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Bonjour à tous. Nous avons ce matin une autre réunion du comité des anciens combattants.
M. Gaudet est de retour et je voudrais lui souhaiter la bienvenue. Il était absent; sauf erreur l'autre comité dont il faisait partie a finalement déposé son rapport à la Chambre. Nous sommes très heureux de revoir son visage familier et souriant parmi nous.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins du ministère de la Défense nationale. Nous recevons ce matin Mme Margaret Ramsay, le major Chantal Descôteaux et le Dr Marc-André Dufour.
Vous disposez de 20 minutes à vous trois, et vous pouvez faire usage de ce temps comme bon vous semble. Après vos exposés, les membres du comité auront l'occasion de vous poser des questions et de savoir ce que vous pensez. À la fin de la réunion, nous devrons également étudier une motion de Mme Hinton.
Je cède la parole à nos témoins. Veuillez faire votre exposé.
Monsieur le président, membres du Comité permanent des anciens combattants, je m'appelle Margaret Ramsay. Je suis officier supérieur d'état major intérimaire des services de santé mentale à la Direction des services de santé généraux. Ainsi, je suis responsable des questions administratives liées aux services de santé mentale offerts aux membres des Forces canadiennes.
M'accompagnent le major Chantal Descôteaux et le Dr Marc-André Dufour. Chantal est médecin chef à la base des Forces canadiennes de Valcartier et elle est responsable de tous les services médicaux dispensés à la base, y compris les services de santé mentale. Le Dr Dufour est psychologue clinicien et il est le chef des services professionnels en matière de psychologie, dans le cadre des services de santé mentale de Valcartier.
Nous sommes heureux d'avoir la chance de vous rencontrer aujourd'hui. J'aimerais vous parler des services de santé mentale des Forces canadiennes. Mon exposé vise à vous résumer les méthodes au moyen desquelles les services de santé mentale sont dispensés au sein des Forces canadiennes. Vous savez peut-être déjà que nous sommes au milieu d'un projet de cinq ans qui vise l'amélioration marquée de ces services. Ce projet s'appelle Rx2000. Au cours de ces cinq années, le nombre de dispensateurs de soins de santé mentale aux membres des Forces canadiennes, notamment, va passer de 229 à 447.
Les soins de santé mentale sont fournis de manière interdisciplinaire dans les Forces canadiennes. Les disciplines impliquées dans la prestation des soins comprennent les médecins de famille, les psychiatres, les adjoints aux médecins, les infirmières praticiennes, les travailleurs sociaux, les infirmières de santé mentale, les psychologues, les conseillers pastoraux et les spécialistes en toxicomanie.
Je veux vous situer un peu le contexte. En 2001, les Forces canadiennes ont créé l'appellation « traumatismes liés au stress opérationnel » (TSO), qui regroupe plusieurs problèmes de santé mentale souvent provoqués par le stress et les traumas. Le traumatisme lié au stress opérationnel n'est pas un terme médical. L'appellation est officiellement définie comme étant toute difficulté psychologique persistante résultant de devoirs opérationnels effectués par un membre des FC. Le terme TSO est utilisé pour décrire un grand nombre de problèmes, y compris le Syndrome de stress post-traumatique (SSPT), qui conduit généralement à une altération fonctionnelle.
En 2002, le service de santé des FC a chargé Statistiques Canada de mener une enquête sur la santé mentale des membres des FC, afin de déterminer la fréquence du SSPT et d'autres troubles mentaux. Selon cette étude, 2,8 p. 100 des membres de la force régulière et 1,2 p. 100 des réservistes ont fait état de symptômes correspondant à un diagnostic de SSPT à un moment donné de l'année précédente.
Pendant leur vie, 7,2 p. 100 des membres de la force régulière et 4,7 p. 100 des réservistes auront répondu au critère diagnostic. Selon les résultats de l'enquête, la dépression et le trouble panique étaient répandus de manière plus importante dans les FC que parmi la population civile. L'enquête a aussi révélé que la durée de la prévalence du SSPT au sein de la force régulière est équivalente à celle de la population du Canada.
Les niveaux de service au sein des FC — Les soins de santé mentale sont prodigués à deux niveaux de service. La différence repose sur le niveau de spécialisation du service, dont la prestation est qualifiée soit de soins primaires, soit de soins secondaires. Les soins de santé mentale primaires sont désignés « soins psychosociaux ». Les services psychosociaux constituent le niveau de base des services cliniques en santé mentale. Ils sont utilisés comme une ressource commune de l'unité de prestation des soins de santé, ou UPSS, du patient. Outre un service d'intervention en cas de crise, ils fournissent divers services de gestion des services sociaux et administratifs.
Les services psychosociaux sont considérés comme des interventions brèves. Les niveaux supérieurs de spécialisation (secondaire) sont désignés « services de santé mentale ». Les membres des Forces canadiennes ont accès à ces services grâce à des références des services cliniques primaires. Ces services secondaires sont structurés comme un ensemble de programmes dont le degré de spécialisation varie.
Les programmes les plus communs sont le programme des centres de soutien pour trauma et stress opérationnels, le programme général de santé mentale et le programme des traitements des toxicomanies.
L'emploi de la revue de cas interdisciplinaire est un autre principe de base de la prestation des soins de santé mentale. Les soins fournis tant dans les cliniques de soins de santé des Forces canadiennes que par les dispensateurs externes sont revus régulièrement. De cette manière, les membres des Forces canadiennes peuvent être assurés de la haute qualité des soins qu'ils reçoivent en conformité avec les meilleures pratiques fondées sur la preuve.
