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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup au Sous-comité des droits internationaux de la personne de nous avoir invités et d'avoir invité Amnistie internationale à comparaître devant lui sur le sujet de la violence faite aux femmes en RDC.
Par ma brève intervention, j'essaierai de couvrir trois points. Tout d'abord, je parlerai du travail de recherche d'Amnistie internationale, ensuite du besoin d'une nouvelle stratégie en matière de justice. Enfin, je ferai des recommandations qui pourraient être utiles pour le sous-comité vis-à-vis des actions que peut mener le Canada.
Amnistie internationale est présente dans cette région-là depuis de nombreuses décennies pour documenter les violences sexuelles, faire campagne afin d'obtenir justice et protéger les défenseurs, et proposer des recommandations précises à tous les acteurs.
Durant quatre jours terribles en juillet et en août 2010, plus de 300 femmes, filles, hommes et garçons ont été violés par des hommes armés dans le territoire de Walikale, au Nord-Kivu. Les victimes ont été dépouillées de leurs biens, puis abandonnées à leur sort dans la souffrance et dans un état de choc incroyable. Elles ont absolument tout perdu: leur santé physique et psychique, leurs moyens de subsistance et leur sentiment de sécurité. Les viols ont été commis à 30 km d'une base de la Force de maintien de la paix des Nations Unies où se trouvaient 80 Casques bleus. C'était un viol à caractère organisé et systématique. L'armée nationale n'a rien fait pour protéger la population.
La population civile du Nord-Kivu souffre depuis des années, tandis que des groupes armés et des militaires congolais ou étrangers s'affrontent pour le contrôle des ressources, notamment minières et de la terre. Les groupes armés et aussi des membres des forces armées de la République démocratique du Congo perpètrent des actes graves portant atteinte aux droits de la personne, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Les violences sexuelles commises en RDC sont parfois décrites comme une guerre dans la guerre. À la suite de deux ans de guerre qui ont ravagé la République démocratique du Congo en 1996 et en 1998, la partie orientale du pays continue d'être en proie au conflit en raison de la présence persistante de groupes armés locaux et étrangers qui luttent pour le pouvoir et l'accès aux ressources.
Les souffrances physiques et psychiques sont énormes. Les victimes de viols massifs, collectifs dans la plupart des cas, requièrent un traitement long et complexe pour essayer de guérir les lésions physiques et un traumatisme psychologique important. Très peu de victimes reçoivent des soins immédiatement après l'attaque. Les centes de santé locaux sont aussi pillés. Et il est aussi difficile pour les organisations humanitaires de faire en sorte que les victimes bénéficient à temps de soins et de médicaments. Les infrastructures de transport pour accéder aux victimes sont dans un état lamentable. L'acheminement du matériel médical est quasiment impossible. Beaucoup de victimes ne cherchent pas à recevoir des soins, car elles craignent d'être rejetées par leur famille ou par leur mari. Le traumatisme subi par les femmes victimes de viol dans la région de Walikale semble aggravé par la peur du rejet, des maladies sexuellement transmissibles ou d'une grossesse non désirée.
Citons, parmi les conséquences psychologiques pour les victimes de violences sexuelles, la dépression, l'état de choc, un sentiment profond de terreur, de rage et de honte, la perte de l'estime de soi, le sentiment de culpabilité, la perte de mémoire et les cauchemars. Mais cela ne s'arrête pas là; les conséquences socioéconomiques sont aussi très graves. Les victimes subissent une discrimination et un rejet, elles sont abandonnées par leur mari, elles doivent s'occuper seules des enfants. Tous leurs biens — leurs animaux, leur maison, leur peu de biens — ont été pillés ou volés. Elles perdent leurs moyens de subsistance et leur capacité de nourrir leurs enfants et de subvenir à leurs besoins. La survie des enfants est un combat quotidien. L'école primaire n'est même pas gratuite. Donc, un viol collectif envers des femmes a des répercussions même sur les générations futures, parce que les enfants ne vont plus à l'école.
Un certain nombre d'organisations féminines — et on tient à le soutenir —, de groupes de défense des droits de la personne, d'Églises, d'organisations de développement congolais se sont mobilisés pour répondre aux besoins des victimes. Amnistie internationale estime que ces initiatives, qui sont pour la plupart un succès à l'échelle locale, fournissent un modèle qui peut et qui doit être soutenu. Il est adopté, il est mis en oeuvre par le gouvernement de la RDC, et ce doit être soutenu par tous les donateurs internationaux dans le cas d'une réponse nationale systématique à la crise.
