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Mesdames et messieurs, nous allons reprendre nos travaux du Comité permanent des anciens combattants.
J'aimerais attirer votre attention sur certains points avant d'accueillir notre invité, le témoin d'aujourd'hui, M. Chadderton.
Mercredi prochain, nous avions prévu une réunion avec une délégation de nos homologues russes. Cette réunion est annulée, les membres de la délégation ayant été refoulés à l'aéroport. Je crois que la situation est tendue à Moscou, en ce moment. Nous ignorons ce qui se passe exactement, mais je suppose que cela a à voir avec la présence de soi-disant espions russes dans la République de Géorgie. Ce sont des événements extraordinaires, et nous aurions ardemment souhaité que nos collègues russes nous donnent des explications, mais ils sont dans l'impossibilité de venir.
Ceux d'entre vous qui souhaiteraient connaître le fin mot de l'histoire devront attendre à demain parce que je pense que l'ambassadeur de Russie tiendra une conférence de presse sur la Colline parlementaire concernant la délégation Canada-Russie.
À la fin de notre réunion d'aujourd'hui, nous prendrons quelques minutes pour discuter de la situation ainsi que des retombées éventuelles.
Ceci dit, nous accueillons notre témoin, Cliff Chadderton, le directeur général de l'Association des Amputés de guerre et président du Conseil national des associations d'anciens combattants au Canada. M. Chadderton est un porte-parole très en vue des anciens combattants depuis de nombreuses années. Il a beaucoup fait pour aider les anciens combattants ainsi que les enfants ayant été amputés.
Le Conseil national des associations d'anciens combattants au Canada, dont il est le président, compte plus de 50 associations d'anciens combattants, dont l'Association canadienne des anciens combattants de Hong Kong, la Bomber Command Association of Canada, les Anciens combattants de l'Association de la Marine marchande canadienne Incorporée, l'Association nationale d'anciens combattants autochtones, l'Association canadienne des vétérans de la Corée, et ainsi de suite.
Je souligne que M. Chadderton a donné son appui au projet d'une déclaration des droits des anciens combattants et à la nomination d'un ombudsman des anciens combattants, et j'imagine qu'il nous entretiendra aujourd'hui du comité Woods et de ses efforts entourant les conclusions de ce comité. Je note également qu'il a pris position en faveur de l'extension des services admissibles dans le cadre du PAAC à toutes les veuves d'anciens combattants gravement handicapés. Et je lui sais gré des commentaires qu'il a faits, antérieurement, au sujet du rôle qu'a joué le Canada dans l'offensive du bombardement au cours de la Seconde Guerre mondiale et de la manière dont on a réglé cette question ou dont on s'en est occupé.
Je cède maintenant la parole au témoin, monsieur Chadderton.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Conformément à la règle que je me suis établie moi-même, il y a des années, je ne lis jamais de texte. Je m'inspire néanmoins de quelques notes durant mon exposé. Je les ai apportées, en anglais et en français, pour le bénéfice des membres du comité, car je compte m'en servir durant les dix minutes qui me sont accordées pour vous expliquer comment nous voyons le poste d'ombudsman.
Sur la première page, vous voyez la liste des 25 organisations qui forment le conseil national. Et maintenant, pour entrer dans le vif du sujet, nous sommes ici aujourd'hui pour demander au comité de considérer la désignation d'un ombudsman pour rendre les décisions finales quant aux demandes de prestations disponibles en vertu de la législation du ministère des Anciens combattants. Depuis six ou huit mois, cette question suscite beaucoup d'intérêt et a été au coeur de réunions que nous avons tenues avec le Cabinet du Premier ministre et du ministre des Anciens combattants. Ils sont donc parfaitement au courant de notre position sur le rôle d'un ombudsman et sur sa raison d'être.
Je vais poursuivre et je répondrai à vos questions, à la toute fin, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Au cours de la récente campagne électorale, de bonnes recommandations ont été faites quant à la désignation d'un ombudsman. La population et les médias semblaient prêts à accepter cette proposition. À ma connaissance, c'est la première fois que la nomination d'un ombudsman est carrément suggérée à titre de solution de rechange aux divers tribunaux qui relèvent aujourd'hui du ministère des Anciens combattants. Comme l'a mentionné le président, nous allons vous parler des travaux du comité Woods, le comité ayant été chargé de l'étude de l'organisation et du travail de la Commission canadienne des pensions. Ce comité s'est réuni durant trois longues années, de 1963 à 1965. J'ai eu le privilège d'en être le secrétaire, et de travailler sous les ordres du juge Mervyn Woods qui siégeait à la cour d'appel de la Saskatchewan.
