:
Merci, monsieur le président.
Merci, mesdames et messieurs, de l'invitation à venir témoigner devant le comité, qui se penche justement sur la question de la santé et des soins que reçoivent les vétérans, particulièrement à ce moment-ci, compte tenu de la nouvelle charte et de ses répercussions sur les soins qui sont donnés aux nouveaux vétérans.
J'utilise le terme « nouveaux vétérans » ou « nouvelle génération de vétérans », c'est-à-dire essentiellement ceux de l'ère moderne ou post-moderne, soit après la fin de la guerre froide, qui sont différents de ceux qui ont fait la Deuxième Guerre, la Première Guerre et la guerre de Corée. On inclut aussi nécessairement dans ce groupe ceux qui ont servi entre la guerre de Corée et la fin de la guerre froide.
L'ampleur de cette nouvelle génération de vétérans est croissante et continuera de l'être pour des années à venir. Il est donc tout à fait pertinent d'examiner ce que nous faisons pour eux et de voir comment nous pouvons agir de façon proactive afin de répondre à leurs besoins.
[Traduction]
J'ai témoigné devant le comité sénatorial en 2003 sur le même sujet; lorsque j'étais sous-ministre délégué des ressources humaines ou, à ce moment-là, du personnel, j'ai témoigné devant le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, qui a maintenant été scindé en deux comités. Je suis très heureux d'être de retour ici aujourd'hui.
Très rapidement et succinctement, si vous me le permettez, le premier aspect dont je souhaite vous parler porte sur l'époque où nous vivons; c'est-à-dire, ce qui se passe maintenant et ce qui est arrivé ces 15 ou 16 dernières années, depuis la guerre du Golfe, essentiellement, quand nous avons vu toute une série de pays imploser et que les Nations Unies ont entrepris toute une série de missions différentes, et également que des pays, en coalition, ont participé à un certain nombre de ces missions sans être sous l'égide des Nations Unies. Dans cette nouvelle ère, les missions sont très complexes et souvent ambiguës, et cette situation prévaudra sans doute encore pendant plusieurs années. Nous vivons donc essentiellement dans une nouvelle ère, au début d'une nouvelle ère, par opposition à la précédente qui a réellement pris fin lorsque la guerre froide s'est terminée.
À l'ère précédente, nous étions témoins de guerres classiques, de guerres d'usure, de guerres qui opposaient, essentiellement, des armées à des armées. À l'exception de nos collègues américains, qui ont vécu l'expérience de façon approfondie au Vietnam, on voyait des armées professionnelles qui faisaient face à des armées professionnelles, qui combattaient avec des équipements modernes, dans un contexte général d'eurocentrisme.
Ce n'est plus ce qu'on voit depuis, et ce ne seront pas non plus les conflits de l'avenir. Nous verrons toute une série de ces missions très complexes, très ambiguës et très difficiles à mesure que des pays continueront d'imploser partout dans le monde, que des pays tenteront de se conformer davantage à la démocratie, aux droits de la personne, à la bonne gouvernance et à la primauté du droit, alors que nous continuerons de voir les extrémistes de différents pays continuer de violer les droits de la personne. Nous serons également témoins de la vulnérabilité du monde développé par rapport à des éléments tels que le terrorisme et même, peut-être, les risques liés aux armes nucléaires.
Essentiellement, l'ère où nous vivons est une ère où les hommes et les femmes en uniforme — tout comme ceux qui travaillent pour les Affaires étrangères, l'aide humanitaire et la GRC, de même que les policiers civils — continueront de participer à des missions qui ne sont pas très bien définies. Ce n'est plus simplement les bons contre les méchants. Il y aura des dilemmes intrinsèquement complexes sur la façon de régler un conflit, d'y participer et d'user de force.
Les hommes et les femmes sur le terrain continueront de faire face à des dilemmes éthiques, moraux et juridiques complexes lorsqu'ils décideront de faire usage ou non de la force, lorsqu'ils tenteront d'intégrer l'usage de la force dans les deux autres D, c'est-à-dire la diplomatie et le développement, et de trouver des solutions complètes et globales à ces conflits.
