SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 30 avril 2013
[Enregistrement électronique]
[Français]
En ce 30 avril 2013, nous entreprenons la 79e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous continuons notre étude au sujet de la situation des droits de la personne au Honduras.
[Traduction]
Notre témoin aujourd'hui est Rick Craig, directeur exécutif de l'organisme Justice Education Society of British Columbia.
Monsieur Craig, nous sommes ravis de vous avoir ici comme témoin.
J'ai essayé d'accélérer un peu les choses au début pour m'assurer que nous entendrons tout votre témoignage et aurons suffisamment de temps pour les questions.
Quand nous tenons les séances dans cette salle, nous sommes parfois pénalisés par le fait qu'à la fin, les membres doivent se hâter de retourner à la Chambre des communes, dans un autre bâtiment. Parfois, nous devons mettre fin à la séance avant d'avoir pu apprécier tout ce qu'un témoin a à offrir. Voilà pourquoi la rapidité compte pour nous. Mais vous êtes là et nous aussi.
Je vous invite donc à présenter votre témoignage. Une fois que vous l'aurez fait, nous passerons aux questions des membres du comité.
Merci. Merci de m'avoir invité ici.
Je vais vous parler un peu de mon organisme, Justice Education Society, puis de ce que nous tentons de faire. Je sais que vous vous intéressez au Honduras et à ce qui s'y passe. Nous oeuvrons dans les trois pays du triangle septentrional: le Guatemala, l'El Salvador et le Honduras. Une grande partie de ce que nous faisons, nous le faisons dans ces trois pays. Il se trouve que ces pays sont trois des cinq pays les plus violents du monde, et nous concentrons nos efforts sur la façon de procéder à la refonte d'un système de justice dans le contexte de ce que ces pays vivent.
Voilà bien longtemps que nous faisons ce travail. Nous avons commencé au Guatemala en 2000. Une grande partie de ce que nous faisons au Honduras, et maintenant en El Salvador, découle des leçons tirées de notre expérience au Guatemala. Notre organisme est une ONG, qui a été créée en 1989 en Colombie-Britannique, dans le cadre d'une commission d'accès à la justice dans cette province.
Au départ, nous nous sommes concentrés sur le Canada. Environ 50 p. 100 de nos activités se déroulent dans notre pays. Nous oeuvrons dans le domaine de l'éducation juridique du public. Nous travaillons avec le système de justice, la Couronne, les services policiers, les communautés, les Autochtones et les immigrants, bref, tout le monde dans notre société. Nous développons un grand nombre de ressources. Nous avons plus de 25 sites Web, dont sept à l'intention des victimes, qui sont utilisés par les réseaux de victimes. D'autres, entre autres, portent sur les services aux immigrants et aux plaideurs qui se représentent eux-mêmes, ce qui est devenu un gros problème dans notre pays.
Notre travail outre-mer est fortement influencé par la réalité de nos activités ici au Canada. Nous sommes en mesure d'utiliser à l'étranger les connexions que nous avons ici; voici donc un peu de contexte.
Nous oeuvrons dans le monde entier. Je participe à des activités internationales depuis 1973, quand l'étudiant universitaire que j'étais s'est insurgé contre Pinochet pour ce qui s'est passé au Chili, et a décidé d'agir. J'ai de longs antécédents, environ 40 ans, mais c'est en 1989 que l'organisme a entrepris des activités internationales. Nous avons lutté contre la violence envers les femmes en Afrique du Sud. Nous avons oeuvré en Somalie, en Chine, au Bangladesh, au Montenegro et au Mexique. La plus grande proportion de nos activités s'est concentrée dans le triangle septentrional de l'Amérique centrale.
Comme je l'ai dit, nous avons entrepris nos activités au Guatemala il y a 13 ans. Nous avons commencé à nous pencher sur la question des changements qui se produisent en Amérique latine et dans le triangle septentrional. Vous n'êtes pas sans ignorer qu'ils se sont débarrassés d'un système de justice datant de 500 ans. Dans le cadre des accords de paix, le Guatemala a déclaré: « L'ancien système est en faillite. Nous ne pouvons continuer à l'utiliser et nous devons passer à un système ouvert de procès oraux. » Ils passaient donc d'un système inquisitoire à un système accusatoire.
En 1999, on nous a invités à retourner voir ce que nous pourrions faire. Nous avons commencé à travailler en 2000, et nous travaillons avec eux depuis lors.
Il faut tenir compte du fait que, dans ces pays, les systèmes de justice sont hybrides. Ils se composent à la fois de parties de l'ancien système et de parties du nouveau. Vous pouvez imaginer ce que c'est que de traiter avec une partie du monde où... Quand j'ai commencé au Guatemala, il y avait huit meurtres par jour. L'an dernier, il y en avait 17 ou 18 par jour. Quand j'ai commencé au Honduras, il y en avait beaucoup moins.
Comme vous le savez, les conditions sociales se sont détériorées. Quand j'ai commencé en 2000, nous n'avions pas la même conception de la croissance des gangs. Les gangs ont connu une croissance explosive. Bien sûr, il y avait le problème du Mexique et de la guerre, puis les conséquences des « narcos », le résultat de l'entrée des Zetas au Guatemala et la déstabilisation que cela a causé. Si l'on conjugue tout cela à une situation où l'on a une région pauvre avec une longue tradition de guerre civile entre les trois pays, on aboutit à bien des situations. Si, en plus, vous décidez d'entreprendre une réforme de votre système de justice, les défis sont de taille.
Nous étudions les façons dont cela pourrait se faire. Avec l'aide du Canada, comment pouvons-nous contribuer à faciliter les choses?
Nous avons travaillé de façon très étroite avec la CICIG au Guatemala. Nos activités sont principalement inspirées de notre expérience au Guatemala. Certes, le Honduras est différent, mais bien des choses qui s'y passent sont les mêmes. Certains des enjeux sur la façon d'aborder la réforme sont les mêmes. Nous nous fondons sur notre expérience au Guatemala pour accélérer le travail que nous accomplissons au Honduras.
Le Honduras est en quelque sorte ce que je considère être la situation que nous avons trouvée au Guatemala il y a 12 ans. Bien sûr, le changement a débuté plus tard au Honduras. Le passage au système accusatoire ne s'est produit qu'en 2002, six ans après le Guatemala.
Nous travaillons systématiquement avec les services policiers, les procureurs et le système judiciaire, et tentons de voir comment rassembler tous les éléments qui permettront la création d'un système qui fonctionne. Dans le cadre de la CICIG, les gens parlent fréquemment de devoir faire face à la corruption et à l'infiltration de l'État, mais l'un des problèmes les plus cruciaux se situe au niveau de la façon de créer un système qui fonctionne.
