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Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est pour moi un grand privilège que de comparaître ici devant vous. Je m'appelle Virgil Moshansky. Certains d'entre vous savent peut-être que j'ai présidé la Commission d'enquête sur l'écrasement de l'avion de ligne à réaction d'Air Ontario, survenu à Dryden, en Ontario, en 1989, tuant 24 personnes. Ma commission est devenue une enquête en bonne et due forme sur la sécurité aérienne au Canada, qui a duré trois ans.
J'ai passé encore trois années à conseiller Transports Canada relativement à la mise en oeuvre des 191 recommandations de ma commission en matière de réforme de la réglementation. Mon travail a été reconnu par beaucoup, dont Transports Canada lui-même, qui me décernait le Prix de la sécurité aérienne canadienne en 1995. Je continue de travailler comme expert-conseil en matière d'aviation à l'échelle internationale.
Je vais me concentrer principalement sur l'article 12 du projet de loi . Pour mettre les choses en contexte, je vais commencer par vous faire un petit topo historique pré-écrasement à Dryden.
Les efforts de réglementation de Transports Canada ont déraillé dans les années 1980 à cause de deux politiques contradictoires et incompatibles introduites en 1985 par le gouvernement fédéral du jour, notamment la déréglementation de l'industrie aérienne et la politique de compressions budgétaires.
En dépit d'assurances gouvernementales, du genre de celles que l'on entend aujourd'hui, que la sécurité aérienne ne serait pas compromise, les cadres supérieurs de Transports Canada ont ignoré les demandes urgentes des gestionnaires de la direction de la réglementation de l'aviation de financement pour les forces d'inspection, qui étaient très sérieusement en sous-effectif. Les vérifications de lignes aériennes et la surveillance en vol, les deux colonnes vertébrales jumelles de la sécurité aérienne, ont presque totalement été éliminées dans les mois précédant l'écrasement de Dryden, faute de ressources.
Une vérification sommaire par Transports Canada d'Air Ontario, cinq mois avant l'écrasement du 10 mars 1989 à Dryden, n'avait même pas englobé le programme de mise en oeuvre du F28 chez Air Ontario. L'absence de contrôle réglementaire a essentiellement livré Air Ontario à lui-même, le laissant fixer ses propres normes de sécurité insatisfaisantes et lui permettant de laisser perdurer dans ses opérations des lacunes déraisonnables en matière de sécurité, tous éléments qui ont contribué à l'accident.
Une mise en garde prophétique du 20 janvier 1989, par le président par intérim de l'exploitation des transporteurs aériens, disant que l'inspection des transporteurs aériens « n'était plus en mesure d'assurer le ministre de la sécurité des gros services commerciaux de transport aérien au Canada » et « qu'un grave accident est inévitable dans ce pays », a été repoussée par l'administration supérieure de Transports Canada comme étant inflammatoire. Sept semaines plus tard, à Dryden, en Ontario, 24 personnes ont payé de leur vie cette attitude cavalière.
Aujourd'hui, 18 ans après Dryden, l'histoire se répète, mais de façon pire. La compression des coûts est de nouveau en vogue à Transports Canada, et ce, depuis quelque temps déjà. La direction de Transports Canada l'a publiquement reconnu. La surveillance réglementaire n'est pas simplement réduite. Exception faite de vérifications ciblées limitées, le contrôle a été systématiquement démantelé en vertu du projet de loi . Et tout ceci se déroule alors qu'il est prévu que la taille de l'industrie aérienne doublera d'ici à 2015, d'après les estimations de Transports Canada lui-même.
Dans les années qui ont suivi la publication de mon rapport final, Transports Canada a fait un travail louable en vue de corriger certains des graves problèmes de sécurité et lacunes réglementaires qui avaient été relevés par la Commission d'enquête Dryden.
Après une période de calme relatif, de nombreux graves problèmes de sécurité aérienne sont revenus hanter le système de transport aérien canadien, tel que documenté dans une série remarquable d'articles de journaux parus en juin 2006 sous le titre « Dangerous Skies », articles qui avaient été écrits par trois journalistes enquêteurs du Hamilton Spectator, du Toronto Star et du Waterloo Record . Je recommanderais aux membres du comité de lire ces articles s'ils ne l'ont pas encore fait.
