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Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité.
Je suis heureuse de l'occasion qui m'est donnée de collaborer à l'étude du projet de loi , Loi favorisant l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens.
Je tiens à souligner que notre rencontre d'aujourd'hui se déroule sur le territoire traditionnel des Algonquins.
Vous avez déjà présenté les collègues qui m'accompagnent aujourd'hui. Notre choix s'est arrêté sur eux parce qu'ils se spécialisent dans les questions touchant nos travaux et nos initiatives pour les Autochtones.
[Français]
Un consensus semble se dégager des nombreux témoignages que vous avez entendus au sujet du projet de loi , à savoir que ce projet de loi est une réponse législative bien précise à une ordonnance bien précise.
À notre avis, ce que la commission a de mieux à vous offrir, en comparaissant devant vous, est de vous indiquer comment notre processus de traitement des plaintes peut être mis à profit pour donner suite aux allégations de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens.
Je vais commencer par une brève description de notre rôle et de notre mandat.
La Loi canadienne sur les droits de la personne a 33 ans. Cette loi, qui a donné naissance à la Commission canadienne des droits de la personne, lui donne le mandat de recevoir et de traiter les plaintes de discrimination en emploi et dans la prestation de services. La loi charge également la commission d'exercer toute autre activité permettant de réaliser l'objet de la loi.
[Traduction]
L'objet de la loi est défini à l'article 2, et les rédacteurs ont fait preuve d'une grande perspicacité au moment de le rédiger. En voici le libellé: « La présente loi a pour objet de donner effet au principe selon lequel tous les individus ont le droit à l'égalité des chances d'épanouissement, à l'abri de la discrimination. »
La Commission canadienne des droits de la personne fait partie du réseau étendu de protection des droits de la personne au Canada. Chaque province et territoire possède sa propre forme de commission ou de tribunal. Notre commission a un mandat bien précis. La LCDP prévoit 11 motifs de discrimination. Les motifs qui concernent plus directement le projet de loi et notre discussion d'aujourd'hui sont le sexe, l'âge, l'état matrimonial, y compris l'union de fait, et la situation de famille.
Comme la situation de famille est un motif très vaste, je vais vous en donner une définition. La situation de famille désigne la relation réciproque qui découle des liens du mariage, des liens du sang et de l'adoption légale, y compris les relations ancestrales, qu'elle soit légitime, illégitime ou par adoption. Elle englobe également les relations entre conjoints, frères et soeurs, beaux-parents, oncles ou tantes, neveux ou nièces, et cousins ou cousines.
Les organisations qui relèvent de notre mandat incluent tous les ministères et organismes fédéraux, plus les sociétés qui exercent leurs activités dans les secteurs sous réglementation fédérale, tels les transports, les banques et les télécommunications. Ainsi, tout utilisateur de services ou employé de ces organisations qui estime avoir été l'objet de discrimination pour l'un des motifs énumérés dans la loi peut déposer une plainte auprès de la commission.
La commission reçoit, trie et traite des plaintes. Nous ne statuons pas sur les plaintes. Ou bien nous les rejetons, ou bien nous les soumettons à la conciliation ou nous les renvoyons, pour complément d'enquête, au Tribunal canadien des droits de la personne, qui est entièrement indépendant de nous.
[Français]
Pour donner effet au principe énoncé à l'article 2 de la loi, la commission s'emploie également à assurer la promotion et l'avancement des droits de la personne au Canada. Nous menons des actions d'information et de sensibilisation publiques. Nous collaborons avec les milieux de travail pour favoriser et instaurer une culture des droits de la personne, une culture où ces droits sont intégrés au quotidien. Nous produisons de la recherche, des politiques et des outils. Nous offrons des conseils au Parlement. « Une question de droits », le rapport spécial que nous avons présenté au Parlement en 2005, rapport où nous demandions l'abrogation de l'article 67, en est un exemple.
[Traduction]
Cela dit, je souhaite maintenant aborder ce que la commission peut faire par rapport aux allégations de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens.
Pendant 30 ans, nous ne pouvions rien faire à cet égard. Les choses ont changé lorsque l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été abrogé en 2008. Comme vous le savez déjà, l'article 67 empêchait les personnes qui vivaient ou travaillaient dans des collectivités régies par la Loi sur les Indiens de déposer une plainte de discrimination si leur cas portait sur cette loi. Cet article avait été ajouté pour éviter temporairement de nuire aux discussions sur la réforme de la Loi sur les Indiens.
