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Je déclare la séance ouverte. En ce lundi 25 mai 2009, nous entamons la 24
e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Vous avez sous les yeux l'ordre du jour de la séance d’aujourd’hui. Nous sommes saisis par ordre de renvoi du projet de loi C-25, Loi modifiant le Code criminel (restriction du temps alloué pour détention sous garde avant prononcé de la peine). D'après ce que je comprends, c'est aujourd'hui la dernière séance d’audition des témoins au sujet de ce projet de loi.
Nous allons réserver 15 minutes à la fin de la séance pour nous occuper des travaux du comité liés à l'étude article par article du projet de loi C-15.
Nous avons divisé les témoins d'aujourd'hui en deux groupes. Durant la première heure, pour nous aider dans le cadre de l’examen du projet de loi, nous entendrons les organisations et les particuliers suivants: tout d'abord, Howard Sapers, représentant du Bureau de l'enquêteur correctionnel, suivi de William Trudell, du Conseil canadien des avocats de la défense, de Dyanoosh Youssefi et Matthew MacGarvey, porte-parole du Law Union of Ontario, et de Anthony N. Doob, professeur à l'Université de Toronto.
Je remercie les témoins d'être des nôtres aujourd’hui. Comme vous le savez, chacun d'entre vous dispose d’un maximum de 10 minutes pour faire sa déclaration préliminaire, mais libre à vous d’en prendre moins si vous voulez. Dès que vous aurez terminé, nous allons passer à la période de questions. Regardez-moi à l'occasion, car je vous ferai signe si le temps alloué est écoulé — ce qui arrive parfois. Il vous faudra alors conclure votre intervention.
Qui veut commencer?
Madame Youssefi, vous avez 10 minutes.
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Bon après-midi et merci de m'avoir invitée à témoigner.
Je vais commencer par aborder les préoccupations qu'ont exprimées certains députés à la Chambre le 20 avril dernier à propos du projet de loi — particulièrement le désengorgement de l'appareil judiciaire, l'élimination des programmes de réadaptation et le manque de confiance de la population envers le prononcé de la peine.
D'après nous, le projet de loi pose problème pour trois raisons majeures. Tout d'abord, il entraîne de la discrimination relativement au prononcé de la peine parce que, comme vous le savez, on ne tient pas compte de la détention avant le procès dans la détermination de l'admissibilité à la libération conditionnelle. Je suis certaine que d'autres personnes approfondiront la question. C'est là notre préoccupation principale. Deuxièmement, le projet de loi écarte les conditions carcérales parfois archaïques et les obligations à cet égard. Enfin, le projet de loi ne prévoit rien pour désengorger le système.
On ne peut pas infliger les mêmes peines à tous. Pour qu'elles soient efficaces, justes et équitables, il faut les déterminer au cas par cas. Les tribunaux ont confirmé et répété ce principe. Bien que le Parlement ait la responsabilité d'édicter des lois servant les meilleurs intérêts des Canadiens, il est important de savoir que les tribunaux ont décidé, à la suite d'une analyse approfondie, réfléchie et rationnelle, qu'il n'existe pas de formule mathématique pour calculer le crédit à l'égard de la durée de la détention provisoire lors du prononcé de la peine. Or, c'est justement ce que l'on tente de faire au moyen du projet de loi à l'étude. On y prescrit une formule pour le prononcé de la peine tel qu'un robot pourrait le faire. Ce n'est pas ce que nous voulons, à mon humble avis. Le pouvoir discrétionnaire du juge est essentiel, et il ne faut pas y toucher de cette façon. En règle générale, les juges tiennent effectivement compte de tous les facteurs mentionnés par les députés à la Chambre. Le projet de loi n'accorde aucun pouvoir judiciaire discrétionnaire, et il ferme les yeux sur les facteurs externes indépendants de la volonté de la personne déclarée coupable dont il faudrait tenir compte dans le prononcé de la peine.
On a invoqué l'élimination des programmes de réadaptation pour justifier des périodes de détention plus longues dans un pénitencier. À mon avis, les détenus n'ont pas à faire les frais de la décision stratégique du gouvernement de ne pas mettre de ressources de réadaptation et d'éducation à la disposition des prisons provinciales et des centres de détention provisoire. En fait, le manque de ressources dans ces derniers justifie entre autres le crédit majoré. Pourtant, le Parlement affirme par l'intermédiaire du projet de loi que le manque de ressources — résultat de la décision stratégique du gouvernement — est la raison de punir un peu plus les prisonniers et de les garder dans les pénitenciers un peu plus longtemps. Ce n'est pas juste. J'espère que vous serez rassurés par le fait que les juges accordent un crédit moins que double pour le prononcé d'une peine lorsqu'il y a des ressources de réadaptation et d'éducation dans un centre de détention provisoire. Ils en tiennent donc bel et bien compte.
Certains députés ont fait valoir que le régime actuel engorge les tribunaux et que le projet de loi réglera le problème. Je maintiens que le projet de loi n'aura pas les effets escomptés. Qui plus est, il risque de causer des retards supplémentaires. La notion que beaucoup de prisonniers veulent demeurer en détention préventive afin d'obtenir un crédit généreusement majoré à la fin de leur condamnation est tout simplement un mythe non corroboré, sans preuve valide. Les retards ne sont pas causés par une foule monstre de détenus désireux d'avoir droit à ce crédit et ils ne seront pas résolus en les enfermant plus longtemps. Détrompez-vous, je vous prie. Ce n'est pas en prêtant foi aux histoires transmises de bouche à oreille qu'on parviendra à un portrait réaliste.
Je n'ai jamais demandé un ajournement à un tribunal pour un client en détention préventive simplement pour qu'il y reste plus longtemps et qu'il puisse obtenir un plus grand crédit en fin de compte. Cependant, j'ai défendu devant le tribunal à maintes reprises des clients en état d'arrestation et j'ai demandé que soit fixée la date du procès, même si la divulgation de la preuve n'était pas terminée, afin de faire avancer le dossier. Ce sont les avocats de la Couronne, les juges et les juges de paix qui ont refusé de le faire pour leurs propres raisons, que je désapprouve généralement. Toutefois, c'est là la réalité et c'est pourquoi il y a souvent des retards à cette étape.
À mon avis, l'hypothèse selon laquelle les retards sont occasionnés fondamentalement par les accusés qui veulent obtenir un crédit majoré est erronée, et je soutiens avec respect qu'il est irresponsable et repoussant d'entretenir le mythe. Les tribunaux ne seront pas désengorgés grâce au projet de loi.
Le manque de compréhension du régime de la part du public ne signifie pas non plus qu'il faut adopter un système plus simple, mais injuste et inefficace. Mon collègue, Matthew McGarvey, vous en touchera un mot tout à l'heure. Je tiens seulement à préciser que ce n'est pas parce que le public a de difficulté à comprendre un concept qu'il faut le remplacer par un élément plus simple, mais injuste et inefficace.
En conclusion, je tiens à souligner que le principe de majoration du crédit s'appuie sur des raisons réfléchies, rationnelles, justes et sensées. En adoptant le projet de loi, le Parlement manque à son devoir d’agir dans le meilleur intérêt de tous les Canadiens. Nous ne pouvons pas tourner le dos à notre obligation d'avoir un système juste et efficace, et il faut le faire comprendre au public. Notre engagement en tant qu’avocats — et j’ajouterais que vous avez la même obligation en tant que leaders et parlementaires — est de vraiment changer le système, même si cette tâche s'avère plus difficile.
En fin de compte, si le projet de loi est adopté, c’est la population qui va en souffrir. L’engorgement de l'appareil judiciaire pourrait en réalité s'aggraver ou il faudra peut-être affecter davantage de ressources aux prisons en raison de la plus longue incarcération des prisonniers.
À vous, qui êtes nos leaders, je demande avec instance de bien vouloir relever le défi et de respecter votre obligation d'améliorer les conditions carcérales, de vous attaquer aux vraies causes de la criminalité et d’aider à accélérer les audiences des tribunaux plutôt que d’adopter une position censément populaire, mais peut-être peu judicieuse.
Voilà qui met fin à mon exposé.
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Monsieur le président, merci de nous avoir invités à témoigner.
En ce qui a trait à la perception qu’a le public du régime actuel, je crois que le procureur général de l'Ontario et le ministre actuel ont tous deux reconnu que le principe du crédit double est bien fondé en règle générale. Le fait qu'il soit impossible d'obtenir une libération conditionnelle et une libération d’office lorsqu'on est en détention provisoire inflige aux personnes en attente de leur procès une peine plus longue que celle qui est purgée par la personne condamnée, c'est indéniable. De fait, la personne sous garde provisoire ne peut pas demander une libération anticipée avant la date de son procès alors que, par exemple, une personne condamnée à un an d’incarcération peut demander une libération conditionnelle après avoir purgé le tiers de la peine et obtenir la libération d’office après les deux tiers.
Le ministre de la Justice a dit qu'il entend aussi changer ce système. Jusqu'à ce que ce soit fait, les détenus provisoires seront traités différemment puisqu'ils purgeront des peines plus longues. C'est un fait irréfutable. Je doute que les procureurs généraux ou le ministre affirment le contraire. Ce qu’ils disent, c’est que le public n'est pas satisfait du principe de crédit double — parfois triple ou quadruple dans le cas des établissements de détention dont le traitement des prisonniers n’est pas moins que draconien.
