Pour commencer, j'aimerais me présenter. J'ai obtenu un doctorat en psychologie spécialisée en stress post-traumatique de l'Université de Montréal. Il s'agissait de la première étude sur le stress post-traumatique vécu par les femmes qui avaient été violées. Par la suite, j'ai été engagée à l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal pour former des psychologues et des psychiatres en stress post-traumatique. Je me spécialise donc dans l'étude du stress post-traumatique, sur le plan de la recherche et sur celui de l'intervention. Dans cet ordre d'idées, j'offre beaucoup de formation en intervention post-traumatique.
Il faut comprendre qu'au Canada, on commence à peine l'étude du stress post-traumatique, tandis qu'aux États-Unis, on a dû faire face à la guerre du Vietnam, d'où sont revenus des milliers de vétérans très traumatisés. Cela a beaucoup conscientisé la population américaine à ce fléau, à ce syndrome. Au Canada, il a fallu plus de temps avant qu'on reconnaisse le syndrome de stress post-traumatique et qu'on commence à se spécialiser dans ce domaine.
Je travaille donc à l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, où je ne vois que des victimes. J'offre de la formation à la base militaire de Valcartier aux psychologues et aux psychiatres qui traiteront nos vétérans et nos soldats qui reviendront de mission. Je continue aussi à faire de la supervision à la base militaire de Valcartier.
À cet égard, M. Perron m'a invitée aujourd'hui afin qu'on puisse discuter ensemble du syndrome de stress post-traumatique. Je commencerai par parler de ce qu'est le syndrome de stress post-traumatique en général, parce qu'on en entend parler de plus en plus, mais on le connaît très peu de façon spécifique.
Tout d'abord, il faut comprendre qu'il s'agit d'un ensemble de symptômes qui sont présents chez les victimes qui ont vécu un événement traumatique. On définit un événement traumatique comme un événement où on a vécu une menace à son intégrité physique et des sentiments de peur, d'impuissance ou d'horreur. Il ne s'agit pas seulement d'avoir eu peur lors de l'événement, mais il s'agit aussi de sentiments d'horreur et d'impuissance.
Nos soldats, par exemple, ont souvent de tels sentiments. Ils vont me dire, par exemple, qu'ils n'ont pas eu peur pour leur vie, mais qu'ils ne pouvaient pas supporter la vision des cadavres ni celle d'un enfant de 14 ans qui tuait une femme enceinte. Il s'agit donc souvent de sentiments d'impuissance ou d'horreur que vivent nos soldats.
On vit un événement traumatique et, par la suite, différents symptômes se manifesteront si on souffre du syndrome de stress post-traumatique. On pense en général à trois types de symptômes. Le premier type est le symptôme d'évitement. Pour la majorité des gens, ils ont vécu là le pire événement de leur vie. Par la suite, ils voudront éviter tout ce qui est relié à cet événement. Pour nos militaires, ceci implique souvent qu'ils ne veulent plus porter d'arme, ne veulent plus porter l'uniforme, qu'ils ne sont plus capables de voir la base militaire et ils ont même de la difficulté à regarder le drapeau parce qu'il est trop associé à cette expérience horrible. Il s'agit donc d'évitement des situations associées à l'événement traumatique.
Il s'agit aussi beaucoup d'éviter des pensées. Ils ne veulent plus y penser, ne veulent plus s'en souvenir et ne veulent pas en parler. D'ailleurs, la plus grande difficulté en psychothérapie est que la majorité des gens ne voudront pas discuter de ce qu'ils ont vécu. Il s'agit donc du premier type de symptôme, l'évitement.
Le deuxième type de symptôme est le flashback, c'est-à-dire que ce qui s'est produit revient à l'esprit, alors qu'on n'en a pas nécessairement envie, alors qu'on ne le désire pas. Ce peut être sous forme de flashbacks, de cauchemars ou de pensées intrusives. Même si on ne le désire pas, on est submergé au quotidien par ces pensées intrusives. Le souvenir de l'événement traumatique revient.
Dans le quotidien, ce symptôme peut prendre la forme suivante: les gens me disent qu'alors qu'ils sont en train de parler, soudainement, ils revoient le visage écrasé d'une femme; pendant qu'ils regardent la télévision, ils entendent le mot « viol » et ils revoient les scènes qu'ils ont vécues au Rwanda; ils se promènent dans la rue, ils voient un enfant et ils revoient cet enfant crucifié sur une porte de grange en Bosnie. Ils seront donc submergés par ces images, qui reviendront de façon récurrente pendant plusieurs mois quand elles sont associées au syndrome de stress post-traumatique. Il s'agit donc du deuxième type de symptôme, qu'on appelle les reviviscences, ou les flashbacks.