À mon sens, tout observateur objectif qualifierait leurs conclusions de troublantes. Ces conclusions ne devraient pas être tout simplement écartées du revers de la main, comme certains ont tenté de faire. Ce qui ressort est que l'actuelle détérioration de la sécurité aérienne au Canada, telle que documentée par ces journalistes enquêteurs, coïncide avec la réduction progressive par Transports Canada du nombre de ses inspecteurs de l'aviation depuis Dryden et son retranchement continu de l'application du règlement.
Cela augure mal de l'avenir de la sécurité aérienne au Canada, surtout si le projet de loi est adopté dans son libellé actuel. De nombreux travailleurs de première ligne de l'industrie aérienne, exprimant leurs craintes pour leurs emplois, ont parlé à condition que leur identité ne soit pas dévoilée, mais plusieurs braves gens ont autorisé la publication de leur nom. Quelques-uns d'entre eux se sont attiré la colère de leur employeur. Certains ont été suspendus du fait d'avoir pris la parole publiquement, faisant clairement ressortir l'urgence de l'adoption par le Canada d'une loi musclée en matière de protection des dénonciateurs.
Je suis très étonné et déçu qu'au contraire de la situation aux États-Unis, la nouvelle Loi canadienne de protection des dénonciateurs ne prévoit aucune protection quelle qu'elle soit pour les employés de compagnies aériennes, pourtant les travailleurs de première ligne qui sont les plus près des problèmes et des violations et qui ont donc le plus besoin d'une telle protection.
Il est clairement dans l'intérêt du public que ceux-ci soient encouragés à dénoncer les infractions et qu'ils soient donc protégés. J'exhorte le comité à pousser dans le sens d'une protection des dénonciateurs semblable à celle qui existe aux États-Unis.
Ayant examiné les résultats du récent sondage Pollara mené auprès des inspecteurs du secteur de l'aviation, il me semble que le comité ici réuni aurait tout avantage à entendre certains de ces inspecteurs. Le comité doit certainement s'inquiéter de cette allégation voulant que l'organe de réglementation ait voulu décourager ces personnes de comparaître.
Le projet de loi comporte de nombreux aspects positifs. J'appuie tout à fait l'exigence que chaque transporteur aérien ait en place un système de gestion de la sécurité, ou SGS, la responsabilité en matière de sécurité revenant au cadre le plus haut placé. C'est en fait précisément là ce que j'ai recommandé dans les MCR 100 à 103 de mon rapport final, recommandations qui, ce qu'ignorent sans doute la plupart des gens, représentent vraisemblablement la genèse du SGS d'aujourd'hui.
Il me faut cependant exprimer ma grave préoccupation à l'égard du deuxième objectif de l'initiative en matière de SGS, soit le fait que Transports Canada décharge sur les transporteurs aériens la responsabilité quant à l'établissement et à l'exécution de leur propre protocole de sécurité, ainsi que le suivi de l'observance des règlements, y compris l'aspect application.
Je vous soumets respectueusement que, pour que le SGS réussisse, il doit être accompagné d'un système de surveillance et d'exécution efficace, suffisamment financé et doté d'un personnel suffisant par l'organe de réglementation. C'est là l'élément clé qui manque à l'initiative de SGS de Transports Canada, et il risque très fort d'être le talon d'Achille du SGS, dans le cas surtout des transporteurs secondaires, c'est-à-dire les exploitants de services de frètement et de taxis aériens.
Historiquement, il s'agit là d'un secteur pour lequel c'est le profit qui compte le plus et c'est donc là que réside le plus grand risque pour la sécurité aérienne. Certaines des sociétés sont à peine viables et n'ont pas les moyens financiers dont disposent les gros transporteurs pour maintenir un bon SGS. Il est extrêmement naïf de penser qu'en vertu des exigences de SGS un exploitant qui est mal pris financièrement entreprendra, de sa propre initiative, de consentir les dépenses nécessaires en matière de sécurité aux dépens de sa survie financière. L'histoire inspire peu confiance quant à la mise en oeuvre volontaire de mesures de sécurité par certains transporteurs du genre, surtout en l'absence d'un solide régime règlementaire de surveillance.