Laissez-moi vous dire qu'au Honduras, quand nous avons commencé notre travail, le taux de résolution des meurtres — autrement dit, l'obtention d'une décision de non-culpabilité — était essentiellement 0 p. 100. Quand nous avons commencé nos activités au Guatemala en 2000, le taux de résolution des meurtres était de 2 p. 100. Il y a environ quatre ans, il se situait à 5 p. 100 et, l'an dernier, il avait grimpé à 28 p. 100. Voilà ce que nous tentons de faire. Nous avons beaucoup appris au fil des ans, et nous travaillons étroitement avec les autorités honduriennes au niveau de ce que j'appelle la fonctionnalité.
Je pourrais entrer dans des détails précis sur ce que nous faisons et comment nous le faisons, mais je vous laisserai le soin de me le demander. Je ne veux pas trop m'attarder; je sais que je n'ai que quelques minutes.
C'était donc le contexte dans lequel nous oeuvrons. Nos activités sont financées par l'ACDI et par le MAECI dans le cadre de son programme visant à renforcer les capacités de lutte contre la criminalité. Nous avons pu réunir le financement provenant des deux organismes dans une démarche commune. Si vous le voulez, plus tard, je pourrai vous présenter un documentaire qui a été produit au sujet de notre travail. Ce documentaire a été produit par un avocat qui était si fasciné qu'il a décidé de le produire en tant que vidéaste amateur. Il y a consacré 600 heures, et il documente la façon dont nous oeuvrons.
Je suis de l'opinion ferme que si nous allons faire ce genre de choses, nous devons nous engager pendant de nombreuses années. Nous devons participer de façon très systématique à l'établissement des éléments qui créent la fonctionnalité. Il faut commencer par la scène de crime. Nous nous concentrons toujours sur les meurtres, parce que le meurtre est la violation la plus grave des droits de la personne, et il y en a un très grand nombre. Dans les trois pays qui constituent le triangle septentrional, il y avait jusqu'à récemment probablement près de 17 000 à 18 000 meurtres chaque année et, au Honduras, comme vous le savez, ce taux est probablement 40 à 45 fois celui du Canada.
Il est donc très important que nous commencions là, et c'est ce que nous faisons. Nous travaillons à l'établissement du système: des activités des policiers et des procureurs au niveau de la scène du crime, à l'enquête, à la gestion des cas graves et aux techniques de procès oraux. Ensuite, avec l'aide du MAECI, nous ajoutons des méthodes spéciales comme les vidéos de surveillance judiciaire et, dans le cas de certains pays comme le Guatemala, l'écoute électronique.
Lorsqu'on s'attaque à l'analyse du renseignement criminel, qui est une chose très importante, et particulièrement lorsqu'on tente de confronter ces structures, on fait face à des dizaines de milliers de membres de gang dans ces pays. La seule façon de réduire la violence est de s'attaquer aux structures. Voilà pourquoi nous collaborons avec ces pays pour ce genre d'activités, c'est-à-dire l'établissement du système de base et ce que j'appelle les outils spéciaux qui leur permettront d'atteindre plus rapidement une fonctionnalité.
C'était une courte introduction à ce que nous faisons.
Nous avons un bureau là-bas. Nous avons du personnel là-bas. Nous travaillons à partir de la Colombie-Britannique et nous avons recours à un grand nombre d'experts canadiens. Nous faisons venir des spécialistes de tous les aspects du système de justice du Canada, qui nous aident à accomplir ce travail.
Merci beaucoup.
Avant de passer aux questions, je voudrais simplement attirer l'attention des membres sur un point concernant le calendrier. Nous avions prévu d'accueillir une certaine Dana Frank jeudi, mais celle-ci n'est pas disponible. Nous avons dû reporter sa comparution à jeudi prochain, le 9 mai.
J'ai donc décidé d'entrer en contact avec le MAECI pour demander s'il pouvait envoyer quelqu'un présenter des observations sur la position du Canada concernant les villes modèles, ce qui semble être un sujet de préoccupation. Celui-ci a été soulevé par un certain nombre de membres. Il est possible que le ministère trouve quelqu'un à nous envoyer, ou pas. Nous ne le saurons pas avant... Je dirais que nous ne le saurons pas avec certitude avant demain.
Même si le MAECI est en mesure de nous envoyer quelqu'un, j'ai l'intention de consacrer un peu de temps aux travaux du comité. Si personne ne vient, toute la séance sera alors à huis clos, consacrée aux travaux du comité. Je voulais simplement vous informer de ce fait.
Passons donc maintenant aux questions. Comme nous avons pas mal de temps, je propose des séries de questions et réponses de six minutes et demie.
Madame Grewal.
Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Craig, de comparaître ici aujourd'hui et d'aider notre comité dans son étude de la violation des droits de la personne au Honduras.
Pour commencer, en tant que députée de la Colombie-Britannique, j'aimerais exprimer mon appréciation de l'organisme Justice Education Society et de l'excellent travail que celui-ci accomplit dans ma province. Le programme de leadership civique à l'intention des jeunes femmes, qui vise à promouvoir et à encourager la pleine participation des jeunes femmes à la vie civique, politique et communautaire, semble très prometteur.
Bien sûr, les problèmes et les défis auxquels font face les jeunes femmes au Honduras sont très différents de ceux auxquels sont confrontées les personnes qui vivent en Colombie-Britannique. L'indépendance judiciaire est un complément crucial de la démocratie libérale. Comment les nations développées qui ont une culture juridique d'indépendance mûre peuvent-elles aider les pays ou les groupes qui tentent d'établir une telle culture chez eux?
La question de l'indépendance ne se rapporte pas seulement au système de justice dans ces pays; c'est aussi une question du travail que les procureurs accomplissent dans le contexte de ces pays.
Dans le système de justice, une difficulté grave et bien réelle se situe au niveau de la façon dont les juges sont nommés. Ils sont nommés pour une période de cinq ans au niveau le plus élevé. Bien sûr, cela signifie une infiltration d'un élément politique dans le processus de sélection. Cela ne devrait pas se produire et, au cours des récentes années, certains de ces pays se sont écartés d'une telle façon de faire et ont tenté d'instituer des processus de validation visant à éliminer une telle participation. Mais ces processus deviennent très délicats, comme vous pouvez l'imaginer.
Un certain nombre de choses qui se produisent sont, à mon avis, positives; par exemple, la création de la méthode des procès oraux, selon laquelle les procès sont tenus en public, chose qui n'avait jamais été faite auparavant. Le fait que les procès se déroulent devant des spectateurs — des journalistes viennent y assister et en font rapport — améliore considérablement les choses. Le changement de culture qu'apporte la méthode des procès oraux est fondamental et très important.
C'était un aspect. L'autre aspect est que le peuple accorde de plus en plus d'importance à cette indépendance, et il s'y attend. Ainsi donc, lorsqu'il se produit des situations au cours desquelles on peut percevoir une certaine interférence, la réaction de la collectivité est assez forte. Ces pays ont, entre autres, et à différents niveaux dans chacun d'eux, de très fortes organisations de la société civile qui tentent de responsabiliser le système. Elles n'hésitent pas à dénoncer et à contester, ce qui est important.
