a séparation des pouvoirs. Là-bas, les membres du Congrès peuvent adopter une loi que le président est pour ainsi dire tenu de ratifier. Ici, vous avez un parlement et le parti qui s'y trouve majoritaire forme le gouvernement.
    C'est un enjeu qui va au-delà de toute considération partisane. Il n'est pas question ici de droite, de gauche ou de centre, et je collabore dans les différents pays avec des gens représentant toutes les nuances du spectre politique. À Washington, on a laissé tomber tous les boucliers pour faire la chose qui s'imposait dans un bref moment de bipartisanisme.
    Je vous demande donc de tous conjuguer vos efforts pour obtenir de votre gouvernement... Les gouvernements n'aiment pas entrer en conflit avec d'autres pays, et les Russes vont certes être offusqués, mais il est important de le faire.
    Je dois signaler une dernière chose. J'ai pris la parole hier soir à Toronto devant les représentants de diasporas d'Europe centrale, d'Ukraine, de Russie, d'Estonie, notamment. J'ai rencontré les présidents de tous ces groupes qui représentent quatre millions de Canadiens. Ils se sont totalement engagés à appuyer cette cause au Canada parce qu'elle leur tient à coeur. Ils vont exercer des pressions sur vos collègues et vous-mêmes pour que vous appuyiez cette initiative et obteniez le soutien du gouvernement, car il est primordial que ces quatre millions de Canadiens aient vraiment l'impression que l'on a fait le nécessaire. Peu importe si les Russes pensent le contraire.
    Je dirais qu'il faut d'abord et avant tout braquer les projecteurs sur les coupables et dire la vérité. Ça paraît toujours banal, mais c'est vraiment important. Je me souviens que le 5 mars dernier — au lendemain de la victoire prétendument électorale de M. Poutine — nous étions tous présents à un grand ralliement sur la Place Pouchkine à Moscou. Je me souviens de cette mer de visages et de drapeaux représentant un large éventail de mouvements et de partis — de gauche ou de droite, peu importe. C'était simplement des gens qui se rassemblaient à nouveau pour défendre leur dignité et protester contre cette fraude électorale dont nous venions d'être victimes. Au même moment, le département d'État américain émettait une note de félicitations au peuple russe, rien de moins, pour la tenue d'une élection présidentielle. Ce n'était pas nécessairement ce que nous souhaitions entendre dans les circonstances.
    Il va de soi que nous comprenons tous la nécessité de suivre un protocole et de coopérer dans une certaine mesure, même avec des pays non démocratiques. Tout cela est bien évident, mais des félicitations adressées à un peuple victime d'une fraude électorale ne pouvaient être considérées que comme une moquerie, dans le meilleur des cas, et une insulte, dans le pire des scénarios.
    Il est capital de toujours faire ressortir la vérité, et d'appeler un chat un chat. En braquant les projecteurs, c'est-à-dire en participant à des rencontres comme celles d'aujourd'hui, nous accomplissons un geste important qui ne passe pas inaperçu. Je peux vous assurer que tout cela a un énorme retentissement à Moscou.
    Par ailleurs, j'ajouterais que nous sommes très chanceux de pouvoir compter sur un mécanisme comme l'OSCE dont les interventions s'appuient notamment sur le fait que les droits de la personne représentent un enjeu planétaire qui concerne donc tous les pays du monde. Lorsque M. Poutine et M. Lavrov nous disent de ne pas nous ingérer dans leurs affaires internes, ils nous mentent sciemment, car les questions liées aux droits de la personne n'ont rien à voir avec la régie interne; il s'agit de préoccupations à l'échelle internationale. Des facteurs comme les missions d'observation électorale qui ont fait la manchette il y a un an avec la présence de nombreux observateurs, tant russes qu'internationaux, et l'ampleur de la fraude qui a vu M. Poutine extorquer 13 millions de votes en faveur de son parti, ont contribué grandement à la montée des protestations et au réveil de la société civile russe.
    C'est donc avec des mécanismes semblables à ceux de l'OSCE, à l'observation des élections, aux systèmes médiatiques... Vous avez parlé des journalistes et c'est très important également.
    Troisièmement, et c'est en fait la grande priorité et le sujet de notre séance d'aujourd'hui, la loi Magnitsky contre les violations des droits de la personne envoie un signal très clair — non seulement en paroles, mais au moyen des mesures concrètes.
(1400)
    Merci.
    Merci.

[Français]

