SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 28 mai 2013
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bienvenue à la 84e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 28 mai 2013. Nous discuterons aujourd'hui de la situation des droits de la personne en Iran.
[Traduction]
Je crois comprendre qu'avant de nous attaquer au principal objet de la séance d'aujourd'hui, il y aura peut-être une motion ou deux à examiner.
Est-ce le cas, monsieur Sweet?
Oui. Les deux ont été distribuées.
L'une concerne la convocation d'un témoin supplémentaire: Justus Weiner, qui sera justement en ville. Il serait pertinent qu'il témoigne dans le cadre de l'étude que nous réalisons actuellement. Ce sera pour mardi prochain.
L'autre motion concerne la conclusion de notre étude sur le Honduras, qui doit se poursuivre pendant encore deux séances. L'une donnera à Goldcorp l'occasion, qu'elle ne souhaitera peut-être pas saisir, de répondre aux deux derniers témoins, alors que l'autre permettra à un représentant du gouvernement de traiter de la responsabilité sociale des entreprises, une fois encore en raison de la nature de ce qui s'est dit lors des deux dernières séances.
Examinons d'abord la motion relative à Justus Weiner, si vous le voulez bien. Y a-t-il des objections à ce que Justus Weiner comparaisse le 4 juin?
(La motion est adoptée.)
Le président: Cette motion n'exigeait pas de consentement unanime.
L'autre l'exige, par contre. Il s'agit d'une motion pour inviter Goldcorp et un représentant du gouvernement à comparaître, ce qui en ferait nos deux derniers témoins.
Plaît-il au comité de les convoquer? Si ce n'est pas le cas, nous réserverons la question et en débattrons au cours d'une autre séance. C'est au sujet de l'étude sur le Honduras.
(La motion est adoptée.)
Le président: Bien, je crois que le comité donne son consentement pour cette motion.
Nous devons entendre deux témoins aujourd'hui. Susanne Tamás a déjà témoigné devant le comité par le passé. Elle nous a été d'une aide inestimable concernant des questions relatives aux bahá’ís et à la manière dont ils sont traités — ou plutôt maltraités — en Iran.
Nous devons également entendre Payam Akhavan, que je ne vois pas. Monsieur Akhavan, vous êtes au téléphone, n'est-ce pas?
Les deux témoins sont donc là. Je propose que nous commencions par Susanne Tamás.
Les deux témoins connaissent les procédures du comité. Nous accordons normalement une dizaine de minutes aux exposés, puis on passe aux questions et réponses, dont la longueur est déterminée par le temps qu'il reste divisé par le nombre d'intervenants.
Madame Tamás, je me demande si vous pourriez débuter et éclairer notre chandelle.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Reid, de me donner l'occasion de m'adresser au Sous-comité des droits internationaux de la personne. Merci à vous et à tous les membres du comité de m'offrir cette possibilité.
Le gouvernement iranien viole les droits d'un grand nombre de ces citoyens, qu'il s'agisse de femmes, d'universitaires, de défenseurs des droits de la personne, de journalistes ou de membres de groupes ethniques et religieux. Parmi les groupes visés figure la communauté bahá’íe.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction a qualifié récemment leur situation d'un des exemples les plus criants de persécution religieuse parrainée par l'État dans le monde d'aujourd'hui.
Sans vouloir minimiser en quoi que ce soit la gravité de l'effet cumulatif de plus de 30 ans de persécution des bahá’ís en Iran, j'aimerais traiter principalement de trois questions pressantes: le cinquième anniversaire de l'arrestation et de l'emprisonnement injustifiés de tous les anciens dirigeants des bahá’ís en Iran, l'augmentation constante et brutale des arrestations arbitraires et des actes de violences qui vont de pair, et la manière dont les violations des droits de la personne commises à l'endroit des bahá’ís en Iran hantent ces derniers du berceau au tombeau.
Le 14 mai, il y a quelques semaines à peine, marquait le cinquième anniversaire de l'arrestation et de l'emprisonnement de tous les anciens dirigeants des bahá’ís en Iran. Certains se rappelleront, pour l'avoir déjà entendu dans un témoignage, que la foi bahá’íe n'a pas de clergé. Ces fonctions sont confiées à des institutions démocratiquement élues, appelées assemblées spirituelles nationales, qui gèrent les affaires de la communauté, offrant de l'orientation et de l'éducation spirituelles, s'occupant de l'éducation des enfants, organisant les cérémonies des jours saints et des rassemblements religieux et administratifs, et donnant accès à la littérature bahá’íe.
Je suis actuellement membre de l'assemblée spirituelle nationale des bahá’ís au Canada. Si j'étais en Iran, je serais détenue dans la prison d'Evin.
Au début des années 1980, le gouvernement iranien a fait disparaître neuf membres de l'assemblée spirituelle nationale, exécuté huit des neufs personnes élues pour les remplacer, interdit toute forme d'administration bahá’íe officielle et peut-être même exécuté sept des neufs membres de la prétendue troisième assemblée spirituelle nationale, qui a été dissoute.
Quelque temps plus tard, alors que le gouvernement était au courant et avait donné son assentiment tacite, la communauté bahá’íe a établi un groupe ad-hoc de sept membres connu sous le nom de Yaran, ou amis de l'Iran, afin de pourvoir aux besoins de la communauté. Les autorités iraniennes ont communiqué avec ce groupe. En fait, à certains égards, elles s'en sont servi comme d'une fenêtre sur la communauté.
Le 14 mai 2008, six des sept membres du Yaran ont été arrêtés et incarcérés, le septième ayant subi le même sort quelques semaines auparavant. Après plusieurs mois de détention en isolement, ils ont été faussement accusés d'« espionnage pour le compte d'Israël, d'insulte au caractère sacré de la religion et de propagande contre la République islamique ». Aux dires de leur avocat, Shirin Ebadi, leurs dossiers ne contenaient pas la moindre preuve à cet égard.
Après un procès contraire à toutes les normes internationales, ils ont été déclarés coupables et condamnés à 20 ans de prison.
Pour M. Khanjani, maintenant âgé de 79 ans, il s'agit d'une peine à perpétuité. C'est une tragédie personnelle pour ces sept membres, leurs enfants et leurs épouses.
Mais il y a plus. Les efforts déployés pour priver la communauté bahá’íe de ses dirigeants et de sa capacité à s'organiser, un droit des communautés religieuses reconnu à l'échelle internationale, ne sont qu'une des stratégies s'inscrivant dans une campagne systématique et systémique menée en Iran contre la communauté bahá’íe par un gouvernement déterminé à la détruire.