Au cours des dernières semaines seulement, nous avons observé un ralentissement de travail au centre de détention de Milton — l’un des plus grands de l’Ontario —, de sorte que certains examens de la caution prévus pour 10 heures ne se font qu’à 16 heures. Les personnes en détention provisoire passent donc plus de temps en prison, non pas par leur propre faute, mais en raison d'un conflit de travail.
Examinons maintenant ce qui se serait passé sous le régime prévu dans le projet de loi. En fait, la personne n'obtiendrait pas de déduction d’un jour pour un jour sous garde en raison d'un retard pour lequel elle n'est pas à blâmer — notamment, les conditions carcérales et l’incapacité du système judiciaire de procéder à une audience parce que l’on n’a pas conduit à temps le prévenu au tribunal.
Le projet de loi est source aussi d'une autre injustice flagrante dont nous n’avons pas vraiment parlé. En effet, d’après le libellé actuel, si le prévenu est détenu en vertu du paragraphe 524(4) ou 524(8) du Code criminel — parce qu’il a déjà une accusation en instance —, on lui retire même le droit au crédit d’un jour et demi prévu comme compensation pour chaque journée de détention.
À mon humble avis, cette mesure est susceptible d’être exagérément disproportionnée dans certains cas pour la raison suivante. Disons qu’un de mes clients est détenu sous un deuxième chef d'accusation. Il avait été libéré sous caution pour une première accusation, mais on l’accuse une seconde fois — seulement une accusation, sans condamnation —, ce qui lui fait perdre son droit à la libération sous caution en vertu de l’article 524.
Toutefois, peut-être était-il innocent de la première accusation. Il n’aurait peut-être pas fallu lui refuser la liberté sous caution d'office, l’accusation initiale n’étant pas fondée. En vertu de ce régime, il ne sera pas en mesure d'obtenir de crédit majoré pour la durée de la détention qu’il n’aurait même pas dû subir.
Le problème fondamental du projet de loi est double. D'une part, dans l'exemple que je viens de donner et de nombreux autres, il donne lieu à des disparités et à des injustices. Il ne peut pas tenir compte des circonstances individuelles.
D'autre part, et c'est là selon moi l'élément le plus important, le projet de loi enlève aux juges la capacité d’adapter le prononcé de la peine aux circonstances particulières. Il leur impose plutôt un système qui est injuste envers le prévenu.
Pour cette raison même, j'estime que le projet de loi est vulnérable à une contestation de sa validité parce qu'il va à l'encontre de la Charte des droits et libertés. Ce n'est pas parce qu'on peut l'adopter qu'il faut le faire. Il risque d'avoir un effet exagérément disparate sur les prévenus dont le procès a été retardé ou qui sont détenus pour de faux motifs, sans faute de leur part.
Merci de votre attention.
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Je remercie vivement les membres du comité.
Avant d'enchaîner sur ce qu'a dit mon prédécesseur, permettez-moi de vous dire à quel point c'est pour moi un honneur de revenir témoigner.
Je vais tenter d'être bref, mais auparavant, je vais abuser légèrement de votre patience, le temps de souligner ce qui me semble être un thème sous-jacent du projet de loi et des textes de loi précédents. Je parle évidemment du rôle du pouvoir discrétionnaire. Je fais respectueusement remarquer que ce qui importe le plus dans un régime de justice pénale, c’est sa souplesse. S’il est rigide, il n’est plus question de justice, mais d’injustice.
Comme vous le savez, je viens ici témoigner depuis des années, au point où certains d’entre vous sont peut-être las de ma présence. Toutefois, au fil des ans, un groupe a brillé par son absence, celui des juges. J’aimerais que vous envisagiez de les inviter à témoigner lors d’une séance à huis clos, peut-être pas… J’aimerais bien prendre le temps de réfléchir au projet de loi à l'étude, mais je suis tout aussi conscient que le gouvernement souhaite le voir adopter très vite.
Je ne parle pas au nom des juges et je n’ai pas de message à vous communiquer de leur part, mais je soutiens avec respect que vous auriez peut-être des réponses positives si vous le faisiez dans le cadre d’une séance à huis clos. Vous sauriez alors ce qui les préoccupe sur le plan de la sécurité publique et du pouvoir discrétionnaire. Dans le cadre d’une discussion franche et ouverte, vous sauriez ce que pensent les juges d’une limitation de leur pouvoir discrétionnaire.
Comme vous le savez, le hansard abonde d'expressions telles que « responsabilité des juges » ou même « serrer la bride aux juges », mais les intéressés ne peuvent pas parler. Je vous demande de bien y penser, car leur voix n’est pas entendue parce qu'ils ont un devoir de réserve. Les séances à huis clos vous permettraient de contourner cette contrainte.
Il existe au Canada quatre organisations auxquelles vous pourriez faire appel: l’Association canadienne des juges de cours provinciales, le Conseil canadien des juges en chef, les juges de cour supérieure du Conseil canadien de la magistrature ainsi que l’Association canadienne des juges des cours supérieures. Je suis certain que des membres de ces organisations seraient disposés à vous éclairer sur leur rôle. Nous sommes tous là pour vous épauler. Nous avons parfois l’air de défendre notre cause, mais nous sommes tous ici pour donner de notre temps afin de vous aider à évaluer l’impact possible d’un projet de loi pénale.
Je propose également que vous entendiez ce qu’a à dire l’Association canadienne des juristes de l’État. C’est une association nationale de formation plutôt récente, mais qui représente les avocats de la Couronne des quatre coins du pays. Il serait peut-être bien de connaître leur point de vue. Je sais qu’ils seraient possiblement enclins à prendre part au processus et à vous aider.
À mon avis, l’un des commentaires les plus éloquents à propos du pouvoir judiciaire discrétionnaire, du crédit double et de ce que vivent les juges se trouve dans le récent arrêt du juge Rutherford dans l’affaire Khawaja. Vous savez qu’il s’agit d’une affaire de terrorisme. Si vous me le permettez, je vais vous citer les mots qu’a utilisés le juge Rutherford. Dans sa décision, il n’a pas autorisé le crédit double, mais il en a examiné l'historique. L’arrêt est savant, utile et équilibré. De plus, il me semble révélateur de ce que vivent les juges, en quelque sorte.
Il a déclaré ceci:
Dans la présente affaire, je n’estime pas nécessaire ou approprié de spécifier une formule arithmétique précise ou particulière pour donner un crédit de détention présentencielle. Cela inviterait tout simplement à l’utilisation et à l’adoption de pareilles formules à l’avenir, réduisant ainsi le prononcé de la peine à un simple processus mécanique tel que celui de la confection de biscuits.
D'autres juges l’ont déjà dit, dont le juge en chef McLachlin et le juge Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario.
Le crédit majoré peut être obtenu pour deux raisons. D’abord, le détenu peut l’obtenir s’il n’a pas accès aux programmes, dont celui de réadaptation. L’autre raison est reliée aux conditions carcérales, ce qui ne date pas d’hier. Dans les centres de détention provisoire, elles sont parfois horribles.
Le conseil est composé de personnes provenant des quatre coins du Canada. Laissez-moi vous répéter ce que nous a dit le représentant yukonnais. Ses propos mettent la situation en perspective. Au Yukon, les hommes reçoivent un crédit d’un jour et demi pour une journée de détention, et les femmes ont droit au crédit double parce qu’ils sont tous incarcérés dans la même prison. Étant donné que les hommes sont en majorité, ils ont accès au peu qui est offert — la bibliothèque, la cour extérieure. Les femmes, quant à elles, sont gardées à part et elles ne peuvent sortir de leur dortoir qu’une seule heure par jour. De plus, il n'y a qu'une seule maison de transition qui offre des places pour libérés sous caution, mais elle n’accepte pas les femmes. Elles ont donc moins de possibilités d’être libérées sous caution que les hommes.
Mon premier point est donc que si l’on enlève aux juges leur pouvoir discrétionnaire et l’on traite tous les prévenus de la même manière, les détenues des prisons du Nord ne jouiront pas d'un traitement égal. Cet exemple du Yukon n’est pas unique puisque la situation est la même partout au pays.
Notre représentant de Calgary nous a indiqué que leur centre de détention provisoire était auparavant équipé d’un petit téléviseur dans chaque unité, constituant le peu de divertissements offerts. On les a enlevés vers le milieu des années 1990, en même temps que les appareils d’exercice et les services d'un luxe relatif, tels que du personnel suffisamment nombreux pour permettre aux détenus de sortir de leur cellule pour une longue période. Un prévenu qui a été blessé lors de son arrestation est hospitalisé à l’infirmerie du centre de détention provisoire, où il reprend des forces. La cellule est un dortoir de quatre lits. Or, depuis son arrivée, huit détenus y sont logés. Quatre d’entre eux dorment donc sur le sol. Dans les cellules ordinaires de 6 par 8 pieds, la double occupation est la norme et l’un des détenus dort souvent sur le sol.
Le représentant de Calgary a ensuite présenté des préoccupations relatives aux Autochtones. Les appels se font à frais virés, et beaucoup de familles des détenus autochtones n'ont pas un service téléphonique qui leur permet de prendre ce type d'appel.
