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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 059 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 29 novembre 2012

[Enregistrement électronique]

(1310)

[Français]

    À l'ordre, s'il vous plaît. Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. En ce 29 novembre 2012, nous tenons notre 59e séance.

[Traduction]

    Nous poursuivons notre étude de la liberté religieuse en Indonésie. Nous entendrons, de Washington, D.C., John Sifton, directeur des services d’assistance judiciaire, de Human Rights Watch.
    Monsieur Sifton, nous sommes heureux de vous accueillir à notre comité. Je vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez commencer votre témoignage.
    Merci à vous et merci de me permettre de témoigner devant le comité.
    Le sujet qui vous intéresse aujourd’hui, soit l’intolérance religieuse en Indonésie, est très d’actualité. Human Rights Watch s’intéresse depuis des décennies aux questions relatives aux droits de la personne en Indonésie, depuis les abus commis durant l’ère autoritaire de Suharto jusqu’aux problèmes plus récents qui ont surgi lorsque le pays a fait la transition vers la démocratie. Évidemment, le pays a fait de grands progrès depuis Suharto, mais l’Indonésie actuelle reste confrontée à diverses graves violations des droits de la personne et aux problèmes connexes, dont les plus graves sont probablement la violence, le harcèlement et la discrimination envers les minorités religieuses. Malheureusement, la violence, le harcèlement, la discrimination et l’intolérance envers les minorités religieuses comme les minorités ahmadie, bahá’íe, chrétienne, et chiite, constituent un problème qui s’aggrave actuellement.
    J’aimerais profiter de mon témoignage pour relater quelques incidents récents qui intéresseront le sous-comité, avant de répondre à vos questions.
    J’aimerais d’abord vous décrire une agression particulièrement vicieuse perpétrée en février 2011 dans le village de Cikeusik, dans la partie occidentale de Java. Plus de 1 000 militants islamistes — plus de 1 000 hommes — ont attaqué une mosquée ahmadie, où se réunissaient quelques douzaines de fidèles. Ce fut un acte vicieux de violence collective. Les hommes étaient armés de pierres, de bâtons et de machettes. Certains criaient: « Vous êtes des infidèles, vous êtes des hérétiques » lorsqu’ils s’en sont pris aux fidèles. Au bout du compte, trois ahmadis ont perdu la vie, cinq autres ont été grièvement blessés, les multiples coups au corps et au visage nécessitant d’importantes interventions chirurgicales reconstructives. Une des victimes est venue voir notre recherchiste à Jakarta récemment. Il a subi des interventions chirurgicales reconstructives qui ont coûté des dizaines de milliers de dollars et sa couverture d’assurance-maladie vient d’expirer.
    Cette agression à l’ouest de Java a eu d’énormes répercussions sur la communauté et a traumatisé un grand nombre de villageois. Si elle a été plus horrible que la plupart des autres, elle s’inscrit néanmoins dans la tendance de plus en plus manifeste vers la violence religieuse en Indonésie que nous constatons depuis deux ou trois ans.
    D’après le Setara Institute, un organisme sans but lucratif de Jakarta qui surveille la liberté de religion, 216 agressions ont été commises contre des minorités religieuses il y a deux ans, en 2010 — 216 agressions contre des minorités — et en 2011, il y en a eu 244, ce qui représente une hausse assez forte. Déjà, au cours des neuf premiers mois de cette année, on dénombre 214 autres incidents. Si la tendance se poursuit, il y aura encore plus d’incidents cette année que l’an dernier, ce qui constituera une deuxième hausse annuelle d’affilée.
    Un grand nombre de ces incidents ne sont heureusement pas des actes de violence contre des personnes; ils ont tendance à être des attaques contre des mosquées et des églises, et surtout des incendies criminels. Mais bien souvent, les forces de sécurité locales ne les ont pas prévenus, elles ont mis du temps à intervenir ou elles n’ont pas mené d’enquêtes. C’est un grand problème que je veux soulever: la complicité du gouvernement dans ces incidents. Dans le cas de l’incident à l’ouest de Java que je viens de décrire, la police était même sur les lieux lorsque la foule a attaqué. Les policiers se sont retirés lorsque la foule est descendue vers la mosquée et ils ont laissé la violence éclater.
    Dans un autre incident, survenu le 20 décembre 2011, quelques militants sunnites ont attaqué un village chiite à Sampang, à Madura, une petite île près de Surabaya. Durant cette attaque — il s’agissait essentiellement d’un pogrom — une bonne partie du village a été rasée et 500 résidents ont été forcés de fuir leurs maisons en flammes. La police a appréhendé un des militants; il y avait des centaines de personnes et une seule a été appréhendée.
    Quelques mois plus tard, le 26 août de cette année, à la fin du ramadan, rebelote: des centaines de militants sunnites ont attaqué le même village et incendié 50 autres maisons. Ils ont fait des victimes cette fois et blessé grièvement plusieurs autres personnes. Une fois de plus, la police était sur les lieux, mais n’a rien fait pour empêcher l’attaque.
    Je signale tout cela parce que, dans toutes les recherches que nous avons effectuées — pas seulement sur la violence, mais aussi sur la discrimination et d’autres formes de harcèlement, sur lesquelles je reviendrai dans un instant — il ne fait aucun doute que les autorités locales et nationales sont impliquées dans la violence, l’intolérance et la discrimination.
    Je tiens à souligner que les problèmes d’intolérance religieuse ne se limitent pas seulement à la violence. Les minorités religieuses font aussi l’objet d’une discrimination et d’un harcèlement de plus en plus généralisés de la part des autorités gouvernementales. Ainsi, les groupes religieux se heurtent à d’énormes écueils et doivent surmonter un harcèlement bureaucratique lorsqu’ils veulent construire un nouveau temple ou acheter un bien. Ils se font imposer toutes sortes de règlements bureaucratiques de zonage et se font essentiellement refuser la permission de bâtir des temples.
    Les représentants de haut rang du gouvernement — le ministre des affaires religieuses, le ministre de l’intérieur — continuent de justifier les restrictions de la liberté de religion au nom de l’ordre public. Ils ont tous les deux proposé de déplacer les communautés touchées, qui ont été attaquées par des groupes sunnites ou font l’objet de ce harcèlement bureaucratique. Ils offrent une réinstallation, mais ne font pas grand-chose pour vraiment protéger les droits des victimes de ces attaques. Le ministre des affaires religieuses en particulier, Suryadharma Ali, a attisé les tensions en exprimant à diverses reprises des propos discriminatoires sur les ahmadis et les chiites, et en laissant entendre qu’ils sont des hérétiques de l’Islam. Les ahmadis et les chiites appartiennent à deux sectes islamiques, mais le ministre des affaires religieuses prétend le contraire. En septembre 2012, Ali a déclaré que la solution à l’intolérance religieuse entre les chiites et les ahmadis consistait à se convertir à l’islam sunnite.
    Le même mois, le président Yudhoyono a préconisé la mise en place d’un instrument ou d’un organisme international pour poursuivre le blasphème religieux, qui pourrait évidemment servir à limiter la liberté d’expression et de religion des minorités. De loin le plus important échec du gouvernement indonésien est simplement l’incapacité du gouvernement de contenir les forces abusives qui sont derrière cette violence et ce harcèlement. Des groupes extrémistes, tant des groupes politiques que simplement des bandes, fomentent la violence. Loin de faire enquête ou d’intenter des poursuites contre les auteurs des ces menaces et de ces actes de violence, le gouvernement ferme les yeux et n’utilise pas les pouvoirs dont il dispose, ni le pouvoir de la police, ni celui de sa position dominante, pour mettre fin à la violence ou l’empêcher d’éclater. C’est probablement le plus grand échec et il s’explique du fait qu’il s’agit d’une violation des droits de la personne et pas seulement d’un problème social.
