:
Merci beaucoup, monsieur le président. C'est pour moi un honneur de comparaître cet après-midi. Le sujet à l'étude me tient beaucoup à coeur et je dois dire dès le départ que j'ai été très impressionné par le travail que le comité a accompli jusqu'à maintenant et son authentique volonté de faire les choses correctement en ce qui concerne ce poste d'ombudsman.
Je serai le seul à faire une déclaration liminaire cet après-midi. Elle durera de 10 à 15 minutes et nous pourrons ensuite passer aux questions.
[Français]
Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à exprimer ma pensée cet après-midi sur la création d'un poste d'ombudsman des anciens combattants.
J'ai passé en revue quelques transcriptions des audiences de ce comité. Je vous félicite tous et chacun de votre impartialité et de votre préoccupation sincère pour nos militaires, actuels et anciens.
[Traduction]
Le fait que le gouvernement ait proposé de créer un bureau de l'ombudsman revêt une grande importance aux yeux des anciens combattants dont beaucoup sont fort déçus de la façon dont ils ont été traités par les Forces canadiennes et le ministère des Anciens Combattants. Je comprends que, s'agissant d'honorer son engagement, le gouvernement veuille être prudent et définir sa motivation correctement dès le départ, mais je soutiens respectueusement que, contrairement aux témoignages intéressés qui ont été donnés jusqu'à présent, surtout par les bureaucrates du ministère des Anciens Combattants, cette initiative n'est ni coûteuse, ni complexe, pas plus qu'elle ne pose de problème juridique.
Un aperçu historique pourrait aider à mieux comprendre l'évolution ou plutôt, dans certains cas, la déformation, du terme « ombudsman ». Je vous cite un bon exemple de ce phénomène de déformation, soit le témoignage « d'expert » de M. Keith Hillier, sous-ministre adjoint des Anciens Combattants, qui est chargé du dossier de l'ombudsman au ministère. M. Hillier vous a déclaré que le terme « ombudsman» n'était pas encore défini, comme si cette notion était figée dans un état primitif, dans une zone d'indécision. Il a utilisé ce terme comme s'il recouvrait une notion floue, capable de se mouler sur différents modèles selon des points de vue divergents.
En fait, la fonction d'ombudsman est clairement définie depuis 1809, année où le premier ombudsman parlementaire, Lars Mannerheim, a été nommé en Suède. L'ombudsman a pour rôle de faire enquête sur les plaintes des citoyens contre l'administration, puis de faire des recommandations pour corriger toute erreur d'administration. Pour bien remplir ses fonctions, l'ombudsman doit être indépendant, impartial et capable d'agir discrètement, et il doit pouvoir s'appuyer sur un processus d'enquête digne de confiance.
[Français]
Emboîtant le pas à la Suède, la nomination d'ombudsmans s'est répandue dans le monde occidental. Les citoyens et les administrations gouvernementales favorables à la démocratie et à une gestion publique saine considéraient avec raison que la nomination d'un ombudsman amènerait des processus décisionnels et des politiques plus justes et équitables.
La création de bureaux d'ombudsman canadiens en tant que frein et contrepoids des bureaucraties a débuté vers la fin des années 1960 et s'est poursuivie jusqu'à ce que toutes les provinces, sauf une, aient leur propre bureau.
En 1978, un projet de loi a été présenté à la Chambre des communes pour proposer la création d'un ombudsman fédéral. Ce projet de loi est mort à la suite du déclenchement d'une élection et n'a jamais été ressuscité. Le gouvernement fédéral a alors procédé à la mise en place de commissaires au champ de compétences concentré et spécialisé, par exemple, le commissaire aux langues officielles ou le commissaire à l'information. Il s'agit en fait d'ombudsmans spécialisés au champ de compétences étroit.
[Traduction]
Malgré la bonne volonté qui s'est rapidement mobilisée autour de la fonction d'ombudsman comme chien de garde de l'administration, la notion d'ombudsman est malmenée depuis dix ans. Certains parlent d'américanisation de l'approche classique, c'est-à-dire que, de plus en plus, les universités et les organisations privées et gouvernementales nomment des ombudsmans et ce servent de cette nomination dans des campagnes de marketing adroites pour se présenter comme compatissantes. Ces prétendus ombudsmans ne méritent pas ce titre et font plus justement figure de relationnistes, de spécialistes en ressources humaines ou en relations avec les clients.