Par ailleurs, il est très important aussi de commencer à créer davantage de systèmes qui permettent au système de justice de fonctionner avec une certaine indépendance. Cet aspect comprend plusieurs facettes. Dans le passé, il y a eu un tel changement dans le système de justice, et toute la question de savoir s'il existe des choses comme des « cheminements de carrière » judiciaires, et tout cela est plutôt récent. Il ne faut pas oublier que dans un pays comme le Honduras, on parle d'un changement qui s'étend sur 10 ans. Imaginez un peu si nous décidions de changer notre système de justice en 10 ans. Au Guatemala, cette période est un peu plus longue, mais ce changement demeure très rapide dans ces pays.
Et cela présente le problème que ce changement se produit dans le contexte de conditions sociales qui se détériorent. Cela a présenté un certain nombre de défis.
Monsieur Craig, d'après les médias, le congrès hondurien a récemment suspendu le procureur général et son adjoint et les a remplacés provisoirement par un comité de surveillance. Pensez-vous que c'est une bonne chose?
Je suis toujours réticent à commenter ce genre de choses, parce que je travaille dans le pays. Nous avons travaillé avec le procureur général et avons participé très directement à des activités avec lui. De toute évidence, nous voyons la situation dans deux perspectives. Il y a notre point de vue, à savoir que font-ils au sujet de ce sur quoi nous collaborons avec eux, et il y a la question de savoir si cela avance.
C'est notre principal créneau. Nous sommes vraiment dans les rues. Nous tentons de régler ce que nous considérons de graves anomalies de fonctionnement au sein du Ministerio Público. Mais j'aimerais mieux ne pas m'avancer davantage dans la réponse à cette question.
Une des tendances perturbantes au Honduras est la persistance des exécutions extrajudiciaires. Les exécutions extrajudiciaires sont incompatibles avec la liberté et un véritable système de justice. Comment le Canada peut-il poursuivre les auteurs de ces injustices, tant ceux qui sont au Honduras que ceux qui l'ont quitté?
Il faut se demander quelles options de tels pays ont. Ce sont des pays qui sont véritablement pris entre le marteau et l'enclume. Certaines personnes les voient comme des États potentiellement faillis. D'autres en parlent comme des narco-États.
À mon avis, la seule solution est de les aider à créer des systèmes de justice qui fonctionnent, des systèmes fondés sur la primauté du droit. Il n'y a pas d'autres solutions. Les seules autres options sont une solution militaire ou l'échec. Ce sont là les trois seules options.
Nous devons travailler de concert avec eux. J'ai constaté dans nos activités que les gens ont tendance à voir les cas importants, et ceux-ci deviennent des cas représentatifs. La plupart des personnes qui sont tuées sont les passagers dans des autobus et les gens dans la rue. La majorité des gens, ou un grand nombre d'entre eux, sont tués par des gangs.
Nous devons les amener à commencer à régler ces problèmes et à commencer à servir leur peuple. D'après ce que j'ai vu, il y a de nombreuses personnes qui ont pris un tel engagement. Elles veulent que leur pays soit stable. Elles sont très éduquées. Elles sont très engagées. Je compare la situation du Canada avec la leur et me demande de quoi le Canada aurait-il l'air si nous avions 45 fois plus de violence et probablement un quart des ressources.
Enfin, il y a le problème que la procédure juridique est bien plus compliquée dans ces pays que dans le nôtre, parce qu'elle est hybride. Nous tentons de faire face à ce problème en disant, vous devez commencer...
Un autre aspect important est la culture. Quand on traite avec le Guatemala... Si vous êtes procureur et faite face à un taux de condamnation de 2 p. 100 seulement, dans quelle mesure pouvez-vous croire que vous êtes capable d'accomplir quelque chose? Dans notre pays, nos procureurs et nos policiers croient réellement qu'ils peuvent avoir un effet. Ils savent qu'ils peuvent le faire. Il ne s'agit pas seulement de la création de compétences et de la création de systèmes. Il y a la question culturelle de l'habilitation des intervenants judiciaires... Et bien sûr, ils le font dans un milieu où ils sont exposés à des menaces. J'ai travaillé avec des personnes extrêmement engagées qui consacrent un nombre incroyable d'heures de travail. Elles nous inspirent à dire: « Nous... ».
C'est ce que nous voyons. Au Guatemala, il nous a fallu 10 ans, mais nous commençons à voir le fruit de notre labeur. Je crois que les choses s'améliorent là-bas de façon exponentielle maintenant. Au Honduras, nos activités au niveau du système ne remontent qu'à trois ans. Cela prendra un certain temps. J'espère que le Canada maintiendra sa présence.
Merci, j'apprécie réellement votre présence ici.
La Commission de la vérité et de la réconciliation a constaté que les policiers et d'autres représentants de l'armée faisaient systématiquement obstruction aux enquêtes. Vous avez parlé, il y a un moment des policiers.
Avez-vous recommandé, au Honduras, l'établissement d'une commission internationale contre l'impunité, comme celle qu'il y a eu au Guatemala? Le cas échéant, comment vont les choses? Si vous ne l'avez pas fait, pourquoi pas?
L'an dernier, dans le cadre de la conférence de la Société internationale pour la réforme du droit pénal, nous avons fait venir les trois procureurs généraux à Ottawa. Nous avons eu les trois, du Guatemala, de l'El Salvador et du...
Une des discussions portait sur cette question. Bien sûr, le Guatemala a dit oui. Les deux autres pays ont hésité, car cela représentait une ingérence ou une intervention étrangère dans leurs pays.
À mon avis, il s'agit de se poser la question: « Quel est le résultat de cela? » Si vous prenez en compte le travail de la CICIG au Guatemala, c'est un travail très important. Nous travaillons avec le commissaire de la CICIG. Nous avons une bonne relation. Cependant, cet organisme se consacre à examiner la corruption qui s'infiltre au sein de l'État. Mais une fois qu'elle quitte, il n'est pas dit que le système est encore en mesure de fonctionner. Il faut que quelqu'un s'attache à créer la fonctionnalité.
Il y a des personnes corrompues, c'est un problème; et un autre problème est qu'il y a infiltration. Cependant, le problème demeure même si vous assainissez le système; le système de justice ne fonctionne toujours pas. Cela a été la nature de notre relation avec la CICIG. Dans un pays comme le Honduras, une telle chose serait très valable. Cependant, à mon avis, ce n'est qu'une partie de la solution.
Je suis d'accord. Il faut rebâtir les systèmes. Si vous n'avez pas les systèmes à l'appui de ce que vous tentez d'accomplir... Là encore, nous revenons aux forces policières. Il semblerait que le salaire des policiers est si bas qu'il constitue une incitation à la corruption. À cela s'ajoutent les préoccupations concernant les gangs et les drogues.