    À certains égards très importants, l’Indonésie est louangée à juste titre pour sa diversité religieuse et pour la tolérance qui est affirmée dans sa constitution, en théorie tout au moins. Mais il y a plusieurs embûches. Il y a le problème de l’athéisme par rapport au sentiment religieux, qui est très complexe et qu’il faut aussi analyser. Entre les religions, entre les confessions, il y a, en théorie, une idée de diversité très prometteuse. La fin de l’ère Suharto a apporté plus de liberté, en général. L’envers de la médaille a été que de nombreux points de vue terribles — de nombreux points de vue radicaux et extrémistes qui ont été réprimés pendant longtemps ou écartés politiquement d’une façon ou d’une autre — s’expriment désormais au grand jour. Le gouvernement de l’Indonésie, en particulier son président actuel, n’est pas intervenu face aux conséquences de ces problèmes. Lorsque l’intolérance s’exprime par le harcèlement, l’intimidation et la violence, elle crée un terreau fertile pour de nombreuses autres attaques à l’avenir.
    Je pourrais continuer encore longtemps, mais je m’en tiendrai là et je répondrai à vos questions.
(1315)
    Je vous remercie beaucoup pour votre témoignage.
    Nous devons nous rendre dans un autre édifice à temps pour la période de questions. Pour des raisons d’organisation, nous ne disposons pas de la marge de manœuvre habituelle.
    Cela dit, je suggère d’allouer six minutes aux questions. S’il devient évident que nous commençons à dépasser les temps, parce que les six minutes deviennent sept, nous les ramènerons à cinq.
    Je cède la parole à M. Sweet.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Avant que vous preniez la parole, monsieur, je mentionne simplement que la réunion est télévisée, alors j’espère que personne ne l’oubliera pas au fil de ses interventions.
    Je vous remercie beaucoup de nous prévenir, monsieur le président.
    Monsieur Sifton, merci de prendre le temps de discuter avec nous, grâce aux moyens électroniques. Je vous prie de m’excuser pour mon léger retard. Je viens de présider un comité, alors je vous prie d’avance de m’excuser si je pose des questions qui semblent redondantes.
    Nous avons entendu il y a quelques jours le témoignage de Irshad Manji et nous avons évidemment discuté de sa visite. Elle a déclaré qu’il y a eu un changement radical en cinq ans.
    Vous avez mentionné que la tolérance religieuse semble prometteuse en théorie. Elle a affirmé qu’il y avait effectivement un climat de bonne diversité religieuse et de tolérance il y a cinq ans à peine, mais que la situation a grandement changé depuis. À quoi attribuez-vous ce changement?
    Premièrement, êtes-vous d’accord avec elle? Deuxièmement, quelle est la cause de ce changement qui semble radical?
(1320)
    C’est une question de science politique très complexe et, pour être franc, je ne suis pas qualifié pour répondre en remontant le fil de l’histoire jusqu’en 1945, lorsque l’indépendance a été déclarée. Pour répondre brièvement, dans un pays où il y avait sur la scène politique des éléments très extrémistes surtout sunnites, ces éléments ont été tenus en laisse, écartés ou soumis d’une façon ou d’une autre depuis 1945 jusqu’à il y a environ cinq ans.
    Premièrement, l’ère Suharto a pris fin, mais dans la foulée, certains groupes sunnites assez extrémistes sont devenus de plus en plus puissants politiquement, et au lieu d’être récupérés ou écartés d’une certaine façon ou d’adoucir leur ton pour des raisons politiques, ils semblent être devenus de plus en plus stridents. Malheureusement, un grand nombre de leurs adeptes semblent penser que la façon d’arriver à ses fins au niveau social local consiste à employer la force kinétique, à recourir à la violence. S’il y a une église chrétienne et qu’elle ne leur plaît pas, ils l’incendient.
    Je n’aborderai même pas des questions plus compliquées ni le fait que certains de ces groupes les plus extrémistes ont eu une espèce de relation difficile avec l’appareil de sécurité de l’État au fil des années. D’après l’International Crisis Group et d’autres ONG, la police et d’autres membres des services de sécurité et du renseignement ont admis que des groupes extrémistes essentiellement sunnites ont été utilisés par la police comme « chiens d’attaque » à divers moments pour des raisons politiques. C’est une question très complexe en soi et il faut aussi se demander si le gouvernement a créé un monstre en engageant en douce les groupes radicaux comme tueurs à gages.
    Finalement, la réponse à votre question est qu’il y a cinq ans environ, des groupes très extrémistes se devenus plus puissants que jamais politiquement. L’actuel ministre des affaires religieuses, dont je viens de parler et qui est si hostile aux chiites et aux ahmadis, l’est devenu parce que le président dirige un gouvernement de coalition et qu’il devait lui confier un poste. C’est comme si des considérations politiques expliquent pourquoi ce type occupe ce poste et pourquoi il est là maintenant et ne peut être viré par le président actuel, malgré tout le mal qui se dit de lui.
    Vu que l’Indonésie est l’un des rares pays qui... [Note de la rédaction: difficultés techniques] ... c’est sûr, et ce poste pourrait facilement servir à promouvoir la tolérance, mais évidemment, comme vous dites, c’est le contraire qui est arrivé.
    Vous avez mentionné les ahmadis et les chiites. De toutes les minorités religieuses, sont-ils davantage pointés du doigt? Je m’interroge sur la minorité chrétienne. Est-elle ciblée elle aussi? Sont-ils tous persécutés ou un groupe semble-t-il davantage ciblé que les autres?
    Démographiquement, un groupe est ciblé davantage que les autres, simplement parce qu’il est plus nombreux et qu’il y a donc plus de cibles, si je peux dire, et c’est celui des chrétiens, qui constituent de 9 à 10 p. 100 de la population. Parmi les quelques 250 agressions cette année, qui dépasseront 280 d’ici la fin de l’année, un grand nombre sont seulement des incendies volontaires de temples, mais les plus violentes, celles où des gens ont été blessés et tués, elles ont tendance à cibler les chiites et les ahmadis.
    Les ahmadis sont une très petite minorité, alors le nombre absolu d’attaques est assez faible parce que la communauté est petite, mais du point de vue de la brutalité… c’est à leur égard que le gouvernement tient les propos les plus grossiers et les plus dédaigneux.
(1325)
    Il y a donc plus de violence individuelle contre les communautés ahmadie et chiite et davantage de dommages aux biens et de destruction gratuite contre la communauté chrétienne en général. Je comprends que nous généralisons ici. Quand il est question des droits de la personne, je n’aime pas généraliser, mais c’est simplement pour nous donner une idée de ce qui se passe là-bas.
    Et puis, il y a la violence. Simplement la violence. Sans parler du harcèlement et du nombre de groupes religieux qui ont demandé des permis mais ont essuyé un refus, par exemple. C’est une autre façon de mesurer l’intolérance.
    Merci, monsieur le président.
    En ce qui concerne les ahmadis, je ne sais pas si vous pouvez répondre, mais ont-ils tendance à faire du prosélytisme et à inciter les sunnites à devenir ahmadis, ou sont-ils complètement distincts, sans aucune intention de faire prosélytisme?
    Les groupes militants sunnites invoquent souvent le prosélytisme chrétien comme raison pour justifier une riposte. À mon avis, ce n’est pas l’argument habituel à propos des ahmadis. L’argument habituel à propos des ahmadis est qu’ils sont des infidèles et qu’ils ont souillé le Coran en rédigeant leur propre version, par exemple. Ce genre de reproche est le plus fréquent durant ces attaques.
    D’accord, alors c’est peut-être sur cette base qu’ils justifient une espèce de persécution plus agressive.
    Oui. Mais c’est pareil avec les chiites. Ces groupes radicaux les considèrent comme des musulmans hérétiques, ce qui, je suppose, est pire pour eux que s’ils n’étaient même pas musulmans.
    Merci.
    Je cède la parole à M. Jacob.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Sifton, d'être venu témoigner devant le comité pour nous donner un portrait des plus récents de la situation actuelle.
    Lors de votre exposé, vous avez parlé de 214 agressions perpétrées. Il s'agit notamment d'attaques contre les églises et d'incendies criminels. Ces événements ont fait des blessés et des morts. Vous avez parlé de complicité gouvernementale, d'intolérance religieuse, d'inertie face à la violence et de dégradation du climat.
    Ma première question concerne la magistrature indonésienne. Vous paraît-elle indépendante et impartiale, en particulier dans les cas d'attaques avec violence contre les minorités religieuses, d'allégations de blasphème ou de discrimination sur la base de la religion et des croyances? Les juges vous paraissent-ils libres et désireux de rendre une décision objective? Particulièrement lorsque des membres des forces de sécurité indonésiennes sont en cause, peuvent-ils rendre une décision en toute liberté, sans ingérence externe?

