SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 11 juin 2013
[Enregistrement électronique]
[Français]
À l'ordre s'il vous plaît. Je vous souhaite la bienvenue à la 87e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce mardi 11 juin 2013.
[Traduction]
La séance d'aujourd'hui est télévisée, alors les règles habituelles de bon comportement pour les séances télévisées s'appliquent aujourd'hui.
Nous recevons comme témoin aujourd'hui Jocelyn Kelly, la directrice du programme des femmes dans la guerre à l'Université Harvard.
Nous revenons à une étude que nous avons entreprise il y a un certain temps — c'est notre première séance depuis quelque temps — sur la situation en République démocratique du Congo, particulièrement l'utilisation systématique de la violence sexuelle contre les femmes en tant qu'arme de guerre.
Madame Kelly, nous sommes ravis que vous soyez ici aujourd'hui. Je sais que la greffière vous a déjà expliqué les grandes lignes du fonctionnement de cette séance. Vous avez autant de temps que vous en avez besoin pour votre exposé, mais nous encourageons normalement les témoins à s'en tenir à environ 10 minutes. Lorsque vous aurez terminé, le temps qui restera sera utilisé pour les six tours de questions des membres du sous-comité.
Vous pouvez commencer quand vous le voulez.
Monsieur le président, j'aimerais remercier le sous-comité de me donner l'occasion de vous parler de la violence sexuelle contre les femmes en République démocratique du Congo.
Je m'appelle Jocelyn Kelly. Je suis la directrice du programme des femmes dans la guerre pour la Harvard Humanitarian Initiative, un groupe de recherche interdisciplinaire à l'Université Harvard qui examine comment appliquer des pratiques fondées sur les données probantes aux crises complexes.
J'ai lu les transcriptions de vos autres séances de fond sur le Congo et je sais que les membres du sous-comité connaissent déjà très bien la situation là-bas. C'est un rare privilège d'être invité pour parler d'une situation si importante à des gens qui se préoccupent clairement de ce problème.
Je travaille dans le domaine d'intervention en cas de crises et de catastrophes internationales depuis 2004, plus particulièrement en RDC où je fais de la recherche en santé publique depuis 2007, en utilisant des méthodes de recherche quantitative et qualitative. Là-bas, j'ai travaillé non seulement avec des survivantes de la violence sexuelle, mais aussi avec des combattants rebelles de différents groupes et des soldats démobilisés, y compris d'anciens enfants-soldats. Cela m'a donné la possibilité rare d'examiner, sous différents angles, des problèmes complexes en RDC.
Le travail du programme des femmes dans la guerre a été rendu possible grâce aux étroites collaborations que nous avons avec les organisations locales qui font un travail héroïque, notamment l'hôpital de Panzi, le Centre d'assistance médico-psychosociale, connu sous le nom CAMPS, et la Eastern Congo Initiative, pour n'en nommer que quelques-unes.
Notre programme porte sur les problèmes sexospécifiques dans des zones d'instabilité politique. Nous essayons de mener de la recherche fondée sur des mesures concrètes avec des partenaires locaux afin de façonner des programmes et des politiques en utilisant les voix et les recommandations des vrais experts sur une situation: ceux qui sont eux-mêmes touchés par celle-ci.
En RDC, nos plus récents projets se sont concentrés sur une variété de sujets, y compris les stigmates auxquels font face les survivants de violence sexuelle dans leurs familles et leurs collectivités après un viol, les problèmes auxquels font face les enfants nés à la suite de violence sexuelle, la démobilisation et la réintégration d'anciens enfants-soldats et l'évaluation des droits de la personne en se concentrant surtout sur les droits des femmes dans les villes où il y a une production minière artisanale. Il m'est impossible de couvrir tous les résultats découlant de ces projets. J'aimerais plutôt présenter deux points généraux pendant cet exposé. J'essaierai de résumer nos résultats de recherche plus détaillés dans un ensemble d'observations générales sur la situation en RDC, surtout en ce qui concerne la situation des femmes. Ensuite, je présenterai une série de recommandations qui sont appuyées par ceux touchés par ces problèmes, en espérant qu'elles seront utiles au comité.
Nous sommes ici pour discuter de la violence sexuelle contre les femmes, qui est utilisée systématiquement comme arme de guerre en RDC. Pour ce faire, j'aimerais débuter avec l'une de mes citations favorites de la féministe Gloria Steinem. Lors d'un de ses discours auxquels j'ai assisté il y a quelques années, elle a dit que lorsqu'on parle de la situation des femmes, on appelle cela la culture, et lorsqu'on parlait de la situation des hommes, on appelle cela l'économie. Votre comité a déjà reconnu que de nombreuses personnes ont de la difficulté à comprendre que la violence sexuelle dans n'importe quel conflit n'est pas seulement un problème pour les femmes ou un problème culturel; c'est un problème politique lié aux droits de la personne, et c'est au coeur des objectifs de paix et de sécurité.
Comprendre le conflit en RDC peut sembler intimidant. Les gens se perdent parfois dans le méli-mélo de factions de groupes et sous-groupes armés aux allégeances politiques et militaires changeantes. C'est une situation compliquée, mais nos travaux et ceux de nombreux chercheurs dévoués nous ont permis de dégager certaines leçons. Premièrement, et c'est peut-être le plus évident, les blessures découlant de la violence sexuelle et sexiste sont multidimensionnelles. Cette violence généralisée et souvent publique ne touche pas seulement la survivante, mais elle détruit également les relations familiales et communautaires. La stigmatisation et l'isolement des survivantes séparées de leurs réseaux sociaux, l'exposition des membres de leur famille et de leur collectivité à des scènes de violence sexuelle publique et les changements dans les normes sociales à cause du déplacement constituent tous des effets déstabilisants de la violence sexuelle sur les collectivités.
Pour régler un problème compliqué, il faut adopter une approche holistique. Il est important de fournir des services intégrés d'appui médical, psychologique et économique. Des soins holistiques — soit par des mécanismes d'aiguillage, soit par l'intégration de différents services dans la même organisation — sont nécessaires afin de régler ce problème.