Passons maintenant aux lieux de service. Pour s'occuper des besoins médicaux des membres des FC, les services cliniques de santé mentale sont disponibles dans toutes les cliniques médicales à travers le Canada. Les FC ont également cinq grandes cliniques qui offrent une gamme complète de services de santé mentale, y compris les centres de soutien pour trauma et stress opérationnels. Ces centres sont situés à Halifax, Ottawa, Valcartier, Edmonton et Esquimalt. Du point de vue géographique, ils sont dispersés partout au pays pour fournir des services dans chaque région.
Les membres des Forces canadiennes et leurs familles peuvent également communiquer avec le Programme d'aide aux membres des Forces canadiennes (PAMFC), 24 heures sur 24, et s'adresser au service de référence confidentiel. Il s'agit d'un numéro sans frais. Ce programme fournit un counselling externe, à court terme, pour les membres et leurs familles qui se sentent, au départ, plus à l'aise pour demander une aide hors des services de santé militaire proprement dits.
Voilà qui conclut mon exposé.
Merci de votre exposé de ce matin.
Vous avez mentionné plusieurs choses. Je vais commencer par vos dernières observations, si vous me le permettez.
Vous avez parlé des lieux de service. Certains d'entre nous représentons des circonscriptions dans le nord de l'Ontario, où ne se trouvent pas de bases; il n'y a aucune base dans ma circonscription, à Kenora. Vous avez parlé des cliniques et mentionné qu'il y en a cinq au Canada. Les deux situées le plus près de ma circonscription sont probablement celles d'Ottawa et d'Edmonton.
Que se passe-t-il lorsqu'un militaire en service a besoin de soins et qu'on le renvoie dans l'une des collectivités, comme la mienne, Dryden? Il se trouve à des milliers de kilomètres de toute aide. Il n'y a pas vraiment de réseau de soutien par les pairs là-bas. Étant donné qu'il n'y a pas beaucoup d'habitants, les membres des Forces canadiennes ne sont pas nombreux.
Que se passe-t-il alors? Les services sont-ils offerts à l'échelle locale, pour ceux qui en ont besoin? Pourriez-vous nous dire ce qui se passe lorsqu'un militaire, en pareilles circonstances, a besoin d'aide?
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Bonjour, mesdames et messieurs.
Je m'adresserai surtout à vous deux, Chantal et Marc-André. Je m'excuse de vous appeler par vos prénoms, mais ce sont peut-être mes 66 ans qui me le permettent.
J'ai été estomaqué, il y a quelques semaines, quand Mme LeBeau, que vous connaissez sûrement et qui fait partie du Soutien social aux victimes de stress opérationnel des Forces canadiennes, le SSVSO, est venue témoigner ici. Elle m'a dit et répété qu'avant de partir en mission, les militaires reçoivent un cours d'une durée de trois heures et demie environ lors duquel on leur explique un peu les problèmes qui pourraient survenir par rapport au stress post-traumatique. Je n'ai pas compris.
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Ce n'est pas ce dont je parle.
Vous connaissez Pascale Brillon. Elle va chez vous, à Valcartier, et je crois qu'on peut reconnaître qu'elle connaît beaucoup de choses sur ce sujet. Elle est reconnue non seulement au Québec, mais aussi aux niveaux national et international. Donc, ce que dit Pascale, pour moi, c'est quasiment une bible. Je ne sais pas si vos militaires ont lu le guide à l'intention des victimes de Pascale Brillon. Pascale nous dit qu'il faut soigner le stress post-traumatique le plus tôt possible.
Combien y a-t-il de psychologues sur les lieux en Afghanistan, par exemple? Combien de psychologues vont suivre le Royal 22e Régiment sur les lieux? Il faut s'occuper d'eux 24 heures ou 48 heures ou dans les plus brefs délais possibles après qu'ils ont subi un stress.
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Chantal, je veux revenir sur ce que tu as dit au sujet des profils psychologiques à dresser avant d'embaucher un militaire. Je sais pertinemment de quoi il s'agit parce que depuis mon élection en 1997, le stress post-traumatique chez les jeunes constitue pratiquement mon plus grand défi.
Je sais que la Gendarmerie royale du Canada a un programme dans le cadre duquel le profil psychologique de ses membres peut être établi. Je sais aussi que sa valeur ne fait pas l'unanimité parmi les psychologues et les chercheurs. Je comprends votre situation à ce sujet. L'autre problème auquel vous faites face — et c'est le cas également de la Gendarmerie royale du Canada, des corps policiers et des pompiers — est l'accès à l'information. Si le militaire ou le policier ne veut pas subir ce test, vous ne pouvez pas le forcer à le faire: il est protégé par la Constitution canadienne. Ça peut même mener à des poursuites.
Quand je pense à tous ces problèmes, une image me vient à l'esprit. J'ai rencontré un jeune militaire à la base de Valcartier. Il m'a parlé de l'escalier de la honte, c'est-à-dire celui qu'on emprunte pour se rendre au deuxième étage, là où se trouvent les psychologues. Il ne faut pas oublier que ces jeunes sont des machos — excusez le terme —, des gars qui se voient forts, sans problèmes, et pour qui la mort n'existe pas. Nous étions semblables quand nous avions leur âge.
Je tiens à vous féliciter, car vous commencez au moins à travailler dans un certain sens. Il reste que vous ne m'avez toujours pas dit combien il y aurait de psychologues sur les lieux du déploiement.
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Je vous suggère à tous de le lire, car cela illustre bien ce que nous demandons de nos militaires canadiens. Ceux d'entre nous qui sont parents auront comme moi de la difficulté à imaginer ce qu'on ressent quand votre petit garçon de dix ans vous dit « Si tu meurs en Afghanistan, je t'en voudrais pour le reste de ma vie. » C'est déjà un SSPT avant même de partir. J'ai lu cet article et je l'ai trouvé extrêmement émouvant.
Vous avez dit que les TSO sont causés par les fonctions opérationnelles qu'exécutent les membres des Forces canadiennes. N'est-il pas possible que certaines de leurs fonctions provoquent ce stress avant même qu'ils partent?