[Traduction]

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des problèmes d’indépendance judiciaire en Indonésie dans tous les domaines. C’est indéniable.
    Ce qui est plus grave, du point de vue juridique ou judiciaire, du point de vue de la primauté du droit, en ce qui concerne cet aspect particulier, c’est que la police et les procureurs ne mènent pas d’enquêtes approfondies ou n’intentent même pas de poursuites. Quand ils le font, ils demandent des peines ou des amendes bien inférieures à ce à quoi il serait raisonnable de s’attendre dans certains cas.
    Dans les rares cas qui ont fait l’objet d’enquêtes et de poursuites, les peines sont ridiculement faibles. Il n’y a pas vraiment d’emprisonnement, ou l’amende est de 200 $, par exemple, lorsqu’un policier est reconnu coupable de meurtre. Je pense que c’est un problème plus grave. Les procureurs ne sont pas très énergiques dans leurs poursuites.
    J’aimerais profiter de l’occasion pour dire que Human Rights Watch a fait pendant longtemps de nombreux reproches à l’administration Bush aux États-Unis sur le front des droits de la personne, notamment à propos de Guantanamo. Mais on peut féliciter l’administration Bush d’avoir mis sur pied après le 11-Septembre un service des poursuites très vigoureux au département de la Justice, afin d’intenter des poursuites en cas de crimes haineux contre les musulmans et les sikhs, parce que ces crimes avaient augmenté après les attentats du 11-Septembre.
    C’est ce qui fait cruellement défaut en Indonésie, un effort concerté et ciblé pour intenter des poursuites en cas d’intolérance contre les minorités. C’est inexistant. Il n’y a aucun effort dans ce domaine.
(1330)