Grâce à l'abrogation de l'article, plus de 700 000 Autochtones assujettis à la Loi sur les Indiens ont finalement obtenu la pleine protection de leurs droits humains au Canada. Le texte de loi qui a abrogé l'article 67 prévoit une période de transition de trois ans, ce qui signifie que les plaintes contre des gouvernements des premières nations ne pourront pas être déposées avant juin 2011. Cependant, les Autochtones ont obtenu le droit de porter plainte contre le gouvernement fédéral dès l'abrogation.
Nous recevons déjà des plaintes concernant l'administration, par le gouvernement fédéral, des programmes et services en vertu de la Loi sur les Indiens. Ainsi, nous avons très vite acquis de l'expérience quant au traitement de ces plaintes.
Le comité a entendu des témoignages sur le processus de traitement des plaintes adopté par la commission comme mécanisme déjà en place pour régler les cas de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens, y compris tous les cas possibles de discrimination résiduelle non prévus par le projet de loi . Je suis venue ici aujourd'hui surtout pour vous prévenir que rien n'est moins certain. Il n'est pas sûr que la commission sera en mesure de remédier aux allégations de discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens.
Depuis l'abrogation de l'article 67, des personnes ont fait valoir que cette question n'entrait pas dans le champ de compétence de la commission. En voici un exemple. La commission a reçu plusieurs plaintes relativement au statut d'Indien. Trois de ces plaintes ressemblent à l'affaire McIvor, dans le sens que toutes portent sur le statut d'Indien et soulèvent des questions de discrimination résiduelle découlant de l'adoption du projet de loi C-31. Nous avons renvoyé ces trois plaintes au tribunal.
Le procureur général du Canada a fait savoir qu'il contesterait la compétence de la commission sur cette question, alléguant que la détermination du statut par le registraire n'est pas un service au sens de l'article 5 de la LCDP.
Comme je l'ai déjà dit, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit des processus de traitement des plaintes seulement lorsqu'il s'agit de discrimination liée à l'emploi ou aux services. Par conséquent, si une cour de justice décidait que la détermination du statut n'est pas un service, la commission n'aurait plus le pouvoir d'accepter les plaintes relatives au statut d'Indien.
On peut logiquement prévoir que cela pourrait soulever des questions semblables, comme de savoir si la détermination de l'appartenance à une bande constitue un service ou non. La commission intervient en ce moment dans une affaire soumise au tribunal, pour le bien de l'intérêt public, en vue de présenter une analyse juridique démontrant que la détermination du statut est effectivement un service.
Bien sûr, la commission ne peut avoir le dernier mot quant à ce qui est de sa compétence, et l'on ne doit pas voir dans mon commentaire un indice de ce qui se passera. Nous pouvons tout de même nous attendre à ce qu'un enjeu aussi complexe et important soit renvoyé, après la décision du tribunal, à la Cour fédérale et à la Cour d'appel fédérale, et même à la Cour suprême du Canada.
Pour terminer, je voudrais soulever deux autres points.
Tout d'abord, la commission appuie un examen approfondi de la Loi sur les Indiens jusqu'à ce que l'on adopte une approche de gouvernance qui reconnaît aux premières nations le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et ce, pour plusieurs raisons.
[Français]
Comme on l'a déjà dit au comité, la Loi sur les Indiens a donné lieu à de la discrimination, y compris de la discrimination résiduelle fondée sur le sexe. Une approche visant à corriger au cas par cas, article par article, des dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens sera coûteuse, conflictuelle et prendra du temps.
De plus, la loi impose le fardeau de la preuve aux plaignants qui n'ont pas toujours accès à des ressources juridiques.
[Traduction]
Sans le courage, la persévérance et la détermination de gens comme Mme Sharon McIvor, bon nombre de ces questions de longue date ne seraient jamais réglées.
Cette approche sans plan d'ensemble donne peu de résultats, surtout lorsque la situation touche un grand nombre de personnes. La commission souhaiterait une approche proactive et systématique, qui nécessiterait la pleine participation des Autochtones, qui s'appuierait sur les connaissances existantes et qui produirait des changements réels et opportuns. La commission sait bien qu'il faudra du temps pour y arriver.
Finalement, la commission s'intéresse beaucoup au plan annoncé par le gouvernement concernant un processus exploratoire et elle souhaite vivement en apprendre davantage sur sa portée et ses objectifs. Elle est prête à donner toute l'aide qu'elle pourra, dans les limites de ses pouvoirs et de son domaine de compétence.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Puis-je d'abord situer les choses en contexte?