Deuxièmement, les gens parlent beaucoup des problèmes des femmes au Congo, mais il est intéressant de noter que bon nombre des femmes à qui nous parlons s'inquiètent bien davantage du sort de leurs enfants et de leurs familles. Nous devons adopter une approche axée sur la famille tout entière pour régler ce problème. Les enfants comptent particulièrement sur tout un éventail de structures sociales essentielles — la famille, les communautés religieuses, l'éducation et les régimes de santé — pour leur santé et leur développement, mais ce sont ces mêmes systèmes qui ont été minés ou détruits par l'insécurité constante qui règne en RDC.
Les enfants sont touchés à la fois directement et indirectement par la violence sexuelle. Il faut adopter une approche axée sur la famille dans les services afin d'aider les femmes à résoudre non seulement leurs besoins personnels à la suite d'un viol, mais aussi les besoins de leurs familles, y compris ceux de leurs enfants.
Le gouvernement congolais s'est engagé à garantir l'éducation gratuite des enfants jusqu'à la fin du primaire. Toutefois, il n'a pas encore tenu promesse. Vous seriez étonnés de voir le nombre de femmes qui, après avoir subi des blessures mettant leur vie en danger et après avoir perdu tout ce qu'elles possédaient dire, lorsqu'on leur demande ce qu'elles voudraient de différent pour l'avenir, que la seule chose qu'elles veulent, c'est l'éducation de leurs enfants.
La déstabilisation des systèmes économiques est une autre conséquence du conflit. Nous devons offrir aux hommes et aux femmes des solutions qui créent des revenus et qui sont adaptées à leur contexte. Nous devons encourager la création, par les collectivités, de coopératives agricoles et commerciales, ainsi que des régimes de microprêts. Nous devons aussi garantir la sécurité des femmes qui sont prêtes à travailler, à entreprendre les activités de leur choix.
Le travail que nous faisons avec la Banque mondiale dans les localités minières artisanales de la RDC illustre bien l'importance de ce problème. Souvent, les femmes se rendent dans ces localités minières pour y chercher des possibilités économiques; elles y connaissent un sort horrible et souvent, elles sont marginalisées et obligées de se livrer au commerce sexuel plutôt que de pouvoir exercer leurs droits d'avoir un emploi équitablement rémunéré dans ces localités minières.
Il faut appuyer les activités minières locales de façon durable afin de développer le potentiel économique de ces régions. Pour cela, nous devons lutter contre la corruption et la fraude dans le secteur minier, offrir une aide technique à la modernisation de l'exploitation minière artisanale, entreprendre d'informer les gens du droit congolais et du code de l'exploitation minière, ainsi que favoriser des coopératives économiques inclusives pour les citoyens.
Enfin, la violence est un phénomène cyclique. Durant mon séjour au Congo, j'y ai interviewé plus de 100 soldats venant de divers groupes rebelles. Quand nous pensons aux combattants, nous les voyons comme ceux qui se livrent à des actes de violence monstrueux que pour la plupart, nous trouvons impossibles à comprendre. Toutefois, bon nombre de ces soldats ont été forcés de se joindre à des groupes armés après avoir été kidnappés ou en raison de pressions intenses, et ils ont joint ces groupes souvent à un très jeune âge. Beaucoup de ces soldats se sont enrôlés dans le but de lutter contre les atrocités qui avaient été commises contre eux et leurs familles, mais une fois dans les rangs, ces hommes et ces femmes se retrouvent à perpétrer les mêmes crimes dont ils ont eux-mêmes été victimes.
Il se dégage un modèle récurrent dans l'insécurité en RDC. Un grand nombre des soldats rebelles à qui nous avons parlé nous ont dit avoir été démobilisés à plusieurs reprises. Quand j'étais en RDC l'été dernier, nos recherches ont été interrompues alors que nous faisions des entrevues auprès d'anciens enfants soldats parce que ces derniers ont dû laisser tomber notre projet de recherche pour se joindre au combat contre le M23.
Comme ce conflit persiste depuis déjà 20 ans, il y a une génération entière de jeunes qui n'ont jamais connu la paix. Le financement de la démobilisation des groupes rebelles et l'intégration des soldats dans leur collectivité doivent faire partie des autres services et nécessitent des engagements à long terme de la part des gouvernements et des donateurs.
Il ne suffit pas que les combattants rendent leurs armes; il faut leur offrir des services psychosociaux constants. C'est ce que j'ai entendu un psychologue appeler le « désarmement mental ». On pourra ainsi veiller à abolir cette mentalité militaire et empêcher que les civils soient pris pour proies une fois que des processus visibles de paix auront été entrepris.
Malgré la complexité du problème en RDC, il y a néanmoins des certitudes: la paix doit être le fondement d'améliorations durables à long terme au Congo. En outre, les problèmes des femmes sont des problèmes politiques. La violence sexuelle et les autres violations des droits de la personne minent la paix et la sécurité au Congo. La violence sexuelle dans les conflits n'est pas inévitable. Je vais le répéter, car il y a trop de gens qui ont de la difficulté à comprendre cela. On pense toujours que le viol est aussi ancien que la guerre, et pourtant, des chercheurs remarquables en santé publique et en science politique ont entrepris des études innovatrices démontrant que la violence sexuelle dans les conflits n'est pas inévitable. Puisqu'elle n'est pas inévitable, nous nous devons de régler ce problème et de le prévenir.
On peut y arriver grâce à des mesures réalistes, mais difficiles; on peut notamment changer l'attitude des gens envers les droits des femmes, mettre fin à l'impunité des agresseurs militaires et civils, entreprendre des réformes dans le secteur de la sécurité avec l'armée nationale, offrir des occasions d'emploi et d'éducation justes et équitables aux femmes et aux hommes et chercher à en arriver à une paix et à une stabilité durables au Congo.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie pour votre engagement envers ce dossier important.
Merci beaucoup, monsieur le président, et merci pour votre témoignage, madame Kelly.
Je suis certain que je parle au nom de mes collègues en vous disant que notre engagement à combattre la violence envers les femmes est sans équivoque. Nous considérons cette question tout aussi importante que la violence contre les hommes ou les enfants. Soyez assurée de notre engagement à cet égard.
Vous avez dit que la RDC n'a pas respecté sa promesse d'offrir une éducation gratuite. Quel est son niveau d'engagement envers la prévention de la violence sexuelle contre les femmes de la part de l'armée congolaise? Que pourrait faire la communauté internationale de plus pour orienter la RDC dans la bonne direction, si nécessaire?