Le troisième type de symptôme est l'hyperactivation, c'est-à-dire que le corps est en état d'alerte. Il a failli mourir, il a été dans une situation qui était hors de l'ordinaire et, par la suite, le vétéran ou la victime restera dans cet état de vigilance avancée.
Par exemple, dans la pièce où nous sommes, il serait très difficile pour une victime de ne pas être tout le temps en état d'alerte, parce qu'il y a des fenêtres, il y a des gens autour, en arrière.
Si la personne a vécu des bombardements en Bosnie, si elle a vécu les événements du World Trade Center, si elle a vécu des horreurs au Rwanda, elle va rester très vigilante par rapport à qui est derrière elle, à qui peut entrer par cette porte, à ce qui peut passer du côté des fenêtres. La personne reste dans un état de constante vigilance. Cela veut donc dire qu'elle peut manquer de concentration parce que son esprit est surtout concentré sur ce qui se passe autour d'elle. Cela veut dire qu'elle va avoir beaucoup de difficulté à dormir parce que dormir, c'est l'abandon, c'est se laisser aller, et cela peut la placer dans un état de vulnérabilité. Cela peut vouloir dire aussi qu'elle est très irritable parce que si elle est constamment dans cet état de vigilance, son niveau de stress est à 9 sur 10 et il lui faut presque rien pour exploser.
Donc, les victimes sont des gens avec qui il est très difficile de vivre dans le quotidien, pour leur conjointe ou conjoint, parce qu'ils sont constamment dans cet état de vigilance et d'irritabilité.
Ce syndrome, on le voit apparaître dans les semaines et les mois qui suivent un événement traumatique. En général, on peut le diagnostiquer quand ça fait au moins un mois que ça dure.
On peut imaginer que lors de l'événement traumatique, on a des symptômes qui sont beaucoup plus à court terme. Par exemple, en état de crise, il y aura des symptômes comme l'état de choc. La personne se dit qu'elle ne peut pas croire ce qui se passe. Il y aura des moments dissociatifs. Des victimes me disent que pendant que cela se passait, elles entendaient leur commandant leur dire de faire ceci, de faire cela, et qu'elles obéissaient comme un robot, mais qu'elles étaient déconnectées. Elles avaient réussi à remplir leurs tâches, mais dans l'insensibilité. Elles étaient vraiment déconnectées.
Il y a aussi un grand sentiment de solitude dans les jours suivant l'événement. Les victimes ont l'impression d'être les seules à vivre cela. Elles ont l'impression que c'est inacceptable, particulièrement dans le métier de soldat; elles se disent que c'est honteux de vivre de tels symptômes. Ça l'est encore de nos jours. Si la personne a peur, si elle a des cauchemars, des flashbacks, elle n'en parle surtout pas, parce que cela est un signe de faiblesse, ce n'est pas digne de l'armée canadienne. Ce sont des émotions qu'on voit apparaître dans les jours qui suivent et si elles perdurent, on voit ensuite apparaître le syndrome de stress post-traumatique.
Quand on parle de syndrome de stress post-traumatique, on parle d'un syndrome qui se produit mais qu'on pensait rare, autrefois. On imagine actuellement... On commence à accumuler des données qui nous indiquent que cela n'est pas si exceptionnel et que des événements horribles peuvent induire un syndrome de stress post-traumatique.
On a vu différentes études. Qu'est-ce qui peut mener aux troubles de stress post-traumatique. Quels sont les facteurs qui peuvent faire en sorte que la condition soit encore plus grave? On remarque que cela se produit lorsqu'il s'agit d'événements particulièrement horribles, des événements intrusifs, donc des événements qui ont touché la victime. Non seulement, la personne a vu son collègue recevoir une balle, juste à côté, mais elle reçu du sang sur elle. Elle a vu sa cervelle par terre. Ce sont des événements qui sont intrusifs, imprévisibles et violents.