Pour souligner le cinquième anniversaire de l'emprisonnement des membres du Yaran, quatre experts des Nations Unies ont publié une déclaration commune réclamant que les autorités iraniennes libèrent immédiatement les prisonniers. De hautes instances gouvernementales, des défenseurs des droits de la personne et des dirigeants de groupes confessionnels de l'Australie, du Brésil, du Chili, de la France, de l'Allemagne, de l'Inde, des Pays-Bas, de la Slovénie, de l'Ouganda, du Royaume-Uni et des États-Unis ont tous joint leurs voix à la leur.
L’ambassadeur pour la liberté de religion du Canada a exprimé l'inquiétude du gouvernement dans un communiqué publié le 14 mai, où il indique notamment ce qui suit:
C’est à regret que le Canada marque aujourd’hui le cinquième anniversaire de l’arrestation et de la détention illégitimes de sept dirigeants nationaux bahá’ís en Iran par le régime Khamenei. Nous réclamons de nouveau leur libération.
Nous demandons instamment au sous-comité d'ajouter sa voix à celle de ceux qui, de par le monde, condamnent la détention des anciens membres du Yaran et réclament leur libération et celle de tous les prisonniers d'opinion innocents pour qu'il n'y ait pas de sixième anniversaire.
Passons maintenant à notre deuxième préoccupation, l'augmentation constante et brutale des arrestations et des incarcérations de bahá’ís, ainsi que de la violence qui va de pair. D'août 2004 à avril 2013, 697 bahá’ís ont été arrêtés en Iran, dont 316 — ou près de la moitié — l'ont été au cours des deux dernières années. Il y avait quatre bahá’ís en prison en 2004, alors qu'il y en a 116 aujourd'hui. Un grand nombre de ces arrestations ont lieu lors de raids coordonnés et de plus en plus violents contre des résidences, au cours desquels des documents bahá’ís sont confisqués et les bahá’ís sont menacés et intimidés. Ceux qui sont arrêtés sont souvent détenus pendant des semaines ou des mois, parfois en isolement, et sont soumis à des interrogatoires intenses. Certains sont libérés sous caution en attendant leur procès, au cours desquels ils font l'objet de fallacieuses accusations et condamnés à de longues peines d'emprisonnement.
Concurremment, on a assisté a une augmentation des incendies criminels, des graffitis, des discours haineux, de la violation de cimetières et d'attaques contre des enfants bahá’ís, sans que les bahá’ís ne puissent intenter des procédures juridiques efficaces. Ces incidents ont été répertoriés dans un document intitulé Violence with Impunity, publié récemment par la communauté internationale bahá’íe. Ils sont le résultat de la campagne de désinformation et de diffamation du gouvernement à l'endroit de la foi bahá’íe et de ses adaptes, une campagne conçue pour encourager la haine à l'égard des bahá’ís et créer une culture permettant au gouvernement de s'en prendre de plus en plus à eux en toute impunité, ce qu'il fait d'ailleurs.
Le gouvernement iranien doit mettre fin à l'arrestation et à la détention arbitraires et de plus en plus violentes de bahá’ís, et nous devons trouver moyen d'extraire la semence de la haine qu'il a semé dans le coeur de ses citoyens.
Voilà qui nous amène à notre troisième préoccupation: la persécution des bahá’ís en Iran, laquelle, comme l'a récemment fait remarquer le rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de confession, perdure du berceau au tombeau et touche les gens à toutes les étapes de leur vie. Des enfants bahá’ís sont emprisonnés avec leurs mères, alors que d'autres dont la mère et le père sont tous deux en prison sont laissés aux soins de parents ou de membres de la communauté. Les écoliers bahá’ís sont souvent harcelés et insultés par leurs enseignants. De bons étudiants dont on sait qu'ils sont bahá’ís se voient refuser les résultats de leurs examens d'admission nationaux, nécessaires pour entrer au collège ou à l'université. Ceux dont l'adhésion à la foi bahá’íe n'est pas connue au moment de leur admission sont renvoyés dès que la chose se sait, parfois au cours du dernier trimestre de leurs études.
Des familles bahá’íes sont acculées à la pauvreté en raison de l'incarcération du principal pourvoyeur et/ou du versement d'une caution exorbitante pour obtenir sa libération temporaire. Des adultes se voient refuser des postes dans le secteur public et font l'objet de discrimination dans pratiquement tous les autres secteurs de l'économie. Au cours de la dernière année, par exemple, toutes les entreprises appartenant à des bahá’ís ont été fermées dans plusieurs villes. Les mariages bahá’ís ne sont pas reconnus, ce qui a des conséquences sur le droit de succession. Les bahá’ís âgés ne reçoivent pas leurs rentes et n'ont pas droit à une inhumation convenable, et les cimetières bahá’ís sont trop souvent vandalisés. La persécution se poursuit donc jusqu'après la mort.
La persécution des bahá’ís en Iran ne se limite pas au déni du droit à la liberté de religion ou de confession, mais englobe la violation des droits interdépendants, interreliés et indivisibles protégés par la Déclaration internationale des droits de l'homme, ce qui sape les fondations mêmes d'une société démocratique et pluraliste.
Nous voudrions exprimer notre gratitude à l'égard du sous-comité pour sa persistance inébranlable à s'occuper de la situation des droits de la personne en Iran. Les études que vous avez menées, et les préoccupations et recommandations que vous avez formulées à l'intention du Comité des affaires étrangères et de vos collègues parlementaires ont joué un rôle important en permettant de maintenir l'intérêt de la communauté internationale à l'égard de la situation des droits de la personne en Iran, à une époque où d'autres grandes préoccupations — comme le fait que l'Iran appuie le terrorisme, a un programme nucléaire et constitue une menace pour Israël — auraient pu la reléguer au second plan. Il est essentiel que le Canada continue de mettre en lumière la situation des droits de la personne en Iran, une situation qui n'est pas une menace distante, mais une réalité présente dont la résolution permettra de résoudre beaucoup plus aisément les autres graves sujets de préoccupations.
Nous répétons nos recommandations voulant que le sous-comité exprime ses inquiétudes, condamne le maintien en détention des anciens membres du Yaran et réclame leur libération immédiate ainsi que celle de tous les autres prisonniers d'opinion en Iran.
Nous répondrons à vos questions avec plaisir.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup, madame Tamás.
Nous entendrons maintenant M. Akhavan, qui se trouve actuellement dans un petit village d'Italie et a eu énormément de difficultés à entrer en communication téléphonique avec nous. L'affaire n'a pas été facile. Si des problèmes techniques nuisent à la qualité du son, je crois qu'ils seront peut-être inévitables.
Monsieur Akhavan, vous pouvez commencer votre exposé.