Il est très significatif que, dans ces rares pays qui ont instauré une forme de SGS dans leur système d'aviation civile, aucun n'a abandonné son régime réglementaire de surveillance. Pensez-y.
Le concept de SGS compte sur l'auto-déclaration de violations et de problèmes de sécurité par le personnel de la compagnie aérienne. C'est là une faiblesse potentielle du SGS. Historiquement, l'auto-déclaration et même les rapports confidentiels sont difficiles à vendre. La crainte de récriminations de la part de pairs est un sérieux facteur inhibiteur, qui milite contre de tels rapports, tout comme c'est le cas de la perte de sa sécurité d'emploi. L'absence de protection pour les dénonciateurs vient aggraver encore le problème.
Transports Canada renvoie à l'expérience australienne du SGS pour appuyer sa propre initiative en matière de SGS. Le problème est que Transports Canada ne raconte que la moitié de l'histoire. Il laisse de côté la partie concernant le régime réglementaire de surveillance.
Plus important encore, en vertu du régime australien de SGS, une responsabilité de surveillance stricte en matière de contrôle et d'exécution réglementaire revient à l'Australian Civil Aviation Safety Authority, ou CASA, le pendant australien de Transports Canada. Le manuel SGS de la CASA impose à la CASA elle-même l'obligation d'appliquer les lois en matière d'aviation civile en conformité de la Civil Aviation Act de 1988.
Je vais maintenant vous livrer quelques extraits pertinents du manuel de la CASA. Article 2.2:
La Civil Aviation Act 1988 impose à la CASA la responsabilité d'assurer la réglementation, aux fins de la sécurité, des opérations de l'aviation civile... par des moyens incluant « l'élaboration de stratégies d'exécution efficaces pour veiller au respect des normes en matière de sécurité aérienne ».
Voilà ce qui figure à l'alinéa 9(1)d) de la CAA.
L'énoncé de politique suivant revêt une importance particulière. « L'objet premier du travail d'application de la CASA sera d'assurer la sécurité grâce à une action de surveillance régulière et appropriée ».
L'ancien gérant de la sécurité aérienne chez Qantas Airlines et ancien président d'Airservices Australia, a déclaré ce qui suit:
Il semble que ce qui est proposé dans le projet de loi canadien aille au-delà de tout ce dont j'ai entendu parler relativement à une NAA (National Airworthiness Authority) et viendrait abroger l'une de ses fonctions essentielles, peut-être même en vertu de la convention elle-même et possiblement l'annexe 13, au sujet des systèmes de sécurité.
Je vous en livre la traduction: l'approche de Transports Canada à l'égard du SGS pourrait très bien être en violation de la loi internationale de l'aviation.
Ma source australienne poursuit comme suit, et je cite:
... aucune tentative n'a été faite...
— c'est-à-dire en Australie —
... pour amoindrir la surveillance — récemment, la CASA est passée de l'exécution de deux vérifications annuelles à une seule, mais assurerait un bien plus grand nombre d'activités de surveillance opérationnelle et davantage de contrôles sans préavis.
Il me revient que Transports Canada a peut-être déjà fait du travail d'analyse comparative avec l'Australie, auquel cas le comité devrait insister pour voir les résultats et conclusions. Le comité voudrait peut-être envisager sérieusement cette proposition.
Il y a une différence importante entre la situation actuelle et la situation qui existait à l'époque de l'écrasement à Dryden: la politique de Transports Canada est aujourd'hui en train d'être disséquée en public et avant l'adoption du texte de loi. Il y a encore moyen d'apporter des changements positifs.
Dans l'intérêt de la sécurité du public voyageur canadien, j'exhorte le comité à rejeter le démantèlement proposé du système réglementaire de surveillance de l'aviation que prévoit implicitement l'article 12 du projet de loi C-6, démantèlement qui est déjà en cours, et à insister auprès du gouvernement fédéral pour que celui-ci assure un financement suffisant à Transports Canada pour que celui-ci soit en mesure d'exécuter son rôle traditionnel de surveillance réglementaire et d'application de la loi parallèlement à l'initiative de SGS, et de s'acquitter des obligations qui lui reviennent en vertu de la convention de l'OACI et d'éviter de s'aventurer dans un terrain glissant pouvant mener à un autre Dryden.