Vous vous demandez peut-être où est le problème, mais je vous parle de diverses situations se déroulant aux quatre coins du pays. Ainsi, quand les juges calculent le crédit qu’ils vont donner — et ils le refusent parfois parce c'est au demandeur du crédit majoré d'en établir le bien-fondé —, il leur faut examiner les divers problèmes que l'on retrouve aux quatre coins du pays. À mon humble avis, en n’en tenant pas compte et en affirmant que la vérité dans le prononcé de la peine n’est pas respectée — c'est le point crucial à retenir —, nous… Nous entendons par là que les juges devraient avoir le droit d'examiner les cas et les détenus individuellement. Qui plus est, sauf tout mon respect, je vous rappelle que ces personnes — que nous le voulions ou non — sont présumées innocentes jusqu'à preuve du contraire, mesdames et messieurs. Souvent, la raison pour laquelle on les arrête n’est pas la même que celle pour laquelle ils finissent par plaider. Le plaidoyer peut avoir une tout autre nature.
J’estime, avec égards, qu’il s’agit-là d’un changement très important et dynamique, et qu'il faut étudier le portrait d'ensemble.
Laissez-moi vous donner un exemple qui m'est venu à fin du vol qui m'a amené ici. Admettons que je représente un policier qui se voit refuser la liberté sous caution — il peut y avoir toutes sortes de raisons justifiant un pareil refus —, mon client sera gardé en isolement. Le temps qu’il va passer en détention, avant que ne soit instruite son affaire, sera horrible. J’estime, avec égards, qu’un juge devrait pouvoir tenir compte du temps passé par le policier dans l'isolement et la peur en raison de son travail. Il faut qu'il puisse lui donner un crédit majoré. En imposant une formule mathématique d'un crédit d'un jour ou d'un jour et demi, nous rendons le système rigide.
Mesdames et messieurs, j’espère que vous n’allez pas adopter le projet de loi trop rapidement, puisqu’il peut avoir un impact très important sur le système de justice pénale.
Pour terminer et pour reprendre rapidement ce que mon collègue a déjà dit, les personnes qui vont perdre le crédit majoré sont celles qui ne peuvent pas être libérées sous caution ou qui sortent et commettent un crime — lié à la drogue, par exemple — et sont de nouveau arrêtées. Ce sont elles qui vont perdre le crédit.
Merci beaucoup, monsieur le président. Je sais que mon temps est écoulé.
L'exposé que je vais vous présenter a été préparé en collaboration avec Cheryl Webster, de l'Université d'Ottawa, qui m'accompagne ici aujourd'hui. Je vous remercie de nous permettre de donner notre opinion sur le projet de loi C-25.
Pour les besoins de la discussion, nous allons partir d'un certain nombre d'hypothèses. Nous supposerons d'abord qu'il est possible de déterminer la durée adéquate de la peine à infliger dans une cause donnée. Nous supposerons ainsi que le projet de loi à l'étude ne cherche pas à accroître ni à décroître la peine infligée à certains contrevenants, mais plutôt à faire en sorte que le temps passé en détention provisoire vaille la même chose que celui qui suit le prononcé de la sentence. Bref, on veut que les contrevenants qui demeurent en prison ne soient ni avantagés ni désavantagés, du moins en ce qui concerne le nombre de jours de détention, parce qu'une partie de leur peine est purgée avant le prononcé de la sentence plutôt qu'après.
Nous supposerons ensuite que, peu importe les autres utilités que l'on peut trouver à la détention, son but premier demeure le châtiment, et que lorsqu'un contrevenant est détenu avant son procès, il subit une partie de son châtiment avant d'être reconnu coupable.
En clair, nous supposerons que le projet de loi C-25 cherche à faire en sorte que la peine totale d'un contrevenant qui a passé du temps en détention provisoire n'est ni plus ni moins grande que s'il n'avait pas été détenu du tout avant son procès.
Or, contrairement à ce que prétend le projet de loi C-25 en préconisant un système de crédits de détention provisoire d'un jour pour un jour, les contrevenants ne demeurent pas incarcérés durant la totalité de leur peine. Dans la plupart des cas, les contrevenants à qui l'on inflige une peine de prison se voient imposer une peine fixe, mais la manière dont cette peine est purgée varie énormément d'un cas à l'autre. Dans le cas des prisonniers fédéraux, c'est-à-dire des prisonniers qui purgent une peine de deux ans ou plus, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit un certain nombre de circonstances dans lesquelles un prisonnier peut être remis en liberté avant la fin de sa peine. Dans les faits, la quasi-totalité des détenus fédéraux purgent une partie de leur peine dans la collectivité.
Dans le cas des détenus provinciaux, c'est-à-dire ceux qui purgent une peine de moins de deux ans, c'est différent. Rappelons d'abord qu'ils représentent la très grande majorité de l'ensemble de la population carcérale canadienne. En fait, 95 p. 100 de toutes les peines d'emprisonnement infligées au Canada sont de moins de deux ans. Qui plus est, presque tous les détenus qui sont envoyés en prison — 86 p. 100 — le sont pour six mois ou moins. Les détenus qui purgent des peines aussi courtes n'ont pas droit à une audience de libération conditionnelle. Ils purgent en général les deux tiers de leur peine initiale.
Selon l'article 6 de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, les détenus provinciaux et territoriaux peuvent s'attendre à voir leur peine réduite du tiers. Cela signifie donc, si l'on prend l'exemple d'une sentence de 90 jours, qu'un détenu ne devrait pas en passer plus de 60 en prison, c'est-à-dire les deux tiers de 90.
Par contre, si la même personne avait déjà passé 30 jours en détention provisoire, pour en arriver à une peine équivalente, ce que nous supposons être l'objectif du projet de loi, nous devrions calculer le crédit de détention provisoire en fonction du temps qu'elle aurait passé en prison si elle n'avait pas été détenue avant le jugement. Dans ce cas, et comme l'explique le second scénario de la feuille que nous vous avons remise, il faudrait que le crédit équivaille à une journée et demie pour chaque journée passée en détention provisoire. Il s'agit d'un simple calcul arithmétique qui se fonde sur un simple fait inscrit dans la loi, à savoir que les détenus ne purgent normalement pas plus des deux tiers de leur peine en milieu carcéral.
Si l'on part du principe qu'un détenu qui n'a passé aucun temps en détention provisoire et à qui on inflige une peine de 90 jours de prison n'en passera que 60 en détention, si l'on applique le crédit d'un jour pour un jour proposé dans le projet de loi C-25, le prisonnier qui a passé 30 jours en détention provisoire et qui mériterait une peine de 90 jours recevrait alors une peine de 60 jours. Il en purgerait ensuite les deux tiers, ce qui revient à dire qu'il passerait 40 jours en prison. Or, au total, notre contrevenant aurait purgé 30 jours de prison à titre présentenciel et 40 autres après le prononcé de sa sentence, ce qui donne 70 jours au total, au lieu des 60 qu'il aurait normalement purgés s'il n'avait pas été détenu avant son procès. C'est ce qui explique en détail le scénario un, toujours sur la feuille que nous vous avons remise.
En clair, le projet de loi irait systématiquement à l'encontre de son objectif présumé, c'est-à-dire faire en sorte que, pour une peine équivalente, les contrevenants qui sont détenus à titre présentenciel passent le même temps en prison que ceux qui ne le sont pas. Bref, le projet de loi C-25 fait fausse route. Il inscrirait en effet dans la loi une erreur logique ou arithmétique.
Les scénarios un et trois de la feuille illustrent bien l'exemple que je viens de donner. Dans chacun d'eux, nous avons pris comme prémisse de départ un contrevenant qui mériterait une peine de 90 jours, comme l'indique la colonne B. Le contrevenant du scénario un n'a pas passé de temps en détention provisoire. Comme le prévoit la Loi sur les prisons et les maisons de correction, il passera 60 jours en milieu carcéral, et c'est ce qui est indiqué aux colonnes F et G. Tout au contraire, le contrevenant du scénario trois, qui écope lui aussi d'une peine de 90 jours, a déjà passé 60 jours en détention provisoire. Si on lui accorde une journée et demie pour chaque journée de détention provisoire, les deux contrevenants auront ainsi passé exactement le même nombre de jours en prison, c'est-à-dire 60.
En clair, pour la plupart des prisonniers provinciaux — c'est-à-dire 86 p. 100 de tous les contrevenants du Canada à qui on inflige une peine d'emprisonnement — l'instauration d'un système de crédits de détention provisoire d'une journée et demie pour chaque journée passée en détention provisoire permettrait de traiter sur le même pied les contrevenants qui ont été détenus avant leur procès et ceux qui ne l'ont pas été, du moins en ce qui concerne la durée de la peine purgée.
Les scénarios quatre à neuf, qui correspondent aux peines purgées dans un pénitencier, c'est-à-dire aux peines de plus de deux ans, nous permettent de mieux saisir la complexité des peines d'emprisonnement dans le système judiciaire canadien. Nul besoin de vous rappeler que le Canada dispose d'un régime de libération conditionnelle. Pendant le deuxième tiers de leur peine, les contrevenants détenus dans un pénitencier peuvent présenter une demande de libération conditionnelle. Dans les faits, bien des prisonniers fédéraux sont libérés après avoir purgé le tiers de leur peine, mais avant d'en avoir purgé les deux tiers. Comme dans le cas des prisonniers provinciaux, la quasi-totalité des contrevenants sont libérés avant les deux tiers de leur peine.