Bonjour. C'est un honneur que de comparaître de nouveau devant le sous-comité pour traiter de la situation actuelle des droits de la personne en Iran. Je le fais à un moment où les circonstances sont particulièrement difficiles pour la population d'Iran. Avec la tenue prochaine des élections de la république islamique, le 14 juin, les perspectives d'une réforme graduelle d'un régime autoritaire manifestement injuste et intenable semblent de plus en plus éloignées.
Certains avaient espéré qu'après la répression brutale du mouvement vert, en 2009, et qu'avec le déclin économique et l'isolement international sans précédent de l'Iran, les dirigeants du pays feraient des compromis avec les réformistes islamistes. On présumait qu'ils le feraient au nom de la réconciliation, collaborant avec les éléments réformistes toujours déterminés à constituer la république islamique, pour permettre du gouvernement de conserver une certaine légitimité afin que le régime survive. Ces espoirs se sont vite évanouis quand il est devenu évident que les tenants de la ligne dure ne céderaient pas d'un pouce. Ils se sont même retournés les uns contre les autres dans l'amère lutte de pouvoir qui oppose de plus en plus les diverses factions sur la place publique.
Le Conseil des gardiens, qui n'est pas élu et n'a de comptes à rendre à personne, n'a retenu que huit des 686 candidats qui se sont présentés aux élections du 14 juin. Parmi ces huit candidats, il semble qu'au moins quatre aient des liens familiaux directs avec le chef suprême, l'ayatollah Ali Khamenei. Il est révélateur que même l'ayatollah Rafsanjani, autrefois un pilier de la république islamique, n'ait pas été autorisé à se présenter. La disqualification d'Esfandiar Rahim Mashaei, un parent et proche allié politique du président Ahmadinejad, constitue un autre indice de la division sans précédent qui règne au sein de ce qui était autrefois la clique du régime. Si on ajoute à cette équation le nombre considérable d'importants prisonniers politiques et d'exilés qui sont exclus du processus politique, l'éventualité que les prochaines élections soient libres ou justes tient davantage d'un roman d'Orwell que de la réalité.
La lutte qui oppose ces cercles n'est pas tant une affaire d'idéologie que de gain personnel. La situation se comprend mieux dans le contexte de ce que qu'on peut qualifier d'État théocratique-kleptocratique mixte, qui utilise la haine religieuse et la violence pour camoufler le pillage des ressources du pays. Pensez que plusieurs importants ayatollahs croupissent dans les prisons d'Iran parce que leurs idées de l'Islam diffèrent de celles des dirigeants politiques.
Je vous donnerai en exemple l'emprisonnement de l'ayatollah Kazemeyni Boroujerdi, qui a réclamé la séparation de l'État et de la religion, et affirmé que le peuple iranien en a assez de la religion des politiques et des slogans politiques. On dit que le Saint-empire romain n'était ni saint ni romain. Aujourd'hui, on peut affirmer que la république islamique ne constitue pas une république et n'est pas islamique. L'Iran d'aujourd'hui est devenue la république islamiste de gangsters capitalistes, où une alliance innommable de l'établissement clérical et du Corps des gardiens de la révolution règne grâce au favoritisme économique de son cercle interne, à la torture à l'intérieur de ses frontières et au terrorisme à l'étranger.
Le rôle primordial du Corps des gardiens de la révolution, qui agit de concert avec le Hezbollah afin de commettre des atrocités inouïes contre des civils en Syrie, constitue un autre exemple de l'idée violente que les dirigeants se font du pouvoir. C'est cette dynamique de militarisation qui démontre de façon criante le lien inextricable qui existe entre le problème du nucléaire et la démocratisation. Pendant bien trop longtemps, la communauté internationale a laissé le problème du nucléaire éclipser la situation des droits de la personne. D'un côté, la population iranienne fait les frais de la menace de guerre et des sanctions néfastes qui ont rendu la vie intenable pour bien des gens, mais de l'autre, on craint que le gouvernement iranien ne conclue un accord de haut niveau en faisant des compromis sur la question du nucléaire pour que les choses s'apaisent et qu'on ferme les yeux sur la brutalité dont il fait preuve à l'égard de ses propres citoyens. Dans les deux cas, le peuple iranien est perdant. La seule solution viable vient de l'effort historique que déploient les jeunes iraniens et l'infatigable société civile pour manifester dans la non-violence afin de réclamer un avenir démocratique où le pouvoir est synonyme de responsabilité et d'abus tous azimuts.
C'est remarquable de voir que dans le contexte des menaces de guerre, l'Enquête mondiale sur les valeurs, menée par une équipe de chercheurs israéliens hautement qualifiés, révèle que d'après une comparaison de 47 pays, le potentiel de démocratie libérale de la société iranienne est supérieur à celui de 23 autres nations, dont des pays arabes comme l'Égypte, le Maroc et la Jordanie, de même que des pays asiatiques comme la Corée du Sud, l'Inde et la Thaïlande.
En comparaison avec 29 pays examinés dans le cadre de l'Enquête sociale européenne, la société iranienne a une plus forte propension à la démocratie libérale que la Russie, l'Ukraine, la Slovaquie et la Roumanie. Comme je l'ai dit au sous-comité au fil des ans, le défi consiste toujours à permettre à la population iranienne de se prendre en charge et à déloger les leaders impitoyables qui sont résolus à s'accrocher au pouvoir à tout prix.
Dans cette optique, le Dialogue mondial sur l'avenir de l'Iran, tenu récemment en partenariat par l'École Munk de l'Université de Toronto et le ministère des Affaires étrangères du Canada, est un premier pas attendu vers un nouveau discours, qui s'éloigne des sujets de la guerre et de l'apaisement pour aborder celui de la nécessité d'instaurer une solidarité continue et sérieuse avec la société civile.
Le Canada compte une diaspora iranienne assez considérable, diversifiée et influente, et celle-ci aspire à assurer un avenir meilleur à son pays d'origine. Le Canada devrait continuer à explorer toutes les avenues possibles pour prêter assistance à la société civile, en vue de favoriser le changement dans la non-violence. Ultimement, il revient bien sûr au peuple iranien d'instaurer ce changement, qui passera par des sacrifices et des gestes héroïques comme ceux dont nous avons été témoins au cours des dernières années.
Il ne faut pas se faire d'illusion, ce n'est pas du jour au lendemain qu'on arrivera à forger une culture de respect des droits de la personne, à renforcer la société civile, à créer une presse libre, à établir un système judiciaire indépendant et à promouvoir le dialogue et les compromis entre les différents groupes politiques, religieux et ethniques. C'est un processus nécessaire qui sera long et pénible. Mais tous les ingrédients cruciaux sont présents en Iran. Il s'agit de voir comment assurer la transition de la manière la moins violente et la moins destructrice possible pour le peuple iranien. À cet égard, il est à la fois décourageant et encourageant de voir que le régime refuse de faire des compromis.