Les attaques de la région de Walikale ont clairement mis en évidence les limites du processus d'intégration des groupes armés dans l'armée congolaise. Les enquêtes progressent lentement sur les atrocités commises dans le Nord-Kivu. Je parlais avec Denis qui me disait que le procès pourrait commencer, mais cela a été extrêmement lent. J'expliquerai plus tard aussi pourquoi il y a beaucoup de défauts.
Fizi est un autre cas. C'est un autre lieu où il y a eu des viols collectifs et massifs, et c'est encore une preuve accablante du manque de justice en RDC.
À Fizi, les femmes ont été violées deux fois: en janvier et en juin. La première fois constitue l'un des rares cas de lutte contre l'impunité. Ceux qui ont perpétré ces viols collectifs ont en effet subi un procès et ont été condamnés à des peines d'emprisonnement de 15 ans ou de 20 ans. Ils se sont ensuite retrouvés dans des établissements pénitenciers, mais s'en sont évadés. Bon nombre d'entre eux organisent des extractions ou s'évadent des prisons.
Je vais maintenant parler de la nécessité d'établir une nouvelle stratégie en matière de justice. Comme beaucoup d'autres organisations internationales, nous avons vraiment mis l'accent, au cours des derniers mois — particulièrement dans le cadre des élections —, sur le besoin de justice. Il est temps que justice soit rendue. Notre dernier rapport, qui remonte au mois d'août 2011 et qui est très long, explique en quoi le système congolais doit être renforcé. L'actuelle fragilité de la justice pénale congolaise et l'absence d'une stratégie globale visant à reconstruire et à réformer constituent les principaux obstacles à l'accès à la vérité, à la justice et aux réparations.
Notre rapport demande que le système judiciaire national du pays soit réformé et renforcé. Les dysfonctionnements sont nombreux. Il manque cruellement d'un programme national pour la protection des témoins et des victimes. La corruption est endémique. Sont en cause le manque d'indépendance de la justice, la pénurie de personnel, de formation et de ressources, la non-application des décisions rendues par les tribunaux, notamment le non-paiement des compensations financières par l'État, les mauvaises conditions carcérales et, bien sûr, la facilité avec laquelle les gens s'échappent des prisons. En outre, à cause de l'insuffisance de coordination entre les autorités congolaises et les multiples donateurs internationaux, certaines choses sont parfois faites en double ou en triple, alors que d'autres ne sont pas faites.
Le gouvernement de la RDC a proposé la création d'une cour spécialisée qui serait habilitée à juger ces crimes. Ce projet a été débattu, puis rejeté. Nous espérons qu'il va être examiné de nouveau. Il faut beaucoup plus pour permettre aux tribunaux ordinaires de compléter ces mécanismes, notamment garantir l'équité des procès ainsi que la régularité des procédures et offrir un programme destiné à protéger les victimes et les témoins. C'est vraiment un message important que nous essayons de soutenir dans le cadre de notre travail contre l'impunité. Un mécanisme de coordination efficace doit être établi d'un commun accord entre tous les donateurs et le gouvernement.
À Walikale, les victimes ont été entendues et des enquêtes ont été menées assez rapidement par la MONUSCO. Malheureusement, les victimes n'ont reçu aucune protection. On les a amenées par camions entiers, au vu de tous, auprès d'un enquêteur chargé de les interroger. Elles ont subi de nombreuses représailles verbales et écrites ainsi que des menaces. Personne n'a envie de témoigner dans de telles conditions.
Comme je l'ai dit, Fizi est un des rares cas où les auteurs de violations ont rapidement été déférés à la justice. Malheureusement, on s'échappe trop facilement de la prison.
Une stratégie globale est nécessaire afin qu'on donne la priorité à l'élaboration d'une stratégie destinée à réformer la justice. Nos recommandations à l'intention du Canada et d'autres acteurs internationaux sont les suivantes.