En février, José Trejo — je ne sais pas si c'est ainsi qu'on le prononce — cherchait à obtenir des renseignements sur le meurtre de son frère. Il a lui-même été assassiné après être allé à la capitale poser des questions. Avez-vous des renseignements que vous pourriez présenter au sous-comité sur ce cas? Comment se poursuit l'enquête sur cette mort?
Non, pas vraiment. On nous demande parfois notre aide dans la tenue des enquêtes, mais nous essayons de ne pas participer au processus lui-même, parce que nous nous attachons davantage à la refonte du système. Je peux vous donner des exemples de certaines des anomalies fonctionnelles que nous essayons de régler, si cela peut vous aider.
Comme je l'ai dit, quand j'ai commencé ce travail au Honduras, le pourcentage de condamnation était de 0 p. 100. Autrement dit, chaque fois qu'une enquête était menée, personne n'était jugé coupable. Vous pourriez demander pourquoi? N'y a-t-il aucune volonté? Est-ce qu'ils s'en moquent?
Cela découle en partie du fait qu'ils sont en train de créer un nouveau système qui est affligé de certaines anomalies de fonctionnement graves. Par exemple, l'ancien système n'avait pas de procureurs. Les ministerio públicos sont nouveaux.
Par exemple, une des choses que nous faisons avec le Honduras à l'heure actuelle, est ce que nous appelons l'initiative de 72 heures, parce que de la façon dont ils sont structurés... Tout d'abord, vous devez comprendre que dans un système hybride, ce n'est pas la police qui mène enquête. Les policiers mènent l'enquête sous la direction du procureur. Il y a donc des procureurs qui sortent tout juste de l'école de droit en tant qu'avocats. Ils sont recrutés en tant que procureurs. Ils n'ont aucune formation policière. Ils ne savent pas de quoi a l'air une scène de crime. Ils ne savent pas comment mener les enquêtes.
Nous sommes en train d'essayer de régler cette anomalie. Nous les formons à la façon de diriger les activités sur le lieu du crime, parce que quand quelqu'un est tué, le procureur est accompagné d'une équipe technique qui a la responsabilité de gérer la scène de crime.
Mais ce qui les distingue de nous est qu'ils ont un si grand nombre de meurtres qu'ils ne disposent probablement que de deux heures pour mener l'enquête sur un meurtre, par opposition à un ou deux jours complets. Nous travaillons à la formation des équipes techniques, disant que nous devons les amener aux plus hauts niveaux possibles, parce qu'ils en sont capables. Ensuite, nous devons former le procureur pour qu'il sache comment les diriger et comment recueillir les preuves correctement, parce que le procureur doit assumer le contrôle des preuves par la suite.
Ensuite, voyez-vous, nous nous heurtons au problème des 72 heures causé par la façon dont ils structurent... C'est ainsi qu'étaient les choses au Guatemala il y a 12 ans. Ils avaient créé un poste de travail de 24 heures. Dans un endroit comme Tegucigalpa, un procureur est de service pendant 24 heures, tous les 20 jours. Pendant 24 heures, il doit gérer toutes les scènes avec toutes les équipes. Ensuite, il prend deux jours de congé, puis rédige son rapport le troisième jour. Le quatrième jour, il transfère ce rapport à un autre procureur qui prend la relève dans l'enquête. Nous disons que cette façon de faire est insensée, et nous nous concentrons sur ce que nous appelons l'initiative des 72 heures. C'est ce que nous avons proposé au Guatemala, qui l'a mise en oeuvre; le Honduras peut donc l'observer.
Nous préconisons que le procureur qui mène l'enquête doit rester de service pendant 72 heures. Il doit être en service 24 heures, puis deux postes de 8 heures. Il doit travailler avec l'équipe. Il doit être là pendant les 72 premières heures au moins, et il doit rencontrer l'équipe immédiatement. Je ne veux pas qu'il transfère le dossier 72 heures plus tard. Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder, mais nous étudions les étapes possibles. Nous disons que si un transfert doit être fait, il doit l'être à la 72e heure, sans tarder.
Dans les pays comme le Guatemala... Il y a eu des cas au Honduras où après un meurtre, le dossier est transmis deux semaines plus tard au procureur menant l'enquête. Nous disons que c'est un problème.
Le deuxième problème est que les procureurs ne doivent pas faire enquête sur les meurtres et les vols. Ils doivent être spécialisés. Nous collaborons avec eux pour créer ce que nous avons fait au Guatemala, une section appelée « la Vida », qui est chargée des crimes contre la vie. Nous estimons qu'il doit y avoir un procureur spécial car, avec le nombre de meurtres qui sont commis là-bas, ils ont tout intérêt à avoir une section spéciale et seule cette section devrait s'occuper des meurtres. Nous ne voulons pas qu'elle s'occupe des vols. Nous ne voulons pas qu'elle s'occupe des agressions sexuelles. Nous voulons qu'elle se concentre sur les meurtres.
Ce sont là les changements que nous mettons en oeuvre avec eux présentement, mais pour le faire, nous devons les former aux techniques. Nous devons aussi travailler avec eux au niveau des systèmes. Ensuite, nous devons travailler avec eux pour faire en sorte qu'ils obtiennent le personnel dont ils ont besoin. C'est un engagement auquel nous nous attendons de leur part. Ils doivent fournir le personnel. Voilà ce qui se produit, et c'est un exemple.
Mais vous pouvez constater qu'une anomalie de fonctionnement comme celle-ci, dès le départ, signifie que les progrès sont difficiles. Dans le genre de cas dont vous parlez, ou dans tout cas qui est très médiatisé, ils consacrent des efforts particuliers. C'est international, disent-ils, et nous allons être observés; faisons donc des efforts particuliers.
Mais qu'en est-il de la pauvre personne qui a été tuée dans l'autobus? C'est de celle-ci que je me préoccupe. Je me préoccupe vraiment de « monsieur tout le monde ». C'est à ce niveau que nous travaillons, et c'est un exemple.
À mon sens, ce sont ces éléments fonctionnels que nous devons mettre en place, un à un. Nous tentons de dire: « Regardez, au Guatemala la loi est un peu différente, mais fondamentalement, vos lois sont semblables et les pays du triangle septentrional devraient tous travailler d'une façon analogue. » C'est ce que nous tentons de faire.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup, monsieur Craig, d'avoir accepté de venir aujourd'hui et de répondre à nos questions. Je remarque que vous recevez un financement tant de l'ACDI que du MAECI. Je suppose que votre organisme serait un bon exemple de la collaboration de l'ACDI et du MAECI maintenant que ceux-ci ont été fusionnés. Merci de nous l'avoir mentionné.
J'aimerais avoir votre opinion. Il y a environ deux semaines, le congrès national a voté de suspendre le procureur général. Considérez-vous cela un signe positif au Honduras?
Je suppose que cela dépend de ce qui va arriver. Deux dynamiques entrent en jeu ici de notre point de vue. L'une est la politique interne du pays. Il y a un grand nombre de problèmes sur le plan des différentes forces dans le pays, et de ce que celles-ci veulent. D'après notre expérience du travail avec le procureur général, au moins au sujet de ce dont je parle, l'initiative des 72 heures, il y a effectivement une réponse.