Les gens se posent encore des questions sur le rôle d'un ombudsman. Je vais tenter d'y répondre au cours de mon exposé.
Je vous ai d'abord parlé du comité Woods, mais je devrais également mentionner le juge Walter Lindal qui faisait lui aussi partie du comité. Il est décédé aujourd'hui. Il est reconnu partout dans le monde comme expert en ce qui concerne le rôle des ombudsmans. Je me suis rendu en Suède en sa compagnie dans le cadre de mon travail pour le comité. C'est alors que j'ai compris que le juge Lindal saisissait très bien pourquoi l'ombudsman serait un bonne alternative.
L'aternative en question était que le comité Woods était à la recherche d'un autre organisme d'appel. Il restait à déterminer si on allait opter pour un organisme semblable au tribunal des anciens combattants (révision et appel) ou si, au contraire, on allait emprunter la voie de la nomination d'un ombudsman.
Si vous souhaitez obtenir une référence à ce sujet, vous trouverez dans mon rapport une interprétation présentée par un expert juridique très réputé au Royaume-Uni, le meilleur que l'on puisse trouver sur cette question de l'ombudsman. Je vais tout simplement vous la lire, parce qu'elle est brève : « Le Conseil — c'est-à-dire l'ombudsman — est un organisme consultatif, n'ayant ni autorité adjudicative ou exécutive, et n'est, en aucune manière, un tribunal supérieur ni une cour d'appel pour les tribunaux. » Il s'agit plutôt d'un organisme supplémentaire qui possède une connaissance extrêmement pointue de l'ensemble du processus des pensions, entretient des relations avec le Ministre et le Parlement, et qui est désigné suivant un processus que je vais vous expliquer.
Je prends la liberté de vous dire, après avoir moi-même participé au processus d'adjudication durant trois ans à la Commission canadienne des pensions, qu'il ne fait aucun doute que le système fonctionne, et que je ne peux imaginer un système plus juste ou plus efficace — que ce soit pour le gouvernement ou pour le requérant, ou même pour les procureurs qui évoluent dans le système.
Soit dit en passant, la définition donnée par M. Garner semble être la plus reconnue mondialement. Je n'ai pas encore assisté à une conférence où le sujet de l'ombudsman est abordé sans que le nom de M. Garner évoque quelque chose dans l'esprit de tous. Je vous l'affirme, c'est manifestement un expert en la matière.
À la page 3 de mon résumé, si vous le suivez — même si ce n'est pas vraiment nécessaire — je mentionne quelques considérations soulevées habituellement. Premièrement, le temps requis pour l'établissement d'un ombudsman. Au sein du comité Woods, nous essayions de trouver une alternative à la Commission des pensions et au comité de révision. Lorsque nous nous sommes penchés sur toute la question de l'ombudsman, nous avons réalisé que si le système fonctionnait, il serait une excellente solution de rechange à ces tribunaux à tous crins à tous ces autres organismes que nous avons mis en place depuis 1924 et n'ont jamais vraiment donné entière satisfaction.
L'une des questions revenant constamment est celle qui porte sur le pouvoir d'adjudication de l'ombudsman. Oui, un ombudsman peut adjuger. Il peut conseiller. Il peut s'adresser au Ministre et lui dire: « Je pense que vous devriez faire ceci, ou cela ». Il peut revenir devant les procureurs et leur dire : « Je pense que vous ne devriez pas faire ceci. » ou encore, « Je pense que vous devriez faire cela ».
La question qui vient ensuite est la suivante, qu'en est-il des services administratifs? Beaucoup de problèmes que nous avons décelés dans l'administration des pensions depuis que je m'y intéresse, c'est-à-dire depuis une bonne cinquantaine d'années, découlent de l'interprétation donnée par l'administration. Autrement dit, combien de personnes devraient être nommées pour effectuer ceci ou cela? Quelles devraient être les responsabilités des services administratifs par rapport aux services de l'adjudication ou des services juridiques? L'ombudsman serait parfaitement qualifié pour s'occuper de ce genre de questions.