[Français]

    Merci.
    Ma deuxième question porte sur la corruption. Est-ce que la corruption est un problème sérieux en Indonésie? Vous avez parlé plus tôt de favoritisme, d'amendes et de peines dérisoires. Quel effet la corruption a-t-elle sur la possibilité de tous les Indonésiens de jouir de tous leurs droits civils et politiques?

[Traduction]

    Une preuve directe de la corruption est le fait que le poste de ministre des affaires religieuses est une affaire de patronage. Or, le ministre a beaucoup d’influence sur des décisions administrative ordinaires qui peuvent avoir des conséquences sur un groupe religieux, comme la permission de construire un temple ou la permission de l’agrandir, par exemple.
    Le poste de ministre des affaires religieuses est une affaire de patronage et le président l’a confié à un musulman sunnite qui est extrémiste radical. Qui pis est, il y a toutes sortes d’indications de corruption dans ce ministère, qui surveille notamment le pèlerinage en Arabie saoudite. C’est une affaire compliquée, mais essentiellement, le gouvernement aide les Indonésiens à se rendre en Arabie saoudite et finance certains d’entre eux. Il y a un fonds en fiducie et des sommes énormes sont en jeu. La corruption est répandue dans ce ministère et l’on peut présumer que quelqu’un en place en profite et se graisse la patte. Voilà un exemple de participation directe.
    De manière générale, je dirais simplement que la corruption ne constitue qu’une preuve de plus du caractère arbitraire du système judiciaire, puisque lorsqu’un groupe extrémiste attaque une mosquée, vous pouvez être certain qu’il aura assez d’argent pour donner un pot-de-vin à la police et éviter ensuite les poursuites.

[Français]

    Vos six minutes sont maintenant écoulées.

[Traduction]