Le centre Phoenix offre maintenant de l'aide. La base de Petawawa a fait couler beaucoup d'encre récemment, et je sais que le gouvernement fédéral a maintenant pris des dispositions avec la province pour offrir des services. Il a néanmoins fallu que l'ombudsman présente un rapport et que les médias s'en mêlent pour que les deux gouvernements décident d'agir. Je trouve cela honteux.
Mais dans un cas comme celui-là, et je suis sûr que ce n'est pas un incident isolé, que font l'armée et les diverses bases — au moyen de services publics ou privés — pour aider une famille comme celle-là?
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Vous avez soulevé une question très importante et c'est l'un des problèmes que nous avons. Les familles ont besoin de beaucoup de soutien.
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais l'armée n'a pas le mandat de dispenser des soins aux familles. Nous pouvons offrir un soutien aux familles, mais c'est encore aux provinces qu'il incombe de fournir ces services. Nous devons donc fournir un soutien officieux aux familles.
Il faudra probablement une mesure législative pour changer cette situation, mais nous n'avons aucun pouvoir à cet égard. Nous essayons d'appuyer les familles de toutes les façons possibles, et nous obtenons de bons résultats. Nous avons augmenté nos ressources de 25 p. 100 dans notre projet de soins de santé mentale et de travailleurs sociaux pour essayer d'offrir ce soutien aux familles.
Petawawa n'est pas le seul exemple, nous le faisons dans toutes les bases.
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Permettez-moi de répondre à cette question. La vie des médecins et des professionnels de la santé mentale qui travaillent dans les Forces canadiennes est devenue très difficile depuis que les militaires peuvent demander une pension pendant qu'ils sont encore en service. Il est très important que vous compreniez cela. Si vous pouviez vous occuper de ce problème, nous en serions très heureux.
Quand j'ai commencé à exercer la médecine, les patients qui venaient me consulter voulaient guérir, ils voulaient demeurer actifs et retourner à leur vie militaire normale. Maintenant qu'ils peuvent obtenir une pension tout en demeurant en service, ce qu'ils veulent, ce sont des prestations, de l'argent. Ils viennent donc nous consulter plus souvent au sujet d'une cheville qui n'est plus en très mauvais état, d'une petite coupure ou de leurs hémorroïdes, car ils veulent des prestations de pensions. Il en va de même pour les problèmes de santé mentale. Quel avantage y a-t-il à guérir lorsqu'on sait qu'on peut obtenir beaucoup d'argent grâce à un diagnostic de SSPT très grave?
Il nous a été très difficile de composer avec ces deux éléments. Je préférais les choses comme elles étaient auparavant. Les militaires encore en service recevaient des soins, mais si on constatait qu'ils ne pouvaient plus faire partie des Forces canadiennes, qu'ils souffraient d'une incapacité permanente, ils pouvaient présenter une demande de pension. Cela mettait en branle un mécanisme et le dossier était transféré à ACC, etc.
Maintenant qu'ils peuvent recevoir une pension tout en demeurant en service, il nous est difficile de déterminer qui essaie de profiter du système et qui est vraiment malade. Dans le cas de ceux qui sont vraiment malades, c'est presque comme si nous étions
[Français]
en train de les récompenser du fait qu'ils sont malades. Malheureusement, il est plus avantageux d'être malade à cause de cet avantage pécuniaire disponible à la fin.
[Traduction]
Cela pose de grandes difficultés aux professionnels de la santé mentale et aux omnipraticiens, car notre travail ne consiste pas à produire un diagnostic qui rapportera de l'argent au patient. Notre travail est de décider si quelqu'un est guéri ou non. Il faut des compétences différentes lorsqu'on soigne un patient qui veut obtenir une pension.
Le psychiatre, le psychologue ou l'omnipraticien peuvent décider que le patient souffre effectivement de SSPT grave. Mais s'il dit que le patient ne souffre pas de SSPT grave, que le syndrome est bénin et que le patient peut recouvrer, la relation avec le patient risque de n'être plus la même. Le patient ne voudra peut-être plus consulter son médecin pour cette raison.
C'est un peu comme chez les civils. Les experts donnent des avis, mais si vous êtes le médecin soignant, vous traitez le patient pour qu'il recouvre la santé. Cela nous pose de grands problèmes à tous. Nous voudrions vraiment que le système revienne à ce qu'il était auparavant de façon à ce que les militaires ne demandent de pension que s'ils doivent se retirer de l'armée. Les Américains font les choses autrement que nous. Ils ont encore le même système que nous avions auparavant.
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Il doit vraiment y avoir un processus indépendant. Actuellement, on utilise les notes évolutives et les rapports du psychologue traitant — et non pas uniquement le rapport du psychiatre et du médecin —, du matériel thérapeutique et clinique pour établir un montant d'argent.
Il y a des situations où des militaires reviennent en colère parce qu'ils n'ont pas eu la compensation à laquelle ils croyaient avoir droit, selon la souffrance qu'il ressentent, etc. Il nous demandent pourquoi on ne les a pas écoutés et qu'est-ce que nous n'avons pas compris. En tant qu'intervenants traitants, cela nous met dans une situation très inconfortable.
On doit vraiment séparer l'évaluation dans le but d'un traitement, soit le travail que je fais et celui que les professionnels de la santé mentale de la défense ont fait, et l'évaluation, l'expertise qui a pour but de déterminer le montant d'une pension. Cela devrait être vraiment séparé pour éviter ce genre de situation.