D'abord, il faudrait que le Conseil des droits de l'homme passe de l'indignation ponctuelle à un réel engagement visant à renforcer la justice en RDC. La communauté internationale doit veiller à ce que tous les donateurs aient une approche plus concertée et plus globale. Il faut allouer le financement nécessaire à la réforme du système judiciaire en RDC.
Comme on le sait, lorsque des pays sont en conflit, c'est par la justice qu'on peut mettre fin aux viols et aux violences sexuelles. De plus, il faut fournir des ressources à long terme et pérennes aux organisations locales congolaises qui viennent en aide aux victimes et défendent les droits de la personne.
Nous reconnaissons la pertinence du projet canadien et sa grande valeur ajoutée pour ce qui est de la lutte contre les violences sexuelles. Nous voyons ce projet, qui est exécuté par l'ACDI, comme un engagement notoire de la part du gouvernement canadien à l'égard de la lutte contre les violences sexuelles. Nous saluons les bonnes pratiques comprises dans le volet judiciaire du projet canadien. Le soutien financier alloué aux cours et aux tribunaux durant la procédure judiciaire a permis à beaucoup de femmes d'obtenir un procès et la condamnation des coupables.
Cependant, la protection des victimes en amont de la procédure est très importante. Il faut aussi les protéger durant la procédure. Souvent, elles trouvent refuge auprès des défenseurs des droits de la personne, dans leur maison. Pour elles, c'est un obstacle énorme. Elles doivent partir de chez elles, parcourir 100 ou 200 km et laisser les enfants à la maison. Or qui va s'en occuper? Qui va les nourrir?
Bien que le projet canadien soit une bonne chose, le gouvernement devrait également songer à appuyer tous les efforts internationaux et à exercer un certain leadership en matière de justice de manière plus générale, afin de tenter d'aborder le problème de la violence sexuelle de manière plus systémique et d'éviter la stigmatisation des victimes de violence sexuelle parmi les autres victimes de violation de droits de la personne.
Non seulement Amnistie internationale, mais plusieurs ONG aussi mènent une campagne importante auprès de la communauté internationale relativement à la RDC, pour demander la création d'un programme concerté de justice internationale. On a profité des élections et on espère que les promesses électorales vont pouvoir se concrétiser.
Nous voudrions aussi dire un mot sur la défense et la protection des défenseurs des droits de la personne. J'ai été avec Justine Masika Bihamba qui, elle-même, a subi de violentes répressions. Elle s'occupe d'un petit groupe au Congo pour protéger les femmes, ses filles et elle-même. Un jour, des hommes armés sont entrés dans son bureau, ont ligoté ses enfants devant elle, ont fait semblant et les ont menacés de violence sexuelle avec un couteau. Nous avons donc remis une pétition contenant 20 000 signatures à l'ambassade de la RDC à Ottawa pour dire qu'il faut protéger les défenseurs des droits de la personne.
Sur un plan technique, nous voudrions aussi soutenir — et nous espérons que le Canada pourra en faire de même — un mandat de coopération technique au Conseil des droits de l'homme pour appuyer la RDC sur la question de justice et d'impunité. Il s'agirait d'un expert indépendant sur la RDC, avec une expertise sur la question de la réforme judiciaire et de la lutte contre l'impunité. C'est vraiment la voie par laquelle nous allons pouvoir mettre fin à ces violences sexuelles.
Je vous remercie.
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Bonjour. Je vous remercie de me recevoir. Je ne peux que féliciter les membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne de l'intérêt soutenu porté au problème des violences sexuelles, particulièrement au Congo.
Dans ma présentation, je vais traiter des actions entreprises pour lutter contre ces violations massives des droits, de leurs réussites, des limites que l'on perçoit aujourd'hui et de quelques propositions pour le Canada.
Comme vous l'avez entendu, je me nomme Denis Tougas, de l'Entraide missionnaire, où je coordonne les activités de la Table de concertation sur la région des Grands Lacs africains, qui existe depuis 1989. Cela rassemble la plupart des communautés religieuses et des organismes de coopération internationale qui interviennent dans les trois pays de la région, principalement au Congo. À ce titre, les membres et moi-même nous rendons au Congo depuis au moins 15 ans. J'y étais lors des dernières élections, dont les résultats ont été annoncés il y a quatre jours.