À mon avis, on a tendance à regarder les choses du point de vue politique en ce qui concerne ces problèmes. J'estime que si 80 p. 100 des victimes des meurtres sont des membres de la population en général, c'est donc dans l'intérêt de tous dans cette société, quelle que soit leur affiliation politique, de viser la fonctionnalité, parce que s'ils ne peuvent même pas monter dans un autobus sans avoir peur de...
Une voix: Exactement.
M. Rick Craig: Je ne crois pas qu'il y ait une seule personne au Guatemala qui n'a pas été assaillie. Et je connais des personnes qui étaient assises et ont vu la personne assise à côté d'elles être tuée après que des gangs soient montés à bord.
Les gangs n'exploitent pas les riches. Ils exploitent les pauvres.
Pour en revenir à la question — et moi aussi j'aimerais parler de la fonctionnalité — j'ai posé cette question car, initialement, la suspension du procureur général a été recommandée par la commission pour la réforme de la sécurité. Je me demandais simplement si, à votre avis, c'était une étape positive sur le plan politique après sa recommandation.
D'aucuns estiment qu'il n'a pas fait tout ce qu'il aurait dû faire et, de toute évidence, il y a une certaine affiliation politique, ce qui n'aide pas les choses. Je sais que la commission se préoccupait de la corruption au sein des services du procureur. Je ne pense pas que cette corruption soit aussi prédominante que dans les services policiers. Ceci étant dit, nous essayons de nous tenir à l'écart de ce niveau particulier car, quand nous travaillons avec le procureur général et son personnel, nous signons des convenios, des documents juridiques, et nous traitons de l'aspect politique à ce niveau. Mais nos activités se déroulent à un niveau plus bas. Nous travaillons avec les directeurs, avec les autres fonctionnaires au sujet de la fonctionnalité.
D'après notre expérience avec le Fiscal General Rubi, celui-ci a été ouvert à ce travail avec nous. De fait, il l'a invité. Initialement, quand nous avons commencé ce travail, il est venu nous rencontrer au Guatemala, parce qu'il avait entendu parler de nos activités et nous a demandé de venir au Honduras. Je peux parler du niveau opérationnel. Je peux dire simplement qu'au niveau opérationnel il a été très ouvert quand nous nous sommes adressés à lui.
Nous faisons des choses. Nous imposons des exigences. Nous disons, par exemple, il n'est pas logique de faire ceci si vous ne recrutez pas 50 autres personnes, ou encore si vous allez procéder à cet examen de la scène du crime, vous allez devoir vous engager à créer un poste budgétaire pour le réapprovisionnement des trousses.
Et nous avons vu qu'il l'a fait. Je crois que la situation relève plutôt d'une dynamique politique. C'est tout simplement ce qui arrive dans tous ces pays. Au Guatemala, nous avons travaillé avec cinq procureurs généraux. Nous devons adopter le point de vue que nous poursuivrons nos activités, parce que le travail de création du système de base doit se poursuivre, peu importe qui est le procureur général. C'est ainsi que nous voyons les choses.
Je suis encouragé par le fait même qu'au coeur de ces temps difficiles au Honduras — avec 45 fois le niveau de violence que connaît le Canada —, vous arrivez quand même à être sur place et à augmenter la fonctionnalité. Le fait que vous vous concentriez principalement sur les meurtres... Vous avez tout à fait raison en supposant que si vous arrivez à accomplir correctement les choses pour les meurtres, il sera par la suite plus facile à en faire de même pour les autres crimes, ou ils auront tout du moins la capacité de le faire.
Pensez-vous que vous allez voir un certain nivellement des efforts dans le travail que vous accomplissez, que ce soit pour un crime très publicisé ou pour un crime commis contre un citoyen ordinaire, comme vous et moi, à bord d'un autobus?
Il y a deux choses.
Tout d'abord, oui, je le pense. Si vous m'aviez posé la question il y a deux ans, je n'aurais pas été aussi positif. Je me serais interrogé.
Je citerai ce que nous avons vécu au Guatemala comme exemple. D'après mon expérience de ce travail, il ne suffit pas d'ajouter simplement une pièce et, soudainement, tout s'améliore. Si les scènes de crime ne sont pas examinées, ça ne fonctionnera pas. Si l'enquête n'est pas menée, ça ne fonctionnera pas. Si la préparation du procès n'est pas faite, ça ne fonctionnera pas. Si une des étapes, peu importe laquelle, est une anomalie fonctionnelle, rien n'ira.
Au Guatemala, nous avons atteint un point où nous sommes passés de 5 p. 100, il y a trois ans, à 28 p. 100. Il y a un certain point où intervient ce que j'appelle un « plateau », un point où les différents éléments commencent à fonctionner ensemble.
Nous n'en sommes pas là. On y est presque. Nous devons procéder selon une démarche pluriannuelle, car ce n'est pas de la formation que nous faisons, c'est une amélioration du système de justice. Mais qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie qu'il y a aussi un élément de formation.
Ensuite, nous avons une stratégie de mise en oeuvre. Par exemple, il y a 640 procureurs au Honduras. Et les travaux que nous envisageons mener dans le sud du Mexique touchent 35 000 policiers. Pour atteindre le niveau de fonctionnalité, nous ne pouvons former seulement 10 personnes ou 20 personnes. Nous devons le faire par région.
Par exemple, à Tegucigalpa, nous sommes en train de former tous les procureurs et les policiers d'une seule région. Ensuite, nous les surveillons. Nous avons des équipes qui retournent trois mois, puis six mois plus tard pour observer la façon dont ils appliquent les compétences, et déterminer s'ils travaillent de la même façon que nous. Nous leur présentons une rétroaction. C'est ce que nous avons fait au Guatemala. Nous avions une équipe qui, après avoir été formée par nous, est allée s'occuper de 100 meurtres.
Notre démarche s'articule sur la détermination du besoin. Il faut travailler à la formation. Nous établissons un modèle de « formation du formateur », car nous devons leur transmettre l'aptitude. Une fois que nous avons procédé à la formation initiale, nous utilisons nos propres formateurs locaux et nous leur assurons un soutien.
Mais comme vous pouvez le voir, quand on traite avec de tels nombres, les choses prennent des années. Nous devons prendre Tegucigalpa, nous devons prendre San Pedro, nous devons prendre La Ceiba et nous devons bâtir la fonctionnalité dans chaque région, étape par étape. Puis, on atteint une masse critique, un point où tout ce que l'on a accompli dépasse l'ancien. C'est ainsi que nous voyons les choses.
Tout se joue sur la surveillance et le maintien de la qualité. Nous ne voulons pas les former et que, six mois plus tard, ils disent: « Oh, je suis trop occupé, je ne prendrai pas la peine de relever les empreintes digitales parce que j'ai un autre meurtre là-bas. » La qualité s'envole alors. L'élément de contrôle de la qualité doit être intégré, et c'est ce que nous essayons de faire.