Si le projet de loi est adopté, la commission peut continuer à recevoir des plaintes concernant la disposition relative au statut d'Indien. Cela pourrait inclure la discrimination résiduelle alléguée que les témoins ont soulevée au comité, en raison de la préférence historique accordée aux hommes en vertu de la Loi sur les Indiens.
Notre loi comporte une disposition, l'alinéa 41b) qui nous permet d'instruire une plainte selon des procédures prévues par une autre loi du Parlement, en l'occurrence la Loi sur les Indiens. Par conséquent, si les faits de la plainte laissent entendre qu'un plaignant a des chances d'obtenir le statut par suite de l'adoption du projet de loi , la commission pourrait l'obliger à faire nouvelle demande pour obtenir le statut d'Indien en vertu des nouvelles règles, comme point de départ.
Maintenant, si après l'application de la Loi sur les Indiens, le plaignant est toujours convaincu que les résultats de la disposition relative au statut sont discriminatoires, il peut retourner devant la commission. Nous examinons alors... À l'heure actuelle, ce qui risque de se produire, c'est que le procureur général pourrait soutenir que ce n'est pas un service au sens de la loi; si une cour rend cette décision, cela signifie que les plaignants ne pourraient pas comparaître devant la Commission canadienne des droits de la personne.
Supposons qu'un plaignant se rende jusqu'au tribunal et que le tribunal envisage d'accorder la réparation. C'était d'ailleurs la première partie de votre question — avons-nous examiné l'article 9? Nous craignons que l'article 9 limite la capacité des personnes qui bénéficient du projet de loi d'exercer des recours auprès du Tribunal canadien des droits de la personne.
Selon toute vraisemblance, l'article limiterait également la compensation dans le cadre des règlements par voie de médiation parce que ce serait utilisé... Comme vous pouvez l'imaginer, nous encourageons les parties à dialoguer, dans la mesure du possible, afin de faciliter les processus de règlement. Peu importe le type de médiation, dès qu'il y a un article de ce genre, les intimés ne manqueront pas d'exprimer leur désaccord face aux recours parce qu'ils peuvent invoquer l'article 9. La loi ne les y oblige pas.
Les recours que le tribunal pourrait... Je ne sais pas si vous souhaitez que je vous parle des types de mesures correctives que le tribunal pourrait ordonner, mais...
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie d'être venue témoigner devant le comité.
Vous avez parfaitement raison: cette question est très complexe. Je ne suis pas avocate, et je suppose qu'en ma qualité de profane, je suis vraiment troublée de constater que nous sommes confrontés à ce que j'appellerai une discrimination résiduelle présumée que tout le monde semble avoir remarquée. Nous faisons face à toutes sortes de cas de discrimination résiduelle présumée, qu'il s'agisse de cas possibles de discrimination fondée sur la situation de famille dont l'Association du barreau canadien a parlé et que vous avez fait ressortir dans votre exposé, ou de cas de discrimination fraternelle chez les Abénaquis. En outre, les cas de paternité non déclarée sont problématiques, ce qui complique les choses.
J'aimerais vous poser une question concernant les droits de la personne. Comme le ministre l'a indiqué, je crois, 14 causes découlant de diverses plaintes liées au statut cheminent à l'heure actuelle dans le système judiciaire. Vous avez été saisie de plusieurs affaires relatives au statut que vous avez renvoyées au tribunal. Y a-t-il eu également des cas touchant à la citoyenneté?
Une voix: Non.
Mme Jean Crowder: Donc, seul le statut est contesté.
Compte tenu de l'abrogation de l'article 67, les gens ont donc deux options en ce moment. Ils peuvent aller devant les tribunaux ou déposer une plainte. Vous avez mentionné au cours de votre exposé que vous aviez hâte que chaque cas suive son cours. Nous pouvons procéder petit à petit, cas par cas, modifier la Loi sur les Indiens et en subir peut-être les conséquences involontaires, comme cela a été le cas pour le projet de loi .
Ou, comme vous l'avez suggéré, nous pourrions adopter une approche plus globale. Pourriez-vous nous donner quelques précisions à ce sujet-là? Parce que le processus exploratoire dont vous avez parlé ne jouit pas nécessairement du soutien de beaucoup de personnes; on ne considère pas qu'il s'agit de consultations. Pourriez-vous faire quelques recommandations? Encore une fois, il se peut que cela dépasse votre domaine de compétence. Si vous ne pouvez pas recommander quoi que ce soit, pouvez-vous parler un peu des solutions, parce que celles-ci ne modifieront pas nécessairement la loi, n'est-ce pas?