L'organisation qui regroupe ces entités qui se disent ombudsmans, protecteurs des employés, médiateurs, « ombuddies » ou autres, c'est l'Association internationale des ombudsmans ou AIO. L'AIO publie les normes de pratique de ce que j'appelle le modèle « ombuddy ». Ces normes constituent en fait l'antithèse des principes sains et solides de l'ombudsman.
Par exemple, aux termes de l'article 2.6 de ces normes, l'ombudsman ne recommande pas des solutions aux problèmes, mais il aide plutôt à « développer un éventail de solutions responsables pour résoudre les problèmes et facilite les discussions pour cerner la meilleure solution ». Les « ombuds » sont également encouragés à élaborer des pratiques « cohérentes et normalisées » régissant la destruction régulière de dossiers, comme le dit l'article 3.6. Les normes de pratique disent de ne conserver pour l'organisation « aucun dossier contenant des renseignements qui permettent l'identification ». Il s'agit de l'article 3.5. Et une autre norme intéressante, à l'article 4.5, interdit strictement les enquêtes officielles. Non seulement ces notions ne correspondent pas à la définition classique de l'ombudsman, mais elles vont aussi à l'encontre de tous les principes de base du rôle de l'ombudsman.
Lorsque les cadres supérieurs du ministère des Anciens Combattants parlent de la diversité des modèles d'ombudsman qui existent, je les soupçonne de vouloir laisser la porte ouverte au modèle « ombuddy ». Je suis fermement convaincu que le comité doit exclure explicitement cette possibilité. Il est vrai que, pour les bureaucrates qui se font dire par des représentants élus qu'ils seront surveillés par un chien de garde, la pilule est difficile à avaler, mais succomber au modèle « ombuddy » serait, aux yeux des anciens combattants, l'ultime trahison, après les sacrifices qu'ils ont faits pour leur pays.
En relisant les témoignages que vous avez entendus, je constate qu'on insiste sur la nécessité de créer un ombudsman qui serait ni plus ni moins qu'un porte-parole, qui se contenterait d'écouter les doléances des anciens combattants et de compatir avec eux. Je n'ai entendu aucun bureaucrate faire valoir le bien-fondé d'un bureau indépendant qui veillerait sur tous les aspects des activités du ministère des Anciens Combattants, qui relèverait du Parlement ou de l'un de ses comités, comme celui-ci, et qui aurait un pouvoir d'assignation et un pouvoir de visite, des infractions étant prévues pour refus de coopérer.
Mon bureau est doté de tels pouvoirs à l'égard de plus de 500 ministères provinciaux, organismes, tribunaux et sociétés d'État depuis plus de 30 ans. Tout Ontarien peut porter plainte contre ces entités en s'adressant au Bureau de l'ombudsman de l'Ontario, sachant que sa plainte fera l'objet d'une enquête indépendante approfondie. Pourquoi offririons-nous moins aux anciens combattants?
[Français]
À la lecture des transcriptions du témoignage de hauts fonctionnaires, je retrouve une attitude défaitiste, un syndrome « d'accord, mais pas dans ma cour », soulevant des obstacles imaginaires qui, s'ils sont admis, auront raison de l'engagement profond pris par le gouvernement de créer un poste d'ombudsman des anciens combattants.
Par exemple, vous vous êtes fait dire par le président du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ainsi que par le sous-ministre délégué que l'ombudsman ne pouvait pas être mis au courant de la position du tribunal relativement à un dossier à l'étude, pas plus qu'il ne pouvait intervenir auprès du tribunal, car il s'agit d'un tribunal indépendant quasi judiciaire. Il s'agit là d'un malentendu quant au rôle de l'ombudsman.
Rien dans la common law n'empêcherait une telle intervention. En effet, je supervise tous les tribunaux administratifs de l'Ontario, qu'il s'agisse de la Commission ontarienne des droits de la personne, du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario ou de la Commission de révision de l'évaluation foncière, entre autres. Notre bureau a tous ces pouvoir depuis 1975.