Les gens parleront souvent d'événements qui touchent des enfants; ceux-là engendrent d'autant plus l'apparition du trouble de stress post-traumatique. Ils vont me dire, par exemple, être allés au Rwanda et ne pas avoir pu supporter que des enfants portent des armes. Dans leur esprit, une guerre ne peut être civilisée que lorsqu'elle se passe entre deux hommes entraînés et adultes. Ils me disent qu'après être arrivés à cet endroit et avoir vu des enfants qui tuaient, ça leur apparaissait comme de la barbarie. Alors, pour plusieurs, c'est insupportable de constater ce non-sens, même dans le contexte de la guerre. Cela aussi peut être un facteur qui favorise le trouble de stress post-traumatique.
On pense à des événements sexuels qui sont aussi très liés à des syndromes de stress post-traumatique. Ils sont souvent associés à davantage de symptômes parce qu'ils sont très intrusifs et traumatisants.
Il y a aussi, évidemment, des événements qui se traduisent par des séquelles physiques. Si la personne vit un événement traumatique et qu'elle en est témoin ou qu'elle est blessée, elle risque peut-être davantage de développer le syndrome de stress post-traumatique que si elle n'a pas été blessée.
On remarque aussi — et je vais terminer là-dessus — certaines différences selon le sexe des victimes. On sait, par exemple, que les femmes et les hommes ne vivent pas le même genre d'événements traumatiques. Les femmes ont neuf fois plus de risques de vivre un événement traumatique à caractère sexuel que les hommes. On sait aussi que la réaction, à la suite de l'événement traumatique est très différente selon le sexe. On sait que les femmes ont davantage tendance à consulter un professionnel à la suite d'un événement traumatique. Elles vont davantage chercher de l'aide, ce qui peut améliorer leur pronostic, alors que pour les hommes, c'est beaucoup plus associé à de la honte encore, à un stigmate, surtout au sein des forces.
Les hommes auront tendance à le cacher, à consommer. On remarque dans certaines études, un pourcentage assez éloquent de comorbidité entre le stress post-traumatique et la consommation d'alcool. Cinquante pour cent des hommes traumatisés auront un diagnostic de consommation d'alcool. Ce n'est pas seulement prendre une petite bière de temps en temps, c'est vraiment un diagnostic d'abus et de dépendance à l'alcool. C'est une chose qui peut être inquiétante parce que, évidemment, si vous buvez quatre bouteilles de gin le soir, c'est sûr que vous ne serez plus anxieux. À court terme, cela fonctionne. Le problème, c'est qu'à long terme, cette consommation d'alcool va renforcer le syndrome post-traumatique et vraiment renforcer les symptômes de façon chronique. C'est une chose dont il faut être très conscient. Le syndrome post-traumatique qui n'est pas traité peut vraiment s'aggraver avec le temps. Il restera chronique et, souvent, une comorbidité va s'y ajouter, surtout chez les hommes, sur le plan de la consommation d'alcool.
Une autre comorbidité qui peut nous inquiéter est de se rendre compte qu'un stress post-traumatique qui n'est pas traité est souvent associé à une dépression majeure. Quand on parle de symptômes de dépression, on parle de tristesse, de difficultés du sommeil, de pleurs constants, d'une perte d'intérêt et d'idées suicidaires. Ce n'est pas anodin, c'est vraiment une chose assez importante et qui est associée de façon très marquée au syndrome. On remarque dans les études que 52 p. 100 des femmes et 52 p. 100 des hommes ayant un stress post-traumatique auront en plus un diagnostic de dépression majeure si le stress post-traumatique n'est pas traité. Compte tenu de la croyance populaire, on s'imagine quelquefois qu'à long terme, le temps va arranger les choses, que tranquillement les symptômes vont diminuer. Ce n'est pas ce qu'on constate dans les ouvrages scientifiques. Ce qu'on constate, c'est que si on laisse traîner les choses, des diagnostics peuvent s'ajouter parce que la victime va tenter de diminuer cette anxiété avec ce qu'elle connaît, par exemple l'alcool, ou bien elle va développer des symptômes de dépression importants par la suite.
Je vais prendre quelques minutes pour clore ma présentation, et on pourra en discuter ensemble par la suite.
Évidemment, on a développé au fur et à mesure des années une meilleure connaissance du stress post-traumatique, des facteurs qui peuvent l'aggraver, mais aussi de ce qu'on peut faire pour nous aider à le diminuer. On pense particulièrement aux stratégies thérapeutiques, aux stratégies de psychologie. Pour bien se situer, il existe trois niveaux d'intervention. Le premier niveau d'intervention est le moins connu, c'est le niveau avant le trauma.