L'engagement du gouvernement congolais à s'attaquer à la violence sexuelle est une question difficile. Cependant, tout engagement est renforcé par la pression continue des partenaires qui sont vraiment présents. Le gouvernement congolais est composé de personnes remarquables, dont un bon nombre ont été touchées personnellement par le conflit. Par contre, je pense que leur volonté politique doit être renforcée. C'est ce qui doit constituer le fondement pour s'attaquer à ce problème. J'aimerais voir des efforts plus soutenus de la part du gouvernement congolais, et je pense que cela peut être favorisé par une pression continue des pays comme les États-Unis et le Canada.
Ma prochaine question comporte plusieurs volets importants pour les renseignements que nous recueillons aux fins de cette étude.
En mars 2013, en vertu d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, la résolution 2098, une nouvelle brigade d'intervention a été constituée pour réduire la menace de violence contre les civils. Cette brigade s'occupe de cas de violence sexuelle ou sexiste contre des enfants par des groupes armés aussi bien congolais qu'étrangers. La brigade tente de neutraliser un certain nombre de groupes armés.
À votre avis, comment le déploiement de cette nouvelle brigade d'intervention des Nations Unies peut-il modifier la situation dans l'est de la RDC? Jusqu'à quel point pensez-vous que cette nouvelle force pourrait contribuer à réduire les incidences de violence sexuelle reliées au conflit? Avez-vous des suggestions pour la communauté internationale afin de donner toutes les chances à cette brigade d'intervention de contribuer positivement à sécuriser l'est de la RDC?
Je suis chercheuse en santé publique et parfois, j'hésite à me prononcer de façon catégorique sur certaines initiatives des Nations Unies. Toutefois, je dirais que nombre de ces interventions attendent encore d'être intégrées aux efforts nationaux et locaux. Les efforts des Nations Unies en RDC sont admirables, mais il s'agit d'un pays très vaste; peu importe le nombre de troupes déployées, il n'en demeure pas moins que le véritable effort doit venir de la volonté politique du gouvernement congolais. Selon moi, c'est là un moyen plus durable de changer la donne sur le terrain. Je pense que c'est réalisable grâce à une réforme du secteur de la sécurité, accompagnée d'une meilleure rémunération et d'une formation plus poussée des troupes congolaises.
Craignez-vous que les activités de la force d'intervention aboutissent à des mesures de représailles contre des innocents?
Il me serait difficile de me prononcer catégoriquement là-dessus. On constate de nombreuses conséquences non voulues à la suite de mesures prises au Congo, si bien que je n'exclurai pas cela.
Vous étiez là-bas sur le terrain pendant un certain temps. Il y a quelque temps, nous avons recueilli des témoignages positifs sur les activités des ONG et les efforts du gouvernement pour changer la culture, plus particulièrement sur la façon dont les collectivités répondent aux besoins des femmes violées, quand le viol aboutit à une grossesse et qu'elles ont des enfants. Les choses progressent-elles encore de ce côté? Constate-t-on encore une réaction positive dans la collectivité en général pour ce qui est d'accueillir les victimes plutôt que de les exclure, comme c'était le cas auparavant?
Absolument. C'était sans doute un des phénomènes les plus troublants et incompréhensibles que nous pouvions constater au Congo. On blâmait ces femmes d'avoir été violées alors qu'elles n'y étaient pour rien. Un des partenaires dont j'ai parlé
[Français]
soit le Centre d'assistance médico-psychosociale,
[Traduction]
travaille à Bukavu, mais il se rend dans certaines des régions les plus éloignées du Congo. Le travail accompli pour changer les attitudes est héroïque. Je sais que plusieurs ONG participent à l'effort. Nous pouvons constater des changements d'attitudes et de normes culturelles à l'égard des survivantes de violence sexuelle. Quand les femmes seront capables de gagner leur vie grâce à une participation vitale à la vie économique de leurs familles et de leurs collectivités, je pense qu'elles pourront recouvrer la dignité et la crédibilité nécessaires pour être acceptées. Il est vrai qu'elles devraient être acceptées de toute façon, mais nous pensons que des programmes leur permettant de toucher un revenu, qui s'ajoutent à un changement d'attitudes et de normes culturelles, peuvent être des moyens puissants de contrer la stigmatisation des survivantes de violence sexuelle.
Merci, monsieur le président.
Je remercie Mme Kelly d'être venue aujourd'hui nous présenter son témoignage, qui est très éloquent.
Ma première question touche les ONG.
Certaines ONG craignent que leur coopération avec l'ONU les lie aux actions militaires de la nouvelle brigade d'intervention. Elles craignent de se faire refuser l'accès à certaines régions.
Monsieur Jacob, il y a un problème d'interprétation. Vous pouvez peut-être recommencer et je vais vous allouer le temps nécessaire.
Merci, monsieur le président.
Beaucoup de groupes pensent que cette brigade militaire de l'ONU va engendrer des représailles contre les travailleurs humanitaires.
Avez-vous des inquiétudes concernant l'impact que la brigade d'intervention peut avoir sur l'accès à l'aide humanitaire ainsi que sur la sécurité des travailleurs humanitaires et des populations qu'ils desservent?
[Traduction]
Merci d'avoir fait cette remarque très importante et merci de votre question.
Je suis chercheuse et j'hésite à me prononcer au nom des ONG qui établissent des programmes dans la région. Malheureusement, il faudrait sans doute poser la question à ceux qui s'occupent de programmes quotidiennement sur le terrain.
[Français]
Merci.
Le 18 mars 2013, Bosco Ntaganda, un chef présumé du M23, s'est rendu à l'ambassade des États-Unis au Rwanda et a été transféré pour faire face à des accusations criminelles devant la Cour pénale internationale.
À votre avis, qu'est-ce qui a amené Bosco Ntaganda à se rendre à l'ambassade américaine pour éventuellement subir un procès devant la Cour pénale internationale? Quel sera l'impact de sa reddition sur le conflit en cours et sur le groupe M23?
[Traduction]
Il est vrai que la question est importante, mais encore une fois, j'hésite à conjecturer sur les motifs qui sous-tendent l'intervention de l'ambassade américaine. Je vous prie de m'excuser. Je voudrais m'en tenir à mon domaine, c'est-à-dire l'incidence de la violence sexuelle sur les survivantes congolaises.