Je tiens aussi à préciser que nous ne disons pas que les militaires présentent des symptômes dans le but d'avoir de l'argent. Ce n'est pas le cas. En fait, c'est absolument humain. Je pense que le militaire est pénalisé financièrement si son état s'améliore. Il y a une pénalité financière associée à l'amélioration. C'est simplement ce cadre qui fait en sorte que ça peut éventuellement nuire au traitement. Ce n'est pas du tout de la mauvaise intention ou de la manipulation, mais si le militaire s'aperçoit qu'un de ses collègues reçoit une compensation qui s'élève à tel montant d'argent, il demande pourquoi lui a eu moins. Alors, il remet en question le traitement, le travail des professionnels, qui ne sont pourtant pas là pour établir un montant d'argent.
Toute cette confusion fait en sorte que les deux processus, celui du ministère des Anciens Combattants et le nôtre, devraient être distincts.
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Quand on parle davantage de stress opérationnel que de stress post-traumatique, on s'avance un peu par rapport à cette question. Oui, le stress post-traumatique existe: c'est un diagnostic clinique. Le stress opérationnel, quant à lui, est une notion très intéressante. Selon moi, pour tous les militaires qui vivent des opérations et des situations en Afghanistan — j'entend les récits —, c'est difficile de ne pas être traumatisé. Cependant, le stress opérationnel est normal. Le stress est présenté davantage comme une arme de combat qui vous atteindra. Cela veut dire que ça fait partie de la
game.
Il n'y a pas très longtemps que je pratique dans le système militaire, mais si je me fie aux discours que j'entends de la part de certains vieux militaires ou caporaux, ils vivaient effectivement des situations excessivement stressantes, mais ils n'avaient pas le droit d'avoir des réactions. Ils n'avaient pas le droit d'être stressés. Sinon, ils étaient exclus, mis à part. Ils n'avaient même pas le droit d'en parler.
Maintenant, on leur dit qu'il ne faut pas se mettre la tête dans le sable, qu'ils vont vivre du stress, qu'ils vont avoir peur, que le but de l'ennemi est de leur faire peur, qu'ils seront touchés par le stress. Quand on leur explique la façon dont ils peuvent réagir face au stress, on leur donne le droit d'avoir des réactions.
Auparavant, il se produisait deux choses dans les Forces canadiennes. Les militaires vivaient des événements stressants et — c'est ce que j'appellerais le deuxième traumatisme — ils n'avaient pas le droit d'avoir une réaction et ils étaient perçus comme des lâches s'ils parlaient. Je vous dirais que ce genre de message fait en sorte que le militaire ne parle pas et s'isole. C'est pour cette raison qu'encore aujourd'hui, 10, 12 ou 13 ans après l'ex-Yougoslavie, il y a des militaires qui, après avoir perdu deux familles, deux maisons, etc., viennent consulter pour la première fois parce qu'il sont complètement détruits. On avait dit à ces vieux militaires que s'ils parlaient, ils étaient des faibles. Ils ne devaient pas parler. Cela a grandi à l'intérieur d'eux, s'est mélangé à leur personnalité et ils se sont adaptés à leur traumatisme. Ils finissent au fond de leur sous-sol à penser que c'est normal de vivre comme cela pour un ancien combattant. C'est catastrophique.
Maintenant, on leur dit que c'est normal, que ça fait partie de la mission, qu'ils seront touchés par le stress, et qu'au même titre qu'ils doivent apprendre à manipuler leur fusil C-7, ils doivent apprendre à manipuler le stress, à le gérer. On leur donne des outils préventifs et on leur dit si ça ne fonctionne pas, il y a des professionnels. À ce moment-là, on sort de la pathologie. Nous sommes des entraîneurs; nous ne leur montrerons pas à tirer, mais à respirer. C'est un peu bizarre d'entendre cela au début, mais il reste que c'est ce dont on parle.
Nous disons que le stress opérationnel est normal, qu'ils vont le vivre et qu'il y a des professionnels qui sont là pour les aider. Cela fait en sorte que les militaires consultent beaucoup plus rapidement, et on le constate. On commence à recevoir des militaires qui reviennent de l'Afghanistan et je vous dirais que c'est très différent de ce qu'on voit dans le cas des militaires qui sont allés en ex-Yougoslavie. Ceux-ci vivent leur traumatisme depuis 10, 12 ou 13 ans et ce traumatisme s'est enraciné. Il y a beaucoup moins d'évitement, les situations qui créent de l'anxiété sont très ciblées et on peut facilement travailler. On peut identifier les traumatismes vécus par le militaire dans tel véhicule, on peut faire des hiérarchies d'expositions graduelles — Pascale Brillon vous en a peut-être parlé — pour arriver à désensibiliser tranquillement le militaire à ce qui crée son anxiété. De cette façon, la thérapie est beaucoup moins longue et le succès thérapeutique est aussi beaucoup plus fort. Il faut donc favoriser la demande d'aide en normalisant les réactions de stress. C'est l'angle qu'on doit prendre et c'est celui qu'on prend.
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Merci, monsieur le président.
Merci à nos témoins d'être venus nous rencontrer.
Madame Descôteaux, permettez-moi de revenir aux renseignements très intéressants et presque renversants que vous nous avez fournis au sujet des incitatifs.
Il ne s'agit pas de manquer de respect à nos militaires qui croient être malades, mais si nos politiques pervertissent le système, cela signifie que nous devrions utiliser certaines ressources pour ceux qui veulent obtenir des prestations et d'autres ressources pour ceux qui veulent recouvrer la santé. Il faut que nous établissions une meilleure différence, car les objectifs, sont distincts.
Si les ressources et les équipes servent aux deux fins, et qu'il y a un conflit à l'intersection des deux types de service, on n'optimise pas les services offerts au personnel militaire. Il arrive que les politiques les mieux intentionnées aient des conséquences imprévues.
Je tiens à signaler à notre attaché de recherche que c'est une question importante pour notre comité. Je vous remercie d'en avoir parlé.