Comment peut-on faire pour aider des gens qu'on sait à risque — les militaires, mais aussi les policiers, les ambulanciers, les coopérants internationaux —, sachant qu'il y a un risque de trauma, à augmenter leur résilience, à augmenter leur capacité à se connaître, pour diminuer peut-être la prévalence de stress post-traumatique? C'est le premier niveau d'intervention. On pourra en reparler plus tard. C'est le moins connu et le moins développé.
Le deuxième niveau d'intervention se situe immédiatement après le trauma, dans les heures et les jours qui suivent. On sait que quelqu'un a été traumatisé; que peut-on faire dans l'immédiat? Vous avez déjà entendu parler de debriefing post-traumatique; c'est le deuxième niveau d'intervention. Comment peut-on les aider à court terme? L'objectif de cette intervention immédiate est de tenter de prévenir l'apparition du trouble de stress post-traumatique, de prendre les moyens pour que ce trouble de stress post-traumatique soit moins grand.
Le troisième niveau d'intervention, c'est le niveau à plus long terme, c'est-à-dire après un mois, quand on a un diagnostic de trouble de stress post-traumatique, des symptômes qui durent, d'évitement, d'hyperactivité, de flashbacks, depuis un mois, deux mois, trois mois. Comment peut-on faire pour aider ces victimes?
Pour les aider à se remettre de leur traumatisme, il s'agit d'appliquer un niveau d'intervention où les stratégies thérapeutiques sont à plus long terme.
Voilà.
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On peut envisager la possibilité que des êtres humains aient souffert du trouble de stress post-traumatique depuis la nuit des temps. Malheureusement, les traumas ont toujours existé. Toutefois, les premiers écrits scientifiques datent de la fin des années 1800, période où le chemin de fer a fait son apparition. Il y a eu des accidents, et on a remarqué alors des symptômes étranges chez les victimes, soit un refus de reprendre le train, un
flashback de l'accident.
La première hypothèse était que des éclats de métal avaient pénétré le cerveau et induit les symptômes. Les choses en sont resté là jusqu'aux deux premières guerres mondiales. Pour la première fois, des maux nouveaux sont apparus: névrose des tranchées, névrose des camps de concentration, syndrome de guerre.
Au cours de ces années, on a remarqué chez les militaires les mêmes symptômes que ceux observés auparavant chez les victimes d'accidents du chemin de fer: refus de retourner au combat, flashback et cauchemars sur le combat. Il y avait alors un traitement très efficace pour les soldats souffrant du trouble de stress post-traumatique. On les considérait comme des lâches, des déserteurs, et on les fusillait. Vous allez convenir avec moi que de cette façon, le TSPT était bel et bien éliminé. Mais les soldats l'étaient aussi.
Je présente la chose en riant un peu, mais c'est pour montrer à quel point on part de loin quand on parle de ce syndrome. Il a très longtemps été vu comme une faiblesse chez les militaires. On considérait qu'ils ne faisaient pas leur devoir envers leur patrie, qu'ils étaient des déserteurs. On les a punis pour crimes de guerre. En Amérique du Nord, il a vraiment fallu attendre la guerre du Vietnam pour voir un changement d'attitude face au syndrome de stress post-traumatique.
Les Américains, qui ont vu revenir sur leur sol des milliers de vétérans traumatisés, ne pouvaient pas considérer ces gens comme des faibles et des déserteurs. En effet, plusieurs d'entre eux étaient décorés, certains avaient accompli des actes héroïques au combat et d'autres sortaient des écoles militaires d'élite les plus reconnues. On peut penser à l'académie West Point, par exemple. Ce fut un choc pour les Américains. Ils se demandaient comment de tels soldats, issus des meilleures écoles et ayant accompli des gestes aussi héroïques, pouvaient présenter des symptômes aussi incapacitants.
C'est également au cours des années 1970 qu'on a pu lire pour la première fois des articles scientifiques sur ce qu'on appelle en anglais le rape trauma syndrome. Burgess et Holmstrom en ont traité en 1979. À ce moment-là, le très puissant mouvement féministe américain a remarqué des symptômes étonnamment semblables chez des populations de victimes complètement différentes. Chez les femmes qui avaient été violées, on a noté la peur des relations sexuelles, la peur des hommes, des cauchemars sur l'agression sexuelle, un état d'alerte constant. Ce sont d'abord et avant tout les mouvements pacifiste et féministe américains qui ont travaillé à faire reconnaître le stress post-traumatique auprès du Sénat en 1980.