Les procédures d'opposition? Non, pas du tout. L'ombudsman n'agit pas comme représentant du requérant ou du gouvernement, et il ne participe pas aux audiences lors des procédures accusatoires.
Les relations de travail s'articuleraient à trois niveaux: premièrement, il entretiendrait une collaboration de travail utile avec le ministre des Anciens combattants. Deuxièmement, il jouerait un rôle très actif dans les rouages du Ministère, que l'on appelle habituellement, le bureau des Anciens combattants.
Pour ce qui est des organisations d'anciens combattants, la même chose s'applique. Ce serait une grave erreur, à notre avis, que l'ombudsman travaille de façon isolée et qu'il ne tienne pas les organisations d'anciens combattants au courant de ses efforts. Il devrait avoir pleinement accès à ce que font les organisations d'anciens combattants, et elles de leur côté devraient pouvoir lui dire librement ce qu'elles pensent de telle ou telle politique, et éventuellement lui faire des suggestions d'améliorations.
Donc, l'ombudsman entretiendrait une collaboration de travail utile avec le Ministre, avec le bureau des Anciens combattants ainsi qu'avec les organisations d'anciens combattants.
Essentiellement, monsieur le président, et mesdames et messieurs, il pourrait agir comme représentant indépendant pour le compte du ministre des Anciens combattants. La procédure de l'ombudsman pourrait généralement être considérée comme exécutoire une fois que le demandeur a exercé tous ses droits procéduraux en vertu de la Loi pour faire avancer son dossier.
L'ombudsman serait autorisé à mener ses propres enquêtes et, vous pourriez me faire remarquer qu'il agirait un peu comme un homme-orchestre et qu'il aurait beaucoup de pain sur la planche. Pas nécessairement, mais il devrait toutefois avoir accès à tous les dossiers du Ministère; il devrait pouvoir mener ses propres enquêtes, au besoin, et le moment venu de livrer ses décisions, il devra faire preuve de transparence et expliquer au requérant pourquoi les décisions ont été prises, en faire rapport au Ministre, et ainsi de suite.
La question du réexamen est toujours épineuse dans le domaine de l'adjudication des pensions aux anciens combattants. Ce que tous souhaitent savoir finalement c'est : « On a refusé ma demande. Puis-je demander un réexamen de mon dossier? » L'ombudsman aurait l'autorité voulue, après examen, de réouvrir le dossier. Par conséquent, le rôle de l'ombudsman est d'offrir une ultime possibilité de recours.
Je vais essayer de conclure le plus rapidement possible. J'ai presque terminé.
L'ombudsman devra publier un rapport trimestriel adressé notamment au Parlement. Son rapport serait public et transparent; il serait publié dans les deux langues officielles, bien entendu. Dans les pays où les ombudsmans sont efficaces, il est considéré comme un agent du Parlement.
De manière générale, l'ombudsman doit prévaloir sur la commission afin qu'elle fasse son travail. Il ne doit pas, toutefois, faire le travail à sa place. Après une période d'essai de deux ans, on pourra réexaminer la nomination de l'ombudsman afin que ce dernier ne décide pas de s'asseoir sur ses lauriers et de mener sa barque tout seul.
Concernant sa désignation, nous avons trouvé intéressant que pour chaque ombudsman que nous avons étudié, la nomination avait été faite par le gouverneur en conseil, sur la recommandation du Parlement. Cette désignation devrait être apolitique. L'ombudsman pourrait être destitué, bien sûr. Il serait autorisé à obtenir des avis médicaux et juridiques le cas échéant.
Pour ce qui est du titre, nous réalisons qu'il est très important de choisir une désignation que tout le monde puisse comprendre. Dès que l'on mentionne le terme « ombudsman », tout le monde comprend au moins que cela fait référence à une autorité supérieure, jouissant de pouvoirs étendus. Mais, vous remarquerez que tous les systèmes faisant appel à des ombudsmans comportent des freins et contrepoids.