Compte tenu de notre problème particulier, les violences sexuelles ont été dénoncées à partir du milieu de la décennie 1990. Il est important de rappeler, comme l'a fait ma collègue, que ce sont les groupes de femmes congolaises sur place, dans les villes et les territoires éloignés, qui ont les premières secouru ces victimes, et ce, malgré leur manque de ressources et, parfois, leur manque d'expertise. Il a fallu attendre 2002 et la publication de rapports documentés sur la question pour que le gouvernement de transition congolais s'intéresse à la question.
Sur le terrain — je pense que vous avez entendu, lors des précédentes auditions, des témoignages sur le fait —, les multiples programmes et projets comportent habituellement cinq volets: la prise en charge médicosanitaire, le suivi psychosocial, le soutien socioéconomique et la réinsertion dans les communautés, la prévention des violences et, enfin, le soutien aux recours juridiques des victimes pour combattre l'impunité.
Devant les dénonciations répétées et documentées de ce fléau, la communauté internationale a répondu de manière importante. Selon le Clingendael Conflict Research Unit, des Pays-Bas, on calcule qu'en 2010, la communauté internationale dans son ensemble a déboursé 40 millions de dollars américains pour ce secteur particulier, particulièrement dans l'est du Congo. L'effort consenti n'est donc pas négligeable.
Je rappelle également qu'en 2006, le Canada avait mis sur pied un programme de 15 millions de dollars étalés sur trois ans, et qui se prolongera jusqu'en mars 2012, dans le secteur. À l'époque, le Canada s'était joint à la Belgique pour mettre sur pied un projet conjoint. Ce programme, il faut le rappeler, avait été très important pour mobiliser les ressources sur le plan international.
Cependant, comme vous l'avez entendu lors des dernières audiences, les violences sexuelles ont toujours cours dans l'est du Congo. Avec vous, je me poserai les questions suivantes: où est le problème? qu'est-ce qui cause cela?
Les soins médicaux et le soutien aux victimes s'améliorent progressivement, mais les abus et les violences continuent. Ils sont imputables aux milices, aux soldats de l'armée régulière et, de plus en plus, aux civils. Pourquoi? L'insécurité d'abord: dans les Kivu et en Ituri, il y a toujours une dizaine de milices armées qui s'en prennent aux civils. Par ailleurs, les soldats de l'armée régulière, souvent d'anciens miliciens intégrés sans formation, non payés ou mal payés, très loin des états-majors de Kinshasa, agissent en conquérants dans des zones de non-droit. Également, et surtout, l'impunité règne en ce domaine. Même s'il y a de plus en plus de femmes, de survivantes comme on les appelle maintenant, qui ont le courage de porter plainte, les condamnations sont rares et les peines rarement appliquées dans toute leur rigueur. Les condamnés réussissent facilement à soudoyer les juges, et les prisons sont des passoires. Ces femmes qui portent plainte sont encore une infime minorité, surtout parmi les paysannes des régions éloignées.
Ce qui est en cause ici, ce sont les déficiences du système de sécurité et du système de justice. Je ne m'attarderai ici qu'au système de justice en ce qui concerne la répression des violences sexuelles.
Voici ce qu'écrit le « Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo », rapport produit par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme en septembre 2010, il y a à peine un an:
L’impunité pour les violences sexuelles en RDC est criante. Un nombre minime de cas de violences sexuelles atteint le système de justice, bien peu de plaintes déposées conduisent à des jugements et encore moins à des condamnations. Finalement, lors des rares condamnations pour ces infractions, les prévenus se sont presque toujours évadés des prisons. Du fait de l’impunité [quasi totale] qui a régné pendant ces années, le phénomène perdure même dans les zones où les combats ont cessé et s’accentue là où les conflits se poursuivent.
Le rapport tire la conclusion suivante:
Il semble évident que des exactions telles que celles décrites dans le présent chapitre n'ont pu être perpétuées qu'avec le consentement au moins tacite de la hiérarchie qui a laissé l'impunité s'installer.
Le rapport ajoute ceci:
Il n’y a aucun doute que l’ampleur et la gravité des violences sexuelles sont directement proportionnelles au manque d’accès des victimes à la justice et que l’impunité qui a régné pendant ces dernières décennies a rendu les femmes encore plus vulnérables qu’elles ne l’étaient déjà.