[Français]
Je vais donc vous poser une question plus facile.
Y a-t-il des mesures que le gouvernement du Canada pourrait prendre en RDC afin de prévenir ou faire diminuer les violences sexuelles, voire les faire disparaître?
[Traduction]
Je vous remercie de votre question. Je trouve certainement qu'il est plus facile d'y répondre, bien qu'il s'agisse naturellement d'une question difficile. Je crois que le Canada s'est remarquablement bien engagé à travailler en RDC, et je vous félicite des efforts déployés par le biais de l'ACDI.
L'un des éléments que nous avons constatés en RDC et qui ne reflètent pas nécessairement la position du Canada, c'est que les mécanismes de financement en général, soit les ONG, les organisations locales et même les organisations multilatérales, ont de la difficulté à poursuivre des efforts à long terme lorsque le financement est accordé par à-coups, compte tenu d'une attention sporadique. Ici, l'un des défis liés, par exemple, à la démobilisation et à la réintégration tenait au fait que le financement était accordé selon des cycles de six mois. Or, manifestement, les soldats ont besoin de beaucoup plus de temps pour être en mesure de se réinsérer totalement dans la vie civile après avoir passé, dans certains cas, des décennies dans des groupes armés.
Je dirais que le Canada est en mesure de non seulement donner l'exemple, mais d'appuyer également un type de mécanisme multidonateur qui pourrait établir un financement ciblé sur les enjeux importants au cours des nombreuses dernières années, en remplacement des cycles de financement qui causent une interruption de services.
En outre, ce qu'il y a d'unique, c'est que le Canada a l'occasion d'exercer des pressions politiques sur le gouvernement congolais pour qu'il respecte certaines de ses promesses et qu'il s'efforce de trouver des solutions politiques à des problèmes de longue date.
[Français]
Madame Kelly, votre association a effectué des recherches sur les motivations des combattants qui commettent des actes de violence sexuelle dans l'Est de la République démocratique du Congo.
Selon vous, par quels mécanismes d'anciens membres des milices sont-ils intégrés à l'armée congolaise?
[Traduction]
Nous avons entrepris, entre autres, projets destinés à étudier précisément les expériences, les attitudes et la motivation des combattants qui ne font pas partie de l'armée régulière, et surtout les miliciens Maï-Maï. Nous avons découvert un certain nombre de pratiques au sein des groupes armés qui font la promotion de la violence sexuelle contre les civils. L'une de ces pratiques consiste en la dépersonnalisation des combattants: bien souvent ils subissent une épreuve d'initiation longue et très violente au sein du groupe armé, ce qui les déshumanise.
Nous avons également constaté qu'il existe une attitude selon laquelle les civils sont en fait des proies. Nous avons entendu souvent des soldats dire que les « civils sont un champ qui doit être récolté ». Nous constatons que les soldats ont l'impression d'avoir sacrifié tant de choses pour défendre avec les armes le Congo, qu'ils estiment avoir le droit de prendre tout ce qu'ils veulent des civils.
Par ailleurs, nous observons qu'il y a des combattants qui établissent une limite entre différents types de violation des droits de la personne. Ils évitent, par exemple, certains types de viols qu'ils estiment être particulièrement inacceptables, à savoir le viol de personnes très jeunes ou très vieilles ou l'inceste forcé. En établissant une distinction entre le viol inacceptable et le viol acceptable, ils justifient certains sévices contre les femmes tout en ayant la conscience tranquille.
Il s'agit d'une constatation intéressante, car elle nous permet d'en apprendre sur la façon dont les soldats perçoivent la violence sexuelle au sein de certains de ces sous-groupes. Les travaux que nous avons entrepris n'ont été réalisés qu'auprès de certains sous-groupes d'une milice. Comme vous le savez, il y en a de nombreuses en RDC. Il est vrai qu'il existe tout un ensemble de motivations différentes pour s'adonner à la violence sexuelle au Congo. Souvent, cela n'est pas dû à un ordre précis qui serait émis par le commandement militaire, mais il s'agit d'actes qui sont acceptés, comme si de rien d'était. Il se peut aussi que l'on considère que les soldats aient recours à ces violences pour exercer un contrôle sur les populations civiles ou obtenir ce qu'ils désirent. Bon nombre de commandants rebelles n'ont aucun intérêt à essayer d'empêcher que des viols ne soient commis par leurs troupes.
Ce domaine de recherche nous intéresse beaucoup et nous permet de relever certaines pistes d'intervention possibles. Par exemple, on pourrait décréter qu'un viol, c'est un viol, et que les attitudes doivent changer quant à la façon dont les combattants perçoivent les femmes. De plus, on pourrait entreprendre un désarmement et une démobilisation plus efficaces. Ce qui est fort préoccupant à mon avis, et il s'agit d'un point qui a été soulevé par beaucoup de gens en RDC, c'est que les groupes de combattants sont intégrés dans l'armée nationale, mais il s'agit d'une piètre intégration, car elle est incomplète.
À un moment donné, je me suis retrouvée dans une localité appelée Walungu et je croyais m'adresser à un groupe de soldats rebelles, car ils s'étaient eux-mêmes identifiés ainsi. Puis, à un certain point, j'ai remarqué que nombreux parmi eux portaient des uniformes de l'armée nationale. Ils ont répondu à mes questions en m'indiquant qu'ils avaient fait l'objet d'une réintégration il y a environ un an de cela. Or, à aucun moment ne se sont-ils identifiés comme étant des membres de l'armée nationale, ni n'ont-ils donné l'impression qu'ils se considéraient comme tels. Ils continuaient en fait de se comporter de la même façon que lorsqu'ils faisaient partie d'un groupe armé ne relevant pas de l'État.
Je constate un très grand besoin de programmes de démobilisation et de réintégration plus efficaces, ainsi qu'une réforme mieux réussie du secteur de la sécurité au sein de l'armée nationale congolaise. Pour y arriver, on pourrait notamment héberger les soldats dans des casernes pour qu'ils ne passent plus leur temps avec des civils et leur donner un salaire régulier de sorte qu'ils n'aient pas l'impression d'avoir à prendre ce qu'ils peuvent des civils, puisque le gouvernement ne leur donne rien. De toute évidence, ces réformes nécessitent des changements colossaux en ce qui a trait à la formation et aux attitudes.