Depuis ce temps, les universités et certains hôpitaux de vétérans américains se sont concentrés sur ce qu'ils appellent le post-traumatic stress disorder. Ils ont vraiment une longueur d'avance sur nous. Quand j'ai fait mon doctorat — et ce n'était pas en 1920, mais bien en 1993 — , il s'agissait du deuxième doctorat au Québec portant sur le trouble de stress post-traumatique. En 1997, quand j'ai commencé à dispenser de la formation à l'Hôpital Sainte-Anne, un hôpital pour les vétérans situé à Montréal, c'était la première fois que les participants recevaient une formation précisément sur ce sujet. Au Québec, on a exercé des pressions pour qu'il y ait davantage de psychologues.
À l'heure actuelle, il n'y a toujours pas de psychologues québécois ou canadiens qui accompagnent les troupes. Pendant de nombreuses années, nos soldats sont allés consulter des psychologues américains. Pour nous, c'est un début. On a eu la chance de ne pas connaître la guerre du Vietnam. Le général Dallaire a été une des figures marquantes en ce qui concerne le stress post-traumatique au sein de l'armée canadienne. Il a été parmi les premiers à nommer le trouble. Il a osé dire qu'il en souffrait. Pourtant, il était général. Son geste a fait tomber bien des tabous et a aidé à faire reconnaître le trouble.
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Je commencerai par répondre à votre première question, à savoir ce qui se passe du côté des civils qui sont sur place et qui vivent l'horreur tous les jours. Si nos soldats vivent un trouble de stress post-traumatique, on peut imaginer que les civils sur place le vive aussi. Vous avez parfaitement raison: on a plusieurs données scientifiques qui indiquent à quel point les civils souffrent du trouble de stress post-traumatique durant de nombreuses années par la suite.
On peut imaginer toutes ces femmes victimes du fait que le viol est une arme de guerre dans plusieurs pays et qui souffrent par la suite, durant de nombreuses années, du trouble de stress post-traumatique. En ce qui concerne les traitements qui sont offerts — parce que c'était votre question —, durant plusieurs années, un organisme qui s'appelait Psychologues Sans Frontières s'était donné pour mandat de former des gens sur place pour aider la population. On peut comprendre qu'il ait été difficile pour cet organisme de survivre. Actuellement, des psychologues se joignent aux organismes bien engagés, tel Médecins Sans Frontières, et tentent, non pas de traiter la population avec l'aide d'un interprète, mais davantage de former des psychologues, des travailleurs sociaux et des médecins sur place qui connaissent les valeurs, la culture et qui pourront aider ces populations par la suite durant de nombreuses années, même si nos organismes n'y sont plus.
Alors, oui, sur le plan international, de plus en plus d'interrogations surgissent au sujet du trouble de stress post-traumatique au sein même des organismes comme Médecins Sans Frontières.
Je passerai tout de suite à votre dernière question — je reviendrai à votre deuxième —, qui était de savoir si le trouble de stress post-traumatique peut être transférable.
Oui. On l'a su, d'ailleurs, dans les années 1950, 1960 et 1970, quand on a fait des études sur la transmission transgénérationnelle du trouble de stress post-traumatique chez les victimes des camps de concentration. Chez les Juifs qui avaient vécu dans les camps de concentration durant des années, on a même remarqué une présence de trouble de stress post-traumatique chez les deuxième et troisième générations. Il y avait des craintes, de la terreur vis-à-vis des Allemands, vis-à-vis des armes, et des symptômes de dépression beaucoup plus importants chez ces gens que chez une autre population, alors qu'ils n'avaient pas subi le traumatisme eux-mêmes. Ils en avaient entendu parler ou ils l'avaient pressenti, car plusieurs victimes n'en parlent pas.
On a beaucoup parlé, particulièrement aux États-Unis, de la compassion fatigue, la fatigue de compassion, qui est un syndrome présent chez les intervenants qui ne voient que des victimes, qui finissent par ne plus pouvoir écouter des histoires d'horreur et qui développeront des flashbacks qui ne leur appartiennent pas. Par exemple, j'ai entendu mon ministère raconter de façon répétitive quelle était la situation au Rwanda, entre autres la présence de femmes déchiquetées, et moi-même, je commence à les voir quand je vois les nouvelles, parce que je l'ai entendu de façon répétitive.