Prenons l'exemple de six détenus, chacun d'eux méritant une peine de 30 mois d'emprisonnement. Comme ils pourraient être libérés après avoir purgé seulement le tiers de leur peine, mais qu'ils le seront presque certainement avant d'en avoir purgé les deux tiers, on peut supposer que nos six détenus passeront entre 10 et 20 mois en prison. Comme pour les prisonniers provinciaux, nous partons toujours du principe que la peine infligée aux personnes qui sont détenues à titre présentenciel ne doit être ni plus ni moins sévère que celle qui est infligée aux contrevenants qui ne l'ont pas été.
Comment, dans ce cas, doit-on calculer le crédit de détention provisoire des contrevenants qui ont passé une période relativement longue — disons 10 mois — en détention provisoire, pour qu'ils ne passent pas plus, ni moins, de temps en prison simplement parce qu'ils ont été détenus avant de connaître leur sentence? Prenons l'exemple du scénario six: le détenu dont il est question est libéré sur parole à mi-chemin de sa peine, ce qui signifie qu'il a purgé 15 mois sur un total de 30. Si, au contraire, ce même détenu avait passé du temps en détention provisoire, il aurait fallu lui accorder deux journées pour chaque journée passée en détention préventive pour qu'il ne soit ni avantagé ni désavantagé parce qu'il a été détenu de manière préventive, au lieu de purger la totalité de sa peine après le prononcé de sa sentence.
Contrairement aux prisonniers provinciaux qui, parce qu'ils ont droit à une réduction de peine, sont habituellement libérés aux deux tiers de leur peine, la peine des prisonniers fédéraux ne peut plus être réduite. De par la loi, et si l'on fait exception d'une très petite minorité, ces derniers sont toujours libérés d'office après avoir purgé les deux tiers de leur peine. Pour les contrevenants qui ne sont pas libérés sous condition et qui sont plutôt libérés d'office aux deux tiers de leur peine, le scénario cinq nous indique que le crédit de détention provisoire devrait équivaloir à une journée et demie pour chaque jour passé en détention provisoire pour que la peine soit adéquate.
Comme la plupart des détenus fédéraux, provinciaux et territoriaux sont libérés au plus tard aux deux tiers de leur peine, il est évident que, si le projet de loi C-25 est adopté, il irait à l'encontre d'autres dispositions de la législation fédérale. Pour résumer, et avec tout le respect que je dois au législateur, il semblerait que les personnes qui ont rédigé le projet de loi ou qui l'ont appuyé n'ont pas tenu compte de toute la complexité des lois qui régissent l'attribution des peines et les libérations conditionnelles. Elles ont au contraire créé un projet de loi qui vient tout compliquer.
Il y a de nombreuses manières d'aborder et de résoudre ce qui est, dans les faits, un problème complexe, et dont les ramifications nous rappelleront peut-être que les peines d'emprisonnement, et la manière dont elles sont attribuées, doivent faire l'objet d'un débat sérieux au Canada. Il ne suffit plus, en effet, de savoir si une peine est trop sévère, si elle ne l'est pas assez, ou si elle est au contraire adéquate.
Les questions soulevées par le projet de loi C-25 ne représentent qu'une petite partie du débat global. Je crois cependant que nous ferions erreur en ajoutant d'autres incohérences au système d'attribution des peines et en y greffant une nouvelle série de dispositions grandement déficientes. Comme beaucoup d'entre vous, et comme beaucoup de Canadiens, nous voudrions que ce système calcule adéquatement, ni plus ni moins, les crédits de détention provisoire.
L'article 1 du projet de loi nous apprend que son titre abrégé est « Loi sur l'adéquation de la peine et du crime ». Comme nous le savons tous, prétendre qu'une chose est adéquate ne la rend pas adéquate pour autant. Nous en avons un excellent exemple ici, puisque le contenu du projet de loi en contredit ni plus ni moins le titre.
Je vous prie donc de mettre ce projet de loi de côté et de réévaluer attentivement les questions qu'il soulève à propos de l'attribution des peines, de la détention provisoire et des libérations conditionnelles.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, merci beaucoup de l'invitation que vous m'avez faite de témoigner devant le comité et de l'occasion que vous m'accordez d'expliquer le point de vue du Bureau de l'Enquêteur correctionnel sur les répercussions du projet de loi C-25, Loi sur l'adéquation de la peine et du crime, sur le système correctionnel fédéral.
Permettez-moi de commencer par un bref exposé du mandat du bureau. J'expliquerai ensuite pourquoi j'ai accepté de me présenter devant vous aujourd'hui.
Nous avons célébré, l'an dernier, le 35e anniversaire du Bureau de l'Enquêteur correctionnel. Le bureau a été créé en 1973 afin de renforcer l'obligation de rendre compte et de mieux encadrer le système correctionnel fédéral. En novembre 1992, la promulgation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition conférait au bureau son mandat législatif.
Au bureau, nous faisons enquête et donnons suite aux plaintes des délinquants sous responsabilité fédérale. De plus, nous avons la responsabilité d'examiner les politiques et procédures du Service correctionnel du Canada relativement à ces plaintes et de faire des recommandations en ce sens. Ce faisant, nous décelons des problèmes systémiques, lesquels peuvent alors être réglés de manière appropriée.
Doté de 24 employés, le bureau reçoit chaque année entre 5 000 et 7 000 demandes et plaintes de délinquants. L'an dernier, notre personnel enquêteur a passé environ 300 jours dans des pénitenciers fédéraux à mener des entrevues avec plus de 2 000 délinquants. Il a également rencontré de nombreuses autres personnes dans ces pénitenciers, notamment des directeurs et directrices d'établissements, leur personnel, le personnel affecté aux soins de santé, les intervenants de première ligne et les représentants des comités de détenus, y compris de fraternités et de sororités autochtones.
En ma qualité d'ombudsman du système correctionnel fédéral, mon mandat englobe des éléments importants du système de justice pénale au Canada. Au bureau, nous faisons nôtres les valeurs chères aux Canadiens et aux Canadiennes, soit le respect de la loi et des droits de la personne ainsi que des attentes de la population à l'égard du personnel correctionnel et des cadres supérieurs qui doivent rendre compte de l'administration de la loi et des politiques au nom du public. C'est dans le contexte de ce mandat que je vous présente mes réflexions sur les répercussions possibles du projet de loi C-25 sur le système correctionnel fédéral.
Dans le cadre de mes fonctions, il m'incombe, je crois, de commenter les réformes proposées eu égard aux conséquences possibles d'une augmentation de la population carcérale fédérale sur la sûreté et la sécurité de cette population ainsi que sur la capacité des détenus de profiter de programmes et de services qui les aideront à retourner dans la société en temps opportun et en toute sécurité.
Selon moi, le projet de loi C-25 se traduira probablement par une hausse notable de la population carcérale, laquelle devra être gérée par le Service correctionnel du Canada. À mon bureau, nous sommes préoccupés par les répercussions qu'aurait une arrivée massive de nouvelles admissions dans le système correctionnel fédéral, déjà surchargé.
Dans mon rapport annuel de 2007-2008, j'ai mentionné que la surpopulation pénitentiaire a des conséquences négatives sur la capacité du système à assurer une détention respectueuse, en toute sécurité et sûreté. Il est prouvé que la surpopulation pénitentiaire peut accroître les tensions et la violence et mettre en danger la sécurité du personnel, des détenus et des visiteurs.
Comme nous l'avons vécu au début des années 1990, au moment où le nombre de détenus a monté en flèche, le plein accès en temps opportun, pour les délinquants, aux programmes, aux soins et aux véritables possibilités d'emploi a sensiblement diminué. Cela a retardé leur retour dans la société. Ce faisant, les problèmes de surpopulation et les coûts se sont multipliés.
Il convient de mentionner que les effets profonds de la surpopulation carcérale vont bien au-delà d'un milieu de vie confortable pour les détenus sous responsabilité fédérale. On sollicite le système au-delà de sa capacité de guider les délinquants dans leurs plans correctionnels de façon opportune. La protection de la société en souffre. En effet, les délinquants sont incarcérés plus longtemps par rapport à leur peine, ils sont mal préparés à leur retour dans la société et leur période de supervision est ensuite plus courte.
En ce moment, il y a des listes d'attente pour des programmes; d'autres programmes sont annulés à cause d'un financement insuffisant ou de la pénurie d'intervenants qualifiés; des libertés conditionnelles sont reportées en raison de ces pénuries qui empêchent la prestation de programmes. Tout cela signifie que les délinquants ne sont pas en mesure de réaliser leur plan correctionnel; les périodes d'incarcération sont plus longues, sans présenter d'avantages au niveau correctionnel. La situation s'aggrave. Les délinquants obtiennent leur liberté plus tard au cours de la peine. Trop souvent, ils n'ont pas suivi les programmes nécessaires ni reçu les soins qui auraient pu les aider à réussir une fois de retour dans la société.