Comment l'ombudsman peut-il coexister avec le système judiciaire?
C'est simple, l'ombudsman formule des recommandations, mais n'a aucune fonction de juridiction. La décision revient toujours à l'organisme gouvernemental, qui sera ou non d'accord sur la recommandation, et les décisions du tribunal sont exécutoires.
[Traduction]
II existe également des organisations cadres qui appuient le rôle véritable de l'ombudsman. La United States Ombudsman Association, ou USOA, et l'Institut international de l'ombudsman (lIO) dont, soit dit en passant, je suis le vice-président pour l'Amérique du Nord, se targuent d'être les gardiens d'un modèle efficace des fonctions d'ombudsman créé par voie législative.
J'ai consulté les présidents de ces associations avant de comparaître aujourd'hui. Ils m'ont chargé de faire part au comité de leur appui solide à un poste d'ombudsman créé par voie législative, qui posséderait certaines caractéristiques indispensables : indépendance, impartialité, confidentialité et crédibilité du processus d'enquête. J'ai remis les originaux des lettres de ces présidents au comité comme éléments de témoignage. J'ai donné à chacun des députés du comité l'original anglais et une traduction en français.
Je voudrais conclure en soulignant que vous êtes le dernier rayon d'espoir des anciens combattants, dont bon nombre ont simplement perdu toute confiance envers le gouvernement. Le ministère des Anciens Combattants s'est toujours opposé vigoureusement à ce qu'un ombudsman le surveille. Ce ministère se fait dire aujourd'hui par le gouvernement qu'un ombudsman sera nommé malgré ses objections de principe. C'est donc à vous, en tant que comité parlementaire impartial, qu'il revient d'aider le gouvernement et d'appuyer cette initiative pour que les anciens combattants aient un allié qui lutte en leur nom contre l'injustice administrative. Ne vous laissez pas convaincre par mégarde de mettre en place ce qui pourrait fort bien être une simple façade et non pas une véritable fonction d'ombudsman.
Merci, monsieur le président.
Des voix: Bravo!
:
Il faut distinguer deux éléments. D'abord, il faut des moyens d'enquête robustes pour faire le travail. Par là, je veux dire le pouvoir de visiter, le pouvoir d'assignation, le pouvoir de recueillir des témoignages, le pouvoir de contrainte, le pouvoir d'exiger la coopération. D'une part, on a besoin de ces pouvoirs, mais, d'autre part, je ne prétend pas que le rôle de l'ombudsman au ministère des Anciens Combattants doive aller au-delà du pouvoir de recommandation.
Il faut donc des pouvoirs d'enquête solides, importants, appuyés par des dispositions qui définissent des infractions pour le refus de coopérer. Puis, conformément au modèle classique, l'ombudsman formule sa recommandation. Mais cette recommandation se fonde sur les solides ressources qu'il peut exploiter. Voilà mes deux recommandations.
Dans l'appareil gouvernemental, on a tendance à dire, à propos de la fonction d'ombudsman, qu'elle est bien trop dure, bien trop offensante, que les gens sont chic, etc. Là n'est pas la question. Il ne faut pas que l'ombudsman soit obligé de ramper, de mendier pour qu'on daigne lui donner une réponse.
L'un des problèmes que j'ai eus comme ombudsman pour les militaires, c'est qu'on me répondait de présenter une demande d'accès à l'information. Je ne suis pas un journaliste du Citizen, je suis un ombudsman, mais je devais alors faire des appels, etc. À mon poste actuel d'ombudsman de l'Ontario, j'ai un pouvoir d'assignation. Lorsque j'écris à quelqu'un et dis qu'il me faut une déclaration sur tel ou tel point, s'il y a un problème, je réponds que j'utiliserai mon pouvoir d'assignation. Ce n'est pas plus compliqué.
Il faut donc des pouvoirs solides, mais je ne préconise pas que, au bout du compte, l'ombudsman puisse faire plus que formuler une recommandation. Son pouvoir est limité à celui de la persuasion morale, rien de plus. Et cela donne des résultats.