On peut donc envisager que des conjoints peuvent aussi développer certains symptômes post-traumatiques. Je vous encourage de nouveau à inviter le docteur Guay, chercheur auprès de l'Armée canadienne, qui pourra vous transmettre les vraies données. D'un point de vue clinique, je peux néanmoins vous dire qu'on remarque chez certains conjoints de militaires une peur des Arabes, par exemple, des gens d'origine arabe. Même s'ils ne sont pas allés en Afghanistan et même s'ils n'y ont pas vu les horreurs, ils ne peuvent plus supporter cette population. Malheureusement, ils vont porter un blâme général sur la population en entier parce que, pour ces personnes, c'est cette population qui est responsable du fait, par exemple, que le mari est allé là-bas, qu'il a failli mourir et que les enfants ont failli ne pas revoir son père.
On va donc remarquer un évitement de certains stimuli. On va constater certaines craintes qui sont présentes et on va observer certains symptômes dépressifs chez la famille d'un militaire.
Revenons à votre deuxième question, qui est peut-être la plus difficile. Comment peut-on distinguer quelqu'un qui a un vrai trouble de stress post-traumatique de quelqu'un qui feint un trouble de stress post-traumatique? Actuellement, on a certaines données et on a de l'expérience puisqu'on voit de façon régulière des gens qui ont le trouble de stress post-traumatique. Il faut tout de même dire que seule une minorité va imaginer et faire semblant d'avoir un trouble de stress post-traumatique. Ce n'est que la minorité parce le trouble de stress post-traumatique est stigmatisé. Même si on a des compensations financières à vie, ce n'est pas le « Klondike », ce n'est pas une fortune. Ce trouble est aussi très mal vu par les collègues et au sein des forces.
On s'entend aussi sur le fait que le psychiatre militaire qui fait le diagnostic a vu beaucoup de militaires. Il est donc capable de poser certaines questions afin de pouvoir distinguer entre un vrai TSPP et un faux, particulièrement en ce qui a trait à certains types de cauchemars, à la chronicité du trouble de stress post-traumatique et en comparant ce que le client lui raconte par rapport à ce qu'il avait déjà dit deux ou cinq mois plus tôt. On commence à développer une certaine expertise afin de pouvoir distinguer cela.
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Si vous le voulez bien, je vais revenir sur un de vos commentaires qui m'a semblé très intéressant. Je vais en profiter pour répondre à votre question.
Une des choses très importantes que vous avez mentionnées est qu'il y a une grande différence entre deux types de trauma — et je ne l'ai pas mentionné dans ma présentation — le type 1 et le type 2. Le type 1 est un événement ponctuel: une femme se promène dans la rue et elle est victime d'un viol; une personne se rend dans une banque et elle assiste à un vol à main armée.
Nos militaires ne subissent pas ce type de trauma régulièrement, ils subissent en fait le type 2. Le type 2, ce sont les événements répétitifs: la violence conjugale, l'inceste. Les médecins de Médecins Sans Frontières sont tous les jours en contact avec des horreurs. Cela signifie des choses différentes pour nos militaires. Cela veut dire que s'ils veulent tenir le coup durant neuf mois — c'est à peu près cela la durée du service: entre six et neuf mois —, il faut aussi qu'ils se protègent émotivement. Cela exigera de plusieurs militaires qu'ils utilisent des symptômes de dissociation. Cela veut dire qu'ils se coupent émotivement de ce qui se passe et qu'ils font ce qu'ils ont à faire. Quand ils vont revenir, plusieurs d'entre eux auront des souvenirs troués. C'est également difficile au point de vue de la thérapie parce qu'il faut leur demander, à leur retour, de ressentir des émotions, de se « connecter », alors que lors du service, le moyen qu'ils ont utilisé pour pouvoir tolérer l'horreur était de se « déconnecter ». On a ce type de trauma, et cela fait en sorte que si la personne se « déconnecte », elle a l'air d'être forte.