J'ai demandé au personnel du bureau, la semaine dernière, de recueillir quelques données illustrant certaines des difficultés que connaît le Service correctionnel. En voici quelques-unes:
À l'établissement de Drumheller, 84 noms de délinquants figurent sur une liste d'attente pour les programmes de base.
Au pénitencier de la Saskatchewan, 5 des 14 postes d'agent prévus au budget du programme sont vacants. Des six postes en soins de santé et en psychologie, deux sont à pourvoir, y compris le poste de psychologue en chef.
Sur la liste d'attente pour les programmes de base destinés aux Autochtones, on compte 83 délinquants. Il s'agit notamment du programme de prévention de la violence familiale, du programme En quête du guerrier en vous et du programme de lutte contre la toxicomanie.
À l'établissement Warkworth, on compte 103 noms de délinquants sexuels sur une liste d'attente pour le programme national de maintien des acquis pour les délinquants.
Ce ne sont là que quelques exemples d'obstacles qui empêchent actuellement les délinquants d'accéder aux programmes et aux services qui pourraient les aider à obtenir une mise en liberté anticipée et à retourner en sécurité dans la société.
En ce qui a trait au logement, au cours des cinq dernières années, le taux de « double occupation », c'est-à-dire deux délinquants dans une cellule conçue pour un seul, a considérablement augmenté dans les établissements correctionnels fédéraux, soit d'environ 50 p. 100, et le phénomène touche directement, aujourd'hui, près de 10 p. 100 de toute la population carcérale sous responsabilité fédérale. Selon sa propre politique, le Service correctionnel du Canada reconnaît que l'occupation simple est « la méthode privilégiée et la plus appropriée sur le plan correctionnel pour loger des délinquants ».
Il importe de préciser que cette politique est fondée sur les normes internationales relatives aux droits de la personne. Par exemple, la règle numéro 9 de l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, qui a obtenu l'appui du Canada en 1977, exige expressément que les « cellules ou chambres destinées à l'isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu ».
Selon les plus récentes données recueillies au pays, en date du 15 février 2009, 1 313 délinquants étaient logés en double occupation dans 657 cellules. Toute augmentation notable de nouvelles admissions sans l'ajout de ressources en matière de logement, de programmes, de soins de santé, d'amélioration de l'assainissement, d'hygiène et de contrôle des maladies transmissibles et infectieuses, ni du temps nécessaire pour mettre en oeuvre ces initiatives, la situation, déjà difficile, ne fera qu'empirer.
Au bureau, nous sommes également préoccupés par les différentes répercussions qu'auront les propositions relatives à la période de détention présentencielle sur les populations carcérales croissantes et déjà vulnérables, notamment les délinquants autochtones et les délinquants atteints de maladie mentale. Comme le révèle une comparaison des données de 2001 à 2007, le nombre d'adultes autochtones placés en détention provisoire a augmenté de 23 p. 100 par rapport à une hausse de 14 p. 100 du taux de toutes les admissions en détention provisoire au cours de la même période.
Des recherches montrent que les Autochtones placés en détention présentencielle sont plus susceptibles de se voir refuser la mise en liberté sous caution, d'être détenus dans des conditions de sécurité plus sévères et de purger des peines plus longues en détention provisoire. En raison de leur situation socio-économique défavorable, les mêmes écarts se répètent à l'échelle fédérale au chapitre de la détention des Autochtones avant leur procès, les délinquants autochtones représentant actuellement 20 p. 100 de la population carcérale — soit une personne sur cinq condamnée à la détention au Canada dans des pénitenciers fédéraux.
Nous sommes d'avis, au bureau, que ces tendances en matière d'emprisonnement avant la tenue des procès doivent être parfaitement comprises et évaluées en profondeur, car les modifications proposées auront une incidence importante sur le taux d'admission, le coût et la répartition des personnes incarcérées au pays. Selon moi, le système correctionnel fédéral n'a pas la capacité d'amortir ce choc facilement.
Je vous remercie.
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Merci, monsieur le président, merci, messieurs les témoins. Je tiens à remercier tout particulièrement M. Trudell qui remporte la palme du plus grand nombre de témoignages donnés devant notre comité depuis que j'en fais partie.
Monsieur Sapers, je désire vous remercier du travail que vous avez accompli dans l'affaire Ashley Smith. Cette question nous touche au comité, d'autant plus que la jeune femme était de ma circonscription, à Moncton.
En bref, le projet de loi tente de faire savoir à la population qu'une journée de peine équivaut à une journée d'incarcération; à la lumière des témoignages faits, le système me semble bien compliqué. Je souscris entièrement à l'idée de M. Trudell voulant qu'il faudrait peut-être inviter à l'avenir des gens qui n'ont pas encore eu voix au chapitre. Le sujet a été abordé la semaine dernière lorsque j'ai demandé deux choses à l'Association du Barreau canadien. Il semble que l'association prétend représenter les avocats des deux côtés du système. C'est ce qu'elle a affirmé. Toutefois, généralement, l'association ne parle pas pour le compte des procureurs, mais pour celui des avocats de la défense. Cette situation ne constitue pas un problème en soi, mais il n'en demeure pas moins que nous n'avons pas eu le point de vue des procureurs. Je prends donc très au sérieux ce que vous avez dit, monsieur Trudell.
De plus, j'ai constaté depuis longtemps que les juges n'ont pas pu s'exprimer devant notre comité. On a fait valoir qu'ils ont affaire au système d'appel s'ils commettent une erreur, ou au système disciplinaire s'ils ont un comportement anormal. Je crois toutefois que les juges devraient venir nous expliquer leur travail, le sérieux qu'ils y attachent, et restaurer en partie — au moins à l'intérieur de notre petit comité, si leur comparution est tenue à huis clos — la confiance qui fait manifestement défaut, d'après les déclarations formulées par notre magistrature. Je crois que ces observations sont parfaitement judicieuses pour le sujet à l'étude ici, le projet de loi C-25.
Il me semble — et je soumets la chose à la discussion générale — que nous parlons d'un système de crédits mis en place pour palier aux mauvaises conditions des centres de détention. On a fait valoir, entre autres points, que les établissements sont surpeuplés, que les programmes sont déficients et que l'accès à la libération conditionnelle est insuffisant. Une fois l'individu entré dans le système, on tient compte de son bon comportement. Le principe de la détermination de la peine tient toujours, je crois, à un mélange de dissuasion, de dénonciation et de réadaptation. Nous admettons — je crois — que l'article 718 énonce que c'est l'objectif visé pour toute peine purgée.
Du côté provincial, on accordait des crédits à cause des mauvaises conditions, du manque de ressources et du manque de formation. Du côté fédéral, on accordait des crédits ou utilisait un système de libération conditionnelle pour récompenser le bon comportement. Voilà une dichotomie qui ne fonctionne pas et qui conduit, à mon sens, à l'état déplorable des centres de détention, au manque de ressources et au manque d'espace.
Si nous voulons qu'une journée de peine équivaille à une journée d'incarcération, tout ce que vous avez dit concourt à faire la démonstration du fait qu'il est vraiment horrible de purger une peine avant de connaître sa sentence. C'est une question de mauvaises conditions, de programmes déficients et d'accès insuffisant à la libération conditionnelle. Donc, est-ce un problème de ressources des provinces concernant leurs centres de détention?
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins.
Je suis un peu surpris des témoignages qui nous sont offerts cet après-midi, dans la mesure où quelqu'un qui n'a pas lu le projet de loi et qui écoute vos témoignages pourrait penser que le crédit de sentence est complètement aboli, alors que ce n'est pas ce dont on parle. Ce dont on parle, c'est de ramener le crédit de sentence à des proportions qui apparaissent plus équitables, c'est-à-dire un pour un, et, dans certains cas qui devront être explicités ou motivés, on pourra aller jusqu'à 1,5.
Évidemment, on a tous lu les jugements de la Cour suprême qui expliquent pourquoi on doit tenir compte du temps passé en détention, pour des raisons que tout le monde connaît et que vous nous avez rappelées. Mais il semblait qu'il y avait parfois démesure dans ce système. Par exemple, j'ai vu les parrains de la mafia jouir d'un crédit de sentence qui m'apparaissait démesuré. C'est devenu en quelque sorte une pratique; ce n'est pas discrétionnaire. Lorsqu'on regarde les jugements des tribunaux, on constate que c'est devenu une pratique relativement établie.
J'ai deux questions: une pour M. Sapers et une pour son voisin. Je m'adresse d'abord à M. Sapers. Dans quelle proportion les gens qui font l'objet d'une détention avant procès sont-ils dans des pénitenciers fédéraux? Évidemment, on ne peut pas ne pas en tenir compte, mais on ne peut pas, comme législateur, ne pas corriger les excès. Or, il semble qu'il y en ait. Je tiens compte des chiffres que vous avez présentés. Vous êtes inquiet. Que nous proposez-vous pour corriger la situation?
Ensuite, j'aimerais qu'on écoute votre voisin qui semblait parler d'injustice concernant la libération sous caution. J'aimerais qu'on revienne là-dessus.
Commençons avec vous, monsieur Sapers.
J'aimerais d'abord remercier le comité de m'avoir invité à venir témoigner. Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous faire connaître mon point de vue.