[Français]
Merci, monsieur le président et merci, madame Kelly, de votre exposé et du temps que vous nous accordez. Nous vous en sommes reconnaissants.
Nous savons que vous êtes la directrice du programme des femmes dans la guerre à la Harvard Humanitarian Initiative et que vous avez passé près de cinq ans en RDC. Vous nous parlez des combattants, des groupes armés non étatiques et de la violence sexuelle dans les conflits.
Dans un billet de blogue récent, vous faisiez quelques observations sur le processus complexe qu'est celui d'essayer de comprendre l'un des comportements humains les plus incompréhensibles. Pourriez-vous nous parler de certaines de vos expériences et nous faire part de vos réflexions sur vos cinq ans en République démocratique du Congé?
Certainement.
Je pense que cela revient encore au travail avec les combattants armés ne relevant pas de l'État, dont un grand nombre sont des auteurs d'actes de violence que nous essayons de comprendre ici aujourd'hui. L'une des choses qui m'a paru particulièrement déchirante alors que je travaillais en RDC, c'est que lorsque l'on parle à beaucoup de ces commandants et combattants rebelles, on essaie de comprendre une chose qui nous apparaît comme un comportement entièrement incompréhensible. Il s'agit d'abus très graves envers les civils et de violence sexuelle contre les femmes. Bon nombre d'entre nous trouvent incroyablement difficile même d'entendre ces descriptions. Je crois que la chose la plus difficile pour moi a été de reconnaître que beaucoup de ces soldats avaient été témoins et victimes de la même violence qu'ils propageaient. Voilà l'un des aspects principaux du conflit en RDC, et l'un des plus bouleversants.
Pour revenir à la question du cycle de la violence, on a souvent vu des hommes et des femmes se joindre à des groupes armés alors qu'ils étaient de jeunes filles et garçons. Bien que certains avaient été enlevés et d'autres avaient fait face à d'intenses pressions pour s'y joindre, d'autres s'y sont joints à cause de la colère ou parce qu'ils voulaient protéger leurs collectivités contre la violence dont avaient été victimes leurs propres familles.
Une fille a parlé très éloquemment de la façon dont elle s'est jointe à un groupe rebelle Maï-Maï parce qu'elle avait vu sa mère et sa soeur se faire violer. Sa décision de devenir soldat était fondée sur le fait qu'elle avait vu cette violence chez elle et qu'elle voulait prendre les armes pour se venger et pour protéger les autres contre de tels actes.
Le plus déchirant, c'est qu'une fois dans les groupes armés, de nombreux soldats vivent dans des conditions incroyablement horribles et déshumanisantes qui défieraient notre entendement. Je crois que cela change les gens, de sorte que leurs approches systématiques façonnent des soldats qui sont en mesure de maltraiter les civils.
On en revient à la question de comment démobiliser mentalement les soldats qui souvent n'ont aucune idée de comment vivre dans une communauté civile. On pense que le fait d'enlever les armes est synonyme de désarmement, mais force est de constater que les soldats qui retournent dans les communautés civiles font montre des mêmes comportements qu'ils avaient lorsqu'ils étaient combattants; par exemple, ils commettent des actes de violence, prennent ce qu'ils veulent et s'attaquent aux civils. C'est extrêmement déstabilisant pour les collectivités en RDC.
Alors, comment démobiliser les combattants qui doivent l'être? C'est grâce à des services psychosociaux à long terme et soutenus qui sont également liés à un soutien économique. De nombreux combattants constatent que non seulement ils ne peuvent pas trouver d'emplois, mais ils n'ont pas les habiletés sociales pour vivre parmi les civils. Ils n'ont tout simplement pas appris ces habiletés. Les services doivent viser à leur permettre de développer ces capacités.
De plus, certains soldats choisissent de demeurer soldats et de se joindre à l'armée nationale. Cependant, à l'heure actuelle, il ne s'agit pas toujours d'une option positive ou durable pour obtenir un salaire, faire de l'argent et se comporter comme un soldat honorable. Lorsque j'ai parlé à certains de ces combattants, ce que j'ai trouvé le plus intéressant, c'est qu'il y a une sorte de désir pour l'honneur, la discipline et une certaine structure. Ce n'est pas quelque chose qu'ils sont en mesure d'obtenir dans leurs situations actuelles.
Alors si le gouvernement congolais entreprenait de créer une armée disciplinée et bien rémunérée, il y aurait un intérêt énorme de la part de combattants qui veulent faire partie d'une telle organisation. Malheureusement, pour l'instant, ce n'est tout simplement pas le cas.
Madame Kelly, dans un rapport récent que vous avez écrit et qui portait sur la nature de la violence sexuelle en République démocratique du Congo, vous avez affirmé qu'une femme sur trois dit avoir été rejetée par son mari et qu'une sur 15 dit avoir été rejetée par sa collectivité après avoir subi un viol. Vous dites que la stigmatisation qu'elles subissent en tant que survivantes de violence sexuelle peut être aussi traumatique que l'acte violent lui-même. Pouvez-vous nous expliquer comment la violence sexuelle peut avoir un impact négatif sur les droits de la personne en République démocratique du Congo, en plus d'un impact émotif?
Oui, absolument, et merci beaucoup d'avoir pris le temps de lire notre rapport. J'aimerais préciser que ces données proviennent d'un petit sondage; ce n'est donc pas une enquête basée sur la population. Ce sont des chiffres que nous avons calculés à partir d'un petit échantillon d'une clinique où les femmes disaient avoir été victimes de violence sexuelle. Je crois certainement que ces chiffres sont semblables à ceux d'autres organismes qui ont conclu qu'environ une femme sur trois souffre d'isolement social ou de rejet complet de leurs propres familles après avoir été victime de violence sexuelle. Un certain nombre d'autres femmes se sentent forcées de quitter leurs propres collectivités à cause des attitudes négatives envers les femmes qui ont été violées.