Concernant le refus d'enquête -- je dirais, monsieur le président et messieurs, que l'un des aspects les plus exaspérants de notre régime de pensions est l'insistance d'un requérant pour que l'on s'occupe de son dossier. En ce moment, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est forcé de se pencher sur le dossier si on le lui confie. Un ombudsman aurait le pouvoir de dire au requérant : « Je regrette, mais vous avez épuisé tous les recours; vous avez obtenu un traitement équitable, et il n'est pas dans l'intérêt du public de poursuivre l'étude de ce dossier ». Naturellement, cette approche comporte des inconvénients, notamment dans les situations très chargées politiquement parce que le requérant pourrait toujours s'adresser à son député et lui demander de défendre sa cause. Il ne faut pas oublier cependant que le député a eu son mot à dire dans la nomination de l'ombudsman. Ça ne règle pas tous les problèmes, comme on le sait, mais le refus d'enquête est une composante essentielle.
Voici, monsieur le président et messieurs, l'essentiel de mon exposé. Il s'agit d'un condensé de tous les points que vous trouverez dans le rapport du juge Lindal qui a été publié en 1976. Il y a un autre document que j'aimerais porter à votre attention parce qu'il a obtenu beaucoup de publicité à l'époque de la publication du rapport du comité Woods, il se trouve sous la rubrique « Remarque ».
Selon moi, l'ombudsman ne devrait pas pouvoir intervenir sur deux aspects de notre législation sur les pensions. L'un de ces aspects concerne l'esprit et l'intention de la loi. À titre de défenseur des anciens combattants, je suis ici pour vous confirmer que l'esprit et l'intention de la Loi sur les pensions ont été pris en compte. Je pense qu'il y a eu des problèmes, naturellement, mais que de manière générale, on a toujours respecté l'esprit et l'intention.
L'autre aspect est, bien entendu, le bénéfice du doute. Le bénéfice du doute est très difficile à définir et entre autres choses, il s'applique uniquement dans les causes juridiques. Autrement dit, un requérant ne peut fonder sa demande sur le fait que ses documents ont été égarés, ou quelque argument du même genre. Il existe une procédure dans un cas semblable, mais elle ne repose pas sur le bénéfice du doute.
L'autre aspect à considérer est celui des traditions du bureau. Lorsqu'elles ont été établies, le rapport du comité Woods a trouvé que les traditions du bureau avaient énormément de poids. Une fois que l'ombudsman avait présenté son rapport -- l'ombudsman doit le faire -- tout était dit. Les médias pouvaient voir ce qui se passait. L'ombudsman doit publier son rapport, et ce n'est qu'une fois qu'il a terminé son travail que l'on peut se poser la question à savoir quelle sera la ligne de conduite à adopter désormais.
J'ai tenté d'expliquer tout cela dans cette remarque, parce qu'il s'agit d'un résumé du déroulement des choses. Maintenant, la nomination d'un ombudsman n'a pas été le premier choix du comité Woods. Il a plutôt recommandé la création d'un tribunal des anciens combattants (révision et appel), et ce tribunal devait disposer de tous les pouvoirs d'interprétation, d'adjudication, de renvoi à une instance supérieure, etc.
En revanche, si on prend le bénéfice du doute et que l'on s'y arrête, on constate qu'il ne s'applique que dans les causes civiles. C'est sans doute pour cela que les gens pensent que ça fonctionne. Mais à la lumière de 60 ans d'expérience, je vous affirme que personne à ma connaissance n'est devenu admissible à une pension en se fondant sur le bénéfice du doute. Ce que je veux dire en fait, c'est que le requérant pouvait demander à quelqu'un d'examiner son dossier, mais qu'il ne pouvait pas obtenir gain de cause en invoquant le bénéfice du doute. Il ne s'agit pas d'une mesure législative fondamentale que l'on peut invoquer lors de l'adjudication et dont l'ancien combattant peut se réclamer pour faire valoir ses droits et éventuellement, obtenir gain de cause.
Merci, monsieur le président.
Je me souviens que vous m'aviez accordé dix minutes. Je pense que le comité a fait preuve de sagesse en le faisant. Je n'ai pas regardé l'heure, mais essayer d'expliquer en quoi consiste l'ombudsman et définir son rôle en 10 minutes... J'ai fait de mon mieux. Je suis toutefois à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
Le rapport du comité Woods a été publié en 1976, mais je n'ai jamais oublié les leçons apprises alors, en me fondant en partie sur la loi, sur l'équité, sur la justice et aussi sur tous les éléments qui font en sorte que les anciens combattants mettent toutes les chances de leur côté lorsqu'ils présentent une demande de pension.
Merci.