Enfin, je pose une question. Le moment est-il peut-être venu d'entreprendre une nouvelle enquête approfondie au Canada, pour vérifier les signes vitaux du système de l'aviation? Les alarmes de sécurité qui se font entendre depuis les premières lignes de l'industrie de l'aviation, ainsi que les questions sérieuses soulevées par l'initiative renfermée dans l'article 12 du projet de loi C-6, laissent sérieusement entendre qu'il est en effet temps de tenir une telle enquête. Dix-huit ans après le désastre survenu à Dryden, le moment est venu pour le gouvernement fédéral d'assumer une approche proactive pour prendre le pouls de la sécurité aérienne dans ce pays, en lançant une enquête sur la sécurité aérienne en vertu de la Loi sur les enquêtes afin de faire une vérification en profondeur, et à l'échelle du système tout entier, de l'état actuel des signes vitaux de l'aviation commerciale au Canada avant que ne survienne une autre catastrophe aérienne.
Je vous soumets, respectueusement, que le comité ici réuni devrait envisager de recommander une telle enquête, et je vous remercie.
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C'est une très bonne question mais je pense avoir couvert cela dans certaines de mes réponses précédentes.
Cette branche particulière de l'industrie doit être spécialement surveillée. L'accident de Dryden a fait apparaître que le problème fondamental résidait dans le manque de crédits alloués par le gouvernement au ministère des Transports. Par exemple, David Wightman, qui était le SMA de l'aviation à l'époque, a déclaré dans son témoignage avoir présenté au conseil de contrôle du programme une demande de financement extrêmement réduite pour la Direction générale de l'aviation. Or, cette demande a été amputée de 70 p. 100. Ils ont retranché 70 p. 100 d'une demande de crédits qui, à toutes fins pratiques, représentait le strict minimum nécessaire.
Le résultat a été que le programme de surveillance aérienne a plongé en chute libre. Il a perdu 400 inspecteurs qui n'ont pas été remplacés. Ceux qui restaient ne suffisaient pas à la tâche au moment de l'écrasement de Dryden. Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, seule une vérification superficielle du programme de mise en service du F28 par Air Ontario a été effectuée, et l'on ne s'est jamais penché sur le programme F28 lui-même. Il y avait des vices majeurs.
Je vais vous donner un exemple des effets que peuvent avoir les compressions de coûts d'une compagnie aérienne. Au moment de son achat du F28, Air Ontario a décidé de le mettre en service sur une ligne englobant Dryden. Ils pensaient que cet aéroport devait obligatoirement être muni d'un dispositif de démarrage au sol. Cela signifie que si les moteurs de l'avion doivent être arrêtés pour dégivrer, par exemple, et que le groupe auxiliaire de bord ne parvient pas à faire repartir les moteurs, un dispositif de démarrage au sol peut le faire. La compagnie avait budgétisé 25 000 $ pour acheter un démarreur au sol pour l'aéroport régional de Dryden. Mais lorsqu'elle s'est aperçue que ce n'était pas une obligation réglementaire, elle a annulé la commande.
S'il y avait eu un démarreur au sol à l'aéroport de Dryden, l'écrasement n'aurait pas eu lieu, parce que le pilote avait réalisé que ses ailes étaient contaminées. Son groupe auxiliaire de bord était en panne et ne fonctionnait pas depuis déjà une semaine environ. C'était l'un des problèmes de maintenance sur cet avion. Il y avait de nombreuses défectuosités, mais celle-ci était la plus grave.
S'il avait arrêté ses moteurs, il n'aurait pas pu les faire redémarrer. L'avion aurait donc été cloué au sol à Dryden et il aurait eu à répondre à la direction d'Air Ontario de cette décision et des frais d'hébergement de 70 passagers dans un hôtel. Il a donc décidé de partir sans dégivrer, parce qu'il ne pouvait pas arrêter les moteurs.
Ainsi donc, s'ils avaient décidé de procéder à l'achat du matériel de démarrage au sol — qui ne coûtait que 25 000 $ — cet écrasement ne se serait pas produit. Ce n'est là qu'un exemple, et je pourrais vous en citer des douzaines.