     Monsieur Jacob, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
     Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer.
     Mes deux questions s'adressent à M. Kara-Murza.
    L'ex-propriétaire de Yukos Oil, M. Mikhail Khodorkovsky, qui est aussi un dissident politique, a été emprisonné en Russie pendant près d'une décennie, mais il semble toujours capable de faire connaître son avis sur les enjeux politiques et les questions liées aux droits de la personne dans son pays, notamment en donnant des entrevues à la presse, en publiant un livre et en diffusant des déclarations.
    Pour votre part, vous vous êtes récemment joint à un groupe de réflexion fondé par le fils de M. Khodorkovsky, aux États-Unis. Par conséquent, vous êtes probablement en mesure de fournir des informations sur ce cas précis.
     Plus spécifiquement, dans quelle mesure M. Mikhail Khodorkovsky peut-il, depuis sa prison, faire connaître publiquement ses inquiétudes concernant les enjeux politiques et le respect des droits de la personne en Russie? Cette capacité d'accéder aux médias est-elle inusitée pour un détenu, en Russie?
    D'abord, ces opinions sont les miennes. Je suis en opposition à M. Poutine depuis le premier jour où il a accédé au pouvoir en l'an 2000. En Russie, j'appartiens au camp libéral-démocrate. Donc, les opinions que j'exprime sont les miennes et je ne les ai jamais modifiées.
    En ce qui concerne M. Khodorkovsky, il est un prisonnier politique à 100 p. 100. Il a été reconnu par Amnistie internationale comme prisonnier de conscience. Son « crime » était qu'il finançait des partis de l'opposition avant les élections en 2003. Il mettait aussi en oeuvre beaucoup de projets philanthropiques. Par exemple, il finançait le projet visant à l'instauration d'Internet dans des écoles en Russie. La liberté d'accès à Internet n'est pas une chose très agréable pour un régime autoritaire. C'était les crimes de M. Khodorkovsky. Son crime principal était qu'il ne soutenait pas M. Poutine et ne voulait pas suivre la démarche que tous les autres dirigeants des grandes compagnies devaient suivre.
    Maintenant, comme vous le savez, aucun dirigeant d'une grande compagnie n'ose financer un parti de l'opposition ou un projet qui ne fait pas plaisir au Kremlin. Ce sont des règles très strictes et tout cela a commencé en 2003 après l'emprisonnement de Mikhaïl Khodorkovsky.
    Il en est à son deuxième processus judiciaire. La première fois, il a été condamné pour apparemment ne pas avoir payé les impôts sur le pétrole qu'il avait vendu. La deuxième fois, il a été condamné pour avoir volé du pétrole qu'il avait vendu et pour lequel il n'avait pas payé les taxes, selon le premier processus. C'est complètement absurde. Je crois que même les gens qui avaient des doutes en 2003 et en 2004 les ont tous perdus après le dernier processus. Celui-ci a été kafkaïen, comme l'a écrit le journal The Economist.
    En somme, M. Khodorkovsky est selon moi un symbole du régime de Vladimir Poutine. Cela représente la perte de l'indépendance pour les entreprises et le palier judiciaire parce que les cours sont seulement les instruments politiques du Kremlin. Cela représente la perte de l'indépendance de la vie politique des partis parce que, à l'heure actuelle, un parti de l'opposition ne reçoit aucun financement. C'est interdit et personne ne lui donnera de l'argent parce que les gens vont craindre de subir le même sort que M. Khodorkovsky et se retrouver en prison.
(1405)
    Au sujet des groupes d'opposition en Russie, j'aimerais que vous nous expliquiez la nature du Conseil de coordination de l'opposition russe, qui inclut diverses mouvances politiques, et savoir si cela constitue une étape préliminaire en vue des prochaines élections parlementaires qui auront lieu en 2016 en Russie.
    Elles sont prévues pour 2016. Toutefois, les gens du centre de recherche stratégique, qui est un organisme de réflexion fondé par des gens proches de M. Poutine, donc assez loyaux et qui n'appartiennent pas du tout à l'opposition, ont dit qu'au moment où il y aurait une crise fiscale, soit dans deux ou trois ans, les provinces se joindraient aux grandes villes pour manifester. Il y aurait une crise politique et le régime devrait déclencher des élections anticipées, donc avant 2016.
     Nous prévoyons donc pour 2016 des élections parlementaires. Comme le disait l'ancien premier ministre britannique Harold Wilson, en politique, même une semaine représente beaucoup de temps. Par conséquent, on ne peut pas savoir ce qui va se passer dans quatre ans. Je crois — et c'est également l'opinion d'un bon nombre de mes collègues — que tout va changer très rapidement en Russie et que cela va se produire avant 2016.
    Pour répondre à votre question, les gens du conseil de coordination a été élus lors de primaires. Quelques dizaines de milliers de personnes, dont celles qui soutiennent l'opposition, ont pris part à cette élection. Le conseil est composé de 45 membres de toutes les sphères politiques, de gauche ou de droite. Il y a des socialistes, des nationalistes, des libéraux, des conservateurs, des indépendants et des non-partisans. Bref, tout le monde est représenté.
    Pour le moment, cela n'a rien à voir avec les élections officielles, parce que celles-ci sont organisées d'une façon qui n'est ni libre, ni démocratique. Nous ne pouvons donc pas vraiment contester les élections organisées par le régime de Poutine. Par contre, compte tenu de la pression générée par les manifestations énormes qui ont eu lieu au cours des dernières années, de la pression provenant d'ailleurs dans le monde — et c'est ce dont nous discutons aujourd'hui — et des sanctions personnelles, il est possible que la situation change. Pour la première fois depuis quelques années, il y a des partis d'opposition légaux en Russie. En fait, dans le cadre des concessions que j'ai mentionnées plus tôt, le régime a fait cette petite réforme il y a un an. Il y a maintenant des partis d'opposition qui peuvent s'enregistrer et participer aux élections.
    En ce qui me concerne, par exemple, je suis membre du Parti de la liberté populaire, qui est dirigé par Boris Nemtsov, Mikhaïl Kassianov et Vladimir Ryjkov. Le parti est enregistré officiellement et a le droit de participer aux élections. Nous avons l'intention de participer aux élections locales et municipales qui ont lieu chaque année en septembre.
    Merci beaucoup, monsieur Kara-Murza.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Jacob.

[Traduction]

    Voilà qui termine les questions des membres du comité. Nous avons dépassé largement le temps prévu.
    Pour les membres du comité qui souhaitent se rendre immédiatement à la Chambre des communes, il y a un de nos petits autobus verts qui vous attend à la porte. Si vous partez maintenant, vous arriverez juste à temps pour le début de la période des questions. Je vous encourage donc à ne pas vous attarder.
    Je tiens à remercier vivement nos deux témoins. Je sais qu'il a été très difficile pour vous de comparaître devant nous. Nous vous sommes d'autant plus reconnaissants d'avoir participé à la réunion d'aujourd'hui. Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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