Ensuite, j'aimerais vous dire ceci à propos de ce projet de loi: au mieux, il est peu judicieux, au pire, il est cynique et cruel; et je pèse mes mots.
Il s'agit d'une mesure législative qui vise à résoudre un problème qui, à ma connaissance, n'existe que dans l'imagination populaire. En fait, s'il existe, comme nous l'a expliqué le groupe d'experts précédent, l'appareil judiciaire a déjà les outils pour le résoudre, et selon la jurisprudence, c'est ce qu'il fait. Nous n'avons pas besoin d'une mesure législative qui limite la discrétion judiciaire et empêche les juges de rendre une décision qu'ils considèrent équitable dans les circonstances. Le projet de loi ne fera qu'accroître l'iniquité dans le système sans pour autant résoudre aucun des problèmes qu'il est censé résoudre.
Cela s'explique par le fait que le projet de loi C-25 ne modifie nullement les deux causes à l'origine du crédit majoré. La première est que l'on ne tient pas compte de la période passée en détention provisoire dans les délais d'admissibilité à la libération conditionnelle, parce qu'en vertu du Code criminel, une peine est calculée à partir de la date d'imposition de la peine et non de la date de mise sous garde d'une personne. C'est la première raison pour laquelle on accorde le crédit majoré. La deuxième cause, comme on nous l'a expliqué, c'est que les conditions de détention avant le procès sont si mauvaises qu'elles sont inférieures aux normes minimales établies par les Nations Unies dans les années 1950. Nous n'arrivons pas à respecter les normes minimales d'il y a 50 ans. Par conséquent, le crédit majoré est nécessaire pour ramener un peu d'équité dans le système.
Le projet de loi C-25 ne réduira pas les délais dans le système de justice pénale. Rien ne nous permet de croire que les détenus retardent intentionnellement la tenue de leur procès pour profiter du crédit majoré. De simples calculs démontrent le contraire. Prenons le cas, par exemple, d'une personne condamnée, à la fin de son procès, à une peine de trois ans de pénitencier. Supposons que cette personne n'a pas été détenue avant le procès; le crédit majoré ne s'applique donc pas. La peine commence le jour du prononcé de la sentence, et la personne est admissible à une libération conditionnelle au tiers de sa peine. Cela signifie qu'elle peut être libérée, si tout se passe bien à l'audience de libération conditionnelle, après avoir purgé un an de sa peine de trois ans. C'est la période totale passée en détention dans un pénitencier où elle a accès à des programmes de réadaptation et de formation afin qu'elle risque moins de récidiver à sa sortie. Je tiens également à souligner que cette personne disposera d'un lit et qu'elle ne sera pas obligée de dormir juste à côté de la toilette, comme c'est le cas pour bien des détenus dans les centres de détention provisoire. C'est donc une personne condamnée n'ayant pas été détenue avant son procès. Si elle obtient une liberté conditionnelle à la première occasion, elle aura purgé un an.
Supposons maintenant que cette personne a passé un an en détention provisoire avant d'être condamnée. Si on lui accorde un crédit de deux jours pour chaque jour passé en détention provisoire, cela lui enlève deux ans sur sa peine, et il lui reste à purger une autre année. Puisque la date d'admissibilité à la libération conditionnelle est calculée à partir de la date d'imposition de la peine, ce n'est qu'après le tiers de l'année qu'il lui reste que la personne pourra être libérée, ce qui veut dire qu'elle va purger encore quatre mois. Une personne qui a été détenue avant le procès et à qui on alloue un crédit majoré va donc être incarcérée durant un minimum de 16 mois, tandis qu'une autre, à qui on n'a pas accordé un crédit double, le sera pour un minimum de 12 mois. Ce simple calcul démontre qu'il n'est pas avantageux pour un détenu d'étirer sa période de détention provisoire, parce qu'au bout du compte, il va rester plus longtemps en prison, et dans des conditions bien pires. Par conséquent, je dis toujours à mes clients, et John Rosen aussi, d'essayer d'accélérer les procédures pour sortir de là le plus vite possible, parce que s'ils sont condamnés, il vaut mieux qu'ils ne purgent pas ce temps mort à l'avance. Il faut en finir au plus tôt avec le procès afin de pouvoir obtenir sa libération conditionnelle le plus vite possible si l'on est condamné.
Autrement dit, le calcul n'est pas logique. Il n'y a rien qui justifie de retarder le procès. L'élimination du crédit majoré pour les personnes en détention provisoire ne va pas supprimer les avantages de faire traîner les choses.
En outre, la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Thornton, a conclu que lorsque la preuve établit qu'une personne retarde délibérément son procès pour obtenir un crédit majoré, ou même qu'elle est moins que diligente dans le déroulement des procédures, elle n'obtient pas un crédit de deux jours pour un. Elle ne l'obtient que si des circonstances indépendantes de sa volonté font en sorte que la période de détention provisoire est plus longue que prévue.
Encore une fois, rien ne justifie que le projet de loi C-25 interdise le crédit majoré. Les tribunaux décident déjà de ne pas l'accorder lorsque le prévenu en abuse. Tout ce que le projet de loi C-25 va faire, c'est de le rendre inaccessible pour les gens qui sont en détention provisoire, mais qui n'ont commis aucune faute. Il va seulement servir à punir les gens qui n'abusent pas du système.
Ce projet de loi est injuste. Il va punir ceux qui ne seront pas en mesure d'obtenir une libération sous caution, même s'ils ne font rien pour retarder leur procès. Comme les personnes défavorisées sont moins susceptibles d'être libérées sous caution que les autres, cela signifie que le projet de loi C-25 va pénaliser les pauvres de façon disproportionnée.
De plus, le projet de loi C-25 va peut-être contribuer, en prolongeant les délais avant les procès, à ce que davantage d'accusations soient suspendues en raison d'un délai inconstitutionnel. L'alinéa 11b) de la Charte prévoit la suspension des accusations et le rejet des cas où il y a un retard préjudiciable prolongé et indu qui touche les droits de l'accusé à obtenir un procès. Plus ce délai est long, plus un tribunal est susceptible de conclure que vos droits ont été lésés indûment et de suspendre les accusations. Le projet de loi C-25 rend la peine plus sévère lorsqu'il y a un retard dans le procès en empêchant un juge d'accorder un crédit pour ce retard lorsque c'est nécessaire. Par conséquent, cela peut faire en sorte que plus d'accusations seront rejetées, ce qui va totalement à l'encontre de l'objectif du projet de loi.
Nous avons d'autres inquiétudes sur le plan constitutionnel. Si l'on soumet les personnes accusées à des retards prolongés dans des conditions inférieures aux normes minimales établies par les Nations Unies et que l'on empêche ensuite les juges d'accorder un crédit adéquat aux prisonniers pour compenser la période qu'ils ont passée dans ces conditions, les peines imposées en vertu du projet de loi C-25 pourraient constituer des peines cruelles et inusitées, contrairement à ce qui est prévu à l'article 12 de la Charte. C'est un argument que nous pouvons nous attendre à rencontrer si ce projet de loi est adopté.
Cela pourrait également être considéré comme une privation inconstitutionnelle du droit à la liberté et à la sécurité de la personne, ce qui va à l'encontre de l'article 7 de la Charte. C'est un autre argument que l'on va sûrement faire valoir.
Si les retards dans le système judiciaire nous inquiètent, il y a aussi lieu de nous inquiéter du temps qui sera consacré aux litiges à ce sujet.
De plus, tout porte à croire que l'application du projet de loi C-25 sera coûteuse. Si les peines sont plus longues, les Canadiens vont devoir dépenser plus d'argent pour l'incarcération des détenus sur de longues périodes. Cela va aussi entraîner la surpopulation des centres de détention, des centres correctionnels et des pénitenciers.
Il semble que le gouvernement n'ait pas examiné les frais connexes ni déterminé s'il y a suffisamment de places dans les établissements pour accueillir ces prisonniers supplémentaires. Nous allons peut-être envoyer à l'aveuglette des gens là où l'espace est insuffisant. Au mieux, cela coûtera cher. Au pire, ce sera peut-être impossible dans les conditions actuelles.
Rien ne permet de croire que l'allongement des peines qui découlera de l'adoption du projet de loi C-25 va protéger les Canadiens. Des recherches montrent que des peines plus longues ne contribuent pas à prévenir le crime.
J'ai remis à Mme Burke, la greffière, un court mémoire qui résume mon exposé, dans lequel je me réfère à des études.
En effet, des études portent à croire qu'une peine plus longue n'a pas d'effets dissuasifs. Au contraire, une étude récente indique qu'un prisonnier qui purge une peine d'une durée supérieure à celle d'un autre prisonnier est plus susceptible de récidiver après sa libération.
En résumé, le projet de loi C-25 empêchera les juges de trouver une solution au problème des longues périodes de détention avant procès, mais il ne réglera pas le problème lui-même. Autrement dit, on s'attaque au remède et non à la maladie.
Si le Parlement s'inquiète au sujet de la détention avant procès et croit qu'on y recourt trop souvent, il doit s'attaquer à ses causes profondes. Il pourrait commencer par modifier le paragraphe 719(1) du Code criminel pour faire en sorte que les peines commencent à la date de l'arrestation, du moins pour les personnes en détention provisoire avant leur procès. Ainsi, la date d'admissibilité à la libération conditionnelle serait calculée à partir de la date d'arrestation et non de la date d'imposition de la peine. La période de détention provisoire ne serait plus un temps mort. Cela éliminerait l'une des principales raisons qui justifient le crédit majoré. Ce serait un changement facile à faire et qui ne coûterait rien.