    Nous entendrons le prochain membre conservateur, M. Schellenberger.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie pour votre exposé, monsieur Sifton.
    En août 2012, de nouvelles organisations et des groupes de défense des droits de la personne ont indiqué que des élèves et enseignants chiites ont été attaqués par une bande sunnite et qu’il y a eu au moins une victime.
    À votre avis, les conflits religieux et la violence sectaire exercent-ils une influence sur les droits à l’éducation des enfants en Indonésie?
    Oui. Dans le village dont j’ai parlé plus tôt. Il avait déjà été attaqué à la fin de 2011, puis, à la fin du ramadan, quelques élèves du village ont voulu retourner à Java, pour aller à l’école. C’est à ce moment-là qu’ils ont été attaqués.
    C’est évident que les enfants chiites ont plus de mal à se faire instruire à cause des attentats incessants contre leurs mosquées, leurs écoles et leurs communautés. Cela ne fait aucun doute, sans parler de l’éducation religieuse dans les églises. Je ne suis pas allé dans les églises.
    D’accord.
    À votre avis, l’intolérance religieuse croissante a-t-elle eu une incidence sur la capacité des femmes de jouir pleinement de leurs droits en Indonésie?
    Votre évaluation de la situation des femmes appartenant à des minorités religieuses différerait-elle de celle des femmes qui pratiquent l’une des six religions officielles?
(1335)
    Fait intéressant à souligner, on entre dans le cas des droits de la femme dans des questions qui touchent non seulement les minorités religieuses, mais aussi les musulmanes sunnites ordinaires qui ne sont pas d’accord avec les points de vue extrémistes exprimés par ces groupes...
    Des dizaines de millions de musulmans sunnites en Indonésie ne partagent pas les points de vue extrémistes exprimés durant les attaques. J’aimerais souligner qu’il n’y a pas de population sunnite très extrémiste liguée contre tout le monde. Une petite frange de la population sunnite a pour ainsi dire pris les autres en otage.
    En ce qui concerne les droits de la femme, je pense que le plus gros problème actuellement, c’est le projet de loi sur l’harmonie religieuse, étudié actuellement au parlement. Il vise à imposer toutes sortes de restrictions ridicules aux mœurs sociales et à la moralité. Il est même question de légiférer sur la longueur des robes au-dessus du genou.
    Ce genre de mesures est un symptôme du problème plus large, pas seulement pour les minorités religieuses mais aussi pour l’ensemble du pays, parce qu’on permet aux éléments extrémistes de commencer à régenter tout le monde, même s’ils ne représentent pas l’ensemble de la population.
    Vous avez évoqué l’Arabie saoudite et j’ai entendu ces propos de la bouche d’autres témoins. Dois-je tirer la conclusion que l’Arabie saoudite est peut-être l’une des grandes causes de certains problèmes actuels en Indonésie?
    Je pense que ce serait trop simpliste. Bien sûr, de l’argent vient de groupes saoudiens plus conservateurs. Mais la réalité, c’est que de nombreux groupes sont bien financés, point barre.
    L’extrémisme religieux progresse en Indonésie depuis 1945, soit bien avant que les sources de financement saoudien entrent en jeu. Mais c’est inquiétant, surtout quand des groupes deviennent tellement bien financés qu’ils peuvent acheter les élections locales, par exemple. On commence à s’interroger, parce que l’argent coule à flot.
    À votre avis, que pourrait faire le Canada pour promouvoir le respect de la liberté de religion, d’expression et d’association en Indonésie?
    Je pense que tous les États qui ont une ambassade à Jakarta peuvent jouer un rôle en disant au président de l’Indonésie qu’il doit sévir contre l’extrémisme religieux et que la communauté internationale n’observera pas passivement la mutation de ce pays d’une démocratie musulmane tolérante en un pays qui n’est pas du tout tolérant.
    Que peut faire l’ambassade du Canada à Jakarta? Plusieurs choses. Vous pouvez faire tout ce que vous pouvez pour amener d’autres interlocuteurs à Jakarta afin de discuter de ces problèmes, promouvoir des événements au cours desquels divers points de vue peuvent être entendus, ou encore faire tout simplement de la diplomatie publique, en dénonçant le pays, en dénonçant le gouvernement et en dénonçant le président, en particulier, pour cette inaction face à la montée de l’extrémisme.
    Est-ce qu’il me reste du temps?
    Nous avons 15 secondes.
    Merci beaucoup pour ces réponses, monsieur.
    Merci.
    Nous entendrons maintenant le professeur Cotler.
    Merci d’être avec nous, monsieur Sifton.
    Vous avez décrit dans votre témoignage la hausse de la violence, du harcèlement, de la discrimination et de l’intolérance contre les minorités religieuses et la complicité de l’État, y compris les services de sécurité. Vous avez aussi parlé — pas ici mais ailleurs — des poursuites contre des membres des minorités religieuses, notamment par l’entremise de la loi sur le blasphème.
    Tout cela m’amène à vous poser une question. Avant la visite de la secrétaire d’État Hillary Clinton en Indonésie en septembre, je pense que vous lui avez demandé d’exprimer au gouvernement indonésien gouvernement, comme vous venez de le proposer par l’entremise de nos ambassades, les préoccupations relatives à l’intolérance religieuse grandissante et les accusations problématiques qui ont été portées contre les minorités religieuses en vertu de la loi sur le blasphème. Savez-vous quelle a été la réaction après qu’elle a exposé ces préoccupations au président de l’Indonésie? Y a-t-il eu un changement notable depuis sa visite là-bas? Y a-t-il des indications sur ce que nous pourrions faire, ici au Canada?
(1340)
    Jusqu’ici, non. Rien ne démontre que le président s’est rendu compte qu’il doit prendre le problème plus au sérieux. Malheureusement, il approche maintenant de la fin de son mandat et il faudra commencer à penser à qui sera le prochain président de l’Indonésie et s’il pourra soulever ces questions.
    Il y a un an, en novembre 2011, lorsque le président Obama s’apprêtait à aller au sommet de l’Asie de l’Est à Bali, nous avons exhorté la Maison Blanche à demander au président Obama de soulever ces questions durant sa rencontre bilatérale avec le président Yudhoyono. Nous avons fait valoir que la seule personne qui peut lui dire de sévir dans ce dossier, c’est Obama et qu’il devait saisir l’occasion. Je ne sais pas s’il l’a fait ou non, mais il n’y a aucun signe que le gouvernement a amélioré son bilan. Je ne sais pas ce qu’il faudrait faire.