Il l'est, en effet.
M. David Sweet: Merci beaucoup.
Le président: Chacun de vous a dépassé son temps d'environ une minute et demie, mais toujours parce que nous avions des réponses détaillées.
Monsieur Dion, c'est votre tour.
[Français]
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Merci beaucoup, monsieur Craig, de nous offrir votre savoir spécialisé.
C'est toute une adaptation pour moi. J'étais à un autre comité, où nous débattions la question de savoir si un village devait faire partie d'une circonscription ou d'une autre. Le sujet dont nous débattons ici aujourd'hui est bien plus sérieux. Je remplace simplement M. Cotler, donc j'ai besoin de m'adapter à la situation.
La motion qui a créé ce sous-comité chargé d'étudier la situation au Honduras commençait comme suit:
Attendu que deux imminents avocats et défenseurs des droits de la personne, Antonio Trejo-Cabrera et Manuel Díaz-Mazariegos, ont été assassinés au Honduras il y a quelques jours;
Connaissiez-vous ces personnes?
Se poursuit ainsi:
Attendu que, au Honduras, 76 avocats ont été assassinés au cours des trois dernières années;
Savez-vous qu'est-ce qui est arrivé à ces personnes?
Et bien, vous devez tenir compte du fait qu'ils ne sont pas les seuls. Il y a des journalistes, un grand nombre de journalistes qui sont assassinés.
Et des gens dans les autobus.
M. Rick Craig: Oui.
L'hon. Stéphane Dion: Je comprends, mais je parle de ces avocats.
Vous savez, nous n'avons pas analysé cela. Nous n'avons pas essayé de le comprendre. Qui sont ces avocats? Quelles sont leurs connexions? Que font-ils? Participent-ils à des activités qui sont liées aux droits de la personne et qui provoquent une réaction? Où participent-ils à des activités qui peuvent être douteuses? Ce genre de dynamique se produit là-bas aussi.
Nous ne l'avons pas fait. Nous n'avons pas étudié...
Une des choses, voyez-vous, qui est un problème dans un pays comme le Honduras, comme dans d'autres pays, est la mesure dans laquelle ils sont capables de faire ce que nous appelons l'analyse de renseignements criminels. Celle-ci est quasi inexistante en termes de leur capacité globale d'analyser, de réunir des données.
S'il y a une tendance, s'il s'agit d'une tendance...,
... il faut alors avoir la capacité technique de prendre les cas, de les réunir en un seul endroit et de commencer à les relier. Cette capacité n'existe pas au Honduras. Elle commence tout juste à exister au Guatemala.
Si vous voulez démolir les gangs — et nous parlons peut-être de 10 000, 15 000 ou 20 000 membres de gang — si vous allez démolir les clicas, vous devez le faire de façon systématique.
Nous avons eu au Guatemala un cas que vous pourrez trouver intéressant.
Nous les avions enfin amenés au point de procéder à l'analyse des renseignements criminels. Nous les avions formés et ils avaient commencé à le faire, puis 28 personnes ont été tuées dans une zone du Guatemala en deux mois. Elles ont toutes été tuées par le même gang. C'était un gang qui extorquait la impuesto de guerra, qui est la taxe locale. Une de ces personnes était la femme qui vendait des poulets dans le marché, une autre était un chauffeur de taxi, et une autre était...
Mais nous leur avons dit qu'ils ne pouvaient pas traiter indépendamment chacun de ces meurtres. Ils devaient commencer à établir les liens. C'est ce qu'ils doivent faire au Honduras.
La fin de la motion charge le sous-comité d'étudier la détérioration de la situation des droits de la personne au Honduras.
J'ai ici un rapport de la Commission inter-américaine sur les droits de l'homme. Le 15 mars 2013, cette commission a tenu une audience sur la situation des droits de la personne au Honduras. D'après le rapport produit, les participants à cette audience ont énuméré diverses situations de violation continue des droits au Honduras, notamment le droit des femmes, les droits politiques, les remèdes judiciaires, la violence généralisée et la militarisation.
On pourrait dire que la situation des droits de la personne au Honduras a empiré depuis le coup d'État de 2009. Convenez-vous qu'elle s'aggrave plutôt qu'elle s'améliore depuis 2009?
Je vais vous donner un exemple.
D'après nos statistiques les plus récentes, il y a 18 viols par jour au Honduras. Et en ce qui concerne la violence sexuelle à l'endroit des enfants, nous savons que 12 enfants par jour sont tués dans ce pays. Je dirais donc qu'en effet, la situation se détériore.
Quel conseil donneriez-vous au Canada? Comment pourrions-nous aider?
Comme vous le savez, les opinions varient à ce sujet. D'aucuns pensent que nous devrions travailler davantage avec les autorités et le gouvernement. D'autres disent que le gouvernement lui-même est un problème, et que nous devrions imposer des sanctions à ce gouvernement, et au moins ne pas tenter d'établir un libre-échange avec ce pays, et ainsi de suite.
De toute évidence, comme je fais ce travail, je préconise la participation.
J'ignore quelle voie il pourrait y avoir autre que la création de systèmes de justice fonctionnels. Et pour ce faire, il faut pouvoir fonctionner à différents niveaux. Il faut fonctionner à notre niveau, ce qui signifie que nous sommes effectivement dans les tranchées, faisant le travail quotidien. Il faut que notre gouvernement exerce des pressions politiques, autrement dit dénoncer certaines choses à certains moments et exercer des pressions. À mon avis, c'est très important. Plusieurs démarches sont nécessaires.
Mes préoccupations portent sur deux volets.
Tout d'abord, peut-on laisser un pays ainsi? Vous pouvez dire peut-être que le Canada n'est qu'un intervenant, que d'autres aideront et donc que nous n'avons pas à nous en inquiéter. Mais vous savez que c'est une région. Le triangle septentrional est une région. Le problème des gangs est le même dans les trois pays. Le problème que posent les narcos, et le transfert des drogues à travers le Guatemala et le Honduras, est qu'ils peuvent déplacer leurs activités. S'ils ont des problèmes au Guatemala, ils les déplacent au Honduras. C'est la même région.
Vous ne pouvez pas tout simplement dire qu'à cause de x et y, nous allons abandonner parce que nous ne savons pas si nous pouvons aider. La solution des problèmes du Honduras ne se trouve pas au Honduras seulement. Elle est dans les trois pays. Tous les trois pays sont en difficulté.
Certaines personnes disent que les entreprises canadiennes qui sont là-bas n'aident pas quelquefois.
Une des complexités dans la région... De toute évidence, le gros problème qui est toujours soulevé est l'exploitation minière, les sociétés d'exploitation minière et la très grande complexité de ce qui se passe dans ces sociétés.
J'ai constaté qu'à cause de cela, le Canada n'a pas une très bonne réputation. Les raisons sont nombreuses. Je crois que les sociétés essaient de faire de leur mieux, mais il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu.