Ainsi, mesdames et messieurs, l'époque du béret bleu portant les pantalons courts et une batte de base-ball, du maintien de la paix conforme au chapitre 6, est révolue. Il n'y aura pas non plus de troisième guerre mondiale en Europe centrale, avec une utilisation massive de blindés et de techniques de guerre classiques. En fait, cela ne s'est produit que deux fois ces 15 dernières années: pendant la première guerre du Golfe et lorsque la coalition dirigée par les Américains est entrée en Irak pour la deuxième fois en 2003. Sinon, tous les scénarios ont été extrêmement compliqués et on ne fait pas face à des ennemis classiques; en fait, ce sont des contextes sans précédent.
Cela m'amène à mon premier argument. Ceux qui servent sur le terrain ont toujours un sentiment d'insécurité parce qu'ils ne disposent pas de tous les outils, de toutes les doctrines, de toute la formation, de toutes les tactiques, de tout l'équipement et de toute l'organisation dont nous disposions auparavant lors des guerres classiques, qui étaient bien définies et bien structurées. Nous faisons encore de la formation sur le tas. Il faut réagir ponctuellement, continuer d'apprendre de nouvelles leçons et continuer de passer en mode de gestion de crise.
Par exemple, l'EPR en Afghanistan n'est pas la solution à tous les problèmes; c'est un essai. C'est une nouvelle façon de résoudre des conflits. Il ne s'agit ni d'une guerre ni de maintien de la paix; il s'agit de résolution de conflit. Cela présente les conditions idéales pour que ceux qui servent là-bas souffrent de stress ou de traumatismes. Ils n'ont plus le même vague sentiment de bien-être que pendant la guerre froide, quand nous étions tous deux en Allemagne et que nous savions exactement où nous allions, qui était l'ennemi et quoi utiliser pour régler le problème. Voilà donc une base de référence.
Premièrement, cette époque ne tire pas à sa fin. Elle prévaudra pendant encore plusieurs décennies, et deviendra de plus en plus complexe et exigeante. Deuxièmement, nous ne disposons pas des doctrines et des concepts fondamentaux que nous avions auparavant pour dire que nous envoyons tous les soldats sur le terrain avec les outils appropriés pour faire le bon travail, parce que nous continuons d'apprendre. Souvenez-vous que dans le cas de la guerre classique, il a fallu des siècles pour établir le droit humanitaire, le droit du combat armé, sans parler des différentes conventions du XXe siècle. Nous sommes donc en terrain inconnu et complexe.
Ensuite, il faut dire que le SSPT n'est ni une maladie ni un trouble de santé mentale. C'est une blessure au cerveau, qui est physiquement touché. Cela bousille certaines de nos cellules grises. Une partie des circuits se détraque de façon irréversible. Il ne s'agit pas d'un état psychologique qui mène à un trouble de santé mentale. Il s'agit d'une fracture psychologique. C'est un traumatisme qui a mené à quelque chose de plus grave.
[Français]
Nous faisons donc face à une blessure opérationnelle et non à un problème de santé mentale. Dans ce contexte, l'urgence de répondre aux besoins d'une personne qui a subi ce genre de blessure est la même que pour une personne qui a perdu un membre ou qui a été blessée par une balle, un obus ou une mine, et dont le résultat est visible. Il n'y a aucune différence entre l'urgence de prendre soin d'une blessure de stress post-traumatique — plus on agit rapidement, meilleur est le résultat — et l'urgence de répondre au besoin physiologique visible de quelqu'un dont un membre est cassé.