Comme vous pouvez imaginer, ces femmes sont ensuite exposées à des cycles dramatiques de vulnérabilité, car elles n'ont aucune structure familiale, aucune façon de gagner de l'argent et en plus, elles doivent souvent s'occuper des enfants. Ces femmes vivent forcément dans la rue et doivent trouver une façon de gagner leur vie. Souvent, elles sont forcées tragiquement de s'adonner au commerce du sexe ou de passer de parenté en parenté, sans avoir d'endroit où s'installer.
Ce qui est intéressant et ce qui témoigne des liens entre les différents aspects de ce conflit, c'est le fait que parfois les femmes qui sont rejetées par leurs familles se retrouvent dans des villes où il y a une exploitation minière artisanale, parce qu'il y a très peu d'endroits où les femmes peuvent espérer trouver une façon de gagner leur vie. Dans ces villes, beaucoup de femmes ont l'impression qu'elles n'ont pas besoin de leurs familles pour pouvoir gagner leur vie. C'est justement dans ces villes où nous retrouvons ces cycles de vulnérabilité, car les femmes se rendent dans ces villes minières et n'ont pas d'autre choix que de s'adonner au commerce du sexe au lieu de trouver un autre emploi.
Une des choses que les femmes nous ont dit c'est que même si c'est difficile à comprendre, la stigmatisation peut en fait être beaucoup plus traumatique que le viol lui-même parce que l'impact dure toute la vie. Dans une société hautement sociale où malheureusement les femmes sont définies en fonction de leurs relations avec les hommes, lorsque ces femmes sont rejetées par la famille ou une collectivité, elles n'ont plus de structures pour les soutenir. C'était très poignant d'entendre les femmes nous dire cela.
Encore une fois, pour faire le lien avec d'autres questions qui ont été soulevées, les femmes croient vraiment que c'est grâce à l'éducation, pour elles-mêmes et pour leurs enfants, qu'elles peuvent se sortir de ces cycles de vulnérabilité.
Merci, monsieur le président.
J'allais vous poser une question générale sur la reprise des combats, mais je crois que je vais d'abord vous poser une question sur les initiatives de la Harvard Humanitarian Initiative. Ma question fait suite à celle de Nina Grewal sur la fréquence des mariages forcés entre les femmes ou fillettes et les combattants — ce qu'on appelle les épouses de brousse — et l'esclavage sexuel en RDC.
Quels sont les problèmes reliés à la réinsertion de ces femmes et de ces enfants à cause du problème des mariages forcés?
Merci pour cette merveilleuse question.
C'est une question que nous avons étudiée de près et qui est extrêmement importante. Ce que nous espérons voir comme changement dans une stratégie générale axée sur les femmes, la paix et la sécurité, c'est une reconnaissance que les programmes de démobilisation ont traditionnellement visé les combattants masculins. On tenait pour acquis que les femmes ne participaient pas aux groupes armés. Nous savons maintenant que ce n'est absolument pas le cas; il y a un nombre important de femmes qui participent à des groupes armés non étatiques partout dans l'est de la RDC. Beaucoup de ces femmes sont de véritables esclaves sexuelles, quoique certaines d'entre elles ont choisi de se joindre ou de s'identifier au groupe armé auquel elles appartiennent.
Comme vous pouvez l'imaginer, bon nombre de ces femmes donnent naissance à des enfants pendant qu'elles sont avec ces groupes armés. Souvent, elles souffrent de graves problèmes médicaux lorsqu'il y a une démobilisation. Cependant, nous avons remarqué que les programmes de DDR — désarmement, démobilisation et réintégration — ne sont pas conçus en fonction des besoins des femmes. Souvent, les filles ne reçoivent tout simplement pas les mêmes services que les hommes. Elles ne se sentent pas en sécurité dans les camps qui sont créés pour les combattants démobilisés parce qu'elles n'ont pas d'endroit qui leur est consacré.
Nous voyons qu'il n'y a pas de capacité pour répondre aux besoins des femmes en matière de santé et de reproduction à cause du temps qu'elles ont passé au sein de groupes armés et à cause du fait que beaucoup de femmes sont responsables de plusieurs enfants lorsqu'elles sont démobilisées.
Une façon de répondre à ce défi serait de concevoir des programmes qui visent précisément les besoins et les expériences des femmes qui ont participé à ces groupes armés, du point de vue médical, psychosocial et économique. Actuellement, il y a des lacunes énormes dans ces programmes.
J'aimerais aussi faire le lien avec la façon dont la Harvard Humanitarian Initiative travaille. Il y a eu une augmentation du nombre d'attaques contre les gens qui travaillent dans le domaine des droits de la personne, plus précisément la violence sexuelle. Il y a eu une tentative manquée d'assassinat contre le directeur de l'hôpital Panzi. Vous travaillez avec eux également. Pouvez-vous nous parler de la situation des gens qui travaillent dans le domaine des droits de la personne et du genre d'attaques dont ils font l'objet?
C'est très, très préoccupant. Comme plusieurs d'entre vous le savent, M. Mukwege, qui est le directeur de l'hôpital Panzi, est vraiment un héros dans le domaine de la violence sexuelle en RDC et il a passé sa vie à aider les femmes là-bas. Il y a eu une tentative d'assassinat perpétrée contre lui récemment et malgré cela, il est retourné au Congo pour continuer à travailler.
Je crois que cela témoigne d'un problème plus profond dans le domaine des droits de la personne en RDC. Certes, il y a des héros qui décident de travailler sans égard à leur sécurité personnelle, mais ce n'est tout simplement pas une situation sécuritaire dans laquelle les gens peuvent travailler. À mon avis, cela témoigne du fait plus général que la paix et la stabilité doivent se trouver à la base de tout autre effort.
J'ai vu des cliniques et des écoles être construites, seulement pour les retrouver, quelques mois plus tard, en ruine, ou emportées, ou abandonnées à cause d'une attaque récente. Je crois que si on veut voir un vrai progrès au Congo, il faut trouver une façon de créer une paix relativement durable pour que des gens comme M. Mukwege puissent faire leur travail, en sachant qu'ils pourront se réveiller le lendemain et continuer ce travail.
Je crois bien franchement que de tels actes sont, dans une certaine mesure, un signe de mépris envers les droits de la personne et envers certaines structures politiques plus larges.