Quand il y a un conflit au niveau de la communauté, cela est dû, en partie, au fait que les gens ne font pas confiance au système de justice. Par conséquent, si le système de justice entre en jeu et que les forces policières appuient la mine, vous vous trouvez d'emblée à avoir polarisé encore plus les gens contre la mine.
Toutes ces questions sont reliées les unes aux autres. Dans ce pays, dès que vous faites appel aux forces policières ou à l'État dans une affaire, vous compliquez brusquement les choses.
Ce n'est pas facile.
Nous n'avons plus de temps dans cette série. Nous en sommes à sept minutes et demie.
Monsieur Schellenberger, allez-y, s'il vous plaît.
Merci beaucoup. Votre témoignage m'a beaucoup rassuré sur certains points. Je crois que l'accord de libre-échange avec le Honduras est un bon pas. Il est beaucoup plus facile de travailler de l'intérieur que de l'extérieur.Vous travaillez à l'intérieur. Vous avez parfois à supporter certaines choses qui existent dans le pays, mais nous, Canadiens, ne pouvons arriver et dire comment faire les choses. C'est leur pays. Nous n'accepterions pas cela de quelqu'un qui vient chez nous.
Ceci étant dit, je sais que la pauvreté est grande dans les trois pays dont vous parlez. Le chômage est l'une des principales raisons pour lesquelles les gangs sont si répandus. Si on peut les aider économiquement à avancer, je crois bien que la primauté du droit viendra avec cette évolution. J'ai entendu des opinions venant de divers pays du tiers monde qui sont en conflit, et ceux-ci semblent tous avoir le même problème, la primauté du droit. Vous avez très bien décrit aujourd'hui comment les choses doivent être faites.
J'ai une question. Les procureurs ne sont pas élus. Ils n'ont pas un mandat de cinq ans, parce que cela serait probablement du gaspillage. Je crois que la façon dont vous abordez les choses en formant ces gens... et nous devons faire preuve de patience. Nous avons eu ici le président du conseil de Gildan, de l'industrie du vêtement. Le Canada a une grande participation dans l'industrie du vêtement au Honduras. Celle-ci occupe quelque 40 000 employés. Cette entreprise assure le transport de ses employés. Si ceux-ci prenaient l'autobus normal, ils n'arriveraient pas au travail.
Vous avez expliqué qu'à l'occasion, notre industrie d'exploitation minière pourrait avoir une mauvaise réputation. Elle fait de son mieux et fonctionne dans le contexte de la situation là-bas. Cependant, elle fournit des emplois. Nous devons tenir compte des montants qu'ils gagnent. Les travailleurs du vêtement gagnent près de 90 $ par semaine. Cela est bien plus que 1 $ ou 1,25 $ par jour, la moyenne là-bas.
L'accord de libre-échange et le fait que le Canada contribue à la création d'emplois au Honduras servent-ils vos intérêts particuliers?
C'est intéressant, car nos intérêts sont de les aider à obtenir la fonctionnalité de leur système. Il en découle des avantages aussi pour le Canada, car, de toute évidence, si vous n'avez pas une sécurité stable, il est difficile pour les entreprises de fonctionner. De nombreuses entreprises consacrent beaucoup d'argent à la sécurité. Au Guatemala, par exemple, il y a six gardes de sécurité pour chaque policier dans le pays. Nous parlons de milliards de dollars dans la région. C'est un problème. Si vous voulez les sortir de la pauvreté, vous devez avoir de la sécurité. Si les entreprises ne peuvent pas fonctionner, parce que les gens ont peur ou parce qu'ils consacrent des fortunes à essayer de se protéger, vous avez un problème. C'est une importante ponction sur le PIB. Cela nuit considérablement au développement. C'est un des problèmes.
Nous regardons cela du point de vue canadien. Le fait que, de toute évidence, une partie de ce travail porte en réalité sur la lutte contre le trafic des drogues nous intéresse. C'est une préoccupation du Canada. Il y a aussi la question de la relation des gangs avec le Canada. D'après tous les renseignements que je possède au sujet des gangs d'El Salvador, de leur présence dans plus de 20 États américains ainsi qu'au Canada, il y a un problème.
Il y a un certain nombre de choses qui ont des répercussions pour le Canada. Le travail que nous accomplissons aidera les entreprises à bénéficier d'une plus grande stabilité. La seule autre option est de faire ce qu'elles font, soit recruter des armées privées. Je ne crois pas que les gens peuvent vivre bien avec tout ce qui se passe. Il y a un plus grand nombre d'armes en circulation que pendant les pires années de la guerre civile. Il y a un plus grand nombre de meurtres que durant les pires années de la guerre civile.
Assurément, toutes les entreprises et activités de développement en bénéficieront. Vous n'avez pas le choix. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais c'est mon opinion.
Je sais que Gildan affirme appuyer un poste de police local. L'entreprise contribue à cela. Je ne pense pas que ce sont des gardes de sécurité privés. Je crois que c'est la force policière locale qu'elle appuie.
Là encore, je comprends. J'ai été aux Caraïbes plusieurs fois. Surtout en République dominicaine, quand on parle de gardes de sécurité, chaque centre de villégiature a des gens armés perchés au haut de tourelles chargés de protéger les gens qui s'y trouvent. Puis, quand vous voyez venir les forces policières locales... Je suis sûr qu'en République dominicaine aussi il y a plus de gardes de sécurité que de policiers.
Tout cela pour dire que je suis très heureux de la façon dont vous avez expliqué comment votre organisme fonctionne. Arriver à obtenir des résultats allant de 5 à 28 p. 100 est toute une réalisation, et je vous félicite de ce que vous arrivez à faire. S'il faut encore environ 10 autres années pour atteindre 50 p. 100, je dis que c'est comme cela qu'il faut procéder.
J'espère que le Canada pourra travailler dans la même veine pour aider à créer des emplois, à augmenter le taux d'emplois et à rétablir un climat de sécurité dans le pays.
J'ai une seule remarque à faire.
Pour le Canada, ce genre de travail est assez nouveau. Je ne pense pas que nous faisions cela auparavant en Amérique latine et je pense que la réputation du Canada dans la région est très solide. C'est ainsi qu'il est perçu, je crois.
Merci.
Avant que nous ne passions à la dernière personne qui posera des questions, j'ai moi-même quelques questions pour éclaircir quelque chose que vous avez dit il y a un moment, monsieur Craig.
Vous avez dit qu'il y a, au Guatemala au moins et, je pense, au Honduras aussi, un plus grand nombre de meurtres que durant la guerre civile. Est-ce que vous voulez dire un plus grand nombre de décès de tous types? Quand vous dites « Un plus grand nombre de meurtres », voulez-vous dire plus de personnes sont tuées maintenant qu'il n'y a eu d'assassinats et de victimes de la guerre civile pendant cette période? Est-ce cela que vous voulez dire, ou plutôt qu'un type de violence a diminué et un autre a augmenté?