Je cite ici le rapport d'un groupe parlementaire de Grande-Bretagne:
[...] durant la période de transition une fois la guerre terminée, l’État partie ne considère pas la promotion des droits humains des femmes et de l’égalité entre les sexes comme une priorité, notamment dans les efforts déployés pour faire face aux conséquences du conflit armé et dans le processus de consolidation de la paix et de reconstruction.
Concrètement, cela signifie que pour les victimes de violence sexuelle, particulièrement celles qui habitent à la campagne, les obstacles pour obtenir justice sont disproportionnés par rapport à leurs capacités, et difficilement imaginables dans notre contexte canadien. Si vous voulez des exemples, lors des questions, je vous en fournirai.
Face à ce problème, la réponse internationale a commencé à se déployer. Je donne un exemple. Pour ce qui est du soutien à la lutte contre l'impunité, les États-Unis ont adopté un projet de 50 millions de dollars pour quatre ans, jusqu'en 2014. La Belgique, la Suède et la Suisse ont suivi, et le Canada entend proposer un suivi à son premier projet qui devrait débuter en mars 2012. Également, pour ce qui est du Canada, le Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, ou START en anglais, a un budget annuel de 4 millions de dollars pour le Congo et consacre une partie de ses budgets à la lutte contre l'impunité.
Même si ces initiatives sont louables et doivent être encouragées et développées, elles seront limitées par leur nature extérieure et par la durée restreinte.
Commence ici mon message principal et unique.
Il est évident que ce ne sont pas les pays étrangers, aussi généreux soient-ils, qui vont résoudre le problème. Ce sera l'État congolais qui le fera avec notre aide, espérons-le. Jusqu'ici, les ministères du Genre, de la famille et de l'enfant et du Développement social, au palier provincial, ont montré une réelle volonté de responsabilisation dans le domaine, mais ils sont sans ressources. Je pourrais vous donner des exemples.
À l'échelle du gouvernement central, même si certains ministres et ministères ont fait preuve de détermination, on n'a pas senti de volonté ferme de faire évoluer les choses. Je cite à nouveau le rapport du Projet Mapping:
La part presque insignifiante du budget qui est allouée au pouvoir judiciaire est la cause principale du manque de magistrats et de tribunaux. Sans les efforts de la communauté internationale et des Nations Unies, la plupart des projets de réhabilitation du système judiciaire en cours n’auraient jamais vu le jour. Force est donc de constater que les réformes judiciaires en cours n’ont qu’un impact limité sur le budget du secteur de la justice qui demeure insuffisant. Il importe de souligner que la RDC a l’obligation et la responsabilité d’assurer la viabilité de son système de justice et que ses difficultés budgétaires ne justifient pas les faibles moyens alloués à la justice. Comme le soulignait la Mission internationale d’experts parlementaires venue en RDC en 2008, « si l’État ne se préoccupe pas, ignore ou n’arrive pas à bien financer la fourniture de la justice, il met en péril tant l’état de droit que la démocratie de manière générale ».
Pour terminer, je vais proposer deux mesures au comité. Comme le disait ma collègue, il faut développer et soutenir le projet canadien qui va débuter l'an prochain, mais il faut également faire en sorte que cette aide soit présentée de manière différente, de façon à ce que les autorités, les Congolais et les Congolaises en deviennent responsables.
À ce jour, l'aide a été fournie à titre d'aide humanitaire, sans qu'il y ait vraiment de participation responsable et active des acteurs principaux. Dans ce secteur particulier, il y a maintenant une façon différente de faire les choses en matière d'aide humanitaire, d'aide au développement.
Voici ma deuxième proposition. Le gouvernement du Canada et les parlementaires devraient augmenter les pressions auprès du gouvernement congolais pour que ce dernier assume ses responsabilités à l'égard de l'impunité des auteurs de violences sexuelles, quelles qu'elles soient. Deux occasions se présentent cette année. Premièrement, le Sommet de la Francophonie, qui aura lieu à Kinshasa, est une bonne occasion de ramener à l'ordre du jour du Congo et de l'ensemble des pays la question de l'impunité face aux violences sexuelles. En outre, les parlementaires canadiens devraient organiser une visite sur le terrain. Je vous lance l'invitation.