Décourageant, parce que la brutalité du régime démontre bien que ses dirigeants tiennent à garder le pouvoir à tout prix. Le scénario cauchemardesque qui se joue en Syrie aujourd'hui est un combat de vie ou de mort pour le régime iranien, lui qui est assailli par la communauté internationale et sa propre population. C'est peut-être un signe qu'il est prêt à tout pour maintenir son règne, même à assassiner des civils innocents.
Cependant, le refus de faire des compromis même au sein du noyau du régime est aussi un signe encourageant, en ce sens qu'un système qui a été bâti dans la corruption, l'escroquerie et la violence finira invariablement par imploser. Le régime est son propre pire ennemi: il refuse de comprendre que dans cette ère d'ouverture et d'interdépendance, dans l'Iran moderne, où la jeune population est extrêmement talentueuse et au fait des enjeux politiques, il est tout simplement impossible de régner indéfiniment dans la violence et la terreur. L'Iran de demain appartient à ceux qui tendent vers la liberté et la prospérité, pas aux ayatollahs aux idées rétrogrades, ni à la violence de la garde révolutionnaire.
Je terminerai par quelques réflexions sur la nature organique du changement amorcé par la base, le bouleversement de la culture iranienne, la société civile, le peuple désillusionné par les abus politiques, et les exigences irréversibles à l'égard du respect des droits de la personne et de la primauté du droit, tandis que l'illusion d'une idéologie révolutionnaire se désintègre face à la corruption et à l'injustice. J'aimerais parler plus particulièrement de la conception du pouvoir à laquelle s'accroche la république islamique, et expliquer pourquoi cette vision est vouée à l'échec.
Je vais vous raconter l'histoire de Barmaan, qui avait un mois à peine lorsque sa mère a été emprisonnée pour purger une peine de 23 mois. C'était en juillet 2012. Le crime qu'elle a commis: elle était de foi bahá’ie. Le régime n'approuvait pas ses croyances religieuses.
Malheureusement, il n'y a pas que les adeptes du baha'isme qui languissent en prison pour des crimes semblables. Comme je l'indiquais, même d'éminents ayatollahs chiites, comme Boroujerdi, sans parler des démocrates laïques, des socialistes, des syndicalistes, des activistes pour les droits des femmes, des leaders étudiants et de tous les autres considérés comme une menace, sont la cible de harcèlement et de répression de la part du régime iranien.
L'histoire de Barmaan est importante parce qu'elle illustre bien cette conception du pouvoir. Barmaan est né deux mois avant terme. Sa mère a subi un choc émotionnel lorsque sa maison a été envahie dans la ville de Semnan, et c'est ce qui a déclenché le travail prématurément.
Barmaan aura deux ans quand sa mère sera libérée, si elle est bel et bien libérée à la fin de sa peine. Son père était déjà en prison pour ses croyances baha'ies quand sa mère a accouché de lui prématurément. Comme bien d'autres nourrissons, Barmaan sera un enfant de la prison, et sa conception de la vie sera façonnée par les conditions pénibles qui règnent dans les prisons d'Iran. Comme bien d'autres enfants, il s'imaginera peut-être dans ses jeux que ses poupées devraient se battre, car c'est la réalité qu'il connaît. Comme bien d'autres enfants, dans ses dessins, il montrera son père et sa mère derrière des barreaux.
Pourquoi je vous raconte l'histoire de Barmaan? C'est parce qu'elle démontre le désespoir d'un régime qui perpétue délibérément la violence afin de maintenir sa mainmise sur le pouvoir. Un homme qui bat sa femme enceinte et ses enfants ne serait pas vu comme un homme fort. Au contraire, on devinerait qu'il s'agit d'un homme tellement désespéré et impuissant qu'il se résout à violenter des personnes sans défense. En privant Barmaan et de nombreux autres enfants iraniens comme lui d'une enfance innocente, la République islamique montre qu'elle est tombée bien bas et qu'elle est aujourd'hui impuissante devant ses propres citoyens.
Espérons que certains acteurs du régime auront une vision un peu plus éclairée de la situation et qu'ils comprendront que l'histoire ne joue pas en faveur de ceux qui persistent à agir de manière aussi brutale. Espérons que l'Iran suivra l'exemple de l'Afrique du Sud post-apartheid en négociant une transition démocratique non violente, plutôt que de faire subir les horreurs qui ont lieu tous les jours en Syrie, entre autres.
Tandis qu'on se penche sur la situation actuelle des droits de la personne en Iran, c'est sur cet avenir, inévitable et encore indéterminé dans sa modernité, qu'il faut mettre l'accent.
Merci de votre aimable attention, monsieur le président, et merci de m'avoir permis de m'adresser aux distingués membres du sous-comité.
Merci, monsieur.
Nous avons suffisamment de temps pour des questions et réponses de cinq minutes.
Nous allons commencer par M. Sweet.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie également nos témoins, le professeur Akhavan et Susanne Tamás, qui nous ont éclairés à de nombreuses reprises déjà. Les membres du comité vous sont très reconnaissants de les faire profiter de votre expertise.
Je veux aussi souligner la présence du député John Weston, qui a organisé la visite de Shirin Ebadi à notre comité la dernière fois. Je l'en félicite.
Je tiens à vous rappeler, monsieur le président, qu'il y a environ un an, le 15 mai 2012, nous avons tenu un débat exploratoire sur les droits de la personne en Iran. Bon nombre de mes collègues ici présents ont participé au débat ce soir-là. À cette occasion, j'avais simplement décrit à la Chambre les personnes qui étaient impliquées dans l'emprisonnement des dirigeants du mouvement bahá'í.
J'aimerais entamer ma série de questions de la même façon. Le Projet mondial de défense des prisonniers politiques iraniens — et le député Cotler et le sénateur Kirk méritent d'être félicités pour la présidence de ce projet — a fourni aux membres du Parlement la biographie de l'une des dernières victimes d'Ahmadinejad. J'aimerais vous faire part de l'histoire de Navid Khanjani, un étudiant bahá'í et activiste de la société civile. Il a été condamné à 12 ans d'emprisonnement dans des conditions brutales en Iran. Navid a déjà subi un interrogatoire intense à la prison d'Evin, à Téhéran, et a été forcé d'enregistrer un témoignage vidéo le discréditant. Navid a reçu la peine la plus longue à jamais avoir été imposée à un activiste des droits de la personne en Iran, pour propagande contre le régime et atteinte à la sécurité nationale. Quel crime a-t-il commis? Celui de vouloir étudier à l'université. Les adeptes du bahaïsme sont exclus des universités en Iran. Membre du comité des journalistes et des activistes pour les droits de la personne, il a fondé le comité bahá'í pour le droit à l'éducation.