Bien sûr, il y a eu au Guatemala la période extrême des massacres de 1981-1982, mais ça c'est autre chose.
Mais au cours de la guerre civile au Guatemala, si vous prenez le nombre de personnes tuées par année, la situation est... Cela m'a surpris, parce que, quand j'ai commencé en 1999 et en 2000, je pensais que les traités de paix ayant été conclus, les choses s'arrangeraient et progresseraient par la suite. Cependant, il y a eu l'expulsion des personnes de Los Angeles à l'El Salvador. La croissance des Mara Salvatrucha et des 18 gangs maras a explosé. On en évalue le nombre des membres à entre 50 000 et 150 000 dans les trois pays. Il y a une colonia qui compte 500 membres dans un gang, et 500 membres dans l'autre.
Les guerres civiles — 36 ans au Guatemala — ont détruit le tissu social. Les gens ont grandi dans la peur, et un phénomène que personne ne prévoyait s'est développé à cause de la pauvreté, du tissu social et de l'infiltration des gangs.
Ensuite, il y a bien sûr ce qui s'est passé récemment au Mexique, parce que cela a poussé les Zetas vers le sud dans certains cas. Les Zetas sont un des gangs les plus violents, et ils sont maintenant au Guatemala et en El Salvador. Bien sûr, ces genres de forces sont potentiellement écrasantes; voilà pourquoi... Je ne m'y attendais pas. Je n'avais aucune idée. Personne n'aurait pu le prévoir, je crois.
Merci.
Je voudrais simplement prévenir les membres que nous ne verrons pas 14 heures à l'horloge tant que M. Jacob n'aura pas fini ses questions. Cependant, si certains d'entre vous doivent retourner à la Chambre, je vous rappelle que nous n'avons besoin que de trois personnes ici pour entendre le témoignage.
Ceci étant dit...
[Français]
monsieur Jacob, vous avez la parole.
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Craig, d'être parmi nous aujourd'hui.
Plusieurs articles parus ces derniers jours dans des journaux comme le Los Angeles Times, The New York Times et The Guardian, au Royaume-Uni, ont qualifié le Honduras de démocratie des escadrons de la mort. À la lumière de plusieurs assassinats professionnels très connus, qui ont incité quelques observateurs à croire que ceux-ci avaient été commis par le gouvernement, même l'administration Obama aux États-Unis a été critiquée à cause de son financement et de son armement de la police hondurienne.
J'aimerais que vous expliquiez à mes collègues du sous-comité comment on peut mettre en oeuvre une réforme juridique dans une telle situation.
[Traduction]
Je crois que le seul moyen de le faire serait selon une démarche à deux volets. Il faut avoir, dans les rues, le genre de travail que nous faisons, et il faut avoir un autre niveau, comme celui de la commission, qui tente de responsabiliser le gouvernement au niveau politique. Il faut donc une démarche à deux volets. Ces deux volets doivent être exécutés dans le pays. Je ne crois pas qu'un seul volet réussirait. C'est mon avis.
En réalité, comme vous le savez, s'il y a des escadrons de la mort, par exemple, au sein des forces policières, ceux-ci peuvent être engagés dans des objectifs politiques ou d'autres objectifs, ou encore être simplement en train de tenter de faire de l'argent. À toutes fins pratiques, ce sont des hommes d'affaires qui kidnappent les gens, par exemple. C'est ce qui se passe dans bon nombre de ces pays. Quelquefois c'est politique et d'autres fois c'est simplement un moyen de faire beaucoup d'argent; c'est une activité secondaire. Ces choses doivent être amenées au grand jour et réglées. Mais, comme je l'ai dit plus tôt, les faire ressortir sans que la population ne dispose d'une fonctionnalité fondamentale ne constitue pas une démarche fonctionnelle.
Je suis peut-être d'un optimisme naïf, mais je crois que tout le monde veut que l'assassinat de membres de la population en général cesse. Si nous pouvons établir une base là-bas, et même s'il est plus difficile de traiter à cet autre niveau, nous devons commencer à créer quelque chose qui fonctionne. Nous devons commencer à bâtir, étape par étape.
Quand j'ai commencé ce travail en 2000, ils avaient créé une commission guatémaltèque de la transparence et de la lutte contre la corruption. C'était une commission de haut niveau, plus élevé que le Ministerio Público, mais le système n'a pas fonctionné. J'ai donc dit bon, vous pouvez désigner cette personne puis vous en débarrasser, mais vous n'aurez toujours pas quelque chose qui fonctionne.
Je pense qu'il est nécessaire d'avoir plusieurs stratégies, dont une stratégie de lutte contre la corruption. Une autre serait le ciblage de ces forces, et ce sont des forces sinistres. Un grand nombre d'entre elles, à mon avis, seraient politiques. Mais d'autres sont simplement des gens qui essaient de faire de l'argent; le kidnappage, par exemple, peut rapporter beaucoup d'argent. Je crois que ces deux stratégies doivent être suivies.
[Français]
Merci.
Comme il me reste encore quelques minutes, je vais donc vous poser une deuxième question.
Sur le plan international, quels sont les risques précis pour la réputation du Canada si nous nous engageons comme nous l'avons fait avec un tel régime?
[Traduction]
Je dirais qu'il y a différents types de risques. Il y a certainement le risque de gaspiller notre argent. De toute évidence, ceux d'entre nous qui faisons ce travail ne voulons pas gaspiller notre temps et notre argent à travailler dans des endroits où cela ne sert à rien. Nous sommes catégoriques là-dessus. Nous leur disons que s'ils ne sont pas prêts à s'engager à ce sur quoi nous nous entendons, nous nous en irons. Nous exerçons sur eux beaucoup de pressions parce que nous sommes tout à fait conscients du fait que ce sont des fonds canadiens; pourquoi donc les gaspillerions-nous? C'est un risque sur le plan financier.
Les choses deviennent plus délicates, à mon avis, quand il s'agit de technologies plus poussées comme l'écoute électronique. Dans le cas du Honduras, ce sont les Américains qui le font, et non le Canada. On peut dire que les choses peuvent être utilisées à plus d'une fin. C'est une chose qui a été cause d'inquiétude au Guatemala, à un moment donné, au sujet d'un procureur général, mais des gens ont exercé des pressions et ils ont pu régler la question.
À mon avis, ce travail est compliqué. Il s'accompagne de risques, mais j'estime que nous avons bien plus à gagner en tant que pays en participant. Notre approche diffère certes de celle de nos voisins du sud, et je crois que notre image est différente à cause de cela. Nous avons l'occasion de faire des choses que d'autres ne peuvent pas. À mon avis, il y a des risques et, certaines choses pourraient mal tourner, sans aucun doute. Parallèlement, nous sommes assez proches d'eux, et avons une collaboration suffisamment étroite pour que nous ayons au moins un créneau d'intervention.
C'est tout ce que je peux dire.
[Français]
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