Le Congo, compte tenu des élections qui se sont tenues et de celles qui vont avoir lieu, va poser un problème à la diplomatie canadienne. J'invite donc une délégation de parlementaires à s'y rendre et à faire une visite de nature politique, aussi bien auprès du Parlement qu'auprès des divers acteurs et autorités de la société civile et économique.
Je vous remercie.
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On ne devrait pas dire qu'il n'y a pas eu de progrès ou de changements, particulièrement en ce qui concerne l'impunité. Il y a cinq ans, on n'aurait pas vu ça; c'était impossible qu'un militaire puisse être traité, puisse être accusé de viol. Encore aujourd'hui, dans certaines zones, un militaire ne sera jamais accusé de viol, et c'est comme ça.
Cependant, on a vu — et cela a été la stratégie de la communauté internationale et de la mission d'observation — la tenue de procès de généraux ou, du moins, de commandants. On n'a pas réussi ça. On a maintenant des subalternes, mais quand même des gens en autorité. Il y en a maintenant de plus en plus, et ces cas sont bien documentés. Quand je dis beaucoup, je veux dire quatre, cinq, six.
Sur le plan local — on pourrait en parler —, les difficultés sont énormes pour qu'une femme puisse avoir accès à la justice. On remarque qu'il y a de plus en plus de causes entendues dans les villes, mais l'augmentation des condamnations est vraiment très faible, et ce, pour plusieurs raisons. Non seulement la justice elle-même a de la difficulté à traiter de ces questions, mais également les victimes ne contrôlent pas et ne possèdent pas encore la façon d'amener une preuve.
Il y a un autre exemple: pour mener un procès du début jusqu'à la fin, ce qui peut prendre un an ou un an et demi, cela coûte par cause aux femmes entre 700 $ et 800 $. Pour des personnes qui vivent avec 1 $ par jour, ces sommes sont exorbitantes. Par ailleurs, plusieurs de ces femmes vont en justice sans l'aide d'avocats. La partie adverse, souvent, a des avocats qui vont facilement contrer les accusations. Des problèmes restent à résoudre à ce sujet. En outre — je l'ai mentionné —, de grandes zones au Congo sont sans magistrats, sans service de police, ce qui fait que l'accès à la justice dans ces zones est encore impossible.
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Permettez-moi d'abord de faire une remarque au sujet de votre première intervention.
Les sénateurs se sont rendus au Congo à une reprise, quand il y a eu cette enquête sur l'aide publique au développement en Afrique, et en sont revenus indemnes. Le groupe parlementaire de Grande-Bretagne, qui existe maintenant depuis 1994, s'y rend chaque année. C'est donc faisable. Les groupes parlementaires belges et des Pays-Bas s'y rendent également facilement. Je rappellerai que le Canada est le premier investisseur étranger au Congo. Il y a un intérêt sur place.
Par rapport à votre point, je ne suis pas d'accord avec vous sur le terme que vous utilisez, soit « viol institutionnalisé ». Les Congolais ne sont pas des violeurs par nature. Cependant, l'exemple est venu de haut. Le fait que tant de viols ont été commis en toute impunité a fait diminuer complètement l'ordre moral et l'ordre juridique. Dans cette partie du Congo où la guerre fait rage depuis 1994, la société a été déstructurée à un point tel que, par exemple, un jeune enfant soldat qui revient dans son village avec son fusil a plus d'autorité et souvent plus de moyens, de ressources et d'argent que le chef traditionnel. Alors, quand le chef traditionnel dit quelque chose à ces jeunes, il se fait retourner. L'ordre social et l'ordre moral sont complètement défaits.
Je voulais insister sur un point. Vous avez raison, le gouvernement central ne se préoccupe pas de cette question. On s'est fait dire très régulièrement certaines choses par le ministère des Communications, par exemple, quand il y a eu cette visite sur place de la rapporteuse spéciale sur les violences sexuelles. Qu'a répliqué ce ministre des Communications? Il a dit que c'était faux, que les Congolais ne violent pas et que ce sont les étrangers — les Rwandais, les Ougandais et les soldats de la MONUC — qui le font. Il y a absence de prise de conscience.
Pour des raisons très simples, la hiérarchie, les chaînes de commandement politique et militaire sur place sont très serrées. Les politiciens, les généraux de Kinshasa — on ne s'en cache pas — tirent directement profit de cette insécurité. On va donc protéger ces membres sur place.