Maintenant que je vous ai parlé de Navid Khanjani, emprisonné en Iran, j'aimerais poser ma première question à Susanne Tamás.
Madame Tamás, la persécution est endémique en Iran. Les zoroastriens, les chrétiens, les hindous, les minorités musulmanes et les juifs sont victimes de persécution. Pourriez-vous expliquer au comité ce qui rend la situation de la communauté baha'ie unique, et en quoi diffère la persécution dont elle est victime par rapport aux autres minorités?
Merci beaucoup, monsieur Sweet.
Il est très difficile de répondre à cette question sans d'abord préciser que toute persécution est inacceptable, peu importe qui en est la victime. Ce qui arrive à la communauté bahá'ie est symptomatique du traitement qu'on réserve à bien des groupes de la population iranienne.
Ce qui distingue la situation de la communauté bahá'ie est premièrement qu'elle n'est pas reconnue comme une minorité religieuse et qu'elle n'est donc pas protégée par les structures légales. Deuxièmement, il y a le document interne sur la « question bahá'ie » que le gouvernement iranien a produit en 1991, et qui a été dévoilé par l'ONU en 1993. Ce document énonce une stratégie visant à bloquer délibérément le développement de la communauté bahá'ie. Je ne crois pas qu'une telle stratégie existe pour les autres communautés.
Malgré les horribles souffrances dont l'ensemble de la population est injustement victime, ce qui distingue cette communauté est la haine viscérale qu'entretient le gouvernement iranien à son égard et le désir de ce dernier de bloquer et de freiner son développement et de l'oppresser par tous les moyens possibles.
Merci, madame Tamás.
Monsieur Akhavan, sur 686 candidats, seuls huit ont été approuvés. Vous avez indiqué que bon nombre de ceux dont la candidature a été refusée faisaient autrefois partie du régime.
Est-ce que le régime serait sur le point de s'effondrer?
Eh bien, certains prédisent sa chute depuis 34 ans, monsieur Sweet, alors il faut être prudent avec ce genre de prédiction. Il est toutefois évident que le régime se trouve face à des crises de légitimité sans précédent. La radicalisation du régime, même l'élimination ou la marginalisation du camp Ahmadinejad ou du camp Rafsanjani, des groupes qui faisaient autrefois partie intégrante du régime, est sans contredit à l'origine de l'isolation croissante du régime, non seulement à l'échelle internationale, mais aussi à l'intérieur même du pays.
Il est très difficile de prédire la chute du régime, et la chute d'un régime n'est pas nécessairement due à un événement précis qui a lieu à un jour donné. Cependant, la trajectoire du régime n'est certainement pas prometteuse. Dans le pire des cas, il faudra être prêt à composer avec un régime affaibli et isolé qui pourrait s'accrocher au pouvoir pendant encore un bon moment, mais de façon très chancelante et insoutenable.
Comme je le disais, le Canada et les autres gouvernements devront réellement mettre l'accent sur des politiques qui permettront de négocier une transition non violente et démocratique. Une partie de la solution pourrait être d'isoler le leadership tout en donnant les moyens à la société civile de se prendre en charge, ou encore d'offrir des mesures nouvelles incitant les dirigeants à céder le pouvoir, des mesures différentes de celles qu'on a vues ailleurs au Moyen-Orient.
Madame Tamás, je suis heureux de vous revoir, car ce n'est pas la première fois que le comité vous reçoit.
J'ai deux ou trois questions à vous poser rapidement. La plus rapide, et probablement la plus facile, est celle-ci: combien y a-t-il de bahá’ís en Iran?
Dans votre témoignage d'aujourd'hui, vous avez brossé un tableau assez clair de l'oppression que vivent les bahá’ís au quotidien. À l'approche des élections qui auront lieu en juin, je suis curieux de savoir si vous avez constaté une recrudescence de la victimisation des bahá'ís, de façon à détourner l'attention d'autres infractions potentielles relatives aux élections.
Merci, monsieur Marston. C'est un plaisir de vous revoir. Ce n'est malheureusement pas dans les meilleures circonstances.
Il est très difficile d'avoir le nombre exact de bahá’ís en Iran, parce qu'il n'y a évidemment pas de structure administrative en place là-bas. Ce ne serait pas évident de tenir le compte. L'ONU fait état d'une communauté de 300 000 personnes. Je soupçonne qu'il y en ait plus encore, mais je ne saurais donner d'estimation.
Nous avons constaté une hausse constante de la violence et du nombre d'arrestations.
Je n'ai pas eu d'autres nouvelles au cours des deux dernières semaines, alors je ne sais pas exactement à quoi ressemble la situation en ce moment. Je pourrai sans doute mieux répondre à votre question dans quelques semaines. Je vais m'en tenir à cela.
Monsieur Akhavan pourrait peut-être vous en dire plus.
Merci.
Monsieur Akhavan, c'est un plaisir de vous avoir parmi nous également, même si c'est assez difficile quand on ne peut pas vraiment vous voir. Vous faites part au comité de vos commentaires sur l'Iran depuis un certain temps, et nous avons toujours hâte d'entendre ce que vous avez à dire.
Une des questions qui me vient à l'esprit est quelles sont les obligations internationales du Canada en ce qui a trait à l'engagement de l'Iran par rapport à la situation des droits de la personne? Y a-t-il quelque chose que nous puissions faire ou que nous devrions faire, à part des obligations relatives à l'engagement? Y a-t-il des factions là-bas qui assurent une liaison quelconque avec le reste du monde?
Merci, monsieur, pour vos bons mots et pour cette excellente question.
Je l'ai dit tantôt, c'était une importante initiative du gouvernement canadien d'entamer un dialogue mondial sur l'avenir de l'Iran — et évidemment, il faut du temps pour qu'un dialogue produise des résultats. Je crois qu'il est primordial de maintenir cette initiative pour que des points de vue variés puissent être présentés. Selon moi, la première rencontre, malgré les difficultés que cela comportait, a permis de faire de grands progrès en ce sens.