Avez-vous des idées à nous proposer quant à la façon de mieux offrir ces deux types de service? Suffirait-il de revenir à la façon dont nous faisions les choses auparavant, faut-il faire la distinction entre ceux qui peuvent guérir et ceux qui renoncent à guérir et préfèrent obtenir des prestations? Avez-vous des solutions à nous proposer?
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Dans le système médical militaire, lorsqu'il faut imposer des limites dans certains domaines à un patient qui nous consulte, ce patient est classé dans une catégorie médicale temporaire. On décidera que pour les six premiers mois, sa santé ne lui permet pas d'être déployé, qu'il doit consulter le service de santé mentale chaque semaine, qu'il ne peut pas lever un objet de 30 livres, etc. Nous écrivons toute la liste des limites. Cela s'applique aux premiers six mois. On peut y ajouter une deuxième période de six mois si le patient n'est pas encore guéri.
Après un an ou un an et demi, selon le problème, nous devons décider si les limites seront permanentes ou non. Dans l'affirmative, le patient est classé dans une catégorie permanente. Le système médical et l'administration décident si le patient sera déchargé ou non des FC et informe celui-ci de la décision — c'est-à-dire s'il sera maintenu en service avec ses limites ou s'il fera l'objet d'une décharge médicale. Le moment où la décision est communiqué au patient serait le plus opportun pour que celui-ci présente sa demande de pension, car jusqu'à ce moment, on fera tous les efforts nécessaire pour le guérir, pour l'aider à recouvrer la santé.
Une fois qu'on a déterminé que les limites sont permanentes, le patient serait autorisé à demander une pension. Mais si vous êtes autorisé à demander une pension pour un problème de genou alors que vous en êtes à votre douzième année de service et que vous continuez votre service jusqu'à votre 25e année, peut-on vraiment parler de blessures permanentes, si vous êtes en mesure de continuer à courir et à faire des marches forcées? Pour nous, cela n'a pas de sens. Et pourtant, nous avons des patients qui sont en service actif et qui ont droit à des services de déneigement l'hiver parce qu'ils reçoivent une pension pour des problèmes de dos, par exemple. Ces patients sont encore en service actif dans l'infanterie. C'est ridicule. Nous avons des exemples de ce genre. Nous le constatons nous nous interrogeons. Nous versons une pension à ce patient pour des problèmes de dos, nous payons des services de tonte de pelouse ou d'autres services, et pourtant, il est encore en service actif. Cela n'a aucun sens. Ces services ne devraient être offerts qu'une fois qu'on a décidé que les limites sont permanentes.
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Comme Mme Ramsay l'a dit, on n'a pas le mandat de traiter la famille. C'est important de le savoir. J'aimerais bien traiter la famille, mais il faudrait que je traite aussi l'enfant, la femme, l'époux, et qu'il y ait des cliniques pour ce faire. Traiter quelqu'un, ce n'est pas simplement s'occuper de sa santé mentale. Il faut également tenir compte des aspects biologique, psychologique et social. On n'est pas équipés pour le faire pour l'instant.
Cependant, certains services sont offerts aux familles. Il y a un centre de soutien à la famille sur chacune des bases. Ce sont souvent ces centres qui offrent ces services — je parle de Valcartier — et ils travaillent en étroite collaboration avec nous.
Pour ce qui est du traitement de la famille, voici ce qu'on peut faire. Si un militaire subit un stress opérationnel et qu'il pourrait être bénéfique qu'on voie sa conjointe ou ses enfants afin de leur faire comprendre ce qu'il vit, on le fera dans la mesure de nos capacités.
Vous comprendrez que je suis obligée de dire à mes intervenants de donner la priorité aux militaires qui reviennent au pays. Je reconnais toutefois que traiter un militaire signifie également traiter son milieu et sa famille. Si on ne peut pas les traiter nous-mêmes sur place, on s'assurera de les acheminer au bon endroit, soit au Centre de la famille où travaillent des psychologues et des travailleurs sociaux, soit à certains centres situés en ville.
Des séances de breffage sont offertes à tous les époux et épouses avant le départ, en collaboration avec le Centre de la famille. Malheureusement, les membres de la famille ne sont pas tous des militaires et on ne peut pas les obliger à y assister. Très souvent, ils ne se présentent pas à ces séances.
Certains sites Internet sont mis à leur disposition, il y a des caméras Web et toutes sortes de choses. Entre le moment où j'ai été déployée et aujourd'hui, il y a une grande différence pour ce qui est des possibilités, pour les militaires, de discuter avec leur famille. Plusieurs services existent, mais encore faut-il qu'ils les utilisent.
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Merci beaucoup d'être venu nous rencontrer. C'est une bonne occasion pour nous de faire la corrélation entre les divers renseignements.
Madame Ramsay, j'ai trouvé intéressantes les observations que vous avez faites dans votre exposé au sujet des changements qui sont apportés, entre autres en ce qui concerne l'augmentation des services de soins de santé pour les cinq prochaines années et le lien qui doit toujours exister entre les Forces canadiennes, la Défense et ACC. Franchement, je crois que c'est nécessaire. Je vais me concentrer sur ACC, et j'aimerais avoir votre avis à ce sujet, car c'est là notre mandat.
Tout le monde dit que nous devons faire davantage. Je ne sais pas si nous atteindrons un jour l'idéal, mais cela ne nous empêche pas de vouloir être équitable et d'offrir à nos anciens combattants les services, la protection et les soins de santé dont ils ont besoin.
Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet des changements dans la relation entre la Défense nationale et ACC en ce qui concerne la capacité d'offrir de meilleurs services pendant la transition? Nous nous trouvons dans cet entre-deux, dans une période de transition; la question a été soulevée par M. Stoffer et Mme Hinton l'a confirmée en apportant des précisions. Pourriez-vous nous parler brièvement de ce changement dans la relation, s'il y en a eu un?