    Mais je précise que les efforts n’ont pas été très grands. Hillary Clinton a peut-être soulevé la question lors de ses discussions bilatérales avec le ministre des affaires étrangères. Le président Obama l’a peut-être fait dans ses discussions bilatérales. Mais je n’ai pas vu les ambassadeurs, l’ambassadeur des États-Unis ou ceux d’autres pays, en parler avec véhémence, et je pense que c’est ce qu’il faut maintenant.
    J’ajoute également que les rapporteurs spéciaux des Nations Unies s’expriment de plus en plus à ce sujet. Il en sera de plus en plus question, parce que les institutions des Nations Unies, les procédures spéciales, les rapporteurs et la Commission des droits de l’homme exerceront des pressions. Ce sera une autre mesure utile.
    Vous avez travaillé au Pakistan et vous connaissez le Pakistan. Un autre témoin que nous avons entendu a fait valoir que ce que qui arrive en Indonésie reflète en partie certains faits plus troublants au Pakistan. Pensez-vous que cette analogie se tient et devrait-elle influencer les mesures que nous devrions prendre pour réagir à la situation?
    Oui, absolument, le parallèle est en réalité assez effarant, surtout pour les ahmadis, qui sont confrontés à d’énormes problèmes au Pakistan. Le problème de la violence sectaire contre les chiites, et les Hazaras chiites, en particulier, est beaucoup plus grave au Pakistan qu’en Indonésie. En fait, c’est une question sur laquelle nous nous penchons actuellement.
    La bonne nouvelle au sujet du Pakistan, tout au moins, c’est que les forces de sécurité au sein de l’appareil militaire seraient probablement plus disposées que le président de l’Indonésie à sévir contre la violence sectaire.
    Un haut fonctionnaire de la Maison Blanche m’a dit que le problème, c’est que le président n’a pas de colonne vertébrale. Je pense que cela résume assez bien la situation. Il n’a pas la force politique nécessaire pour lutter contre ces groupes extrémistes et prendre les mesures qui s’imposent pour empêcher les pires effets de leur haine de dégénérer en des actes de violence.
    Quand vous dites que Human Rights Watch et vous-même avez demandé au Président et à la secrétaire d’État d’exprimer ces préoccupations au président de l’Indonésie — a et vous ne savez pas si elles l’ont été ou non — si elles ont été exprimées, c’était par la diplomatie privée. Pensez-vous qu’il faut plus de diplomatie publique, afin non seulement que ces préoccupations soient exprimées, mais aussi que tout le monde sache qu’elles l’ont été et qu’on ait une idée de la réaction?
    C’est tout à fait juste. Nous préférons toujours que les préoccupations soient exprimées publiquement. Le Président est allé récemment au Cambodge, un pays qui a d’énormes problèmes relatifs aux droits de la personne, et il a soulevé les problèmes en coulisse, mais pas publiquement. C’est en ce sens que nous parlons de belle occasion ratée. Il faut en profiter pour parler quand on est sur place.
    Le président Obama se rendra-t-il à nouveau en Indonésie durant sa présidence? Je pense que oui, et nous lui demanderons de profiter de l’occasion pour revenir sur la question de la tolérance. Lors de sa visite en 2010, il a parlé de tolérance religieuse, mais c’était avant que les pires actes ne s’accélèrent vraiment. Je pense qu’il est temps qu’il y retourne et déclare qu’il y a un grave problème là-bas et que nous sommes très préoccupés par ce qui se passe.
    Voilà pour les États-Unis. En ce qui concerne les autres pays, vous avez tout à fait raison. Les préoccupations privées ont leurs limites. Il faut un crescendo dans les ambassades, qui exprimeront leurs vives préoccupations. Pour le Canada, en particulier, qu’un citoyen canadien soit victime d’actes de violence collective, comme vous l’avez entendu au début de la semaine, vous donne une occasion en or d’affirmer haut et fort qu’il est inacceptable qu’un citoyen en visite dans un pays soit la victime d’actes de violence collective.
(1345)
    Ce sera tout.
    Merci, monsieur Sifton.
    Je cède la parole à Mme Grewal.
    Merci, monsieur le président, et merci, monsieur Sifton, pour votre temps et votre exposé.
    Les autorités indonésiennes ont des lois sur la diffamation criminelle qui leur permettent d’intenter des poursuites contre des membres de minorités religieuses, en violation de leurs droits fondamentaux. Un membre d’un groupe minoritaire actuellement poursuivi au criminel en vertu de ces lois est Alexander Aan, un fonctionnaire accusé d’être athée. Il a été arrêté en janvier et est poursuivi pour blasphème et pour incitation au désordre public, ce qui est passible d’une peine d’emprisonnement de presque six ans.
    Ces accusations contre lui sont reliées à des publications qu’il a affichées sur un compte Facebook. Les lois sur la diffamation criminelle permettent à des gens puissants de brimer les libertés religieuses des citoyens.
    Monsieur Sifton, si une solution consiste à abroger ces lois, quelle serait la manière la plus efficace de le faire, selon vous? Serait-il plus efficace que les Indonésiens eux-mêmes le demandent ou la communauté internationale peut-elle être utile jusqu’à un certain point?
    Je suis content que posiez la question, parce que les poursuites pour blasphème constituent un autre grand problème que nous suivons de près.
    Dans l’affaire que vous venez d’évoquer, Alexander Aan a été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois en juin, ainsi qu’à une amende de 100 millions de roupies, je crois, ce qui représente un peu plus de 10 000 $. Il n’est qu’un des derniers exemples.
    En mars, je crois, Andreas Guntur a été accusé de blasphème, parce qu’il aurait mal enseigné le Coran. En juillet, un dignitaire chiite a été condamné à deux ans d’emprisonnement. Cela devient de pire en pire. Les attaques sont incessantes.
    La première affaire que vous avez évoquée porte sur l’athéisme, ce qui soulève certaines des préoccupations dont nous avons déjà parlé. C’est une chose d’être membre d’une minorité religieuse ou soi-disant musulman hérétique, mais l’athéisme n’est pas accepté dans le cadre juridique. Autrement dit, on est censé choisir l’une des six religions. C’est un problème que nous avons soulevé par le passé, mais il faudra une analyse sociale à long terme, et il faudra réfléchir et digérer la constitution indonésienne. À long terme, ils devraient se demander si c’est la constitution qu’ils veulent ou s’ils doivent penser à une nouvelle direction?
    Comment la communauté internationale peut-elle susciter cette réflexion? Simplement en encourageant les dirigeants du monde judiciaire et religieux à échanger avec leurs homologues dans d’autres pays, de la Turquie jusqu’au Canada. Il faut tirer des leçons des autres pays: pourquoi il y a une loi contre le blasphème qui ne prévoit pas de sanction pénale, ou pourquoi il n’y a pas de loi sur le blasphème, et expliquer pourquoi nous n’aimons pas les lois sur le blasphème, non pas parce que nous ne respectons pas la religion, mais parce que nous craignons que ces lois servent à museler la dissidence et soient employées pour des raisons illégitimes.