Une autre solution serait que le Parlement travaille en collaboration avec les provinces pour améliorer les conditions de détention provisoire. On devrait mettre en place des programmes de réadaptation dans ces centres afin que les détenus, au lieu d'être gardés là durant six mois, un an ou même deux ans en attendant leur procès, coincés dans un établissement de haute sécurité surpeuplé sans avoir accès à aucun programme, puissent profiter de ce temps pour recevoir de la formation, des traitements, des services de consultation — tout ce qui les aiderait à s'intégrer à la société après leur libération.
Ces deux mesures fort simples élimineraient la justification du crédit majoré et régleraient le problème sans nuire à la solution.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, je suis heureux de me présenter devant vous aujourd'hui pour répondre à vos questions au sujet de l'incidence du projet de loi C-25 sur le fonctionnement du Service correctionnel du Canada.
Je voudrais vous décrire brièvement mon expérience de travail au sein du système de justice pénale. J'ai été nommé commissaire du Service correctionnel du Canada en juin dernier. Auparavant, j'occupais le poste de sous-commissaire principal depuis 2002.
J'ai travaillé également pendant plusieurs années dans les systèmes correctionnels provinciaux et territoriaux, tout d'abord au Yukon, puis à titre de sous-ministre adjoint responsable de la probation et des services correctionnels du ministère des Services correctionnels et de la Sécurité publique de la Saskatchewan. Ces fonctions m'ont permis de bien comprendre les pressions concernant la détention préventive d'un point de vue provincial, territorial et fédéral.
Je sais aussi que la détention préventive a été débattue maintes fois au cours des réunions des responsables fédéraux, provinciaux et territoriaux des services correctionnels dont j'assume, en qualité de commissaire du Service correctionnel du Canada, la coprésidence.
Pour ce qui est de l'incidence du projet de loi C-25 sur le Service correctionnel du Canada, je soulignerai que la majorité des délinquants supplémentaires qui recevront une peine de ressort fédéral et relèveront donc du SCC auraient, de toute manière, été assujettis à une telle peine. Cependant, comme les sanctions seront désormais plus lourdes, ces délinquants resteront plus longtemps dans notre système.
Le SCC devra donc composer avec des problèmes d'hébergement à cause de ce projet de loi, car l'augmentation du nombre de délinquants à la suite des modifications législatives obligera le service, à court terme, à prendre des mesures d'hébergement temporaire, notamment recourir plus souvent à la double occupation des cellules et aménager plus de structures provisoires.
À long terme, le SCC devra envisager de bâtir des structures plus permanentes, dont des unités ou des établissements nouveaux qui lui permettront de faire face à la croissance de la population carcérale au pays.
Indépendamment des effets de ce projet de loi, le SCC est déterminé à s'acquitter de sa mission, c'est-à-dire gérer les peines des délinquants sous responsabilité fédérale et veiller à la sécurité publique de tous les Canadiens.
Je serai heureux de répondre à vos questions sur l'incidence de ce projet de loi ou la façon dont le Service correctionnel du Canada va y réagir.
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Merci, monsieur le président.
Je comparais aujourd'hui au nom de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Je vous remercie de m'avoir invité à venir témoigner devant vous. La Criminal Lawyers' Association of Ontario représente environ 1 000 avocats de la province de l'Ontario qui pratiquent dans le domaine de la défense en droit criminel. L'association a été fondée en 1971. Nos membres travaillent jour après jour dans le système judiciaire, et ils représentent les accusés qui seront touchés directement par ce projet de loi.
Je vous dirai tout d'abord que notre association veut autant que quiconque que le système judiciaire gagne en efficience et que les temps d'attente soient réduits. Nous sommes totalement d'accord pour dire que le système doit être transparent. Ceci étant dit, nous avons de sérieuses réserves à l'égard de ce projet de loi, réserves que je classerais sous quatre grandes catégories.
Tout d'abord, le problème que vise à corriger le projet de loi, c'est-à-dire éviter que les accusés s'appliquent à causer des retards et à engorger le système en vue d'accumuler du temps de détention provisoire, n'existe tout simplement pas. J'ignore totalement d'où arrive cette idée. À ce que je sache, absolument aucune preuve empirique n'appuie cette hypothèse. Je peux vous affirmer, en tant qu'avocat criminaliste qui représente ces personnes et qui travaille pour elles, que c'est tout simplement faux. Il est fort possible que quelques exceptions agissent de la sorte, mais dans la plupart des cas, les accusés veulent en finir au plus vite tellement les conditions de détention provisoire sont lamentables dans les prisons provinciales — que les détenus appellent communément les « cages à poules ». Quand on traite avec ces gens, on se rend bien compte que l'idée de croupir de bon gré en détention provisoire le plus longtemps possible est carrément risible.
Que l'on s'inquiète d'un problème qui n'existe pas démontre bien que l'on ne réalise pas à quel point les conditions de détention provisoire sont difficiles. Je ne les énumérerai pas toutes, car je crois que d'autres témoins vous en ont parlé avant moi. À mon avis, il est juste de dire que même si ce projet de loi nous obligera à loger deux détenus par cellule et qu'il y aura encore plus de prisonniers dans le système carcéral fédéral, ce n'est rien à côté de ce qui se passe dans les établissements provinciaux de détention provisoire. Ceux que cela intéresse peuvent toujours aller faire un tour à la prison Don Jail, ou à une autre prison provinciale, pour avoir une bonne idée des conditions dans lesquelles vivent les détenus. Dans les faits, les accusés veulent sortir de là le plus rapidement possible. Ils préfèrent purger leur peine au pénitencier que de passer plus de temps dans la cage à poules.
On sait bien que les refus de cautionnement mènent à des plaidoyers de culpabilité. Il faut ainsi considérer que si l'on refuse systématiquement les mises en liberté sous caution, des accusés qui auraient pu plaider l'innocence, et donc subir un procès, finiront par plaider coupable. Et, manifestement, s'ils décident de plaider coupable plutôt que d'attendre leur procès, c'est qu'ils veulent sortir de là à tout prix.
Aussi, selon un principe bien établi de détermination de la peine, un accusé qui plaide coupable rapidement bénéficie d'un facteur atténuant, alors si un détenu croit gagner au change en retardant le processus, ce n'est pas du tout le cas.
Nos membres sont surtout outrés qu'on les soupçonne de fabriquer des retards en vue d'avantager leurs clients, en veillant à ce que ces derniers demeurent plus longtemps en détention provisoire. Tout d'abord, pour les raisons que je viens de vous énumérer, nos clients ne gagnent pas à prolonger leur détention provisoire. De plus, nous sommes des officiers de la justice; nous avons l'obligation de contribuer au bon fonctionnement du système, dans la mesure où nous pouvons le faire, mais nos pouvoirs sont très limités à cet égard. Rien ne prouve que les avocats criminalistes de la défense manquent de remplir leurs obligations de façon professionnelle.
Quoi qu'il en soit, comme vous l'avez déjà entendu, la loi énonce clairement qu'un accusé qui cause volontairement des retards ne bénéficiera pas d'un crédit bonifié. En termes clairs, ce projet de loi est une solution en quête d'un problème. Il est important de se rappeler que l'on n'applique pas automatiquement la règle du deux jours pour un prévue par la common law. Il revient à la Couronne de plaider, quand elle le juge approprié, en faveur d'une réduction du crédit. Si les preuves présentées le justifient, le juge peut décider d'accorder le crédit qui convient dans les circonstances.
Dans les faits, si un accusé voulait retarder les procédures, il n'aurait pas à lever le petit doigt. Le système est déjà bien assez engorgé comme ça, et pour plusieurs raisons. C'est un problème qui comporte différentes facettes. Il y a une pénurie de procureurs et de juges; le régime d'aide juridique est sous-financé et les accusés ont de la difficulté à trouver des avocats compétents, et ce ne sont là que quelques facteurs parmi tant d'autres.
Sauf votre respect, il est on ne peut plus irréaliste de croire qu'éliminer tout pouvoir discrétionnaire dans la détermination du crédit de détention provisoire aura pour effet de réduire les temps d'attente dans le système judiciaire.
Deuxièmement — et je crois que l'on vous en a déjà parlé, alors je ne m'étendrai pas sur le sujet —, c'est qu'il est tout simplement injuste d'empêcher un juge de tenir compte des effets des conditions difficiles de la détention provisoire. Si je ne n'abuse, il a été question des normes minimales établies par les Nations Unies en ce qui a trait au traitement des prisonniers. Le Canada a adopté ces lignes directrices il y a plus de 30 ans, en 1975, mais on ne semble pas faire le moindre effort pour tenter de se conformer à nombre d'entre elles. Nous n'essayons pas de séparer les accusés en attente de procès des prisonniers inculpés, les accusés n'ont pas le droit de porter leurs propres vêtements, ils n'ont pas l'occasion de faire de l'exercice régulièrement, et ils ne peuvent certainement pas dormir seuls dans leur cellule, comme les normes minimales l'exigent.