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C’est un très beau coin — je vous félicite.
Je veux discuter des observations de M. Russell au sujet de la clause 9 du projet de loi , parce que presque chacune d’entre elles déforme la vérité. La clause 9 est très limitée et, quand on la lit, elle est très claire.
Elle traite seulement de compensation monétaire découlant de diverses dispositions du projet de loi C-3, uniquement dans le contexte de l’appartenance, et elle protège non seulement Sa Majesté, mais aussi les conseils de bande. Si les conseils de bande examinent les ramifications du projet de loi C-3, ils constateront que celui-ci les rend complètement vulnérables, aussi vulnérables que le gouvernement, et cela est très préoccupant.
Le projet de loi C-31 possédait le même genre de clauses prohibant les compensations, et elles n’ont suscité aucune controverse. Elles ne préviennent nullement les contestations juridiques.
La plupart des changements qui seraient apportés à la Loi sur les Indiens dans le cadre du projet de loi seraient toujours contestables devant les tribunaux; seule la question de la compensation monétaire, qui date essentiellement de 1985, serait remise en cause. Je voulais simplement apporter ces précisions.
Dans le même ordre d’idées, j’ai été frappé lorsqu’au cours de votre témoignage, vous avez dit, je crois, que ce n’était pas vraiment la compétence de la Commission des droits de la personne qui était problématique, mais plutôt les solutions apportées par le Tribunal canadien des droits de la personne. Avez-vous dit cela en général ou par rapport à la clause 9? Qu’entendiez-vous par là?
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Je vais donner un exemple général et ensuite je pourrai aussi parler du projet de loi .
Cela veut dire que nous ne recevons pas de plaintes... Laissez-moi vous présenter la question sous un jour positif. Nous sommes responsables des plaintes si elles sont fondées sur un des 11 motifs énumérés — la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille, etc. — et la discrimination présumée doit s'être produite en milieu de travail ou dans le contexte d'un service.
Prenons pour exemple les banques. Si je travaille dans une banque et j'estime ne pas avoir obtenu de promotion ou quelque chose du genre, je pourrais porter plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Si je suis une cliente de la banque et que j'estime qu'à l'occasion de l'une de mes visites, l'on m'a fait attendre trop longtemps en raison de la couleur de ma peau ou quelque chose du genre, je pourrais porter plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.
Si je suis une femme qui travaille dans l'industrie du transport routier et que je crois être victime de discrimination, je peux porter plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, car les emplois et les services offerts sont de notre ressort.
Cependant, si vous êtes propriétaire du motel ABC et en refusez l'accès à des gens d'un certain groupe, l'affaire ne nous est pas présentée. Il s'agit d'un service, mais qui ne relève pas de notre compétence. C'est cela un service.
Lorsque nous abordons les détails précis du statut et du financement, c'est là que le procureur général soutient qu'il ne s'agit pas de services. Je vais vous donner un exemple de service.
Trois des plaintes que nous avons déposées récemment au tribunal sont dans la même veine que les plainte de McIvor — deux frères et une soeur — et le procureur général du Canada a déposé une requête en sursis de la procédure du tribunal jusqu'à ce que le projet de loi ait été adopté. Le procureur général a indiqué qu'il se penchera sur la question pour déterminer si le statut d'Indien est un service au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C'en est un. Maintenant, dans ces trois affaires, ils recevraient tous le statut d'Indien grâce au projet de loi C-3, d'où la demande de sursis. Voilà un type de service.
Nous avons présenté une autre affaire au tribunal pour déterminer si le financement offert par le gouvernement fédéral est un service. Elle se rapporte aux enfants autochtones en famille d'accueil. Il s'agit de l'affaire de l'aide à l'enfance et à la famille. On allègue qu'Affaires indiennes et du Nord Canada fait de la discrimination à l'égard des enfants autochtones en offrant un financement inadéquat aux services d'aide sociale à l'enfance; on allègue aussi que la formule de financement donne lieu à un sous-financement des services visant à garder les familles unies et à un excédent de financement des services visant à placer les enfants en famille d'accueil.
Encore une fois, on va soutenir qu'il ne s'agit pas d'un service, que le financement n'en est pas un. En fait, les tribunaux ont défini au sens assez large les services gouvernementaux comme des services; par contre, il serait possible de préciser cette définition. C'est ce que nous attendons de découvrir par l'intermédiaire des tribunaux.