    La province d’Aceh en Indonésie a adopté une loi qui permet l’application de la charia. L’Aceh a adopté trois lois depuis 2003 en se fondant sur son interprétation de la charia. Quelle a été l’incidence de l’application de la charia sur les non-musulmans qui vivent dans la province d’Aceh? Que pouvez-vous dire à ce sujet?
(1350)
    Je n’ai pas du tout parlé de l’Aceh dans mon témoignage, parce que c’est une question complexe, et un peu secondaire. La complicité dans cette province se situe bien davantage au niveau local. Le gouvernement autonome local de cette région a beaucoup de mal à accepter et appliquer la charia.
    Human Rights Watch a rédigé un rapport à ce sujet. Nous avons affiché sur notre site Internet ce rapport sur l’application de la charia dans l’Aceh. C’est évidemment très problématique, mais il est un peu plus compliqué de pointer du doigt le gouvernement central et de le rendre complice, parce qu’après tout, il a donné à ce gouvernement local toute l’autonomie d’un gouvernement autonome. Notre problème, notre lutte si je puis dire, en tant que groupe de défense des droits de la personne, vise le gouvernement de l’Aceh et non le gouvernement central.
    Cela dit, on peut influencer tout plein de choses, comme les conditions de l’aide dans la région, afin de faire comprendre au gouvernement local que nous sommes très insatisfaits de ce qu’il fait. Les groupes internationaux, les investisseurs internationaux, les donateurs et les gouvernements peuvent exprimer leur mécontentement au sujet de la situation dans l’Aceh.
    Le Wahid Institute est un organisme établi à Jakarta qui surveille les droits de la personne en Indonésie. Il a signalé une hausse de près de 70 p. 100 des violations de la liberté religieuse incitées par le gouvernement entre 2010 et 2011. D’après vous, quelle est la cause de cette hausse du pourcentage des infractions incitées par le gouvernement?
    Je pense qu’un grand nombre d’entre elles portent sur les demandes de construction d’un nouveau bâtiment religieux. D’autres portent sur les situations où des gens ont enfreint la loi parce que la carte d’identité émise par le gouvernement indique qu’ils appartiennent à une religion alors qu’en réalité, ils appartiennent à une autre, ou alors elle indique qu’ils sont sunnites, alors qu’en réalité, ils sont chiites.
    Mettre l’accent sur la violence a du sens parce que la violence est très grave. Ce qui arrive aux minorités religieuses actuellement, c’est simplement une vague de discrimination et de harcèlement de la part des autorités gouvernementales.
    Si vous avez une église au sud de Jakarta et que vous voulez l’agrandir — vous achetez un terrain ailleurs dans la ville et vous voulez vendre votre église pour déménager — soudainement, ils vous disent que vous ne pouvez pas obtenir le permis, que vous n’êtes pas autorisés à avoir une église là-bas, et il y a une paperasserie énorme. Cette tonne de briques bureaucratique vous tombe sur la tête.
    Amnesty International et Human Rights Watch ont indiqué que quelques…
    Je dois vous interrompre. Nous avons dépassé le temps alloué de plus d’une minute.
    Nous devons céder la parole à M. Marston, qui sera le dernier à vous interroger.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue, monsieur. Nous sommes heureux de vous entendre.
    Pensez-vous que l’administration actuelle considère avec sérieux les questions soulevées dans le récent examen périodique des Nations Unies?
    En tous cas, elle a répondu avec sérieux.
    Mais sur cette question particulière de la violence religieuse, je ne pense pas qu’ils comprennent qu’ils doivent vraiment s’attaquer au problème. C’est ma réponse brève.
    Très bien.
    Les déclarations du témoin me font croire qu’il y a au moins une constitution raisonnable en place, mais qu’on refuse de l’appliquer et de faire respecter ses dispositions. Si c’est le cas, je serais porté à croire que des facteurs systémiques sont en jeu dans ce pays, des facteurs très importants freinent les gens. D’autres pays arabes se battent bec et ongle pour obtenir de nouvelles constitutions et un changement, mais ici, c’est presque comme si la constitution dérangeait.
    J’ai demandé à un témoin hier jusqu’à quel point ceux qui sont au pouvoir en Indonésie pourraient agir ainsi pour rester au pouvoir et permettre ainsi certaines de ces violations. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles ils ne sévissent pas comme ils le devraient.
(1355)
    Les motivations de certains de ces groupes extrémistes nous échappent parfois. J’ai l’impression, puisque cela existe depuis des siècles, qu’il est parfois plus facile de nourrir la haine que de défendre des idées pour faire avancer le pays. C’est certainement facile de partir en campagne pour défendre la pureté religieuse, pour purifier à nouveau l’Indonésie, par exemple. C’est très facile pour un groupe de mener ce genre de bataille plutôt que de se battre pour des questions plus complexes comme la manière d’améliorer le système de santé, par exemple.
    En discutant avec mon personnel dans mon bureau, nous nous demandions s’il pouvait s’agir d’un conflit interethnique. Nous avons tendance à nous tourner vers la religion parce que c’est un facteur, mais je pense à l’Aceh et à la Papouasie-Occidentale et je me demande ce que vous en pensez.
    La Papouasie est une toute autre histoire, parce que sa population est surtout chrétienne. Mais leur problème, c’est qu’un grand nombre d’entre eux veulent se séparer de l’Indonésie, et ils subissent une discrimination massive parce qu’ils sont Papous.
    Il est important de reconnaître qu’il y a de nombreux problèmes ethniques en Indonésie, mais que le problème dont il est question ici, soit les attaques des groupes extrémistes radicaux contre des minorités, se fonde presque exclusivement sur la religion. Environ 80 p. 100 de tous les attentats ont lieu sur les îles de Java et de Sumatra, les deux régions les plus peuplées. Beaucoup plus à l’est, dans les Moluques, en Papouasie, et cetera, il y a de nombreux chrétiens. Sont-ils attaqués comme à Java? Non. Il y a des problèmes ethniques, mais...
    En réalité, c’est à Java, au cœur de la vie politique de l’Indonésie, que ces groupes radicaux ont décidé de fomenter la haine et de l’exploiter à des fins politiques. Par conséquent, les minorités religieuses dans ces régions, surtout musulmanes, sont attaquées.
    Je l’ai dit hier: les musulmans s’en prennent aux musulmans, ce sont seulement ces deux groupes.