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Il y a certainement eu un changement, à mon avis, au cours des quatre ou cinq dernières années. Nous venons de signer un protocole d'entente avec ACC. Ce protocole porte sur le réseau relatif aux TSO, et nous travaillons en étroite collaboration pour mettre sur pied un réseau de cliniques d'un bout à l'autre du pays. ACC a ouvert cinq nouvelles cliniques de traitement des TSO, et nous en avons cinq. Nous essayons d'offrir ces services dans tout le pays et de faire en sorte que les patients aient le même accès aux cliniques de l'une ou l'autre organisation.
C'est un dossier qui évolue, et il reste encore bien des questions à régler, dont la question de la priorité d'accès et des méthodes d'évaluation clinique — c'est-à-dire si nous sommes d'accord et qui devrait être évalué à quelle clinique. Mais les choses avancent. Nous avons régulièrement des réunions avec AAC — je rencontrerai un groupe de Saint-Anne-de-Bellevue vendredi cette semaine — et nous discutons de ces questions.
Nous allons mettre sur pied un comité consultatif qui se réunira tous les trois mois afin de conseiller le comité directeur qui se réunit à Charlottetown, où sont représentés la Défense nationale et Anciens combattants Canada. Mais il s'agit d'un réseau apparenté.
Nous avons également inclus la GRC dans ce réseau pour le traitement des traumatismes liés au stress opérationnel. La GRC est l'autre organisation qui utilise les services de ACC. Ses membres subissent des traumatismes semblables à ceux de nos propres soldats.
Je dois dire que nous entretenons de bonnes relations. C'est un travail qui évolue, et nous nous réunissons régulièrement.
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La base de Valcartier, qui est la plus grande au Canada — je tiens à le signaler — compte le plus de lacunes. Si un de mes patients qui est très malade doit être libéré pour cause de stress opérationnel, par exemple, je dois pouvoir compter sur une bonne équipe qui assumera les soins de ce patient.
Comme vous le savez, au Québec, il est très difficile d'avoir un rendez-vous avec un omnipraticien ou un psychiatre. C'est un peu plus facile pour les psychologues. Mais il nous faut une équipe de soins interdisciplinaires pour les patients les plus difficiles et, à l'heure actuelle, c'est pratiquement impossible. Les anciens combattants nous parlent souvent du mal qu'ils ont quand ils quittent les forces armées en raison des lacunes du système de soins de santé.
La clinique de Ste-Anne-de-Bellevue, c'est un bon départ, mais elle est à Montréal, pas à Québec, pas à Edmonton ni à Petawawa. Près de nos bases les plus importantes, à tout le moins, il nous faut des cliniques comme la clinique Paul-Triquet à Québec, qui connaît quand même des problèmes parce qu'elle relève en partie des autorités provinciales. Nous y avons trois bureaux et on espère pouvoir se doter de meilleures installations, dans un immeuble plus grand, mais la situation est loin d'être idéale.
Quand on établit un profil médical permanent qui mène à une décharge médicale, je dois, tant que le patient n'a pas encore été libéré, le confier à Anciens combattants Canada afin que mon équipe et moi puissions aider les membres actifs à rester dans les forces armées.
Si nous sommes accaparés par des patients très malades qui n'attendent que leur décharge — et c'est un processus qui peut prendre beaucoup de temps chez nous — mon personnel doit, chaque semaine, s'occuper de ces cas chroniques et la liste de ceux qui attendent d'être pris en charge s'allonge. Il faut donc qu'une équipe s'occupe des patients très malades afin que je puisse me concentrer sur les nouveaux patients. Ainsi, le traitement a de meilleures chances de succès si nous n'intervenons pas trop tard.
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Nous faisons d'abord passer un examen préalable aux réservistes qui retournent à la base de soutien, puis ils retournent très rapidement chez-eux. Je recommande que nous ne les laissions pas retourner chez-eux tout de suite, mais qu'ils restent avec nous et continuent à travailler pendant une autre année, afin qu'ils soient près de nous. Ils seraient rémunérés et seraient sur place où nous pourrions leur apporter un soutien. Il nous serait alors plus facile de les évaluer. Ils pourraient rester dans un groupe. Ils pourraient se défouler avec les autres, au lieu de se trouver quelque part où personne ne comprend ce qui lui arrive.
Voilà notre première recommandation. La deuxième est qu'ils reviennent à Valcartier pour une évaluation s'ils deviennent malades. C'est ce qu'ils devraient faire. Nous les évaluons. Nous formulons le diagnostic puis nous prenons des dispositions pour qu'ils reçoivent des soins près de leur domicile. Mais, malheureusement, étant donné ce qui se passe à ACC — et ça c'est une autre histoire — parfois, ils ne nous sont pas renvoyés. Ils sont encore réservistes, mais ils vont consulter dans le civil. Ils obtiennent un mauvais diagnostic rendu par un médecin civil qui n'a pas l'habitude de traiter ces problèmes.
Supposons qu'on diagnostique à tort un cas de SSPT et que le réserviste n'obtienne pas les soins dont il a besoin pour ce dont il souffre réellement, soit un trouble d'adaptation doublé d'un trouble de la personnalité. Cela nous occasionne des difficultés avec le patient. Celui-ci revient nous voir et nous dit qu'il devrait être réformé pour raison médicale en raison du diagnostic établi par un médecin civil. Cela occasionne des difficultés entre nous.
Les règles ont été mal établies. Ils devraient être obligés de revenir nous voir. Ils ne devraient pas être autorisés à toucher leur pension immédiatement. Nous devrions établir le diagnostic. Nous devrions les soigner de notre mieux puis prendre des dispositions pour qu'ils soient soignés dans le civil et c'est alors que ACC devrait prendre le relais. C'est un autre problème que nous avons en ce qui concerne les réservistes.