[Traduction]
C'est pourquoi lorsque nous avons entrepris tout cet exercice en 1997, Anciens combattants et moi, il comportait deux aspects. Un aspect était lié à la Défense, à la création du programme Qualité de vie; David était mon secrétaire particulier et principal officier d'état-major à ce moment-là, lorsque j'étais SMA(Mat) et nous avons créé le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants. Je suis allé voir un homme appelé Richardson, je crois, qui était député et vice-président; je lui ai dit : « Nous mourons là-bas. Nos soldats se suicident. Des familles s'entre-détruisent. Des individus deviennent complètement opérationnellement inefficaces. Il faut tenir compte de la qualité de vie. » Vous vous souvenez peut-être qu'il s'agissait de l'époque de toutes les compressions budgétaires et de leurs effets. Le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants a donc entrepris une étude sur la qualité de vie et apporté des changements massifs au MDN; des fonds ont été affectés pour respecter cette exigence.
Le deuxième aspect était lié aux communications avec un homme appelé Dennis Wallace, qui était à l'époque un SMA des opérations à ACC, et nous avons détaché un général à Anciens combattants Canada, ce que nous aurions dû continuer à faire. Ce général à une étoile a été intégré dans tout le processus de modernisation d'Anciens combattants Canada pour répondre aux besoins d'une nouvelle génération d'anciens combattants et a participé à la création des comités consultatifs des Forces canadiennes, dont le Dr Neary a fini par être président, et qui a produit le rapport qui, au bout du compte, a aidé ACC à élaborer la nouvelle Charte des anciens combattants. Aujourd'hui, nous avons même une Déclaration des droits des anciens combattants, ce que nous appelions à l'époque un contrat social entre l'armée et le peuple canadien.
Cela n'a pris que neuf ans — seulement neuf ans, jusqu'en 2006. Toutefois, nous n'avons pas cessé nos activités pendant ces neuf ans. Nous n'avons pas pu fermer boutique, garder les troupes à la maison, raffiner les processus, puis les renvoyer en action. Au contraire, le gouvernement canadien a conservé un tempo incroyable d'utilisation des forces, alors que nous tentions de créer un système qui n'existait presque plus en raison de presque 45 ans de temps de paix.
Nous avons maintenant un système, mais nous avons également de nombreuses victimes auxquelles on n'a pas répondu, d'une façon ou d'une autre. Nous n'avons pas rejoint les anciens combattants de la guerre du Golfe. Nous n'avons pas rejoint les anciens combattants victimes de l'agent Orange. Des gens sont toujours en attente, et leurs dossiers sont entre les mains des avocats. Ces dossiers devraient plutôt être entre les mains des politiciens afin que des décisions soient prises, que des indemnités leur soient versées et que les dossiers soient fermés.
L'une des raisons principales... au sujet de ceux qui sont passés entre les mailles du filet lors de la modernisation c'est qu'ils minent le moral de ceux qui servent. Ce qui n'est pas nécessaire, et qui aura certainement un effet terrible, c'est si les anciens combattants, lorsqu'ils reviennent au pays après avoir combattu ou servi à l'étranger, doivent continuer de se battre pour vivre décemment chez eux. Cela mine leur moral, parce qu'ils regardent sans cesse par-dessus leur épaule en se demandant comment leur famille sera traitée et comment ils seront traités.
En 1998, un jeune caporal de 22 ans est revenu de Bosnie. Il avait marché sur une mine. Il avait perdu une jambe et son dos était en pièces. Il était à l'hôpital. Je suis allé le rencontrer — j'étais alors un général à trois étoiles — à notre hôpital, ici, à Ottawa. Son épouse était là; ils avaient un jeune enfant. Cet homme avait été blessé moins d'une semaine auparavant. La première question qu'il m'a posée était la suivante: « Comment ma famille survivra-t-elle? » C'est une question qu'ils ne devraient jamais avoir à poser, parce que nous devrions leur communiquer ces renseignements.
Ainsi, mesdames et messieurs, mon deuxième argument est qu'en raison de cette blessure, de nombreuses personnes sont passées entre les mailles du filet pendant le processus de renforcement des capacités, qui est maintenant complété. Elles saperont le moral de ceux qui servent, parce que si on ne leur répond pas, elles auront toujours le sentiment qu'une fois qu'on est blessé, il faut revenir et fournir sans cesse des preuves et lutter contre tout un processus pour être traité de façon décente.