À l'origine, cela allait être ma question, mais je la trouvais trop générale. Je vais tout simplement poursuivre là où vous vous êtes arrêtée, parce qu'il y a eu une reprise des combats au Congo, une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, puis des discussions entre le gouvernement et les rebelles; on en est maintenant, semble-t-il, à des pourparlers de paix. Premièrement, est-ce que les femmes participent aux pourparlers et au processus d'édification de la paix? D'après vous, où mèneront les plus récentes tentatives d'édification de la paix?
Je demeure toujours optimiste. On n'a pas souvent inclus les femmes au processus d'édification de la paix. Si je ne me trompe pas, d'après l'une des statistiques d'ONU Femmes, seulement 16 p. 100 des négociations de paix ont fait participer des femmes à un moment ou à un autre.
Je pense qu'il s'agit d'une occasion pour nous de changer la situation. Avec les résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité et la poursuite de telles résolutions, nous sommes vraiment à une croisée des chemins passionnante pour les femmes, la paix et la sécurité. L'une des meilleures façons de démontrer notre engagement à ce sujet serait de placer les femmes à l'avant-scène des négociations de paix au Congo. Je pense que c'est quelque chose de très, très puissant si l'on sait qu'on devra rendre des comptes aux femmes à la fin d'un conflit. Jusqu'à maintenant, cela n'a presque jamais été le cas.
Merci beaucoup d'être ici.
La paix est essentielle pour la stabilité de tout pays. Nous le savons tous. Après deux décennies de combats au Congo, si on fait partie d'un groupe rebelle et qu'on n'est pas payé, on n'obtient que ce qu'on vole. Je peux comprendre cela.
Est-ce qu'une partie de la violence sexuelle contre les femmes est motivée par la religion?
Voilà une question très intéressante. Je dirais qu'on trouve souvent des systèmes de croyances occultes très élaborés au sein des sous-groupes, presque comme une mythologie qui est créée dans le cadre d'un groupe armé, mais pour ce qui est des croyances religieuses traditionnelles, ce n'est pas quelque chose dont j'ai entendu parler.
Avant le conflit, il n'y avait pas ces viols et ces actes de violence sexuelle contre les femmes, mais depuis l'éruption de la violence, ces cas ont augmenté. C'est, me semble-t-il, presque une lutte contre les femmes. Une fois qu'elles en sont victimes, elles sont expulsées de leurs villages ou séparées de leurs familles. La situation a-t-elle récemment changé? Le problème a-t-il pris de l'ampleur dernièrement ou au cours des années?
Oui, voilà une observation très pertinente. Je pense que vous avez tout à fait raison. J'ai entendu d'autres experts du Congo dire que de nombreux groupes armés essaient très fort de ne pas se battre entre eux, mais ils utilisent la force, d'une façon très lâche, sur les populations civiles, un peu comme démonstration de leur puissance.
Alors, il s'agit souvent d'une guerre qui se fait vraiment sur le corps des femmes, plutôt que sur le champ de bataille et, de façon plus générale, dans les communautés civiles, plutôt que dans le cadre de combats directs entre des groupes armés. Je pense que c'est l'un des aspects les plus tristes et les plus affreux du conflit en RDC.
Absolument, et une autre chose que vous avez dite, qui est très importante, c'est que l'on voit des formes de violence contre les femmes qu'on n'avait jamais vues avant le conflit, y compris des viols en public, de l'inceste forcé ou le viol de personnes très jeunes ou très vieilles. Cependant, je pense qu'il est important de reconnaître que la violence sexuelle fait partie d'un continuum. Elle a lieu en temps de paix, et elle continuera de se produire lorsque le conflit se terminera, et c'est quelque chose qu'il faut garder à l'esprit. Faire une distinction entre la violence sexuelle liée au conflit et celle qui ne l'est pas est parfois important, mais afin de vraiment combattre le problème de la violence contre les femmes, nous devons y penser dans le cadre d'un continuum, plutôt que sous l'angle d'une dichotomie.
C'est tout? Très bien.
Cela me donne l'occasion d'intervenir et de demander un petit éclaircissement.
Vous avez dit que dans certains cas, les groupes évitent de se battre entre eux et exploitent la population, ce qui, pour moi, soulève deux possibilités. Peut-être que les deux sont justes, mais il me semble que ce sera plutôt l'une ou l'autre.
La première possibilité, c'est que ces groupes fonctionnent un peu comme les condottieri de la Renaissance italienne, des groupes qui auraient pu se battre entre eux, mais qui essayaient d'éviter de faire des victimes et qui faisaient des démonstrations de force d'autres façons. Voilà une possibilité.
L'autre, c'est qu'il s'agit simplement de groupes de brigands, dans une certaine mesure. Ils ont commencé à devenir des groupes n'ayant aucune cause réelle à défendre, sauf le fait de continuer à exister.
Laquelle de ces deux possibilités est la bonne?
Je pense que les deux explications sont valides et que la deuxième semble juste. Après deux décennies d'instabilité, les mécanismes qui réussissent, qui fonctionnent vraiment, sont souvent ceux qui prônent des messages comme: « Prenez ce que vous pouvez, et prenez-le par la force pendant que vous le pouvez ». Je pense que c'est tragique, mais une grande partie des systèmes économiques traditionnels ont commencé à se désintégrer à cause de l'insécurité soutenue. Résultat: un système adapté d'opportunisme économique qui consiste à mettre sur pied un groupe rebelle.
L'une des choses les plus tristes que j'ai vues lors d'un voyage récent en RDC a eu lieu alors que j'étais avec mon mentor congolais, Justin Kabanga, qui est le dirigeant de cette organisation d'aide psychosociale. Nous étions ensemble dans une voiture sur une route rurale éloignée, et deux garçons de sept ans avaient tendu une ficelle à travers la route, et nous avons ralenti parce qu'ils avaient créé un très petit barrage. Nous avons baissé nos vitres, et l'un des garçons a demandé de l'argent. J'étais horrifiée, parce que je voyais cette jeune génération de garçons congolais imiter ce que faisaient les hommes.
Cela a mené à une conversation intéressante avec Justin à propos du genre d'emplois... Certains enfants jouent au magasin, alors que ceux-ci jouaient au groupe rebelle. Je pense que, souvent, les gens croient que la façon la plus viable d'obtenir de l'argent est de créer des groupes armés qui ont une certaine motivation politique, mais qui sont surtout opportunistes.