L'autre chose qui n'est pas claire au sujet des réservistes, du moins pour moi —
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Ce que vous nous avez dit nous a beaucoup plus encouragés au sujet du déploiement de nos soldats et du genre de formation que vous leur dispensez afin de les rendre en quelque sorte plus résistants, comme vous l'avez vous-même dit.
Vous en avez dit un mot, mais je voudrais plus de précision : effectue-t-on actuellement des recherches dans deux directions, la première étant l'élargissement des prédicteurs? La plupart des prédicteurs sont externes, c'est bien cela? Il s'agit de toxicomanies, de cas où le patient a été victime d'abus dans sa jeunesse, ce genre de choses. Vous n'en avez signalé qu'un, un caractère intransigeant du point de vue des éléments existentiels dans leur esprit. Fait-on actuellement des recherches pour élargir la palette des prédicteurs de manière à ce que les psychiatres et les psychologues puissent peut-être offrir une formation aux travailleurs sociaux qui pourraient ainsi fouiller plus loin pour déterminer si le patient va ou non réagir? En fait c'est cela la nature de la chose. C'est une réaction au traumatisme qui est dépourvu d'élasticité et qui devient, bien entendu, un problème de comportement ou un problème psychologique. À votre connaissance, y a-t-il des recherches sur ce sujet?
Quand au second élément, a-t-on fait déjà des recherches au sujet de la sensibilisation, peu importe le terme que vous voudrez utiliser, j'entends par là soumettre le soldat au genre de stress qu'il va connaître là-bas, pour lui donner le moyen d'y mieux résister le moment venu? Je sais qu'il y a des manoeuvres, des jeux de guerre en quelque sorte, mais cela, c'est pour leur propre personnel. Ce n'est pas, comme le faisait remarquer un des témoins, comparable au fait de voir un jeune garçon de 9 ans bardé de cartouchières, ou au fait d'avoir soi-même à tuer quelqu'un. C'est quelque chose qui, dans notre culture, est totalement obscène.
Voilà donc les deux questions que je vous soumets.
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À Valcartier, il y a un centre de recherche à côté de chez nous. On y trouve une salle virtuelle. C'est une autre initiative que nous avons. Nous avons assisté à une séance de cyberthérapie, avec des gens de l'armée américaine qui étaient là pour assurer la formation. On entre dans la salle virtuelle et on est trois dimensions — avec le plafond et le plancher. Et vous êtes littéralement sur les lieux. C'est là où nous aimerions nous mettre en relation avec le centre de recherche, et c'est ce que nous avons commencé à faire. Mais ici encore, nous le faisons pendant nos temps libres, et nous n'en avons guère.
L'un de nos psychologues essaie de voir s'il ne serait pas possible de conduire un programme de formation qui pourrait précisément aider à renforcer la résistance des gens, en leur montrant par exemple des morts et en leur apprenant à réagir — Nous aimerions également utiliser ce centre pour présélectionner les gens avant leur déploiement. Si quelqu'un ne réagit pas bien dans la salle virtuelle, c'est qu'il n'est sans doute pas apte à aller en opération.
Il y a donc des pistes possibles pour nous, mais pour l'instant, nous n'avons pas assez de gens pour faire tout cela. Nous aimerions pouvoir le faire. Il y a des recherches en cours, mais pas chez nous pour l'instant.
Je pense que nous allons coopérer avec ce centre de recherche pour l'utilisation de la salle virtuelle. Les recherches vont alors pouvoir en découler.
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Comme employés de la fonction publique, on a accès à des programmes d'aide aux employés grâce auxquels on peut consulter des professionnels de la santé. Avec un mandat aussi lourd, le travail d'équipe prend alors tout son sens. L'interdisciplinarité que nous exerçons dans le travail est importante. Par exemple, si le cas d'un patient est particulièrement difficile, on peut en parler avec notre collègue qui est dans le bureau à côté, qui est psychiatre et qui voit également ce patient, ou avec le travailleur social qui connaît la famille, etc. Les ressources dans le secteur civil n'ont pas cette capacité.
Le psychologue en pratique privée est dans son bureau, isolé, et voit également un grand nombre de patients. Il peut téléphoner à ses collègues, mais on sait que la distance physique entraîne un éloignement qui fait en sorte qu'il n'osera peut-être pas le faire. Comme équipe, ce qui est avantageux pour nous, c'est qu'on a régulièrement des réunions au cours desquelles on partage nos idées au sujet des cas difficiles et au cours desquelles on se donne le droit de « ventiler », comme on dit dans notre jargon. On a la liberté de dire qu'on trouve cela dur et on peut se permettre d'exprimer des choses qu'on n'exprime évidemment pas devant le patient. Les réunions servent aussi de soupape, ce qui est très, très important.
Le problème, c'est que la surcharge de travail fait qu'on n'a plus le temps de se parler. À Valcartier, par exemple, lors de nos réunions, il manque généralement de 25 à 30 p. 100 des personnes, si ce n'est pas davantage, parce que des gens sont en train d'offrir des formations aux militaires qui partent en mission, alors que d'autres mènent des entrevues prédéploiement ou post-déploiement. Ceci crée une forme d'essoufflement qui, malheureusement, fait que notre travail ressemble un peu à celui qui se fait dans le civil.
Il ne faut pas en arriver là. Il faut se donner un milieu de travail dans lequel on pourra dire que les gens se consacrent à la clinique, qu'on a du temps pour se réunir et que ce temps est sacré. On n'arrive cependant pas à le faire parce qu'on est trop sollicités.