    Ce qui est évidemment troublant, et c’est un élément du dialogue que nous avons autour de cette table aujourd’hui, c’est que les autorités ne s’appuient pas sur les lois existantes et ne les font pas respecter pour prévenir ces attaques.
    Avez-vous une idée du nombre ou du pourcentage de la population...? Il est question de voyous, c’est le terme que nous employons normalement. Il y a la religion musulmane dominante, la population dominante, et ceux qui vont jusqu’à ces extrêmes. A-t-on une idée du pourcentage d’extrémistes dans cette région?
    Ils sont une minorité, c’est clair. Il suffit de se promener à Java pour voir que cette île n’est pas particulièrement conservatrice. Ce n’est pas comme à Quetta, au Pakistan, ou à Kandahar, en Afghanistan. Il est certain que les points de vue extrémistes, les points de vue des salafistes ou les points de vue radicaux ou extrémistes sunnites, ne représentent pas l’opinion majoritaire de la plupart des sunnites en Indonésie.
    Mais ce n’est pas non plus une ou deux personnes seulement. Ce sont de grands groupes très extrémistes bien financés qui exercent un pouvoir politique de plus en plus grand. Ils ne constituent pas la majorité, mais ils ne sont pas négligeables non plus. Ce ne sont pas simplement quelques voyous; ce sont en réalité quelques partis politiques très perturbateurs et très puissants qui ont un grand nombre de partisans.
    Ils sont très organisés, si je vous comprends bien.
    Certains de ces groupes remontent à l’occupation japonaise, alors le problème ne date pas d’hier.
    Merci.
    L’extrémisme n’est pas nouveau.
    Je vous remercie, monsieur Marston.
    Merci à notre témoin.
    Nous sommes sur le point de conclure. De fait, un autobus vous attend, pour vous ramener sur la Colline à temps pour la période de questions.
    Je me demande si vous me permettriez de poser une question ou deux.
    Je réfléchissais aux idées que vous avez exprimées à propos de la nature de la violence, C’est une évidence mais l’idée ne m’avait pas effleuré l’esprit avant que vous l’exprimiez. L’Indonésie est bien sûr un archipel. À cause de la nature même d’un archipel, il n’est pas facile de se déplacer d’une île à l’autre quand on n’en a pas les moyens. Cela laisse croire que le problème est surtout intraethnique plutôt qu’interethnique. Java et Sumatra sont deux très grandes îles. Java est plus petite, mais elle est très peuplée. Ces deux îles sont-elles ethniquement homogènes ou hétérogènes?
    Dans le cas de Sumatra, je pense aussi à la question des colons, aux Javanais qui viennent s’y installer. Y a-t-il un lien, non seulement avec la violence en général, mais aussi la violence soi-disant religieuse?
(1400)
    On peut faire quelques observations au sujet de la prétendue christianisation qui est brandie comme un drapeau rouge par certains groupes militants sunnites. Il faut se demander pourquoi la foi chrétienne prend de l’expansion en Indonésie. C’est un fait. Elle est passée de 8 p. 100 à environ 10 p. 100. Je ne connais pas exactement les derniers chiffres, mais il y a une expansion d’environ 2 p. 100.
    Qui s’explique par une hausse du taux de natalité?
    Il y a de nombreuses causes. L’une d’elles est le prosélytisme de ces groupes, mais cela importe peu; ils ont le droit de faire du prosélytisme. C’est la liberté de parole, mais elle est brandie comme un drapeau rouge par certains groupes qui affirment que si la situation continue l’islam sunnite sera écrasé. On insiste sur un fait qui s’explique en partie par le mouvement. Des gens viennent à Java pour trouver de l’emploi ou s’urbaniser. Dans les centres urbains, il y a plus de diversité ethnique, alors oui, c’est le cas, mais à Sumatra, il y a beaucoup moins de chrétiens.
    D’accord.
    Pour pousser un peu la réflexion, quand on remonte dans le temps, il y a de nombreuses décennies maintenant, dans les années 1950, il y avait un mouvement séparatiste chrétien aux Moluques, n’est-ce pas?
    Aux Moluques et en Papouasie.... Ils ne se définissent pas comme des chrétiens. C’est un mouvement séparatiste, mais je ne pense pas qu’il ait un fondement religieux.
    Il a un fondement ethnique, alors.
    Oui, pour les Papous, la chrétienté n’est pas le premier sujet qu’abordent les....
    D’accord. Quoi qu’il en soit, je pensais aux Moluques, en fait aux îles Maluku. Elles ne sont pas un foyer de ce type de violence, n’est-ce pas?
    Non. Il y a de nombreux problèmes aux Moluques, et il y a eu des incidents isolés, mais en ce qui concerne le nombre absolu d’attaques, il a tendance à être plus élevé à Java et Sumatra.
    J’ai une dernière question.
    Allons au-delà de l’Indonésie. Ma question est peut-être injuste. Si c’est le cas, ne vous gênez pas pour répondre qu’elle dépasse votre domaine de compétence. Ce qui m’a frappé au fil de nos études sur divers sujets ces dernières années — nous avons étudié la situation en Iran, par exemple, et en Iraq, et dans quelques autres pays, c’est que la plupart des persécutions des musulmans dans le monde semblent venir d’autres musulmans, de différentes sectes ou courants. Je ne sais pas si cette idée est juste.
    Il semble y avoir un problème systémique... Je m’exprime mal. Il semble exister un phénomène...
    À vrai dire, ce n’est même pas une question. C’est plutôt une observation, mais qu’en pensez-vous?
    Je suppose qu’en réalité, ma question était la suivante. Les problèmes en Indonésie sont-ils propres à l’Indonésie, ou font-ils partie d’un problème plus vaste auquel nous devrions réfléchir?
    Le problème est beaucoup plus vaste.
    L’Afghanistan a des difficultés avec les groupes chiites qui font l’objet de discrimination dans certaines régions locales. Le pays est beaucoup plus homogène, cependant.
    Le Pakistan, qui est presque entièrement sunnite et où il y a une minorité chiite, a d’énormes problèmes.
    La situation en Iran est terrible, vu le petit nombre de sunnites que compte le pays.
    Les bahá’ís, dont nous n’avons pas parlé ici, sont très peu nombreux. Les bahá’ís d’Indonésie ont eux aussi de nombreux problèmes avec ces groupes, mais les bahá’ís sont confrontés à des problèmes bien pires en Iran et en Égypte qu’en Indonésie. Aujourd’hui même, les Égyptiens débattent de leur constitution, et ils ont eux aussi de nombreux problèmes à résoudre.
    Cela ne se limite pas à l’Indonésie. Le problème existe dans tous ces pays qui ont des chiites et des sunnites, et un petit nombre d’autres confessions, comme les bahá’ís, les hindous et les sikhs.
(1405)
    Merci beaucoup.
    Malheureusement, nous devons nous arrêter là, à cause des contraintes de temps. Nous sommes reconnaissants que vous ayez pu témoigner. Je pense que nous avons tous trouvé votre témoignage très utile.
    Merci beaucoup.
    Merci.
    Chers collègues, la séance est levée.
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