Ce qui fait principalement défaut au Canada — même s'il a joué un rôle prépondérant, tant sous l'égide libérale que conservatrice, en cautionnant les résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies sur la situation des droits de la personne —, c'est que contrairement aux États-Unis et à l'Union européenne, il n'a toujours pas adopté de sanctions ciblées contre les dirigeants iraniens responsables de violations des droits de la personne. Nous en faisons la demande depuis plusieurs années. Il est important d'indiquer au régime qu'il n'y a pas que la question nucléaire qui préoccupe la communauté internationale et qui suppose des coûts, mais que les violations des droits de la personne entraîneront aussi des sanctions monétaires.
L'Union européenne a dressé une liste de près d'une centaine de responsables iraniens — et ce n'est pas parce que ces personnes vont nécessairement se rendre en Europe ou qu'elles ont des avoirs qu'on pourrait geler. Il ne s'agit toutefois pas seulement de les mettre au pilori, mais plutôt de les pousser à se demander ce qu'il va leur arriver si le pouvoir fini par leur échapper et qu'ils sont sur la liste noire d'organisations non gouvernementales et de groupes d'activistes, mais aussi sur celle des gouvernements, de la communauté internationale. Se pourrait-il qu'ils doivent faire face à la justice un jour? J'espère que le Canada adoptera des sanctions ciblées. Des organisations comme le Centre de documentation sur les droits de la personne en Iran recensent une foule de faits documentés, et c'est là-dessus que se sont fondés l'Union européenne et les États-Unis pour déterminer qui devrait se retrouver sur la liste.
Très rapidement, pour revenir à la question que vous avez posée à Mme Susanne Tamás, on peut effectivement affirmer qu'il y a beaucoup plus de 300 000 bahá'ís en Iran, mais il est impossible d'avoir un compte exact. Si le régime tente si désespérément de réprimer la communauté bahá'íe, c'est qu'une grande partie de la population est désabusée face à la branche du chiisme qui leur a été imposée. Les croyances bahá'íes, qui sont essentiellement assez progressives, tout en restant près des besoins spirituels des gens, sont donc très populaires auprès de membres importants de la population iranienne. Autant de gens se convertissent au christianisme, entre autres, et le régime se sent très menacé — même par le soufisme, qui est une interprétation particulière de l'islam. Encore là, cela démontre bien à quel point le régime est désespéré et qu'il a peur de perdre le pouvoir.
Merci.
Nous devons passer à la prochaine intervenante. Nous en sommes à six minutes.
Madame Grewal, c'est à vous.
Merci, monsieur le président, et merci à vous, madame Tamás et monsieur Akhavan, de nous accorder de votre temps et de nous avoir présenté vos exposés. Nous vous en sommes tous reconnaissants.
Monsieur Akhavan, vous êtes un des fondateurs du Centre de documentation sur les droits de la personne en Iran, et votre leadership au sein du mouvement pour la société civile iranienne a fait l'objet d'un article dans le New York Times et le magazine Maclean's, et il en a aussi été question dans le documentaire primé The Green Wave.
D'après votre vaste expérience, monsieur Akhavan, quelle est la meilleure façon de s'attaquer à la situation des droits de la personne en Iran, selon vous?
Mon Dieu, c'est une question très difficile. Parfois, plus on suit la situation de près, plus il est difficile de voir les choses clairement.
Je suis convaincu que les responsables des politiques sous-estiment très souvent l'efficacité du pouvoir discret. Les campagnes de condamnations symboliques par la mise au pilori, le dialogue avec la société civile, tous les efforts en ce sens jettent les bases d'une transformation durable, même s'ils ne produisent pas de résultats immédiats.
Il ne faut pas croire que si l'ayatollah Ali Khamenei est délogé du pouvoir pour être remplacé par un autre tyran que nous allons arriver à établir une démocratie. La démocratie revient d'abord et avant tout à bâtir une institution. Il s'agit de développer une culture et de sensibiliser la population. Je dirais donc qu'il est très important de maintenir un dialogue et un engagement constants et de s'assurer que la communauté internationale condamne les violations des droits de la personne, car ce sont toutes ces choses qui pourront aider le peuple iranien à gagner son combat historique pour arriver à la démocratie.
Je le répète, je crois qu'il est aussi très important d'adopter des sanctions ciblées, comme je le réclame depuis des années. Pour la population iranienne, les sanctions imposées actuellement font évidemment mal au régime, mais elles font encore plus de tort aux gens ordinaires. Il est essentiel d'adopter des sanctions ciblées qui identifient et impliquent des personnes en particulier dans les cas d'abus. Pour répondre à votre question, c'est peut-être là une mesure on ne peut plus concrète que le gouvernement canadien devrait envisager très sérieusement.
Vous avez dit récemment en entrevue que l'Iran a une société civile dynamique avec laquelle le Canada pourrait s'engager. Pouvez-vous nous dire comment le gouvernement canadien pourrait établir un contact avec les Iraniens? Pourquoi est-ce là une stratégie viable pour améliorer la situation des droits de la personne en Iran?
Plusieurs dimensions entrent en jeu, mais comme le temps nous presse, je vous répondrai seulement qu'un des défis auxquels fait face la société civile ou la population iranienne en général, c'est d'apprendre à dialoguer avec les différents groupes politiques, religieux et ethniques d'Iran, d'apprendre l'art du dialogue et du compromis face à un régime autoritaire et répressif, qui les a privés de cette possibilité. Pour moi, c'est la seule solution viable pour assurer une transformation démocratique en Iran.
Si le régime persiste, c'est qu'il a tout fait pour écraser la société civile et pour réprimer les syndicats, les mouvements féministes, les mouvements étudiants et les mouvements pour les droits de la personne. Il sait très bien que plus la société civile est forte, plus il risque de voir le sol s'écrouler sous ses pieds.
Investir des ressources dans la facilitation d'un dialogue, offrir un forum permettant d'éveiller la conscience publique, c'est extrêmement important.
Je me dois aussi de signaler un enjeu bien précis. À l'Université de Toronto, il y a un laboratoire citoyen qui fait de l'excellent travail en ce sens en aidant les jeunes à utiliser la technologie pour détourner les filtres mis en place par le régime. Le régime parle d'un Internet halal, un espace qu'il peut contrôler, car il sait que l'Internet est un outil puissant pour la société civile, pour qui veut lancer des débats, exprimer des critiques et poursuivre un dialogue.
Il ne faut pas s'imaginer qu'il suffira d'imposer des sanctions et d'isoler le régime pour atteindre notre objectif. Il faut être beaucoup plus sélectif et nuancé, et comprendre qu'isoler la population en lui interdisant l'accès à Internet est en fait contre-productif.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à féliciter nos deux témoins d'aujourd'hui, Mme Tamás et M. Akhavan, pour leur témoignage captivant et très à-propos. J'ai une question pour chacun de vous.