Il s'agit d'un effet négatif sur l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes, ce qui a un impact énorme sur leur endurance, parce que les familles ont tendance à dire: « Pourquoi continuer de servir dans un tel uniforme? Ils t'ont détruit. Nous devons recoller les pots cassés et nous sommes laissés à nous-mêmes. »
Il est également important pour la durabilité des Forces canadiennes que les hommes et les femmes d'expérience qui reviennent, blessés ou non, aient l'impression d'être appuyés, et que leur famille aussi ait l'impression d'être appuyée. Il faut nettoyer le gâchis laissé par ceux qui sont passés entre les mailles du filet, pour continuer de construire cette capacité extraordinaire dont nous disposons maintenant grâce à la nouvelle charte.
[Français]
J'aborderai rapidement quelques sujets spécifiques, si vous le permettez. Je commencerai par les réservistes.
Je suis colonel honoraire d'un régiment. Samedi dernier, j'ai rencontré les familles de 17 soldats de mon régiment de Lévis qui partiront pour l'Afghanistan au mois d'août. J'ai discuté avec les familles; mon épouse était avec nous. Je suis président de la fondation Centre de la famille Valcartier, et ma femme siège au conseil d'administration. Les réservistes ne reçoivent pas un soutien convenable. Le problème est qu'en cas de blessure, particulièrement une blessure causée par le stress post-traumatique, ils sont éparpillés partout dans les régions et il est très difficile de les regrouper et d'assurer un suivi. Ça prend des ressources spécifiques pour les traiter et s'assurer que les réservistes, qui sont absolument essentiels aux Forces armées canadiennes de nos jours, reçoivent les soins adéquats.
On a tellement réduit l'effectif des forces qu'il faut absolument pouvoir compter sur les réservistes. Sans eux, les Forces armées canadiennes n'ont plus aucune capacité opérationnelle. Mais c'est encore un situation de deux poids, deux mesures. Il est plus complexe de prendre soin des réservistes, car ils ne se trouvent pas dans les grandes bases, ils sont éparpillés partout. Parce que c'est un problème plus complexe, il faut trouver une solution plus complexe et une solution pour faire en sorte que ces jeunes, qui consacrent un an de leur vie au service militaire et qui reviennent ensuite au pays — ils le font parfois deux fois —, et leurs familles reçoivent exactement le même traitement que les membres de l'armée régulière. Le sang qui coule dans les veines des réservistes blessés outre-mer est exactement le même que celui des soldats réguliers. On ne leur demande pas, lorsque les balles fusent, s'ils sont des réservistes ou des réguliers. On leur demande de servir. Le système devrait refléter la même équivalence.
Si ça prend plus de ressources pour solutionner le problème des réservistes, alors il faut s'organiser en conséquence. Les soins offerts aux réservistes souffrent d'une grave lacune dans tout le pays.
[Traduction]
Il y a ensuite la question de l'hôpital Sainte-Anne. Au cours des années, certaines rumeurs ont circulé, indiquant que l'hôpital était cédé au gouvernement du Québec, qu'il était en voie d'être fermé ou modifié, et ainsi de suite.
Selon l'expérience de nos collègues aux États-Unis et au Royaume-Uni, en particulier — et nous l'avons vu en France, en Belgique et en Hollande — il faut au moins un établissement qui ait une connaissance et une expérience approfondies de tout ce qui touche l'armée. Bien entendu, nous avons besoin de spécialistes qui savent comment traiter toute une variété de maladies, que ce soit la vieillesse ou Dieu sait quoi. Nous avons bien entendu besoin de cet aspect clinique. Mais il faut aussi un établissement qui comprend la culture et toutes les dimensions du monde militaire. C'est un monde différent. Il évolue dans un milieu tout autre que la société. Il respecte bien sûr les valeurs et l'éthique de la société canadienne, mais il évolue dans un autre contexte. Même son jargon est différent de celui de la population normale. Il faut donc absolument veiller à ce que Sainte-Anne continue à relever d'ACC.