L'approche actuelle permet au juge de tenir compte de tous ces facteurs. Il est vrai que les juges tiennent compte souvent de ces facteurs sans entendre la preuve des conditions de détention de l'accusé. Mais ces conditions sont notoires et bien connues des juges qui pratiquent dans les communautés où sont imposées les peines. Il serait irréaliste d'entendre la même preuve, cas après cas. L'an dernier, j'ai discuté avec le directeur de la sécurité d'un des centres de détention de Toronto. Il m'a affirmé que même dans le contexte actuel, il est sommé à comparaître en cour au moins trois fois par semaine pour témoigner des conditions de détention dans son établissement. On peut facilement imaginer que les personnes travaillant dans les centres de détention devront assumer un lourd fardeau si elles sont appelées à témoigner en cour pour chaque affaire entendue.
La Couronne a toujours la possibilité de démontrer que les conditions ne sont pas si terribles. Je n'ai jamais vu un procureur de la Couronne le faire, et on peut facilement s'imaginer pourquoi.
Troisièmement, et cela a déjà été dit, le projet de loi ne tient pas compte de l'admissibilité à la libération conditionnelle ni à la réduction méritée de peine. Je crois que c'est M. Alexander qui a fait le calcul pour démontrer que ce n'est pas avantageux, même quand on bénéficie d'un crédit de détention de deux jours pour un. Vous pouvez voir que c'est loin d'être intéressant de se contenter d'un crédit d'un jour pour un. Prenez deux contrevenants qui se voient tous deux imposer une peine de six ans, un an après leur arrestation. Le premier est libéré sous caution, mais pas le deuxième. Le premier est admissible à une libération conditionnelle après deux ans. Pour le deuxième, on retranchera un an de sa peine, alors il devra encore purger cinq ans. Il sera admissible à une libération conditionnelle un an et huit mois après sa condamnation, ce qui équivaut en fait à deux ans et huit mois après le début de sa détention. Il finira ainsi par purger huit mois de plus que le premier prisonnier, pour la simple et bonne raison qu'il n'a pas bénéficié d'une libération sous caution.
Nous estimons que c'est tout simplement inéquitable. Vous pouvez dire qu'il n'a que lui à blâmer, puisqu'il n'en est pas à sa première infraction ou qu'il a violé les conditions de sa libération sous caution, mais si c'est le cas, il sera accusé de bris de condition et il devra subir des sanctions. C'est une infraction criminelle. S'il a déjà un dossier criminel, le juge en tient compte de toute façon lorsqu'il détermine sa peine d'emprisonnement. Il est bien connu que le fait de posséder un dossier criminel est un facteur aggravant.
Si j'en crois l'examen rapide et loin d'être exhaustif, je l'admets, que j'ai fait de la common law, aucun autre pays n'a adopté, à ce que je sache, une loi se rapprochant de ce projet de loi. Au Royaume-Uni et dans certaines régions de l'Australie, on tient compte du temps passé en détention provisoire dans la formule pour déterminer la durée de la peine à purger. C'est d'ailleurs un peu ce qui se passe au Canada dans les cas de peines pour meurtre. Au moins, on tient compte du temps passé en détention avant procès pour déterminer l'admissibilité à la libération conditionnelle.
Quatrièmement, le projet de loi élimine tout pouvoir discrétionnaire pour déterminer la peine des accusés en détention provisoire qui ont un dossier criminel ou qui ont violé leurs conditions de libération. Le fait que l'accusé ait un dossier criminel ou qu'il ait violé les conditions de sa libération peut retarder le processus, mais n'a certainement rien à voir avec la durée de ce dernier, ni avec les conditions dans lesquelles l'accusé est détenu avant son procès. Éliminer tout pouvoir discrétionnaire entraînera invariablement des injustices dans certains cas. Les règles actuelles de la common law atténuent ce préjudice en accordant au juge un pouvoir discrétionnaire. Si vous avez l'intention d'aggraver ce préjudice, comme M. Alexander l'a souligné, de plus en plus d'accusations devront être suspendues en vertu de l'article 11b), qui prévoit que tout inculpé a le droit d'être jugé dans un délai raisonnable.
Cinquièmement, on nous a souvent répété que ce projet de loi était nécessaire, car le public ne comprend pas pourquoi nous accordons des crédits de détention bonifiés de deux jours pour un. La meilleure solution serait probablement d'éduquer la population, pas de changer la loi pour s'accorder avec des croyances fondées sur une mauvaise compréhension de la situation.
Je vois que mon temps est écoulé. Merci beaucoup.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Comme on a pu laisser entendre lors de la première partie de cette réunion que les provinces ne sont pas nécessairement en faveur de cette modification à la loi, j'aurais quelques commentaires à citer pour la gouverne de quelques-uns de nos témoins. Voici les propos du ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse que l'on pouvait lire dans l'édition du 28 mars 2009 du Chronicle Herald.
Ces changements seront bénéfiques parce qu'il est parfois avantageux pour l'avocat de la Défense de ralentir le processus pour maintenir son client en détention provisoire car, dans certains cas, celle-ci n'est pas seulement créditée en double, mais bien dans un ratio de deux et demi pour un, voire trois ou davantage. C'est tout à fait inacceptable et c'est la raison pour laquelle nous appuyons la démarche du gouvernement du Canada.
Je vous cite maintenant la ministre de la Justice de l'Alberta, Alison Redford:
Cela nous permettra un acheminement plus efficace de ces causes dans le processus judiciaire.
Et voici ce que disait M. Matt Logan, un expert en crimes à caractère sexuel, devant notre comité:
J'ai pris deux années de ma carrière pour aller travailler dans les prisons comme psychologue pour le Service correctionnel du Canada, et je peux vous dire que le crédit double est une escroquerie. Les gens qui combinent pour avoir le crédit double sont en train d'engorger le système judiciaire et d'en augmenter encore l'arriéré. Cela me fait donc très plaisir de voir disparaître le crédit double pour la détermination d'une peine.
J'aurais d'autres observations à vous citer, mais elles viennent d'agents de police, et il est fréquent que leur point de vue ne soit pas pris en considération.
Mais les commentaires les plus importants que je reçois sont ceux des gens de ma circonscription, de l'homme de la rue qui n'est pas membre d'une association et qui parle seulement en son nom personnel. Ces gens ne comprennent tout simplement pas pourquoi ces choses-là arrivent.
Pour vous illustrer ce qu'ils ne comprennent pas, je vais vous parler d'un cas dont le Niagara Falls Review a fait état. Comme l'affaire n'est pas encore réglée, je vais me contenter de vous donner les grandes lignes de cet article paru il y a sept mois.
On y parle d'un homme accusé d'infractions en lien avec le crime organisé. L'article cite de nombreux faits. Ce chef d'une famille monoparentale, père de deux enfants, est gardé en détention provisoire depuis son arrestation, il y a deux ans. Il est toujours membre des Hells Angels, mais il a indiqué au tribunal qu'il espérait prendre sa retraite. Il est accusé d'actes criminels graves; il a plaidé non coupable pour certains chefs, et coupable pour d'autres. Le tribunal a toutefois décidé que pour les infractions au titre desquelles il sera inculpé, on lui créditera quatre ans et quatre mois de détention avant jugement. Et je vous rappelle que c'est un article paru il y sept mois.
Lorsque des nouvelles semblables sont diffusées, monsieur Alexander, moi et mes collègues recevons des appels de citoyens qui nous exhortent à faire quelque chose. Nous nous réunissons alors en comité pour nous faire dire par un avocat de la défense que nos interventions ne pourront qu'empirer les choses. Mais aux yeux du public, la situation actuelle n'est pas acceptable.
Comme M. Head pourrait vous le dire lui-même, on retrouve dans ma circonscription le plus grand pénitencier fédéral au Canada, un établissement à sécurité minimale. On entend parler uniquement des mauvais agissements qui y ont cours, mais M. Head pourrait aussi vous confirmer que les exemples d'actions positives ne manquent pas. On vient ainsi de construire une unité distincte pour les détenus des premières nations — je crois que c'est dans le cadre du programme Le retour à la collectivité. Les gens là-bas m'ont indiqué qu'ils s'attendaient à obtenir un excellent taux de réussite en raison du bon travail du Service correctionnel du Canada. À quelques exceptions près, on n'a jamais revu les détenus qui ont suivi certains des cours offerts par ce pénitencier fédéral, notamment pour le sablage au jet.
En dépit des besoins et des lacunes à combler au chapitre des programmes, les mesures actuelles fonctionnent bien grâce au professionnalisme des employés en place.
Lorsque notre parti a pris le pouvoir, les hommes et les femmes à l'emploi de cet établissement correctionnel n'avaient eu droit à aucun renouvellement de contrat au cours des cinq années précédentes. On pouvait difficilement s'attendre à ce que ces employés se rendent au travail chaque jour et offrent un rendement adéquat, mais c'est bel et bien ce qu'ils ont fait, car ce sont des professionnels. Il faudrait toutefois s'assurer de les traiter en conséquence.
Monsieur Alexander, voici ma question à laquelle j'espère que vous pourrez répondre brièvement. Est-ce que le ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, la ministre de la Justice de l'Alberta et M. Matt Logan font fausse route?