Madame Tamás, vous avez indiqué qu'il est essentiel que le Canada braque les projecteurs sur les violations des droits de la personne en Iran. M. Akhavan a dit la même chose. C'est ce que nous avons tenté de faire avec la Semaine de la responsabilisation de l'Iran et le Projet mondial de défense des prisonniers politiques iraniens. Vous avez demandé au comité de condamner l'emprisonnement des dirigeants bahá'ís et de réclamer leur libération, de même que celle d'autres prisonniers politiques.
J'avise donc le sous-comité que je déposerai une motion à cet effet, d'après les témoignages de Mme Tamás et de Payam Akhavan aujourd'hui. Elle pourra être mise aux voix, je l'espère, à notre réunion de jeudi.
Mes questions sont les suivantes. Premièrement, madame Tamás, quel serait le meilleur moyen pour tenter de faire libérer les dirigeants bahá'ís qui sont derrière les barreaux?
Monsieur Akhavan, que pourrions-nous faire pour favoriser la libération de l'ensemble des prisonniers politiques en Iran?
Vous pouvez commencer, madame Tamás.
Il est très difficile de répondre à cette question. Je ne suis pas certaine de savoir ce que le Canada pourrait faire pour assurer leur libération. Le Canada en fait beaucoup au niveau multilatéral pour faire connaître ses préoccupations à l'Iran, mais aussi pour gagner la collaboration des autres pays et attirer leur attention sur la situation. Je crois que des pays clés ont l'attention de l'Iran, et le Canada pourrait travailler de façon bilatérale avec eux en leur disant « Vous savez ce qui se passe en Iran; vous n'approuveriez pas ce genre de choses dans votre pays. Outre toutes les raisons pour lesquelles vous voulez éviter de dénoncer publiquement le gouvernement iranien, que pourriez-vous faire pour le persuader que c'est dans son intérêt de mettre un terme à toutes ces violations des droits de la personne? ».
En fait, s'il pouvait comprendre la valeur symbolique que revêt la libération du Yaran et qu'il passait à l'acte, cela aurait des répercussions sur l'ensemble de la communauté bahá’íe. Ce serait un pas énorme dans la bonne direction.
Monsieur Akhavan, comment pouvons-nous tirer profit le plus efficacement possible de notre projet mondial de défense des prisonniers politiques iraniens, que les parlementaires et autres intervenants ont entrepris, pour assurer la libération des prisonniers politiques?
Merci, monsieur Cotler. C'est un plaisir de pouvoir discuter avec vous.
Je crois que l'engagement des députés et des sénateurs envers les prisonniers politiques, et le fait de rendre publique leur terrible situation, sont des mesures importantes. Lorsque les prisonniers politiques tombent dans l'oubli, ils risquent encore plus d'être victimes d'abus. Selon moi, il faut aborder la question différemment et aussi tourner notre attention vers les auteurs de ces actes de violence, et pas seulement vers leurs victimes. Pour revenir à mes commentaires de tout à l'heure — j'ai l'air de servir toujours la même rengaine avec mes sanctions ciblées —, je crois qu'il est tout aussi important de publier les noms des responsables des actes de violence et de les faire connaître, car au bout du compte, ils sont nombreux à le faire avec le pouvoir en tête. Ils se servent des violations des droits de la personne pour rester au pouvoir. Quand ils se rendront compte qu'ils pourraient en subir les conséquences un jour, je pense que cela pourrait avoir un effet dissuasif. Il est donc aussi important de les nommer que de nommer les victimes.
Je suis d'accord avec Mme Tamás. Le Canada, puisqu'il maintient déjà une position ferme à l'égard de l'Iran, pourrait aussi collaborer, par exemple, avec le gouvernement de l'Inde et d'autres administrations plus proches de l'Iran et qui lui donnent encore un certain standing sur la scène internationale. Si ces gouvernements unissaient leurs voix à celles des gouvernements occidentaux et qu'ils dénonçaient ces situations, je pense que le message serait on ne peut plus clair pour le régime iranien: afin d'avoir de la légitimité aux yeux de la communauté internationale, il doit libérer les prisonniers politiques. Je crois que c'est justement le message qu'il doit entendre.
Merci, monsieur.
Merci, madame Tamás.
Je veux simplement mentionner que je suis heureux que tous les partis soient représentés ici aujourd'hui. M. Weston est ici, de même que ma collègue, Judy Sgro. Les parlementaires s'intéressent de près à la question et nous allons nous mobiliser pour concrétiser les recommandations que vous nous avez faites.
C'est très vrai. La question suscite beaucoup d'intérêt.
M. Weston est avec nous; M. Lizon, qui n'y est pas habituellement; Mme Sgro, évidemment; Christine Moore du Nouveau parti démocratique. Les députés qui sont venus assister à notre réunion ont donc démontré beaucoup d'intérêt pour la question.
En fait, M. Lizon est sur la liste d'intervenants. Vous avez la parole.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je ne suis pas un membre régulier du sous-comité; je remplace un collègue. J'ai en fait plusieurs questions, et je me demandais lesquelles poser.
Je connais bien bon nombre des problèmes dont on a parlé. J'ai grandi en Pologne à l'époque communiste, et quand j'étais jeune, on se demandait aussi quand tout cela allait finir. Personne ne croyait en voir la fin un jour, et pourtant, c'est arrivé.
J'ai une question pour vous. Si le régime iranien actuel s'effondre, les Iraniens sont-ils prêts à le remplacer par une solution qui pourrait mener à la démocratisation complète du pays?
C'est une excellente question. C'est à cela que je fais allusion quand je parle de l'Afrique du Sud post-apartheid, d'une transition négociée et pacifique. On m'a demandé si le régime était sur le point de s'effondrer. On ne sait jamais: c'est très difficile à prédire, et la chute d'un régime n'arrive jamais tout d'un coup. Comme vous avez connu la Pologne communiste, vous savez qu'il a fallu beaucoup de temps avant que le communisme finisse par se décomposer. Même si sa chute a été spectaculaire, cela n'est pas arrivé du jour au lendemain.
De profondes divisions règnent au sein du régime, et il connaît des difficultés fondamentales. Je suis à peu près certain que tôt ou tard, l'Iran va se détacher grandement du modèle actuel.
La question est de savoir comment assurer la transition en évitant un cataclysme qui infligerait de terribles souffrances non seulement à la population iranienne, mais aussi à l'ensemble de la région. L'Iran possède une communauté très diversifiée aux vues politiques, ethniques et religieuses variées. La société civile iranienne comporte de nombreux activistes politiques, et on tente maintenant de créer un dialogue en vue d'établir une base politique qui pourra soutenir des institutions démocratiques au moment d'entreprendre la transition.