Aussi, étant donné la prévalence des blessures n'ayant pas été causées par des balles, des bombes, des mines et ainsi de suite — les blessures dominantes et prévalentes sont le stress opérationnel et le syndrome de stress post-traumatique — Sainte-Anne doit commencer à affecter une partie considérable de ses ressources afin de devenir un institut militaire du SSPT, à l'échelle nationale et internationale. On ne peut pas simplement traiter. Il faut également faire des recherches pour prévenir des blessures de cette envergure chez ceux qui s'enrôlent. Il faut apprendre, faire des essais, administrer des tests, faire de la recherche, du développement. Et il faut enseigner à ceux qui travaillent dans les dix cliniques dont ACC s'est doté, dans les cinq cliniques de la Défense nationale, et à ceux qui nous apportent leur aide par contrat. Il faut avoir les capacités de base pour ne pas simplement traiter le problème d'aujourd'hui; il faut trouver les façons de réduire les effets de cette blessure à l'avenir.
Nous le faisons du point de vue physique. Je veux dire que le traitement que nous fournissons maintenant et le traitement fourni aux hommes dans les tranchées à la bataille de la crête de Vimy, pendant la Première Guerre mondiale, n'ont rien à voir. Ceux qui connaissent la série M*A*S*H et qui ont regardé MASH 4077 savent qu'il s'agit d'une invention introduite pendant la guerre de Corée et que celle-ci a beaucoup réduit le nombre de victimes. Elle a été utilisée considérablement pendant la guerre du Vietnam. Il s'agit d'un processus qui nous permet de ne plus perdre autant d'hommes qu'auparavant, parce que nous avons analysé les problèmes physiques et que nous avons demandé comment nous pouvions les résoudre.
Eh bien, mesdames et messieurs, il faut faire la même chose avec les blessures entre les deux oreilles, et il faut un établissement pour ce faire. Il faut que Sainte-Anne apporte des changements à une aile, un service, des étages — et Dieu sait quoi encore — pour s'engager à réduire les effets de cette blessure sur les anciens combattants futurs, les futurs membres des Forces qui continueront de s'engager. Voilà le mandat.
De plus, le Programme de soutien social aux victimes de stress opérationnel est composé de 400 anciens combattants qui aident d'autres anciens combattants partout au pays. Dois-je vous rappeler qu'ils doivent être intégrés dans le processus? Ils doivent se trouver dans ces dix cliniques d'ACC. Ils doivent se trouver dans ces cinq cliniques de la Défense. Ils doivent aller dans les différents bureaux d'ACC, dans les bases, etc., parce qu'ils ont une connaissance approfondie du jargon que ces gens utilisent, premièrement, ce qui n'est pas automatiquement le cas des cliniciens. Et deuxièmement, ils sont un outil essentiel au rétablissement et à la stabilisation des anciens combattants qui souffrent du SSPT.
On a besoin d'une thérapie professionnelle. Le plus souvent, on a besoin de médicaments. Je prends neuf comprimés par jour. J'ai suivi une thérapie pendant huit ans. Et entre ces sessions, on a besoin d'un ami. On a besoin de quelqu'un qui est prêt à s'asseoir pendant quatre heures pour nous écouter parler. Les familles ne peuvent pas le faire. Les conséquences sont trop importantes. Ma famille n'a toujours pas lu mon livre. Les familles ne peuvent pas faire face à de telles situations. Les oncles et les tantes, peut-être; un ami, c'est possible. On a besoin d'un autre ancien combattant pour s'asseoir avec nous, écouter et être là entre les sessions officielles pour continuer le processus.
Et vous savez quoi? J'ai appris cela de la Légion. Premièrement, le fait que je sois encore en vie aujourd'hui est très étroitement lié au fait que j'ai un ami, mais je l'ai appris de la Légion. Je l'ai appris lorsque j'étais un enfant, que j'avais 7, 8, 9 ou 10 ans, et que j'y allais, les samedis, avec mon père. J'ai vu mon père s'asseoir à ces tables, ces petites tables d'arborite, recouvertes de bière. Ils étaient cinq, six ou sept, et ils riaient à gorge déployée ou, de temps à autre, l'un d'entre eux pleurait à chaudes larmes. Mais le soir, après ses discussions avec ses copains, la famille pouvait vivre décemment, sans stress.