Cela m'amène donc à votre question finale: comment peut-on, en tant que Canadiens, améliorer leur condition et amoindrir le stigmate? Ce sera difficile, parce que se « déconnecter », faire ce qu'il y a à faire en toute insensibilité, ne pas avoir peur, ce sont comportements considérés comme une force dans les Forces armées canadiennes. En thérapie, on leur dit que le courage n'est pas de ne pas avoir peur, c'est d'avoir peur et de faire quand même ce qu'on doit faire. Ressentir ses émotions peut être une force. Alors, pour favoriser la guérison, on doit aller à l'encontre de ce qu'ils ont utilisé pour pouvoir tolérer l'horreur et, quelquefois, à l'inverse de la pensée militaire même.
Nos militaires sont extrêmement utiles. Ils ont des choses horribles à faire, mais on adopte une politique, on décide qu'on veut les envoyer au combat parce que c'est important pour notre pays. Ils sont très fiers de cela. Quand ils reviennent traumatisés, pour eux, c'est vraiment une faiblesse. Ils auraient voulu faire ce qu'ils ont à faire pour leur pays, sans ressentir de faiblesse. Il faut alors leur montrer que d'avoir des symptômes post-traumatiques n'est pas nécessairement un signe de faiblesse.
Le général Dallaire a beaucoup contribué à le faire. Il faudrait peut-être se rendre compte davantage qu'on est en guerre, décorer davantage de soldats et considérer qu'ils ont fait leur devoir envers leur patrie, même s'ils ont des symptômes post-traumatiques, et non pas seulement décorer et reconnaître des soldats qui ne ressentent rien. Je ne sais pas si « ça sort bien ».
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Ce que vous mentionnez est très intéressant. On parlait tout à l'heure, avec M. Stoffer, de la possibilité qu'il y ait des gens qui simulent un trouble de stress post-traumatique, mais on sait qu'il y a aussi des gens qui retiennent un TSPT. Il est possible, dans deux cas extrêmes, qu'il y ait des gens qui exagèrent pour avoir des compensations et qu'il y ait des gens qui se retiennent d'en parler. Habituellement, on a l'impression qu'il y a beaucoup plus de gens qui retiennent le fait qu'ils souffrent de TSPT, pour une raison importante.
D'abord, on l'a mentionné souvent, c'est honteux, c'est très mal vu dans les Forces armées canadiennes. Mais il y a autre chose: si la personne a un trouble de stress post-traumatique et qu'elle est considérée comme un ancien combattant, cela veut dire qu'elle n'est plus dans l'armée. Pour plusieurs, c'est la fin de toute leur vie. Pour plusieurs militaires, ne plus porter d'uniforme, de fusil, ne plus faire partie de cette grande famille... Beaucoup de gens s'enrôlent dans l'armée parce que c'est un corps, qu'il y a un esprit d'équipe: on peut mourir à côté d'une autre personne, et elle peut mourir pour nous. Pour plusieurs, il s'agit de pallier certains manques qu'ils ont connus dans leur enfance. Ils n'ont pas eu cette famille, cette discipline, cette confiance dans les autres, cette motivation qui provient du sentiment qu'ils font du bien.
Ce qu'on voit, quand on les suit en thérapie, lorsqu'on dit à quelqu'un qu'il souffre du trouble de stress post-traumatique, cela veut dire qu'il va devoir quitter l'armée. Or, l'armée, c'est toute sa vie. Il ne veut plus se considérer comme un civil parce qu'un civil, c'est une « patate », c'est un imbécile. Être militaire, c'est être associé à toute la fierté envers son pays et envers soi-même.
Ce que vous mentionnez est très important: comment peut-on faire en sorte qu'ils puissent continuer à être dans l'armée, à conserver cette identité, continuer à servir leur pays et se sentir bien?
Présentement, à ce que je sache, il n'y a pas de place dans l'armée pour quelqu'un qui est malade. Par contre, s'il s'agit d'un policier, je vais lui dire qu'il n'est pas apte, pour le moment, à retourner faire des patrouilles en voiture, mais qu'il peut se trouver un travail administratif, un travail à temps partiel. Dans l'armée, ce n'est pas possible. On ne peut pas dire à un militaire qu'il va effectuer un travail administratif à temps partiel. En tant qu'employé, son régiment peut être déployé. Cela veut dire qu'il peut aller en mission. Pour plusieurs, avoir un TSPT, c'est quitter ce qui a été toute leur vie, c'est se refaire une autre identité. Ils étaient militaires, avec tous les grades, la hiérarchie, l'esprit de corps et l'uniforme que cela comporte, et ils sont devenus des civils. Ce n'est pas grand-chose, dans l'armée, être un civil.