Merci, monsieur Reid. Je suis heureux d'être le dernier intervenant.
Merci pour toutes vos réponses. Cela a été très instructif, et je vous présente mes excuses pour l'ambiance caverneuse de cette salle.
Je me demandais si vous pouviez nous parler un peu du VIH. Certainement, un conflit armé est un vecteur important, et la violence sexuelle en est le véhicule. Nous savons que le Congo a un taux assez élevé de prévalence du VIH. Je pense qu'il tourne autour de 5 p. 100, et la majorité des personnes infectées sont des femmes et des filles. Alors, j'imagine que cela a tout un effet. Je sais que le gouvernement est très conscient du problème et qu'il essaie de s'en occuper.
Pourriez-vous nous parler un peu des conséquences pour les collectivités? Quel genre de mesures a-t-on prises pour essayer de freiner la transmission, ou pour au moins traiter ceux qui sont infectés? Et que pouvons-nous faire ici pour les aider?
Il est très important de reconnaître qu'il s'agit d'un problème; il est donc encourageant de vous entendre soulever la question, qui est très importante.
Tout cela soulève également une question d'envergure: celle de savoir comment fournir des services médicaux et de santé de façon efficace en RDC, qui en a tant besoin, et peut-être fournir des soins aux personnes atteintes du VIH dans le cadre de services de santé intégrés.
Je sais que de nombreuses ONG font un travail remarquable en fournissant des services de santé en collaboration avec le gouvernement national.
Le VIH est particulièrement intéressant, puisqu'à mon avis, on reconnaît largement la menace que pose cette maladie. Toutefois, cela peut souvent donner lieu à une situation perverse dans laquelle les gens présument que les survivants d'actes de violence sexuelle sont atteints du sida — tous — et que c'est garanti et inévitable.
Cette croyance contribue certainement à la stigmatisation et à l'ostracisme de femmes ayant été violées, ce qui est très malheureux puisque d'un côté, on veut reconnaître le VIH en tant que problème, mais on veut aussi que les gens reconnaissent qu'il ne s'agit pas d'un résultat inévitable du viol. Il faut donc modérer cette reconnaissance en fournissant des services, mais aussi en se rendant à l'évidence qu'il nous faut réduire la stigmatisation dont les femmes et les filles sont susceptibles de faire l'objet.
Je trouve encourageant que le gouvernement congolais soit conscient du problème et je suis d'avis qu'il faudrait accorder un peu plus d'attention, sur le terrain, aux services de conseil et de dépistage volontaire, à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant et à la prestation de thérapies antirétrovirales.
Voilà tous des efforts importants qu'on pourrait renforcer.
J'aime bien l'idée du désarmement mental dont vous avez parlé tantôt. Je pense qu'il s'agit probablement de la solution à long terme.
Pour ce qui est des filles en particulier, il y a sans doute des défis liés au fait de pouvoir leur fournir les services dont elles ont besoin pour se désarmer mentalement, puisqu'il y a aussi bien des filles que des garçons parmi les enfants soldats.
Comment se déroule cet effort? Peut-être que nous pourrions aussi y revenir. Je présume que certaines de ces filles sont probablement, elles aussi, victimes de violence sexuelle. Pourriez-vous parler un peu de l'incidence sur les filles et expliquer comment on s'y prend pour les aider à se réinsérer?
Oui, absolument. Je dirais que la grande majorité, sinon la totalité des filles ayant été associées aux groupes armés sont probablement victimes de violence sexuelle ou d'esclavage sexuel.
Nous avons interviewé un grand nombre d'anciennes filles soldates qui ont constaté que leur meilleur espoir était d'appartenir à un commandant qui les protégerait ensuite d'autres prédateurs sexuels.
Un des plus grands défis pour les femmes et les filles qui quittent les groupes armés, c'est qu'elles sont beaucoup plus stigmatisées que les hommes. Elles sont souvent perçues comme étant des biens endommagés. Elles n'ont même pas l'honneur douteux d'avoir tenté de protéger leur pays. Elles ne sont pas perçues comme étant de véritables soldats; on les considère plutôt comme des jouets sexuels qui sont maintenant contaminés à cause du temps qu'elles ont passé au sein de groupes armés. Toutefois, certaines femmes et filles reconnaissent avoir tenté de devenir soldates pour le bien commun.
Elles n'ont vraiment aucun sentiment d'appartenance dans une collectivité. Beaucoup de gens pensent qu'elles devraient réintégrer les groupes armés ou qu'elles n'ont pas leur place parmi eux. Elles ne sont pas bonnes à marier, et on ne les perçoit pas comme pouvant remplir un rôle féminin traditionnel quelconque.
Une autre difficulté à laquelle sont confrontées ces femmes, c'est qu'elles ont souvent eu des enfants à la suite de leur participation à des groupes armés et que ces enfants sont souvent, comme leur mère, fortement stigmatisés. On présume que ces enfants grandiront et deviendront comme leur père ou qu'ils sont déjà soldats d'une façon quelconque, si bien qu'on ne peut pas leur faire confiance, qu'il ne faut pas les éduquer et qu'il ne faut pas leur permettre de demeurer chez des membres de leur parenté, etc.
Donc, le fait d'aborder la stigmatisation dont souffrent non seulement les anciennes soldates et les survivantes de violence sexuelle, mais aussi leurs enfants, revêt une importance extraordinaire.
Cela nous ramène aux incidences générationnelles de la violence. Nous voyons maintenant une génération d'enfants qui ont été touchés par la violence sexuelle ou qui en sont le résultat direct. À mon avis, si nous ne nous occupons pas de cet enjeu valable dès maintenant, il reviendra sur le tapis d'ici une génération.
Merci, monsieur Toone.
Eh bien, je tiens à remercier notre témoin d'être venu nous éclairer aujourd'hui. Cela nous permettra de produire un rapport plus complet qu'il ne l'aurait autrement été possible. Nous vous sommes donc reconnaissants de votre témoignage.
Chers collègues, après avoir libéré notre témoin, je vous demanderais de bien vouloir demeurer dans la salle pour une brève séance à huis clos. Si vous voulez bien, nous allons suspendre la séance pendant quelques instants avant de siéger à huis clos.
Nous vous remercions beaucoup.
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