Il faut absolument prendre cette capacité créée par un lieutenant-colonel avec qui j'ai servi, Stéphane Grenier, au MDN et la transférer aux établissements parmi les services normalement offerts.
[Français]
Rapidement, si vous me le permettez, le dernier sujet, et non le moindre, concerne les familles.
Je vais vous raconter une petite histoire. Quand je suis revenu du Rwanda, après avoir passé un an là-bas dont presque quatre mois de guerre, ma belle-mère m'a dit qu'elle n'aurait jamais survécu à la Deuxième Guerre mondiale si elle avait dû subir ce que ma famille a vécu. Pourquoi? Parce que pendant la Deuxième Guerre, quand mon beau-père commandait son régiment en Italie, et plus tard en Hollande et en Belgique, la famille recevait très peu d'information. De plus, l'information était censurée. Le pays en entier était engagé dans la guerre.
Aujourd'hui, le pays est en paix. Cependant, les Forces armées sont engagées dans des conflits depuis la guerre du Golfe. Cela fait quinze ans qu'on est en guerre. Le plombier qui demeure d'un côté de la rue et le fonctionnaire qui demeure de l'autre côté sont en paix. Par contre, les familles des soldats sont soumises à des conditions de guerre. Nos familles vivent nos missions avec nous à cause des médias. Ils sont toujours là et veulent être les premiers à rapporter qui a été blessé, tué ou enlevé. Les familles sont stressées et sont touchées profondément.
Un système qui ne prend soin que de l'individu et qui n'intègre pas les soins aux époux ou épouses ainsi qu'aux enfants — j'en ai deux moi-même qui ont été affectés — est un système qui est loin d'être parfait. L'individu peut recevoir toute l'aide nécessaire, mais une fois de retour à la maison, il se retrouve devant un scénario extrêmement complexe.
Il faut donc trouver des solutions en collaboration avec les provinces pour apporter des soins aux enfants et aux époux et épouses qui restent au pays. On l'a constaté à Petawawa; c'est seulement un petit exemple de ce que les familles vivent au retour des soldats.
On peut investir une fortune pour aider l'individu, mais si on n'aide pas sa famille, on n'atteindra pas l'objectif souhaité. Je termine en rappelant que la charte nous amène dans l'ère moderne, car elle mentionne l'individu et la famille. Il faut l'appliquer, et c'est là où on se heurte encore à des lacunes.
Mesdames et messieurs, vous avez été bien patients envers moi. Je vous remercie énormément de votre invitation.
Je suis prêt à répondre aux questions.
:
Monsieur le président, je ne vais pas donner de notes biographiques. Vous me connaissez tous.
Cela me fait bizarre d'être face à face avec vous, mais ça soigne beaucoup mon ego. Quand mes pairs reconnaissent tous les efforts que j'ai faits en matière de stress post-traumatique depuis que j'ai été élu, ils me rendent hommage et j'en suis vraiment gratifié.
Parlons du colloque auquel j'ai assisté la semaine dernière. Mon seul problème, c'est que je ne pouvais me diviser en trois ou quatre. Il y avait trop de séances simultanément, et il aurait fallu que j'assiste à toutes. Malheureusement, cela ne m'a pas été possible, mais j'ai essayé de choisir mes séances afin de pouvoir mieux m'informer et vous informer.
Le général Dallaire m'a ouvert les yeux ce matin lorsqu'il a dit que c'était une blessure de guerre, une blessure intellectuelle ou mentale, au même titre qu'une blessure physique. Cela a beaucoup de sens. Par contre, je me suis aperçu que le général Dallaire avait encore une culture militaire. Je vous dis cela parce que là-bas, la semaine dernière, on nous a dit que pour soigner efficacement le stress post-traumatique, il fallait certaines choses de base. Premièrement, il faut que la personne, comme un alcoolique, reconnaisse qu'elle a un problème. Deuxièmement, il faut que la personne ait des lieux de consultation. Troisièmement, il faut avoir des moyens de traitement.
Je crois que nous devrions recommander à l'armée une meilleure formation. Lorsque les jeunes sont en formation, commencent à apprendre à tirer du AK-47 et à conduire un char d'assaut, on devrait leur donner une formation entre les deux oreilles: il faudrait leur dire comment reconnaître les symptômes d'un stress post-traumatique et leur recommander de consulter s'ils se sentent malades, parce que le stress post-traumatique a un effet direct sur la santé physique.
Le général Dallaire a dit ce matin que ces gens avaient besoin de soins et que c'était urgent. Tous ceux qui sont venus témoigner devant le comité, incluant les experts, nous ont dit que le plus tôt on diagnostiquait cet état et commençait à traiter les gens, plus les chances de réussite étaient grandes. Et il y a plus. Je vais taire les noms des deux ou trois personnes qui m'en ont parlé parce que c'est dur, mais j'ose le dire quand même: on dépense de l'argent inutilement en essayant de soigner les blessures mentales des militaires, des anciens combattants normaux qu'on connaît, des personnes de 80 ans et plus qui ont fait la guerre de Corée et la Deuxième Guerre mondiale, et qui souffrent de stress post-traumatique; on devrait plutôt investir de l'argent pour améliorer leur confort, afin qu'ils puissent jouir d'une fin de vie plus agréable. Ces personnes ont subi leurs blessures mentales il y a 45 ou 50 ans et plus, et elles n'en guériront pas.
Les thérapeutes disent ne pas pouvoir les guérir. Ces personnes sont marquées à vie. C'est difficile d'entendre ça et c'est difficile de le dire aussi. Dépensons donc de l'argent pour les rendre le plus confortables possible dans des milieux familiaux, etc., au lieu de dépenser de l'argent à essayer de guérir un mal dont elles ne pourront jamais guérir.
Il faut donc changer la mentalité de l'armée afin que certains jeunes machos puissent reconnaître un jour, au cours d'une mission, qu'il est possible qu'ils aient des problèmes psychologiques et soient blessés. C'est difficile à reconnaître, mais dès que la personne en est consciente, il faut quasiment la prendre et la soigner immédiatement.
J'ai eu un cas, dont j'ai fourni le nom à Alexandre Roger. Il s'agit d'une petite fille, Danielle, que j'ai rencontrée à Montréal. C'est une jeune femme d'une trentaine d'années qui a souffert du stress post-traumatique en Bosnie. Elle croyait faire une crise cardiaque, et c'est ainsi qu'on a décelé un stress post-traumatique. Heureusement, un médecin lui a dit que ce n'était pas une crise cardiaque mais une blessure mentale. On l'a amenée ici, au Canada, et on a commencé tout de suite à la soigner. Elle travaille maintenant au ministère des Anciens Combattants à Kingston. Elle est complètement guérie. C'est intéressant.
Il y a une autre chose qui est un peu malheureuse. À ce jour, seulement 67 p. 100 des jeunes atteints de blessures mentales peuvent guérir, selon les statistiques fournies. Il faut donc commencer à les soigner rapidement.
Quels problèmes avons-nous? Je crois que le premier est un manque de professionnels, de psychiatres, de psychologues. Lorsque M. Dallaire dit que les psychologues québécois peuvent soigner seulement 30 p. 100 des cas, il a raison. J'ai appelé la Fédération des psychologues du Québec. Il faudra faire de la promotion, etc., et je ne sais pas du tout comment on va faire. Il faudrait peut-être que les universités s'emploient à en former davantage et leur apprennent à soigner le stress post-traumatique grave. Il existe seulement 12 sortes de stress demandant des soins qui peuvent marquer à vie, notamment le décès accidentel de son meilleur ami, le viol, dans le cas d'une jeune femme, l'inceste, un incendie. Un traumatisme grave est, dans la plupart des cas, relié à un décès ou à la vie. Il faut faire un effort, en tant que groupe, afin que la société forme le plus possible de psychiatres et de psychologues.
Deuxièmement, il faut diminuer le temps qui s'écoule entre le moment où le jeune en mission reconnaît qu'il peut avoir un stress post-traumatique et le moment où il se fait évaluer par des spécialistes sur le terrain et où on le ramène au pays afin qu'il soit soigné le plus vite possible.
Quand le général Dallaire nous parle de recherche à l'Hôpital Sainte-Anne, je suis d'accord. Par contre, il y a une chose qu'on ne doit pas oublier: il ne faudrait pas qu'on essaie de réinventer la roue, puisque nos amis américains font de la recherche sur le stress post-traumatique depuis déjà 25 ans. J'ai le poil presque hérissé sur les bras quand je vois à quel point nous sommes en retard. D'ailleurs, j'ai été agréablement surpris lorsque j'ai appris que des centres de recherche comme ceux de l'Université McGill, à Montréal, et de l'Université de l'Alberta ou du Manitoba faisaient déjà de la recherche et avaient trouvé certaines solutions qu'ils ont transmises aux Américains et que ceux-ci incluent dans des recherches faites au Canada. Il faut continuer à faire cette recherche, mais de là à faire de l'Hôpital Sainte-Anne un lieu de recherche spécialisé... Il pourrait y avoir un département de recherche, mais c'est surtout un lieu de réparation des blessures mentales. J'emploie le terme « blessures », parce que je l'ai bien aimé lorsque mon ami l'a mentionné.
Un des problèmes est qu'à l'heure actuelle, il n'y a aucun moyen de déterminer la gravité d'une blessure mentale. On ne peut pas dire si, en termes de taux, elle représente 50 p. 100, 75 p. 100 ou 80 p. 100. C'est pratiquement laissé à la technologie ou au pif du soignant. Ce n'est pas comme dans d'autres cas où on se fonde sur un tableau, on analyse le sang, et, si on détecte la présence de certains microbes, on donne un diagnostic de cancer. Il s'agit ici d'une maladie très peu connue. Vingt-cinq ans, c'est très peu en termes de recherche médicale. C'est donc du ressort du soignant de dire dans quel pourcentage le cerveau a été endommagé, et seul son pif lui permet de le faire.
Le problème est que si le ministère des Anciens Combattants décide d'offrir à un ou une jeune souffrant d'une blessure mentale une compensation de 20 p. 100 parce que c'est à ce taux qu'on a évalué sa blessure. C'est inéquitable. Cette façon de penser est injuste parce qu'on ne sait vraiment pas dans quel pourcentage le cerveau est endommagé. On ne peut pas dire si le taux est de 10 p. 100, 15 p. 100, 50 p. 100 ou 92 p. 100.
Un autre problème majeur est le financement, tant du côté de l'armée, qui ne consacre pas suffisamment d'argent à la formation mentale de ses recrues, que du côté civil, où les anciens combattants ne reçoivent pas suffisamment de soins. Par exemple, à Valcartier, à Québec, seulement 3,8 p. 100 du budget alloué à la santé est consacré à la santé mentale. Il faudrait peut-être aussi changer la mentalité de macho des jeunes qui entrent dans l'armée. On leur dit qu'ils sont des durs, mais il faudrait aussi leur conseiller de rester aux aguets, au cas où le stress entraînerait des problèmes mentaux.
C'est essentiellement ce que je voulais dire. Je serais heureux d'échanger avec vous. Je préférerais qu'on ne s'impose pas de limite de temps, mais qu'on fonctionne selon le principe du premier arrivé, premier servi. C'est une discussion entre amis. Je ne vais pas jouer le rôle de celui qui sait tout et qui a tout vu; je vais simplement vous faire part de ce qu'il m'a été donné d'apprendre.
Merci.