:
D'abord, les coûts de fonctionnement. Quand je lis la transcription des témoignages et les chiffres qu'on lance à propos des coûts, je me dis que, avec tous ces chiffres gonflés, on effraie les gens. Ils ne veulent donner aucun pouvoir au bureau de l'ombudsman parce que les fonds nécessaires ne sont pas là.
Par exemple, j'ai lu dans la transcription qu'un témoin disait qu'il fallait un financement de 8 ou 9 millions de dollars pour le bureau et qu'il fallait un service parallèle au sein du ministère, ce qui coûterait encore 8 ou 9 millions. Je ne vois pas de quoi il veut parler. Je m'occupe de tout l'appareil gouvernemental provincial, soit 500 ministères et organismes divers. Il n'y a pas d'organisation correspondante à l'intérieur du gouvernement ontarien chargée de me répondre. J'ignore où... À mon sens, c'est encore une attitude défaitiste. Faudra-t-il avoir à l'intérieur du ministère un service qui correspond au bureau de l'ombudsman pour surveiller l'administration centrale? Ce serait du double emploi.
Le bureau de l'ombudsman de l'Ontario reçoit 24 000 plaintes par année. Il a un budget de 9,6 millions de dollars pour s'occuper de tout, et il y a des dizaines de tribunaux administratifs. Nous réglons 90 p. 100 des cas par la diplomatie et la méthode douce. La méthode du gant de velours. On essaie de convaincre, par des voies officieuses, dans la majorité des cas.
Puis, nous choisissons six cas pour faire une enquête systémique sur le terrain. Ce sont des enquêtes où on va au fond des choses, interviewe des témoins, conserve des transcriptions. On se prévaut des pouvoirs officiels du bureau. Cela se fait dans environ six dossiers.
En ce moment, par exemple, nous faisons une enquête sur la Société des loteries de l'Ontario. C'est une enquête systématique, car des questions ont surgi au sujet de gens de l'organisation qui empocheraient des lots de façon frauduleuse. L'enquête systémique porte sur un dossier qui représente des milliards de dollars. Voilà un exemple de l'utilisation de nos pouvoirs officiels.
On nous appelle tous les jours ou on communique avec nous par Internet, et il a environ 24 000 causes par an.
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Merci, monsieur le président, monsieur Perron et madame Finlay.
Merci d'avoir accepté de comparaître. Monsieur Marin, vous avez fait un excellent travail lorsque vous étiez ombudsman à la défense. J'ai toujours cru que, avec votre départ, le gouvernement fédéral avait tout à perdre, et l'Ontario tout à gagner
J'ignore si vous le savez, mais l'ombudsman de la défense a publié aujourd'hui un rapport dans lequel il fait clairement état d'inexactitudes majeures à propos de ce qui s'est passé pendant la guerre du Golfe, au Koweït, et explique comment les préoccupations maintes fois soulevées par ceux qui nous appuyaient ont été complètement éludées par, je dirais, tous les membres de tous les gouvernements, et pas seulement du gouvernement, mais aussi des autres partis politiques, car ils n'ont pas pris les problèmes assez au sérieux et se sont retranchés derrière de prétendues données objectives.
Je crois que, aujourd'hui, l'ombudsman a vérifié bon nombre des plaintes. S'il y a jamais eu besoin de justification pour un poste d'ombudsman, elle nous est fournie aujourd'hui.
J'ai interrogé divers groupes à propos d'un point qui me préoccupe. Nous avons un ombudsman à la défense et nous préconisons la nomination d'un ombudsman pour les anciens combattants. Que penseriez-vous de confier les deux tâches à un seul ombudsman, c'est-à-dire d'élargir le rôle d'un seul ombudsman, quitte à lui donner des ressources suffisantes pour qu'il se charge des deux? Si je pose la question, c'est que bien des gens quittent le service soit parce qu'ils partent à la retraite, soit parce qu'ils sont handicapés. Lorsqu'ils ne sont plus militaires, ils deviennent des anciens combattants, mais certains de leurs problèmes sont liées à la défense, et pas nécessairement à Anciens Combattants Canada. Qu'en pensez-vous? Une seule personne devrait-elle se charger des deux tâches, ou doit-il y avoir deux ombudsman distincts?