Contrairement à ce qui se fait dans un centre hospitalier ou chez quelqu'un qui travaille dans le civil, en tant que professionnels de la santé, cela fait partie de nos tâches que de rencontrer les militaires et de les préparer à leur mission. La prévention est très importante. Une partie de nos tâches est de les rencontrer avant qu'ils partent en mission, de parler à leurs conjointes pour vérifier que tout est en ordre. Une partie de nos tâches est aussi de les accueillir à leur retour. Présentement, 2 400 militaires s'apprêtent à partir, ce qui fait beaucoup de monde. Si on mène une entrevue d'une heure et quart de prédéploiement avec 2 000 personnes, en plus de celles qu'on fait en thérapie, on tient tout cela à bout de bras et il devient alors dangereux de s'épuiser.
La journée a été fort intéressante. Je n'ai jamais vu ici de témoins que je trouvais inintéressants, mais cette fois-ci, cela a été également très instructif.
Je vous livre le fruit de ma réflexion. Il arrive également qu'un auto-examen nous aide à comprendre que nous souffrons de stress, que nous avons un problème qui nécessite de l'aide. J'aimerais savoir si l'on encourage ce genre d'auto-examen. Voilà le genre de question que je voudrais vous poser.
Juste un commentaire qui vous paraîtra peut-être un peu stupide, mais chaque fois que le micro-ondes s'arrête chez moi, cela m'angoisse. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi jusqu'à ce que je me sois même livré à un petit auto-examen. Lorsqu'on est député, c'est la fameuse cloche de convocation qui régit toute notre vie. La cloche sonne, et plus elle sonne vite, moins on a de temps pour arriver à la Chambre. Cela provoque de l'angoisse. On ne veut pas être en retard pour ceci ou cela ou que sais-je encore. Un jour, mon four à micro-ondes s'est arrêté et mon mari m'a demandé pourquoi cela me perturbait tellement, parce qu'après tout c'est une toute petite chose. Et c'est alors que je me suis enfin rendu compte que c'était exactement cela, c'est à cause des cloches qui sonnent ici. Vous savez, c'est très pavlovien comme réaction.
Il est arrivé plusieurs fois chez les militaires qu'un événement tout à fait ordinaire, tout à fait normal dans le quotidien, déclenche chez eux une réaction très particulière, et j'aimerais savoir ce que le major ou M. Dufour —
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Le Programme d'entraînement à la résilience, dont je vous ai parlé plus tôt, comprend également un volet pairs aidants. À la limite, même si le militaire est plus ou moins conscient de ce qu'il est en train de vivre, on essaie de former des gens au sein des unités, idéalement des gens du même grade, qui vont l'alerter. On appelle cela le
buddy system. En d'autres mots, il y a une personne qui porte attention à une autre, son
buddy, et qui va lui dire que quelque chose ne va pas, qu'elle ne se comporte pas comme à l'habitude et qui va lui demander si elle est consciente de cela.
À Valcartier, on a aussi des comités de prévention du suicide, des comités sur la violence dans lesquels sont engagés des militaires qui se trouvent au sein des unités. Ce sont un peu nos yeux sur le terrain, si on veut. Ils peuvent se rendre compte si quelqu'un ne va pas bien. On s'assure même que les photos des thérapeutes soient affichées quelque part. Il est ainsi possible d'identifier, par exemple, la personne qui s'occupe de toxicomanie.
Au cours de l'entrevue post-déploiement, à leur retour, les militaires remplissent un questionnaire d'auto-examen dans lequel différents symptômes sont décrits. La personne doit indiquer, par exemple, si elle sursaute si telle situation se présente, si cette réaction correspond beaucoup ou pas beaucoup à celle qu'elle aurait. Donc, cela est fait à leur retour et c'est important parce qu'ils n'ont pas toujours le temps de s'arrêter et de prendre conscience de ce qu'ils vivent. Les présentations que nous offrons vont un peu en ce sens. Les militaires s'y reconnaissent. Le fameux Battlemind de M. Castro, dont je parlais tout à l'heure, en est un exemple. J'ai des clients qui ont vu cette présentation et cela les interpelle grandement parce que, par exemple, on peut y voir un militaire s'adresser à son fils un peu de la même façon qu'il s'adresserait à quelqu'un d'un grade inférieur. Son ton est très sec, très directif, ce qui serait tout à fait opportun en théâtre opérationnel, mais lorsqu'il s'agit d'un garçon de cinq ans qui veut jouer avec son père, il faut que ce dernier change de ton. Il faut qu'il s'adapte. Ce sont des scènes de la vie des gens, et c'est donc plus facile pour le militaire de se reconnaître dans ces situations. Cela favorise cet exercice de remise en question et de demande d'aide, évidemment, parce qu'en même temps, on fait la promotion des services de santé. Il faut être en mesure de remplir son mandat.
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On va m'accuser de parler trop et de parler vite.
Chantal, j'ai bien apprécié votre formidable énoncé. Vous vous êtes plainte, sûrement avec raison, d'un manque d'argent. Je ne dirais pas que je suis mal à l'aise, mais je me demande comme il se fait que la Défense nationale, qui est prête à investir des milliards de dollars pour des avions, des chars, des souliers, des bottes, des uniformes, ne peut pas réserver 0,5 ou 1 p. 100 de son budget pour la santé mentale.
J'aimerais que vous fouilliez cela et que vous m'envoyiez une lettre ou un rapport qui dirait que votre budget idéal en santé mentale s'élèverait à un certain nombre de milliers ou de dizaines de milliers ou de millions de dollars. J'aimerais que l'on me soumette des chiffres. Je sais que ce n'est pas facile.
Nous avons donc quelques questions qui concernent les travaux du comité et j'aimerais donc remercier les témoins qui ont comparu aujourd'hui. En ce qui me concerne, je le sais, ces comparutions m'apprennent toujours quelque chose. Ce que j'ai appris aujourd'hui, c'est qu'un de ces jours il va falloir que j'aille à Valcartier pour visiter la base.
Je vous remercie énormément d'être venu nous donner ainsi une idée des changements que nous pourrions apporter, notamment aux différents programmes.
Nous allons suspendre nos travaux pendant cinq minutes.