Essentiellement, l'Iran a une grande longueur d'avance sur l'Égypte et les autres pays du Moyen-Orient, car il n'est plus question de croyances idéologiques et utopiques. Quand je suis allé à la place Tahrir, au Caire, les gens faisaient l'éloge d'Ahmadinejad. Ils ont encore cette vision romantique de l'État islamique, et c'est parce qu'ils n'ont jamais vécu sous l'autorité d'un tel régime.
C'est comme cet homme qui a envoyé son fils étudier en Union soviétique plutôt qu'à Paris pour s'assurer qu'il ne deviendrait jamais communiste. La population iranienne n'entretient plus d'illusions à propos de ce type d'État. C'est pourquoi les enquêtes montrent que les valeurs libérales, comme le scepticisme à l'égard du pouvoir, ont la cote au sein de la population. Je crois aussi que les décideurs de la communauté internationale doivent se demander ce que l'ensemble du monde peut faire pour encourager la négociation d'une transition pacifique.
Plutôt que de mettre l'accent sur la question nucléaire, d'imposer des sanctions encore plus sévères et de brandir des menaces de guerre, je pense qu'il faut faire preuve d'un peu plus d'intelligence, si je puis dire, et penser à plus long terme. Il faut comprendre que l'Iran offre un potentiel immense, et aller au-delà des calculs à court terme et des vues trop étroites afin d'investir dans une transition démocratique à long terme.
Merci beaucoup.
[Français]
Les dernières questions seront posées par Mme Moore, à qui je cède maintenant la parole.
Ma première question s'adresse à M. Akhavan.
J'aimerais savoir pourquoi le Canada ne cible pas des personnes du régime, par exemple par l'entremise de la Cour pénale internationale.
J'aimerais aussi savoir s'il y a des différences, sur le plan du traitement, entre les hommes bahá'ís et les femmes bahá'íes.
Quelle est la différence entre les femmes iraniennes et les femmes iraniennes qui sont bahá'íes? Y en a-t-il une?
[Traduction]
Je vous remercie de cette question. Je vais peut-être laisser Mme Tamás répondre à la deuxième question. Je dirai simplement que l'égalité entre les hommes et les femmes est l'un des principes bahá'ís qui enragent les chefs religieux purs et durs. Très souvent, dans la propagande, on dépeint les femmes bahá'íes comme étant immorales et de moeurs faciles, mais à l'inverse, cela fait aussi partie de l'attrait que représentent les croyances bahá'íes pour des segments importants de la population iranienne.
En ce qui concerne la Cour pénale internationale, il était question du renvoi de l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU au sujet de crimes contre l'humanité. Ai-je bien compris votre question?
[Français]
La première question vise simplement à savoir pourquoi on ne cible pas, par l'entremise de la Cour pénale internationale, les personnes du régime qui commettent ces violations.
[Traduction]
Je sais que M. Cotler joue depuis de nombreuses années un rôle de premier plan dans la proposition visant à traduire les dirigeants de l'Iran devant la Cour pénale internationale. Bien entendu, le problème, c'est que l'Iran ne reconnaît pas la compétence de la cour et n'a pas signé le traité. La moitié des dirigeants seraient poursuivis à La Haye.
La seule façon de vraiment s'attaquer à ce problème, c'est de s'adresser au Conseil de sécurité de l'ONU. Bien entendu, nous constatons que, même pour la Syrie, où les atrocités sont innombrables, la volonté politique est faible, compte tenu des politiques du Conseil de sécurité. Je pense quand même que le Canada peut soulever le problème, même si ce n'est pas faisable sur le plan politique. Je pense que tout ce qu'on peut faire pour préconiser la responsabilité individuelle des crimes contre l'humanité en Iran sera très utile.
Pour en venir à une politique étrangère qui fait la promotion de la responsabilité, nous pouvons commencer par faire ce qui peut se faire au sein du gouvernement lui-même, c'est-à-dire adopter des sanctions ciblées. Ce serait un bon point de départ qui ne dépend pas de la politique complexe des Nations Unies.
Bien sûr. Je vous remercie de cette question, en particulier parce qu'elle m'oblige à une réflexion.
Je vais revenir à la liste de statistiques sur nos prisonniers. Je suis surprise par le nombre de femmes bahá'íes de tous âges qui sont détenues. Quand je m'y arrête, je me demande si c'est parce que les femmes bahá'íes ont du pouvoir: elles s'expriment, elles établissent des liens avec leurs voisins, elles éduquent leurs enfants et elles sont actives au sein de leurs familles. Elles discutent avec leurs voisins de la façon dont la famille fonctionne, des questions d'égalité, de l'importance d'éduquer les filles — toutes ces choses font partie de leur système de croyances. Je ne sais pas vraiment si cela explique qu'elles sont nombreuses à être détenues, avec les hommes bahá'ís.
Je tiens donc à vous remercier de votre question, madame Moore, parce qu'elle m'oblige à me pencher encore sur ces données particulières.
Les femmes et les hommes qui sont détenus sont gardés séparés. Même les visites se font séparément. Si la famille de M. Khanjani veut le visiter, les femmes pourront le visiter une semaine, puis ce sera les hommes, la semaine suivante. Les hommes de la communauté sont détenus dans la prison de Gohardasht, et les femmes, dans la prison de Evin.
Je ne sais pas si c'est parce qu'ils sont de foi bahá'íe. C'est peut-être tout simplement la façon dont le gouvernement iranien trie les détenus de sexe masculin et féminin.
[Français]
Merci.
[Traduction]
Je pense que nous avons utilisé tout le temps que nous avions. En réalité, nous avons dépassé un peu le temps, alors nous allons devoir mettre fin à la séance.
Il y a une dernière chose dont il faut s'occuper. On me demande que nous approuvions le budget visant le déplacement du comité principal.
Je sais que vous avez hâte de l'approuver, monsieur Marston, mais je dois d'abord vous dire de quoi il s'agit précisément. C'est en réalité pour les témoins de l'étude sur l'Iran. Est-ce correct?
Merci à vous tous.
Je remercie nos deux témoins. Vous nous en avez beaucoup appris. Ce n'est pas votre première comparution, et vous avez excellé comme vous l'avez fait dans le passé.
Merci, madame Tamás, d'avoir comparu de Montréal par vidéoconférence.
Merci, monsieur Akhavan, d'avoir été là malgré l'heure tardive en Italie. Je sais que vous vous êtes donné beaucoup de mal pour le faire.
Nous vous savons gré d'avoir été là tous les deux. Merci beaucoup.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication